Via Domitia
Transcription
Via Domitia
Via Domitia « Cette route est excellente l’été, mais en hiver et au printemps, c’est un bourbier inondé par les débordements des cours d’eau, qu’on franchit soit par des bacs, soit par des ponts de bois ou de pierre… » Strabon Géographe grec du 1er siècle avant J-C Bien avant les hommes, des chemins de terre furent tracés par les animaux. Au Paléolithique, ce sont les chasseurs qui fixeront les premières pistes à travers les plaines et le long des coteaux. Les éleveurs du Néolithique dessineront les premières routes de la transhumance. Des voies commerciales seront ouvertes à la Protohistoire pour acheminer l’étain, l’or, l’ivoire du nord-ouest vers les pays méditerranéens et en sens inverse les produits finis. Les romains sauront utiliser ces premières voies qu’ils élargiront et dont ils feront de véritables chefs-d’œuvres de constructions. Les grandes routes romaines nous sont connues par différents textes littéraires d’auteurs gréco-romains comme Horace, Plinr le Jeune, l’historien latin Suétone ou le géographe grec Strabon. La « Table de Peutinger » est une copie médiévale d’une carte antique du IVe siècle : elle reproduit les grands axes routiers de l’Empire romain –et de nos régions en particulier- avec l’indication des principales stations. L’« Itinéraire d’Antonin » rajoute les distances qui séparent ces mêmes stations. La « Géographie de Ptolémée » est aussi un document précieux pour la connaissance du réseau routier antique. Les bornes millières –ancêtres de nos bornes kilométriquesretrouvées ici ou là nous donnent des renseignements sur la topographie et la politique du moment par ses inscriptions en latin et en grec. Enfin la cartographie ancienne et aujourd’hui la photo aérienne découvrent de nombreux tronçons de voies romaines difficiles à voir au sol. Provincia romana En 125 avant J-C, Massalia-la-Grecque –Marseille- fait une fois de plus appel à Rome, car elle se dit menacée par la Confédération des Salyens, un peuple voisin. Le consul Fulvius Flaccus passe alors les Alpes, suit la vallée de la Durance, soumet les Ligures de Barcelonnette, les Voconces et les Salyens. L’année suivante, les légions de son collègue le consul Sextius Calvinus s’emparent des oppida indigènes d’Entremont, de Roquepertuse, de Saint-Blaise et de Baou Roux. En 122 avant J-C, il détruit la capitale des Salyens, dissout leur Confédération. Près des sources thermales d’Entremont, il fonde la ville d’Aquae Sextiae qui deviendra Aix-en-Provence. Fondation d’Aquae Sextiae par Sextius Calvinus. (peinture de Joseph Villevieille, 1900) Le chef Salyen soutenu par les Arvernes se réfugie chez les Allobroges, où il est rattrapé et écrasé par un troisième consul, Domitius Ahenobarbus. En 121 avant J-C, l’armée du consul Fabius Maximus vient renforcer les troupes de Domitius. Le 8 août les deux armées romaines brisent une offensive des Allobroges et des Arvernes au confluent de l’Isère et du Rhône. C’est la fin de l’indépendance des peuples de Provence, du Languedoc et de Catalogne. Après la capture de Bituit roi des Arvernes, Domitius devenu proconsul va parcourir les campagnes, juché sur un éléphant pour intimider les populations. Il parvient jusqu’à Toulouse et trace ainsi les limites d’une nouvelle province entre l’Italie et l’Espagne. Elle portera le nom de Narbonnaise après la fondation de Narbonne en 118 avant JC, première colonie romaine hors de l’Italie, par Narbo Martius le fils de Domitius. Cette « Provincia Romana » s’étend du Lac Léman à la Méditerranée et des Alpes aux Pyrénées jusqu’à la Garonne. Préparée par l’hellénisation des siècles précédents, elle est très vite romanisée et bénéficie du droit latin. Au siècle suivant, Auguste l’offre au sénat romain après la fondation des villes nouvelles de Toulouse, Carcassonne, Pézenas, Béziers, Lodève, Nîmes, Orange, Fréjus. Les députés de toute la Province se réunissent dans la capitale à Narbonne autour du temple de Rome et d’Auguste. L’empereur Hadrien séjournera en Narbonnaise et c’est à Nîmes que naîtra le futur empereur Antonin-le-Pieux. Peinture murale romaine du Clos de la Lombarde à Narbonne D’Héracles à Domitius Pour Rome, le principal objectif de la conquête est d’assurer la sécurité de ses relations terrestres entre l’Italie et l’Ibérie. Aussi le grand souci du proconsul Domitius Ahenobarbus sera d’établir très vite un réseau routier de première importance. A cet effet, il dispose de l’antique voie d’Héracles qui longe le littoral, qu’il va moderniser et qui portera son nom : ce sera la fameuse « Via Domitia »… Le nouveau tracé évitera certaines agglomérations comme le comptoir grec d’Agde. Cette route franchit le Rhône à Arles, atteint Nîmes, enjambe le Vidourle à Ambrussum sur un pont de pierre, dont il ne reste aujourd’hui qu’une arche au milieu de ce petit fleuve côtier. Portion dallée de la Via Domitia à Ambrussum Ambrussum est un de ces importants relais –les mutationes-, qui jalonnent la Via Domitia; un oppidum perché sur une colline basse aujourd’hui envahie par une garrigue de chênes-kermès et entouré d’une enceinte en pierres sèches. La voie qui le contourne par le sud est connue sous le nom de « chemin de la monnaie » ou plutôt « camin de la moneda ». Elle reprend son tracé rectiligne vers Lunel, gagne Béziers puis Narbonne, où elle rencontre la voie d’Aquitaine. Celle-ci passe par le seuil de Naurouze pour atteindre Toulouse. Relais routier d’Ambrussum : vestiges de bâtiments romains et d’une ferme-auberge. Arche du pont romain d’Ambrussum, qui permettait le franchissement du Vidourle par la Via Domitia. Ce pont mesurait 180m de long et comportait onze arches. De Narbonne, la Via Domitia connaîtra trois tracés avant d’arriver à Tarragone, capitale de l’Espagne citérieure. Le premier, utilisé jusqu’au Haut-Empire, longe le littoral par les ports très fréquentés de Caucolibéris –Collioure- et de Portus Veneris –Port-Vendres-, puis franchit les Pyrénées au col de Banyuls. Le second, mis en service au début du 1er siècle et utilisé jusqu’à l’Antiquité tardive, quitte le précédent à Illibéris –Elne- pour passer le col du Perthus. Un troisième itinéraire part de Ruscino pour rejoindre directement le second. Deux villes importantes jalonnent la Via Domitia en Catalogne-nord. Ruscino –Château-Roussillon-, capitale des Sordones est un ancien oppidum ibère dressé sur un promontoire qui surplombe la Têt non loin de la mer, et qui a donné son nom au Roussillon. Au VIe siècle avant J-C, c’est un village de petites maisons aux murs de torchis, qui commerce avec les Etrusques, les Grecs, les Ibères et les autres peuples de l’intérieur. Deux siècles plus tard au IVe siècle avant J-C, des maisons en galets et en pisé sont construites et l’on y trouve de la céramique de luxe en provenance de Grande-Grèce –sud de l’Italie. A partir du IIe siècle avant J-C enfin, Ruscino devient colonie romaine de droit latin et se couvre de grandes et belles habitations romaines comme à Pompéi. Le site de Ruscino a été occupé de l’âge du bronze jusqu’au IVe siècle après J-C, c’est-à-dire jusqu’à la naissance de Perpignan. Elne Illibéris –Elne- est un oppidum ibère qui domine le Tech à quelques pas de la mer et qui connaît son apogée aux IIIe et IIe siècles avant J-C. Ruscino lui faisant ombrage, cette ville perd de son importance dès l’occupation romaine. Elle n’est plus qu’un simple village –un vicus- dans le HautEmpire. Sous les Constantin, elle renaîtra comme castrum pour finir comme siège de l’évêché du Roussillon au VIe siècle sous les Wisigoths. On peut citer deux autres cités catalanes de l’époque romaine le long de la Via Domitia : Aquae Calidae –Amélie-les-Bains-, dont les thermes antiques sont connus, et Clausurae une place-forte de l’Antiquité tardive qui garde le passage du Perthus. Portion de la « Table de Peutinger », copie d’une « carte routière » romaine peinte, qui donne tous les itinéraires de l’empire, avec les principales étapes et les distances entre elles. On reconnaîtra ici les villes d’Ostie port de Rome (à gauche), de Masilia Grecorum (Marseille-la-Grecque) et Aquis Sestis (Aix) L’importance de la Via Domitia sur tout ce territoire fait dire que les Romains contrôlent totalement le Languedoc et la Catalognenord. Quel est le prix payé par les populations riveraines pour cette colonisation? Combien de terres indigènes sont confisquées au profit de colons romains : pour la fondation du centre commercial « Forum Domitii –près de Montbazin dans l’Hérault- attribuée à Domitius, ou surtout pour celle de Narbonne dans l’Aude?... Les raisons de la conquête Il s’agit pour Rome de faire main-basse sur toutes les voies traditionnelles d’échange. La politique de Domitius vis-à-vis de tous ces peuples vise, semble-t-il, à se faire des alliés pour mieux protéger la Via Domitia. Le proconsul agit de même avec les Tectosages de Tolosa : les Tolosates resteront indépendants avec leurs propres institutions et leur monnaie; ils continueront de choisir leurs dirigeants; ils ne paieront pas de tribut et ne cèderont pas de terres. Mais ils devront accepter une garnison romaine dans leurs murs… Histoire de leur rappeler que c’est Rome qui domine! En poussant l’occupation au loin jusqu’à Toulouse à près de 150 Km de la Méditerranée, Domitius s’est donné les moyens de contenir les peuples encore indépendants des Pyrénées, de l’Aquitaine et du nord de la Garonne. Tolosa est ainsi un poste de guet important sur la frontière garonnaise, en mesure de donner l’alerte en cas de menaces extérieures et en situation de résister pour attendre des renforts militaires. Parallèlement, Domitius pratique une politique habile de traités d’amitié avec les peuples d’Aquitaine, comme celui conclu entre le sénat romain et le roi de Lectoure, un certain Diodore qui a reçu le titre d’«ami du peuple romain ». En plus des motifs militaires qui ont poussé Rome à occuper cette vaste région, il faut évoquer des raisons économiques. Au IIe siècle avant J-C, nous sommes à l’époque de la République des Gracques à Rome. Toutes les classes de la société n’ont qu’une idée en tête : une expansion coloniale pour s’accaparer de bonnes terres à cultiver. Or justement la Tectosagie –Languedoc occidental- est fort réputée pour sa richesse en terres céréalières. Les mines d’or de la Montagne Noire, les sables aurifères du Tarn et de l’Ariège sont connus et ont donné naissance à la fameuse légende de l’« or de Toulouse ». Contrôler les échanges commerciaux et ouvrir aux trafiquants romains les marchés locaux de l’Aquitaine et des Pyrénées, tel est l’un des buts essentiels de la conquête de Domitius. Dans ce contexte, Tolosa deviendra très vite une plaque tournante du commerce romain : entrepôt et centre de redistribution des marchandises. Et les Tolosates? Quel est leur état d’esprit vis-à-vis de cette colonisation? Aucun document ne nous permet de répondre à cette question. En fait, l’occupation romaine dès 118 avant J-C semble s’opérer en douceur, les Romains remplaçant simplement l’hégémonie des Arvernes sur le Toulousain et apportant sur les bords de la Garonne des côtés positifs de la civilisation méditerranéenne. Par contre nous savons que dix ans plus tard, lors de l’invasion des Cimbres et des Teutons, les Tolosates en profiteront pour se révolter brusquement contre la garnison romaine et briseront ainsi l’alliance avec le sénat de Rome. Jòrdi LABOUYSSE Borne milliaire d’Auguste à Nîmes La Gens Domitii Gnaeus Domitius Ahenobarbus né avant -160 fut consul en 122 avant J-C, participa à la conquête de la première province romaine en dehors de l’Italie, fit construire la voie romaine qui porte son nom en 118 avant J-C et mourut en 104 avant J-C. Son surnom Ahenobarbus signifie « barbe d’airain » ou « barbe rousse ». Il est issu de la gens Domitii. L’un de ses arrières-petits-fils, qui portait le même nom que lui, épousa l’héritière impériale Aggripine-laJeune, sœur de Caligula âgée de 15 ans ; ils auront un fils unique : Lucius Domitius Ahenobarbus dit Néron , qui fut le cinquième empereur de Rome et le dernier de la dynastie des Julio-Claudiens. On prête au père de Néron, qui était conscient de sa conduite de débauche et de celle d’Agrippine, la réflexion suivante en parlant de Néron : « Des parents tels que nous ne pouvaient enfanter qu’un monstre!... » Gnaeus Domitius Ahenobarbus (17 av. JC / 40 ap. J-C), père de Néron. Agrippine-la-jeune, mère de Néron. Lucius Domitius Ahenobarbus, dit Néron, Empereur de 54 à 68. Bas-relief dit « autel de Domitius Ahenobarbus », sculpté à la fin du IIe siècle avant J-C, conservé au Louvre, probablement commandité par Domitius, qui a laissé son nom à la Via Domitia. Il fut découvert sur le Champ de Mars à Rome avec trois autres fragments de style grec et à thème mythologique. Il est le plus ancien relief historique de l’art romain : il représente un recensement militaire (à gauche) et le sacrifice d’un taureau, d’un bélier et d’un porc au dieu Mars (à droite). Extrait d’INFÒC n°321 (Estiu 2013)