L`ÉPUISEMENT DU LIEU - Anne

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L`ÉPUISEMENT DU LIEU - Anne
Texte : Le Dark Chips
Texte : Eric Therer
R e b o oté, for m até, e nfer m é à d o u ble to ur, lo n gte m p s , v oici c o m m e nt
l’ a n cie n n e civilis atio n a v ait d é cid é d e s oig n er l’inf â m e, le D ark C hip s .
S a n s rela c h e, il a v ait ta p é s ur la p orte d e s a c ellule, c ’ était s a f a ç o n
d ’ ai m er. Lib éré, il a v ait jeté u n re g ard s ur c e n o u v e a u m o n d e et s a v ait
d éjà q u e rie n n’ a v ait c h a n g é. Lui n o n plu s . « J e n’ étais q u ’ u n g a m in
irrita nt, m e nte ur et ro ux » A p h ex Twin.
Rubrique destinée à évoquer un lieu, une ville
ou un endroit, ‘Sounds & Sites’ ne se veut pas
un itinéraire descriptif exhaustif mais plutôt l’esquisse
d’un lieu où la musique puise ses racines ou manifeste
son émergence. ‘Sounds & Sites’ ne veut nullement dresser une
cartographie complète des lieux sonores mais répondra à des envies ou des
coups de sonde.
L’ÉPUISEMENT DU LIEU
Juan Rico, de par son patronyme, pourrait être le héros d’une série Z. Voici pourtant des lettres
à respecter car, quoiqu’il choisisse comme pseudo pour poser sa signature - !""#$ ou encore
%!&'()"&)*!%+ - l’Espagnol force le respect. Un compatriote, dont la musique tranche avec
la précision de la chirurgie, dont les fragrances effacent d’un souffle la mauvaise haleine des
producteurs bon marchés, ne pouvait qu’intéresser le maître du genre local, Oscar Mulero, qui
l’invite à sortir son ‘Blue Album’ sur son label (Pole Group). !"!"! C’est un peu leur coupe d’été
à eux : )$,&%-se fait remixer leur ‘O deon’ quelques mois après sa sortie. Mais que voulez-vous
faire d’autre d’un cheveu mou qu’un vieux brushing des familles ? On peut toutefois saluer %./,
le seul à mettre un peu de gel pour fixer tout ça, mais pour le reste ‘TLAPA The O deon Remixes’
pue la laque. !"!"! (#$0(#%-est une jeune dj anglaise qui a le mérite de faire de la house encore
plus ringarde que celle qu’on avait essayé de nous vendre dans les soirées Libertine Supersport.
Et dire que ‘Aerotropolis’ est carrément un échelon au-dessus ne serait qu’un doux euphémisme
tant il nous replonge dans des clichés 80’s qu’on avait préféré oublier. Et pourtant, au final,
étonnement : c’est si caricatural que cela en devient attendrissant.!"!"! Comme pour nous
rassurer que les projets de couple n’aboutissent pas tous à des ignominies du style Marka-Bibot,
Jimi Tenor et Nicole Willis accouchent de leur premier projet en duo. Doté d’un nom ‘Enigmatic’ et
d’une pochette absolument hideuse, &$+% & 1(22* rabibochent à chaque son, chaque mesure,
les allergiques du genre avec les stigmates de la de e p. On connaissait déjà au Finlandais le
talent de nous tirer sur la piste, on imaginait moins la force et la parfaite collaboration des époux
terribles sur un projet commun. Si l’Haçienda existait toujours… !"!"! Au service du passionnant
collectif NLF3 ces dernières années,-.3+$! s’émancipe pour un premier projet sombre, immersif
et aussi jouissif qu’effrayant. Un semblant de drone, de post-rock tâché d’electronica, ‘Blackflakes’
promet d’être l’accessoire indispensable des soirées où l’on aime serrer un peu les fesses dans
l’obscurité. !"!"! Jamie Robson est un élève appliqué et soigneux, il fait toujours bien ses
devoirs. ‘Temple Of a Thousand Lights’ lui a pris un an, ferme ! C’est dire s’il s’est appliqué à tout
souligner méthodiquement, à faire des jolis points sur les i et parfaire de précises « crolettes » la
fin de ses s. Au fond de son chapeau, 2%/(&-4%05% mélange ce qu’il nous plaît d’entendre avec
ce petit moins qui en fait un titre peu indispensable : M83 sans l’accroche, Fuck Buttons sans
la rage, un devoir définitivement sans rature. !"!"!",'+$2(-%6"!-et son ‘Live From Sankeys
Ibiza’. Ibiza, COMME SI VOUS Y ETIEZ ! Mais a-t-on vraiment envie d’y aller ? J’allais vous
poser la question… !"!"!"‘MeYouWeYou’ ou le disque zozo du mois ! !$&#")0*26"!0(0"
rend neuf fois hommage, en autant de plages, au jazz astral de Sun Ra. Et si l’exercice manque
d’originalité, la manière nous décoiffe. Le duo joue live, sec et libéré, nous emmène au cœur
d’un club bouillonnant des 90’s avec autant de motifs sonores qui apparaîtraient ringards dans
un autre contexte. Malgré cette esquisse, limiter la paire au simple duo-électro serait injuste : tout
sonne vrai, avec du fond et une irrévérence effrontée. Les nuits d’été devant la cheminée… !"!"
! 4("!!"-5"*),&'2%00-est un vieux roublard, un gars à qui on ne la fait pas. Il a vu naître et
disparaître Detroit, a grandi avec Berlin, l’a en quelque sorte bâti de ses mains. Quand on est alors
si proche des deux pôles de la grande turbine électronique, quoi de plus naturel que de céder à
l’envie de relier positif et négatif, d’oser le court-circuit : ‘B etroit’ pour faire sauter les plombs. En
15 titres surchargés d’histoire et pourtant si uniques, l’Allemand connecte tout ce qui a fait et fera
toujours Detroit avec tout ce qu’est Berlin et va la définir. Tout simplement parfait. !"!"! Faisons
bref ! Pour une fois qu’une plaque de de e p n’est absolument pas répugnante, on aurait tendance
à s’attendrir. Et bien 2%!"#-'"22%00 réussit le tour de passe-passe de nous passionner quelque
peu avec tout ce qui nous sortirait par les trous de nez en temps normal. ‘Bitterswe et’, ça fond
dans la bouche… !"!"! Hormis sa carrière de producteur, 4")%!-5*05$7 est un ingé son
d’expérience. Et si vous ajoutez à cela sa passion maladive pour les synthés et les mélodies qui
se complexifient tout au long de titres à rallonge, il apparaît tout à fait logique que ‘Sailing Off The
Grid’ ressemble à l’exercice d’un démonstrateur-produit qui maîtriserait son sujet à la perfection.
CQFD. !"!"!"Faire du neuf avec du vieux, exercice délicat. Les bandes originales de John
Carpenter, les années krautrock, le son 8-bit et le vaporeux shoegaze, autant d’éléments cultes
dont se nourrit ‘Modern Workship’. Certes, toute madeleine de Proust est à double tranchant, rien
d’étonnant qu’à mi-parcours, avec une empreinte sonore si marquée, '8")%+ perde quelque
peu notre attention. Reconnaissons tout de même à l’Anglais le mérite d’avoir tissé, tout au long
de son œuvre, un univers vintage résolument moderne sans jamais basculer dans la caricature
de ses choix artistiques. !"!"!"Puisque l’été frappe encore à nos portes et qu’on détesterait
se montrer sectaire, il nous reste à épingler les sorties destinées à égayer vos soirées piscine.
Et si elles viennent toutes deux de l’écurie (BBE), les sons de ‘The Sound Of Bang’ et de ‘O n My
Way’ résonnent de manières totalement différentes. Si la compilation mixée par )"!!8-'*0)"!
relève d’un ramassis de saloperies deep comme on les déteste, hors des frontières de Chicago, le
second montre tout le savoir de #$0 dans un style disco-funk cher à son label. Une production qui
semble tellement sincère qu’on ne peut s’imaginer l’écouter autrement qu’à travers le filtre sillonné
d’un vinyle. Bon, c’est écoutable mais ne nous emballons pas, c’est tout de même une sacrée
musique de plumeaux !
« Feuille de route ‘Via Michelin’ – Itinéraire 1 sur 2… » tels sont les premiers mots
qui ouvrent ‘Evénement n°19’, d’Anne-James Chaton, une de ses premières œuvres
sonores publiées par la maison d’édition Al Dante en 2004. Dès son amorce, le texte
énumère les étapes d’une feuille de route réelle où l’itinéraire est précisé dans ses
développements kilométriques et d’horaire. Ni le départ, ni l’arrivée n’importent, seules
les données factuelles pures du trajet comptent et se décomptent tel l’énumération de
données brutes. Cette articulation de faits se déploie sans affect et sans la moindre
variation de la tonalité de la voix qui les énumère.
A peu près à la même époque, paraît ‘L’effac é (capitalisme et effac ement)’, un essai
publié chez Sens & Tonka qui se comprend comme une lecture d’Anne-James Chaton
des manuscrits économico-philosophiques originaires de Marx au travers les mots
fondant les rapports sociaux contemporains : travail, capital, propriété privée, profit…
L’homme qui dit la concurrence et la division du travail doit s’inventer une autre langue
dans la mesure où la propriété privée marque l’origine de son nom et efface les autres
dénominations du rapport de l’homme au monde.
Plus tard, Chaton parviendra à magnifier l’exercice qui consiste à dire un événement,
qu’il soit purement statistique ou authentiquement factuel, en lui reconnaissant la
sensualité de la seule énonciation de sa manifestation. Il peut s’agir du cours boursier
d’une action (‘Vous êtes riche’), de titres de unes de journaux (‘Newspaper’), du temps
qu’il fait (‘Weather’), mais aussi des faits et gestes les plus triviaux de la vie ordinaire
formulés dans ce ‘Portrait’ qui s’avère un autoportrait dépeint sur le fil d’instants
définitivement révolus. Tel Perec dans sa ‘Tentative d’é puisement d’un lieu parisien’,
Anne-James Chaton pratique la sémiologie en amateur en lui assignant une inattendue
finalité poétique.
Avec Andy Moor, le guitariste de The Ex, Anne-James Chaton a définitivement
consacré la tournure musicale de son propos. La collaboration entre les deux artistes
remonte à une dizaine d’années et a atteint aujourd’hui son apogée. Initiée en 2011, la
série ‘Transfer’ a été conçue comme une suite d’épisodes publiés sous le format du 45
tours. Le premier numéro était consacré à des en-têtes d’actualité et à l’évolution d’un
parcours au regard des latitudes et longitudes sous lequel il évoluait. Le deuxième
narrait les destinées tragiques de deux princesses (Grace et Diana) décédées au
volant de bolides sublimés. ‘Transfer/3’ s’intéressait à une histoire de l’aviation à travers
les mouvements des avions et des dates de ses catastrophes mémorables tandis que
la quatrième et dernière livraison abordait la cartographie sélective du métropolitain
londonien et énumérait une série de figures de grands procès au travers la seule issue
du verdict qui leur fut réservé.
Aujourd’hui réédités sur un cd, ces ‘Transfer’ s’accompagnent d’un ‘Journal d’un
naufrage’ et d’une sorte d’almanach voué à l’inventaire de toponymes nautiques. Mis
bout à bout, ses différents chapitres sont autant de célébrations de lieux terrestres,
aériens ou maritimes. Au cœur de la démarche de Chaton, le lieu ne cesse jamais
d’être présent, il règne en figure tutélaire et s’avère être un décor circonstanciel
providentiel. Si parfois il nous donne l’impression de disparaître, c’est peut-être pour
mieux s’effacer au profit du vocable qui le désigne, pour se dissiper sous le poids de
son signifiant. C’est là le jeu de l’épuisement. Comme chez Blanchot et Bataille, c’est
un exercice à la fois de forme et ontologique. L’épuisement du lieu. Le lieu épuisé.
Un disque : Annes-James Chaton – Andy Moor, ‘Transfer’, Unsounds

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