Des Scop à bon port

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Des Scop à bon port
Métiers
Des Scop à bon port
De Dunkerque à Marseille, on compte 22 Scop sur les ports de commerce français.
Lamaneurs, manutentionnaires, dockers, ces métiers ont une forte culture
ouvrière et coopérative. Employant plusieurs centaines de salariés, leurs Scop
ont su se développer grâce à la diversification.
12 Scop de lamaneurs
12 de ces Scop sont des entreprises
de lamanage, situées dans les ports de
La Rochelle, Rouen-Dieppe, Dunkerque,
Le Havre, Marseille, Bordeaux, Bayonne,
Brest, Toulon, Lorient, Caen-Ouistreham
et Bastia. En France, comme en Europe,
90 % des entreprises de lamanage sont
en effet constituées en coopératives.
Pourquoi une telle concentration ? Il y a
dans ce métier une forte culture ouvrière,
issue de l’idéal communiste. Et même si la
politique n’est plus
aujourd’hui autant à
l’ordre du jour, l’esprit
coopératif y reste solidement ancré et a
réussi à s’adapter aux évolutions du métier
et du trafic portuaire. Du reste, dans les
quelques entreprises de lamanage non
AFP
A
vec 5 500 kilomètres de littoral et
564 ports, la France est une puissance maritime de premier plan.
Chaque année, ce sont quelque 340 millions de tonnes de fret qui se traitent dans
les ports français : pétrole, céréales, charbon, minerais, ainsi que des marchandises
diverses qui arrivent de plus en plus dans
des conteneurs. En moyenne, un navire
de commerce arrive dans un port français
toutes les six minutes. Pour assurer ce trafic,
toutes sortes de métiers sont nécessaires.
Les lamaneurs garantissent l’arrivée des
bateaux dans le port et leur départ, ainsi
que leur sécurité pendant les escales. Les
dockers ou les entreprises de logistique et
de manutention se chargent du débarquement et du stockage des marchandises, ce
que l’on appelle l’acconage. Les pilotes
hauturiers dirigent les gros navires en
haute mer. Dans ces métiers, on compte
22 Scop.
Port de Marseille. Les lamaneurs procèdent à l'amarrage d’un cargo.
coopératives règne un esprit de même
nature. Pour Robert Cavalier, président
de la Scop Lamanage de Marseille, « le travail en équipe et la disponibilité qu’il
requiert se prêtent parfaitement au statut
coopératif ». En effet, même si les agents
maritimes établissent des horaires d’arrivée et de départ, « les navires ne sont pas
réglés comme les trains, et nous devons être
opérationnels 24 heures sur 24, 365 jours
par an. C’est une contrainte plus facile à
intégrer quand l’entreprise appartient au
personnel », explique Christian Liguori,
ancien PDG de cette Scop et délégué
général depuis 2002
de l’Association
nationale des lamaneurs, qui regroupe
400 professionnels.
D’autre part, poursuit-il, « le statut Scop
assure la fiabilité du trafic et la continuité
du service, les conflits sociaux dans les Scop
étant quasi inexistants ».
En France, comme en Europe,
90 % des entreprises
de lamanage sont constituées
en coopératives.
22 • septembre 2005
Participer 612
Certaines Scop de lamanage, comme celle
du port du Havre créée en 1937, voient
leur histoire remonter à la scission du
métier de lamaneur et de celui de pilote
de navire. « Le pilotage s’est structuré
autour des syndicats et le lamanage s’est
regroupé autour de l’esprit coopératif.
Mettre en commun moyens de production
et répartir collectivement les bénéfices allait
de soi pour les marins que nous sommes »,
explique Jacques Dumont, directeur de la
coopérative havraise qui compte 80 lamaneurs sociétaires.
Baisse de l’activité
La fibre coopérative des lamaneurs traverse l’Europe, puisqu’à l’instar de l’association nationale créée en 1966, il existe
une instance européenne qui rassemble
les lamaneurs de 13 pays. Réunis fin juin
2005 en Allemagne, les lamaneurs européens ont pu ainsi débattre de l’avenir de
leur métier. En particulier de leur volonté
de faire reconnaître par les pouvoirs
publics la qualification de lamaneur,
développer la dimension sécurité et
dépannage de leur métier, ainsi que la
formation aux enjeux de la lutte contre la
pollution, initiée par les lamaneurs du
port de Marseille. Mais l’enjeu clé est sans
doute l’avenir de la directive européenne
sur la libéralisation des services portuaires, dont les lamaneurs ont rejeté la
deuxième version en novembre 2003.
« Aujourd’hui, précise Robert Cavalier, le
lamanage n’est pas obligatoire, mais il
existe néanmoins une réglementation dans
les ports qui impose à tout bateau de faire
appel à une société de lamanage agréée par
les services portuaires. Avec la libéralisation
proposée par l’Europe, l’amarrage et le
désamarrage pourraient être assurés par le
personnel du bateau. »
Si cette directive était adoptée, il est probable que la baisse de l’activité enregistrée depuis deux ans s’amplifierait. Car les
lamaneurs doivent déjà faire face à l’augmentation de la capacité des navires et
des conteneurs, qui réduit le nombre des
interventions des lamaneurs, et donc leur
chiffre d’affaires. A l’image des marinspêcheurs, les lamaneurs vivent difficilement cette dépendance vis-à-vis de décisions politiques dont ils ont l’impression
qu’elles leur échappent. « Tributaires du
trafic portuaire en baisse depuis quelques
années et des pouvoirs publics nationaux
qui peuvent décider du statut du port, nous
sommes maintenant aux prises avec les décisions de Bruxelles », constate Francis
Proteau, un des dirigeants de la Scop
Lamanage de Charente-Maritime.
Les pilotes de haute mer
Autres activités portuaires où l’esprit
coopératif est présent, l’accompagnement des bateaux de la haute mer vers
les ports, et la manutention, avec ses
dockers.
Le secteur des pilotes ne compte qu’une
seule Scop, Le Pilotage hauturier, basée à
Dunkerque et qui emploie sept salariés.
Son équipe mène à bon port, c’est-à-dire
vers les grands sites portuaires du nord
de l’Europe, les 2 000 gros navires qui
entrent dans la Manche. « Indispensables
guides de haute mer pour tous les porteconteneurs de la compagnie Evergreen, les
pétroliers d’Esso ou les minéraliers coréens,
nous sommes aussi bien mieux armés que le
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Port de Sète un jour de grève. Les dockers protestent
contre le projet de directive européenne qui prévoit de libéraliser les services portuaires.
GPS, notre principal concurrent, pour éviter
les catastrophes maritimes et autres marées
noires… », explique Philippe Martin, son
responsable.
leurs marchandises depuis 1919. Pas de
doute pour son PDG Bruno Hug de
Larauze, « le développement de MTTM doit
beaucoup aux principes d’éthique, de fraternité et de mutualité ». Pour assurer leur
développement, les Scop de
la manutention se sont
diversifiées. Dans les années
Michel Guéguen, Atlantic Dock Stevedoring 80, MTTM comptait 15 salariés.
Aujourd’hui, entre activité
Les Scop de dockers
de manutention portuaire et de prestation de logistique industrielle, MTTM a
Coté manutention, trois Scop occupent
beaucoup investi afin d’augmenter sa
le terrain. La plus récente, Atlantic Dock
capacité de stockage pour l’agroalimenStevedoring (ADS), située à Brest, a été
taire et le ciment, étendre sa plate-forme
créée après le conflit social de 1992. Plus
logistique de Trignac et créer des filiales.
de dix ans après les grèves, Michel
Car si la Scop mère emploie 44 personnes,
Guéguen d’ADS salue la réactivité de
l’ensemble du groupe, composé de
Jean-Pierre Burel, à l’origine de la Scop :
34 sociétés, dont 6 holdings, pèse près de
« Pour de nombreux dockers, c’était la Scop
400 salariés. Premier opérateur portuaire
ou l’ANPE. La modification de la loi de 1947
de manutention dans le domaine du vrac
sur le statut des dockers et la sortie en 1992
sur la façade Atlantique à être certifié
des décrets faisant passer les dockers du staqualité ISO 9001 version 2000, MTTM
tut de vacataire indépendant à celui d’ouvient aussi de se voir décerner par la
vrier mensualisé laissait sur le carreau le gros
direction générale des Chantiers de
de la troupe. » Pour Jean-Pierre Lamy, PDG
l’Atlantique un des trophées récompende la Socomat, créée à Marseille en 1951,
sant ses quatre meilleurs sous-traitants.
« le statut Scop est un atout dans ce métier
Une diversification qui a également
aux tâches diversifiées. Associer les traconduit la direction de la Socomat à créer
vailleurs à l’entreprise est une réelle motivades sociétés complémentaires. Et même
tion. » Pour un peu, il s’étonnerait presque
de sortir des activités portuaires, en rachedu « si faible nombre en France de Scop
tant, il y a un an, le centre thermal de
de manutention portuaire ». Même credo
Camoins-les-Bains, dans la banlieue Est de
sur le port de Nantes, où MTTM La
Marseille…
Fraternelle, située à Montoire-deMÉLINA GAZSI
Bretagne, décharge des bateaux et stocke
« Àprès le conflit de 1992, pour de nombreux
dockers, c’était la Scop ou l’ANPE. »
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