droit privé matériel et règles de conflit de lois - RBDI

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droit privé matériel et règles de conflit de lois - RBDI
REVUE BELGE DE DROIT INTERNATIONAL
1991/1 — Éditions BRUYLANT, Bruxelles
DROIT PRIVÉ MATÉRIEL
ET RÈGLES DE CONFLIT DE LOIS
PAB
François RIGAUX
Proeesseuk émértte
de l’Univeesiïé Catholique de
Louvain
Introduction
1. Comme l’indique son nom et conformément à sa nature d’organisation
internationale, l’objectif de la Conférence de La Haye de droit international
privé est l’unification par la voie de traités du droit applicable aux situa­
tions qui se rattachent à plus d’un État. Née à l’époque où la doctrine universaliste était prédominante, l’unification du droit international privé par
la conclusion de traités internationaux apparaissait l’unique moyen de
concilier la diversité des souverainetés étatiques et l’élaboration de règles
communes à celles-ci. Le programme de la Conférence avait été tracé par
François Laurent quelque quinze ans avant qu’elle ne fût instituée.
Largement partagée à l’époque de Laurent, la conviction que le droit
international privé est une branche du droit international (1) ne se laisse
concilier avec la maîtrise étatique de la compétence juridictionnelle et la
division territoriale du pouvoir de contrainte que si les Etats unifient leurs
règles de conflit de lois. Plus intrépide que ses collègues anglais ou améri­
cains, Laurent est convaincu qu’il existe une science du droit international
privé, c’est-à-dire que les solutions adéquates se laisseront dégager d’une
analyse rationnelle des rapports juridiques (2). Le même espoir avait inspiré
la fondation en 1874 de l’institut de droit international, organisation scien­
tifique élaborant des projets de codification des deux branches du droit
international
2. La plupart des premières conventions de droit international privé
conclues à La Haye sont dans la ligne des orientations qui viennent d’être
tracées. Elles contiennent des règles de conflit de lois communes, abandon­
nant aux Etats deux chefs de compétence : le choix des règles de droit privé
(1) Voy. notamment : François L a u r e n t , Droit civil international (1880-1881), t. I er, n° 1,
n° 3 ; Robert P h h j j m o r e , Commentaries upon international law, private international law or
Comity (1861), p. 1 ; James L o r i m e r , The Institvies of the Law of Nations, t. I er (1883), p. 4 ;
Francis W h a r t o n , Commentaries on Law (1884), § 252, p. 363.
(2) L a u r e n t (note 1), t. I er, n° 37.
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matériel faisant l’objet d’un conflit de lois et la maîtrise du conflit de juri­
dictions. De nombreuses conventions conclues après la seconde guerre mon­
diale ont suivi une orientation nouvelle : elles contiennent des règles de
droit privé matériel, ont pour objet le règlement des conflits de juridictions
et parfois même subordonnent à la répartition des compétences juridiction­
nelles le choix de la loi applicable. On ne saurait non plus négliger la forme
de concurrence qui s’est instaurée entre l’unification du droit privé matériel
et celle du droit international privé.
3. Avant d’analyser selon cette perspective les conventions adoptées à
La Haye depuis 1954, il convient de faire quelques réflexions sur les
méthodes de l’«unification ... des règles de droit international privé» (Sta­
tut de la Conférence, entré en vigueur le 15 juillet 1955, art. 1er). Cela inclut
aussi bien les conflits d ’autorités et de juridictions que les conflits de lois.
La fonction alternative ou complémentaire assignée à l’unification du droit
privé matériel est plus complexe. Dès le X V IIIe siècle, la doctrine de langue
anglaise a été, mieux que d’autres, attentive à l’existence de règles de
conduite acceptées par des groupes de commerçants et dénommées Law
Merchant ou lex mercatoria (3). A l’origine administrée par des organes cor­
poratifs indépendants de l’État, la Law Merchant a aussi été appliquée par
les juridictions royales (4). Les ordonnances françaises du X V IIe siècle et
les Codes de commerce qui se sont répandus sur le modèle du Code français
de 1807 ont recueilli des institutions d’abord nées de la pratique des com­
merçants.
4. La conclusion de conventions d’unification du droit privé matériel a
obéi à deux modèles, tantôt l’éviction des règles propres à chaque État par
les dispositions communes contenues dans le traité international ou dans
une loi-modèle (5), tantôt et le plus souvent, l’adoption de règles appli­
cables aux relations se rattachant à plus d’un Etat. L ’objectif de cette der­
nière méthode, qui connaît elle-même deux modalités (6), coïncide avec
celui qui vise l’unification des règles de conflit de lois, à savoir l’élimination
de tels conflits. Il se conçoit très bien que les deux méthodes soient conju­
guées ainsi qu’il apparaîtra de l’analyse de plusieurs conventions de La
Haye. Toutefois, l’unification du droit privé matériel applicable à certaines
situations transfrontières offre un caractère qui lui est propre : au lieu de
(3) Sur la Law Merchant, voy. notamment : William H o r d s w o r t h , A History of Engiish Law
(London, Methuen and Co., 2d ed. revised, 1924), t. I er, pp. 526-573 ; t. V, pp. 3-154 ; t. VIII,
pp. 99-300 ; William B la ckston e, Commentaries on the law of England (lst ed. 1765-1769 ; 14th
ed. with the last corrections of the author, London, Strahan, 1803), t. I er, chap. 7, V, p. 273 ;
L o r i m e r (note 1), t. I er, pp. 379-383.
(4) Voy. notamment : Lulce v. Lyde, 2 Burrows 882 (1759), K.B., 97 E.R. 614.
(5) Voy. par exemple la Convention de Genève du 7 juin 1930 portant loi uniforme sur les
lettres de change et les billets à ordre et la Convention de Genève du 19 mars 1931 portant loi
uniforme sur les chèques, les deux conventions étant accompagnées d’une convention sur les
conflits de lois.
(6) Voy. F. R t g a u x , Droit international privé, t. I er (2° éd., 1987), n os 260-261.
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déclarer applicables les dispositions de droit interne régissant les situations
qui ne sont affectées d’aucun élément d’extranéité, elle prend en considéra­
tion un élément typique de la situation, à savoir qu’elle se rattache à plus
d’un Etat. D ’éminents auteurs ont parlé à ce sujet du déclin de la méthode
conflictualiste (7). À la vérité, pour qui n ’a pas oublié la tradition pluriséculaire de la Law Merchant, il s’agit d ’une veine qui n’a jamais cessé de recou­
per la méthode qualifiée de conflictualiste. Ce n’est dès lors pas une coïnci­
dence que les conventions du X I X e et du X X e siècle se soient emparées de
champs largement défrichés par le droit spontané des opérateurs économi­
ques, notamment les instruments de crédit et le commerce maritime. Le
droit des transports illustre de manière particulièrement significative le
caractère inadéquat de la règle de conflit de lois : celle-ci découpe une situa­
tion mobile en segments rattachés à des législations nationales distinctes
appréhendant la personne ou la chose transportée et soumettant les rela­
tions contractuelles des parties à autant de lois que cette personne ou cette
chose a successivement traversé de territoires. Seule l’unification du droit
privé matériel est de nature à procurer un règlement de la situation qui éli­
mine toute incidence de la frontière.
5.
Une première division des matières couvertes par les conventions de
La Haye est relativement aisée, les unes ont réglé des conflits d’autorités
et de juridictions, les autres contiennent pour l’essentiel des règles de conflit
de lois. Le seul intitulé de la plupart des conventions permet déjà de tracer
cette démarcation. Les deux variétés de traités contiennent en outre des
dispositions relatives à la condition des étrangers et prévoient des exemp­
tions de nature administrative ou fiscale. Un phénomène plus intéressant
est le recours à des règles de conflit de lois dans la première espèce de
conventions et, inversement, l’insertion de règles de conflit d’autorités et de
juridictions dans certaines conventions sur la loi applicable.
Quant à l’utilisation de règles de droit privé matériel, elle apparaît selon
diverses modalités en d’assez nombreuses conventions. Encore faut-il
entendre la notion dans un sens restrictif, exprimé par l’épithète « privé ».
Il s’agit de normes contenant un dispositif relatif à une situation de droit
privé matériel et qui se distinguent par là des règles de rattachement. La
notion n ’inclut pas les nombreuses dispositions matérielles qui règlent les
conflits d’autorités et de juridictions et la condition des étrangers.
On trouve enfin dans les conventions de La Haye des dispositions plus
difficiles à classer, parce que des solutions de droit privé matériel sont insé­
rées dans une règle de conflit d’autorités ou de juridictions ou une règle de
conflit de lois.
(7)
H. B a t i f f o l , « L ’avenir du Droit international privé », rapport spécial, Institut de Droit
international, Livre du Centenaire 1837-1973, pp. 162-182, pp. 170-172.
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6. L ’objectif principal des conventions réglant la compétence des auto­
rités et des tribunaux ou la reconnaissance des actes et décisions étrangers
est atteint par des règles de droit judiciaire matériel. De telles règles fixent
le critère de compétence internationale de l’autorité ou de la juridiction des
États contractants et elles arrêtent les conditions auxquelles doit satisfaire
l’acte administratif accompli par l’autorité d’un autre État contractant ou
la décision judiciaire prononcée par une juridiction d’un tel État pour que
l’État requis soit tenu d’y reconnaître leurs effets propres. La nature même
de telles conventions s’oppose à ce qu’elles règlent la compétence d’États
tiers ou la reconnaissance par les États contractants des actes accomplis et
des décisions prononcées dans des États n’ayant pas adhéré à la conven­
tion.
La plupart des règles attribuant compétence à une autorité ou à une juri­
diction d’un État contractant impliquent une règle de conflit de lois, à
savoir que la forme de l’acte et la procédure judiciaire obéissent à la lex
fori. La solution est tellement traditionnelle qu’elle n’est rappelée que pour
introduire les modalités qu’elle peut comporter : tels l’article 14 de la
Convention du 1er mars 1954 relative à la procédure civile ou l’article 9 de
la Convention du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en
matière civile ou commerciale.
Il est moins habituel qu’à l’application par l’autorité ou le juge des dispo­
sitions de forme ou de procédure de la lex fori s’ajoute une règle prévoyant
l’application de la même loi aux conditions de fond : tel l’article 4, ali­
néa 1er, de la Convention du 15 novembre 1965 concernant la compétence
des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière
d’adoption, selon lequel les autorités « appliquent, sous réserve de l’ar­
ticle 5, alinéa premier, leur loi interne aux conditions de l’adoption ». A la
réserve mentionnée s’ajoute l’exception contenue dans l’article 4, alinéa 2.
La solution consiste alors à aligner le conflit de lois sur le conflit d’autorités
ou de juridictions.
7. Parmi les conditions relatives à la reconnaissance et à l’exécution des
décisions prononcées dans un État contractant ne figure pas le contrôle de
la solution de conflit de lois retenue par le tribunal. Il est dès lors permis
de penser que l’État requis ne peut refuser de reconnaître la décision « pour
la seule raison que le tribunal de l’État d’origine a appliqué une loi autre
que celle qui aurait été applicable d’après les règles de droit international
privé de l’État requis » (Convention du 1er février 1971 sur la reconnais­
sance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commer­
ciale, art. 7, al. 1er). Alors que la solution est implicite dans les conventions
qui ne règlent pas la question, elle est rappelée dans la disposition précitée
pour introduire l’exception qui y est apportée dans l’article 7, alinéa 2.
L ’article 6, alinéa 2, b), de la Convention du 1er février 1970 sur la recon­
naissance des divorces et des séparations de corps interdit aussi qu’une telle
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reconnaissance soit refusée pour le motif « qu’il a été fait application d’une
loi autre que celle qui aurait été appliquée d ’après les règles de droit inter­
national privé » de l’État requis.
8 . Un problème commun à la plupart des conventions a pour objet la
définition des concepts utilisés soit pour désigner l’hypothèse de la règle de
droit international privé soit pour déterminer le critère de compétence
internationale ou le facteur de rattachement.
Quant à l’hypothèse, elle est généralement décrite de manière circonstan­
ciée et délimitée par de multiples exceptions. L ’article 2 de la Convention
du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation
routière est un exemple significatif des situations soustraites au domaine
matériel des règles sur la loi applicable. Les articles 2 et 3 de la Convention
du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité du fait des pro­
duits définissent de manière positive le même champ matériel. L ’article 1er
de la Convention du 5 octobre 1961 supprimant l’exigence de légalisation
des actes publics étrangers contient une définition énumérative des actes
publics visés par cet instrument. Les articles 2 à 5 de la Convention du
22 décembre 1986 sur la loi applicable aux contrats de vente internationale
de marchandises combinent les deux méthodes.
Mais il arrive aussi que l’hypothèse soit déterminée par le jeu d’une règle
de conflit de lois, tel l’article 12 de la Convention du 5 octobre 1961 concer­
nant la compétence des autorités et la loi applicable en matière de protec­
tion des mineurs.
9. La détermination du critère de compétence ou du facteur de rattache­
ment obéit à diverses méthodes. Ainsi, l’article 5 de la Convention du
15 juin 1955 pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domi­
cile contient une définition matérielle du domicile au sens de la Convention.
Il arrive aussi que la convention se borne à fixer le moment auquel le fac­
teur pertinent doit être déterminé (Convention du 2 octobre 1973 sur l’ad­
ministration internationale des successions, art. 32) ou étende à cette ques­
tion la solution alternative retenue pour les règles de conflits de lois
(Convention du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme
des dispositions testamentaires, art. 1er, alinéa 1er, b, c et d).
À défaut d’accord des États contractants sur une définition commune du
facteur de rattachement, deux méthodes sont utilisées, soit le recours à une
règle de conflit de lois, tel l’article 1er, alinéa 3, de la Convention précitée
du 5 octobre 1961 (« La question de savoir si le testateur avait un domicile
dans un heu déterminé est régie par la loi de ce même lieu. »), soit l’applica­
tion du droit matériel interne de la lex fori, qui s’impose dans tous les cas
où la convention n’a pas réglé la question. L ’article 9 de la Convention pré­
citée du 5 octobre 1961 permet à l’État de formuler une réserve faisant pré­
valoir cette solution sur l’article 1er, alinéa 3. Dans la Convention du
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1er juin 1970 sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps,
le critère de compétence est en principe la résidence habituelle, dont la
durée est fixée par l’article 2, chiffre 2, a), mais selon l’article 3, «lorsque
la compétence en matière de divorce ou de séparation de corps peut être
fondée dans l’État d’origine sur le domicile, l’expression résidence habi­
tuelle, dans l’article 2 est censée comprendre le domicile au sens où ce terme
est admis dans cet État ».
10. À l’égard des faits que leur nature expose à une plurilocalisation, il
est parfois recouru à une fiction : ainsi, les objets en transit « sont consi­
dérés comme situés dans le pays de l’expédition» (Convention du 15 avril
1958 sur la loi applicable au transfert de la propriété en cas de vente à
caractère international d’objets mobiliers corporels, art. 6) ; l’intermédiaire
ayant communiqué avec un tiers par un moyen de transmission à distance
« est considéré comme ayant alors agi au lieu de son établissement profes­
sionnel ou, à défaut, de sa résidence habituelle » (Convention du 14 mars
1978 sur la loi applicable aux contrats d’intermédiaires et à la représenta­
tion, art. 13). Le même procédé de fiction apparaît dans l’article 10 de la
Convention du 15 novembre 1965 concernant la compétence des autorités,
la loi applicable et la reconnaissance des décisions en matière d’adoption :
«Aux fins de la présente Convention, un adoptant ou un enfant apatride
ou de nationalité inconnue est censé avoir la nationalité de l’État de sa rési­
dence habituelle ».
11. On citera pour mémoire les nombreuses dispositions de droit matériel
en matière administrative et fiscale. Les significations régies par la Conven­
tion du 1er mars 1954 relative à la procédure civile «ne pourront donner
lieu au remboursement de taxes ou frais de quelque nature que ce soit »
(art. 7, alinéa 1er), règle à laquelle l’alinéa 2 du même article apporte une
exception limitée. La même règle apparaît, avec un tempérament, dans l’ar­
ticle 12 de la Convention du 15 novembre 1965 relative à la signification et
la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en
matière civile et commerciale, et dans l’article 14 de la Convention du
18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile et
commerciale.
12. Sont également des règles de droit administratif matériel celles qui
ont pour objet l’emploi des langues dans les actes administratifs et judi­
ciaires. Tels l’article 7 de la Convention du 15 novembre 1965 relative à la
signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires en matière
civile et commerciale, l ’article 4 de la Convention du 18 mars 1970 sur l’ob­
tention des preuves à l’étranger en matière civile et commerciale, l’ar­
ticle 33 de la Convention du 2 octobre 1973 sur l’administration internatio­
nale des successions, l’article 24 de la Convention du 25 octobre 1980 sur les
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aspects civils de l’enlèvement international d’enfants et l’article 7 de la
Convention du 25 octobre 1980 sur l’accès international à la justice.
13. Les ressortissants des Etats contractants sont dispensés de la caution
quand celle-ci est imposée à l’étranger demandeur selon le droit commun
(Convention précitée du 1er mars 1954, art. 17), ils ont droit à l’assistance
judiciaire gratuite (Convention précitée du 1er mars 1954, art. 20 à 24) ainsi
qu’à la délivrance gratuite des actes de l’état civil (Convention précitée du
1er mars 1954, art. 25) et ils ne peuvent être soumis à la contrainte par
corps dans les cas où elle ne pourrait être applicable à un ressortissant du
pays où cette mesure d’exécution est pratiquée (Convention précitée du
1er mars 1954, art. 26).
Les conventions plus récentes contiennent des dispositions analogues,
plus libérales en ce que la dispense de caution (Convention du 1er février
1971 sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en
matière civile et commerciale, art. 17 ; Convention du 2 octobre 1973
concernant la reconnaissance et l’exécution de décisions relatives aux obli­
gations alimentaires, art. 16 ; Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects
civils de l’enlèvement international d’enfants (X X V III) art. 22 ; Conven­
tion du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l’accès international à la justice
(X X IX ), art. 14) et le bénéfice de l’assistance judiciaire (Convention préci­
tée du 1er février 1971, art. 18 ; Convention précitée du 2 octobre 1973,
art. 15 ; Convention précitée du 25 octobre 1980, art. 15 ; Convention préci­
tée du 25 octobre 1980 (X XV III), art. 25 ; Convention précitée du
25 octobre 1980 (X X IX ), art. 1er et suivants) ne sont pas subordonnés à
une condition de nationalité. Selon l’article 19 de la Convention précitée du
25 octobre 1980 (X X IX ), les ressortissants d’un Etat contractant et les per­
sonnes ayant une résidence habituelle dans un Etat contractant sont assi­
milés aux ressortissants d’un autre Etat contractant dans lequel ils sont
exposés à une mesure de contrainte par corps.
14. La Convention du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l’accès interna­
tional à la justice présente dans l’ensemble des conventions de La Haye une
physionomie particulière. Elle tend à mettre en oeuvre le droit d’accès à la
justice et constitue dès lors une exécution de l’article 6 de la Convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour les
Etats ayant adhéré à cette Convention. Elle contient pour l’essentiel des
règles de droit judiciaire matériel.
15. De nombreuses conventions de Là Haye contiennent des règles de
droit privé matériel, les unes qui déterminent directement les effets de droit
privé attachés à l’hypothèse de la règle, mais en des termes qui en permet­
tent l’application à une situation purement interne, les autres qui complè­
tent les règles de conflit de lois de normes particulières qui appréhendent
une situation caractérisée par certains éléments d’extranéité et déterminent
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directement les effets juridiques de cette situation. On appellera cette
deuxième catégorie de normes, règles de droit international privé matériel.
16. Dans certaines conventions sur la reconnaissance des jugements pro­
noncés dans un Etat contractant, on trouve une disposition justifiant le
refus de reconnaissance, énoncée en termes si précis qu’il est permis de la
tenir pour une règle de droit international privé matériel. Tel l’article 8 de
la Convention du 1er juin 1970 sur la reconnaissance des divorces et des
séparations de corps, qui a donné à l’exception traditionnelle du respect des
droits de défense du défendeur défaillant un développement approprié et
enferme en des limites précises l’étendue de l’exception. L ’article 11 de la
même Convention prohibe que l’État contractant puisse « interdire le rema­
riage à l’un ou à l’autre époux au motif que la loi d’un autre Etat ne recon­
naît pas ce divorce ». La Convention règle directement l’aptitude au rema­
riage d’un conjoint divorcé.
L ’article 6 de la Convention du 1er février 1971 sur la reconnaissance et
l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale et l’ar­
ticle 6 de la Convention du 2 octobre 1973 concernant la reconnaissance et
l’exécution des décisions relatives aux obligations alimentaires déterminent
de manière précise les conditions auxquelles une décision prononcée par
défaut ne doit pas être reconnue.
17. Plusieurs conventions sur les conflits de juridictions contiennent des
règles matérielles de droit judiciaire qui restreignent l’application normale
de la lex fori à la procédure. Tel l’article 16 de la Convention du
15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l’étranger
des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile et commerciale, qui
confère au juge une faculté de relever le défendeur défaillant de la forclu­
sion, à des conditions qui s’ajoutent à celles que connaît, le cas échéant, le
droit judiciaire interne.
Aux termes de l’article 20 de la Convention du 18 mars 1970 sur l’obten­
tion des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale, « les per­
sonnes visées par un acte d’instruction prévu dans ce chapitre peuvent se
faire assister par leur conseil ».
L ’article 20 de la Convention du 25 octobre 1980 tendant à faciliter
l’accès international à la justice confère une immunité pénale au témoin ou
à l’expert, ressortissant d’un Etat contractant ou ayant sa résidence habi­
tuelle dans un État contractant lorsqu’il est cité à comparaître devant les
tribunaux d’un autre État contractant.
Parmi les règles de droit judiciaire uniforme applicables dans les États
contractants, on citera encore l’article 9 de la Convention du 25 novembre
1965 sur les accords d’élection de for, l’article 12 de la Convention du
1er juin 1970 sur la reconnaissance des divorces et des séparations de corps,
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et l’article 20 de la Convention du 1er février 1971 sur la reconnaissance et
l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale.
18. On trouve aussi dans les conventions sur la loi applicable des règles
de droit international privé matériel.
Une première variété de ces règles a pour objet la mise en oeuvre de la
loi d’autonomie dans les conventions qui permettent aux agents juridiques
privés de faire une élection de droit ou une élection de for.
Selon l’article 2, alinéa 2, de la Convention du 15 juin 1955 sur la loi
applicable aux ventes à caractère international d’objets mobiliers corporels,
la désignation de la loi applicable par les parties contractantes « doit faire
l’objet d ’une clause expresse, ou résulter indubitablement des dispositions
du contrat ». H s’agit là d’une règle de droit international privé matériel
commandant la mise en oeuvre de la loi d’autonomie. Qu’il en soit bien
ainsi résulte de l’alinéa 3 du même article, aux termes duquel « [l]es condi­
tions, relatives au consentement des parties quant à la loi déclarée appli­
cable, sont déterminées par cette loi ». La loi choisie attire donc à elle la
détermination d’une des conditions relatives à sa propre élection, l’article 2,
alinéa 3, précisant le champ matériel de la loi déclarée applicable par les
parties elles-mêmes.
La Convention du 22 décembre 1986 sur la loi applicable aux contrats de
vente internationale de marchandises contient également deux dispositions
relatives l’une à la nature de la déclaration de volonté (art. 7, deuxième
phrase), l’autre à l’existence et à la validité au fond du consentement des
parties au choix de la loi applicable, rattachées par l’article 10, alinéa 1er,
à la loi choisie. Alors que la deuxième phrase de l’article 7 est une règle de
droit international privé matériel, l’article 10, alinéa 1er, est une règle de
conflit de lois.
L ’article 12, deuxième phrase, de la Convention du 14 mars 1978 sur la
loi applicable aux régimes matrimoniaux complète la règle de conflit conte­
nue dans la première phrase par une disposition de droit matériel selon
laquelle le contrat de mariage « doit toujours faire l’objet d’un écrit daté et
signé des deux époux ». L ’article 13, deuxième phase, prévoit la même exi­
gence pour « la désignation expresse de la loi applicable », ce qui exclut que
cette désignation puisse résulter d’un choix implicite.
19. L ’article 5 de la Convention du 1er août 1989 sur la loi applicable aux
successions à cause de mort est novatrice en ce qu’elle permet à une per­
sonne de choisir la loi applicable à l’ensemble de sa succession, étendant
ainsi le champ de la loi d’autonomie en dehors des obligations contrac­
tuelles. L ’alinéa 2 prévoit une condition de forme rigoureuse (« une déclara­
tion revêtant la forme d’une disposition à cause de mort»), sans se référer
à la possibilité de faire un choix implicite. La loi ainsi désignée régit l’exis­
tence et la validité au fond du consentement.
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20. L ’article 4 de la Convention du 25 novembre 1965 sur les accords
d’élection de for contient deux exemples notables de dispositions de droit
international privé matériel précisant les conditions auxquelles un tel
accord doit satisfaire. L ’alinéa 1er rencontre une difficulté usuelle en déci­
dant que l’accord « est valablement formé s’il résulte de l’acceptation par
une partie de la proposition écrite de l’autre partie désignant expressément
le tribunal ou les tribunaux élus ». Mais il n’est pas dit si cette acceptation
peut être implicite et déduite du silence de la partie à laquelle elle est oppo­
sée. L ’alinéa 3 est plus notable encore : « L ’accord d’élection de for n’est pas
valable s’il a été obtenu par un abus de puissance économique ou autres
moyens déloyaux ». Il s’agit d’une règle de droit international privé maté­
riel faisant exception à la validité de l’accord d’élection de for, sans qu’elle
exclue néanmoins le jeu d’une règle de conflit de lois complémentaire, dont
le choix est abandonné aux tribunaux des Etats contractants : selon quelle
loi déterminer s’il y a eu abus de puissance économique ou si les moyens
utilisés ont été déloyaux ?
21. D ’après l’article 9 de la Convention du 22 décembre 1986 sur la loi
applicable aux contrats de vente internationale de marchandises, les parties
ne peuvent choisir la loi applicable à la vente aux enchères ou à la vente
réalisée dans un marché de bourse si un tel choix est interdit par la loi de
l’État où sont effectuées les enchères ou celle de l’Etat où se trouve la
bourse. Il est ainsi apporté à la loi d’autonomie qui constitue la règle fonda­
mentale de la Convention selon l’article 7 une modalité consistant à exiger
que la règle de conflit de lois du lieu de la vente en tolère l’application.
22. L ’article 15 de la Convention du 1er juillet 1985 relative à la loi
applicable au trust et à sa reconnaissance introduit une référence explicite
aux règles de conflit de lois du for qui l’emportent sur la loi d ’autonomie,
solution de principe de la Convention selon l’article 6, lorsqu’il ne peut être
dérogé à la loi applicable selon ces règles de conflit dans l’une des six
matières énumérées par le premier alinéa de l’article 15. Cette solution est
plus souple que celle qui aura'it consisté à exclure du domaine matériel de
la Convention les hypothèses considérées. La même souplesse apparaît dans
l’article 15, alinéa 2 : « Lorsque les dispositions du paragraphe précédent
font obstacle à la reconnaissance du trust, le juge s’efforcera de donner effet
aux objectifs du trust par d’autres moyens juridiques ». Plus que d’une
règle obligatoire il s’agit d’une directive adressée au juge.
23. Deux conventions accompagnent d’une modalité de droit matériel la
mise en oeuvre de la règle de conflit de lois conventionnelle. Selon l’article 7
de la Convention du 2 octobre 1973 sur la loi applicable à la responsabilité
du fait des produits, la loi en principe déclarée applicable est écartée « si la
personne dont la responsabilité est invoquée établit qu’elle ne pouvait pas
raisonnablement prévoir que le produit ou ses propres produits du même
D R O IT M A T É R IE L E T R È G L E S D E C O N FLIT
395
type seraient mis dans le commerce dans l’État considéré ». L ’article 2, c)
de la Convention du 22 décembre 1986 sur la loi applicable aux contrats de
vente internationale de marchandises recourt à la même technique avec un
effet inverse : alors que « les ventes de marchandises achetées pour un usage
personnel, familial ou domestique » sont en principe soustraites au domaine
matériel de la Convention, celle-ci s’applique « si le vendeur, lors de la
conclusion du contrat, n’a pas su ou n ’a pas été censé savoir que ces mar­
chandises étaient achetées pour un tel usage ».
24. Deux conventions qui règlent à la fois la compétence des autorités
et la loi applicable contiennent des règles de droit matériel particulières.
Les articles 8 et 9 de la Convention du 5 octobre 1961 concernant la com­
pétence des autorités et la loi applicable en matière de protection des
mineurs dérogent aux règles de compétence conventionnelles pour per­
mettre, le premier aux autorités de l’Etat de la résidence habituelle du
mineur de « prendre des mesures de protection pour autant que le mineur
est menacé d’un dommage sérieux dans sa personne ou ses biens », le second
aux autorités de l’Etat contractant « sur le territoire duquel se trouvent le
mineur ou des biens lui appartenant » de prendre, dans tous les cas d’ur­
gence « les mesures de protection nécessaires ». L ’alinéa 2 de chacun de ces
articles règle les effets de ces mesures vis-à-vis des autres Etats contrac­
tants.
L ’article 6 de la Convention du 15 novembre 1965 concernant la compé­
tence des autorités, la loi applicable et la reconnaissance des décisions en
matière d’adoption empiète très largement sur l’application de la loi interne
de l’autorité saisie d’une demande d’adoption, prévue par l’article 4, ali­
néa 1er. Il contient en effet une série appréciable d’exigences de droit maté­
riel qui évincent l'application normale de la lex fori, la plus notable étant
que l’autorité compétente ne prononce « l’adoption que si elle est conforme
à l’intérêt de l’enfant ». Suivent des conditions relatives au déroulement de
la procédure d’adoption.
La matière de l’adoption internationale fait actuellement l’objet d’un
nouvel examen et sera sans doute soumise à la prochaine session de la
Conférence de La Haye (8).
25. L ’article 11, alinéa 2, de la Convention du 2 octobre 1973 sur la loi
applicable aux obligations alimentaires contient aussi une disposition de
droit matériel empiétant sur la compétence attribuée à la loi applicable :
« Toutefois, même si la loi applicable en dispose autrement, il doit être tenu
compte des besoins du créancier et des ressources du débiteur dans la déter­
mination du montant de la prestation alimentaire. »
(8) Voy. sur ce point la contribution de Michel
V e r w il g h e n
à ce numéro.
396
F R A N Ç O IS R IG A U X
26. La Convention du 2 octobre 1973 sur l’administration internationale
des successions contient quatre règles de droit international privé matériel,
les articles 22, 23, 27, 28 et 29. Ces dispositions déterminent les effets de
droit matériel de certains actes juridiques accomplis sur le vu du « certificat
international désignant la ou les personnes habilitées à administrer la suc­
cession mobilière et indiquant leurs pouvoirs » (art. 1er, al. 1er).
27. L ’article 13 de la Convention du 1er août 1989 sur la loi applicable
aux successions à cause de mort vise le problème des comorientes. Au cas
où les successions respectives de personnes décédées dans des circonstances
qui ne permettent pas de déterminer l’ordre des décès sont soumises à des
lois différentes, alors que ces lois règlent cette situation par des dispositions
incompatibles ou ne contiennent pas de présomption de survie, « aucune de
ces personnes n’aura de droit dans la succession de l’autre ou des autres ».
Cette règle donne une solution de droit international privé matériel à un
conflit de lois spécifique, celui qui résulte de la pluralité des rattachements
prévue par la Convention elle-même.
28. L ’article 16 de la Convention du 1er août 1989 sur la loi applicable
aux successions à cause de mort rattache à l’État sur le territoire duquel
sont situés les biens de la succession, la dévolution à cet Etat ou à l’institu­
tion désignée par la loi du même Etat des biens délaissés par une personne
qui n’a pas institué d’héritier ou à laquelle ne peut prétendre une personne
physique selon les règles de dévolution de la loi déclarée applicable par la
Convention. Ainsi se trouve réglé ce qui a parfois été tenu pour un pro­
blème de qualification : même si selon la loi successorale l’Etat appréhende
les biens en qualité d’héritier, pareille application de cette loi est écartée au
profit de la loi de l’État de la situation des biens. En revanche si le de cujus
a, par testament, légué ses biens à un Etat ou à une institution de droit
public, la disposition de dernière volonté doit être respectée dans les limites
permises par la loi successorale.
29. Plusieurs conventions visent expressément une hypothèse de conflit
de juridictions ou de conflit de lois à laquelle elles ne donnent pas une solu­
tion uniforme. Elles recourent dans ce cas à une « règle de signalisation »
désignant le pays dont les règles internes de droit international privé y sont
applicables. Tels l’article 8 de la Convention du 25 novembre 1965 sur les
accords d’élection de for et l’article 18, chiffre 2, de la Convention du
2 octobre 1973 concernant la reconnaissance et l’exécution de décisions
relatives aux obligations alimentaires.
30. L ’une des évolutions les plus notables des travaux de la Conférence
de La Haye de droit international privé a consisté en la diversification des
techniques juridiques mises en oeuvre et en l’insertion dans les conventions
de droit international privé d’un nombre croissant de règles de droit maté­
riel. Les unes restreignent la compétence en principe dévolue à la loi décla­
D R O IT M A T É R IE L E T R È G L E S D E CO N FLIT
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rée applicable par la convention, le plus souvent la lex fori, les autres
constituent de véritables règles de droit international privé matériel substi­
tuant à la méthode des conflits de lois l’application d’une solution de droit
matériel uniforme applicable aux relations transfrontières visées par la
convention. Certaines règles de conflit de lois sont accompagnées d’un tem­
pérament qui se réfère à un élément de droit matériel dont la détermination
précise sera faite selon les règles de conflit de lois de la lex fori.
Pour la détermination de certains éléments de l’hypothèse de la règle de
conflit de lois conventionnelle, il est exceptionnellement recouru à une règle
de conflit spéciale. Le plus souvent, l ’hypothèse est définie en des termes
circonstanciés dont il faut espérer qu’ils recevront la même interprétation
dans les différents Etats contractants. Quant à la détermination du facteur
de rattachement ou du critère de compétence d ’une autorité ou d’une juri­
diction, elle obéit à des méthodes diverses, tantôt une définition conven­
tionnelle du concept utilisé, tantôt l’indication du droit qui devra y être
appliqué, tantôt une référence expresse à la lex fori. Dans la première hypo­
thèse ou à défaut d’autre solution dans la convention, il appartiendra à l’in­
terprète de s’efforcer de dégager un sens commun aux divers Etats contrac­
tants.