Martine Aubry sur les traces d`Oskar Lafontaine

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Martine Aubry sur les traces d`Oskar Lafontaine
Martine Aubry sur les traces d’Oskar
Lafontaine
L’affrontement Valls-Aubry sur la loi El Khomri est une sorte de redite de
l’opposition que connurent jadis les Allemands Schröder et Lafontaine.
Depuis le fameux congrès de Bad Godesberg du Parti social-démocrate allemand
(SPD) en 1959, où ce parti abjura solennellement la doctrine marxiste
(appropriation collective des moyens de production et d’échanges) pour se
rallier à l’économie sociale de marché, les socialistes français ont pris
l’habitude de prendre, sur leurs camarades d’outre-Rhin un retard de plus
d’une décennie dans l’élaboration d’une doctrine économique et sociale
adaptée à l’évolution du monde.
Il fallut l’urgence de la crise financière provoquée en 1982-1983 par la mise
en œuvre dogmatique du « programme commun » de la gauche, arrivée au pouvoir
avec François Mitterrand, pour que l’esprit de Bad Godesberg souffle sur un
PS aux abois… Cela se fit au prix d’une rupture, actée en 1984, avec un Parti
communiste qui avait amorcé sa lente, mais inexorable agonie.
L’utopie d’une voie française vers le socialisme démocratique (« Entre le
plan et le marché, chers camarades, il y a le socialisme ! » , s’exclamait,
en 1979, Laurent Fabius, sous les applaudissements des délégués du congrès de
Metz) s’est cependant perpétuée en opposition à l’évolution assumée d’une
partie de la social-démocratie européenne (travaillistes britanniques, excommunistes italiens) vers un social-libéralisme offrant une alternative
réaliste au capitalisme financier dérégulé.
Quatorze ans après la gauche allemande…
Aujourd’hui, la gauche française au pouvoir se retrouve, quatorze ans après
son homologue allemand, au pied du mur d’une réforme du marché du travail,
passage nécessaire pour le rétablissement de la compétitivité de l’économie
dans un contexte mondialisé, comme le prouvent les exemples de la GrandeBretagne, de l’Allemagne, et peut-être bientôt de l’Italie de Renzi. Les
controverses suscitées par la loi El Khomri, après celles provoquées par les
lois Macron, sont la réplique tardive du débat suscité au début de ce siècle
en Allemagne par l’élaboration et la mise en œuvre quasi immédiate, par le
gouvernement SPD-Verts de Gerhard Schröder des mesures préconisées par la
commission Hartz – du nom de son président, Peter Hartz, dirigeant syndical
et membre, à ce titre, du directoire de Volkswagen. Ces mesures visaient à
réformer en profondeur le marché du travail, l’assurance chômage et les aides
sociales, pour éliminer les rigidités issues d’une période révolue, celle
d’un plein emploi assuré par la seule croissance du PIB.
Il n’est donc pas inintéressant, pour comprendre les enjeux politiques et
sociaux du débat français, de revisiter la séquence allemande, qui présente
quelques similitudes avec ce qui est en train de nous arriver. En 1998, après
un quart de siècle d’occupation du pouvoir par la coalition des chrétiensdémocrates et des libéraux dirigée par Helmut Kohl, la gauche gagne les
élections au Bundestag et forme un gouvernement SPD-Verts incarné par le
tandem Gerhard Schröder- Joschka Fischer, deux hommes politiques au charisme
indéniable.
Un troisième larron, cependant, s’adjoint à ce duo, Oskar Lafontaine,
président du SPD, idole de la jeunesse « progressiste et pacifiste » depuis
son engagement dans la lutte contre les euromissiles au début des années 80.
Pour amadouer la gauche du SPD, Schröder lui confie le ministère des Finances
et de l’Economie, comme plus tard, en France, François Hollande invitera
Arnaud Montebourg à s’atteler au « redressement productif ». Très vite,
cependant le torchon brûle entre Schröder le pragmatique et Lafontaine
l’idéologue, à propos de la politique à mener pour sortir le pays de la
spirale des déficits, de la stagnation économique et du chômage où l’avait
plongé l’action des derniers gouvernements Kohl, dépensant sans compter pour
intégrer l’ex-RDA dans la nouvelle Allemagne. S’étant assuré le soutien des
écologistes en leur concédant la sortie du nucléaire à brève échéance,
Schröder s’oppose frontalement à Lafontaine, et à une forte minorité au sein
du SPD, qui souhaitent mettre en œuvre une politique économique de la demande
(augmentation des salaires et des prestations sociales) pour surmonter les
difficultés financières de l’Etat. Le modèle de Schröder, c’est Tony Blair,
alors qu’il n’a que mépris pour Lionel Jospin, qui tient alors les manettes à
Paris. Lafontaine claque brutalement la porte en 1999, se retirant dans son
Land de Sarre comme un tribun de la plèbe sur L’Aventin.
Schröder, débarrassé de son surmoi gauchiste
Débarrassé de son surmoi gauchiste, Schröder, reconduit de justesse en 2002,
sourd aux clameurs de la rue et des cénacles de la gauche intellectuelle et
éditoriale, administre au corps social la potion amère concoctée par la
commission Hartz : dégressivité rapide des allocations chômage, fusion des
prestations chômage et des allocations de solidarité, incitation à la
recherche d’emploi et à la mobilité géographique, création de mini-jobs à 400
euros mensuels pour lutter contre le travail au noir et maintenir en
situation d’emploi les salariés peu qualifiés. Ce faisant, il obérait
fortement les chances d’une nouvelle réélection, car tout le monde savait que
les effets de ces mesures sur l’activité et l’emploi ne pourraient se faire
sentir avant la prochaine échéance électorale qui était fixée au printemps
2006. Les remous créés au sein du SPD par cette politique le conduisirent
d’ailleurs à provoquer, en 2005, des élections anticipées, qu’il perdit au
profit d’une coalition de centre-droit dirigée par Angela Merkel.
Cette dernière engrangea alors les bénéfices politiques du rétablissement,
avant la crise monétaire et économique mondiale de 2007-2008, des comptes
publics de l’Allemagne, scandaleusement dans le vert, alors que ceux de ses
voisins et partenaires variaient du rose foncé au rouge vif. La courbe du
chômage s’inversait sans qu’il fût nécessaire de tripatouiller les
statistiques. Pendant ce temps-là, Oskar Lafontaine parachevait sa dérive
gauchiste en ralliant Die Linke, dont les gros bataillons sont fournis par
les anciens communistes de la RDA.
La morale de l’histoire est totalement immorale : Gerhard Schröder se
reconvertit en dirigeant du géant russe des hydrocarbures Gazprom grâce à son
ami Vladimir Poutine, et son complice Joschka Fischer est devenu consultant
de luxe des grandes entreprises allemandes, y compris de celles régulièrement
clouées au pilori par ses anciens amis écolos. Mais elle est politiquement
instructive : le sacrifice personnel de Schröder, qui préféra la défaite
électorale à la gestion politicienne de sa carrière, a permis au SPD de
rester un parti de gouvernement crédible, réintégrant en 2009 un gouvernement
de « grande coalition » avec la CDU d’Angela Merkel. Les opposants d’hier, au
sein du SPD, de la politique de Schröder, comme le vice-chancelier Sigmar
Gabriel et la ministre du Travail Andrea Nahles, rendent aujourd’hui un
hommage appuyé à un homme qu’ils combattirent fermement naguère.
Cette leçon n’est certainement pas passée inaperçue à Matignon, où l’on
semble se soucier plus de l’avenir du pays qu’à la mairie de Lille.
Luc Rosenzweig
est journaliste.
Source :©
Martine Aubry sur les traces d’Oskar Lafontaine | Causeur

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