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de séquence
analyse
Gremlins
Joe Dante - 1984
Frédéric Cavé
1h24’30 – 1h34’25
Située vers la fin du métrage, la séquence du magasin est
l’une des plus longues du film et elle en conclut les principes
esthétiques - le mouvement concave du récit (glisser
progressivement de la lumière à l’obscurité, de la neige à la
putréfaction) - le principe de parodie et de références, et bien
entendu « la panoplie ». La scène ne cesse de rappeler la genèse
du film (par quoi tout à commencer) : les Gremlins naissent de
deux facteurs indépendants : de la tutelle de Steven Spielberg et
se veulent comme le revers d’E.T., et d’une peluche, Gizmo le
Mogwaï. Ils sont là pour parasiter les images (se souvenir de
l’antenne de télévision, de la salle de cinéma mise à sac…) et
pour se multiplier (sur les écrans). Encore une fois, cette
séquence cristallise tous les éléments vus ou sous-entendus
précédemment dans le film. Cette séquence relève en fait d’un
combinaison complexe de mise en récit. Elle commence lorsque
Stripe (le chef des Gremlins) se faufile dans la vitrine brisée du
magasin pour manger des bonbons. Billy et Kate l’aperçoivent et
entrent à leur tour pour le poursuivre…
1. Le mouvement du récit
1.1. Du conte à l’horreur
La séquence est fortement imprégnée par le glissement
presque invisible du conte de Noël aux contes de la crypte. La
séquence se situe dans le grand magasin, palais de la
consommation (notamment de jouets et d’électroménager).
Billy et Kate marchent d’abord sur des bonbons puis Billy et Kate
1
s’embrassent pour la première fois (photo 1). La séquence amorce
deux clichés du conte de fées : le petit poucet et ses cailloux
blancs (photo 2), le départ du héros vers un voyage dangereux
(photo 3), Billy se défait de son blouson et s’arme d’une batte de
base-ball.
La séquence est montée par étape :
1. Billy se retrouve dans une forêt de téléviseurs. Stripe se
montre à l’écran. (4)
2. Billy se trouve au rayon jouet. Stripe se cache derrière des
peluches. (5)
3. Billy est à deux doigts de se faire décapiter par un disque
métallique. Stripe apparaît puis disparaît furtivement. (6)
4. Billy est bombardé par des balles de base-ball. (7)
5. Billy se fait tirer dessus à l’arbalète puis attaqué à la
tronçonneuse. (8)
6. Fin de l’attaque à la tronçonneuse. (9)
2
Deux points sont à retenir de cette succession de sketches :
par petites touches, Noël est rappelé puis tend à disparaître
complètement (surtout à partir du mannequin d’enfant
décapité) ; la surenchère d’action et d’accessoires est
progressive pour aboutir à la mort de Stripe.
1.2. Montée progressive de la violence
Mais, il n’y a pas que les accessoires qui sont en jeu.
Certes, on passe du jouet à l’arme à feu, mais aussi du plan
rapproché taille au gros plan (10), de la multiplication des plans
en contre-plongée, de la suggestion à la monstration (c’est-àdire d’un déplacement entre ce qui est hors champ qui devient
champ). La violence ne se produit pas uniquement sur les
humains. Stripe dévitalise les objets (le mannequin, les jouets,
les télés…). La violence naît aussi d’un renversement :
d’ordinaire, le héros est toujours aidé par son environnement. Il
trouve toujours un élément qui lui permettra de combattre. Ici,
au contraire, Billy est sans cesse dépassé par les objets. Il ne
trouve jamais appui ou cachette. Il ne peut pas être lucide,
débrouillard. Dans la séquence, il ne fait que subir, comme un
vulgaire appât dans l’arène.
1.3. Trois conduites
On l’a vu, Billy est littéralement immobilisé dans la
séquence par le cadrage et le montage du film. Il erre de lieu en
lieu arrivant souvent avec retard. Kate, Gizmo et plus tard Rand
Peltzer ont une attitude attitrée.
Kate accumule les bourdes. Comme les autres humains,
elle est aveugle, enfermée dans cette petite pièce. Sans le
vouloir, elle apporte des obstacles supplémentaires (musiques,
3
paroles de grande surface, lumière éblouissante) et allume l’eau
de la fontaine. Ce point important est mis en valeur par un
travelling avant en contre-plongée et par une musique
bucolique. Lorsque Kate appuie sur un bouton, elle effectue un
retour en arrière sur la bande son. Le haut parleur diffuse cette
voix accélérée, puis le montage montre la fontaine d’où jaillit
l’eau. Le son rembobiné accentue un effet de retour en arrière
dans le récit, comme si l’histoire recommençait. C’est à partir de
cet instant que Stripe va employer la manière forte qu’avec des
objets lourds ou tranchants (scie circulaire, balle de base-ball,
tronçonneuse, revolver…). Fini, la stratégie !
Gizmo reprend alors deux rôles : celui du stratège et
celui du sauveur. A bord de sa petite voiture difficile à contrôler,
il apporte de la vitesse d’exécution. Tout d’abord, le mogwaï est
un gremlins en puissance (lui aussi fait tomber des balles et des
clubs de golf). Ensuite, Gizmo se rappelle la voix de Clark Gable
et de Barbara Stanwyck au volant du bolide. La voix off a des
connotations souterraines comparables que la bande son
rembobinée au dessus de la fontaine. Dans les deux cas, elle
appelle à une réminiscence d’une image ou d’une action. Ces
deux sons ne sont pas similaires du point de vue du récit mais
ont la même fonction. Le vol plané propulsé par la pelle à neige
est du même ordre : il invite à se souvenir du vol de la vieille
dame au milieu du film.
Gizmo a aussi une fonction humoristique : il se cogne,
crie de joie, fait un vol plané qui finit dans le décor…
Rand Peltzer arrive tard. Son arrivée prolonge son rôle :
toujours en décalage, aveugle sur les événements, toujours là
pour épauler son fils.
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2. Retrouver la lumière
2.1. Enjeux de la lumière
Pour gagner leur combat, Billy, Kate et Gizmo doivent
retrouver la lumière. Or, au lieu de sortir vers la lumière du jour
qui va venir, ils s’enferment dans la pénombre. La séquence sera
de plus en plus sombre avant l’éblouissement 1 (par les lumière
du magasin) et par l’éblouissement 2 (par la lumière du jour).
Dans la première partie de la séquence, Stripe sera
essentiellement
caché
(derrière
les
télés,
derrière
les
peluches…). Il arrive en quelque sorte en différé. Nous verrons
pourtant sa mort lente et affreuse sous son meilleur jour. La
lumière
cache
(l’éblouissement)
mais
aussi
montre
excessivement (la putréfaction).
2.2. Placement de la lumière
La lumière (jaune / orange) est d’abord présente derrière
eux, puis devant eux dans la profondeur de champ (12) puis au
dessus d’eux (par les spots par la lumière du jour) (13). Ainsi, on
découvre un problème de logique. Comme tout protagoniste de
films d’horreur, Billy et Kate font un mauvais choix évident. Ils
acceptent de s’aventurer dans la pénombre surchargée du
magasin. Leurs premiers pas sont filmés comme l’entrée dans
une forêt touffue en travelling latéral. A priori, ce qui peut les
sauver est derrière eux. Au cours de la séquence, Billy remarque
à deux reprises, la lumière devant lui. Point de fuite difficile à
atteindre, la lumière délaissée au début redevient vitale. La
lumière des spots est pour les personnages comme pour le
spectateur éblouissante. Elle renvoie Stripe loin de Billy mais
elle handicape ce dernier et envahit l’écran. La lumière du jour
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sera mieux dosée. Dirigé, son faisceau atteindra un corps précis.
Ainsi, les personnages assisteront à la mort de Stripe.
2.3. Rappel de la lumière
Les couleurs de la séquence sont les mêmes que celles vues
à Chinatown au tout début du film. Joe Dante joue sur un bleu
nuit et un jaune (14). Des éclats de blancs sont présents. Mais,
le vert fluorescent apparaît au moment où Stripe se putréfie. Le
vert fluo est présent dans le film surtout lors de la reproduction
des Gremlins dans la piscine du YMCA et lors de l’ouverture des
cosses. Ici, Joe Dante associe deux zones contradictoires et
pourtant complémentaires : la vie et la mort d’un Gremlins dans
le même plan et l’idée de l’indétermination (naître et mourir
pour un Gremlins passe par des étapes identiques, peu
ragoûtantes). Un Gremlins est, en définitive, toujours poisseux,
dégoulinant, se reproduisant ou mourant dans les mêmes
couleurs. (Si on regarde de plus près les photogrammes, la
dominance des couleurs est inversée) (15 & 16).
3. Accélération et ralentissements
3.1. Cause à effet ou déliaison
Généralement, dans les films d’horreur, il n’est jamais
bon de se séparer. Plus on est seul, plus on meurt. Le film est
bien une tragi-comédie puisque le happy-ending est au rendezvous. Cela suppose tout de même, un montage approprié. La
séquence reprend le principe à l’œuvre dans le film : le montage
6
alterné1. Il s’agit d’exposer à la suite des instants se déroulant
en même temps. Pourtant, aucun personnage n’a de rythme
similaire. Cela a pour effet, un rythme en dents de scie, toujours
décalé. La tension est toujours désamorcée, le suspense coupé
dans son élan. Il atteint son apogée tardivement. Il s’agit de
jouer avec la frustration du spectateur d’une part (de ne pas lui
donner ce qu’il attend) et de prouver une nouvelle fois
l’appartenance du film à la comédie (sketches mis bout à bout,
déliaison…).
Sur de courts instants, le montage prône une relation de
cause à effet : par exemple, lorsque Kate appuie sur le bouton
d’eau, dans le plan suivant la fontaine se met en marche. Cette
impression de déconnections est appuyée par le montage
sonore. On oublie généralement les sons lorsqu’on analyse une
séquence pourtant leur intérêt est grand. Dans la scène du
magasin, trois effets sont à prendre en considération :
Un effet d’emphase ou de dédramatisation : pas de musique
ajoutée dans la première partie sauf sur des instants très courts
(baiser entre Billy et Kate -musique douce du mogwaï,
apparition de Stripe -thème musical des gremlins), musique
inappropriée (fontaine, baie vitrée…)
Un effet de cartoonisation : le bruit des oiseaux quand Stripe se
cogne la tête, le bruit des jouets ; nous n’entendons presque pas
Billy hurler de douleur.
Un effet de renversement : les gremlins parlent plus que les
humains. Stripe interpelle Billy à deux reprises. On entend de
leur bouche « bye-bye », « water », « gun », « bright light »,
« Billy », « Gizmo ». Pour les humains, une fois séparés, la
séquence est muette.
1
A ne pas confondre avec le montage parallèle qui a pour fonction de mettre
en évidence un lien sémantique entre deux séquences. L’exemple célèbre
reste celui où des ouvriers sortent d’un métro et remplacés par des moutons
à l’ouverture des Temps modernes de Charlie Chaplin, 1936.
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3.2. mouvements
D’une manière ou d’une autre, le spectateur a l’impression que
la scène ne prend pas la tournure habituelle du suspense. En
effet, nous l’avons dit, toute la séquence refuse le crescendo.
Dès qu’un mouvement peut être accéléré par les personnages
(une course à travers le magasin, par exemple), il est contré par
une nouvelle scène. Par exemple, au début de la séquence, Billy
s’apprête à poursuivre Stripe. Mais sa course est coupée par la
scène où Kate découvre la table de boutons du magasin. Après
avoir modifier quelques touches, Billy, statique, entend les
hauts-parleurs du magasin. Alors que les Gremlins circulent dans
le magasins (en skate, en tricycle, en voiture) (17, 18, 19) et
donnent progressivement l’impression de vitesse par un
travelling latéral (effet de surplace), par un plan demi-ensemble
où Stripe arrive de l’arrière plan jusqu’à sortir du cadre (effet de
parcours), par la vitesse de la petite voiture, notamment lorsque
la caméra se place au ras du sol (effet de propulsion), les
humains font littéralement du surplace. Kate est enfermée dans
la cabine, Billy ne fait que quelques pas dans chaque lieu, et
Rand Peltzer ne sortira que furtivement de sa voiture, avant de
réapparaître tardivement auprès de son fils. Stripe se contraint
au surplace une fois aveuglé par la lumière.
La séquence du magasin cristallise en définitive
beaucoup d’éléments : le mouvement du récit basé sur des
petits morceaux détachés les uns des autres ; une montée
progressive de la violence ou encore le comportement de
chaque personnage (Billy la victime, Kate peu efficace, Gizmo
joueur et stratège par malchance). La narration alterne entre
eux ralentissant le suspense et inversant les rôles (les gremlins
parlent et agissent). La séquence est la résolution de l’intrigue
8
et elle récapitule de nombreux points vus précédemment :
l’importance de la lumière dans le récit et dans les plans ; le
rappel d’éléments passés (la voix du film) ; et la place de la
parodie.
A l’instar, des monstres et des personnages, Gremlins est
enfin un film de l’alternance, un film qui ne tient jamais en
place.
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