En amphi - Midi Libre

Transcription

En amphi - Midi Libre
Nîmes feria
Midi Libre midilibre.fr
LUNDI 17 SEPTEMBRE 2012
3
W2---
Une matinée de “toromagie”
Seul contre six l Hier matin, José Tomás a coupé onze oreilles, une queue et gracié un toro.
AMBIANCE
En amphi
« Deux euros le paquet de
chiiiiiiiiiiips ! » Bienvenue dans les
amphithéâtres. Là où on s’installe
dès 9 h 30, après avoir pesté
contre des portes qui ne
s’ouvrent pas assez vite.
Où l’on pose le pâté, la saucisse
et le fromage sur les pierres
millénaires. Et où l’on dégaine les
munitions de rouge du sac à dos.
Les vingt et un membres du
Tendido risclois sont à Nîmes
depuis vendredi. François
Darroux, le président de ce club
taurin du Gers, raconte sa soirée
de la veille. Visiblement, le
gaillard ne fait pas l’impasse sur
le confit de canard. « J’étais à
Pablo. J’ai même fait le Paquito !
Quand ils m’ont vu arriver, ils
étaient un peu inquiets... »
Dans les amphis, en attendant le
paseo, on épluche la liste des
people annoncés dans Midi Libre.
« Cantona, ça va. Bernard
Laporte, je le connais. Mais le
philosophe Alain
Fin-kiel-kraut ? » Un autre :
« Ça doit être un remplaçant... »
Dans les amphis, on tente
d’apercevoir des amis. Le
téléphone sonne. À l’autre bout
du fil, la question habituelle. Le
répondant se redresse, il cherche
un point de repère. Trouvé ! « On
est en face de la Tour Magne. »
Il est 11 heures. Les privilégiés
des numérotées commencent à
s’installer. Ils ne savent pas que,
dans les amphis, on a déjà fait
plusieurs olas.
Les derniers spectateurs arrivent,
essoufflés par l’ascension. On
était déjà serrés, on se
pelotonne. Un couple parvient à
se glisser tout en haut, contre la
dernière pierre. Madame jette un
œil sur la piste, loin là-bas.
« On n’est pas en barrera, quand
même... » Monsieur la rassure :
« Ben, si le toro saute, on risque
pas grand-chose. »
Chut. Il est 11 h 30. Un homme
vêtu d’or s’avance. Dans les
amphis, plus rien d’autre n’existe.
MATHIEU LAGOUANÈRE
[email protected]
■ José Tomás hier. Morceaux choisis à la muleta, genoux ployés (en haut) et tenant la cape d’une seule main face au toro finalement gracié.
I
l était 11 h 29 pétantes hier. Les
arènes tremblent lorsque les
13 500 spectateurs applaudissent tout d’un coup, tous ensemble. Que se passe-t-il alors dans la tête de José Tomás, venu affronter
seul six toros ? Sait-il au moins qu’il
s’apprête à réaliser l’irréalisable ?
Pour lui, les aficionados venus de
loin se font entendre dans les gradins. « Barcelone taurine présente. » En échos : « Aguascalientes
aussi », « Et Galapagar ! ».
QUELQUES MOTS DU MAESTRO
● RÉPÉTITION Avant son seul contre six de Nîmes,
José Tomás s’est entraîné dans les arènes de Moralzarzal. Il
a loué la plaza de toros et convié tous les membres
de sa cuadrilla, pour réaliser une sorte de répétition
générale.
Le torero a toréé et tué quatre toros, dans les mêmes
conditions qu’une corrida, en faisant un paseo et en allant
salué la présidence, virtuelle puisque les gradins étaient
vides.
● CODE L’affaire avait été conclue la veille, dans le
“bunker”, pendant le mano a mano Morante-Manzanares.
En arrivant à Nîmes, l’apoderado de Tomás a demandé
à rencontrer le président de la course.
Simon Casas a donc envoyé quelqu’un quérir Daniel-Jean
Valade pour qu’on lui explique qu’il ne fallait pas envoyer
les toros avant que le matador ne soit entré en piste et n’est
fait quelques mouvements de capes. « C’est le code », lui a
répété Simon Casas.
Un peu piqué de se voir imposer une consigne, Valade,
avant de partir, a lâché : « Ne vous inquiétez surtout pas,
tout va bien se passer. » Il ne pensait pas si bien dire.
À LIRE DEMAIN
Le bilan de la feria des Vendanges
et le retour sur une matinée qui
fera date
Pendant ce temps, en callejon,
auprès de son frère, et avant de
prendre ses capes de soie réalisées
pour l’occasion, le torero effectue
quelques mouvements circulaires
de bras. Le premier toro entre en
piste et Tomás n’a toujours pas décroché un mot. Comme s’il voulait
économiser la moindre de ses forces, même sa salive, comme si, déjà,
il n’existait plus que pour cette quête d’absolu.
Six toros, six œuvres. Une corrida
parfaite de A à Z. Magistrale. Et tandis que la clameur collective gonfle
un peu plus à chaque fin de faena,
lui se contente tout juste d’un regard vers le public.
José Tomás Roman Martín de son
vrai nom ne raconte pas d’histoire.
À la fois serein et absorbé par son
défi, il torée, le corps parfois penché comme la tour de Pise, et exactement comme il faut : à la bonne
distance, au bon rythme. Il s’engage
comme s’il voulait offrir son corps
Photos S. BARBIER. et S. DUPLAIX.
au toro. De la tauromachie ? Non,
de la “toromagie” plutôt. Quelque
chose d’assez inédit. Bilan : onze
oreilles, une queue et un toro indulté. Hier, José Tomás a toréé dans
une autre dimension et exercé une
telle fascination générale que même
les plus gros fumeurs en ont oublié
leurs cigarettes.
AGATHE BEAUDOUIN
[email protected]
◗ Le compte rendu de la corrida est à lire
à la fin du premier cahier.