L`hôtel Lambert ravagé par un incendie
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L`hôtel Lambert ravagé par un incendie
L'hôtel Lambert ravagé par un incendie LE MONDE | 10.07.2013 à 10h42 • Mis à jour le 10.07.2013 à 10h44 | Par Florence Evin L'hôtel Lambert sur l'île Saint-Louis à Paris, le 1 0 juillet 201 3. | REUTERS/CHARLES PLATIAU Mercredi 10 juillet, à 6 heures, un gigantesque nuage de fumée noire flottait au-dessus du cœur du vieux Paris, à 500 mètres de Notre-Dame. Après dix heures de lutte, l'incendie ne sera maîtrisé qu'aux alentours de sept heures trente. L'hôtel Lambert, joyau du XVII e siècle, est l'hôtel particulier le plus célèbre de la capitale. Chéri des Parisiens qui avaient l'habitude de l'admirer depuis les Bateaux Mouche, grâce à son exceptionnelle position en proue sur l'île Saint-Louis, l'édifice avait été, pendant des heures, la proie des flammes. Le feu s'était déclaré au milieu de la nuit dans la toiture de l'édifice classé monument historique, racheté en juillet 2007, autour de 60 millions d'euros, par Abdallah Ben Abdallah-Al-Thani, frère de l'émir du Qatar et en travaux, depuis trois ans, pour une restauration de très grande ampleur. Cet incendie est une catastrophe pour le patrimoine parisien. Que reste-t-il des boiseries XVII e, et des peintures de la galerie d'Hercule, en abside sur la Seine, signées Le Brun et dont la spécialiste Cinzia Pasquali achevait la restauration après avoir été au chevet de la Sainte-Anne de Léonard de Vinci, et de la Galerie des glaces à Versailles, également œuvre de Le Brun ? "Tout est parti en fumée ou noyé sous les eaux, déclarait Sophie Pons, une voisine, à l'AFP. Avec les travaux qui durent depuis des années, il doit y avoir plein de produits chimiques inflammables." Ce joyau fut bâti de 1639 à 1644 par Louis Le Vau pour Jean-Baptiste Lambert, seigneur de Sucy et de Thorigny, secrétaire de Louis XIII. Le Vau est l'un des plus célèbres architectes du XVII e, qui construira Vaux-leVicomte et agrandira Versailles. "Sans équivalent pour l'ingéniosité de son plan, exceptionnel pour son rapport au paysage, l'hôtel Lambert est un de nos fleurons, classé dès 1862", affirme Claude Mignot, historien spécialiste du grand siècle. Voltaire, amant de Gabrielle Emilie de Breteuil, épouse du marquis du Chatelet qui l'avait racheté en 1739, en parlait comme "d'une maison faite pour un souverain qui serait philosophe". Il logeait, dit-on, dans le cabinet décoré par Le Sueur. L'édifice et son jardin suspendu construit en balcon sur la Seine devient propriété de la famille du prince Czartoryski et un foyer polonais où l'on croisait tout le gotha du romantisme. Georges Sand, Chopin, Delacroix, ou encore le poète Adam Mickiewicz y avaient leurs habitudes. UN TRÈS PETIT NOMBRE DE PROPRIÉTAIRES Lors d'une visite, avant travaux, en janvier 2009, à laquelle nous avions été conviée, nous avions pu constater la beauté de ce décor fané, resté dans son jus, ou presque, en traversant quatre siècles. Un miracle dû au très petit nombre de propriétaires qui l'avaient habité. Guy de Rothschild l'ayant luimême racheté aux Czartoryski dans les années 1970. A l'émotion devant les décors de Le Brun et Le Sueur, s'était ajoutée la sensation de parcourir une maison fantôme qui ne voulait pas perdre son âme. Oui, la charpente exigeait une sérieuse restauration, les huisseries des fenêtres méritaient d'être remises en état, mais on tremblait de voir tout remis à neuf comme il était craint. Ces derniers mois, des pots à feu tout neufs étaient apparus sur le toit, comme des verrues disgracieuses qui n'avaient pas lieu d'être. Comme une reconstitution de ce qui n'avait sans doute jamais existé. De même, on s'inquiétait d'une façade parfaite, comme si toutes les pierres en avaient été changées, ou encore de balustres si bien nettoyées et repeintes qu'elles semblaient tout droit sorties de chez le ferronnier. Le rachat de l'hôtel Lambert, il y a six ans, au baron Guy de Rothschild qui l'occupait depuis trente ans, et les travaux voulus par Abdallah Ben Abdallah-Al-Thani, frère d'Hamad Ben Khalifa-Al-Thani, émir du Qatar, avaient déclenché une très vive polémique. Les grands travaux d'abord envisagés par les Qataris qui voulaient transformer ce fragile bijou en "villa à la James Bond", selon les termes de Jean-François Cabestan, architecte du patrimoine, avec parking souterrain, ascenseur à voitures sous la cour d'honneur et aménagement intérieur digne d'un palace cinq étoiles... furent violemment contestés. DOUZE MOIS DE POLÉMIQUE Après douze mois de polémique, et une pétition de quelque 8 000 signatures du monde de l'art et des amoureux du patrimoine, l'affaire fut portée devant le tribunal administratif par un recours de l'association Paris Historique. Mardi 15 septembre 2009, Brigitte Vidard, juge des référés, suspendait l'exécution du 11 juin 2009, de Christine Albanel, alors ministre de la culture qui autorisait les travaux de restauration, réhabilitation et aménagement, ainsi, que la création de parkings et locaux souterrains sous le jardin – tous les bâtiments de l'île Saint-Louis sont ancrés sur pilotis, comme à Venise. L'avocat du propriétaire qatari, Eric Ginter, prenait alors acte de la décision judiciaire et annonçait le blocage du chantier prévu pour une enveloppe de trente à quarante millions d'euros. Finalement, l'affaire se solda par un compromis. Le protocole signé le 22 janvier 2010, entre le ministère de la culture, la ville de Paris, le propriétaire de l'hôtel Lambert, et l'association Paris Historique, mit fin au contentieux. Le projet initial d'Alain Charles Perrot qui prônait un retour à l'état supposé du XVII e avec une modernisation dernier cri des intérieurs jugé trop brutal, fut amendé. Un Comité scientifique devait suivre le bon déroulé des travaux. L'état de remise à neuf de la façade, comme l'apparition des pots à feu sur le toit, pouvait laisser supposer que la restauration était allée au-delà des recommandations. Un cas à l'époque exemplaire qui montrait les limites d'une intervention sur un édifice classé monument historique. Aujourd'hui, devant les ravages du feu, on ne peut que pleurer. Florence Evin