Cochons de lait.wps

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Cochons de lait.wps
Cochons de lait
- Je veux celui- là, lui dit-elle.
- Vous êtes certaine ? dit l’homme de laboratoire en génie génétique. Il n’est pas
aussi rose que les autres. Il ne devrait pas être là ce porcelet, il présente une
anomalie au niveau de son teint. Regardez le teint des autres cochons, ils sont
beaucoup plus roses.
- Vous me faites un meilleur prix, si je le prends ?
- Oui, probablement... mais je ne le garantis pas.
- Que voulez-vous dire ?
- Il pourrait pâlir.
- Il restera petit quand même ?
- Ah ça oui, c’est certain.
- Bon d’accord. Qu’allez-vous en faire si je ne le prends pas ?
- On va l’éliminer mademoiselle.
- Mais non ! Vous ne pouvez pas faire ça, c’est affreux !
- Ce sont les affaires mademoiselle.
- Je le veux moi, ce porcelet.
- Vous êtes certaine ? répéta t-il.
Maggy lui fit signe que oui.
- Comme vous voulez mademoiselle, acquiesça l’homme.
Il prit un moment, pour observer cette jeune femme à la chevelure rose et
désordonnée, aux yeux verts pétillants. Elle était jolie. Son petit coté marginal lui
allait à merveille. Il était habitué, les clients étaient la plupart du temps des
actrices extravagantes ou des chanteuses populaires colorées.
Les femmes en général craquaient pour ces cochonnets Ils avaient vu juste au
département des ventes. Ces porcelets étaient vraiment mignons, et grâce aux
miracles de la génétique, ils restaient petits et mignons, pendant toute leur
existence. C’était ça la différence... et assurément, cette différence se payait cher.
L’homme déposa le porcelet dans les bras de Maggy, puis lui dit:
mademoiselle, suivez-moi s’il-vous plaît »
« Voilà
Aussitôt qu’elle reçut le porcelet dans ses bras elle se mit à rire. Elle était
ricaneuse et avait un rire très particulier et contagieux. L’homme la regarda et ne
put s’empêcher de rire à son tour. Maggy rit de plus belle... tellement que les
larmes lui montèrent aux yeux. Dans un effort surhumain pour essayer de
s’exprimer, elle dit à l’homme:
« On dirait qu’il a sourit ! Il est si mignon, ne trouvez-vous pas ? ».
- Vous savez, ce n’est pas le premier que je vois.
- Bon d’accord... allons régler l’achat, dit-elle en s’essuyant les yeux.
Pendant qu’ils se dirigèrent vers l’administration, l’homme lui demanda: « Sans
être trop indiscret mademoiselle... vous faites quoi dans la vie ? ».
« Je suis auteure-compositeure-interprète, monsieur », lui dit-elle.
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En arrivant à l’appartement, Maggy s’empressa de montrer son porcelet à son
compagnon.
- Regarde Simon comme il est mignon !
Simon examina un moment le petit cochon et répondit d’un air désintéressé:
- Pas autant que moi, lui dit-il en souriant.
- Monsieur est jaloux, c’est évident.
- Mais pourquoi le serais-je, madame ?
- Monsieur a peur de perdre sa place ?
- Oh... pardonnez-moi, mais je dois absolument partir, sinon je vais être en retard
à mon travail.
- C’est ça... à tout à l’heure dans ce cas !
- À tout à l’heure.
Elle et Simon aimaient bien s’amuser. Ils leurs arrivaient souvent de discuter en
endossant des rôles de personnages, seulement pour rigoler. Ils s’étaient rencontrés
à la pharmacie du quartier, un jour qu’elle n’avait vraiment pas bonne mine, mais
malgré tout, ce drôle de pharmacien avait trouvé le moyen de la faire rire. La
semaine suivante il l’invita à dîner, et depuis ce temps leur relation avait continué...
tout aussi naturellement qu’elle avait commencé.
Après que Simon eut quitté, elle se demanda quel nom elle pourrait bien donner à
son porcelet. Elle se dit que Billy serait bien. Elle avait faim, elle prit donc une
pomme dans le réfrigérateur, et s’installa avec Billy sur le balcon.
C’était le printemps et il faisait vraiment beau, des gens marchaient et se
promenaient à vélo. Évidemment Billy attirait les regards. Plusieurs passants
s’arrêtèrent pour l’observer et même le toucher. Une fille en vélo s’arrêta
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brusquement devant le balcon. C’était Claire, une Française, amie de Maggy qui
travaillait pour une agence de publicité.
- Eh salut Maggy ! On dirait que tu t’es fait un nouveau copain ? lui dit-elle.
- Oui... salut ! Je te présente Billy.
- Il est vraiment mignon.
Maggy souleva le porcelet de ses genoux.
- Dis bonjour à Claire, Billy.
- Ne me dis pas qu’il parle, quand même.
- Mais non... j’ai dit ça pour rire.
- Merde... on sait jamais de nos jours... avec toutes ces manipulations génétiques à
la con.
- J’ai déjà Simon qui parle c’est suffisant non ?
- Tu n’as qu’à lui dire soit beau et tais-toi, dit-elle en s’esclaffant de rire.
Claire était aussi ricaneuse que Maggy, quand ces deux là se mettaient à rire elles
ne s’arrêtaient plus. Devant le fou rire de son amie, Maggy se mit à rire également
et comme d’habitude, les larmes lui montèrent aux yeux. Le porcelet posé sur ses
genoux, sautillait, tellement elle se dandinait et rigolait. C’est à ce moment...
qu’elles entendirent Billy pour la première fois. Elles se turent subitement toutes
les deux:
- Tu as entendu ça, Claire ?
- Oui... je crois.
- On dirait que mon porcelet a ri pendant que nous riions.
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- Mais voyons Maggy, tu déconnes !
- Je sais bien que c’est ridicule, mais j’ai l’impression que c’est lui.
- Un cochon qui rit, c’est impossible.
- Je te dis que c’est lui.
- Crois-tu qu’on pourrait le faire rire à nouveau, alors ?
- Je sais pas Claire... essaie, si tu veux.
- Je pourrais lui raconter une histoire salée, ce serait marrant.
Ils éclatèrent de rire à nouveau.
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Maggy et Claire retrouvèrent Simon dès son retour.
- Non ! Ce n’est pas un canular, demande à Claire, elle était là !
- Tu veux rire ? Cette Française est pire que toi, tu le sais bien.
- Merci... monsieur le pharmacien ! lui dit Claire.
- Ok ok... refaites jouer cet enregistrement, leur dit-il.
Maggy sortit de sa poche le petit appareil dont elle se servait normalement pour
enregistrer sa voix. Sur l’enregistrement, on entendait bien un rire, mais pour
Simon, ce n’était pas une preuve en soi. Il proposa donc aux filles de faire écouter
un extrait d’un spectacle humoristique au cochonnet.
En moins de dix minutes, Billy se mit à rire de bon coeur. Le porcelet était tout
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simplement et incontestablement... un excellent imitateur du rire humain. C’était
vraiment drôle de l’entendre et les filles ne pouvaient pas s’empêcher de rire avec
lui.
- C’est extraordinaire, dit-il, après avoir mit fin à la vidéo.
- Extraordinaire ? Le mot est faible Simon, répliqua Maggy. D’après Claire ce
porcelet rieur est une mine d’or. Il pourrait nous rapporter gros. Elle propose de
lancer Billy en publicité, qu’en penses-tu ?
Claire argumenta immédiatement:
- N’oubliez pas que je veux vingt-cinq pourcent des recettes, si ça marche. Vous
êtes d’accord ?
- Oui ! On est d’accord. Marché conclu, dit Simon.
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Claire proposa à son patron d’utiliser le cochonnet dans des publicités pour une
nouvelle boisson gazeuse, dans laquelle Billy serait le porte parole. Les publicités
exploiteraient le thème de l’amitié entre un porcelet et une fillette. Elles se
termineraient toutes de la même façon... c’est à dire, avec le fou rire de la fillette
suivi de celui de Billy et du slogan: Copains comme cochons.
Son patron accepta et Claire réalisa avec brio trois publicités à la fois touchantes et
drôles. Rapidement le porcelet envahit les médias, et le nom de Billy se retrouva
sur toutes les lèvres. Le fabriquant de la boisson demanda l’autorisation d’utiliser
le rire de Billy à chaque fois que l’on débouche une bouteille. Maggy, Simon et
Claire acceptèrent, et ne se gênèrent pas pour demander un gros montant pour ce
droit et privilège.
La perspicacité de Claire s’était avérée juste. Ce porcelet était une vraie mine d’or
pour ce drôle de pharmacien, cette publiciste et cette auteure-compositeure6
interprète en devenir.
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Maggy se trouvait encore une fois devant le généticien.
- Bonjour, vous me reconnaissez ? Je suis Maggy, celle qui a acheté le porcelet
avec le teint moins rosé, lui dit-elle.
Comment ne pas se souvenir d’une jeune femme avec une chevelure rose,
pensa t- il.
- Oui... l’auteure-compositeure-interprète.
- C’est exact !
- Quelque chose ne va pas avec le porcelet... c’est ça ?
- Non, pas du tout, tout va très bien.
- Alors en quoi puis-je vous être utile ?
- J’ai une demande particulière à vous faire.
- Ah bon... laquelle ?
- Pourriez-vous prélever l’ADN de mon porcelet.
- Euh oui... mais pourquoi ?
- Parce que j’adore ce cochonnet ! Vous savez... j’ai eu des chiens et des chats,
mais jamais j’ai pensé qu’un cochon pouvait être si épatant... et aussi intelligent.
- Absolument mademoiselle... le cochon est l’animal le plus intelligent après le
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dauphin.
- Je ne savais pas.
- Je suis heureux de vous l’apprendre mademoiselle.
- Vous comprenez que je me suis attachée à ce cochonnet.
- Oui... je n’en doute pas.
- Alors... vous pouvez faire le prélèvement ?
- Jusqu’à maintenant personne ne nous a demandé une telle chose, et je dois vous
avouer que le prix en sera très élevé.
- Ça m’est égal monsieur.
- Dans ce cas ma réponse est oui.
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- Simon, voici le dossier contenant le caractère héréditaire de Billy. Je n’y
comprend rien évidemment, mais c’est sans importance.
Simon prit le dossier que lui tendit Maggy et le consulta brièvement.
- Effectivement, c’est du charabia tout ça.
- Du charabia qui nous a coûté cher monsieur.
- Sans aucun doute ! Ce sont des requins ces vendeurs de cochons.
- Oh oui ! dit-elle en ricanant.
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Maggy se déplaça d’un geste félin jusqu’à l’oreille de Simon pour lui murmurer le
montant qu’elle avait dû débourser pour obtenir ce dossier.
- Oh misère... c’est faramineux, dit Simon.
- Le mot juste est exorbitant. Mais... tu en conviendras, c’est un excellent
placement.
- Oui... si jamais il arrive malheur à ce Billy, nous pourrons demander un clone à
ces généticiens.
- Encore mieux qu’une police d’assurances... n’est-ce pas ?
- Vous avez parfaitement raison mademoiselle, lui dit-il, en tentant d‘imiter le
généticien.
- Non, tu es vraiment mauvais. Sa voix est plus grave, commenta Maggy.
- Je sais bien, c’est toi et Billy qui avez du talent dans cette appartement.
- Pour changer de propos... tu sais que j’ai une répétition ce soir avec le groupe ?
- Non. Ce groupe musical qui est toujours sans nom, si je ne m’abuse ?
- Pas pour longtemps... je crois que j’ai une idée qui germe en moi.
- Très bien... et quel est donc cette idée ?
- Je ne peux rien te dire pour l’instant, je dois consulter mes acolytes ce soir.
- D’accord... comme tu veux.
- Prends bien soin de Billy pendant mon absence, Simon.
Elle et Simon avaient beaucoup discuté dernièrement. Avec tout cet argent qui
arrivait grâce à Billy, ils étaient vraiment à l’aise financièrement maintenant. Ils
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décidèrent donc de produire eux mêmes l’album que Maggy désirait réaliser depuis
longtemps, avec son nouveau groupe. Ils n’avaient qu’à trouver un bon réalisateur,
entrer en studio... et le tour était joué.
Durant le mois suivant, Maggy peaufina les textes de ses chansons, et le groupe
entra en studio avec un réalisateur que Claire avait déniché pour elle.
Pendant cette période, elle et Claire ne se virent pas du tout. Claire était débordée
et de plus, leurs plages horaires ne coïncidaient pas. Simon, faisait ses heures à la
pharmacie et s’occupait de la carrière de Billy, en gérant l’argent qui continuait de
gonfler leur coffre grâce au cochon.
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Claire était à l’agence et prenait son dîner sur un coin de sa table de travail.
Pendant qu’elle écoutait la radio distraitement, elle reconnut la voix de son amie
Maggy à la fin d’un interview avec l’animateur. Elle ne saisit pas les derniers mots
de l’animateur, mais elle comprit que celui-ci s’apprêtait à diffuser un premier
extrait de l’album de Maggy. Rapidement elle monta le volume de la radio et cria
avec enthousiaste à ses collègues de travail:
- Merde écoutez, c’est mon amie qui chante à la radio !
À la fin de la chanson, elle prit son portable et appela Simon à la pharmacie.
J’espère qu’il n’est pas sorti dîner à l’extérieur celui-là, se dit-elle tout excitée.
Après quelques minutes elle entendit finalement sa voix.
- Oui hello ?
- Salut Simon... c’est moi Claire. Je viens juste d’entendre Maggy chanter à la
radio, c’est vachement bon, j’ai adoré.
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- Oh désolé... j’ai oublié de t’aviser. Maggy m’avait demandé de t’en informer.
- Fais pas cette tête, le hasard s’en est chargé.
- Heureusement...
- Crois-tu que la carrière de Maggy est lancée ?
- Je crois bien que oui, les réactions sont excellentes depuis ce concert bénéfique
que le groupe a donné. Et cet interview tombe à point.
- Et comment va ce Billy ?
- Aussi bien que moi Claire.
- Putain excuse-moi... j’oublie mes bonnes manières.
Tous les deux restèrent muets pendant quelques secondes.
Ensuite Claire lui demanda:
- Et ce groupe finalement... comment se nomme t-il ?
- Eh bien... tu connais Maggy ?
- Oui...
- Elle aime tellement ce cochonnet.
- Oui je sais bien. C’est quoi ce nom de groupe ?
- The sucking pigs.
- Suking pigz ! Ah bon... qu’est-ce que ça veut dire ?
- Cochons de lait ma chère !
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Claire explosa de son rire unique pendant près d’une minute... et termina enfin, en
grognant involontairement comme un porc.
- Oh pardon, dit-elle gênée, et elle ajouta: « COCHONS DE LAIT, c’est du Maggy
à cent pourcent ça ! ».
- Absolument Claire !
© Sylvain Dumouchel 8 mars 2009
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