Fondation de la paroisse Sainte-Thérèse de l`Enfant

Transcription

Fondation de la paroisse Sainte-Thérèse de l`Enfant
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Paroisse Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus
en Châtelleraudais
28 juin 2015 - 13ème Dimanche ordinaire
Deux femmes sont présentes dans ces versets de l’Evangile de saint Marc, deux femmes en
souffrance. Leur première souffrance, c’est bien sûr la maladie pour la première, une maladie qu’elle
traîne depuis bien des années, et pour l’autre c’est la mort qui vient de la frapper.
Les commentateurs de ce texte ont souligné que ce qui atteint le corps de ces femmes n’est pas anodin,
est au contraire plein de significations.
Pour la première, ce sont des pertes de sang, ce qui renvoie à la féminité, à la procréation ; pour la
seconde, c’est au contraire son impossibilité d’accéder à la pleine féminité puisqu’elle meurt sans
doute avant d’être nubile, elle a douze ans précise le texte.
L’une a trop de sang, l’autre n’en a pas encore.
Ce qui est souligné dans ces versets, c’est donc bien le rapport de Jésus avec les femmes, mais aussi le
rapport et la place des femmes dans les religions, et surtout la place des femmes dans la société.
De plus, l’Evangile tourne autour de l’incapacité des femmes à pouvoir prendre la parole.
Pour la première, elle agit comme si la parole lui était interdite, elle ne fait que toucher le vêtement du
Seigneur ; la seconde, la fille de Jaïre, ne parle pas, d’autres parlent pour elle, parlent à sa place.
Alors, les femmes ont-elles droit à la parole ?
La femme qui souffre de pertes de sang pense que non, en quelque sorte elle dérobe un contact avec
Jésus ; sans doute en était-il ainsi dans la société du temps.
A ceci s’ajoute le fait que le sang, dans le judaïsme rend impur. Non pas impur moralement, mais
impur rituellement, c’est-à-dire incapable d’offrir un sacrifice.
Rappelez-vous, c’est la raison pour laquelle le prêtre et le lévite ne peuvent secourir l’homme blessé ;
il faut que ce soit un étranger, un samaritain.
Cette femme doit donc rester en marge, il faut dès lors que Jésus la pousse à prendre la parole : « qui a
touché mon vêtement ? »
Quant à la fille de Jaïre, Jésus lui rend la vie, elle se met à marcher ; on ne dit pas si elle se met à
parler, mais en tout cas, Jésus interdit à ceux qui parlaient en son nom de s’exprimer, il leur interdit de
faire savoir à personne ce qu’il a accompli.
Bien plus tard, à la fin de l’Evangile, c’est aussi à des femmes que Jésus confiera la première annonce
de la résurrection.
L’Evangile vient donc interroger la place que nous accordons aux femmes, tant dans l’Eglise que dans
la société, aux femmes et à leur parole.
Mais, vous mesurez le sens de ma phrase : revient-il aux hommes de dire quelle doit être la place des
femmes ? Seraient-elles incapables de parler, d’agir, sans attendre une quelconque autorisation, et d’un
homme en particulier ?
Le pape, il y a quelques mois, avait aussi mentionné ce genre d’interrogations.
A ceci s’ajoute ce fait que vous avez choisi une femme pour sainte patronne de votre paroisse : Sainte
Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face.
Elle aussi a été une femme, ou plutôt une petite fille en souffrance ; on peut la rapprocher de la fille de
Jaïre.
Pour elle aussi, il a fallu que le Seigneur intervienne pour la libérer de ses angoisses, surtout de celle
de n’être jamais suffisamment prise en considération, jamais suffisamment aimée.
Durant son enfance, Thérèse eut à traverser de grandes épreuves spirituelles.
Orpheline très tôt de mère, voyant ses sœurs, en quelque sorte ses mères de substitution, la quitter pour
le carmel, voulant être tout pour son père chéri, elle dut cependant apprendre à n’être plus au centre, à
se libérer d’elle-même.
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Vous savez sans doute que le grand passage fut pour elle une nuit de Noël ; la petite fille, exigeante et
pourtant insatisfaite, va y devenir adulte, un peu comme la fille de Jaïre va pouvoir marcher et parler
par elle-même.
« La nuit de Noël 1886 fut… décisive pour ma vocation – écrit-elle – mais pour la nommer plus
clairement je dois l’appeler : la nuit de ma conversion.
En cette nuit bénie dont il est écrit qu’elle éclaire les délices de Dieu même, Jésus qui se faisait enfant
par amour pour moi daigna me faire sortir des langes et des imperfections de l’enfance. Il me
transforma de telle sorte que je ne me reconnaissais plus moi-même. Sans ce changement j’aurais dû
rester encore bien des années dans le monde » (Lettre 201).
Je rappelle cet épisode décisif pour elle.
Dans la nuit du 24 au 25 décembre 1886, au retour de la messe de Noël, alors qu’il satisfait encore au
dépôt des cadeaux dans les souliers, Thérèse a le cœur bouleversé d’entendre son père murmurer :
« Enfin, heureusement que c’est la dernière année ! »
Elle monte dans sa chambre en larmes, mais redescend tout sourire, une transformation intérieure a eu
lieu.
Les paroles de Monsieur Martin l’ont conduite à rompre avec son univers infantile.
La petite fille devient une adulte ; elle ne craint plus de n’être jamais assez aimée, elle découvre la
confiance et la paix.
Il y a là un modèle et un appel pour toute éducation, et aussi pour l’éducation de la foi.
Tout adulte doit aider les enfants à peu à peu se passer de lui et à vivre par eux-mêmes.
Ainsi dans une communauté chrétienne, une paroisse, où chacun doit être aidé, conduit, à devenir un
adulte dans la foi.
L’évêque, le prêtre, les divers responsables, ne doivent pas attacher à eux, de manière servile, voire
infantile, même s’il existe des personnes qui sont prêtes à cela, et parfois même le recherchent.
Comptez sur nous mes amis, mais soyez bien entendu adultes dans votre foi, par vos engagements, vos
responsabilités ; à chacun de vous le Seigneur dit, comme à la fille de Jaïre et à Thérèse : « Talitha
koum », « Je te le dis, lève-toi. »
Vous le savez, votre patronne, sainte Thérèse, porte le nom de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face.
Ce nom, la Sainte-Face, la qualifie pour ce qu’elle est ; il est le programme de toute une vie : il s’agit
de nous tourner de plus en plus vers la face du Sauveur.
Nous avons la chance de disposer de photos de sainte Thérèse ; son visage, nous le savons bien, parle
autant que sa vie, autant que ses écrits.
Ce visage parle parce qu’il désigne un autre visage, parce que le visage de Thérèse tourne vers la
source et vers la lumière.
« Mon Dieu, pour aimer comme vous aimez, il me faut emprunter votre amour » disait sainte Thérèse.
Certes, sur cette terre, nous ne verrons jamais la source de la lumière, mais nous voyons les choses qui
s’éclairent par elle ; ces choses, ce sont d’abord des visages, c’est le visage de sainte Thérèse.
La lumière du visage de Thérèse est un reflet de la lumière du Seigneur.
Notre vocation, elle est là, elle est à l’absolue transparence et non à l’opacité, cette opacité où l’on ne
parle plus que de soi-même.
Le visage de Thérèse, les photos qui le montrent, sont devenues de véritables icônes.
Dans ce sens, on pourrait presque dire que le visage de sainte Thérèse est un visage théologique.
Ecoutez ce que disait le deuxième concile de Nicée des icônes, défendant leur légitimité contre les
mouvements iconoclastes :
« Plus on regardera fréquemment ces représentations imagées, plus ceux qui les contempleront seront
amenés à se souvenir des modèles originaux, à se porter vers eux, à leur témoigner une vénération
respectueuse, sans que ce soit une adoration véritable selon notre foi, qui ne convient qu’à Dieu seul.
[…] Car ‘’l’honneur rendu à une image remonte à l’original’’ (Basile de Césarée). Quiconque vénère
une image, vénère en elle la réalité qui y est représentée ».
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Par son visage lumineux, par ses écrits d’espérance, j’aime voir en sainte Thérèse une des prophètes
du XXe siècle ; le Seigneur l’a placée à l’orée de ce siècle de guerres et de calamités pour témoigner
de l’espérance envers et contre tout.
Alors que Nietzsche, Marx et Freud ont été, pour ce siècle, les maîtres du soupçon ; sainte Thérèse,
avec d’autres, je pense avant tout à Charles de Foucault et à Charles Péguy, fut un maître de
l’espérance.
Sainte Thérèse de la Sainte-Face est maîtresse d’espérance par le nom qu’elle porte, par le programme
qu’exprime ce nom.
Alors que les malheurs du XXème siècle ont conduit l’homme à désespérer de lui-même, Thérèse redit
la dignité de chacun, chacun étant aimé gratuitement de Dieu.
L’art du XXe siècle a cru que le visage de l’homme ne pouvait plus dire la vérité et la beauté.
Bien des artistes du siècle passé ont exprimé ses horreurs, soit par l’abstraction, soit par des visages
déformés, torturés.
Or, sainte Thérèse de la Sainte-Face appelle à retrouver le chemin de la beauté de chaque visage et de
chaque vie.
Oui, nous dit-elle, chaque visage humain, même le visage blessé, déformé, sali, continue à porter la
trace de son Créateur, de Celui à l’image duquel il a été modelé.
Sainte Thérèse de la Sainte-Face... et de l’Enfant-Jésus.
Pourquoi, nous dit-elle, ne serions-nous pas encore dans le temps de l’enfantement ?
Que sont en effet 2000 ans de christianisme au regard de l’histoire du monde ?
Saint Jean XXIII, dans son discours d’ouverture au concile Vatican II disait ceci : « C’est seulement
l’aurore ».
Alors, si nous n’en étions qu’au commencement ?
Et si l’Eglise, dont le visage nous paraît parfois ridé, n’avait pas plutôt ce visage encore fripé du petit
bébé qui vient de naître ?
Sainte Thérèse est prophète d’espérance, elle est prophète de l’enfance ; non d’une enfance de
nostalgie, mais d’une enfance à venir, d’une enfance qui est notre avenir.
Mgr Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers
Fondation de paroisse « Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus en Châtelleraudais »
Dimanche 28 juin 2015 à Scorbé-Clairvaux