La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux

Transcription

La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux
La Convention CMR, les transports superposés
et multimodaux
Philippe Delebecque *
I.
–
INTRODUCTION
1. Actualité de la CMR ? – L’une des questions posées par le symposium qui
nous réunit aujourd’hui, est celle de l’actualité de la Convention CMR. La Convention
relative au contrat de transport international de marchandises par route signée à
Genève le 19 mai 1956 répond-elle encore aux préoccupations des professionnels ?
Aux préoccupations des transporteurs, soucieux de rentabilité et souhaitant compter
sur des règles juridiques claires organisant leur responsabilité dans des conditions
susceptibles d’être couvertes par de bonnes polices d’assurance ? Aux préoccupations
des chargeurs, soucieux de prévisibilité, de sécurité ? Aux préoccupations aussi de la
communauté internationale désireuse de paix et de progrès ? Je pense, pour ma part,
que la réponse passe, en partie, par la question de savoir si la Convention permet
d’assurer ce que l’on peut appeler la qualité des services. Ce qui conduit à se
demander comment sont traités le problème du retard – devenu, à mon sens,
beaucoup plus important que celui des pertes et des avaries – et surtout celui de la
globalité ou de l’intégralité de l’opération.
2. Evolutions – On ne cesse aujourd’hui de parler de transport combiné, de
transport mixte, de transport intermodal, de transport superposé, de transport multimodal ou encore de transport amodal. Les techniciens et spécialistes, lorsqu’ils
exposent l’évolution des transports, insistent sur la technologie des transports multimodaux (j’emprunte ici à B. Dreyer son excellent tableau, v. annexe 1). Le ferroutage,
de son côté, est devenu une activité économique ; c’est aussi une revendication dans
la bouche de certains partis politiques. L’Union européenne s’est engagée dans des
études très importantes mais encore passablement confidentielles sur le thème de
l’intermodalité. Les Nations Unies elles-mêmes souhaitent faire du nouvel instrument
*
Professeur à l’Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne) (France); Délégué de la France aux
travaux du Groupe de travail de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international
(CNUDCI) sur le droit des transports.
Communication écrite préparée pour les Actes du Symposium sur “Les 50 ans de la Convention CMR –
Avenir et perspectives du transport international par route”, tenu à Deauville (France), les 18-19 mai 2006.
Abréviations utilisées dans le présent article : BT : Bulletin des transports ; BTL : Bulletin des transports
et de la logistique ; Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation, Chambre civile ; Cass. com. : Cour
de Cassation, chambre commerciale ; D. : Dalloz ; DET : Droit européen des transports ; DMF : Droit
maritime français ; Gaz. Pal. : Gazette du Palais ; Rev. Scapel : Revue de droit commercial, maritime, aérien et
des transports ; RID comp. : Revue internationale de droit comparé ; RTD com. : Revue trimestrielle de droit
commercial ; Unif. L. Rev. / Rev. dr. unif. : Uniform Law Review / Revue de droit uniforme.
Rev. dr. unif. 2006
569
Les 50 ans de la Convention CMR / 50th Anniversary of the CMR Convention
en préparation – le projet de la Commission des Nations Unies pour le droit
commercial international (CNUDCI) sur le transport de marchandises entièrement ou
partiellement par mer – “la” Convention multimodale transmaritime. Tout ceci permet
de dire que la globalité du service est une qualité attendue dans les opérations de
transport. C’est ce qu’il est convenu d’appeler le service de “porte à porte”.
3. Elaborée dans les années 1950, alors que la caisse mobile et le conteneur
n’existaient pas, la CMR serait-elle ainsi en décalage avec son temps ? Aurait-elle un
train, je n’ose dire un “truck” ou deux, de retard ? Il serait injuste de lui lancer la
pierre, car ses auteurs avaient précisément eu l’intuition des évolutions ultérieures. La
Convention traite dans son article 2 des transports combinés route-mer (Ro-Ro) ou railroute, c’est-à-dire des transports superposés dans lesquels le véhicule routier pris en
charge change de mode en empruntant un navire, un train, une péniche ou même un
aéronef. Ce texte est bien au cœur de notre sujet : c’est, à notre connaissance, la
première disposition de portée internationale sur le transport multimodal. Les autres
Conventions ne vont pas aussi loin. Les Règles de La Haye Visby n’en disent rien
(elles ne couvrent que la période allant du chargement à bord du navire jusqu’au
déchargement dudit navire), pas plus du reste que les Règles de Hambourg 1 ou la
CMNI sur les transports fluviaux. La Convention de Varsovie précise (article 18.3) que
la période de transport aérien au cours de laquelle la responsabilité de l’opérateur est
engagée “ne couvre aucun transport terrestre, maritime ou fluvial effectué en dehors
d’un aérodrome” 2, mais ajoute (article 31) que “dans le cas de transports combinés
effectués en partie par air et en partie par tout autre moyen de transport, (ses)
stipulations ne s’appliquent qu’au transport aérien”. La Convention de Montréal a
repris cette disposition, en parlant de transport intermodal (article 38), et en
continuant à dire (article 38.2) que, dans ce genre de transport, “rien … n’empêche les
parties d’insérer dans le titre de transport aérien des conditions relatives à d’autres
modes de transport, à condition que les stipulations de la présente Convention soient
respectées en ce qui concerne le transport par air”. Les règles ferroviaires sont plus
audacieuses, car la Convention de Berne sur les transport ferroviaires internationaux
(RU-CIM, article 48) prévoit la possibilité, sous certaines conditions, d’appliquer la
Convention à l’ensemble d’une opération multimodale et la Convention de Vilnius
(appelée à entrer en vigueur en juillet 2006) admet son application pure et simple
(article 1.3) lorsqu’un transport international fait l’objet d’un contrat unique et inclut,
1
Sous réserve de l’art. 1.6, indiquant qu’un contrat qui implique, outre un transport par mer, un
transport par quelque autre mode n’est considéré comme un contrat de transport par mer … que dans la
mesure où il se rapporte au transport par mer
2
v. Cass. com. 18 janv. 2005, BTL 2005, 84 ; égal. Court of appeal, civil division, 27 mars 2002, DET
(2004), 535 ; comp. Cass. ital. 12 nov. 2004, Unif. L. Rev. / Rev. dr. unif. (2005), 615. Toutefois, lorsqu’un tel
transport est effectué en vue du chargement, de la livraison ou du transbordement, tout dommage est présumé,
sauf preuve contraire, résulter d’un événement survenu pendant le transport aérien : c’est ce que l’on appelle
“le vol camionné”. La Convention de Montréal a précisé (art. 18.4, in fine) que “Si, sans le consentement de
l’expéditeur, le transporteur remplace en totalité ou en partie le transport convenu dans l’entente conclue entre
les parties comme étant le transport par voie aérienne, par un autre mode de transport, ce transport par un
autre mode sera considéré comme faisant partie de la période du transport aérien”.
570
Unif. L. Rev. 2006
Philippe Delebecque – La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux
en complément au transport transfrontalier ferroviaire, un transport par route ou par
voie de navigation intérieure.
4. Définitions – Le contrat de transport multimodal est celui qui suppose au
moins deux modes de transport dans son exécution et qui est organisé par une seule et
même convention. Peu importe, au demeurant, la terminologie. Que l’on parle de
transport mixte, de transport combiné, de transport intermodal ou de transport multimodal, l’important est bien qu’il y ait plusieurs modes de transport en cause et un seul
et même contrat. Les applications sont diversifiées et les binômes nombreux : fer /
route ; mer / route ; mer / fer ; air / route. On peut même concevoir des trinômes (route /
mer / fer …) et rien ne s’oppose à ce que le transport multimodal soit purement national
ou à l’inverse essentiellement international, même si la figure habituelle est celle du
transport multimodal “transmaritime” (pour reprendre l’expression de Pierre BONASSIES),
c’est-à-dire celle dans laquelle la partie transport maritime internationale est encadrée
par un pré-acheminement terrestre et suivie d’un post-acheminement terrestre.
Le transport multimodal s’oppose en tout cas aux transports successifs unimodaux indépendants les uns des autres et pour lesquels diverses théories avaient été
imaginées pour justifier la responsabilité principale du premier transporteur (substitution de mandat, notamment) 3. On en parlera ultérieurement durant ce symposium,
puisqu’un atelier sera consacré aux transporteurs successifs et transporteurs soustraitants au sens de la CMR.
Il se distingue aussi du transport alternatif dans lequel le transporteur a le choix
du mode : terrestre ou aérien et / ou maritime (v. Cass. com. 7 déc. 2004, D. 2005,
2392 et la note).
Il s’agit donc d’un transport qui repose sur plusieurs modes de déplacement tout en
étant “géré” ou “opéré” par un organisateur unique qui en prend la responsabilité d’un
bout à l’autre et qui délivre un titre unique pour couvrir l’opération (cf. P. BONASSIES,
DMF 1999, 659). Il obéit à certaines règles : la première qui veut que le transporteur
émette un titre qui est celui-là même qu’émet le transporteur pour ses propres opérations (connaissement en matière maritime, lettre de transport aérien LTA en matière
aérienne, lettre de voiture en matière routière) 4. La seconde, est que le transporteur
reste responsable comme transporteur pour la part de transport qu’il opère. Il ne peut
s’évader de sa responsabilité en dissimulant l’opération sous un régime complexe 5.
Enfin, le transport multimodal débouche nécessairement, s’agissant du régime juridique
applicable, sur l’alternative suivante : réseau ou système uniforme 6 ?
3
4
V. A.I. ANFRAY, “Pluralité de transporteurs en régime CMR“, Unif. L. Rev. / Rev. dr. unif. (2003), 733.
Etant entendu qu’en matière maritime, le transporteur est tenu de délivrer un connaissement
(Règles de La Haye Visby, art. 3.3), alors qu’en matière terrestre aucune obligation absolue ne pèse sur le
transporteur.
5
P. BONASSIES, “Le transport multimodal transmaritime“, Annales IMTM (1988), spéc. 25, citant
Cass. 27 févr. 1935, Gaz. Pal. (1935), 700.
6
V. Le Transport multimodal, RID comp. (1998), 527 ; I. BON GARCIN, “Le Transport multimodal en
Europe“, Mélanges Mercadal, 405 ; H.M. KINDRED / M.R. BROOKS, Multimodal Rules, Kluwer Law International
(1997).
Rev. dr. unif. 2006
571
Les 50 ans de la Convention CMR / 50th Anniversary of the CMR Convention
5. Il est bien évident que l’idéal eût été de disposer d’un texte unique et
uniforme traitant de tous les modes de transport et réglant le transport multimodal
transmodes. Mais au diable l’utopie, restons sur terre et n’oublions pas que le droit ne
peut s’élaborer en dehors des professions et des caractères des personnes qui les
composent. La sociologie a ses règles : le droit ne saurait les ignorer. N’oublions pas
non plus l’échec de la Convention de Genève de 1980 sur le transport multimodal de
marchandises (ratifiée à ce jour par 11 Etats ; il en faudrait 30 pour une entrée en
vigueur), pourtant raisonnablement ambitieuse 7.
Voyons donc le droit tel qu’il est : l’article 2 de la CMR qui apporte précisément
des éléments de réponse à la question des transports superposés. On se demandera
s’ils sont encore satisfaisants. Voyons ensuite comment les projets actuels pourraient
répondre aux préoccupations sur le caractère global de l’opération et surtout
comment le projet CNUDCI, actuellement en préparation, pourrait s’articuler avec le
texte de la CMR.
II.
–
LA CMR ET LES TRANSPORTS SUPERPOSES
6. L’article 2 de la CMR 8 traite des transports combinés, mais ne soumet à son
empire que certains transports combinés : ceux qui sont exécutés de bout en bout sans
rupture de charge au moyen de véhicules routiers tels qu’ils sont définis par l’article 1er.
Pour que la CMR s’applique, il faut que le véhicule routier contenant la marchandise
soit lui-même transporté sur une partie du trajet par le navire, la péniche ou le wagon de
chemin de fer. La CMR ne s’applique donc pas dans le cas d’un conteneur transféré
dans le port depuis le châssis routier ayant servi à son pré-acheminement terrestre sur
une remorque esclave de l’armement (C. sup. Danemark 28 avr. 1989, DET (1989), 345).
7
Rappelons son article 16 résumant à lui seul toute l’économie du texte : ”L’entrepreneur de
transport multimodal est responsable du préjudice résultant des pertes ou dommages subis par les
marchandises ainsi que du retard à la livraison, si l’événement qui a causé la perte, le dommage ou le retard a
eu lieu pendant que les marchandises étaient sous sa garde […], à moins qu’il ne prouve [avoir] pris toutes les
mesures qui pouvaient raisonnablement être exigées pour éviter l’événement et ses conséquences”. L’échec
s’explique par une claire parenté avec les Règles de Hambourg mal aimées dans une grande partie du monde
maritime, ainsi que par l’existence de règles douanières.
8
Art. 2.1 : “Si le véhicule contenant les marchandises est transporté par mer, chemin de fer, voie
navigable intérieure ou air sur une partie du parcours, sans rupture de charge sauf, éventuellement, pour
l’application des dispositions de l’article 14, la présente Convention s’applique, néanmoins, pour l’ensemble
du transport. Cependant, dans la mesure où il est prouvé qu’une perte, une avarie ou un retard à la livraison de
la marchandise qui est survenu au cours du transport par l’un des modes de transport autre que la route n’a pas
été causé par un acte ou une omission du transporteur routier et qu’il provient d’un fait qui n’a pu se produire
qu’au cours et en raison du transport non routier, la responsabilité du transporteur routier est déterminée non
par la présente Convention, mais de la façon dont la responsabilité du transporteur non routier eût été
déterminée si un contrat de transport avait été conclu entre l’expéditeur et le transporteur non routier pour le
seul transport de la marchandise conformément aux dispositions impératives de la loi concernant le transport
de marchandises par le mode de transport autre que la route. Toutefois, en l’absence de telles dispositions, la
responsabilité du transporteur par route sera déterminée par la présente Convention”. V. notam. R. LOEWE,
Note explicative sur la Convention …, DET (1976), V. II, 427 ; J. PUTZEYS, “L’article 2 de la CMR : une autre
interprétation“, BT (1991), 87.
572
Unif. L. Rev. 2006
Philippe Delebecque – La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux
Mais si l’ensemble du déplacement est effectué sans rupture de charge, le régime CMR
s’applique quelle que soit l’importance du trajet non routier.
7. Données techniques. Le transport superposé (rail / route, fleuve / route, mer/
route), c’est, avant tout, une affaire de techniques et de matériels. Les règles de droit
doivent en tenir compte. Le transport combiné procède de la route. Ceci est vérifié
par les équipements utilisés : caisses mobiles de telle dimension pour le transport de
marchandises sèches ; de telle autre dimension pour le transport de marchandises
liquides, de solides ou de gaz. Or, la CMR ignore ces équipements. Ils ne figurent pas
dans l’énumération des véhicules routiers pouvant être chargés sur un navire ou sur
un wagon. On entend, en effet, par véhicule routier les automobiles, véhicules
articulés, remorques et semi remorques (Convention sur la circulation routière du 19
sept. 1949). Une caisse mobile, simple superstructure amovible de véhicule et non
véhicule, ne donne pas lieu à un transport CMR, lorsqu’elle est chargée seule sur un
wagon ou à bord d’un navire. De même en est-il du conteneur. D’où des difficultés 9.
Dans un trajet (véhicule + marchandises) Metz-Milan, par route jusqu’à Freiburg, puis
par train jusqu’à Bâle (le véhicule étant embarqué avec sa marchandise), puis de
nouveau par route jusqu’à destination, la CMR s’appliquera de bout en bout. En
revanche, si la marchandise est en caisse mobile séparée elle-même du véhicule, le
régime ne sera pas le même, la CMR ne couvrant alors que la partie routière 10. Sauf à
modifier la Convention de 1949, on ne voit pas comment l’on pourrait surmonter cet
obstacle dû au vieillissement des textes et aux évolutions techniques.
8. Données juridiques. Le principe de base de la CMR, contenu dans son
article 2, est “complexe dans son application, mais simple dans sa structure”. On peut
le comprendre de la manière suivante. Lorsque sur une partie du trajet et sans rupture
de charge (ce qui suppose un embarquement du véhicule et de la marchandise), le
véhicule se trouve transporté par mer, fleuve ou fer, la CMR régit le transport de bout
en bout et le transporteur demeure le seul interlocuteur des parties (expéditeur et
même destinataire), lesquelles n’ont aucun lien avec le transporteur maritime, fluvial
ou ferroviaire. Telle est la règle générale. Elle comporte une importante dérogation,
car dès l’instant qu’un dommage se produit au cours de la partie maritime, fluviale ou
ferroviaire du trajet indépendamment de tout acte ou omission du transporteur routier,
ce dernier en répond, dans les termes cependant du droit applicable au mode de
transport en cause. D’où cette distinction :
–
si le dommage ne peut être localisé, la CMR s’applique dans les relations
expéditeur / transporteur 11 ;
9
10
V. M. TILCHE, “Transport fer/terre, statut juridique“, BT (2006), 88.
En cas de recours à une entreprise de ferroutage, il faudra tenir compte des conditions générales
applicables, étant précisé que le contrat de ferroutage est très proche d’un contrat de transport : v. L.
PEYREFITTE, “Les contrats de ferroutage et de lancement sont-ils des contrats de transport ?“, Etudes offertes à
Barthélemy Mercadal, éd. Francis Lefebvre (2002), 493.
11
Encore faut-il qu’il y ait vraiment transport combiné, ce qui n’est pas le cas si le dernier
transporteur a établi un document spécial dissociant les opérations : Cass. 11 déc. 1990, BTL (1991), 83.
Rev. dr. unif. 2006
573
Les 50 ans de la Convention CMR / 50th Anniversary of the CMR Convention
–
si le dommage peut être localisé et s’est produit pendant le trajet non
routier, le transporteur répond des pertes et avaries en application du droit
régissant le mode en cause, dans la mesure où il met en application des
dispositions impératives.
9. Lorsque les dommages sont localisés, le transporteur routier reste donc
responsable des dommages, mais selon un système réseau. Il pourra bénéficier d’un
régime de responsabilité qui n’est pas le sien, mais au prix de certaines conditions.
–
Il lui appartiendra d’établir que le dommage s’est produit alors que le
véhicule routier était transporté sur le navire, la péniche ou encore le
chemin de fer. On ne saurait naturellement se contenter de présomptions.
–
Le transporteur, ensuite, ne saurait être responsable selon une Convention
autre que la CMR, s’il est établi que le dommage est la conséquence d’un
acte ou d’une omission concernant l’exécution du transport routier. Le
transporteur routier reste toujours responsable de ses fautes conformément à
la CMR.
–
Enfin, pour que le système réseau s’applique, encore faut-il que le transport
non routier qui a donné lieu aux dommages soit régi par des textes
impératifs. On veut, ce faisant, éviter que le transporteur routier stipule avec
le transporteur non routier des clauses exonératoires ou limitatives de
responsabilité. Ces dispositions impératives peuvent être contenues soit
dans une loi nationale soit dans une Convention internationale. L’important
est qu’elles soient contraignantes et s’opposent à tout aménagement
contractuel. A défaut, il y a lieu de revenir à la CMR (Cass. com. 5 juill.
1988, Bull. civ. IV, n° 234). Ce sera le cas, ainsi, pour les transports
d’animaux vivants et les transports en pontée, régulièrement autorisées.
10. Si ces trois conditions sont réunies, le régime non routier s’appliquera. Le
transporteur routier bénéficiera donc des exonérations de responsabilité organisées
par les régimes non routiers de responsabilité. Il pourra donc se prévaloir des cas
exceptés du droit maritime et plus généralement du système original de responsabilité
tel que le conçoit le droit maritime. Le transporteur routier pourra aussi, si sa responsabilité est retenue, invoquer les plafonnements correspondant (v. Cass. com. 21 juin
1991, BTL (1991), 541). Rien ne s’oppose, naturellement, à ce que le transporteur
routier exerce un recours contre le transporteur non routier ayant exécuté le transport
(Cass. com. 5 mai 1987, BTL (1987), 389). Ce type de recours peut donner lieu à des
aménagements conventionnels.
11. L’article 2 de la CMR soulève une difficulté particulière lorsque le transport est
un transport mixte rail / route et lorsque s’interpose une entreprise de ferroutage. Celleci s’oblige à acheminer le véhicule routier par la voie ferrée sur une partie du déplacement et s’engage à procéder au chargement sur le wagon, ainsi qu’à conclure un
contrat de transport avec l’opérateur ferroviaire. Comment alors appliquer l’article 2 ?
574
Unif. L. Rev. 2006
Philippe Delebecque – La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux
Peut-on considérer le ferrouteur comme étant le transporteur non routier ? Ce
n’est pas exclu, mais le ferrouteur n’étant soumis à aucune disposition impérative,
l’article 2 n’est pas applicable.
Faut-il alors renvoyer au transporteur ferroviaire ? Il n’est pas sûr cependant que
l’article 2 soit applicable. Ne prévoit-il pas que la responsabilité du transporteur
routier doit être appréciée comme si un contrat avait été conclu entre l’expéditeur et
le transporteur non routier ? Or, en l’occurrence, le ferrouteur fait écran. Il faudrait
donc revenir à la CMR. Sauf recours toujours possible contre le ferrouteur ou contre le
transporteur ferroviaire, s’il est établi que le dommage s’est produit pendant la phase
non routière.
12. L’article 2 de la CMR, on le voit, est donc loin de régler toutes les questions.
Est-il perfectible ? D’aucuns le pensent qui proposent un système plus ambitieux, un
système véritablement multimodal.
III.
– LA CMR ET LES TRANSPORTS MULTIMODAUX
13. L’un des objectifs du projet de Convention de la CNUDCI sur le transport de
marchandises [effectué entièrement ou partiellement] [par mer] est d’instituer un
régime multimodal transmaritime 12. Cette ambition s’inscrit déjà dans la définition du
contrat de transport (article 1.a) :
“Le terme ‘contrat de transport’ désigne un contrat par lequel un transporteur s’engage,
contre paiement d’un fret, à transporter des marchandises d’un lieu à un autre. Le contrat
doit prévoir le transport par mer et peut prévoir le transport par d’autres modes en plus du
transport par mer”.
Le texte s’applique à n’importe quel transport international qui comprend un
trajet maritime, lequel peut être très court, alors que le trajet routier peut lui-même
être beaucoup plus important.
14. Le projet, d’inspiration maritime, contient un article 27 intitulé “Transport
précédant ou suivant un transport par mer”. Il est essentiel pour nos discussions. Cet
article est ainsi conçu :
“1. Lorsqu’une demande ou un différend naît de la perte, du dommage ou du retard
subi par les marchandises intervenant uniquement pendant la durée de la responsabilité
du transporteur mais :
a)
Avant leur chargement sur le navire ;
b)
Après leur déchargement du navire jusqu’au moment de leur livraison au
destinataire ;
et qu’au moment de cette perte, de ce dommage ou de ce retard, des dispositions d’une
convention internationale [ou de la législation nationale] :
i)
s’appliquent, selon leurs termes, à l’ensemble ou à l’une quelconque des
12
Les références au projet de Convention de la CNUDCI sont basées sur la version consolidée
reproduite dans le document A/CN.9/WG.III/WP.56 du 8 septembre 2005 (<voir www.uncitral.org>).
Rev. dr. unif. 2006
575
Les 50 ans de la Convention CMR / 50th Anniversary of the CMR Convention
activités menées par le transporteur en vertu du contrat de transport pendant cette
période, [indépendamment du fait de savoir si l’émission d’un quelconque
document est nécessaire pour rendre cette convention internationale applicable] ; et
ii)
prévoient expressément la responsabilité du transporteur, la limitation de
la responsabilité et le délai pour agir, et
iii) ne peuvent être écartées par contrat privé soit en aucun cas, soit au
détriment du chargeur,
ces dispositions, dans la mesure où elles sont impératives comme indiqué au sous-alinéa
iii) ci-dessus, l’emportent sur les dispositions de la présente Convention.]
[2. Le paragraphe 1 n’a pas d’incidence sur l’application de l’article 64-2.]
[4. L’article 27 s’applique indépendamment de la législation nationale normalement
applicable au contrat de transport.]”
L’article 64-2, qui comprend deux variantes, est ainsi conçu :
Variante A :
[Nonobstant le paragraphe 1, lorsque a) le transporteur n’est pas en mesure d’établir si les
marchandises ont été perdues ou endommagées [ou si le retard de livraison a été causé]
pendant le transport par mer ou pendant le transport qui l’a précédé ou suivi et b) des
dispositions d’une convention internationale [ou de la législation nationale] seraient
applicables conformément à l’article 27 si la perte, le dommage [ou le retard] étaient
survenus pendant le transport qui a précédé ou suivi le transport par mer, la responsabilité
du transporteur pour cette perte, ce dommage [ou ce retard] est limitée conformément aux
dispositions sur la limitation prévues dans une convention internationale [ou la législation
nationale] qui aurait été applicable si le lieu du dommage avait été établi ou
conformément aux dispositions sur la limitation de la présente Convention, la limite de
responsabilité la plus élevée étant retenue.]
Variante B :
[Nonobstant le paragraphe 1, lorsque le transporteur n’est pas en mesure d’établir si les
marchandises ont été perdues ou endommagées [ou si le retard de livraison a été causé]
pendant le transport par mer ou pendant le transport qui l’a précédé ou suivi, la limite de
responsabilité la plus élevée prévue dans les dispositions impératives internationales [et
nationales] régissant les différentes parties du transport s’applique.]
15. L’ensemble du projet CNUDCI n’est pas applicable aux opérations
multimodales. Une fois encore, il s’agit avant tout d’un texte maritime. Son article 27
contient des dispositions qui ne s’appliquent qu’à certains aspects du transport
multimodal : qu’à la perte, l’endommagement ou le retard de livraison.
Est-ce vraiment original ? Ce n’est pas certain (B). Il existe des précédents (A) et
d’autres pistes sont encore ouvertes (C).
A.
Précédents
16. Les praticiens n’ont pas attendu le législateur. Ils ont rapidement pris
conscience de l’importance du transport multimodal et fait ainsi circuler des documents intégrant ce concept. Dans les années 1980, le Groupement des entreprises de
576
Unif. L. Rev. 2006
Philippe Delebecque – La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux
transport françaises auxiliaires du commerce extérieur de la France avait mis au point
avec l’IDIT (Institut du droit international des transports) un modèle de contrat, le
contrat OTM (“Organisateur de transport multimodal) présentant cette particularité de
plafonner la responsabilité de l’organisateur et lui imposant de souscrire une
assurance pour le compte du donneur d’ordre.
En 1992, la Chambre de commerce internationale (CCI), en collaboration avec la
CNUCED, avait élaboré des nouvelles règles purement contractuelles, applicables aux
documents de transport multimodal (v. notam. Caprioli, DMF (1993), 204 ; égal. Le
document de transport multimodal, in “Le transport multimodal transmaritime et
transaérien”, Annales IMTM (1994), 157). Inspirées des Règles de Hambourg, elles ont
été rapidement rejetées par la pratique, compte tenu de la faiblesse des plafonds, des
délais de prescription très courts et du maintien de solutions très traditionnelles
s’agissant des cas exceptés de responsabilité.
La FIATA a également proposé un connaissement négociable pour transports
combinés, dont l’usage est toutefois réservé aux transitaires qui y sont affiliés.
Les Conditions générales d’Eurotunnel ne manquent pas aussi d’intérêt. Les
transporteurs routiers embarquant leurs véhicules sur les navettes ferroviaires n’ont
affaire ni à la SNCF ni aux Chemins de fer britanniques. Leur seul co-contractant sont
du côté français France Manche et du coté anglais The Channel Tunnel et leurs
rapports sont régis non pas par la CIM, mais par des conditions contractuelles.
17. Il ne faudrait pas oublier non plus la jurisprudence. Elle commence à
prendre conscience du phénomène. On notera ainsi cet arrêt de la Cour de cassation
ayant retenu la responsabilité d’un transporteur maritime, alors que les manquants
avaient été constatés à destination après un post-acheminement terrestre (Cass. com. 4
mars 2003, Rev. Scapel (2003), 51). D’autres décisions peuvent être recensées (v. CA
Rouen, RTD com. (2002), 772, à propos d’un transport Anvers-Bamako ; CA Versailles
20 févr. 2003 , BTL (2003), 459, pour un transport du Costa-Rica jusqu’à Rungis ;
comp. CA Rennes, 7 déc. 2004, SA Vetir : “la circonstance que les titres de transport
aient été émis sur des imprimés conçus pour couvrir des opérations de transport
combiné est impropre à établir que le transporteur s’est chargé du soin de transporter
la marchandises jusqu’aux locaux du destinataire (Ile Maurice – Saint Pierre
Monlimart), dès lors que les rubriques des documents relatives aux lieux de réception
et de livraison sont demeurées vierges ; en conséquence la présomption de responsabilité de l’organisateur du transporteur maritime en cas de pertes des marchandises
transportées a pris fin lorsque celles-ci ont été prises en charge par le transporteur
routier”). Lorsqu’un connaissement de transport combiné maritime et terrestre est
émis, la compagnie maritime sera généralement considérée comme ayant agi en
qualité de commissionnaire 13.
13
V. CA Paris, 5ème ch. B, 27 avril 2006, SA Fabrique de Tabac c. Worms, pour un transport de
Onnens (Suisse), passant (en camion) par Bâle, puis (en train) au Havre (France), puis (en bateau) à Varna
(Bulgarie), enfin (par camion) jusqu’à Skopje (Macedonia).
Rev. dr. unif. 2006
577
Les 50 ans de la Convention CMR / 50th Anniversary of the CMR Convention
Aux Etats-Unis, enfin, un arrêt récent (9 novembre 2004) de la Cour suprême (aff.
Kirby, Pty v. Norfolk Southern Ry Co) (RTD com. 2005/1) a clairement décidé
d’appliquer les dispositions de droit maritime pour régler les conséquences d’un
accident survenu lors du segment ferroviaire final de l’opération organisée par un
NVOCC (Non Vessel Operating Common Carrier) et couverte par un titre de transport
maritime global.
B.
Le Projet CNUDCI
18. La communauté internationale, de son côté, s’est engagée, sous l’égide de la
CNUDCI (Commission des Nations Unies pour le droit commercial international) dans
l’élaboration d’une nouvelle Convention sur le transport de marchandises entièrement
ou partiellement par mer. Le projet, comme on l’a dit, est ambitieux, car il se propose
de traiter de toutes les opérations de transport. La Convention se prononce pour un
régime dit “maritime plus”, l’opération couverte comportant nécessairement un
segment maritime, précédé ou suivi, le cas échéant, d’un segment autre que maritime
et constituant un transport multimodal non pas générique, mais “transmaritime”.
19. Le texte se propose également d’organiser “a uniform liability regime”. Plus
précisément, le système de responsabilité reprend dans ses grandes lignes celui des
Règles de La Haye Visby. Le transporteur est donc présumé responsable des pertes ou
des dommages subis par les marchandises, ainsi que du retard à la livraison, dans la
mesure où ces dommages sont établis, mais sauf pour le transporteur à prouver que la
cause de ces dommages ne lui est pas imputable (système de la présomption de faute,
i. e. de l’obligation de moyens renforcée), sauf pour lui aussi à prouver tel ou tel cas
excepté (au nombre desquels ne figure plus la faute nautique ni l’incendie du moins
lorsqu’il ne se déclare pas à bord).
20. La responsabilité pèse non seulement sur le transporteur 14, mais également
(et le cas échéant solidairement) sur les parties exécutantes maritimes : “une partie
exécutante maritime (à savoir une partie qui s’acquitte de l’une quelconque des
obligations du transporteur pendant la période comprise entre l’arrivée de la marchandise au port de chargement d’un navire et leur départ du port de déchargement d’un
navire) assume les obligations et responsabilités imposées et bénéficie des droits et
exonérations conférés au transporteur par la Convention si l’événement qui a causé la
perte, le dommage ou le retard a eu lieu pendant la période où elle a la garde des
marchandises ou à tout autre moment dans la mesure où elle participe à l’exécution
de l’une quelconque des activités prévues par le contrat de transport” (article 20).
Quant aux parties exécutantes non maritimes, le transporteur répond de leurs
actes et omissions accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Du reste, cette
responsabilité pour fait d’autrui profite en réalité à toute partie exécutante.
14
L’art. 40.3 fait peser la responsabilité, si le document est en blanc, sur le propriétaire inscrit, ce qui
se comprend dans une perspective maritime, mais moins en matière routière.
578
Unif. L. Rev. 2006
Philippe Delebecque – La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux
21. “a network exception” : Pour ce qui est de l’aspect proprement multimodal,
on notera que la Convention a voulu réserver l’hypothèse des Conventions internationales impératives (CMR ; CIM-COTIF) : “lorsqu’une demande ou un différend naît
de la perte, du dommage ou du retard subi par les marchandises intervenant uniquement pendant la durée de la responsabilité du transporteur, mais avant leur
chargement sur le navire ou après leur déchargement du navire jusqu’au moment de
la livraison au destinataire, et qu’au moment de cette perte, de ce dommage ou de ce
retard, des dispositions d’une Convention internationale s’appliquent, ces dispositions, dans la mesure où elles sont impératives, l’emportent sur les dispositions de la
Convention” (article 27).
22. L’article 27 du projet CNUDCI a été qualifié de “talon d’Achille” du texte 15. Il
faut dire que certains voudraient réserver non seulement l’application des dispositions
internationales, mais aussi nationales. L’unification serait alors gravement remise en
cause. Ensuite, le texte est mal rédigé, car on saisit mal ce que peut être un dommage
“intervenant” pendant la phase terrestre. Faut-il que le dommage se produise et se révèle
pendant cette période ? Faut-il, au contraire, s’en tenir à la première condition ? Les
difficultés sont loin d’être résolues, si l’on rappelle que le fait générateur de nombreux
dommages n’est pas univoque (c’est le problème du “progressive loss”). En outre,
l’article 27 vise les actions relatives à la perte, au dommage ou au retard. Qu’en est-il
des autres actions ? Elles devraient, malgré une certaine ambiguïté, échapper à la future
Convention et rester soumises à la CMR. Enfin, l’article 12 du projet est difficilement
compatible avec l’idée de “porte à porte” : ne prévoit-il pas que “les parties peuvent
convenir expressément dans le contrat de transport que, pour une ou plusieurs parties
spécifiées du transport des marchandises, le transporteur, faisant office de mandataire,
fera assurer le transport par un ou plusieurs autres transporteurs” ? Si le transporteur
principal devient mandataire quand il sous-traite, l’unité voulue dans le régime
multimodal est sérieusement remise en cause.
23. Le plus remarquable, sinon le plus étonnant, tient en réalité aux dérogations
que la Convention tolère sinon organise.
D’abord dans son article 11 où il est dit que la responsabilité du transporteur joue
entre la réception et la livraison, mais que ces bornes sont susceptibles d’être définies
par contrat. Ensuite, dans son article 14 où il est précisé que certaines obligations, tel le
chargement, l’arrimage, le déchargement pourront, par convention, ne pas être
assumées par le transporteur. Là encore, ce jeu de la liberté contractuelle est difficile à
admettre dans une conception multimodale : le transporteur émettant un document
multimodal pourrait ne pas être responsable de tous les aspects du transport.
Enfin, et surtout, il est prévu que les parties à un contrat de tonnage, défini
comme le contrat qui prévoit le transport d’une quantité spécifiée (sous la forme d’un
minimum, d’un maximum ou d’une fourchette) de marchandises en plusieurs
expéditions pendant une période de temps convenue, pourront aménager des devoirs,
15
Comp., moins sévère, F. BERLINGIERI, “Door to door transport of goods: can uniformity be
achieved?”, Liber Amicorum Roger Roland, éd. Larcier (2003), 39.
Rev. dr. unif. 2006
579
Les 50 ans de la Convention CMR / 50th Anniversary of the CMR Convention
droits et obligations plus ou moins importants que ceux énoncés dans la Convention,
à condition que ce contrat soit “négocié individuellement” ou “indique clairement
lesquelles de ses sections contiennent des dérogations”. Il y a là une innovation par
rapport à ce que l’on connaît habituellement en matière de transport où les règles sont
généralement considérées comme impératives. La solution peut se comprendre si elle
est appelée à s’appliquer dans des cas bien particuliers. Elle est plus difficile à
défendre si elle a vocation à s’étendre, ce qui paraît prévisible et en même temps
quelque peu inquiétant. Des conditions ont été posées qui tiennent au consentement
des parties et à l’accord exprès de la “third party”. Il est également dit, très
naturellement, que la charge de la preuve de la dérogation pèse sur celui qui
l’invoque. Pour autant il n’est pas certain que ces précautions soient suffisantes, car,
dans les faits, les chargeurs et les destinataires n’ont pas toujours le temps ni les
moyens de discuter les conditions générales qu’on leur soumet 16. Toujours est-il que
les parties pourront aussi aménager, sous réserve sans doute de pas porter atteinte aux
dispositions impératives des Conventions internationales applicables (encore que
cette limite ne soit pas clairement exprimée) les phases de pré- et de postacheminement, ce qui ne va pas dans le sens de l’uniformisation souhaitée.
C.
Autres réponses
1°
De l’Union européenne
24. La Commission européenne (DG Tren – Direction générale de l’énergie et
des transports) a récemment lancé une étude sur le transport combiné, en demandant
à un groupe de travail de proposer un avant-projet de texte. Ce “draft” a été mis au
point et commence à circuler en vue d’être commenté. Il s’intitule “Integrated
Services in the Intermodal Chain (ISIC)”. Ses propositions principales peuvent être
résumées de la manière suivante :
–
–
–
–
–
l’intégrateur de transport est défini comme la personne qui conclut un contrat
de transport international impliquant au moins deux modes différents de
transport et qui assume la responsabilité de l’exécution de ce contrat ;
le régime juridique prévu s’applique à tous les transports internationaux de
marchandises, dès l’instant que la prise en charge a lieu dans un Etat membre
ou encore dès l’instant que la livraison est faite dans un Etat membre ;
les parties au contrat peuvent décider de ne pas se soumettre au régime qui
en découle (“opt out”), par un accord qui n’a pas à revêtir une forme
particulière ;
le document émis peut être, selon le souhait de l’expéditeur, négociable ou
non négociable ;
le document de transport, outre les mentions habituelles, doit préciser qu’il
est régi par le texte en cause ;
16
On peut néanmoins imaginer que les chargeurs mettent eux-mêmes au point des conditions
générales dans lesquelles il serait dit qu’ils n’acceptent aucune dérogation à la Convention.
580
Unif. L. Rev. 2006
Philippe Delebecque – La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux
–
–
–
–
–
le régime de responsabilité est strict, en ce sens que la responsabilité du
transporteur est engagée de plein droit en cas de perte, d’avarie ou de retard
entre le moment de la prise en charge et celui de la livraison ;
l’intégrateur peut s’exonérer de sa responsabilité s’il prouve que le dommage
provient de circonstances échappant à sa diligence (“circumstances beyond
its control”) ;
sauf déclaration de valeur ou convention des parties plus favorable aux
intérêts cargaison, en cas de perte et d’avarie, la réparation est limitée à 17
unités de compte par kilo de poids brut manquant ou avarié ; en cas de
retard, la réparation ne peut dépasser deux fois le prix du transport ;
les plafonds de réparation sont écartés en cas de faute personnelle intentionnelle ou de faute personnelle inexcusable ;
la prescription est de neuf mois à compter de la livraison ou du jour où les
marchandises auraient dû être livrées.
25. Ce texte est très intéressant et a le grand mérite de la simplicité et de la clarté.
La Commission européenne ne souhaite nullement l’imposer. Ayant simplement
conscience de l’importance du transport multimodal au moment où l’on parle des
autoroutes de la mer, du ferroutage et d’autres combinaisons de transport, elle entend
soumettre à la discussion un projet. Rien ne s’y oppose, malgré la poursuite des travaux
de la CNUDCI. Au contraire, la comparaison entre les deux textes sera de nature à
favoriser la réflexion et pourrait permettre de trouver les solutions les plus appropriées et
peut-être plus acceptables que celles du projet CNUDCI.
2°
Des Etats membres
26. L’Allemagne s’est dotée d’une loi de grande qualité en traitant (article 452) du
contrat de transport avec des moyens de transport différents, l’opération étant définie de
la manière suivante : “lorsqu’un transport est exécuté sous couvert d’un seul contrat de
transport au moyen de différents modes de transport et que au moins deux contrats de
transport auraient été soumis à des droits différents si les parties avaient convenu pour
chaque partie du transport effectué par un mode distinct un transport séparé, le contrat
de transport unique sera soumis aux dispositions contenues dans la première soussection consacrée aux dispositions de droit commun”.
Le transport multimodal reçoit ainsi une définition tout à fait conforme à l’analyse
habituelle : contrat unique de transport au moyen de différents modes de transport. Un
système de réseau est adopté, mais le régime des forclusions est uniformisé.
27. Quant au droit français, il se tourne vers le système de la commission 17 et
des contrats types. Un projet de contrat type commission de transport a, en effet, été
adopté sous l’égide du Conseil National des Transports. Ce projet est ambitieux, car il
17
Contrat par lequel un professionnel indépendant, le commissionnaire, se charge d’organiser, en
son nom mais pour le compte d’un commettant, un transport de bout en bout, en ayant toute liberté quant aux
voies et moyens.
Rev. dr. unif. 2006
581
Les 50 ans de la Convention CMR / 50th Anniversary of the CMR Convention
donne à ce contrat type une dimension internationale. Autrement dit, dès que la
commission présente un élément d’extranéité, les opérateurs concernés seraient tenus
pas les stipulations de ce contrat type. Le contrat type n’est plus réservé aux seules
opérations intérieures et étend son champ d’application aux relations internationales, ce
qui est aujourd’hui, certainement nécessaire. En outre, ce contrat définit les obligations
du commettant et du commissionnaire et s’intéresse particulièrement à l’obligation de
conseil qu’il s’efforce d’encadrer. Enfin, le contrat type prévoit des limitations de
responsabilité aussi bien pour ce qui concerne la responsabilité personnelle du commissionnaire que pour la responsabilité du fait des personnes qu’il s’est substituées 18.
28. Le grand intérêt de cet instrument est d’être supplétif et en même temps
négocié. Il s’impose aux parties à défaut de volonté contraire et rien ne s’oppose à ce
qu’à l’occasion de telle ou telle opération, les parties décident d’aménager telle
stipulation, d’écarter telle solution ou encore d’ajouter telle prévision. Le contrat est
en outre négocié ; il ne l’est certes pas à l’échelon individuel, mais il l’est par avance
par l’intermédiaire des organisations professionnelles des chargeurs et des commissionnaires. C’est notamment grâce à la discussion des uns et des autres qu’un accord a
pu être trouvé sur les limitations de responsabilité. Le contrat type commission n’a pas
été, à ce jour, entériné par les pouvoirs publics, chargés, on le sait, de donner à pareil
instrument son caractère officiel. Quelques difficultés extra-juridiques demeurent. Elle
devraient être prochainement levées, ce qui permettra aux opérateurs français de
proposer l’outil juridique le plus approprié – le contrat de commission – aux
opérations multimodales.
29. Au total, si le projet CNUDCI ne manque pas d’intérêt dans la perspective
d’organiser enfin le droit du transport multimodal, il n’est pas certain que ce texte soit
de nature à en régler toutes les difficultés. Le texte pêche par son absence de
soubassement théorique et n’est donc pas prêt de faire oublier les vertus de la
commission de transport. La doctrine de l’opération multimodale est dans ce
mécanisme : on regrettera une fois plus que la communauté internationale n’ait pas
cherché à le valoriser … à moins que, demain, le contrat type commission n’ait le
succès qu’on lui souhaite.
THE CMR CONVENTION, RO-RO, PIGGYBACK AND MULTIMODAL TRANSPORT
(Abstract)
Philippe DELEBECQUE, Professor, University of Paris-I (Panthéon-Sorbonne) (France); French
delegate to the Transport Law Working Group of the United Nations Commission on
International Trade Law (UNCITRAL)
Intermodal transport (understood – whichever the actual terminology – as a carriage in which a
single operator employs different modes of transport under a single waybill) has been pushed
to the forefront by recent developments in the world of transport. The question arises of
18
Plus généralement, v. Ph. DELEBECQUE, “L’actualité de la commission de transport“, Mélanges B.
Bouloc, à paraître.
582
Unif. L. Rev. 2006
Philippe Delebecque – La Convention CMR, les transports superposés et multimodaux
whether the CMR – whose Article 2 is probably the first-ever provision of international scope
dealing with multimodal transport – is still able to guarantee quality of service at a time when
the European Union and UNCITRAL are both working on integrated legal regimes for door-todoor transport.
This contribution examines, first of all, how Article 2 CMR is applied, both from a
technical point of view (where it turns out that the text has in part been overtaken by events in
that it does not cover certain much-used means of carriage such as swap bodies and containers
– and from a legal standpoint, focusing among others on its complex liability system for road
carriers (which leads, depending on where the damage occurs, either to the application of the
CMR regime also for non-road legs of a carriage or to that of the liability regime applicable by
virtue of binding provisions with regard to the other mode of transport used).
The search for a uniform liability regime continues, both by practitioners and in the case
law. UNCITRAL is currently at work drafting a new – essential maritime – instrument which
will, however, also make provision for multimodal rules to cover loss, damage or delay when
part of the carriage is performed by sea. While the proposed regime undoubtedly aims at
harmonisation, the many exceptions complicate its application. The European Commission for
its part has recently published a study entitled “Integrated Services in the Intermodal Chain
(ISIC)”, coupled with a draft proposing clear and simple solutions. Finally, some European
countries have already implemented solutions to facilitate multimodal transport, for example
Germany, which has passed a special law, and France which is about to adopt a model
forwarding agency contract applicable to multimodal operations, both national and
international.
Rev. dr. unif. 2006
583