LA VACHE CANADIENNE - Ferme Héritage Miner

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LA VACHE CANADIENNE - Ferme Héritage Miner
LA VACHE CANADIENNE : DU PATRIMOINE AGRICOLE À LA PEINTURE DES PAYSAGES CANADIENS
Essai d’étudiant, publié sur le site : www.museevirtuel-virtualmuseum.ca
Maya Soren
Cet essai a été écrit par un étudiant à la maîtrise à l’interieur du cours musée pratique du
département d’histoire de l’art, de la faculté des beaux-arts de l’Université Concordia. Le cours a
été enseigné par Dr. Loren Lerner, avec l’aide de Dina Vescio, une diplômée de la maîtrise du
programme.
L’industrie laitière canadienne et le statut du patrimoine québécois de la vache Canadienne
L’industrie laitière canadienne est une industrie rentable qui est fortement réglementée et qui
contribue grandement à l’économie nationale. En 2007, l’industrie laitière était au quatrième
rang derrière les céréales, la viande rouge et l’horticulture, générant une valeur de 5,2 milliards
de dollars en revenus nets1. La même année, les produits laitiers qui sortaient des quelque 445
usines de transformation de produits laitiers s’évaluaient à 11,6 milliards de dollars, soit 15 % de
toutes les ventes issues de la transformation de produits de l’industrie de l’alimentation et de
boissons du pays2. De plus, l’industrie laitière emploie des milliers d’ouvriers canadiens; en
2007, environ 30 000 personnes travaillaient dans les fermes laitières et 21 132 autres dans le
secteur de transformation de produits laitiers3. Environ 81 % des fermes laitières du pays sont
situées en Ontario et au Québec et elles élèvent 7 races de vaches : Holstein – qui constitue plus
de 93% des troupeaux, Ayrshire, Jersey, Guernsey, Canadienne, Shorthorn et Brune des Alpes
(ill. 1)4.
La Canadienne, introduite au XVIe et XVIIe siècle par les Canadiens-français établis en NouvelleFrance avec des bêtes de Normandie puis de Bretagne et de Gascogne, demeure la seule race
laitière à s’être développée en terre d’Amérique du Nord (ill. 2)5. Bien que les agriculteurs
apprécient la Canadienne pour « sa grande fertilité, sa facilité à vêler, sa rusticité exceptionnelle,
et son adaptation aux conditions difficiles du Canada »6, les exploitants de fermes laitières de
l’Ontario et du Québec ont commencé, dans les années 40 et 50, à croiser ou à remplacer la
Canadienne par des vaches laitières plus grosses, comme la vache Holstein. La Canadienne, qui
est plus petite et produit moins de lait, n’était plus rentable dans le contexte d’une économie
canadienne industrialisée. De nos jours, la population des Canadiennes risque de disparaître, car
il ne reste plus qu’environ 200 Canadiennes dans le fonds génétique, presque toutes au Québec.
Cependant, les chercheurs du Ministère des Pêcheries, de l’Agriculture et de l’Alimentation du
Québec et du Musée de l’agriculture du Canada tentent de régénérer cette population et les
exploitants de fermes laitières des Îles de la Madeleine utilisent le lait des Canadiennes pour
faire et vendre du fromage artisanal. Avec sa longue histoire dans l’industrie laitière du Canada,
la vache Canadienne a sans aucun doute une place historique et culturelle importante pour les
éleveurs, surtout au Québec à cause de la création en 1895 de l’Association des éleveurs de
bovins canadiens (aujourd’hui la Société des Éléveurs de Bovins Canadiens/Canadian Cattle
Breeders Association) pour éviter l’extinction de la race. Parce qu’elle a été associée de près aux
origines et traditions agricoles de la province, le gouvernement provincial du Québec lui a
donné, en 1999, le statut patrimonial officiel7. Cette appellation a également été confirmée par
une loi dans le but de rendre hommage aux éleveurs qui ont travaillé à préserver la race, ont
favorisé son élevage et ont cherché à mieux faire connaître et apprécier la race à l’extérieur de
la province8.
Comme l’indique le site officiel du tourisme du gouvernement du Québec : « Les routes du
Québec sont parsemées de témoignages de la vie souvent rustique que menaient les premiers
colons. Par voie de terre ou d’eau, on ne compte plus les habitations ancestrales, églises et
chapelles anciennes, ponts couverts, moulins et phares, véritables lieux de mémoire pour les
générations actuelles et futures »9. De la même façon que l’on a préservé ces sites
architecturaux et qu’on leur a souvent donné le statut patrimonial, on reconnaît depuis dix ans
que la vache Canadienne fait partie de l’histoire du Québec et, à ce titre, mérite d’être protégée.
Comme nous le verrons dans la section suivante, les vaches ont occupé une place spéciale dans
le cœur des artistes européens depuis le dix-neuvième siècle, et également dans celui des
artistes canadiens qui démontrent à quel point les vaches font inextricablement partie du
paysage rural du Canada.
La vache sert d’inspiration artistique pour représenter la campagne canadienne de la fin du
XIXe siècle
Pour les Canadiens de l’Ontario et du Québec, il est difficile d’imaginer un paysage rural sans
voir un troupeau de vaches paissant dans le champ d’une ferme. La vache, symbole et réalité
d’un mode de vie agricole, a été un sujet fréquent des artistes canadiens de la fin du XIXe siècle
et du début du XXe. Homer Ransford Watson, Horatio Walker et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté
sont parmi les peintres paysagistes les plus connus qui se sont spécialisés dans les animaux de la
ferme. Ces artistes ont été particulièrement influencés par deux courants de peinture européens
: l’École de Barbizon en France et l’École de La Haye aux Pays-Bas. Les tableaux de Jean-François
Millet sur de la vie des paysans français, dont la Femme faisant paître sa vache, expriment un
sentiment romantique antiurbain avec une approche réaliste (fig. 3)10. Pour le peintre de La
Haye, Willem Maris, le réalisme était tout aussi important, surtout dans ses tableaux de vaches,
dont Koe aan de slootkant (Vache à côté d’un fossé) qui explore les moments tranquilles de la
vie campagnarde par le biais de l’image dérivée d’une vache (fig. 4)11. Autant pour les peintres
de La Haye que pour ceux de Barbizon, les thèmes de la vie pastorale procédaient plus de
l’esthétique de l’art que de la représentation de scènes historiques et mythologiques.
Homer Ransford Watson faisait partie de l’Académie royale du Canada, dont il est
éventuellement devenu le président. Bien que très occupé à Toronto, à New York, à Montréal et
à Londres où de riches mécènes lui permettaient de vivre comme peintre, il avait choisi de vivre
et travailler dans son village natal de Doon en Ontario12. Ses tableaux, Sur la rivière Grand à
Doon (ca. 1880) dépeignant une scène de la campagne ontarienne, et Dans les Laurentides
(1882) peint dans les Laurentides du Québec, saisissent de deux façons différentes les éléments
bucoliques de la vie à la campagne. Dans ces deux œuvres, il donne une interprétation
pittoresque des champs de fermes et des animaux domestiqués par l’activité humaine (fig. 5 &
fig. 6).
Contrairement à la vision des vaches de Watson qu’il place quelque part dans le paysage,
Horatio Walker, qui est né à Listowel en Ontario, représente l’animal de près. La vache (1878),
un dessin au crayon et à l’aquarelle, montre bien la détermination de Walker à saisir la pose et
le profil du corps de cet animal en position assise (fig. 7). Une œuvre ultérieure, intitulée Les
vaches (1915), réaffirme son intérêt pour le corps de la vache qu’il rend dans diverses poses et
positions (fig. 8). Dans ce tableau, Walker explore le mouvement de trois vaches, le rythme de
leur tête sous différents angles et le mouvement de leurs jambes alors qu’elles marchent sur un
chemin de terre.
Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, qui est né à Arthabaska au Québec, a été inspiré plus
directement par les impressionnistes comme Claude Monet, dont les champs de meules de foin
et les prairies fleuries sont pleins de lumière et de couleurs. La ferme Bourbeau, une peinture de
la maison de ses voisins, Solyme Bourbeau et sa femme Clarisse Leboeuf qui possédaient une
grande ferme sur la rivière Gosselin, révèle ces mêmes qualités (fig. 9). Devant la maison, on
peut voir le troupeau de vaches des Bourbeau rentrer au crépuscule après avoir passé la journée
à paître dans les prés. Notons comment, dans ce tableau, Suzor-Coté donne du relief et du
volume aux formes et aux ombres en juxtaposant des touches de tons francs13.
La vache dans l’art canadien contemporain
Il y a plus de cent ans, les artistes canadiens représentaient les vaches comme faisant partie du
paysage rural de l’Ontario et du Québec, mais aussi pour expérimenter des techniques
picturales. Cet intérêt se retrouve chez les artistes contemporains comme Bernice Luftie Sorge
et Joe Fafard. Sorge qui demeure à Dunham au Québec, travaille comme graveur et peintre et
ses œuvres explorent souvent les questions liées à l’identité culturelle, à la dichotomie et à la
nature. Woman and Cow révèle la compréhension qu’a l’artiste des relations affectueuses entre
une paysanne des Cantons de l’Est et son troupeau de Canadiennes (fig. 10). Dans cette
composition de formes abstraites et de couleurs contrastées, la vache et la paysanne semblent
soudées dans une douce étreinte. Finalement, on ne saurait parler des images récentes de la
vache dans l’art canadien sans mentionner que Joe Fafard est le meilleur exemple de la forte
attraction qu’exercent les vaches sur un artiste. Pour Fafard, un artiste multimédia de Ste.
Marthe en Saskatchewan, la vache est le sujet parfait pour une expérimentation formelle.
Martha est l’une des centaines de vaches que Fafard a réalisées en sculpture d’argile et de
papier-mâché ainsi qu’en gravure et en peinture (fig. 11)14.
Figures
ill. 1 Canada Agriculture Museum Experimental Farm. (Photo: the author)
ill. 2 Canadienne Cow at the Canada Agriculture Museum Experimental Farm. (Photo: the
author)
ill. 3 Jean-François Millet, Woman Pasturing her Cow, 1858, oil on canvas, 73 x 93 cm, Musée de
Brou, France. (Photo: {http://fadis.library.utoronto.ca/cgibin/WebObjects/FADIS.woa/1/wo/l6cOod91XEihMDbZBbKCh0/15.7.5.9.1.27.51.1})
ill. 4 Willem Maris, Cow beside a Ditch, ca. 1885-1895, oil on canvas, 65 x 81 cm, Rijksmuseum.
(Photo: SK-A-2706, Rijksmuseum {http://www.rijksmuseum.nl/aria/aria_assets/SK-A2706?lang=en})
ill. 5 Homer Ransford Watson, On the Grand River at Doon, ca.1880, oil on canvas, 60.6 x 91.4
cm, National Gallery of Canada (Photo: {http://cybermuse.beauxarts.ca/cybermuse/search/artwork_e.jsp?mkey=3384})
ill. 6 Homer Ransford Watson, Down in the Laurentides, 1882, oil on canvas, 65.8 x 107 cm,
National Gallery of Canada. (Photo: {http://cybermuse.beauxarts.ca/cybermuse/search/artwork_e.jsp?mkey=10211})
ill. 7 Horatio Walker, Cow, 1878, crayon and watercolour, Leonard and Bina Ellen Art Gallery,
Concordia University. (Photo: Leonard and Bina Ellen Art Gallery 976.14 {http://www.pro.rcipchin.gc.ca/bd-dl/artefactseng.jsp?emu=en.artefacts:/Proxac/newImgWin.jsp&currLang=English&i=0&j=8})
ill. 8 Horatio Walker, Cows, ca.1915, oil on canvas, 129.9 x 183.3 cm, National Gallery of Canada
(16595). (Photo: {http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/1f/ Horatio_Walker__Cows_-_ca._1910-20.jpg})
ill. 9 Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, La Ferme Bourbeau, 1908-1909, oil on canvas, 61 x 88 cm,
private collection of Claude and Claire P. Bertrand. (Photo: reproduced in Laurier Lacroix, SuzorCoté: lumière et matière (Québec: Musée du Québec, National Gallery of Canada, 2002) 173.)
ill. 10 Bernice Luftie Sorge, Woman and Cow, ca. 1985, acrylic on masonite board, 90 x 55 cm.
(Photo: the artist).
ill. 11 Joe Fafard, Martha, 2007, patinated bronze, 26.7 x 68.6 x 29.2 cm, Mira Godard Gallery.
(Photo: {http://www.godardgallery.com/fafard.htm})
Notes
1. The Industry, Canadian Dairy Commission (20 Aug. 2008) 26 Oct. 2009
{http://www.cdc.ca/cdc/index_en.asp?caId=87}.
2. The Industry.
3. The Industry.
4. The Industry.
5. Brian Krick and Ted Lawrence, Canadienne Cow, Canadian Farm Animal Genetic
Resources Foundation, 26 Oct. 2009 {www.cfagrf.com/Canadienne_Cow.htm}.
6. Krick and Lawrence.
7. Loi sur les races animales du patrimoine agricole du Québec, Publications Québec (1
Nov. 2009) 2 Nov. 2009
{http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=2
&file=/R_0_01/R0_01.html}
8. Loi sur les races animales du patrimoine agricole du Québec
9. Bonjour Québec, Gouvernement du Québec, 26 Oct. 2009
{www.bonjourquebec.com/qc-en/histoire0.html}.
10. Dorothea K. Beard, Barbizon school, Grove Art Online, 27 Oct. 2009
{www.oxfordartonline.com}.
11. Ronald de Leeuw, John Sillevis and Charles Dumas, eds., The Hague School: Dutch
Masters of the 19th Century (The Hague: Haags Gemeentemuseum, 1983) 117.
12. Dennis Reid, A Concise History of Canadian Painting (Toronto: Oxford University Press,
1973) 105.
13. Laurier Lacroix, Suzor-Coté: Retour à Arthabaska (Arthabaska: Musée Laurier, 1987) 21.
14. Matthew Teitelbaum and Peter White, Joe Fafard: Cows and other luminaries 19771987 (Saskatoon: Mendel Art Gallery, Dunlop Art Gallery, 1987) 15.