Voyage au pays des ancêtres La telenovela brésilienne au Portugal

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Voyage au pays des ancêtres La telenovela brésilienne au Portugal
Voyage au pays des ancêtres
La telenovela brésilienne au Portugal
Erika Thomas
GERIICO – Lille3
Depuis 19751, le Brésil a exporté plus de deux cents telenovelas à travers le monde. Dans ce
marché mondial qui compte plus d’une centaine de pays, le Portugal tient une place à part. En
effet, si l’exportation des telenovelas obéit à un processus complexe qui va bien au-delà du
simple doublage - en incluant des transformations en termes de format, d’ajouts d’insertions
explicatives ou de coupures de particularités régionalistes - au Portugal, la telenovela ne subit
aucune transformation et est diffusée aujourd’hui avec seulement quelques semaines de
décalage. En 1977 la chaîne portugaise RTP diffuse la telenovela Gabriela, adaptée du roman
de Jorge Amado. Le succès de cette diffusion inaugure un lien devenu intime entre les
telenovelas brésiliennes et le public portugais : lors des dix-sept années qui vont suivre en
moyenne deux telenovelas seront diffusées par an sur la chaîne RTP. Depuis 1993, cette
moyenne est passée à six par an grâce au partenariat créé entre Globo, première chaîne
brésilienne en termes de production, diffusion et exportation de telenovelas et la nouvelle
chaîne portugaise SIC. Le succès des ces produits audiovisuels brésiliens au Portugal a
favorisé l’émergence d’une création et production nationale et nous assistons, depuis 1999, à
un essoufflement significatif de l’audience des telenovelas venues du Brésil au profit des
productions portugaises par ailleurs fortement influencées par la matrice esthétique Globo.
Les telenovelas made in Globo : esthétique et fonctions sociales
D’abord adaptées de la radio, les telenovelas vont, dès les années cinquante - débuts de la
télévision brésilienne - s’affirmer comme le produit audiovisuel unanimement plébiscité par
les téléspectateurs. Des avatars hispano-américains à la telenovela d’aujourd’hui - présentant
une esthétique aisément identifiable2, une thématique et une narration construites par des
équipes de scénaristes - le succès de ce genre télévisuel auprès du public est encore
aujourd’hui un phénomène important qui demande à être analysé jusque dans ses
fluctuations3. A partir de la fin des années soixante-dix, les telenovelas absorbent plus de
soixante pour cent du budget de la première chaîne en matière d’audience (la Globo) et
intègrent une équipe d’acteurs maisons payés à l’année pour être disponibles, ainsi qu’une
équipe fixe d’auteurs, de réalisateurs, de scripts, de scénaristes mobilisés pour cinq ou six
mois. La telenovela devient rapidement le principal support de recettes publicitaires de la
chaîne. Les raisons d’un tel succès au Brésil s’expliquent en partie par le fait qu’elles sont
1
La telenovela O bem amado écrite par Dias Gomes et réalisée par Regis Cardoso en 1973 ouvre la voie de
l’exportation : en 1975 cette telenovela est d’abord diffusée au Mexique puis à d’autres pays d’Amérique Latine
avant d’être diffusée en 1984 au Portugal. Voir Dicionario da TV Globo, vol. 1, Jorge Zahar Editor, Rio de
Janeiro, 2003.
2
Plans d’ensemble et aériens de la ville brésilienne et ses lieux touristiques où se déroule l’intrigue ; ancrage
dans les décors luxueux ; gros plans visuels et sonores accompagnant les accroches insérées avant la coupure
publicitaire etc…
3
Ainsi, la version on line du quotidien A folha de São Paulo a annoncé le 30 mai 2008 que l’avant dernier
épisode de la telenovela Duas Caras, diffusé le 29 mai 2008, avait rassemblé 70% des téléviseurs allumés dans
le pays. Or ce même feuilleton avait démarré avec un taux de réception très bas tout comme l’actuelle telenovela
qui lui succède, A favorita, à l’antenne depuis le 1 juin.
investies en tant que produits de consolidation identitaire pour les spectateurs brésiliens4 et
qu’elles présentent des fonctions sociales aisément repérables comme celles de
divertissement, de pédagogie ou encore de régulation des normes et valeurs de la société
brésilienne. En effet, la telenovela – accompagnée des succès musicaux nationaux et
internationaux du moment - raconte une histoire qui, le plus souvent, finit bien et, dans sa
dimension pédagogique, rend accessible au plus grand nombre le patrimoine culturel brésilien
et l’histoire du Brésil par le biais d’adaptations des grandes œuvres de la littérature brésilienne
(Jorge Amado, Graciliano Ramos, José de Alencar…) et des reconstitutions historiques. La
pédagogie de la telenovela se remarque également au travers de la volonté d’aborder des
thèmes comme la contraception, l’hygiène, les amours adolescentes, la sexualité. Véhicule
d’influence incontestable en matière de normes sociales, les telenovelas assument également
les fonctions phoriques de porte-idéal et porte-symptôme de la société brésilienne5. A quelles
conditions des produits audiovisuels si typiquement brésiliens – dans le choix et le traitement
de ses thématiques – sont-ils exportables ?
Exportation mondiale et spécificité du marché portugais
Depuis les années soixante-dix, les produits audiovisuels brésiliens (telenovelas, mini séries,
téléfilms) ont été exportés vers plus de cent quarante pays. Dans cet ensemble, les telenovelas,
qui rapportent annuellement plus de 150 millions de dollars à la Globo ont été achetées par
plus d’une centaine de pays6. L’Amérique latine, mais également le Portugal, la Turquie, la
Russie, la Grèce sont les principaux acheteurs du genre. Les années quatre-vingts et
l’explosion des chaînes privées en Europe vont ouvrir les portes aux telenovelas latinoaméricaines d’abord perçues comme équivalentes dans leurs thématiques et dans leurs
esthétiques. Certaines des productions brésiliennes vont ensuite se distinguer des productions
hispano-américaines par le biais d’adaptations littéraires, de reconstitutions historiques ou
plus simplement par le choix de thématiques plus élaborées et nuancées. C’est le cas des deux
grands succès d’exportation : Escrava Isaura (réalisée en 1976 et diffusée en 1982 en Italie,
premier pays européen à l’acquérir) et Terra Nostra (réalisée en 1999). La première est une
adaptation littéraire tirée du roman homonyme de Bernardo Guimarães et réalisée par
Gilberto Braga qui raconte l’histoire d’une esclave métisse. Escrava Isaura va être vendue à
quatre-vingts pays7 à travers le monde. La seconde, Terra Nostra, écrite par Benedito Rui
Barbosa est une histoire d’amour se déroulant pendant la période de l’immigration italienne à
la fin du XIXe siècle au Brésil. Elle va être vendue à plus de trente pays8 et connaître un
immense succès en particulier en Italie en 2001. La conquête de l’étranger impliquant des
choix stratégiques, la Globo va ainsi faire subir un certain nombre de transformations au
produit audiovisuel pour lui garantir un espace dans ce marché international9 : les formats des
telenovelas sont réduits (moins d’épisodes, narration resserrée), les régionalismes ou éléments
trop culturellement liés au Brésil sont coupés ou certaines fois explicités par l’ajout en voix
off d’éléments d’explication nécessaires au spectateur étranger10. Cette volonté de s’adapter
au marché international a également conduit Gilberto Braga, un des plus grands auteurs
brésilien, a réaliser son immense succès d’audience Vale Tudo – diffusé au Brésil en 1988 et
4
Voir E. THOMAS, Les telenovelas entre fiction et réalité, L’Harmattan, 2003.
Op.cit.
6
M. PERENCIN TONDATO Telenovela Exportada, Um estudo das telenovelas brasileiras exportadas,
Mémoire de maîtrise, UMESP, Brasil, 1998.
7
Dicionario da TV Globo, vol. 1, Jorge Zahar Editor, Rio de Janeiro, 2003, p. 72.
8
Op.cit. p. 272.
9
Voir en particulier M. I. VASSALLO DE LOPES (dir.) Telenovela: Internacionalização e Interculturalidade, Loloya,
5
São Paulo 2004.
10
Ce fut le cas pour contextualiser l’immigration italienne au Brésil au XIXe dans la telenovela Terra Nostra.
dans plus d’une trentaine de pays les années suivantes - en version espagnole en 2002, avec
des acteurs latino-américains pour Telemundo, chaîne hispanique des Etats Unis. En Europe,
un autre facteur de facilitation d’entrée dans le marché survient au cours des années quatrevingt-dix : des co-productions entre chaînes brésiliennes et chaînes européennes sont signées.
RTVE (chaîne espagnole), RTSI (chaîne suisse) et RTP1 (chaîne portugaise) vont ainsi coproduire avec Globo respectivement Lua Cheia de Amor11(1991) de Moretszohn, Linhares et
Barbosa et Pedra sobre Pedra (1992)12 de Silva, Moretszohn et Linhares. Ces co-productions
vont faciliter l’exportation des telenovelas brésiliennes mais vont également influencer leurs
narrations par l’intégration de problématiques, d’espaces géographiques et d’acteurs
étrangers.
Le marché Portugais : de l’engouement à la critique
Le Portugal représente le plus grand marché mondial pour les telenovelas brésiliennes. En
1977 la chaîne portugaise RTP diffuse la telenovela Gabriela, adaptée du roman de Jorge
Amado et réalisée par Walter George Durst. L’engouement qui a suivi a entraîné une
inquiétude chez les créateurs portugais qui voyaient ces productions venues d’ailleurs occuper
un territoire audiovisuel qui aurait pu être le leur. Néanmoins l’immense succès de Gabriela
doit être considéré à l’intérieur d’une réception plus large de la culture brésilienne au
Portugal13 intégrant également les grands noms du cinéma, de la musique ou de la littérature
brésilienne14. L’impact de Gabriela peut aussi être perçu, comme il l’a été au Brésil, comme
un signe de l’émergence d’une nouvelle société qui concentre dans les valeurs de médias et de
société de consommation, de nouvelles valeurs, de nouveaux styles de vies et une nouvelle
image de la femme15.
Les années quatre-vingts ont confirmé l’intérêt des portugais pour les produits audiovisuels
brésiliens : les telenovelas Vereda Tropical (diffusée en 1984) de C. Lombardi et Corpo a
Corpo (également diffusée en 1984) de G. Braga, ainsi que l’émission humoristique Viva o
Gordo de Jô Soares (diffusée en 1986), ont été de considérables succès d’audience du primetime de la chaîne publique RTP.
Au début des années quatre-vingt-dix, le paysage audiovisuel portugais se transforme avec
l’arrivée d’une chaîne privée attentive aux succès d’audience. En 1993 un partenariat créé
entre Globo et la nouvelle chaîne portugaise privée SIC va en effet ouvrir davantage d’espace
à la production brésilienne : une moyenne de six telenovelas sont diffusées annuellement.
Avec une grille de programmes diversifiée investissant essentiellement le goût populaire, la
SIC devient rapidement la première chaîne en matière d’audience. Comme pour Escrava
Isaura, diffusée la décennie précédente, deux autres telenovelas vont, au cours des années
quatre-vingt-dix, obtenir de grands succès d’audience au Portugal et participer ainsi à
l’hégémonie de la SIC : Roque Santeiro de Dias Gomes et Silva (diffusée en 1993) et Rei do
Gado de Barbosa (diffusée en 1997). Pour contrer la concurrence, les autres chaînes
portugaises investissent dans de nouveaux programmes, de nouveaux talents locaux créant
ainsi un climat propice à l’éclosion de la fiction télévisuelle portugaise. A la fin des années
11
Première telenovela co-produite (Globo, RTVE et RTSI). Différentes séquences de cette telenovela se
déroulaient en Espagne et en Suisse.
12
RTP a financé 20% de la production et deux acteurs portugais, Carlos Daniel et Suzana Borges, ont fait partie
du casting de la telenovela, Lisbonne a également servi de décor à certaines séquences.
13
I. FERIN CUNHA, "As telenovelas brasileiras em Portugal: indicadores de aceitação e mudança in Trajectos,
3, 2003 et A revolução da Gabriela, o ano de 1977 em Portugal in Cadernos Pagu n°21, Campinas, 2003.
14
Le lancement de Gabriela sur RTP s’est accompagné d’une soirée brésilienne avec un concert de Vinius de
Moraes, Toquinho et Maria Creuza. (Dicionario da TV Globo, vol. 1, Jorge Zahar Editor, Rio de Janeiro, 2003)
15
Concernant les modes de réception de la telenovela brésilienne voir V. POLICARPO, Telenovela brasileira :
apropriação, género e trajectória familiar, Coimbra, 2001.
quatre-vingt-dix, une nouvelle télévision voit le jour : la concurrence impitoyable que se
livrent les chaînes privées et publiques en quête d’audience entraînent l’examen attentif des
goûts du public portugais. Dans cette nouvelle configuration, la telenovela brésilienne cesse
progressivement d’être un produit incontournable. Leur audience est en baisse : elles
n’obtiennent à la fin des années quatre-vingt-dix que la moitié des scores d’audiences
d’autrefois16.
La réception et ses influences
De cet immense engouement des années quatre-vingts et du début des années quatre-vingt-dix
que reste-t-il ? La réception de la telenovela brésilienne au Portugal a exercé
vraisemblablement un certain nombre d’influences sur la société portugaise. La principale
d’entre elles étant l’influence sur la langue elle-même. La prononciation du portugais du
Brésil est différente de celle de celui du Portugal ; de même, des expressions particulières sont
propres à chacun de ces pays. Des expressions comme « tudo bom ? » « a gente » « tà legal »
et bien d’autres expressions brésiliennes s’entendent sans peine aujourd’hui au Portugal. Les
experts débattent de cette possible influence du brésilien parlé sur le plus classique portugais
du Portugal. Une récente publication éclaire d’ailleurs la question : en 2001, le dictionnaire du
portugais contemporain édité à Lisbonne par l’Académie des Sciences17 présente une
particularité intéressante, celle d’inclure la transcription phonétique d’un certain nombre de
mots portugais18. John Robert Schmitz, professeur de linguistique de l’université de Campinas
au Brésil, voit dans cette transcription phonétique une volonté politique de définir celle-ci
comme norme de prononciation et tenter de contenir ainsi l’influence quant à la prononciation
du portugais du Brésil véhiculé par les telenovelas dans les pays lusophones dont, bien
entendu, le Portugal. Cette influence du portugais du Brésil est d’ailleurs soulignée par
d’autres chercheurs de pays lusophones, notamment en Angola19.
Au-delà de l’influence linguistique, une influence sociale intéressante, qui demanderait à être
approfondie par d’autres recherches, est celle rapportée par le consul portugais à Belo
Horizonte, Silvino Ferreira Leite. Dans un article paru dans une publication institutionnelle20
le consul analyse l’image du Brésil et du Portugal à l’étranger et considère les influences du
premier sur le second. Il rapporte une observation concernant l’expression des affects dans la
société portugaise influencée, selon lui, par les telenovelas brésiliennes : les hommes d’une
même famille qui avant se serraient la main en signe d’affection, lors de retrouvailles par
exemple, n’hésitent plus à s’embrasser aujourd’hui. Selon Fereira Leito, c’est précisément la
telenovela brésilienne qui a révolutionné l’expression des affects entre les hommes dans son
pays.
L’influence sociale des telenovelas est également perceptible au travers de ce qu’en disent les
magazines spécialisés. Osvaldo Meira Trigueiro, chercheur à l’ Université Fédérale de
16
I. FERIN CUNHA, "As telenovelas brasileiras em Portugal: indicadores de aceitação e mudança in Trajectos,
3, 2003.
17
Dicionário da Língua Portuguesa Contemporânea, Academia das Ciencias, Lisboa, 2001.
18
Outre l’orthographe portugaise qui diffère de celle du Brésil ex : contacto/contato.
19
Vera Matos, enseignante en méthodologie et recherche en pédagogie à l’Instituto Supérior de Educação de
Luanda, Angola publie une colonne dans le Jornal de Angola en décembre 2005 pour dénoncer l’influence
négative de telenovelas brésiliennes dans l’apprentissage du portugais d’Angola, dans la mesure où le brésilien
parlé des telenovelas est différent du portugais classique des manuels scolaires.
20
« Repensando o Brasil 500 anos depois » in Revista Legislativa, n°27 janeiro/março 2000.
Paraiba Brésil, a réalisé une intéressante étude sur le sujet21. A partir d’une analyse
minutieuse de la présentation des telenovelas par trois magazines télé, le chercheur met en
évidence l’intérêt certain des Portugais pour la culture brésilienne et son influence sur les
goûts et valeurs adoptés par la jeunesse portugaise. Ces magazines reprennent certaines des
expressions typiquement brésiliennes créées par l’émission Viva o gordo ou expressions
brésiliennes des telenovelas, ils analysent en quelques lignes la personnalité d’un personnage
de Vereda Tropical et informent le public portugais sur la vie privée des acteurs brésiliens.
Cette influence - linguistique et sociale – est peut être circonscrite dans le temps si l’on
considère que ces dernières années les Portugais délaissent quelque peu les telenovelas
brésiliennes. Ce délaissement vient-il signifier une saturation des téléspectateurs vis-à-vis de
ce genre télévisuel ? Rien n’est moins sûr. En réalité, la telenovela brésilienne doit
actuellement faire face à une concurrence inattendue : la telenovela portugaise. Doce Fugitiva
(2006) et Tempo de Viver (2006) deux telenovelas portugaises de la chaîne TVI en sont des
exemples. Les acteurs portugais, les thématiques plus proches de la réalité que vivent les
spectateurs et les codes culturels partagés par ceux-ci, favorisent une identification qui semble
menacer aujourd’hui le produit audiovisuel brésilien.
Telenovela brésilienne et produit national portugais
Comment cette riposte portugaise s’est-elle organisée dans le temps ? Dès le début des années
quatre-vingts, la concurrence portugaise surgit avec la première telenovela nationale, Vila
Faia (Breyner et Nicholson, 1982), cependant celle-ci ne parvient pas à menacer réellement
les productions de la Globo. La privatisation des chaînes va permettre un investissement plus
important dans la production nationale qui tente alors de rattraper les vingt ans d’expérience,
en matière de production et réalisation de telenovelas, des Brésiliens, et en particulier de
Globo. En 1992 c’est un Brésilien expérimenté dans le champ de la réalisation audiovisuelle,
Régis Cardoso22, qui coordonne une équipe d’auteurs portugais (Nicholson et Granja) et qui
réalisera une telenovela portugaise, diffusée sur RTP1, Cinzas. Cette fiction, racontant les
dernières années d’un riche propriétaire terrien à Lisbonne, sera un premier succès
d’audience. Il faudra cependant attendre Olhos d’Agua (Trigoso, Martinho et Aguiar, 2001),
telenovela portugaise diffusée sur TVI23 pour que les telenovelas brésiliennes commencent
sérieusement à perdre du terrain. Incontestablement, le tournant de la fin des années quatrevingt-dix va marquer une nette préférence de la part des spectateurs portugais pour les
produits nationaux diffusés par la chaîne actuellement la plus regardée au Portugal : TVI24.
Ainsi, après avoir très largement dominé le marché portugais, les productions brésiliennes
affrontent la concurrence des productions locales imprégnées d’une matrice brésilienne ayant
fait ses preuves et exerçant une forme d’influence sur la narration portugaise25. Outre le fait
que, comme nous l’avons souligné précédemment, des acteurs portugais vivant des intrigues
enracinées au Portugal favorisent une identification plus immédiate de la part du spectateur,
certaines différences entre la production brésilienne et la production portugaise peuvent
21
As notícias das telenovelas da globo nas revistas portuguesas "maria", "tv guia" e "jogos de rádio"
Universidade Federal de Paraiba, 1994.
22
Il a réalisé entre autres O Bem Amado de Dias Gomes, Brésil 1973, diffusée au Portugal en 1984.
23
Telenovela également diffusée sans grand succès sur TV Bandeirantes au Brésil. Voir M.L. Motter et M.
Ataide Malcher, “Portugal/Brasil: a telenovela no entre-fronteiras” (Associaçao Portuguesa de ciencias da
comunicaçao
2004
http://bocc.ubi.pt/pag/motter-maria-malcher-maria-portugal-brasil-telenovela-entrefronteiras.pdf ).
24
Voir à ce sujet H. O’DONNELL, « L’Empire contre-attaque ? Le défi de la production portugaise de
feuilletons télévisés, p. 209-222 » in Medias, pouvoirs et identités, Lusotopie, 2004.
25
Baia de mulheres (Arouca, Portugal 2004) s’est vue accusée de plagier le succès brésilien Mulheres
apaixonadas (Manoel Carlos, 2003).
également expliquer une plus forte adhésion aux valeurs véhiculées par la production locale.
Une récente étude comparative de Robalo do Nascimento Castelo26 démontre que le
traitement de la réalité sociale et sa dimension symbolique est une des différences importantes
entre ces deux rivales : la telenovela brésilienne intègre la réalité dans la fiction qu’elle
construit ; le débat social, les questions débattues dans la société brésilienne – réforme
agraire, corruption, SIDA, homosexualité… - se retrouvent en effet aisément à l’intérieur de
la fiction. Cette frontière est plus étanche au Portugal. La place de la famille comme celle de
la religion est également plus importante dans la telenovela brésilienne. L’idée de chef de
famille ou la mise en scène du repas familial surgissent de façon très fréquente dans la
production brésilienne tandis que 40% des personnages des productions portugaises vivent
seuls. Les références à la religion (mariage à l’église, baptême, expressions religieuses…)
sont très présentes dans les productions brésiliennes et quasi inexistantes dans celles des
Portugais. Si les récents succès d’audience obtenus par la TVI, deuxième chaîne privée qui
diffuse des telenovelas nationales, vont dans le sens d’une préférence actuelle pour les
produits nationaux il n’en demeure pas moins vrai que l’écran portugais continue de laisser
une place importante – au regard des autres pays de la communauté européenne - aux
productions brésiliennes. Actuellement, le Portugal diffuse six telenovelas brésiliennes sur la
première chaîne privée portugaise SIC : Duas Caras (Silva, 2008), Desejo proibido (Negrão,
2008), sete pecados (Carrasco, 2007), Beleza Pura (Maltarolli, 2008) Ciranda de Pedra
(Nogueira, 2008) et rediffuse Terra Nostra (Ruy Barbosa, 1999). La chaîne TVI, deuxième
chaîne privée et quatrième chaîne de télévision portugaise diffuse actuellement quatre
telenovelas portugaises : morango com açucar (Fealmar, 2003) A outra (Martinho, Belmonte,
Martinho, 2008), Fascinios (Barreira, 2007), Deixa-me amar (Costa, Humberto et Meira,
2008). La chaîne publique RTP1 diffuse quant à elle une nouvelle adaptation de Vila Faia
(Teixeira e Graciano, 2008), telenovela portugaise des années 80.
Telenovelas brésiliennes au Portugal….la suite au prochain épisode
La TV Globo est la deuxième exportatrice de telenovelas dans le monde juste derrière le
Mexique27. Cette exportation a été à l’origine d’un certain nombre de changements dans le
format et l’esthétique de ce produit audiovisuel, y compris dans le marché intérieur marqué
par une baisse ou une transformation de l’audience, également due à l’apparition du câble et
d’une nouvelle façon de « consommer » la telenovela : le recours au site internet des
telenovelas pour les visionner d’une autre façon affecte indéniablement la mesure même de
leur audience. Concernant le marché européen et en particulier le marché portugais, les
telenovelas brésiliennes de la TV Globo ne sont pas simplement appelées à relever le défi des
productions nationales, elles doivent également se battre contre d’autres telenovelas ou
d’autres émissions brésiliennes des chaînes concurrentes comme TV Record qui investit
énormément dans la production de telenovelas ou encore Rede TV dans un marché
international qui interroge les notions de diversité culturelle audiovisuelle et de
protectionnisme des marchés intérieurs déjà largement gagnés par les séries américaines28.
Ainsi, le remake de Escrava Isaura, grand succès de la Globo a été réalisé par TV Record et
26
Etude réalisée à partir de deux telenovelas destinées au même type de public (Mulheres apaixonadas
telenovela brésilienne et Saber Amar telenovela portugaise) A. ROBALO DO NASCIMENTO CASTELO,
sociologue à Instituto Politectnico Castelo Branco Actes des ateliers du Ve congres portugais de sociologie
2003.
27
Televisa, au Mexique produit une moyenne de seize telenovelas par an, la TV Globo en produit six misant
bien davantage sur la qualité et l’élaboration du produit.
28
Voir L. M. JUNQUEIRA, M. SOTERO CAIO NETO ; T. S. P. PAES, « Mediações do mercado de
audiovisual na criação e recepção de telenovelas » in XIII Congresso Brasileiro de Sociologia, 2007, Recife.
Actes du XIII Congresso Brasileiro de Sociologia, 2007.
récemment exporté avec succès au Portugal. Rede TV négocie actuellement la vente en
Europe (Portugal, Italie) des programmes pour enfants. Quoi qu’il en soit, la trajectoire
effectuée par la telenovela brésilienne au pays des ancêtres portugais déclenchait dans les
années quatre-vingts les critiques de l’élite portugaise qui y voyait un signe de colonisation
culturelle insupportable. Aujourd’hui il est possible d’affirmer que sa présence a favorisé, et
continue de le faire, l’émergence d’une création fictionnelle nationale plébiscitée par le public
et qui, comme au Brésil, représente une forme de résistance à l’hégémonie des séries
américaines29.
29
Selon une enquête d’audiométrie (2006) et rapportée par Lusa, l’agence de presse du Portugal,
proportionnellement à l’espace qu’ils occupent sur la grille des chaînes, les programmes brésiliens – telenovelas
essentiellement - obtiennent toujours de très bons scores d’audience. Occupant 5% de la grille des programmes
ils obtiennent près de 10% d’audience (9,6%). 55% des programmes diffusés sur RTP1, RTP2, SIC et TVI sont
des productions nationales (70% d’audience), 23% des programmes diffusés sont des programmes nordaméricains (11% d’audience). http://www.agencialusa.com.br/index.php?iden=3289