La vache folle
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La vache folle
J E AN-PHILIPPE DESLYS ANDRÉ PICOT LA VACHE FOLLE Les risques pour l’homme DOM I NOS Flammarion S O M MAI R E J E A N- PH I LI PP E DESLYS Docteur en médecine, docteur ès-sciences, Jean-Philippe Deslys est responsable du groupe de recherche sur les prions au CEA (Commissariat à l’énergie atomique). Il a commencé à étudier les prions dès 1985 en travaillant sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène. Il est expert senior du CEA, expert auprès du Comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) depuis 1996, et expert extérieur auprès de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et de la FDA (Food and Drug Administration). Ses travaux de recherche ont donné lieu à de nombreuses publications scientifiques. A NDRÉ PICOT Ingénieur-chimiste en chimie organique, docteur ès-sciences, directeur de recherche au CNRS, André Picot est un spécialiste de toxicochimie, discipline nouvelle qu’il a développée dans le cadre du CNRS, où il a créé puis dirigé l’Unité de prévention du risque chimique (1989-2000). Il est également expert français auprès de l’Union européenne, dans le groupe chargé de la fixation des normes pour les produits chimiques en milieu de travail. Il co-dirige l’enseignement de toxicologie fondamentale et appliquée au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers) de Paris et de Lyon. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages scientifiques, dont La Sécurité en laboratoire de chimie et de biochimie (Lavoisier), un classique qui, dès les années 90, mettait en garde contre les prions pathogènes. © Flammarion, 2001. ISBN : 2-080300261 Imprimé en France 5 Avant-propos 11 La longue énigme des maladies à prions chez l’homme 11 Du cannibalisme au kuru 15 Les formes humaines classiques : la maladie de Creutzfeldt-Jakob 18 La contamination par l’hormone de croissance 21 Les encéphalopathies spongiformes ne datent pas d’aujourd’hui 21 La tremblante du mouton, une maladie endémique d’origine mystérieuse 26 Les autres maladies naturelles animales 29 À quoi servent les modèles de laboratoire? 38 Le prion, un agent infectieux d’un troisième type 38 Ni virus ni bactérie, une nouvelle forme d’agent infectieux 41 La protéine du prion, une protéine présente chez tous les mammifères 43 Un changement de structure qui bouleverse ses propriétés 45 Le prion résiste-t-il à tout ? 48 Les mutations génétiques dans les maladies à prions 51 Prion, virino et autres hypothèses 57 À la recherche de modèles analogues : les prions de levure 59 Maladie de la vache folle et contamination de l’homme 59 L’émergence de la maladie de la vache folle 67 Une nouvelle maladie de Creutzfeldt-Jakob 72 72 79 86 88 89 91 94 Les risques pour l’homme Des farines de viandes et d’os pour nourrir nos herbivores Peut-on consommer des produits bovins? Après la vache folle, le mouton fou? Le principe de précaution : bouclier ou parapluie? La contamination de l’environnement La transfusion sanguine Protection de l’homme : gestion du risque et programmes de dépistage 106 109 110 113 122 127 Conclusion Annexes Notes et références Glossaire Historique de la vache folle Bibliographie La première fois qu’apparaît un mot relevant d’un vocabulaire spécialisé, il est suivi d’un *. On trouvera sa définition dans le glossaire. Avant-propos E n 1986, apparaissent au Royaume-Uni les premiers cas officiels d’encéphalopathie* spongiforme bovine (ESB), rapidement baptisée maladie de la vache folle (mad cow disease). Celle-ci ne constitue au départ qu’une curiosité, une nouvelle maladie à prions* résultant d’une modification des procédés de fabrication des farines animales incorporées dans l’alimentation du bétail. La découverte de son extension potentielle à l’ensemble du cheptel bovin britannique est considérée et traitée pendant très longtemps comme un problème agricole sans danger pour l’homme, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur les mesures de précaution prises et sur leur niveau réel d’application. Le 20 mars 1996, le ministre de la Santé annonce au Parlement britannique les premiers cas humains liés à cette maladie : c’est le déclenchement de la première crise de la vache folle. Contrairement à tout ce qui a été annoncé et assuré, l’homme peut être contaminé, via son alimentation, par des prions, qui demeurent invisibles au 5 L A V A C HE F O L L E 6 microscope et provoquent des maladies responsables d’une dégénérescence du cerveau dont l’évolution est toujours fatale, et pour lesquelles on ne dispose d’aucun traitement efficace. Le choc est redoutable : la population découvre que ces fameux prions, qui ont potentiellement contaminé tous les troupeaux britanniques (plus de 180 000 cas à ce jour), pour lesquels il n’existe pas encore de test de détection, et qui résistent à peu près à tous les moyens de décontamination, peuvent se retrouver dans une alimentation censée lui apporter énergie et santé. La mise en place rapide de l’embargo sur tous les produits dérivés de bovins du Royaume-Uni permet officiellement d’établir un cordon sanitaire et, couplée à diverses autres mesures de protection, notamment pour les farines de viandes et d’os, elle permet de rétablir partiellement la confiance des consommateurs du reste de l’Europe. Mais le doute demeure latent. Le renforcement des mesures britanniques, notamment l’interdiction pour la consommation humaine de tous les bovins statistiquement en âge de développer la maladie (animaux de plus de 30 mois) associée à une baisse importante du prix de la viande et à des campagnes de promotion relance la consommation de produits bovins outre-Manche. Fin 2000, nouveau rebondissement : on apprend qu’un nombre croissant de bovins sont contaminés plus de cinq ans après l’interdiction des farines animales, responsables de la diffusion de la maladie, c’est-à-dire à un moment où, selon les affirmations officielles, le risque est censé être maîtrisé depuis très longtemps. Des enquêtes diffusées à la télévision 1 à des heures de grande écoute révèlent que, contrairement à ce qui a été maintes fois affirmé, des farines contaminées ont, en toute impunité, continué à cir- AVA N T - P R O P O S culer en grandes quantités à travers l’Europe. Par ailleurs, les cas d’ESB n’ont pas été recherchés avec une réelle efficacité et le niveau des mesures de protection n’est manifestement pas suffisant dans un certain nombre de pays qui se considèrent indemnes. À la fin de la même année, la découverte des premiers cas d’ESB en Allemagne, à la suite de la mise en place des tests de dépistage, a provoqué un véritable scandale sur l’insuffisance de précautions précédemment prises par les pouvoirs publics et entraîné outre-Rhin la démission du ministre de la Santé et du ministre de l’Agriculture. Enfin, l’apparition concomitante d’un nombre croissant de personnes atteintes par l’ESB (96 personnes affectées au début de l’année 2001, au Royaume-Uni), même si elles ont été contaminées avant les différentes mesures de précaution prises par les Britanniques, a ajouté à la confusion en renforçant le sentiment d’insécurité et en modifiant considérablement la perception du risque pour l’homme. Les éléments sont donc rassemblés pour engendrer un sentiment de défiance et de rejet massif de tous les produits bovins, quelle que soit leur qualité. Faute de repères, une crise de confiance durable s’installe et les efforts pour « rassurer » semblent ne pas convaincre vraiment les consommateurs qui demandent surtout à être informés et protégés. Mais que peut-on encore manger? se demandent-ils. L’objectif de ce livre, que le format de poche rend accessible au plus grand nombre, est de fournir des éléments d’information aussi objectifs que possible et les bases scientifiques qui permettront au lecteur de se faire une idée de l’état des connaissances actuelles sur un sujet en perpétuelle évolution et particulièrement troublant, voire inquiétant pour le grand public. 7 L A V A C HE F O L L E 8 Nous exposerons dans un premier temps les connaissances actuelles sur ces maladies et ces étranges prions avant d’analyser plus spécifiquement la maladie de la vache folle et ses conséquences pour l’homme. Les ESST* (encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles) regroupent principalement, chez l’homme, la maladie de Creutzfeldt-Jakob et, chez l’animal, la tremblante du mouton*, à laquelle s’ajoute depuis 1985 l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), nom scientifique de la maladie de la vache folle. Ce sont des maladies dégénératives du système nerveux central*. A l’examen microscopique, le cerveau apparaît criblé de trous comme une éponge, d’où le qualificatif de spongiforme. Elles entraînent une démence et différents troubles neurologiques, notamment des pertes d’équilibre. Ces signes n’apparaissent qu’après une très longue phase d’incubation silencieuse, qui peut aller de quatre à plus de quarante ans chez l’homme. La maladie de la vache folle et les maladies à prions en général constituent aujourd’hui une énigme biologique et le seul exemple de maladie transmissible dont l’origine est encore inconnue. Deux séries de travaux ont amélioré notre connaissance de ces maladies : la première date de 1936, lorsque que deux vétérinaires français, Paul-Louis Chelle et Jean Cuillé, démontrent que la tremblante du mouton est transmissible à d’autres moutons; Carleton Gajdusek, prix Nobel en 1976, le démontre ensuite brillamment pour les maladies humaines, notamment avec le kuru* ; dans la seconde série de travaux, au début des années 80, Stanley B. Prusiner (prix Nobel en 1997) et ses collaborateurs révèlent le rôle clé d’une protéine* de l’hôte, la AVA N T - P R O P O S protéine du prion, ou PrP, qui s’accumule sous une forme anormale (PrPsc ou PrPres) dans le cerveau des sujets atteints. En France, les pionniers ont été une neurologue, Françoise Cathala, et un médecin militaire, Louis Court, qui, par son enthousiasme et sa persévérance, réussit, dès le début des années 70 et durant près de vingt ans, à maintenir une recherche sur un sujet auquel les organismes officiels s’intéressent guère. Les agents responsables des ESST sont appelés agents transmissibles non conventionnels (ATNC), virus* lents non conventionnels, plus spécifiquement virino* ou prion. Ces agents se multiplient dans les tissus lymphoïdes (ganglions lymphatiques, rate, amygdales, appendice…) et le système nerveux central (cerveau et moelle épinière). Le niveau infectieux dépend de l’agent causal, de la voie d’inoculation et du patrimoine génétique* de l’hôte, c’est-à-dire de l’individu qui l’abrite. Les ESST n’entraînent aucun signe inflammatoire dans le cerveau — d’où le terme d’encéphalopathie et non d’encéphalite — ou dans le reste de l’organisme. L’absence de réponse du système de défense immunitaire obère la possibilité d’un test de diagnostic sérologique (par détection d’anticorps*). À ce jour, il n’existe aucun test simple permettant une détection directe de ces agents infectieux ; en pratique, seule l’apparition des signes cliniques permet le diagnostic, qui se verra confirmé ou infirmé après le décès par l’examen histologique * du cerveau. Aucune thérapeutique efficace n’a été mise au point et l’évolution clinique, sans rémission, est toujours fatale. Il ne se passe plus un jour sans que la maladie de la vache folle soit évoqué et, en l’absence de réponse scientifique claire, l’amplification médiatique d’opinions par- 9 L A V A C HE F O L L E faitement contradictoires crée un climat général de suspicion. Entre ceux qui considèrent qu’il n’y a pratiquement aucun danger pour l’homme et ceux qui annoncent des centaines de milliers de morts, le fossé est gigantesque. Après les vaches, ce sont les hommes qui sont désorientés et qui réclament d’urgence, à défaut de réponses définitives, des éléments fiables d’information, que nous allons tenter de leur apporter dans cet ouvrage. La longue énigme des maladies à prions chez l’homme 10 11 Du cannibalisme au kuru La spongiose* Cette coupe de cerveau examinée au microscope présente un aspect caractéristique de spongiose chez un homme décédé de maladie de Creutzfeldt-Jakob (l’absence de coloration correspond à des trous). En 1957, Vincent Zigas, un médecin militaire australien, et Daniel Carleton Gajdusek, un médecin pédiatre américain, décrivaient pour la première fois une maladie très particulière, le kuru, qui touchait des tribus du groupe ethnique des Forés vivant encore à l’Âge de pierre dans la région des hauts plateaux de Papouasie-NouvelleGuinée, et qui se caractérisait par une perte d’équilibre et une démence. Le kuru, qui signifie en langage foré « tremble de frayeur et de froid », était responsable de plus de la moitié des décès enregistrés dans les villages les plus durement touchés. Cette épidémie semble avoir commencé au début du siècle pour atteindre son apogée L’ É N I G M E D E S M A L A DI E S À P R I O N S C H E Z L’ H OM M E 12 dans les années 50. Elle touchait principalement les femmes adultes (environ 8 femmes pour 1 homme) et les enfants des deux sexes (un tiers des cas). Malgré l’isolement de ces régions, à cette époque quasi inaccessibles, quelques médecins s’intéressèrent à l’épidémie, très localisée et ne semblant toucher ni les autres tribus papoues proches ni les Blancs en contact avec les Forés. La nourriture paraissait un élément déterminant dans l’apparition de la maladie, même si les plantes ou les insectes (composants classiques de la nourriture des Papous) semblaient hors de cause. Les explications les plus variées ont été proposées, à commencer par des désordres endocriniens (atteintes liées aux hormones) et des anomalies génétiques liées au sexe féminin, mais également des mycotoxines (principes toxiques des champignons), voire l’effet des cendres de volcans. En fait, le kuru était transmis par des pratiques anthropophages censées conférer la vitalité lors de rites mortuaires secrets : dans ces sociétés primitives, l’homme adulte, guerrier et chasseur, considéré comme supérieur, consommait les muscles, siège de la force, et laissait les restes moins nobles, dont le cerveau (hautement infectieux), aux femmes et aux enfants. C’est grâce à un énorme travail ethnologique, supervisé par Donald Carleton Gajdusek, avec reconstitution des « festins » contaminants, que tous les cas de kuru ont pu être reliés à une chaîne d’infection interhumaine, ce qui constitue une situation tout à fait singulière. Une description précise des signes cliniques du kuru fut faite par D. C. Gajdusek, qui distinguait trois stades. Le premier signe observé était une perte d’équilibre, caractéristique d’une atteinte précoce du cervelet, partie de l’encéphale située juste sous le cerveau : le cervelet contrôle D U CA N N I B A L I S M E A U K U R U la régulation du tonus musculaire et permet un jeu harmonieux des différents muscles impliqués notamment dans le maintien de l’équilibre, d’où les premiers signes observés chez les personnes atteintes. Des mouvements oculaires anormaux et des tremblements complétaient les symptômes et rendaient cette maladie très handicapante. Au deuxième stade, dit sédentaire, le malade ne pouvait plus se déplacer qu’en s’appuyant sur un bâton, les muscles se paralysaient progressivement. Selon les individus, le moral était plus ou moins affecté, certains riant en permanence, d’où le surnom de « maladie du rire » donné au kuru, tandis que d’autres sombraient dans une dépression mélancolique. Au stade final, le malade était totalement infirme, incontinent, et devenait incapable d’articuler des mots et de s’alimenter seul. La mort survenait généralement moins d’un an après l’apparition des premiers symptômes. La prise en charge à l’hôpital permettait de maintenir le malade en vie plus longtemps, mais rapidement les familles s’opposèrent à cette médicalisation qui ne faisait que prolonger l’agonie des patients et elles ramenèrent leurs proches, afin qu’ils meurent en paix dans leur village. Tous les essais d’inoculation à diverses espèces animales (souris, rats, lapins, cobayes) se soldèrent dans un premier temps par des échecs. Toutefois, grâce notamment à l’observation de similitudes entre le kuru et la tremblante du mouton notée dès 1959 par William Hadlow, un vétérinaire américain, le docteur Gajdusek acquit la conviction qu’il fallait poursuivre les inoculations expérimentales, surtout à des primates, mais en prolongeant les délais d’observation. La première transmission réussie n’eut lieu que sept ans plus tard chez le chimpanzé, à la suite d’une 13 L’ É N I G M E D E S M A L A DI E S À P R I O N S C H E Z L’ H OM M E 14 inoculation dans le cerveau. L’examen histologique de l’encéphale permit de mettre en évidence, outre les lésions de spongiose (des trous dans le cerveau lui donnant un aspect d’éponge) correspondant à la dégénérescence des neurones (voir photo p. 10), les plaques amyloïdes* caractéristiques du kuru (des dépôts protéiques amorphes particuliers, composés de la forme anormale de la protéine du prion – PrPres –, lésions identiques à celles retrouvées chez l’homme). Des transmissions expérimentales du kuru ont finalement été entreprises avec succès dans plus de douze espèces de singes de l’Ancien et du Nouveau Monde et ont permis de mettre en évidence un nombre d’unités infectieuses dépassant 1000 000 par gramme de cerveau humain, chaque unité étant capable de tuer un animal. Par ailleurs, une transmission du kuru par voie orale à partir du cerveau de patients décédés de la maladie a été démontrée chez certains singes, alors qu’il était impossible de détecter l’agent infectieux dans les prélèvements de muscles. Chez le primate, la transmission est toutefois plus facile par scarification *, ce qui suggère que la voie cutanée était peut-être chez les Papous la voie de contamination privilégiée lors de la préparation du « festin ». Les femmes étaient en effet chargées du dépeçage du cadavre et de la récupération du cerveau, travaux qui s’effectuaient de façon assez primitive et brutale. Depuis l’interdiction de ces pratiques, à partir de 1957, le nombre de cas a chuté de façon spectaculaire et, ces dernières années, les très rares individus atteints de kuru ont été contaminés voilà plus de trente-cinq, voire quarante ans, le dernier cas décrit étant décédé en 1998. Les victimes les plus jeunes avaient au moins 4 ans et demi, ce qui fournit une estimation de la période d’incubation D U CA N N I B A L I S M E A U K U R U minimale du kuru dans les conditions « naturelles ». La maladie n’est pas transmissible par contact avec des patients malades : aucun cas de kuru n’a été rapporté chez des indigènes n’ayant pas participé à des rites anthropophages ou chez des Européens venus vivre dans ces tribus. Enfin, depuis l’arrêt du cannibalisme, aucun enfant né de mère infectée (en période d’incubation ou malade), généralement allaité par elle, n’a développé le kuru. Le kuru aura finalement tué plus de 3000 personnes sur une population d’environ 30 000 Papous. L’origine de l’épidémie pourrait être un cas sporadique* de maladie de Creutzfeldt-Jakob. Il est indéniable que le kuru aura permis des avancées considérables dans la compréhension des formes classiques de ces maladies chez l’homme. Les formes humaines classiques : la maladie de Cre u t z f e l d t - J a ko b La maladie de Creutzfeldt-Jakob constitue la forme humaine la plus fréquente de maladie à prions. Décrite par les médecins allemands Hans Creutzfeldt et Alfons Jakob respectivement en 1920 et 1921, cette maladie a bénéficié, au cours du temps, de plus de 80 appellations différentes avant d’être clairement identifiée comme appartenant au groupe des ESST. C’est la ressemblance des lésions histologiques du cerveau avec celles observées dans le kuru qui amena l’équipe de D. C. Gajdusek à étudier et à démontrer la transmissibilité de cette affection. Sous sa forme habituelle, laquelle constitue plus de 80 % des cas d’ESST chez l’homme, la maladie de Creutzfeldt-Jakob 2 (MCJ) est sporadique : elle survient 15 L’ É N I G M E D E S M A L A DI E S À P R I O N S C H E Z L’ H OM M E 16 ici et là, touche des individus isolés, ce qui est l’inverse d’une situation épidémique. Sa fréquence annuelle est de 1,4 cas pour 1 million d’habitants, ce qui représente environ un décès sur 7 000 décès et, en moyenne, 80 cas par an en France. Il s’agit classiquement d’une démence (définie comme un affaiblissement intellectuel profond avec des troubles de la mémoire, une altération de l’intelligence, au sens général du terme, une désorientation temporo-spatiale et une perturbation des conduites sociales), dont le début est progressif, chez des patients âgés de 60-65 ans, à laquelle s’associent peu à peu des troubles neurologiques (perte d’équilibre et troubles visuels) et des contractions musculaires (myoclonies*). Les premiers signes sont variables : dans 40 % des cas, la maladie commence insidieusement, sous la forme de détérioration mentale progressive; dans 35 % des cas, les premiers signes sont uniquement neurologiques et peuvent, lorsqu’ils sont isolés, conduire à des erreurs de diagnostic ; les autres formes associent d’emblée l’atteinte mentale aux signes neurologiques. La maladie évolue sans rémission, il s’agit d’une démence avec confusion et mutisme, souvent associée à une cécité corticale (le patient devient aveugle par atteinte du cerveau et non des yeux), avec apparition d’hallucinations accompagnées d’incoordination motrice et de mouvements anormaux. En quelques mois, l’évolution est fatale et le diagnostic clinique est confirmé par l’examen histologique du cerveau et la recherche de PrPres, la forme anormale de la protéine du prion (voir p. 43). En l’absence de cause infectieuse déterminée, Stanley Prusiner a proposé une origine uniquement liée à l’individu qui abrite la protéine du prion devenue pathogène : LE S F O R M E S H U M AI N E S C LA S S I Q U E S il se produirait une mutation* somatique de la PrP, par analogie aux mutations de gènes* en cause dans la plupart des cancers. Dans cette hypothèse, il devrait toutefois exister une augmentation du nombre de cas en fonction de l’âge, et non un pic à 60-65 ans suivi d’une décroissance. Il semble par ailleurs indéniable que les cas de MCJ sporadiques ne sont pas liés à la tremblante du mouton – des pays indemnes de tremblante comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande ont la même fréquence de MCJ que le reste du monde –, mais l’existence d’un réservoir animal non identifié ne peut être exclue. Dans le cas des virus responsables des fièvres hémorragiques africaines, tel le virus Ebola, qui sont les plus dangereux au monde et qui surviennent par foyers puis disparaissent pendant dix ans, il est évident qu’un réservoir animal assure la persistance du virus pendant les périodes silencieuses, puisque tous les hommes contaminés meurent en quelques jours (le parasite a besoin d’un hôte pour survivre). Malgré tous les efforts déployés, notamment par l’OMS, le réservoir du virus Ebola n’est toujours pas identifié : actuellement, l’une des hypothèses retenues est la présence endémique du virus sous forme non pathogène chez des rongeurs. C’est ainsi qu’occasionnellement un virus mutant pathogène pour l’homme pourrait apparaître et serait responsable d’une nouvelle flambée de la maladie. Dans le cas de la MCJ, il ne semble pas exister de transmission naturelle interhumaine (au sein d’un couple notamment), mais la maladie peut être transmise expérimentalement au primate à partir du cerveau d’un malade et peut l’être accidentellement par des actes médicaux. On parle alors de formes iatrogènes* de maladie de Creutzfeldt-Jakob : des cas de contamination de patients 17 L’ É N I G M E D E S M A L A DI E S À P R I O N S C H E Z L’ H OM M E 18 sains par un patient infecté et non diagnostiqué comme tel (pendant la phase cliniquement silencieuse ou lorsque les premiers signes sont atypiques) ont été décrits et imputés notamment à des instruments de neurochirurgie, des greffes de dure-mère, des greffes de cornée et l’injection d’hormone de croissance purifiées à partir d’hypophyses humaines. Certaines formes de MCJ peuvent toucher plusieurs membres d’une même famille. Toutes liées à une mutation génétique, elles sont très rares et représentent 10 à 15 % des cas de MCJ. Elles regroupent les maladies de Creutzfeldt-Jakob familiales proprement dites, le syndrome de Gerstmann-Sträussler-Scheinker et l’insomnie fatale familiale. Ces formes sont parfois qualifiées de purement génétiques parce qu’il n’existe pas de cause infectieuse identifiée. Toutefois, expérimentalement, elles sont transmissibles à l’animal normal, bien que plus difficilement que les formes classiques. Il convient donc de ne pas confondre la susceptibilité liée à l’hôte, et principalement au gène codant pour la PrP, et la présence d’un agent infectieux, à savoir d’un agent transmissible* non conventionnel, ou prion. La contamination par l’hormone de croissance À ce jour, la France compte malheureusement le plus grand nombre de cas de maladie de Creuzfeldt-Jakob iatrogène liée à l’hormone de croissance (plus de la moitié des 140 cas mondiaux) : les premiers cas apparus en 1989 L A C O N TA MI N AT I O N P A R L’ H O R M O N E D E C R O I S SA N C E concernaient des enfants inhabituellement jeunes, âgés de 10 à 11 ans. Sur près de 980 enfants traités entre janvier 1984 et juin 1985 par hormone de croissance dite extractive, parce qu’extraite d’hypophyses de cadavres humains, 76 ont à ce jour développé cette maladie mortelle (soit près de 8 % d’entre eux) et de nouveaux cas apparaissent régulièrement. À l’époque, les progrès du génie génétique* n’avaient pas encore permis de produire ces hormones à partir de bactéries : l’inefficacité des hormones d’origine animale (liée à une différence de récepteur – cible de l’hormone – chez l’homme par rapport au porc ou au bovin) obligeait à recourir à des prélèvements effectués sur des cadavres humains. Le même phénomène a été observé aux États-Unis, où le premier cas fut décrit en 1985, et au Royaume-Uni, où les programmes nationaux de production d’hormone de croissance ont également été mis en cause, tandis que les industries pharmaceutiques aux règles de production plus strictes et qui appliquent les BPL (« bonnes pratiques de laboratoire ») ne pouvaient être incriminées 3. Pour mémoire, ces programmes nationaux ont été mis en place pour gérer la pénurie d’hormone de croissance, ou plutôt d’hypophyses humaines, afin d’assurer l’accès de tous au traitement, indépendamment de considérations financières. Au final, cette contamination rappelle la remarquable capacité des prions à résister à la plupart des procédés de purification ou de décontamination. Elle rappelle également la difficulté de prévoir l’évolution de la contamination d’une population humaine : aujourd’hui, avec plus de quize ans de recul et alors qu’il s’agit de transmissions interhumaines – sans phénomène de barrière d’espèce, qui diminue l’efficacité de la transmission et augmente les périodes d’incubation – par 19 L’ É N I G M E D E S M A L A DI E S À P R I O N S C H E Z L’ H OM M E 20 une voie de contamination relativement efficace – les injections le sont plus que la voie alimentaire –, nous observons toujours l’apparition de cas à un rythme soutenu (en moyenne 4 à 5 par an). Les facteurs liés à la susceptibilité individuelle jouent également un rôle important. En l’occurrence, le gène codant pour la PrP (la protéine du prion) est un facteur essentiel en cas de contamination chez les patients ayant développé une MCJ liée à d’anciens traitements par hormone de croissance en France : pendant près de cinq ans, tous les cas observés (soit 30 enfants ou jeunes adultes) avaient la particularité d’avoir un seul type de protéine du prion, alors que cette caractéristique n’est observée que dans 50 % de la population normale. L’autre moitié de la population, y compris les enfants traités par hormone de croissance, possède deux types de PrP qui ne diffèrent que par un seul acide aminé 4 (hétérozygotie * au codon* 129) : l’une provenant du patrimoine génétique du père, l’autre de celui de la mère. Cette différence a donc apparemment suffi pour rendre les porteurs résistants à la maladie. Toutefois, aujourd’hui, l’interprétation paraît moins optimiste, car les premiers cas de malades porteurs des deux types de PrP (hétérozygotes*) sont apparus en 1994 et leur nombre continue à augmenter. Par ailleurs, il a été observé que, dans le kuru, cette hétérozygotie au codon 129 entraînait un retard dans l’apparition de la maladie plus qu’une réelle protection. Dans les modèles expérimentaux, un phénomène semblable de ralentissement de la maladie est observé lorsque deux PrP différentes sont présentes chez un même animal. Au total, la susceptibilité génétique individuelle permet de retarder l’apparition de la maladie, mais pas nécessairement de l’éviter. Les encéphalopathies spongiformes ne datent pas d’aujourd’hui 21 La tremblante du mouton : une maladie endémique d ’o rigine my s t é ri e u s e Dès la première moitié du XVIIIe siècle (1732) fut décrite en Europe une maladie endémique, la tremblante du mouton, que les Anglo-Saxons dénommèrent « scrapie* » (du verbe to scrap, qui signifie « gratter »). Cette apparition coïncida avec les efforts de sélection de races productives et le développement de troupeaux importants par de gros propriétaires terriens : on estime qu’à l’époque près du quart de la population anglaise s’impliquait d’une façon ou d’une autre dans le commerce de la laine 5. L E S E N C É P H A L O PA T H I E S S P O N G I FO R M E S La population de moutons au Royaume-Uni est passée de 31,5 millions en 1980 à 44 millions en 1992, pour un total d’environ 85 000 troupeaux. En 1988, la tremblante touchait 1/3 des troupeaux, soit 5 à 11 animaux par troupeau de 1 000 têtes 6 (donc théoriquement plus de 60 000 animaux par an), ce qui contraste singulièrement avec les 200 à 300 cas déclarés officiellement à partir des années 90. Cette maladie touche également d’autres petits ruminants, les chèvres notamment, et affecte la plupart des pays du monde, à l’exception de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Principalement étudiée chez les moutons Suffolk, la tremblante naturelle L A T R E M B L A N T E D U M O U TO N est une maladie endémique dans les troupeaux et atteint des animaux âgés de 2 à 5 ans (des raisons commerciales conduisent à ne garder que rarement les animaux après cet âge). Elle est présente dans toute l’Europe, et dans certains troupeaux elle atteint jusqu’à 30 % des animaux — une fréquence de l’ordre de 0,5 à 2 % par an étant considérée comme la plus courante. Comme de très nombreuses maladies animales, elle ne posait aucun problème particulier pour la santé humaine, mais, étant considérée comme « honteuse », elle demeurait souvent cachée. Aujourd’hui, elle ne relève d’une déclaration obligatoire que dans certains pays, dont la France. La tremblante du mouton ou de la chèvre présente une longue période d’incubation – elle peut atteindre deux à trois ans. On distingue classiquement deux formes cliniques : l’une, nerveuse, se caractérise par une hyperexcitabilité accompagnée de tremblements, initialement localisés à la tête et gagnant ensuite tout le corps; l’autre, dite prurigineuse, se manifeste par un prurit* invasif qui va entraîner des lésions, en général étendues, liées au grattage, et une disparition progressive de la toison. Les animaux atteints, devenus incapables de coordonner leurs mouvements, finissent par ne plus tenir debout et meurent d’épuisement (cachexie) au bout de quelques mois. La transmissibilité de cette maladie au sein des troupeaux, démontrée dès 1936 par des vétérinaires français, a été incidemment confirmée sur une grande échelle par leurs homologues britanniques. En effet, en 1939, une tremblante expérimentale s’est développée chez près de 7 % des 18 000 moutons vaccinés quatre ans auparavant contre le louping-ill (une maladie nerveuse d’origine virale transmise par les tiques). 23 L E S E N C É P H A L O PAT H I E S S P O N G I FO R M E S 24 Le vaccin avait été élaboré à partir de cerveaux de moutons malencontreusement contaminés par une souche* de tremblante. Il existe naturellement une transmission horizontale* entre animaux au sein d’un troupeau qui pourrait être liée à la placentophagie (lors de la mise bas par une brebis infectée, le placenta, lui-même infectieux, est ingéré par la mère mais peut l’être également par d’autres brebis) ou à la contamination des pâtures par le placenta, voire par les déjections. Les champs ayant abrité des animaux infectés pourraient être contaminants pour de nouveaux troupeaux pendant plus de dix ans. Certaines expériences (voir p. 90) ont également prouvé la persistance d’une infectiosité dans le sol 7 durant plusieurs années, d’où le problème de sécurité sanitaire posé par l’enfouissement des carcasses d’animaux malades; cette persistance a fait bannir l’utilisation de protéines d’abats d’animaux dans les engrais. Qui plus est, la présence de l’agent dans des acariens du fourrage 8 (araignées minuscules) a été décrite, ce qui impliquerait la possibilité d’un réservoir animal jusque-là non identifié. Par ailleurs, une transmission verticale semble également possible puisque certains embryons prélevés sur une brebis infectée et transférés dans une mère porteuse saine développent une tremblante. Le modèle du mouton est toutefois particulier. En effet, des taux d’agents infectieux relativement importants sont retrouvés dans plusieurs organes périphériques (amygdales, rate, ganglions lymphatiques, intestin, placenta), contrairement à ce qui est observé chez l’homme — la présence d’agents infectieux y est limitée au système nerveux central (cerveau, moelle épinière) — ou le bovin : cette particularité pour- L A T R E M B LA N T E D U M O U TO N rait expliquer l’éventualité d’une contamination de l’environnement (champs à tremblante) par le placenta, voire par les déjections, et d’une transmission horizontale (entre animaux d’un même troupeau), donc le caractère endémique de la maladie chez les ovins. L’étude de la tremblante naturelle montre la présence de l’agent infectieux très tôt, dès 3-4 mois, dans l’intestin, au niveau des formations lymphoïdes (dites plaques de Peyer), puis sa progression vers les autres organes lymphoïdes (ganglions lymphatiques, rate) et, pour finir, vers le système nerveux central, ce qui signe une contamination précoce par voie orale. Notons que cette maladie a été presque impossible à éradiquer en Islande, malgré des programmes d’abattage et de repopulation très importants et très soigneusement conduits. Les programmes d’éradication ont généralement échoué, y compris aux États-Unis. En revanche, la tremblante semble avoir naturellement disparu en Australie et en Nouvelle-Zélande, pays officiellement indemnes qui ont pourtant introduit, à l’époque du roi George III, des moutons britanniques nécessairement contaminés. La tremblante semblait alors poser d’importants problèmes économiques et un écrit de Claridge, en 1795, rapporte qu’elle était considérée comme la pire calamité pour les éleveurs de moutons de Sa Majesté. L’explication pourrait tenir au mode d’élevage, qui favorise la transmission horizontale en Islande (île de l’Atlantique Nord), où les animaux sont maintenus à l’étable pendant les longs mois d’hiver avec du foin potentiellement souillé, tandis qu’à l’inverse l’Australie et la Nouvelle-Zélande offrent des étendues considérables, ce qui, théoriquement, limite fortement le risque de contamination par la pâture. 25 L E S E N C É P H A L O PAT H I E S S P O N G I FO R M E S Les autres maladies nat u re l l e s animales L’encéphalopathie spongiforme du vison 26 Cette maladie rare (TME, Transmissible Mink Encephalopathy) a ravagé quelques élevages de visons à la suite d’une contamination alimentaire. Le premier foyer apparaît en 1947 aux États-Unis, dans une ferme du Wisconsin. Tous les animaux adultes manifestent des signes d’incoordination motrice, de somnolence et des troubles végétatifs majeurs (le système nerveux végétatif, encore appelé système nerveux autonome, contrôle le fonctionnement des viscères, la respiration, la tension artérielle et la thermorégulation), puis finissent par mourir. 125 animaux vendus sept mois auparavant à une ferme du Minnesota développent également la maladie. En 1961, le mal ressurgit dans 5 fermes du Wisconsin ayant toutes le même fournisseur d’aliments pour visons, mais la mortalité est plus faible (entre 10 et 30 %). En 1963, deux foyers sont décrits au Canada, et un dans le Wisconsin, toujours; là encore, il y a source commune d’alimentation. Des foyers ont également été observés en Finlande, en ex-Allemagne de l’Est et dans l’ex-URSS. Le cas le plus récent est signalé en 1985 à Stetsonville, aux États-Unis, vingt-deux ans après le dernier foyer américain observé 9. La durée d’incubation silencieuse est estimée entre sept et douze mois. Les premiers signes se caractérisent par une hyperexcitabilité et une grande agressivité, l’animal pouvant s’automutiler. La phase suivante est dominée par une somnolence, souvent associée à une cécité, puis par une paralysie des pattes postérieures avant le décès, qui survient après quelques semaines d’évolution. Il n’existe pas L E S A U T R E S M A L A D I E S N AT U R E L L E S A N I M A L E S de transmission naturelle entre visons, lesquels constituent ainsi un « cul-de-sac épidémiologique* » : la prévention passe donc uniquement par la surveillance des sources d’alimentation. Si l’origine alimentaire est clairement établie d’après les données épidémiologiques, la cause réelle de la maladie n’est toujours pas déterminée. Ces animaux carnassiers ont pu recevoir des carcasses de moutons morts de tremblante, et, effectivement, les expériences menées en laboratoire ont montré que certaines souches de tremblante sont transmissibles au vison par voie intracérébrale. Toutefois, aucun vison n’a développé de maladie en mangeant des cerveaux de moutons contaminés par l’agent de la tremblante. À l’inverse, la contamination par voie orale s’est aisément faite avec du cerveau de bovins atteints d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Dans au moins deux circonstances, et notamment pour le foyer de Stetsonville, le plus récent, il semble que les visons n’aient jamais reçu de nourriture à base de viande de mouton, mais qu’en revanche ils aient été nourris avec des carcasses de vaches retrouvées mortes ou euthanasiées à la suite d’un décubitus permanent (syndrome dit de la « vache couchée », ou downer cow syndrome, pour lequel la recherche de cas d’ESST n’a, semble-t-il, pas été réalisée). Ce type d’observation plaide en faveur d’une contamination des visons par des bovins ayant développé une maladie à prions de type sporadique non détectée. La maladie du dépérissement chronique des ruminants sauvages Cette maladie (CWD, Chronic Wasting Disease), semblable à la tremblante, touche aux États-Unis les rumi- 27 L E S E N C É P H A L O PA T H I E S S P O N G I FO R M E S 28 nants sauvages en liberté et en captivité : principalement le cerf-mulet des montagnes rocheuses et le cerf à queue blanche et l’élan. Cette maladie a été observée pour la première fois au début des années 60 dans un troupeau de cerfs-mulets élevés en captivité dans une ferme de recherche (Research Farm) sur les animaux sauvages à Fort Collins (Colorado, États-Unis). Plus tard, elle a été observée dans d’autres centres près de Kremmling (Colorado) et Wheatland (Wyoming) chez des cerfsmulets et des élans en captivité. Il existe une transmission horizontale importante chez les animaux adultes, surtout en captivité, en raison de la promiscuité : classiquement, en trois ans, la maladie affecte la totalité d’un troupeau de cerfs-mulets et environ 30 % d’un troupeau d’élans, qui paraissent moins sensibles. Il est fortement recommandé d’éliminer l’ensemble du troupeau dès l’apparition du premier animal malade, pour éviter de contaminer l’environnement et de rendre inutile pendant plusieurs années le remplacement du troupeau par des animaux sains. La recherche systématique de signes de la maladie en microscopie 10 a permis de montrer que la maladie n’était pas diagnostiquée sur le plan clinique dans 97 % des cas. Ainsi, dans le Wyoming, sur 133 animaux retrouvés positifs, seulement 4 présentaient des signes cliniques. C’est seulement en 1981 que la maladie a été décrite chez les animaux sauvages, mais il est vraisemblable que des cas non détectés sont survenus beaucoup plus tôt. Sa fréquence (ou prévalence), estimée à environ 1 % en 1984 et augmentant régulièrement, atteignait quelque 3,5 % en 1998 dans le nord-est du Colorado. De la même façon, les chercheurs estiment que, sur la même période, sa fré- À Q U O I S E R V E NT L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ? quence chez les daims est passée de moins de 3 % à 13 % dans le sud-est du Wyoming. Sans contrôle, cette maladie pourrait décimer les troupeaux de daims dans les trente à cinquante ans à venir et envahir les États limitrophes, d’autant qu’elle se transmet à d’autres espèces, notamment les cerfs à queue blanche, qui sont beaucoup plus mobiles, ou les élans, qui sont transportés pour être élevés en captivité dans d’autres contrées 11. Récemment, au Canada, des élevages contaminés de plus de mille wapitis ont été abattus pour enrayer la propagation de la maladie. Par ailleurs, la description récente de trois cas de MCJ chez des chasseurs de moins de quarante ans potentiellement en contact avec des animaux de ces régions a alerté le CDC (Control Disease Center) d’Atlanta, chargé de surveiller toute maladie émergente dans le monde, sur le risque de transmission à l’homme : pour le moment, aucun lien de cause à effet n’a été établi ; toutefois, par précaution pour la sécurité de la transfusion sanguine, les chasseurs de cette zone pourraient être exclus du don du sang 12. À quoi ser vent les modèles de labora t o i re ? La souris, le modèle par excellence La souris est l’animal le plus fréquemment sensible aux maladies naturelles et constitue le modèle de référence : modèle pour la détection des agents infectieux, leur quantification et l’étude de leurs propriétés, et modèle pour étudier le déroulement de la maladie. Les laboratoires travaillent avec des souches syngéniques* (de souris, des animaux pos- 29 L E S E N C É P H A L O PAT H I E S S P O N G I FO R M E S 30 sédant le même patrimoine génétique issus de lignées obtenues par des croisements successifs contrôlés, afin de limiter au maximum les variabilités inter-individuelles. Maîtriser la maladie. Face à des prions dont la nature exacte n’est toujours pas connue, qui demeurent invisibles au microscope et qui ne se multiplient pas en tube à essai, l’existence de ce modèle in vivo, très facilement reproductible, est depuis des années l’outil le plus fiable pour la recherche. À titre d’exemple, le mode de réponse classique 13 d’une souris à la suite d’une inoculation directe dans le cerveau (la voie de contamination la plus efficace) est le suivant : durant cinq mois, il semble ne rien se passer, puis, en quelques jours, tous les animaux commencent à présenter des signes cliniques (troubles de l’équilibre, démarche anormale) qui s’aggravent et qui en un mois évoluent inexorablement vers la mort. Il s’agit donc d’une horloge biologique d’une précision stupéfiante puisqu’il est possible, au moment de la contamination, de prévoir à quelques jours près le décès qui surviendra six mois plus tard. Lors d’une contamination par voie orale, ces agents sont retrouvés tout d’abord au niveau des plaques de Peyer de l’intestin grêle (premières formations lymphoïdes qui constituent la première ligne de défense du système immunitaire) au moment du passage de la barrière intestinale. Ils diffusent ensuite par voie lymphatique et sanguine à tous les tissus lymphoïdes (ganglions lymphatiques, amygdales, rate), dans lesquels ils se multiplient avant d’envahir le système nerveux à partir des différentes terminaisons nerveuses au contact des tissus contaminés. La propagation le long des nerfs se fait dans les deux sens : par conséquent, en fin de maladie, l’ensemble du système nerveux central et périphé- À Q U O I S E R V E NT L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ? rique est contaminé, quelle que soit la voie d’inoculation initiale. C’est toujours au niveau du système nerveux central que la quantité la plus importante d’agents infectieux est retrouvée, ce qui, en raison du poids du cerveau et de la moelle épinière, représente en valeur absolue la majorité (plus de 95 %) de l’infectiosité retrouvée chez l’animal. Déterminer la quantité d’agents infectieux. En pratique, ce modèle permet de déterminer les titres infectieux, c’est-àdire de mesurer la quantité d’agents infectieux présents. Plus la dose infectante est faible, plus la durée d’incubation de la maladie est longue : ainsi, dans ce modèle de laboratoire, les souris contaminées avec un broyat de cerveau infectieux dilué à 1 % (soit 0,2 mg pour 20 µl injectés, c’està-dire 20 millionièmes de litre) meurent toutes à quelques jours près en 180 jours, tandis que les souris qui ont reçu une dose 1 million de fois plus faible meurent entre 320 et 400 jours après l’injection, voire survivent parfois. Classiquement, la quantité d’agents infectieux présents dans un gramme de cerveau est suffisante pour tuer entre 1 million et 1 milliard de souris. Pourtant, nos techniques les plus modernes n’ont toujours pas réussi à visualiser le moindre microorganisme infectieux. Une classification des tissus et des organes a été proposée à partir de la quantification des agents infectieux chez le mouton atteint de tremblante, qui est à la base des mesures de précaution pour l’exclusion des organes à risque : schématiquement, le tissu le plus infectieux chez le mouton est le système nerveux central (cerveau et moelle épinière – à ne pas confondre avec la moelle osseuse, lieu de formation des cellules sanguines, qui n’a strictement aucun rapport et est considérée comme à risque très faible ou nul); viennent ensuite (avec un facteur de réduction 31 L E S E N C É P H A L O PA T H I E S S P O N G I FO R M E S 32 d’environ 30 à 100 fois) les organes et tissus lymphoïdes (ganglions lymphatiques, rate, amygdales, plaques de Peyer, appendice et, de façon plus générale, intestin, placenta). Sont considérés comme sans infectiosité détectable le muscle, le lait, l’urine, la peau et les poils. Il faut cependant tenir compte des limites du système : le volume inoculé à la souris par voie intracérébrale ne peut guère dépasser 20 microlitres, soit 2 mg de tissu testé s’il est broyé à 10 %. Cela implique que la même quantité d’agent qui rendrait malade une souris si elle était concentrée dans 2 mg de tissu serait indétectable si elle était diluée dans 2 grammes. Toutefois, le fait de ne pas détecter l’agent infectieux ne revient pas à certifier qu’il n’y en a pas dans l’échantillon ; cela signifie seulement que sa concentration est insuffisante dans les 2 mg testés. Ces possibilités d’évaluer la présence de prions ont également permis de déterminer l’efficacité relative des différentes voies d’infection : comme on pouvait s’y attendre, la voie la plus efficace est la contamination directe dans le cerveau. Viennent ensuite la voie intraveineuse, considérée comme 10 fois moins efficace, puis la voie intrapéritonéale (injection à travers la paroi abdominale), environ 400 fois moins efficace : pour ces deux voies de contamination, respectivement 90 et 99,7 % des prions injectés sont éliminés, voire détruits, notamment par les macrophages*, avant d’avoir atteint leur cible, c’est-à-dire les cellules dans lesquelles ils peuvent se multiplier avant d’envahir le système nerveux central. Le phénomène est encore plus marqué pour la voie orale, qui est considérée comme 100000 fois moins efficace que la voie intracérébrale — l’immense majorité du produit ingéré ne traverse même pas la barrière intestinale. Il n’existe aucun passage À Q U O I S E R V E N T L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ? à travers la peau saine. En revanche, sur peau lésée (scarification) ou par voie sous-cutanée, la transmission est relativement efficace — 50 fois moins cependant que par la voie intracérébrale. Quant à la traversée de la muqueuse conjonctivale, elle se révèle seulement 5 fois moins efficace que la voie intracérébrale. Il ne s’agit toutefois que d’ordres de grandeur observés dans un modèle expérimental particulier 14. Ces données changent en fonction du type de souris testé et de la souche de prion. Mettre en évidence les différentes souches de prions. Ce que l’on appelle souche en biologie est « l’ensemble des individus issus des repiquages successifs d’une colonie microbienne ». Une souche de prion résulte de la transmission d’une maladie à prions à plusieurs hôtes successifs : en pratique, on effectue des « passages » chez la souris, et lorsque l’animal développe la maladie son cerveau est récupéré et réutilisé pour inoculer un nouvel animal, ce qui permet de « stabiliser » les souches, de leur conférer des propriétés constantes au cours des passages ultérieurs. Ces propriétés caractéristiques d’une souche sont notamment la période d’incubation pour un type donné de souris (animaux syngéniques) et la répartition des lésions histologiques (lésions tissulaires visibles en microscopie) dans les différentes régions du cerveau — ce que les spécialistes appellent le « profil lésionnel » et certains journalistes « la signature lésionnelle chez la souris ». Plus de 20 souches différentes ont ainsi pu être isolées dans le modèle expérimental de la souris, principalement des souches de tremblante du mouton, mais également d’autres ESST animales et humaines. Il est à noter que certaines souches de tremblante et surtout de MCJ n’ont jamais pu être transmises à des rongeurs. La stabilité des 33 L E S E N C É P H A L O PAT H I E S S P O N G I FO R M E S 34 souches est variable : il est possible, pour les plus stables d’entre elles, de garder ces propriétés même en changeant d’espèce (passage souris-hamster-souris, par exemple), alors que pour d’autres cela aboutit à la sélection de variants aux propriétés différentes. Il est également possible de les mélanger, d’effectuer plusieurs passages successifs chez l’animal (ce qui implique plusieurs années) pendant lesquels seule la souche dominante est visible, avant d’isoler à nouveau chacune des souches de départ. Dès 1975, les expériences d’Alan Dickinson ont fait apparaître la possibilité de porteurs sains : certaines souches peuvent se multiplier dans les organes lymphoïdes sans jamais provoquer de maladie (absence de neuro-invasion) du vivant de l’animal. Cette notion de porteur sain a été redémontrée récemment entre souris et hamster par l’équipe de Bruce Chesebro dans le Montana (États-Unis), puis par celle de John Collinge à Londres : une souche de prion de hamster peut se multiplier faiblement chez la souris sans provoquer le moindre signe pathologique et recontaminer ensuite l’espèce d’origine 15. A) La barrière d’espèce est déterminée par la PrP de l’hôte (qui s’accumule sous forme de PrP res en cas de transmission) : une souche d’ATNC de souris qui ne se transmet pas au hamster peut être transmise à une souris transgénique qui possède à la fois la PrP de hamster et de souris, mais ensuite elle ne sera transmissible qu’à la souris (a-1) ; à l’inverse, une souche de hamster ne pourra pas être transmise à la souris, même après un passage chez une souris transgénique (a-2). B) Certaines souches peuvent être transmises à d’autres espèces mais des variants avec des propriétés différentes sont alors sélectionnés (b : ici la souche 22C de la souris devient la souche 22H après passage chez le hamster). C) Certaines souches particulièrement stables conservent toutes leurs caractétistiques après leur transmission à d’autres espèces (c : ici la souche d’encéphalopathie spongiforme bovine). À Q U O I S ER V E NT L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ? L E S E N C É P H A L O PA T H I E S S P O N G I FO R M E S 36 Ce qui pourrait poser des problèmes de santé publique importants en cas de persistance d’un agent pathogène dans une population animale ou humaine. Enfin, ces souches ont également des propriétés de résistance variables aux procédés de décontamination et certaines d’entre elles sont particulièrement résistantes aux traitements thermiques. Contrôler le terrain génétique. La puissance du modèle murin (souris) tient beaucoup au fait que l’on maîtrise le patrimoine génétique de cet animal de laboratoire : les chercheurs peuvent travailler soit sur des animaux syngéniques, lorsqu’ils ne veulent étudier que les variations liées aux différentes souches de prion, soit sur des animaux ne différant que par un nombre limité de gènes, voire par un seul, afin d’apprécier l’influence du patrimoine génétique sur l’apparition et l’évolution de la maladie. Le modèle de la souris a notamment permis de mettre en évidence le principal gène responsable de la susceptibilité à ces maladies (ESST), baptisé initialement SINC (pour Scrapie INCubation period ), et qui s’est finalement révélé être le gène codant pour la protéine du prion (PrP), une protéine normale, qui n’est ni virale ni bactérienne, mais constitutive de l’hôte puisque présente chez tous les mammifères (voir p. 41). Enfin, les manipulations génétiques permettant d’obtenir des animaux transgéniques* exprimant, avec des taux très élevés, la protéine du prion de souris (ou d’autres espèces) ou au contraire ne l’exprimant plus sont à l’origine des plus importants progrès accomplis pour la compréhension du rôle de cette protéine. Le hamster Le hamster doré offre l’avantage de développer la maladie 2 fois plus rapidement que la souris (en moins de trois À Q U O I S E R V E N T L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ? mois) avec une souche expérimentale particulière de tremblante 16 qui accumule une quantité d’agents infectieux 10 fois supérieure à celle de la souris. Ce modèle a été très utilisé pour évaluer les différentes propriétés physicochimiques des prions et a permis en 1982 la première purification de la protéine du prion réalisée par Stanley Prusiner. Le chat L’agent de la MCJ est transmissible au chat par voie intracérébrale (transmission dans environ un tiers des cas), contrairement à l’agent du kuru ou de la tremblante. Sa durée d’incubation est de deux à cinq ans, la maladie dure de un à cinq mois et se manifeste par une absence de toilettage, de la nervosité, une fixité du regard et souvent des tremblements. Des dysfonctionnements très importants du sommeil, avec perte du sommeil paradoxal et apparition d’états de mort apparente (catalepsie), sont observés chez plus de la moitié des animaux. Ces anomalies sont proches de ce qui est décrit chez l’homme dans l’insomnie fatale familiale. Le singe Les premières transmissions expérimentales chez le singe, en l’occurrence le chimpanzé, ont été réalisées en 1966 pour le kuru et en 1968 pour la MCJ, avec une incubation qui varie de un à six ans. D’autres modèles de primates, comme le saïmiri ou le macaque, offrent l’avantage de se reproduire facilement et de développer les maladies généralement plus vite. Le macaque est ainsi sensible, après inoculation par voie intracérébrale, à la MCJ, au kuru, à la tremblante, à l’encéphalopathie du vison et surtout à l’ESB, maladie pour laquelle il constitue le modèle particulièrement proche de l’homme. 37 N I V I RU S N I B AC T É R I E Le prion, un agent infectieux d’un troisième type 38 Ni virus ni bactérie, une nouve l l e f o rme d’agent infectieux La nature exacte de l’agent transmissible non conventionnel* (ATNC) qui serait responsable des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) n’est pas encore totalement élucidée et alimente diverses hypothèses, dont celle du prion. Parvenir à l’hypothèse, tout à fait révolutionnaire, que cet agent infectieux peut être une protéine a demandé beaucoup d’acharnement à quelques biologistes que l’on pourrait qualifier de « non conventionnels ». En 1966, un biologiste londonien, Tikvah Alper, découvre que les ultraviolets qui détruisent les acides nucléiques, à la base des formes les plus élémentaires de la vie, y compris des virus, sont sans action sur l’agent responsable de la tremblante du mouton. De ce fait, l’agent infectieux ne semble pas contenir d’acide nucléique* (ADN* ou ARN*) dans sa structure et serait donc une protéine. L’année suivante, à Londres, un mathématicien digne de Jules Verne, John S. Griffith, précise que l’agent infectieux de la tremblante doit être, d’après ses modélisations, une protéine dont la structure dans l’espace est altérée et qui doit se multiplier par auto-association. En France, Raymond Latarget, de l’Institut du radium (aujourd’hui Institut Curie), confirme en 1970 par des essais d’inactivation la nature apparemment purement protéique de cet étrange agent cellulaire infectieux. Le neurobiologiste californien Stanley Prusiner reprend toutes ces données et démontre que ces ATNC, qui sont insensibles aux agents physiques (chaleur, rayonnements ionisants…) et chimiques (acides minéraux forts, aldéhydes* de type formol), résistent en pratique à tous les procédés qui dégradent les acides nucléiques, tandis qu’ils sont sensibles à ceux qui détruisent les protéines 17. Depuis ces travaux fondamentaux (1982), Prusiner défend l’hypothèse selon laquelle l’agent infectieux des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) est une protéine infectieuse, à laquelle il a donné le nom de « prion », acronyme anglais anagramme de « particules protéiques infectieuses ». Cette hypothèse est particulièrement osée, car tous les agents infectieux connus à cette époque possèdent une information génétique capable de s’exprimer et de se multiplier dans un organisme vivant, comme le font les bactéries, les parasites ou les virus. Classiquement, il est admis que les protéines ne sont pas le support d’une information génétique, mais résultent au contraire de son expression ; de ce fait, dans son 39 L E P R I O N , U N AG E NT I N F E CT I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E 40 hypothèse initiale, Prusiner propose que le prion pathogène soit une protéine étrangère à l’hôte qui utiliserait la machinerie cellulaire de cet organisme pour se multiplier 18. Comme il fallait s’y attendre, cette hypothèse très provocatrice fut accueillie avec un grand scepticisme par la communauté des microbiologistes, sans qu’ils puissent cependant démontrer son inexactitude. Dès 1984, une protéine retrouvée dans des extraits semi-purifiés de cerveau de hamsters infectés par une souche de tremblante expérimentale fut partiellement purifiée et baptisée « protéine du prion », puis séquencée (détermination de sa constitution en acides aminés et de leur ordre, c’est-à-dire de leur séquence). Ce petit morceau de séquence a permis de construire des sondes nucléiques et d’aller rechercher l’ensemble du gène responsable de la synthèse de cette protéine. À la surprise générale fut rapidement identifiée, dès 1985, par deux équipes (celles de Charles Weismann en Suisse et de Bruce Chesebro aux États-Unis) une séquence génétique correspondant à une protéine cellulaire : la protéine du prion normale (PrPc), localisée à la surface des cellules nerveuses saines. Chez les animaux malades, cette protéine existe à la fois sous une forme normale, présente chez tous les animaux sains, la PrPc, et sous une forme anormale, pathologique, appelée PrPsc (pour scrapie) ou PrPres (pour résistante), qui n’est pas dégradée par les protéases* (enzymes détruisant les protéines) et qui, de ce fait, va s’accumuler dans le cerveau, entraînant l’encéphalopathie spongiforme. Loin d’infirmer l’hypothèse du prion, cette approche a permis de la réorienter. Le concept de protéine étrangère à l’hôte a ainsi été remplacé par un modèle s’appuyant sur la transformation de LA PROTÉINE DU PRION la structure normale de la protéine du prion, elle-même naturellement synthétisée dans les neurones*. Afin d’éviter toute confusion sémantique, il convient de distinguer la protéine du prion, protéine normale présente chez tous les mammifères, du prion lui-même, l’agent infectieux responsable de l’ESB. La protéine du prion, une protéine présente chez tous les mammifère s L’hypothèse émise en 1982 par Stanley Prusiner, selon laquelle le prion est une protéine exempte d’acides nucléiques, est celle qui, aujourd’hui, a la faveur de la majorité des scientifiques. Le groupe de Prusiner a été le premier à mettre en évidence que la protéine normale du prion (PrPc), omniprésente dans le système nerveux des animaux sains, et sa forme anormale (PrPres), isolée d’animaux atteints d’encéphalopathie spongiforme, correspondaient à une même protéine. Les deux formes ne diffèrent que par un changement conformationnel*, c’est-à-dire une différence de structure dans l’espace. Ce changement de structure modifie profondément leurs propriétés respectives. Ainsi, la protéine normale (PrPc) est soluble dans l’eau, tandis que la protéine modifiée et pathogène (PrPres) est insoluble, même en présence de détergents connus pour solubiliser beaucoup de produits. La structure primaire* de la protéine, c’est-à-dire l’ordre dans lequel se trouvent les différents acides aminés 19 qui la constituent, est connue depuis 1986. Il s’agit d’une petite protéine de 253 acides aminés chez l’homme ; la 41 L E P R I O N, UN AG E N T I N F E C T I E UX D ’ U N T R O I S I È M E T Y P E 42 synthèse de la PrPc est programmée au niveau de l’ADN par un gène unique (nommé PRNP) et localisé sur le chromosome* 20. Cette protéine, présente à des taux variables selon les cellules, est localisée sur la membrane externe de la cellule. Elle est principalement présente dans les neurones et, à des concentrations beaucoup plus faibles, dans les cellules gliales*, les cellules nourricières du système nerveux central, et dans certaines cellules du système immunitaire. La PrPc est synthétisée en quelques minutes dans les cellules, mais elle est ensuite dégradée par les protéases (enzymes chargées notamment de la destruction des protéines en fin de vie) : sa durée de vie est de trois à six heures tandis que celle de la PrPres est environ 8 fois plus longue (plus de vingt-quatre heures). Le cycle de la forme normale de la protéine du prion semble être le suivant : 1. synthèse dans les mini-usines à fabriquer les protéines que sont les ribosomes (l’information génétique portée par l’ADN du noyau* est transférée sur des molécules intermédiaires, les ARN messagers, qui sont traduites en protéines au niveau des unités spécialisées constituées par les ribosomes). 2. migration jusqu’à la membrane cellulaire à laquelle la protéine est fixée par une chaîne glycolipidique (localisation sur la face externe de la membrane) 3. réintroduction à l’intérieur de la cellule par un processus dit d’endocytose 4. destruction finale dans les lysosomes (petits sacs remplis d’enzymes chargées de dégrader les protéines). La synthèse de la PrP normale ne semble pas varier au cours de la maladie. En revanche, des expériences d’interruption du cycle de la PrP ont montré qu’en l’absence de réintroduction de la PrP dans la cellule la formation U N C H A NG E M E N T D E S T R U C T U RE de PrPres est bloquée. Ce type d’expérience suggère non seulement que la PrPres dérive de la PrP normale mais qu’en plus elle provient d’une anomalie au niveau de son mécanisme naturel de destruction, c’est-à-dire de son catabolisme. Le rôle de la PrP normale est inconnu. En raison de ses propriétés de fixation du cuivre, on a pensé qu’elle pouvait avoir un rôle dans la biotransformation et le stockage de cet oligoélément (élément à l’état de trace indispensable à la vie) ainsi qu’un rôle indirect de protection contre la fonction délétère des radicaux libres 20. Enfin, la localisation de la PrP à la surface des cellules suggère un rôle de récepteur. Ainsi, elle interagit avec une cible particulière, le récepteur à la laminine, protéine capitale du tapis protéique liant la membrane cellulaire aux structures externes : cela suggère un rôle de la PrP dans le processus d’adhérence cellulaire, notamment au niveau de la croissance des neurones 21 qui émettent des prolongements pour se connecter à d’autres cellules. Qui plus est, une équipe française 22 a récemment mis en évidence que la fixation d’une molécule sur la PrP entraîne l’envoi d’un signal à l’intérieur de la cellule. Un changement de stru c tu re qui bouleve rse ses propri é t e s Les deux formes que peut prendre la protéine du prion, la forme normale (PrPc) et la forme anormale (PrPres), qui est considérée comme infectieuse dans l’hypothèse du prion, possèdent une composition identique en acides aminés, qui sont rangés dans le même ordre, c’est-à-dire 43 L E P R I O N , U N AG E NT I N F EC T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E 44 que ces deux formes de la PrP ont la même structure primaire. Il existe fondamentalement 20 acides aminés différents qui peuvent se succéder en ligne droite sous forme d’une chaîne protéique, ce qui constitue, en raison de la longueur (habituellement plus de 100, et parfois plusieurs milliers d’acides aminés), une diversité pratiquement illimitée d’enchaînements possibles. En fonction de l’ordre dans lequel se suivent ces différents acides aminés, chaque chaîne protéique peut se replier de manière bien déterminée et adopter ainsi une structure secondaire* (qui concerne la conformation, c’est-à-dire l’organisation dans l’espace des acides aminés voisins sur la chaîne). Parmi ces structures secondaires, on distingue les hélices alpha, qui correspondent à une spirale cylindrique torsadée expliquant par exemple le caractère étirable de la laine (constituée de protéines), et les feuillets plissés bêta*, qui correspondent à une conformation plissée en accordéon expliquant par exemple la grande résistance à la traction de la soie (constituée d’un autre type de protéines). Les protéines présentent enfin une structure tertiaire* qui correspond à la conformation de l’ensemble de la protéine (par exemple, protéine fibreuse, comme le collagène ou la kératine de la peau, ou protéine globulaire, comme la plupart des protéines cellulaires ou l’albumine du sang) et une structure quaternaire lorsqu’elles sont composées de plusieurs sous-unités protéiques. Les deux formes de la PrP se différencient par leur structure secondaire, que l’on peut mettre en évidence par des techniques dites d’analyse structurale. Ainsi, parmi ces méthodes spectrales, la spectroscopie RMN (résonance magnétique nucléaire) est pour le moment la seule technique capable de déterminer la structure tridimension- L E PR I O N R É S I S T E - T -I L À TO U T ? nelle de la protéine du prion : c’est le groupe de Kurt Wüthrich 23, à Zurich, qui a pu établir par modélisation la structure tridimensionnelle de la protéine normale du prion (PrPc), d’abord chez la souris, ensuite chez l’homme, le hamster et le bovin. Lors de sa transformation en PrPres, sa forme anormale, la protéine du prion acquiert une structure majoritairement en feuillets bêta au niveau de sa partie globulaire (environ 43 % de la protéine), contre 3 % chez la protéine normale, qui a majoritairement une structure en hélice alpha*. C’est l’acquisition de cette structure en feuillet bêta qui donne à la PrPres ses propriétés d’insolubilité, d’agrégabilité et de résistance à la dégradation. Ainsi, la PrPres va pouvoir s’accumuler à l’intérieur des cellules, en particulier dans les lysosomes (normalement chargés de détruire les protéines en fin de vie), et devenir toxique pour les neurones. En tube à essai, en présence de détergents et de protéases, la PrPres se condense sous forme de fibrilles caractéristiques appelées SAF (Scrapie Associated Fibrils). In vivo, des dépôts sont retrouvés au niveau du cerveau, sous forme de plaques amyloïdes et parfois de fibrilles, comme on l’observe classiquement avec d’autres protéines dans des maladies dégénératives neuronales telles que la maladie d’Alzheimer. Le prion résiste-t-il à tout ? Contrairement aux protéines classiques (par exemple, l’albumine), la structure particulière de la PrPres lui confère une résistance exceptionnelle à la majorité des techniques utilisées habituellement pour détruire ces macromolécules* : traitements thermiques (coagulation), 45 L E P R I O N , U N AG E NT I N F E CT I EU X D ’ U N T R O I S I È M E T Y P E 46 chimiques et enzymatiques. Cela va permettre de différencier les prions des classiques agents infectieux, comme les bactéries ou les virus. Ainsi la stabilité des prions à la chaleur (thermostabilité) est-elle tout à fait remarquable en milieu sec : 160° C durant vingt-quatre heures et même 360° C pendant une heure en atmosphère sèche ne suffisent pas à les inactiver totalement! De même, ils résistent partiellement en milieu humide aux températures habituellement utilisées, comme l’ébullition ou un autoclavage à 121° C durant une heure (traitement sous pression de vapeur à 2 bars)! Seule la chaleur humide à haute température permet de les inactiver à des niveaux compatibles avec les exigences de la santé publique : l’OMS (Organisation mondiale de la santé) recommande un autoclavage à 133° C durant dix-huit minutes sous 3 bars de pression. Cependant, selon les souches de prion, on observe des variations importantes de sensibilité à l’autoclavage, ce qui complique la mise en place de normes de sécurité. De plus, tous les traitements préalables qui aboutissent à une fixation ou à un tannage des protéines (formol, éthanol, voire un simple séchage) protègent de l’action de l’autoclavage. Les conditions précédemment décrites pour inactiver l’agent de l’encéphalopathie spongiforme bovine sont insuffisantes si le prélèvement a séché sur les parois du tube et, pour les mêmes raisons, une température de 138° C semble moins efficace que 133° C (la température de la machine dessécherait l’échantillon avant que la vapeur n’ait eu le temps de l’hydrater). À l’inverse, toutes les opérations qui permettent une hydratation (incorporation d’eau), voire une saponification (transformation en savon en milieu alcalin), de l’échantillon avant l’action de L E P R I O N R É S I S T E - T -I L À TO U T ? la chaleur sont efficaces : ainsi, un prétraitement à la soude*, même diluée à 0,1 N (le dixième d’une solution normale, qui contient 40 g/l d’hydroxyde de sodium), rend un autoclavage à 121° C totalement efficace. Les rayonnements ionisants sont peu efficaces sur les prions : les doses utilisées classiquement en stérilisation (25 kGy) sont sans effet. Les rayonnements non ionisants, comme les ultraviolets, mais aussi les ultrasons, sont tout aussi inefficaces. Les réactifs chimiques, qui généralement dégradent les protéines, sont inefficaces : notamment les aldéhydes*, tels le formaldéhyde (le formol classiquement utilisé à l’hôpital pour décontaminer) ou le glutaraldéhyde. De même, l’alcool (éthanol), l’oxyde d’éthylène, le sel d’ammonium quaternaire et, en général, les détergents sont totalement inactifs sur les prions – à l’exception du dodécyl sulfate de sodium, à chaud et dans certaines conditions. Fait impressionnant, plusieurs agents oxydants puissants, comme le permanganate de potassium en solution concentrée, l’eau oxygénée ou l’ozone, connus pour leur fort pouvoir destructeur de la matière vivante, sont inactifs sur les prions. Les prions sont peu sensibles aux milieux acides, notamment celui de l’estomac (son pH se situe vers 1,5 — 2), et seuls des pH très élevés, c’est-à-dire très alcalins, ont une action efficace : les bases minérales fortes, comme la soude en concentration molaire (solution 1 N), sont considérées comme détruisant correctement les prions si le temps de contact est suffisant : au moins une heure à température ambiante. Cependant, une résistance a été rapportée avec certaines souches de MCJ et de tremblante, et ce traitement n’est pas efficace sur d’autres agents infectieux, notamment les spores (microbiennes). 47 L E P R I O N , U N AG E NT I N F E CT I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E Le traitement chimique le plus efficace est l’eau de javel concentrée (hypochlorite de sodium) à 20 000 ppm (ce qui correspond à une solution commerciale à 6 degrés chlorométriques) pendant une heure. Les mutations génétiques dans les maladies à pri o n s 48 Il est désormais parfaitement établi chez tous les mammifères touchés que le gène codant pour la PrP joue un rôle essentiel dans les maladies à prions. Ce gène avait en fait été déterminé dès les années 70 par l’équipe d’Alan Dickinson, à Edimbourg, grâce à des expériences classiques de génétique en croisant des souris : un gène majeur alors baptisé SINC (pour Scrapie INCubation period ) et identifié comme le principal responsable de la susceptibilité des animaux à l’infection. Il a été redécouvert une deuxième fois de manière plus précise à la suite des travaux de Stanley Prusiner, par des expériences de biologie moléculaire qui confirment qu’il s’agit bien du gène codant pour la PrP. Les animaux qui hyperexpriment ce gène (souris transgéniques) sont très sensibles et développent la maladie après une période d’incubation courte. Par ailleurs, la PrP, même normale (PrPc), peut se révéler toxique lorsqu’elle est fortement exprimée : certains animaux qui synthétisent des taux de PrP supérieurs à 10 fois la normale développent spontanément une encéphalopathie spongiforme et des atteintes musculaires. Il n’y a toutefois pas d’accumulation de PrP anormale et la transmissibilité à l’animal sain reste douteuse – ce qui signifie que les mêmes désordres cérébraux peuvent être L E S M U TA T I O N S G É N É T I Q U E S entraînés par un taux très élevé de cette protéine, lié à une surproduction de sa forme normale (PrPc) ou à un défaut de destruction de sa forme anormale (PrPres). À l’inverse, des souris qui expriment peu cette protéine (gène fonctionnel sur un seul chromosome) développent la maladie beaucoup plus tardivement et survivent très longtemps après l’apparition des premiers signes cliniques (quatorze mois contre un mois pour les souris saines). Enfin, des souris chez lesquelles ce gène n’est pas du tout fonctionnel et qui ne synthétisent donc pas de PrPc sont complètement insensibles aux maladies à prions. Par ailleurs, le gène qui code pour la PrP gouverne également la barrière d’espèce qui protège contre l’infection par un ATNC d’une autre espèce. La preuve en a été brillamment apportée par des expériences de transgénèse : des souris modifiées génétiquement et exprimant la PrP de hamster en plus de la PrP de souris deviennent sensibles à des ATNC de hamster. Elles accumulent alors de la PrPres de hamster et non de souris. Leur cerveau devient, par conséquent, infectieux pour des hamsters et pas pour des souris normales. Chez le mouton, sur la base d’études génétiques, cette susceptibilité a également été retrouvée en association avec un gène d’abord baptisé SIP et qui par la suite s’est révélé être le gène codant pour la PrP. Des essais de sélection génétique de moutons résistants sont en cours au Royaume-Uni. Il faut toutefois rappeler que des expériences anciennes avaient montré que ces moutons résistants pouvaient être sensibles à une souche inhabituelle de tremblante 24, ce qui pouvait faire craindre l’émergence de nouvelles souches de tremblante adaptées aux moutons ainsi sélectionnés. 49 L E P R I O N , U N AG E NT I N F EC T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E 50 Chez l’homme, toutes les formes familiales de ces maladies correspondent à des mutations de ce gène, lesquelles se retrouvent dans des zones particulières de la protéine. Des expériences in vitro ont permis de montrer que la présence de ces mutations favorisait l’agrégation de la protéine (sous forme de fibrilles amyloïdes insolubles) qui résiste ainsi à la dégradation par les enzymes cellulaires . Ainsi, tous les patients qui développent une forme familiale de MCJ possèdent en fait une PrP qui a naturellement tendance à s’agréger plus facilement que celle de la population normale. Au cours des maladies à prions, la PrPres s’accumule habituellement dans les zones du cerveau qui présenteront ultérieurement des lésions histologiques responsables des signes cliniques observés. La majeure partie de la communauté scientifique considère l’accumulation de la PrP anormale (PrPres) comme l’élément responsable de la destruction du système nerveux au cours de ces maladies. En effet, cette protéine, en résistant aux mécanismes normaux de destruction des protéines (catabolisme), s’accumule et devient toxique pour les neurones. Toutefois, les mécanismes de neurodégénérescence pourraient se révéler plus complexes puisque deux études au moins 25, 26 ont rapporté clairement une dissociation entre l’accumulation de PrP anormale, les signes anatomopathologiques et l’apparition des signes cliniques : les lésions de spongiose (les vacuoles* associées à la dégénérescence de certains neurones) et de gliose (la réaction des cellules nourricières du cerveau en cas d’agression) seraient effectivement liées à la PrP pathologique, tandis que la mort neuronale, responsable des signes cliniques, aurait une P R IO N , V I R I N O E T A U T R E S H Y P O T H È S E S autre cause, potentiellement liée à la multiplication des agents responsables de ces maladies. P rion, virino et autres hypoth è s e s En pratique, personne ne connaît la nature réelle de ces agents hors du commun. L’hypothèse du prion a l’avantage de la simplicité : sous sa forme anormale, la protéine du prion est infectieuse et constitue à elle seule l’agent responsable de ces maladies. Cependant, même si cette vision emporte aujourd’hui la majorité des suffrages scientifiques et qu’elle a valu, en 1997, un prix Nobel à son promoteur, Stanley Prusiner, elle n’en demeure pas moins hypothétique, et à chacun des arguments en sa faveur un contre-argument peut être développé (voir tableau p. 54). La multiplicité des formes de maladies, toutes transmissibles de façon reproductible avec des caractéristiques spécifiques, constitue sans doute l’aspect le plus troublant et révélant qu’il manque un élément dans notre compréhension de ces agents. Ainsi, la mise en évidence de plusieurs souches d’ATNC (agents transmissibles non conventionnels) chez un même hôte implique l’existence d’une information spécifique de souche transmissible indépendamment de l’hôte, et donc notamment de sa protéine du prion. Il convient de rappeler que, lors de la contamination d’une souris avec les agents responsables des différentes formes de maladies animales ou humaines, la protéine anormale qui s’accumule provient de l’hôte et non de l’extrait de cerveau animal ou humain infecté qu’on injecte pour 51 L E P R I O N, UN AG E N T I N F E C T I E UX D ’ U N T R O I S I È M E T Y P E 52 contaminer la souris. L’idée d’un virus était initialement la plus logique, d’autant que les ATNC traversent des filtres qui retiennent tous les microorganismes plus gros que les virus. Cependant, malgré la quantité très importante d’agents infectieux (pouvant dépasser 10 milliards d’unités par gramme de cerveau), aucune structure évocatrice d’un microorganisme, et notamment d’un virus, n’était visible avec les microscopes les plus performants. De plus, il n’existait aucune réponse immunitaire, comme si ces agents étaient invisibles pour les défenses de l’hôte. L’hypothèse du virino. Développée par le groupe d’Alan Dickinson, à Edimbourg, à la fin des années 70, elle imagine l’existence d’une structure hybride comprenant un très petit acide nucléique infectieux nu (comme les viroïdes des plantes) qui ne coderait pour aucune protéine virale susceptible d’être reconnue par le système immunitaire. Ce petit acide nucléique serait en revanche capable de se lier intimement à des protéines de l’hôte, en l’occurrence à la PrPc, qu’il transforme en PrPres (résistante à la dégradation), laquelle le protégerait alors en formant une sorte de coque. Dans cette hypothèse, les ATNC correspondraient bien en réalité à un acide nucléique protégé par la PrP anormale de l’hôte, particulièrement résistante et inaccessible aux techniques de biologie moléculaire dont on dispose aujourd’hui. Classiquement, la présence de l’agent infectieux est toujours associée à la détection de la PrP normale. Cependant, il a été observé des résultats très curieux lors d’expériences de transmission de l’agent de l’encéphalopathie spongiforme bovine à la souris 26. Après avoir ino P R IO N , V I R I N O E T A U T R E S H Y P O T H È S E S Les principales hypothèses admises : Le prion : la protéine normale (PrP c) se transforme en une protéine anormale (PrP res) et pathogène en présence d’un agent dont la nature est actuellement inconnu. Elle constitue alors un nouvel agent infectieux capable notamment de modifier les protéines normales. Le virino : la structure anormale de la protéine (PrP res) forme une coque résistante protègeant un petit acide nucléique non identifié qui constitue l’agent infectieux véritable. Le virus : l’accumulation de la forme anormale de la PrPc (PrP res), en dépôts amyloïdes dans le cerveau, est une simple conséquence de la multiplication de l’agent infectieux. culé directement dans le cerveau des animaux une forte concentration de broyat de cerveau de bovin au stade terminal de la maladie, toutes les souris ont développé des signes cliniques après plus d’un an d’incubation, alors que plus de la moitié d’entre elles n’avaient pas de PrPres 53 L E PR I O N , U N A G E NT I N F E C T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E P R IO N , V I R I N O E T A U T R E S H Y P O T H È S E S détectable. Ces souris ont eu des périodes d’incubation et des signes neurologiques identiques, mais elles ont présenté soit des quantités indétectables de PrPres, soit des quantités importantes – différence d’au moins un facteur 10000 (seuil de sensibilité de la méthode de détection). Elles ont pourtant toutes développé une ESST parfaitement transmissible. Lors d’une transmission secondaire, de souris à souris, en partant de cerveaux de souris sans PrPres, le même phénomène s’est reproduit de façon spectaculaire : toutes ont développé une ESST, mais certaines sans PrPres (à noter : les transmissions à partir de souris ayant accumulé de la PrPres ont été plus rapides). C’est l’examen histologique qui a apporté la réponse : toutes les souris ont présenté des signes de mort neuronale responsable de la maladie. Mais, à l’examen microscopique, seules les souris possédant de la PrPres ont montré les signes caractéristiques de l’ESB (spongiose et réaction gliale). L’hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer ces résultats est que, dans les conditions que nous avons utilisées, l’agent de l’ESB est suffisamment virulent lors du premier passage pour pouvoir se répliquer sans être protégé par de la PrPres. L’absence de protection serait alors compensée par une multiplication plus efficace. Cependant, au cours des « passages » ultérieurs, on a observé une sélection de variants ayant acquis la propriété de faire accumuler la PrPres ; celle-ci confère alors à ces variants un avantage sélectif, du fait de sa résistance à la dégradation. Ainsi, dans notre analyse, elle semble constituer un facteur de virulence, mais pas l’agent lui-même, ce qui se rapproche de l’hypothèse du virino. 55 L E PR I O N , U N A G E NT I N F E C T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E 56 Les hypothèses virales classiques (viroïde animal, virus classique, rétrovirus, virus amyloïdogénique, c’est-à-dire entraînant l’accumulation de PrPres) supposent qu’un tel virus a pu échapper aux techniques actuelles de biologie moléculaire, ce qui ne peut être exclu. Certaines hypothèses impliquent la PrP res comme constituant de l’agent : celle de la nucléation*, par analogie avec les phénomènes de cristallisation dans le monde de la chimie minérale, est une alternative intéressante à celle du prion, dont elle diffère par la vitesse de formation. Des variantes qui mettent en jeu des molécules chaperonnes* (protéines impliquées dans le repliement correct des protéines) ont aussi été proposées comme modèles pour tenir compte de la vitesse de conversion de la protéine du prion. Une hypothèse unifiée a été proposée par Charles Weissmann 27, avec, en plus de la protéine autoréplicable, un « co-prion » constitué par un acide nucléique et responsable du phénomène de souches. L’hypothèse de la maladie génétique par mutation somatique du gène a été proposée pour expliquer les cas sporadiques de MCJ. Une anomalie membranaire transmissible, comme chez la paramécie (chez qui la greffe d’une membrane étrangère conduit à l’acquisition de nouveaux caractères transmis à la descendance), a également été remise au goût du jour. Les hypothèses bactériennes : elles sont fondées sur des images au microscope évoquant certaines bactéries, particulièrement les spiroplastes, ou sur une possibilité de maladie auto-immune liée à d’autres types de bactéries, les acinetobacter, voire une atteinte des mitochondries*. Ces hypothèses semblent plus nettement se rapprocher d’artefacts, c’est-à-dire d’observations biaisées sans rapport avec le phénomène étudié. L E S P R I O N S DE L EV U R E Dernièrement, un nouveau développement est apparu avec les prions de levure. À la recherche de modèles a n a l o g u e s : les prions de lev u re Cette appellation ne désigne absolument pas un début d’invasion des canettes de bière par l’agent de l’ESB, mais, plus prosaïquement, un phénomène apparenté au mode de multiplication décrit dans l’hypothèse du prion. En effet, d’anciennes observations de transmission d’informations indépendamment du patrimoine génétique avaient été laissées de côté depuis la prééminence de la biologie moléculaire et l’étude des acides nucléiques. La levure Saccharomyces cerevisiae (la fameuse levure de bière) offre notamment un modèle d’hérédité n’obéissant pas aux lois de la génétique classique dite mendélienne. Ainsi, dans des conditions de développement défavorables, avec un manque d’apport d’azote, un phénomène d’adaptation est mis en jeu par la levure : une protéine particulière, baptiséee Ure2p, s’automodifie pour devenir inactive et libérer d’autres gènes qui vont permettre à la levure de croître en utilisant de faibles sources azotées. Ce mécanisme d’automodification, transmissible aux autres protéines Ure2p sans intervention des gènes de l’ADN du noyau (qui sont normalement toujours sollicités, mais impliquent des étapes supplémentaires), permet une réaction beaucoup plus rapide aux changements d’environnement. Par analogie avec le changement de structure de la PrP et l’hypothèse d’une transmission directe d’informations de protéine à protéine, ce phénomène a été 57 L E PR I O N , U N A G E NT I N F E C T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E 58 rebaptisé « phénomène de type prion ». En février 2001, une équipe du CNRS 28 de Gif-sur-Yvette a déterminé la structure de l’Ure2p, ce qui devrait permettre de mieux comprendre le rôle de ce type de protéine. Enfin, chez les champignons filamenteux, un phénomène d’autotransformation de protéine (HET-s) est également observé et constitue un autre exemple d’hérédité indépendante du génome* : ce phénomène, déclenché en cas d’infection virale, empêche le développement de l’infection en provoquant un phénomène de mort cellulaire qui se propage en cercle et isole de la partie contaminée le reste du mycélium du champignon. Ce phénomène de suicide circonscrit s’avère très efficace, car la mise en place du mécanisme de protection est plus rapide que la diffusion du virus. Les champignons filamenteux représentant la plus grande quantité de matière vivante sur un hectare, on pourrait en conclure que des phénomènes d’hérédité indépendante du génome, désormais rebaptisés « de type prion », comptent finalement parmi les mécanismes les plus répandus sur terre. Toutefois, il convient de ne pas oublier que ces modèles dits « analogues », pour intéressants qu’ils soient, correspondent à des adaptations cellulaires et ne sont pas infectieux. En dépit de toutes les analogies possibles, il faut rappeler que les agents responsables des maladies à prions, qu’ils soient uniquement constitués de PrPres, comme dans l’hypothèse du prion, ou possèdent en fait un petit acide nucléique, comme dans l’hypothèse du virino, se comportent comme des agents infectieux et résistent à la plupart des méthodes de décontamination. Maladie de la vache folle et contamination de l’homme L’émergence de la maladie de la vache folle C’est l’extraordinaire résistance des prions qui est à l’origine de l’épidémie qui a touché le cheptel bovin britannique. Il s’agit plus exactement d’une anazootie : la contamination d’un grand nombre d’animaux à partir d’une source commune, l’alimentation. L’origine de la contamination vient des farines de viandes et d’os (FVO) qui étaient employées dans l’alimentation de ces animaux : des suppléments protéiques surtout utilisés afin de nourrir les troupeaux de vaches sélectionnées pour leur production importante de lait. Au début des années 80, une volonté de préserver au maximum la valeur protéique des FVO et de baisser leurs coûts de production a conduit le Royaume-Uni à 59 C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E 60 les fabriquer avec des procédés moins drastiques : diminution de la température de cuisson, suppression de l’hexane, produit utilisé pour extraire les graisses, puis éliminé par chauffage. Dans ces conditions, les prions n’étaient plus suffisamment inactivés pour empêcher une contamination par voie orale des animaux qui recevaient ces farines, et les premiers cas d’ESB ont été diagnostiqués officiellement en 1986. Cela démontre que deux principes théoriquement excellents du point de vue écologique et économique, le recyclage et les économies d’énergie, ne sont pas forcément synonymes de protection de la santé et de l’environnement, ni de rentabilité. Peu après la découverte des premiers cas, les autorités britanniques lancèrent une enquête épidémiologique de grande envergure qui révéla un fait étonnant : dans les îles Anglo-Normandes, l’incidence de l’ESB chez des bovins de même race était totalement différente à Jersey et à Guernesey. Un seul paramètre changeait : le fabricant des aliments préparés à partir de farines de viandes et d’os. Ces aliments pouvaient en effet contenir des carcasses de moutons (pour 15 %) et de bovins, et certains lots semblaient contaminés par des agents transmissibles non conventionnels ou prions. Dès juillet 1988, les autorités britanniques interdirent, sur tout leur territoire, la distribution des farines de viande aux bovins : c’est la première fois que le principe de précaution* fut appliqué à grande échelle. En revanche, l’exportation des farines animales contaminées ne fut pas stoppée; elle continua légalement pendant près d’un an vers les autres pays d’Europe, principalement la France, et fut poursuivie dans le reste du monde. La détection des premiers cas en 1986 marqua le début d’une véritable « flambée épidémique » qui connut son L’ É M E R G E N C E D E L A M A L A DI E D E L A V A C HE F O L L E apogée en 1992, avec plus de 37000 cas recensés officiellement, soit plus de 100 cas par jour. Entre 1986 et 2001, sur un cheptel de 11,5 millions de bovins, plus de 180000 bêtes à cornes ont été touchées par la maladie et en sont mortes, dont plus de 70 % dans le troupeau laitier. Comme les ovins, les bovins, après une longue période d’incubation qui varie de deux à huit ans (en moyenne cinq ans), présentent, dès le début de la maladie, une modification de leur comportement : nervosité, hésitation à entrer en salle de traite, coups de pied lors de la traite et, au pâturage, mise à l’écart du troupeau. Ensuite apparaissent des troubles neurologiques posturaux, locomoteurs et sensitifs : démarche « chaloupée » du train postérieur (évoquant le tangage d’un bateau), posture caractéristique avec les membres postérieurs ramenés sous le corps et la queue relevée. Autre signe caractéristique, l’hypermétrie : l’animal surévalue les distances et fait donc des mouvements inadaptés; il peut ainsi sauter une simple rigole comme s’il s’agissait d’un fossé; c’est cette incapacité à évaluer les distances qui explique l’anxiété de l’animal et toute une série de signes comportementaux. On observe aussi des difficultés à se relever lorsque l’animal est couché et une hyperesthésie : augmentation anormale de la sensibilité, qui concerne aussi bien le bruit, tel un claquement de mains, que la lumière, par exemple, le passage brutal d’une zone sombre à une zone éclairée, ou encore le toucher, avec léchage excessif du mufle et des flancs et des frottements de la tête. Au stade tardif, les signes comportementaux sont complétés par une position anormale des oreilles et des accès de fureur. Les signes neurologiques se manifestent par des tremblements, des grincements de dents, une incoordina- 61 C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E 62 tion des mouvements (ataxie*) des membres postérieurs puis antérieurs, des chutes de plus en plus fréquentes et un décubitus (l’animal reste couché), avec une dégradation de l’état général (perte de poids et réduction de la production laitière). L’évolution s’opère généralement sur une période de un à sept mois : les animaux étaient initialement sacrifiés en raison d’un comportement dangereux, de blessures graves consécutives à des chutes ou en raison d’une dégradation de l’état général due à la station allongée prolongée. Le tableau clinique est souvent incomplet, car seuls certains signes sont présents et des maladies bactériennes (telle la listériose) ou virales (la rage, la maladie d’Aujesky) peuvent donner des symptômes similaires. En pratique, la maladie peut être confondue, principalement au printemps, avec les maladies métaboliques (hypomagnésémie, ou « tétanie des herbages », et forme nerveuse de l’acétose), et jusqu’à 25 % des animaux abattus à cette période de l’année pour suspicion d’ESB au Royaume-Uni étaient en fait indemnes, ce que révéla l’examen histologique. Les lésions histologiques cérébrales sont principalement retrouvées au niveau des noyaux sensitifs et moteurs du nerf vague (zone contenant tous les corps des neurones qui composent ce nerf). Ces noyaux sont situés dans le tronc cérébral, au niveau d’une structure appelée l’obex 29. Le tronc cérébral est situé à la base du cerveau, sous le cervelet, et relie la moelle épinière aux structures cérébrales évoluées. À l’examen microscopique, les vacuoles caractéristiques, et notamment la triade spongiose-astrocytose-mort neuronale, sont parfois difficiles à mettre en évidence et la détection de la PrPres par immunohistochimie* est particulièrement précieuse. Cette technique permet de localiser L’ É M E R G E N C E D E L A M A L A DI E D E L A V A C H E F O L L E 63 au microscope, à l’aide d’anticorps, des dépôts caractéristiques de la forme anormale de la protéine du prion. Les tests rapides (voir plus loin), basés sur la détection de la PrPres, permettent désormais de faire le diagnostic en quelques heures. La confirmation est effectuée avec une C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E 64 L’ É M E R G E N C E D E L A M A L A DI E D E L A V A C H E F O L L E autre technique biochimique telle que le western blot, et cela sur un prélèvement frais ou congelé, ou par analyse histologique sur un prélèvement tissulaire fixé dans le formol. On ignore si le point de départ de la contamination a été constitué par des carcasses de moutons contaminés (1/3 des troupeaux de moutons britanniques pouvait être atteint de tremblante) ou de bovins présentant une forme sporadique inconnue d’ESST. Quoi qu’il en soit, les cadavres d’animaux infectés par l’agent de l’ESB ont été recyclés dans des farines et ont entraîné la contamination de l’ensemble du cheptel bovin britannique. Seule l’Écosse, qui avait conservé les anciens procédés de fabrication des FVO, avec chauffage poussé, a été épargnée jusqu’en 1988. Ces farines étaient fabriquées à partir des restes d’animaux ne pouvant être valorisés à l’abattoir (le cinquième quartier des bouchers). Ainsi, après broyage et cuisson, ces aliments déshydratés étaient réduits en poudre et utilisés comme suppléments protéiques par les fabricants d’aliments pour bétail. L’origine de la contamination est inconnue (mouton, vache,ou autre). Les premiers bovins atteints ont été incorporés dans les FVO et les recyclages successifs ont abouti à une amplification de l’agent infectieux, qui a contaminé au Royaume-Uni plus de 180 000 bovins et de nombreuses autres espèces. 65 Contrairement à la tremblante, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) est transmissible par voie orale à de nombreuses espèces de mammifères et pose des problèmes de santé publique totalement inédits. Dès 1865, l’utilisation des restes animaux comme source de protéine est recommandée dans l’alimentation des porcs et, en 1908, un procédé industriel de fabrication de C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E 66 FVO est décrit dans un ouvrage de O. Kellner, The Scientific Feeding of Animals, publié en Angleterre en 1915. Les FVO sont mentionnées comme utilisables chez les ruminants dès 1926 au Royaume-Uni et, à partir de 1930, différents essais sont rapportés sur le fait qu’elles favorisent l’assimilation des protéines chez les bovins (et même chez des moutons en Australie) et, par conséquent, elles augmentent la qualité de la production laitière. Au moment des restrictions de la Seconde Guerre mondiale, le Royaume-Uni prescrit l’inclusion d’un minimum de 2,5 % de FVO dans la nourriture pour ruminants, proportion augmentée à 5 % pour les veaux. Leur utilisation s’élargit pour permettre aux différents pays de majorer leur production laitière, notamment à la suite de la politique européenne de soutien des cours du lait et de limitation du nombre d’animaux (ce qui favorisait la recherche d’une production maximale par animal). D’après le MAFF (ministère britannique de l’Agriculture), la production annuelle de FVO se situait entre 350 000 et 400000 tonnes en 1988 ; elles étaient employées à 90 % pour les porcs et les volailles et à 10 % pour les ruminants 30. C’est afin d’augmenter la rentabilité que de nombreuses dérives sont apparues : incorporation d’animaux retrouvés morts (des cadavres souvent en putréfaction), voire de boues de stations d’épuration. (La diffusion de l’ESB par l’intermédiaire des farines animales est développée plus loin.) Des cas d’ESST liés à l’agent de l’ESB sont survenus chez différentes antilopes parquées dans des zoos et chez divers carnivores dont le chat (le premier cas de chat développant cette maladie a été diagnostiqué en mai 1990 en Angleterre, et les abats de bovins ont été interdits dans l’ali- U N E N O U V E L L E M A L A D I E D E C R E U T Z F E L D T - J A KO B mentation des animaux de compagnie depuis septembre 1990). L’origine bovine de cette nouvelle maladie féline a été démontrée par caractérisation de la souche chez la souris. À ce jour, près de 90 chats ont officiellement développé cette maladie au Royaume-Uni et 1 en Norvège – nourri avec différents aliments importés – dont seulement 7 nés après l’interdiction officielle des abats. À l’évidence, cette nouvelle souche d’ATNC semblait plus virulente que les souches classiques de tremblante du mouton. L’équipe de l’épidémiologiste Roy Anderson, à Oxford, estime à environ 900000 le nombre de bovins britanniques en phase d’incubation passés avant mars 1996 dans l’alimentation humaine, dont près de 400000 avant l’interdiction, fin 1989, des abats à risque (les matériaux à risques spécifiés, ou MRS), principalement la cervelle et la moelle épinière. Ces tissus n’étaient pas utilisés directement mais pouvaient être incorporés, selon les pays, dans différentes préparations, comme les tourtes à la viande, en tant que liant pour la sauce, les saucisses (certaines pouvaient en contenir jusqu’à 10 %), certains hamburgers, pâtés et plus généralement toutes les préparations à base de viandes séparées mécaniquement (les viandes reconstituées, les raviolis, les couscous, de nombreux plats cuisinés, les sauces à base de viande, etc). Une nouvelle maladie de Cre u t z f e l d t - J a ko b Les premiers cas chez l’homme sont apparus en GrandeBretagne fin 1994, et 10 cas avérés d’une nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été répertoriés en 67 C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E 68 mars 1996. Tous ces cas se caractérisaient en premier lieu par un âge anormalement jeune (29 ans en moyenne), alors que toutes les enquêtes épidémiologiques avaient confirmé que la MCJ était une maladie rarissime chez les patients de moins de 40 ans, la survenue se situant généralement vers 60-65 ans. La forme clinique était également tout à fait inhabituelle et très stéréotypée, avec des signes psychiatriques précoces et une phase clinique très prolongée (en moyenne seize mois, avec une fourchette de neuf à trente-huit mois, contre en moyenne quatre mois pour les formes classiques). La maladie, de façon schématique, commençait par des signes psychiatriques, suivis deux mois plus tard, de signes sensoriels puis par une incoordination des mouvements à partir du 5e mois, des contractions musculaires à partir du 8e mois, une absence de parole et de mouvements (mutisme et akinésie) à partir du 12e mois et un décès fréquemment lié à un épisode de bronchopneumonie. À l’examen du cerveau, des signes encore plus caractéristiques ont démontré l’unicité de ces cas : en plus des signes classiques de MCJ (spongiose, astrocytose et perte neuronale), tous les patients présentaient de nombreuses plaques florides constituées d’un dépôt de PrPres entouré de vacuoles leur conférant un aspect en marguerite. Il s’agissait de signes totalement nouveaux et le réexamen des anciennes coupes de cerveaux de patients décédés de MCJ classique confirma qu’un tel aspect n’avait jamais été observé auparavant. Aucun facteur de risque particulier n’a pu être mis en évidence au niveau médical (pas de mutation du gène de la PrP n’a pu être détectée, en biologie moléculaire ni le moindre antécédent de traitement par hormone de crois- U N E N O U V E L L E M A L A D I E D E C R E U T Z F E L D T - J A KO B sance extractive), professionnel ou alimentaire. Le seul facteur de risque était d’habiter et de se nourrir dans le pays qui comprenait plus de 99,7 % des cas mondiaux d’ESB (environ 165 000 cas d’ESB au Royaume-Uni en octobre 1996, contre moins de 500 dans le reste du monde) et pour lequel les estimations évaluaient à plus de 400 000 le nombre de bovins contaminés passés dans l’alimentation avant l’interdiction de la cervelle et de la moelle épinière. Par ailleurs, tous les patients avaient une particularité génétique 31. Ces arguments étaient déjà très convaincants pour incriminer une contamination de l’homme par l’agent de l’ESB. Deux mois plus tard, en juin 1996, la première preuve expérimentale 32 était apportée par la découverte des mêmes lésions caractéristiques chez des macaques aux- 69 C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E 70 quels avait été inoculé expérimentalement l’agent de l’ESB. Cette démonstration, baptisée par les journalistes « la preuve par le macaque », constituait le premier argument de l’identité de l’agent de l’ESB avec celui responsable des nouveaux cas de MCJ chez l’homme. En octobre 1996, une nouvelle étude expérimentale 33 réalisée par l’équipe de John Collinge, à Londres, a démontré l’identité des deux agents : la signature biochimique en western blot de la PrP res est caractéristique chez les patients atteints de ce que l’on a baptisé la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvMCJ) et similaire à celle de l’agent de l’ESB chez d’autres espèces animales, dont les macaques. La même signature sera retrouvée chez des patients français 34. Un an plus tard, en octobre 1997, la démonstration finale 35 est faite par l’équipe de Moira Bruce à Edimbourg. Le profil lésionnel chez la souris est identique : l’agent responsable des cas de nvMCJ chez l’homme est bien le même que celui qui est responsable des 180 000 cas d’ESB chez les bovins et des nouveaux cas d’encéphalopathie chez différents ruminants et carnivores vivant en captivité, ainsi que chez le chat. La seule voie logique de contamination est l’alimentation, et les tissus les plus infectieux (la cervelle et la moelle épinière) sont incorporés dans toute une série de préparations alimentaires bon marché. À titre d’exemple : les experts de la Communauté européenne ont calculé que, selon le mode de fabrication utilisé par l’industrie alimentaire, qui implique des mélanges à des échelles allant du kilogramme à plusieurs tonnes, le système nerveux central d’un bovin contaminé pouvait se retrouver dans l’assiette de moins de 50 personnes pour un pâté et de U N E N O U V E L L E M A L A D I E D E C R E U T Z F E L D T - J A KO B plus de 500 000 pour des raviolis. Les habitudes alimentaires, les autorisations d’incorporer ces tissus potentiellement très infectieux, ainsi que la date d’interdiction théorique et réelle de ces pratiques, connaissent des variations très importantes d’un pays à l’autre : ces tissus ont été interdits à la consommation humaine en novembre 1989 au Royaume-Uni, en juin 1996 en France et en novembre 2000 en Allemagne. La dose minimale infectieuse pour l’homme n’étant pas connue, il est particulièrement difficile de prévoir le nombre de cas de nvMCJ à venir chez l’homme. En 1996, les premières modélisations prévoyaient une fourchette allant de moins de 80 cas à plus de 500 000. Les dernières estimations faites en 2000 sont plus optimistes puisqu’elles vont de 63 cas à 136 000 – la fourchette se réduit quelque peu. Cette imprécision extraordinaire est liée au fait que l’on ne connaît pas la période d’incubation moyenne de cette maladie chez l’homme : si la période est courte, les cas observés correspondent à l’essentiel de la contamination, et la situation va s’améliorer; en revanche, si cette période est longue (il convient de souligner qu’elle peut atteindre quarante ans pour le kuru et que pour l’ESB, en raison de la barrière d’espèce entre le bovin et l’homme, on peut s’attendre à un allongement supplémentaire), les cas observés ne représenteraient malheureusement que le tout début d’une énorme vague encore à venir. Le nombre minimal est d’ores et déjà dépassé puisque, fin mars 2001, 96 cas ont été répertoriés au Royaume-Uni. De plus, l’augmentation observée étant de 1,23 par an, cela revient à un doublement du nombre de cas tous les 3,3 ans 36. Dans un tel contexte d’incertitude, quels sont les risques pour l’homme et quelles solutions rationnelles peut-on envisager? 71 D E S F A R I N E S DE V I A N D E S E T D ’ O S Les risques pour l’homme Des farines de viandes et d’os pour nourrir nos herbivo re s 72 En 1989, l’interdiction de l’utilisation des farines de viandes et d’os (FVO) pour les ruminants au Royaume-Uni a provoqué l’effondrement des cours; puis ces produits ont, semble-t-il, été bradés et écoulés tout à fait légalement dans toute l’Europe durant près d’un an. L’importance des volumes générés a posé d’énormes problèmes de stockage, et faute de capacités suffisantes de destruction les exportations ont continué légalement et, à l’évidence, illégalement dans le monde entier (voir tableau p. 74) : Jean-François Mattei, responsable d’une mission d’information en 1996, rapporte qu’il a été dans l’incapacité 37 d’obtenir des chiffres fiables sur les importations de farines britanniques. Qui plus est, la mise en place du marché unique et l’ouverture des frontières en 1993 ont très largement facilité le transit de ces farines et ont en revanche considérablement com- pliqué l’évaluation des volumes importés depuis cette date 38. Enfin, des pays comme la Belgique, les Pays-Bas mais aussi la France ont brutalement augmenté leurs importations de farines britanniques et irlandaises, des reportages diffusés à la télévision ayant mis au jour les nombreuses possibilités de contrebande entre l’Irlande du Nord, hautement contaminée, comme le reste du Royaume-Uni, dont elle fait partie, et l’Irlande du Sud, c’est-à-dire la République d’Irlande, officiellement absoute par l’Europe en 1993, ce qui l’a autorisée à exporter à nouveau des farines. Ces pays pouvaient tout à fait légalement reconditionner les farines, qui recevaient alors automatiquement l’étiquette du pays intermédiaire. Un très gros trafiquant belge recherché par Interpol a même été filmé par des journalistes 1 à Bruxelles, mais n’a jamais pu être appréhendé. C’est ainsi que la Suisse, qui n’a quasiment jamais importé officiellement de farines britanniques, mais a acheté, semble-t-il, des farines belges et françaises, a eu très vite le triste privilège de compter le plus grand nombre de cas d’ESB en Europe continentale (118 entre 1990 et 1994, contre 17 en Europe, hors Royaume-Uni, Irlande et Portugal pendant la même période). Ce qui illustre bien la complexité des circuits de distribution, légaux ou non, et les changements d’étiquettes qui ont pu avoir lieu. Ces informations, qui sont désormais publiées dans les journaux britanniques, étaient à l’époque impossibles à obtenir par les scientifiques. En l’absence de mesures de protection adaptées, n’importe quel pays du monde a pu être exposé à l’ESB, soit par les farines britanniques contaminées ou par celles de pays ayant recyclé des farines britanniques et donc contaminé leur bétail et leur propre production de farines, soit 73 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E par l’intermédiaire d’autres produits (graisses animales de bovins et ovins) en provenance directe ou indirecte du Royaume-Uni ou de pays contaminés par ricochet. 74 Les farines animales dites sécurisées telles que définies en 1996 — provenant uniquement d’animaux aptes à la consommation humaine, après élimination des abats à risque et traitement à 133° C, sous 3 bars, durant vingt minutes — constituent une nourriture riche en protéines convenant parfaitement à l’alimentation des porcs, qui sont des omnivores, et des volailles. Leur remplacement par d’autres sources de protéines, notamment par du soja transgénique, ne s’impose pas si la filière est bien maîtrisée. Or c’est justement là que le bât blesse : cette maîtrise n’a pas été assurée, car contaminations croisées pouvaient avoir lieu à de multiples niveaux (usine de fabrication, transport, stockage…) et des trafics de très grande ampleur D E S FA RI N E S D E V I A N D E S E T D ’ O S n’ont pas été enrayés, ont parfois même été soutenus et amplifiés. Le Royaume-Uni a fini par interdire, à la mi1996, les farines animales dans la totalité des filières animales parce qu’il ne parvenait pas à maîtriser leur entrée dans l’alimentation du bétail. La France puis le reste de l’Europe communautaire suivront seulement fin 2000, alors que ces farines ont été largement distribuées entretemps. C’est ainsi que des farines britanniques qui ne pouvaient prétendument pas être exportées loin en raison du prix du transport ont été retrouvées jusqu’en Indonésie. Il convient donc de différencier le problème sanitaire de celui lié au contrôle de l’application des mesures préconisées et au contrôle des fraudes. Cela dit, une fois les farines animales interdites pour tous les animaux, et donc devenues des denrées dépourvues de valeur économique, il reste un énorme problème : les déchets à éliminer. Ainsi, la France produit chaque année 2,5 millions de tonnes de déchets crus (1/3 de ruminants, 1/3 de porcs et 1/3 de volailles), précédemment valorisables en alimentation animale, et 0,2 million de tonnes de matériaux à risques spécifiés, contenant notamment les déchets à très haut risque, tels le cerveau et la moelle épinière des ruminants. En raison des volumes générés, traiter l’ensemble des déchets par incinération pose de très gros problèmes techniques, ce qui aboutit à des stockages dans des conditions sanitaires souvent discutables qui inquiètent les riverains des sites choisis. En pratique, il convient de distinguer : • les farines issues des tissus à risque (système nerveux central et/ou bovins avérés positifs lors du test de l’ESB), qui représentent une minorité des volumes et doivent être traitées comme des déchets à haut risque ; 75 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E D E S FA RI N E S D E V I AN D E S E T D ’ O S L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E P E U T - O N C O N S OM M E R D E S P R O D U I T S B O V I N S ? Limiter les volumes permet de résoudre les problèmes de stockage; il est également plus économique et plus rationnel de mobiliser les moyens disponibles pour détruire les déchets présentant un réel danger. Peut-on consommer des produit s bov i n s ? • les farines issues de tissus d’animaux non suspects d’ESB mais déclarés impropres à la consommation humaine, qui pourraient être éliminées comme déchets à bas risque; • les farines sécurisées, issues de tissus déclarés propres à la consommation humaine, qui pourraient parfaitement être utilisées dans l’alimentation des poulets et des porcs (ces animaux ayant toujours mangé les restes des hommes à la ferme). Ces farines, qui constituent des déchets sans risque particulier, devraient être traitées comme tels. Elles représentent plus de 90 % des volumes de déchets produits. Bien qu’il soit fort dommage de détruire des produits de très bonne qualité, cette phase est sans doute indispensable tant que l’assainissement de la filière de production et de distribution des aliments n’est pas garanti. On le sait, les risques pour l’homme ont été sous-évalués et sans doute mis en balance avec des enjeux économiques majeurs… Les exportations vers l’Europe de bovins vivants ou de produits bovins britanniques ont doublé entre 1988 et 1995 (120000 tonnes en 1988 et 250000 tonnes en 1995) et ont représenté environ 4,5 milliards de francs sur la période 1989-1996 39. Les Premiers ministres britanniques de cette période, Margaret Thatcher puis John Major, ont ouvertement menacé de bloquer toutes les structures européennes et la mise en place du marché unique prévue en 1993 aurait de ce fait été remise en question. À Bruxelles, des consignes officielles de désinformation ont même été données aux médias 1, pour éviter que la vache folle ne vienne troubler le bon ordre des choses. En 1989, le rapport Southwood, commandité par le gouvernement britannique, a conclu que la transmission de l’ESB à l’homme était hautement improbable 40 et, au niveau politique, on a parié sur le fait que l’ESB n’était pas transmissible à l’homme : du coup, la mise en œuvre des mesures de précaution s’en est ressentie à tous les niveaux. Quels risques a-t-on réellement courus ? Quels risques court-on? Peut-on encore manger de la viande ? Et que peut-on encore manger? 79 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 80 Il est vrai qu’entre la vache folle, le poulet ou le porc belge à la dioxine, les fromages et les charcuteries contaminés par la listeria et les végétaux transgéniques (les énigmatiques OGM) d’aucuns pourraient s’étonner qu’il existe encore des Européens. Situation d’autant plus paradoxale que, globalement, l’espérance de vie de la population continue à augmenter. En dépit du manque de transparence des industries agroalimentaires et de l’inquiétude des consommateurs, cristallisée dans le concept de « malbouffe », la qualité sanitaire des aliments s’améliore constamment 41 : en 1995, en France, sur 531618 décès, seulement 737 pouvaient éventuellement être liés à la consommation d’aliments toxiques ou contaminés, dont la majorité (63 %) par une infection intestinale mal définie. Il est déconseillé de noyer ses chagrins dans l’alcool, considéré comme responsable de près de 24000 décès par an en France (principalement par cirrhose du foie et par cancer des voies aérodigestives supérieures). Quant au plaisir de la cigarette, il se paie plus cher encore, avec près de 60 000 morts par an dans notre pays. Au regard de ces chiffres, le nombre de cas de nvMCJ semble dérisoire : depuis 1996, 3 cas en France, alors que 300 personnes sont décédées de la forme classique de MCJ pendant la même période (maladie qui survient dans tous les pays du monde, indépendamment de la présence d’ESB ou de tremblante) et que 120000 décès sont liés à la consommation excessive d’alcool sur le territoire national. Mais cette apparente absence de contamination de la population française n’est-elle pas trompeuse? D’autant que l’évolution des cas britanniques n’indique pas d’amélioration de la situation dans le temps. La durée d’incubation de la maladie étant inversement proportionnelle à la P E U T - O N C O N S OM M E R D E S P R O D U I T S B O V I N S ? dose infectieuse, les cas que nous observons aujourd’hui sont ceux qui ont été contaminés le plus précocement avec les doses les plus fortes. Les cas à venir vont vraisemblablement s’étaler sur plusieurs décennies, avec une ampleur que nous ne savons prédire : entre quelques dizaines et quelques milliers de cas au Royaume-Uni, d’après les modélisations 42 les plus récentes; plus de 100000 si la période d’incubation moyenne dépasse soixante ans, ce qui semble toutefois exagéré. En France, l’estimation du futur nombre de cas est très approximative et consiste à diviser les chiffres britanniques par 10 à 20 pour tenir compte des importations de produits bovins britanniques qui sont entrés dans la consommation française jusqu’à l’embargo de 1996. Pour d’autres pays européens, comme l’Allemagne, il convient de tenir compte non seulement des importations britanniques, mais aussi des cas nationaux non diagnostiqués d’ESB alors que cervelle et moelle épinière ont été autorisées pour l’alimentation humaine jusqu’à fin 2000 (simple petit rappel : certaines saucisses de 100 grammes ont pu contenir jusqu’à 10 grammes de cerveau de bovin). Enfin, la circulation des farines contaminées britanniques jusque dans les contrées les plus lointaines peut être à l’origine d’un nouveau cycle d’amplification de l’agent et d’exposition de l’homme dans ces pays. C’est au Royaume-Uni que les risques pour l’homme ont été maximaux durant la période où les tissus connus pour être très infectieux entraient dans la chaîne alimentaire. Jusque fin 1989, cervelle et moelle épinière ont été utilisées de manière tout à fait légale : soit directement, dans de nombreux plats cuisinés, comme liant de sauce, par exemple; soit indirectement, par le biais des viandes séparées méca- 81 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 82 niquement (méthode de récupération des viandes encore attachées à l’os, notamment au niveau de la colonne vertébrale, par des procédés mécaniques de broyage, raclage et pression). La composition des viandes hachées et des hamburgers, régulièrement suspectés, a varié selon les pays – la réglementation française étant l’une des plus strictes. Au Royaume-Uni, ce n’est qu’à partir d’avril 1995 que ces abats ont été rendus inutilisables par leur marquage avec un colorant bleu indélébile, et c’est en 1996 que les viandes séparées mécaniquement ont été interdites. Il convient de rappeler que, dans le même temps, les autorités britanniques étaient persuadées que cette maladie ne présentait aucun risque pour l’homme. En 1994, John Major, alors Premier ministre, affirmait haut et fort qu’il n’y avait aucun danger pour l’homme et, en 1995, le ministre de l’Agriculture faisait manger un hamburger à sa petite-fille devant les caméras du monde entier… Il est donc possible d’établir une classification en fonction de la période d’exposition aux tissus nerveux contaminés : • avant 1989-1990, cervelle et moelle épinière pouvaient légalement entrer dans la consommation humaine au Royaume-Uni (jusqu’en novembre 1989) et en France (jusqu’en février 1990), tandis que les exportations d’abats à risque du Royaume-Uni (incluant donc ces deux abats) ont été multipliées par 10 à 20 à partir de 1987 43. Le recyclage systématique de tous les éléments valorisables pose la question de l’incidence sur l’augmentation du niveau de contamination de la chaîne alimentaire humaine, britannique d’un côté et européenne de l’autre. • entre 1990 et 1996, les mesures d’exclusion des tissus nerveux ont été mises en place lentement et de manière variable, alors que d’un côté le nombre de cas d’ESB P E U T - O N C O N S OM M E R D E S P R O D U I T S B O V I N S ? flambait au Royaume-Uni (de 14 407 cas par an en 1990 à 37 280 en 1992 puis 24 436 en 1994), que les exportations doublaient et que les autorités maintenaient qu’il n’y avait aucun danger pour l’homme; • à partir de mi-1996, le déclenchement de la crise a provoqué une véritable prise de conscience et l’embargo a protégé le reste de l’Europe, tandis que l’interdiction de la consommation des bovins de plus de 30 mois constituait une parade globale onéreuse mais efficace pour les Britanniques; • depuis le 1er janvier 2001 en France et en Allemagne, et à partir de juillet 2001 pour les autres pays européens, tous les bovins de plus de 30 mois sont testés avant d’entrer dans la chaîne alimentaire humaine ; le niveau de garantie est très satisfaisant pour le meilleur test actuel et le sera également pour ceux qui ne vont pas manquer de suivre. À l’initiative de la France, ce test sera bientôt pratiqué sur tous les bovins de plus de 24 mois, comme c’est le cas en Allemagne. Ces mesures de protection viennent s’ajouter aux précédentes, et si certaines se révèlent être des précautions inutiles (comme l’interdiction des ris de veau), d’autres devront être absolument maintenues (élimination de la cervelle et de la moelle épinière). Au niveau individuel, pour se protéger de l’agent de l’ESB, la question à se poser était : dans quels aliments estil possible de trouver de la cervelle et de la moelle épinière? Erreur classique à ne pas commettre : confondre moelle épinière et moelle osseuse; la première correspond au tissu nerveux potentiellement très infectieux, qui est protégé par la colonne vertébrale (dont l’atteinte peut rendre paraplégique lors d’un accident de voiture), tandis que la seconde, responsable de la production des globules 83 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 84 rouges, des globules blancs et des plaquettes, et qui se trouve au centre des os, n’appartient pas aux tissus à risque. Aujourd’hui, il n’est plus possible de trouver sur le marché les tissus nerveux interdits (tels les amourettes, nom gastronomique de la moelle épinière, qui étaient consommées notamment dans la région de Lyon). Ils ne peuvent pas non plus être incorporés tels quels dans les plats cuisinés ou sous forme de viandes séparées mécaniquement. Les différents produits transformés susceptibles d’en contenir sont désormais strictement contrôlés, surtout au niveau des produits d’origine française. Les viandes rouges non transformées ne font courir aucun risque. Il devient ainsi possible, à la lueur d’éléments rationnels, d’analyser l’épisode du foyer de Queniborough, dans le Leicestershire. Ce petit village anglais a attiré l’attention du fait de la fréquence anormale de cas de nvMCJ (5 cas apparus entre août 1996 et janvier 1999). L’enquête épidémiologique a découvert un point commun à tous ces cas : toutes les personnes contaminées au milieu des années 80 avaient le même boucher, alors qu’il existait maintes autres possibilités d’approvisionnement pour les villageois. La présentation faite à la presse, le 21 mars 2001, a privilégié la contamination des couteaux du boucher, lequel abattait lui-même les animaux : les couteaux, qui avaient été en contact avec la moelle épinière, pouvaient servir ensuite à découper la viande servie aux consommateurs. Mais cette explication ne résiste pas à l’analyse, car si la simple contamination d’un couteau suffit à transporter sur un bifteck une dose mortelle pour l’homme, qu’en est-il des quantités 100 000 fois supérieures contenues dans la moelle épinière et le cerveau, qui pouvaient être incorporés dans de multiples préparations culinaires? P E U T - O N C O N S OM M E R D E S P R O D U I T S B O V I N S ? La première question à se poser concerne la réalité de ce foyer (cluster) de cas humains : l’enquête semble avoir été menée sérieusement, avec les conseils de spécialistes réputés et, jusqu’à preuve du contraire — toutes les restrictions touchant notamment la reconstitution des témoignages vingt ans après les faits –, il semble bien exister un phénomène significatif lié à un boucher précis. Par ailleurs, il apparaît que ce boucher pratiquait un abattage artisanal (pratique interdite en France depuis 1965 et aujourd’hui en Angleterre) : cette particularité est extrêmement significative, car elle implique, en cas d’abattage d’un bovin infectieux, la contamination d’un nombre limité de personnes à des doses fortes dans un périmètre très limité; à l’inverse, les pratiques industrielles impliquent, en cas d’abattage d’un animal infecté, une dilution lors des mélanges avec les tissus de nombreux animaux sains et une grande diffusion, donc l’exposition à des doses infectieuses faibles et sans limite géographique nette. Cet épisode représente donc bien un exemple de conditions optimales pour pouvoir détecter un foyer de cas humains. En revanche, le moyen de contamination par les couteaux ne peut être retenu : en effet, la quantité de moelle épinière susceptible de contaminer un couteau est de quelques milligrammes, alors que la moelle épinière pèse 200 grammes en moyenne et la cervelle 500 grammes. Si quelques milligrammes suffisaient à tuer aussi rapidement des hommes, les doses 100000 fois supérieures contenues dans le système nerveux central auraient déjà décimé des milliers d’Anglais — plus la dose infectieuse est importante, plus l’incubation de la maladie est courte. La vraie question est plutôt : que faisait le boucher avec la cervelle et la moelle épinière? S’il ne se donnait pas la peine d’extraire 85 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 86 systématiquement la cervelle, ce qui impose de casser la boîte crânienne, il avait, au moment de fendre la carcasse, accès aux 200 grammes de moelle épinière qui pouvaient être utilisés de façon légale et entrer dans différentes préparations culinaires. Les premiers cas observés correspondent forcément aux doses contaminantes les plus fortes. Les premières informations recueillies par la commission d’enquête du Sénat 44 indiquent que ce boucher utilisait bien la moelle épinière dans ses préparations. Dans le même ordre d’idée, il semble important de rappeler que la simple interdiction des abats à risque dans l’alimentation pour chats a permis de faire quasiment disparaître l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme féline. Tout cela nous permet de souligner que les cas humains observés actuellement au Royaume-Uni et en France sont liés à des contaminations survenues avant l’arrêt de l’utilisation de la cervelle et de la moelle épinière dans l’alimentation humaine et correspondent donc à des patients contaminés avec des doses infectieuses fortes. Depuis 1996, l’interdiction des bovins de plus de 30 mois dans l’alimentation, au Royaume-Uni, et l’embargo sur les produits bovins britanniques pour le reste de l’Europe ont constitué des mesures de protection supplémentaires théoriquement très efficaces, et ce malgré les trafics qui ont certainement eu lieu. Désormais, la mise en place de tests systématiques à l’abattoir constitue une mesure de sécurité qui, si elle est appliquée de manière optimale dans tous les pays, rend le système remarquablement protecteur. Les problèmes qui peuvent se poser désormais reposent sur la garantie de la mise en œuvre des mesures les plus adaptées et non sur les incertitudes qu’elles laisseraient planer. A P R È S L A V A C H E F O L L E , L E M O U TO N F O U ? Après la vache folle, le mouton fou ? Les ovins britanniques ont été nourris avec les mêmes farines contaminées que les bovins. Ces animaux étant très sensibles à la contamination de l’agent de l’ESB par voie orale, il serait fort surprenant qu’aucun animal n’ait développé cette maladie. Le développement de l’ESB chez le mouton ne pouvant être différencié de celui de la tremblante, il peut parfaitement passer inaperçu. Enfin, la présence de l’agent dans de nombreux tissus périphériques (ganglions lymphatiques, amygdales, rate, intestin) laisse craindre non seulement un risque de persistance de la maladie sous forme endémique, mais en outre elle expose l’homme à un risque plus important qu’avec le bovin. Les moutons britanniques ont continué à être exportés dans le monde entier, et notamment en France, jusqu’à l’apparition de l’épizootie* de fièvre aphteuse, au début de l’année 2001. Il s’agit pour le moment d’un risque théorique, non encore étayé sur le plan scientifique. Mais les recherches engagées augmentent très sérieusement la probabilité de repérer un animal positif, donc la possibilité de provoquer une nouvelle crise, celle du mouton fou, cette fois. Même si les craintes devaient s’avérer injustifiées, une telle crise aurait des conséquences économiques désastreuses, la capacité de ruiner entièrement la filière ovine et pourrait retentir sur la filière bovine. Actuellement, certains pays comme l’Allemagne envisagent un dépistage systématique à l’abattoir pour éliminer de la chaîne alimentaire tous les moutons atteints de tremblante et, par là même, ceux qui pourraient être contaminés par l’ESB. 87 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E Le principe de précaution : bouclier ou para p l u i e ? 88 La plupart des mesures prises en France l’ont été au nom du principe de précaution. En théorie, le principe est excellent, il évite d’attendre les preuves irréfutables d’un danger pour prendre les mesures conservatoires qui s’imposent. Il semble aujourd’hui inconcevable qu’il n’ait pas été appliqué en Grande-Bretagne par les gouvernements de Mme Thatcher et de M. Major. Cependant, appliqué sans discernement, il peut avoir des effets particulièrement contre-productifs. En ce qui concerne la filière bovine et très bientôt la filière ovine, l’application de ce principe aboutit à de nouvelles mesures annoncées régulièrement qui font naître un sentiment d’insécurité. Par définition, s’il est nécessaire de prendre de nouvelles mesures, d’interdire de nouveaux produits, cela sous-entend que les mesures précédentes n’étaient pas assez protectrices, malgré toutes les affirmations. Le doute est alors permis sur la sécurité réellement apportée par l’ensemble du système. En raison de cette perte de confiance et en dépit des possibilités de diagnostic des tests, des centaines de milliers d’animaux de plus de 30 mois sont sacrifiés uniquement pour soutenir les cours de la viande en Europe. Ces mesures spectaculaires peuvent finir par ruiner complètement l’économie sans pour autant apporter de vraies garanties au consommateur (qui peut penser que l’abattage est bien la preuve qu’il a couru un risque), donc sans réellement protéger les filières bovine et ovine. Certains vont même jusqu’à prédire, chez les agriculteurs qui se sentent incompris et désespérés, un nombre de suicides supérieur aux décès dus à la contamination par l’agent de L A C O N TA MI N AT I O N D E L’ E N V I R ON N E M E N T l’ESB. Par ailleurs, l’argent gaspillé en pure perte dans cette crise (il s’agit désormais de dizaines de milliards de francs) pourrait être utilisé de manière beaucoup plus constructive. Paradoxalement, l’amélioration très importante du contrôle de la qualité de notre alimentation et la politique de transparence sur les anomalies constatées aboutissent à un sentiment d’insécurité, alors qu’elles sont le reflet d’une importante amélioration de la sécurité alimentaire. Faut-il en conclure qu’il convient de cacher la vérité puisque le consommateur n’est pas capable de faire preuve de discernement? Ce serait une erreur grossière, doublée d’un sentiment quelque peu méprisant. Tout finit toujours par se savoir et les médias ont un redoutable effet d’amplification : n’oublions pas que la confiance est précieuse, souvent longue et difficile à obtenir, et qu’elle peut se perdre définitivement du jour au lendemain. La solution se trouve plutôt dans l’éducation du consommateur : il faut veiller à lui transmettre les informations et à lui donner les moyens de porter son propre jugement, de mesurer ainsi les risques de sa vie quotidienne. La contamination de l’environnement En dehors des risques alimentaires, un autre problème se pose : celui de la contamination potentielle de l’environnement. Elle est connue depuis très longtemps chez le mouton, avec l’existence de champs contaminés par l’agent de la tremblante. Cette contamination naturelle des sols pourrait s’expliquer logiquement de trois manières : 89 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 90 par le contact avec des placentas infectés lors de la mise bas (phénomène d’autant plus limité que la mère a le réflexe de l’ingérer très rapidement), par un réservoir animal non identifié, comme les acariens (des acariens du fourrage ont été incriminés, mais cette expérience n’a jamais pu être reproduite à ce jour), ou par les matières fécales. Même si les expériences n’ont jamais pu prouver le caractère infectieux des excréments de moutons et de souris, il faut noter que ces expériences ont une sensibilité très limitée due, d’une part, au volume important de matières fécales produites par jour (d’où une dilution très importante de l’agent infectieux à rechercher dans des matières, rendant difficile la détection par nos techniques), d’autre part, à l’impossibilité d’utiliser correctement les méthodes de détection des prions par inoculation à la souris (l’injection de matières fécales concentrées dans le cerveau de souris de laboratoire entraîne la mort de l’animal en quelques heures). À l’inverse, comme il est clairement démontré que l’agent de la tremblante est retrouvé dans tout le tube digestif des moutons (il est admis que la PrPres s’accumule dans les cellules lymphoïdes du tube digestif, qu’elles soient dispersées dans la paroi du tube digestif ou regroupées en plaques de Peyer dans l’intestin grêle terminal), il pourrait théoriquement être éliminé dans les excréments avec les cellules productrices. Ainsi, l’expérience 7 publiée par P. Brown en 1991 a consisté à mélanger du cerveau de hamster infecté par une souche de tremblante expérimentale à de la terre : une partie du mélange a été conservée au congélateur à −80 °C, tandis que le reste était placé dans un pot de fleur, au-dessus de couches de sable et de terre, et enterré dans le jardin de l’expérimentateur à un endroit exposé aux LA TR ANSFUSION SANGUINE intempéries, notamment à la pluie. Au bout de trois ans, le pot de fleur a été déterré, la terre de surface récupérée, les couches inférieures également et les échantillons conservés au froid décongelés : ces trois échantillons ont été dilués et injectés à différents groupes de hamsters qui ont développé une tremblante lorsque les échantillons étaient infectieux. Le résultat est que la terre contaminée à la surface du pot de fleur demeurait encore très contaminée (diminution d’un facteur 60 de l’infectiosité pour une contamination initiale d’environ 100 millions d’unités infectieuses par gramme), alors que rien n’était détectable dans les couches inférieures pourtant touchées par l’eau de pluie. Les prions résistent donc remarquablement bien aux processus naturels de dégradation et peuvent rester adsorbés (c’est-à-dire collés) à des matériaux inertes comme l’argile. Autre problème sous-jacent, celui de la contamination de l’eau, notamment par les rejets des centres d’équarrissage et des abattoirs en cas de traitement d’un bovin atteint d’ESB : des programmes d’études sont en cours pour évaluer précisément les risques en fonction des différents traitements effectués. La transfusion sanguine Bien que les prions puissent théoriquement être présents dans le sang et qu’ils se trouvent associés aux globules blancs dans certains modèles expérimentaux, la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dans sa forme habituelle (sporadique), n’a jamais été reliée à un risque dû à la transfusion sanguine, selon les enquêtes épidémiologiques. 91 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 92 Les modèles expérimentaux de contamination par voie orale ont permis de mettre en évidence une première phase de réplication de ces agents au niveau des plaques de Peyer, dans l’intestin, puis des ganglions lymphatiques associés au tube digestif. Secondairement, une réplication est observée dans des territoires lymphatiques éloignés impliquant par là même une recirculation lymphatique et sanguine. La phase de neuro-invasion est tardive et exponentielle jusqu’à la mort de l’animal. Les taux observés dans le système nerveux central sont très supérieurs à ceux observés dans les tissus périphériques, pour lesquels le phénomène de « plateau » observé est classiquement attribué à un nombre limité de sites de réplication : les cellules mises en cause sont les cellules folliculaires dendritiques et certains macrophages. La transmission de l’agent de l’ESB par transfusion sanguine à partir d’un mouton contaminé expérimentalement par voie orale a rappelé le potentiel de contamination de cette souche. Chez le mouton, contrairement au bovin, le marqueur de l’infection (la PrPres, forme anormale de la protéine du prion) est retrouvé dans tout le système réticulo-endothélial (ce qui explique sans doute pourquoi la tremblante du mouton est endémique à l’état naturel — le placenta notamment est infectieux — et implique qu’il serait très difficile de l’éradiquer s’il s’avérait que l’ESB s’était également développée chez le mouton). Par ailleurs, l’agent de l’ESB se transmet particulièrement bien par voie intraveineuse chez le primate. Dans le cas de la nvMCJ chez l’homme, contrairement aux formes habituelles de MCJ, la PrPres est retrouvée dans les amygdales, la rate, les ganglions lymphatiques, l’appendice, les plaques de Peyer, c’est-à-dire dans tous LA TR ANSFUSION SANGUINE les tissus lymphoïdes. Le risque de contamination du sang, dont les cellules séjournent très régulièrement dans tous les tissus lymphoïdes, est donc supérieur à ce qui était connu antérieurement, mais non quantifiable pour le moment, faute de test diagnostique. Ce risque doit bien sûr être relativisé en fonction du nombre de donneurs potentiellement infectés. Les tests rapides développés à ce jour ont une sensibilité suffisante pour détecter la PrPres dans des prélèvements de système nerveux central ou de tissus lymphoïdes, mais pas dans le sang. Les modèles expérimentaux murins (souris) ou cricétidiens (hamster) ont permis de montrer que la majorité de l’infectiosité (environ 90 %) était associée aux globules blancs et pouvait donc théoriquement être éliminée par déleucocytation (technique d’élimination des globules blancs sur des filtres spéciaux). Par ailleurs, ces agents, dont la taille a été estimée à 15-40 nm, peuvent théoriquement être éliminés par nanofiltration, et des expériences de validation sont en cours pour des dérivés du plasma. Enfin, la sélection des donneurs est une approche qui a été retenue par certains pays, qui préfèrent éliminer ceux dont le séjour au Royaume-Uni dépasse six mois cumulés entre 1980 et 1996. Comme nous l’avons souligné, la nature de ces agents n’est toujours pas connue avec précision, même si l’hypothèse du prion selon laquelle l’agent est constitué uniquement par la PrPres est retenue par beaucoup. En pratique, les tests les plus sensibles à l’heure actuelle permettent de proposer une protection de l’homme au niveau de la chaîne alimentaire (par dépistage systématique de l’ESB à l’abattoir et élimination de tous les animaux positifs), mais pas au niveau de la transfusion sanguine. En dehors des 93 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E projets reposant sur une approche fondamentale, les efforts de recherche en cours s’orientent notamment vers le développement de tests de sensibilité supérieure et l’exploration de nouvelles approches thérapeutiques de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Protection de l’homme : gestion du risque et programmes de dépista g e 94 Le développement de tests de dépistage rapide de l’ESB constitue une avancée très importante pour la protection de l’homme. La nouvelle crise a été provoquée par l’absence apparente de maîtrise de l’épidémie en dépit des mesures annoncées et notamment par le nombre croissant de cas détectés chez des bovins nés plus de quatre ans après l’interdiction (1990) des farines animales, responsables de la diffusion de cette maladie, alors que les incertitudes scientifiques sont toujours aussi importantes concernant le risque pour l’homme (la dose minimale infectieuse par voie orale pour l’homme n’est pas connue). Les mesures supplémentaires de précaution prises par la Commission européenne concernent d’une part l’interdiction complète des farines animales et d’autre part l’utilisation systématique de tests de dépistage de l’ESB chez les bovins de plus de 30 mois (c’est-àdire en âge de présenter des quantités détectables d’agent infectieux et de développer la maladie) avant l’entrée dans la chaîne alimentaire, afin d’éliminer tous les bovins détectés positifs. En France et en Allemagne, le dépistage systématique à l’abattoir a été mis en place en janvier P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E 2001. Il devient obligatoire en juillet pour les autres pays de la Communauté européenne. Trois tests ont été validés à ce jour par la Commission européenne 45 : ils reposent tous sur la détection de la PrPres, dans le cerveau, pratiquée post-mortem sur un prélévement de cerveau. Ils ne peuvent donc diagnostiquer la maladie que lorsque le cerveau est infecté, pas avant la fin de la période d’incubation. Le test suisse (Prionics), basé sur une technique de western blot (séparation par électrophorèse* suivie d’une immunodétection), a été le premier utilisé pour des études épidémiologiques en Suisse et en France et a permis de détecter des animaux non diagnostiqués au préalable. Le test irlandais (Enfer) est basé sur une technique ELISA (immunodétection permettant d’analyser 96 échantillons à la fois), qui est plus adaptée au dépistage à grande échelle. Le test français (CEA-Biorad), basé sur une technique de purification de la PrPres couplée à une détection ELISA, est le plus performant en termes de sensibilité. De nouveaux tests sont en cours de développement et d’évaluation. L’intérêt de tests sensibles est de garantir l’élimination de tous les animaux potentiellement dangereux pour l’homme. La comparaison du test rapide le plus sensible avec le test de référence, qui consiste à inoculer le matériel potentiellement infectieux directement par voie intracérébrale à la souris, a permis de montrer une efficacité équivalente. Comme il est prouvé expérimentalement que le modèle de contamination de la souris par voie intracérébrale est 100 fois plus efficace que la contamination de bovins par voie orale (ce qui signifie, par exemple, que 100 mg de tissu cérébral infectés par 95 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 96 l’agent de l’ESB peuvent tuer 200 souris par voie intracérébrale, mais ne peuvent tuer que 2 bovins par voie orale) et que par ailleurs, en raison de la barrière d’espèce, l’homme est censé être plus résistant à l’agent de l’ESB que le bovin (ou, au moins, aussi sensible), les animaux qui sont négatifs avec ce test ne sont pas dangereux pour la souris (par voie intracérébrale) et donc pour le bovin et l’homme (par voie orale 46 ). Le dépistage systématique chez tous les bovins de plus de 30 mois implique de tester environ 10000 animaux par jour sur l’ensemble du territoire français. L’utilisation de tests garantissant la sécurité du consommateur, à condition d’être correctement maîtrisée, doit théoriquement résoudre la crise liée à l’ESB sous réserve que soient appliquées les mesures précédentes, principalement l’élimination des abats à risque (cerveau et moelle épinière surtout). La crise de la vache folle a mis au jour un nouveau paramètre : l’importance du rôle de l’Europe, qui tend à paralyser toute prise de décision au niveau national. En effet, on a créé un marché économique unique mais en aucun cas un espace de santé homogène; les règles ont été édictées pour favoriser le libre-échange des marchandises mais vont à l’encontre des mesures de confinement nécessaires pour empêcher la propagation de maladies bactériennes ou virales. Cela s’est notamment manifesté lors de la première tentative d’embargo française en 1990 sur les bovins britanniques; l’embargo a dû être levé parce qu’il était en contradiction avec les règlements de Bruxelles. Les graves dysfonctionnements relevés par les commissions d’enquête ont contribué à la démission de l’ensemble de la Commission européenne. Il est également P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E significatif que la politique d’évaluation de tests susceptibles d’être utilisés à l’abattoir n’ait pas été conduite au niveau européen par la direction de l’Agriculture, mais par celle chargée de la protection des consommateurs (DG24, désormais DG SANCO) : pourtant, le développement d’un outil garantissant la sécurité du consommateur constitue le rempart le plus logique contre l’ESB. 97 Le test A (britannique, Société Wallac) est le moins sensible puisqu’il ne détecte que l’échantillon positif pur, et ne détecte plus rien dès la première dilution du témoin positif. Il n’a pas été validé, car il n’a pas détecté certains bovins cliniquement malades. Le test B (suisse, Société Prionics) est dix fois plus sensible. Le test C (irlandais, Société Enfer) est 30 fois plus sensible. Le test D (français, CEA-Biorad) est 300 fois plus sensible. Les trois derniers tests ont été capables de détecter tous les bovins cliniquement atteints et peuvent être utilisés dans le cadre de la réglementation de chaque pays. Ces blocages ont été clairement identifiés comme rele- L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 98 vant en grande partie de la volonté du gouvernement britannique de l’époque d’exporter coûte que coûte ses produits bovins et comme la conséquence du chantage officiel menaçant de bloquer toutes les institutions européennes en cas de maintien des embargos. Des attitudes hautement répréhensibles de la part des dirigeant politiques et de différents hauts fonctionnaires britanniques ont été stigmatisées dans un rapport en 16 volumes de la Commission présidée par Lord Phillips, BSE Inquiry, publié en 2000. D’autres blocages sont survenus de la part de pays qui ne se croyaient pas touchés et ne voulaient surtout pas entendre parler de mesures susceptibles d’inquiéter leurs consommateurs. Ainsi, alors qu’il était de notoriété publique que des farines britanniques avaient été exportées dans toute l’Europe, des pays comme le Danemark ou l’Allemagne ne voulaient pas entendre parler de mesures d’exclusion d’abats à risque et continuaient à laisser incorporer de la cervelle et de la moelle épinière dans la chaîne alimentaire humaine. La découverte du premier cas de vache folle au Danemark en 1999 a eu l’effet d’une bombe : un seul animal, et du jour au lendemain, toutes les belles certitudes se sont effondrées; l’embargo a été déclaré par les pays voisins, alors qu’il était prévisible que des cas seraient découverts si on se donnait les moyens de les chercher. En Allemagne, deux ministres (Agriculture et Santé) ont démissionné fin 2000 à la suite de la découverte des cas d’ESB, et une défiance irrationnelle a succédé à une confiance excessive. La mise en place des tests systématiques à l’abattoir décidée par la Commission européenne devrait logiquement permettre de constater que l’ESB est désormais pré- P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E sente dans toute l’Europe et vraisemblablement dans de nombreux autres pays du monde ayant importé des farines britanniques et des bovins, voire des ovins contaminés. La fin de la détection, du fait des nombreux trafics qui ont sans doute eu lieu et qui vont vraisemblablement continuer pendant un certain temps, n’interviendra pas avant cinq à dix ans dans le meilleur des cas. Les promesses de détection de l’agent de l’ESB du vivant du bovin (test sanguin) risquent de ne pas être tenues avant plusieurs années, étant donné l’absence actuelle de toute donnée scientifique concrète et le temps de développement d’un test industriel. Seules des mesures appliquées efficacement dans tout l’espace européen, avec notamment une traçabilité maîtrisée et une répression efficace des trafics permettront de garantir la protection du consommateur et donc le retour de la confiance. Il est inutile de prendre des mesures contraignantes en France si les produits légalement importés n’offrent pas les mêmes garanties. De la même manière, il importe que les mesures proposées soient cohérentes non seulement entre les différents pays, mais également tout au long de la chaîne, aussi bien pour la qualité du produit que pour la protection des employés de la filière bovine. Dans le même ordre d’idée, quelle est la logique qui aboutit à laisser consommer du muscle (viande rouge) contenant des nerfs et des filets nerveux théoriquement contaminés chez un bovin atteint d’ESB et à interdire le ris de veau (thymus) alors que celui-ci n’a jamais été retrouvé infectieux dans l’ESB? Posée d’une autre façon, cette question devient la suivante : à partir de quelle dose infectieuse considère-t’on qu’il y a danger? En effet, ni le 99 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 100 muscle (viande rouge) ni le thymus n’ont jamais été retrouvés infectieux, c’est-à-dire que personne à ce jour n’a réussi à infecter un autre animal à partir de ces tissus prélevés chez les bovins atteints malgré des techniques très efficaces comme l’inoculation directe dans le cerveau du receveur : cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune particule infectieuse mais que les particules infectieuses éventuellement présentes sont en quantité insuffisante pour présenter un danger. Ce problème de la dose infectieuse est majeur et doit être à la base d’un système rationnel d’évaluation du risque. Il faut arrêter d’avoir peur de la moindre particule infectieuse : nous vivons au milieu de milliards d’agents potentiellement pathogènes, bactéries, virus et autres, aussi bien dans notre environnement que dans notre propre tube digestif, et pourtant nous sommes en bonne santé parce que, dans les conditions naturelles, un équilibre s’opère avec les défenses de notre organisme, qui nous protègent. C’est lorsqu’il y a un déséquilibre, une augmentation anormale d’un pathogène virulent et/ou une diminution de nos systèmes de défense (par exemple effraction cutanée, immunodépression après chimiothérapie), que la maladie apparaît. Nous avons tous à un moment ou à un autre mangé, comme nos parents et nos grands-parents, des moutons atteints de tremblante sans que cela ait eu la moindre conséquence pour notre santé; pourtant, s’il était injecté directement dans le cerveau d’un homme, l’agent de la tremblante déclencherait vraisemblablement une maladie, comme c’est le cas chez le singe. L’agent de l’ESB, tant qu’il n’est pas détectable avec nos méthodes les plus performantes (ce qui ne signifie pas qu’il n’est pas présent), n’est pas dangereux pour l’homme : il P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E est donc possible de proposer une classification fondée sur la détection par inoculation à la souris. Tout ce qui n’est pas dangereux pour une souris contaminée directement dans le cerveau ne l’est pas pour un bovin contaminé par voie orale, et donc pour un homme contaminé par la même voie. En effet, il est démontré que la quantité de cerveau nécessaire pour tuer 1 bovin par voie orale peut tuer 100 souris par voie intracérébrale; on ne connaît pas la dose minimale capable de tuer un homme par voie orale, mais il est évident que nous sommes protégés par la barrière d’espèce, suffisamment pour ne pas avoir à compter les cas humains par milliers alors que l’on sait que plus de 400 000 bovins contaminés (à différents stades de la maladie) sont entrés dans la chaîne alimentaire humaine au Royaume-Uni avant l’interdiction de la cervelle et de la moelle épinière. Pour mémoire, il est admis qu’un gramme de système nerveux central d’un bovin cliniquement atteint d’ESB contient suffisamment d’agent infectieux pour tuer 1000 à 100000 souris : cela signifie qu’un seul bovin, dont la cervelle pèse environ 500 grammes et la moelle épinière 200 grammes, peut théoriquement tuer 0,7 à 70 millions de souris. Ces quelques chiffres expliquent pourquoi il est possible d’affirmer aujourd’hui (tout comme il était possible d’affirmer dès 1996 que l’agent de l’ESB était transmissible à l’homme) que le modèle de la souris contaminée par voie intracérébrale est beaucoup plus sensible à l’agent de l’ESB que l’homme contaminé par voie orale. En conséquence, il est possible d’analyser les données de la littérature pour déterminer ce qui n’est pas dangereux pour l’homme à partir du modèle de la souris : 1) Les seuls tissus retrouvés infectieux dans les formes 101 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 102 naturelles de l’ESB sont le cerveau et la moelle épinière, ainsi qu’accessoirement les ganglions nerveux le long de la colonne vertébrale, le ganglion trijumeau et la rétine ; 2) les formations lymphoïdes de l’intestin grêle n’ont été retrouvées positives que dans les formes expérimentales, après des contaminations avec de très fortes doses d’agent infectieux (100 grammes de cerveau infecté). Le fait que l’on n’ait pas détecté l’agent infectieux dans la forme naturelle de la maladie ne signifie pas qu’il n’est pas présent, mais seulement qu’il l’est à des doses inférieures au seuil de détection, et donc de dangerosité théorique (ce qui explique que dans les conditions naturelles la maladie se développe en cinq ans tandis qu’elle se développe en trois ans dans les contaminations expérimentales fortes); 3) aucun autre tissu n’a été retrouvé positif. Il conviendrait de mesurer précisément la quantité d’agent retrouvé dans les nerfs périphériques afin d’estimer plus précisément la dilution qui existe naturellement dans les différents organes et dans les muscles des bovins contaminés. Toujours est-il que cette quantité correspond à la zone définie comme non dangereuse pour la souris, et donc pour l’homme; 4) après sa réplication à bas bruit au niveau de l’intestin, l’agent de l’ESB remonte le long des nerfs jusqu’à la moelle épinière et au cerveau. En outre, il prend une sorte de raccourci en empruntant le trajet du nerf vague 29, qui innerve tout l’intestin et qui se termine au niveau de l’obex dans le tronc cérébral, la région du cerveau qui est la première touchée et qui est spécifiquement étudiée dans toutes les analyses. C’est cette région qui est retrouvée positive environ six mois avant l’apparition des signes cliniques dans les contaminations expérimentales; 5) la notion selon laquelle il n’est pas possible de détec- P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E ter un bovin plus de six mois avant les premiers signes cliniques et qu’en conséquence on ne peut pas empêcher des bovins contaminés d’entrer dans la chaîne alimentaire est un faux problème : l’important est de rester très au-dessous du seuil dangereux en utilisant un test suffisamment sensible. 6) la limite de recherche de l’ESB chez le bovin a été baissée de 30 à 24 mois en Allemagne à la suite de la détection de 2 bovins de 28 mois positifs aux tests (dont au moins 1 cas très faiblement positif qui n’aurait pu être détecté sans un test sensible). Au total, l’existence d’au moins un test rapide aussi sensible que le test souris (pour le moment, le test français est le seul validé, mais il est logique de s’attendre à l’apparition de nouveaux tests performants) permet de proposer l’utilisation de cet outil pour garantir la sécurité de l’homme vis-à-vis du risque de l’ESB, qui peut être présente chez des animaux entrant dans la chaîne alimentaire. Cette approche, qui devrait permettre de résoudre de manière rationnelle la crise liée à l’ESB, a de multiples implications : 1) elle doit d’abord être validée par les autorités scientifiques de l’Union européenne; 2) elle implique de réduire de 30 à 24 mois l’âge de recherche de l’ESB à l’abattoir, comme cela fut préconisé à l’origine par la Commission européenne. Par conséquent, les mesures britanniques, qui s’appliquent à partir de 30 mois, devraient être révisées. Toutefois, l’abattage systématique de tous les bovins britanniques âgés pourrait être remplacé par un simple test ; 3) de la même manière, il n’y aurait plus de raison 103 L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E 104 logique de maintenir en France la politique d’abattage systématique des troupeaux ni de maintenir celle de l’abattage des cohortes d’animaux du même âge pratiquée en Suisse. La garantie d’un test efficace à l’abattoir éviterait de décimer des élevages constitués à 95-99 % de bêtes parfaitement saines; 4) le problème des farines pourrait être traité de manière beaucoup plus simple. Les matières premières proviennent en majorité de restes de bovins qui entrent dans la consommation humaine. Le dépistage systématique à l’abattoir, associé à l’élimination déjà en vigueur des abats à risque garantit la qualité de cette matière première en provenance de bovins consommés par l’homme. De plus, les traitements supplémentaires imposés (133° C, 3 bars) lors de la fabrication garantissent un produit fini parfaitement sûr qui pourrait être distribué aux porcs et aux volailles. C’est l’existence de trafics et l’impossibilité pratique de les juguler, ainsi que les contaminations croisées, qui ont obligé à interdire totalement l’utilisation des farines animales pour les animaux de rente. Il faudra sans doute maintenir cette interdiction tant que l’on n’aura pas la certitude absolue que les contaminations croisées et les trafics ont cessé. Il n’en demeure pas moins que ces farines, lorsqu’elles sont correctement sécurisées, sont parfaitement saines et ne nécessitent pas d’être détruites comme des déchets contaminés très dangereux; elles peuvent au contraire être éliminées comme des déchets normaux, voire être valorisées d’une autre manière pour limiter ce gâchis en protéines parfaitement assimilables. En revanche, il convient de porter tous les efforts sur les bovins retrouvés positifs, qui devraient être détruits dans des filières qui leur sont réservées, et ce dans tous les pays, P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E et de mettre en place des mesures cohérentes de protection des personnels et de l’environnement. Les déchets à bas risque, retirés à titre de précaution, pourraient bénéficier de mesures intermédiaires; 5) en ce qui concerne le mouton, les seuls animaux diagnostiqués à ce jour sont atteints de tremblante naturelle, maladie qui existe depuis des siècles et n’a jamais eu de conséquence notable chez l’homme. Il n’en demeure pas moins que la même démarche pourrait être pratiquée dans le cas des ovins, afin de garantir qu’aucun animal atteint n’entre dans la chaîne alimentaire humaine. Cette mesure de bon sens aurait un autre avantage immédiat : protéger le consommateur de moutons éventuellement contaminés par l’agent de l’ESB et éviter une crise majeure de la filière ovine lorsque le premier mouton contaminé sera diagnostiqué (on sait depuis des années que les moutons anglais ont été nourris avec les mêmes farines contaminées que les bovins et les scientifiques ont déjà tiré depuis très longtemps le signal d’alarme sur le risque potentiel qu’ils représentent). En fait, désormais, le principal risque d’ESB envisageable chez l’homme dans les années à venir est une transmission secondaire de la nvMCJ via des greffes, des instruments chirurgicaux mal décontaminés et, en raison de sa fréquence, via la transfusion sanguine. 105 C ON C LU S IO N Conclusion 106 E n attendant la levée des incertitudes sur la nature de ces agents transmissibles non conventionnels, des mesures rationnelles s’avèrent primordiales, notamment pour éviter la sélection de souches de prions encore plus virulentes (par passages successifs au sein d’une même espèce) aussi bien chez l’homme que chez l’animal. Si les maladies humaines restent rares, leur longue période d’incubation, leur évolution dramatique et l’inefficacité des traitements disponibles justifient les mesures prises, en France, pour éliminer les facteurs de risques et justifient aussi l’application systématique du principe de précaution. Les programmes de tests connaissent une évolution au niveau européen : nous sommes passés d’une logique d’études épidémiologiques à une logique de protection du consommateur. Le dépistage systématique à l’aide de tests suffisamment sensibles et l’élimination des abats à risques devraient permettre d’offrir une double sécurité. Il est désormais théoriquement possible de proposer des programmes cohérents de protection de l’homme, des filières bovine et ovine ainsi que de l’environnement. Les décisions tardives d’interdiction totale des farines animales et de mise en place de tests performants vont avoir coûté à l’Europe des milliards d’euros pour tenter de sauver la filière bovine et peut-être demain la filière ovine, sans compter la destruction d’une quantité impressionnante d’animaux, future nourriture parfaitement saine dans son immense majorité. La solution du problème par le développement des tests n’est pas intervenue dans le cadre de programmes officiels de recherches au niveau de l’Europe, ce qui semble traduire l’inadéquation des systèmes traditionnels quand il s’agit de réagir à des situations nouvelles et d’apporter d’urgence des réponses originales. La recherche scientifique ne doit pas être limitée, dans ses applications, à la recherche d’une augmentation de la productivité ou à celle de fraudes, comme ce fut le cas dans le passé; il conviendrait de sortir des relations binaires scientifiques/industriels ou scientifiques/pouvoirs publics pour instaurer des relations associant les trois parties. Si les scientifiques parviennent à travailler en accord avec les pouvoirs publics et les industriels, il deviendra possible de proposer des solutions permettant de concilier les impératifs de santé publique et les contraintes économiques. Les analyses présentées dans cet ouvrage n’engagent que leurs auteurs. Elles sont fondées sur l’expérience qu’ils ont acquise dans leur domaine respectif et sont le reflet de leur conception du service public et du devoir d’information. Cette crise de la vache folle a été le révélateur de toute une série de dysfonctionnements de notre société et a affecté une valeur fondamentale : l’alimentation source 107 L A V A C HE F O L L E de vie et de santé. Nous espérons que ce travail saura favoriser la prise de conscience de chacun et la mise en place de systèmes capables de garantir la sécurité alimentaire, contribuant ainsi à restaurer le plaisir et la confiance que procure une nourriture de qualité. 108 [ A N NEX E S Notes et référe n c e s G l o s s a i re H i s t o ri q u e B i b l i o g ra p h i e N OT E S Notes et référe n c e s 110 1. Vache folle : la grande peur, M6, 6 novembre 2000. 2. Le cas historiquement décrit par H. Creutzfeldt portait en fait sur une jeune fille de 23 ans, avec des antécédents familiaux d’atteintes mentales. Etant donné la jeunesse de la malade et les signes cliniques, sa pathologie ne serait sans doute pas considérée comme une MCJ, laquelle, de ce fait, devrait s’appeler en toute rigueur maladie de Jakob. 3. Clément J.-M., Lalande F., Reyrole L. et col., Rapport sur l’hormone de croissance et la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), 1992, SA 19, n° 92145. 4. L’acide aminé pouvant être une méthionine ou une valine. 5. Maxime Schwartz, Comment les vaches sont devenues folles, Odile Jacob, 2001, p. 14. 6. BSE Inquiry, 2000, vol. 12, pp. 59-61. 7. Brown P., Gajdusek D.C. « Survival of scrapie virus after 3 years of interment », Lancet 1991, vol. 337, pp. 269-270. 8. Wisniewski H.-M., Sigurdarson S., Rubenstein R. et col., « Mites as vectors for scrapie », Lancet, 1996, vol 347, p. 1114. 9. Marsh R. F., Hadlow W. J., « Transmissible mink encephalopathy », Rev. Sci.Tech.Off. Int.Epiz., 1992, vol. 11, pp. 539-549. 10. Par détection de la PrPres (forme anormale de la protéine du prion) en immunohistochimie après marquage par des anticorps. 11. Miller M.W., Williams E. S., McCarty CW, et col., « Epizootiology of chronic wasting disease in free-ranging cervids in Colorado and Wyoming », J.Wildl.Dis., 2000, vol 36, pp. 676-690. 12. FDA, le « Transmissible Spongiform Encephalopathies Advisory Committee » s’est réuni les 18 et19 janvier 2001 à Bethesda (Maryland). 13. Lasmézas C. I., Deslys J.-Ph., Demaimay R. et col., « Strain specific and common pathogenic events in murine models of scrapie and bovine spongiform encephalopathy », J Gen Virol, 1996, vol. 77, pp. 1601-1609. 14. Souche 139A chez des souris Swiss. Kimberlin R.H., Walker C. A., « Pathogenesis of mouse scrapie : effect of route of inoculation on infectivity titres and dose-response curves », Journal of Comparative Pathology 1978, vol. 88, pp. 39-47. 15. Souche 87V chez la souris pour Dickinson et souche 263K chez le hamster pour B. Chesebro et J. Collinge. 16. Souche 263K. 17. Il faut néanmoins souligner une certaine résistance aux protéases, enzymes (catalyseurs biologiques) spécialisées dans la destruction des protéines. 18. Prusiner S. B., « Novel proteinaceous infectious particles cause scrapie », Science, 1982, vol. 216, pp.136-144. 19. Unités fondamentales de molécules de faible taille et qui ont en commun de posséder sur un même atome de carbone une fonction acide carboxylique, – COOH, et une fonction amine, – NH2, d’où leur nom d’acides aminés. 20. Par régulation d’une superoxyde dismutase dépendante du cuivre, enzyme dont le rôle est de détruire une forme active de dioxygène à l’interface entre les neurones. 21. La pousse neuritique qui correspond à l’émission par les neurones de prolongements en vue de se connecter avec d’autres cellules neuronales. 22. Mouillet-Richard S., Ermonval M., Chebassier C. et col., « Signal transduction through prion protein », Science 2000, vol. 289, pp.1925-1928. 23. Billeter M., Wuthrich K., « The prion protein globular domain and disease-related mutants studied by molecular dynamics simulations », Arch.Virol., 2000, vol.16, pp. 251-263. 24. Souche CH1641. Selon les animaux, il existe des variations sur 3 acides aminés (en position 136, 154 et 171) qui sont associées à une plus ou moins grande sensibilité aux différentes souches de prions. 25. Büeler H., Raeber A., Sailer A. et col. « High prion and PrPsc levels but delayed onset of disease in scrapie-inoculated mice heterozygous for a disrupted PrP gene », Molecular Medecine, 1994, vol. 1, pp. 19-30. 26. Lasmézas C. I., Deslys J.-Ph., Robain O., et al., « Transmission of the BSE agent to mice in the absence of detectable abnormal prion protein », Science, 1997, vol. 275, pp. 402-405. 27 Weissmann C.A., « Unified theory’of prion propagation », Nature, 1991, vol. 352, pp. 679-683. 28. Bousset L., Belrhali H., Janin J., et col., « Structure of the Globular Region of the Prion Protein Ure2 from the Yeast Saccharomyces cerevisiae », Structure, 2001, vol. 9, pp. 39-46. 29. Le nerf vague, ou nerf pneumogastrique, qui correspond à la dixième paire crânienne, est un nerf complexe qui possède notamment des fonctions végétatives très importantes : il innerve notamment les plexus de Meissner, ou plexus entériques sousmuqueux, constitués de fibres et de cellules ganglionnaires du système nerveux autonome, qui règlent le mouvement des villo- 111 ANNEXES 112 sités intestinales (les replis de la muqueuse intestinale qui permettent d’avoir une grande surface de contact avec les aliments), et les plexus d’Auerbach, ou plexus myentériques qui sont des formations nerveuses situées dans les couches de fibres musculaires lisses qui contrôlent le peristaltisme intestinal (les contractions de l’intestin pour la progression du bol alimentaire). Cette particularité anatomique explique pourquoi cette zone très particulière de l’obex est la première retrouvée positive après une contamination par voie orale. Le nerf vague pouvant être contaminé par n’importe lequel de ses rameaux sensitifs tout au long de l’intestin, et l’agent infectieux remontant ensuite jusqu’aux corps des neurones situés dans les noyaux de l’obex. 30. BSE Inquiry, 2000, vol 3, pp 101-102. 31. Homozygotes pour la méthionine au codon 129 du gène codant pour la PrP, comme 40 % de la population normale, ainsi, comme pour l’hormone de croissance, les patients hétérozygotes semblaient résistants au développement de la maladie. 32. Lasmézas C. I., Deslys J.-Ph., Robain O., et col. « BSE transmission to macaques », Nature, 1996, vol. 381, pp. 743-744. 33. Collinge J, Sidle KCL, Meads J, et col. « Molecular analysis of prion strain variation and the aetiology of « new variant » CJD », Nature, 1996, vol. 383, pp. 685-690. 34. Deslys J.-Ph., Lasmézas C. I., Streichenberger N., et col., « New variant Creutzfeldt-Jakob disease in France », Lancet, 1997, vol. 349, pp. 30-31. 35. Bruce M. E., Will R. G., Ironside J. W., et col., « Transmissions to mice indicate that « new variant » CJD is caused by the BSE agent », Nature, 1997, vol. 389, pp. 498-501. 36. Communication Robert Will dans le cadre d’une journée consacrée aux « Encéphalopathies spongiformes transmissibles » (Etat actuel des connaissances), Institut de France, Académie des Sciences, 14 au 16 mars 2001. 37. Rapport n° 3291 du15 janvier 1997 de la Mission d’information commune sur l’ensemble des problèmes posés par le développement de l’ESB. 38. En raison de l’absence de traçabilité et des fraudes, les enquêtes en cours sont entravées par la difficulté à reconstituer les événements et ne dévoileront sans doute qu’une partie de la réalité. 39. BSE Inquiry, 2000, vol 10 pp 51 et 60. 40. En raison notamment de l’expérience de la tremblante. 41. Risques et Peurs alimentaires, sous la direction de Marian Apfelbaum, Odile Jacob, 1998. G LO S SA I R E 42. Ghani A. C., Ferguson N. M., Donnelly C. A., Anderson R. M., « Predicted vCJD mortality in Great Britain », Nature, 2000, vol. 406, pp. 583-584. 43. Données aimablement communiquées par le professeur Jeanne Brugère-Picoux de l’Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort. 44. Rapport du Sénat prévu pour le 17 mai 2001. Un rapport de l’Assemblée est également prévu pour le début du mois de juin 2001. 45. Moynagh J., Schimmel H., « Tests for BSE evaluated. Bovine spongiform encephalopathy », Nature, 1999, vol. 400, pp. 105. 46. Deslys J.-Ph., Comoy E., Hawkins S., et col., « Screening slaughtered cattle for BSE », Nature, 2001, vol. 409, pp. 476-478. G l o s s a i re Acides nucléiques (AN) : macromolécules biologiques formées par l’association de molécules azotées plus simples – les nucléotides, unités élémentaires constituées de bases azotées pyrimidiques et puriques, d’un sucre à cinq atomes de carbone (pentose) et d’un phosphate. Acide désoxyribonucléique (ADN) : acide nucléique de poids moléculaire élevé, renfermant comme sucre le désoxyribose, et qui est le support de l’information génétique (génome) des organismes vivants. Dans les cellules eucaryotes, l’ADN est localisé dans le noyau. Acide ribonucléique (ARN) : acide nucléique, généralement de poids nucléaire moyen, à base de ribonucléotides dont le sucre est le ribose. Les acides ribonucléiques sont principalement localisés dans le cytoplasme des cellules eucaryotes, au niveau des ribosomes, lieu de synthèse des protéines. Les ARN effectuent le décodage de l’information génétique portée par l’ADN pour la synthèse ultérieure des protéines. Agent transmissible : élément qui est responsable d’une maladie. Aldéhyde : composé organique possédant une fonction aldéhyde dont la structure comporte un atome de carbone, lié à un atome d’hydrogène et doublement lié à un atome d’oxygène. Plusieurs aldéhydes sont des agents désinfectants, par exemple le formaldéhyde (formol). 113 ANNEXES Amine (R – NH2) : composé organique azoté dérivé de l’ammoniac (NH3 ) par substitution de ses atomes d’hydrogène par un ou plusieurs groupements organiques. Certains neurotransmetteurs possèdent une fonction amine (dopamine, adrénaline). Amyloïde : se dit d’une substance polymérisée de nature glycoprotéique qui ressemble à l’amidon (d’où son nom) et qui dans certaines pathologies se dépose sous forme de fibrilles torsadées (plaques amyloïdes) dans divers organes (rate), dont le système nerveux central. Animaux transgéniques : animaux qui ont incorporé de façon stable, à la suite d’une manipulation, un ou plusieurs gènes d’un autre organisme qu’ils peuvent transmettre aux générations suivantes. 114 Anticorps : protéine de défense produite par les cellules (lymphocytes B) du système immunitaire d’un organisme animal, à la suite de l’interaction avec une bactérie, un virus ou une substance xénobiotique. Apoptose : mort cellulaire (suicide) génétiquement programmée. Des anomalies dans l’apoptose jouent un rôle dans certaines pathologies, dont les maladies dégénératives cérébrales. Ataxie : perte de contrôle des membres due à des lésions du système nerveux. Agent transmissible non conventionnel (ATNC) : nom de l’agent biologique responsable des encéphalopathies spongiformes transmissibles. Axone : long prolongement d’une cellule nerveuse qui assure la transmission de l’influx nerveux le long du neurone. Base minérale : molécule inorganique capable de fixer un proton (H+). La soude (NaOH) et le potasse (KOH) sont des bases fortes très corrosives qui attaquent beaucoup de matériaux et détruisent la matière vivante. Cellules eucaryotes : organismes comportant une cellule (levures) ou plusieurs cellules (animaux, plantes, champignons) dont le patrimoine génétique (ADN) est rassemblé dans le noyau. Cellules gliales : cellules de soutien et nourricières du système nerveux, comprenant dans le système nerveux central les astrocytes et les oligodendrocytes. G LO S SA I R E Cellules procaryotes : organismes vivants de structure relativement simple caractérisés par un cytoplasme dans lequel est dispersé l’ADN non délimité dans un noyau. Les bactéries et les algues bleues sont des procaryotes. Chaperonne (protéine chaperonne) : protéine assurant le bon repliement d’une autre protéine, ce qui lui permet d’être fonctionnelle, par exemple de jouer un rôle de catalyseur. Chromosome : structure formée d’une molécule d’ADN et de protéines associées (histones…) qui porte l’information héréditaire d’un organisme possédant un noyau. Le nombre de chromosomes est caractéristique d’une espèce donnée. Codon : séquence de nucléotides adjacents dans un acide nucléique (ADN ou ARN messager) qui constitue le code nécessaire à l’instruction pour incorporer un acide aminé spécifique dans une chaîne protéique en formation. Conformation : forme tridimensionnelle d’une macromolécule. Cytoplasme : contenu d’une cellule limitée par la membrane plasmique. Délipidation : technique d’élimination des graisses (lipides) par extraction avec un solvant organique lipophile (hydrocarbure de type hexane…). Électrophorèse : technique de fractionnement des protéines basée sur la faculté de migration des molécules chargées placées dans un champ électrique. Encéphalopathie : pathologie touchant l’encéphale, partie du système nerveux central comprenant le cerveau, le cervelet et le bulbe rachidien. Encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) : groupe de maladies touchant le système nerveux central (SNC). Elles se caractérisent par la destruction progressive des neurones de certaines zones de l’encéphale, par suite de l’accumulation d’une protéine pathologique, la PrPres, donnant un aspect d’éponge au tissu nerveux. Épidémiologie : discipline médicale qui étudie le développement d’une maladie chez un grand nombre d’individus dans une région donnée. 115 ANNEXES Épizootie : discipline qui étudie le développement d’une maladie chez un grand nombre d’animaux dans une région donnée. Eucaryote : organisme vivant composé d’une ou de plusieurs cellules dont le patrimoine génétique (ADN) est concentré dans le noyau. Les animaux, les plantes, les champignons et les levures font partie des eucaryotes. Feuillet plissé bêta (feuillet ß) : chaîne de polypeptides disposés parallèlement et formant une conformation plissée en accordéon, très étirée. Gène : unité d’hérédité correspondant à une région de l’ADN qui contrôle un caractère particulier. Un gène gouverne la synthèse d’une protéine unique ou d’un ARN unique et conditionne ainsi la transmission ou la manifestation d’un caractère héréditaire donné. 116 Génétique : science étudiant l’hérédité des êtres vivants. Génie génétique : ensemble des techniques permettant de modifier le matériel génétique d’une cellule ou d’un organisme vivant. Génome : totalité de l’information génétique propre à chaque espèce d’organisme. G LO S SA I R E Hydrophobe (littéralement : qui n’aime pas l’eau) : tendance d’une molécule non polaire ou d’une partie de molécule à repousser les molécules d’eau qui l’entourent. Hypochlorite de sodium (NaOCl) : sel de sodium de l’acide hypochloreux (HOCl). L’eau de javel est constituée majoritairement d’hypochlorite de sodium et est utilisée, grâce à ses propriétés oxydantes, comme solution désinfectante puissante. Iatrogène : processus provoqué par un acte médical ou par un médicament. Immunohistochimie : technique de marquage d’une protéine spécifique par des anticorps marqués sur coupe histologique (examen au microscope). Inositol : composé organique cyclique à 6 atomes de carbone portant chacun une fonction alcool. Ce cyclitol (alcool cyclique) est une molécule constitutive du glycophosphatidylinositol. Génotype : constitution génétique d’une cellule ou d’un organisme individuel. Insecticides organophosphorés : produits chimiques utilisés pour la lutte contre les insectes (insecticides) renfermant une fonction phosphate liée à un composé organique. Ces insecticides sont en général des toxiques aigus très puissants, mais ils sont facilement biodégradables. Isoformes : formes multiples d’une même protéine qui diffèrent par quelques acides aminés. Hélice alpha : chaîne de polypeptides qui prend une conformation enroulée en hélice (conformation hélicoïdale) tournant dans le sens des aiguilles d’une montre et stabilisée par des liaisons intrachaînes de faible énergie dites liaisons hydrogènes. Kuru : maladie neurodégénérative humaine de type encéphalopathie spongiforme, qui a touché durant plus d’un sièle une tribu papoue, les Forés, de Pa p o u a s i e - No u v e l l e -G u i n é e (Océanie). Hétérozygote : cellule possédant pour un caractère donné un allèle différent du genre correspondant sur chacun des chromosomes. Histologique : en relation avec l’histologie, la science qui étudie les tissus des êtres vivants. Homogénat : broyat de tissus. Homozygote : cellule diploïde (contenant deux copies de chaque gène) ou organisme ayant deux allèles (formes alternatives d’un même gène) identiques d’un gène donné. Par opposition à hétérozygote, pour lequel les deux allèles ne sont pas identiques Hydrophile (littéralement : qui aime l’eau) : tendance d’une molécule polaire à interagir avec les molécules d’eau qui l’entourent. Lymphocytes : globules blancs impliqués dans les défenses immunitaires. Lysosomes : petits organites cellulaires des cellules eucaryotes riches en enzymes hydrolysantes (peptidases, amidases…). Macromolécule : molécule de poids moléculaire élevé (supérieur à quelques milliers de daltons). Beaucoup de macromolécules sont de nature organique et certaines sont indispensables à la vie. Parmi les macromolécules biologiques, on peut retenir les protéines (protéines de structure, de transport, enzymes…), les 117 ANNEXES polysaccharides (sucres complexes), les acides nucléiques (ADN et ARNx). Macrophage : globule blanc non circulant (dans le système sanguin ou lymphatique) jouant un rôle très important dans nos systèmes de défense contre les agresseurs chimiques aériens (poussière) ou biologiques (bactérie, virus…). Membrane biologique : double couche de macromolécules lipoprotéiques (phospholipides possédant des acides gras insaturés associés à des protéines) qui entoure les cellules procaryotes (bactéries, algues…). Dans les cellules eucaryotes, les membranes biologiques, en plus d’isoler du monde extérieur la cellule (membrane plasmique), séparent de leur cytoplasme les différents organites (noyau, mitochondries…). Métabolisme : en milieu biologique, correspond à l’ensemble des transformations chimiques catalysées par les enzymes et permettant la transformation des molécules biologiques. Mutagène : agent chimique provoquant des modifications du patrimoine génétique (ADN…). Mutation : modification transmissible d’un gène provoquant un changement héréditaire. 118 Myoclonies : contractions involontaires des muscles. Neurone : cellule nerveuse constituée d’un corps cellulaire contenant le noyau, d’un axone (long prolongement membranaire) et de terminaisons nerveuses : les dendrites, qui assurent grâce à la synapse la communication axonale, c’est-à-dire la transmission du message neuronal. Neurotransmetteurs : messagers chimiques libérés par la cellule nerveuse soumise à un influx électrique (potentiel d’action) qui est créé par le mouvement des ions à travers la membrane plasmique de la cellule nerveuse. Ces molécules chimiques servent d’agents de transmission des messages produits par les cellules nerveuses. Noyau : chez les cellules eucaryotes (animaux, plantes, levures…), gros organite contenant la chromatine formée de la molécule d’ADN et de protéines nucléaires. Oligoéléments : éléments minéraux indispensables aux organismes vivants en très faibles quantités et dont l’absence entraîne des carences nutritionnelles graves. G LO S SA I R E Organite : élément bien caractérisé, isolé par une membrane et présent dans le cytoplasme d’une cellule eucaryote. Organophosphorés (insecticides) : produits organiques de synthèse, dérivés de l’acide orthophosphorique, doués de propriétés insecticides. Oses : glucides (sucres) simples, parmi lesquels on trouve le glucose. Ozone : gaz correspondant à du trioxygène (O3 ), extrêmement oxydant et toxique, utilisé comme bactéricide (désinfection de l’eau…). Peptide : molécule de taille moyenne formée de l’association d’acides aminés reliés entre eux par une liaison peptidique. Les peptides forment des protéines. Plaques amyloïdes : fibrilles torsadées formées de polymères glycoprotéiques, localisées en particulier dans le système nerveux central. Polypeptide : petite macromolécule formée de chaînes de plusieurs peptides constitués eux-mêmes d’acides aminés reliés par une liaison peptidique. Polymorphisme : propriété d’exister sous diverses formes. Principe de précaution : principe selon lequel l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures de prévention. Prion : protéine du genre animal, mais aussi présente dans les levures, qui peut exister sous deux formes : l’une normale, l’autre modifiée. Protéase : enzyme protéolytique qui dégrade les protéines en hydrolysant, parfois très sélectivement, certaines de leurs liaisons peptidiques. Protéine : macromolécule de poids moléculaire généralement élevé, composée de plusieurs chaînes polypeptidiques, chacune d’entre elles possédant une séquence en acides aminés caractéristique. Certaines protéines ont un rôle structural au niveau cellulaire (biomembrane, cytosquelette…), d’autres ont un rôle de transport (hémoglobine…), catalytique (enzymes…) ou de communication (hormones, cytokines…). Protéolyse : dégradation d’une protéine, généralement par hydrolyse d’au moins une de ses liaisons peptidiques. Prurit : démangeaison de la peau en relation avec une atteinte cutanée ou générale. 119 ANNEXES Rayonnements ionisants : rayonnements (rayons X, rayons (gamma…) dont l’énergie est suffisante pour ioniser, c’est-à-dire retirer des électrons aux couches périphériques des atomes ou des molécules. Rayonnements non ionisants : les rayonnements non ionisants (ultraviolets, infrarouges, visibles) ont une énergie qui n’est pas suffisante pour engendrer l’ionisation des atomes ou des molécules. Résonance magnétique nucléaire (RMN) : technique spectrale basée sur la capacité d’absorption résonante de radiations électromagnétiques par les noyaux atomiques. La RMN peut servir à la détermination de la structure tridimensionnelle de petites protéines hydrosolubles. Réticulum endoplasmique : compartiment membranaire complexe dans le cytoplasme des cellules eucaryotes. On distingue le réticulum endoplasmique rugueux (RER), sur lequel sont fixés les ribosomes, lieu de synthèse des protéines, et le réticulum endoplasmique lisse (REL), non associé aux ribosomes et riche en enzymes de métabolisation des substances étrangères à l’organisme (substances xénobiotiques). 120 Scarification : légère incision superficielle de la peau. Scrapie (to scrap : gratter) : terme anglo-saxon qui désigne la tremblante du mouton, connue en Europe depuis le XVIII e siècle. Souche : ensemble des individus (bactéries…) issus d’une même colonie de microorganismes. Une souche de prions résulte de la transmission d’une maladie à prions à plusieurs hôtes successifs. Soude : base minérale forte (hydroxyde de sodium), extrêmement corrosive. Spectroscopie : technique de mesure de l’absorption de radiations de diverses longueurs d’onde (IR, visible, UV). Spongiose : aspect d’éponge observé dans le tissu nerveux dû à la présence de vacuoles dans les neurones. Sporadique (maladie) : maladie qui touche un nombre limité de sujets sans relation entre eux. Syngénique : qui possède exactement le même patrimoine génétique, à la suite de croisements successifs maîtrisés. Système lymphatique : base structurale du système immunitaire composé de vaisseaux et de ganglions lymphatiques. Les amygdales, le thymus, la rate, les plaques de Peyer (intestin), l’appendice… sont aussi formés de tissus lymphatiques. G LO S SA I R E Système nerveux central (SNC) : principal système de traitement de l’information d’origine nerveuse chez les vertébrés ; il comprend le cerveau, le cervelet et la moelle épinière. Structure primaire : séquence d’unités simples dans un polymère, par exemple celle des acides aminés dans une chaîne peptidique ou une protéine. Structure secondaire : motif de repliement local régulier d’une molécule polymérique. Dans les protéines, on trouve deux types de structure secondaire : les hélices alpha et les feuillets plissés bêta. Structure tertiaire : forme tridimensionnelle d’une macromolécule. Dans les protéines, leur structure tertiaire correspond à la conformation des chaînes polypeptidiques. Transgénique : plantes ou animaux qui ont incorporé de façon stable, à la suite d’une manipulation, un ou plusieurs gènes d’une autre cellule ou d’un autre organisme et qui peuvent les transmettre aux générations suivantes. Transmission horizontale : transmission entre individus généralement adultes, par opposition à verticale (de la mère à l’enfant). Tremblante du mouton : la tremblante est une maladie nerveuse transmissible rencontrée chez le mouton et la chèvre et apparaissant entre 2 et 4 ans. Vacuole : organite cellulaire de stockage. Virino : particule infectieuse très petite, constituée de matériel génétique (ADN, ARN) entouré d’une enveloppe lipoprotéique appartenant à l’hôte. Virus : particule constituée d’un acide nucléique (à base d’ADN ou d’ARN, comme dans les rétrovirus) entouré d’une enveloppe protéique et qui pouvant se répliquer dans une cellule hôte. 121 ANNEXES H i s t o rique de la vache folle Vers 1732 : premiers cas de tremblante en Angleterre, selon un texte de 1772 (T. Comber) qui situe l’apparition de la maladie quarante ans plus tôt. 1883 : description d’un cas de tremblante chez un bœuf, en France, qui, après diagnostic vétérinaire, sera « vendu pour la basse boucherie » (réf. M. Sarradet, Revue médicale vétérinaire, vol. 7 : pp. 310-312). 1920-1921 : Hans Creutzfeldt puis Alfons Jakob, deux médecins allemands, décrivent les premiers cas d’encéphalopathie spongiforme humaine, qui portera finalement leur nom. 1936 : deux vétérinaires de Toulouse, Jean Cuillé et Paul-Louis Chelle, démontrent que la tremblante est transmissible au mouton mais également à la chèvre et qu’elle est provoquée par un agent plus petit qu’une bactérie. 122 1957 : Vincent Zigas et Donald Carleton Gajdusek décrivent le kuru, maladie neurodégénérative touchant les Forés, tribu du centre de la Papouasie-Nouvelle-Guinée ; c’est un nouveau type d’encéphalopathie spongiforme humaine. 1967 : le mathématicien John Griffith émet l’hypothèse qu’une protéine infectieuse puisse être responsable de la tremblante. 1966-1968 : le kuru puis la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont transmises au chimpanzé par Gajdusek. 1973 : premier choc pétrolier et faillite des industries les moins performantes. Accélération des modifications de traitement des farines de viandes et d’os en Angleterre, qui sont moins chauffées, tandis que la production augmente. 1976 : Carleton Gajdusek reçoit le prix Nobel de médecine pour vingt ans de travaux sur les maladies cérébrales dégénératives, qu’il attribue à l’époque à des virus à évolution lente. 1982 : le neurophysiologiste Stanley Prusiner, sur la base d’expériences d’inactivation, développe l’hypothèse selon laquelle l’agent responsable des encéphalopathies spongiformes transmissibles (ESST) ne serait pas un virus, mais une protéine infectieuse qu’il nomme « prion ». 1985 : description en Grande-Bretagne des premiers cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), qui ne seront diagnostiqués en H I S T O R I Q U E D E L A V A C HE F O L L E tant que tels qu’à partir de novembre 1986. Il est probable que les premiers cas de cette nouvelle pathologie dénommée « maladie de la vache folle » datent des années 70. 1987 : progression fulgurante de la maladie de la vache folle en Grande-Bretagne : 442 cas répertoriés au 31 décembre. Parallèlement, le principal souci des responsables officiels britanniques de l’époque est d’éviter toute publicité sur cette maladie qui pourrait nuire aux exportations britanniques (BSE Inquiry, vol. 3, notamment pp. 33-36) 1988 : en avril 1988, l’épidémiologiste anglais John Wilesmith, du State Veterinary Service (SVS), montre que les farines d’origine animale (ovins et bovins) sont à l’origine de l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Alors que 421 cas ont été diagnostiqués dans 352 troupeaux à travers tout le pays, un article en première page du Farming News accuse le MAFF (ministère britannique de l’Agriculture, de la Pêche et de l’Alimentation) de sous-estimer nettement l’étendue de l’épidémie d’ESB et s’inquiète d’un danger pour l’homme. Le ministre de l’Agriculture de Mme Thatcher continue à refuser d’envisager tout idée d’abattage obligatoire et de compensation financière pour les éleveurs. 20 juin : première réunion du comité présidé par sir Richard Southwood, désigné par le gouvernement britannique (et ne comprenant aucun expert des maladies à prions) pour évaluer toutes les implications de l’ESB : ils apprennent notamment que les animaux atteints d’ESB étaient abattus et passaient dans la chaîne alimentaire humaine (BSE Inquir y, vol. 1, p. 47). 18 juillet : le MAFF interdit enfin au Royaume-Uni la distribution des farines de viandes et d’os aux bovins. Ces farines sont alors exportées, le gouvernement de Mme Thatcher estimant qu’il est de la responsabilité des pays importateurs de les interdire dès lors qu’ils savent que ces produits sont prohibés au Royaume-Uni. 1989 – 27 février : publication du rapport Southwood en Angleterre, qui conclut à l’absence de preuves scientifiques étayant l’hypothèse d’un danger pour l’homme des abats de bovins contaminés par l’ESB. Il estime que le risque perçu ne justifie pas une information spécifique du consommateur sur les produits contenant du cerveau. Sa conclusion, selon laquelle si son « évaluation des risques n’était pas correcte, les implications seraient très sérieuses », sera oubliée et ce rapport considéré comme la démons- 123 ANNEXES tration scientifique que l’ESB ne présente pas de danger pour l’homme (BSE Inquiry, vol. 1, pp. 48-55). 13 août : la France décide d’interdire l’importation des farines animales britanniques, sauf dans les cas où l’entreprise s’engage à ne pas les utiliser pour les ruminants ! Description des premiers cas français de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez les enfants traités avec l’hormone de croissance hypophysaire humaine, d’origine extractive et provenant de lots contaminés. 13 novembre : le gouvernement britannique interdit en Angleterre et au pays de Galles la consommation humaine de certains abats bovins : cervelle, moelle épinière, mais également rate, thymus, amygdales et intestin. 124 1990 : l’interdiction de consommer ces abats est étendue en janvier 1990 à l’Écosse et à l’Irlande du Nord. Ce n’est qu’en mars 1990 que l’exportation des abats bovins est interdite vers les pays de l’Union européenne, et seulement en juillet 1991 vers les pays du tiers monde… 10 mai : annonce de la première encéphalopathie spongiforme, apparemment liée à l’ESB, chez un chat domestique. Fait étrange : le 7 juin, le Comité vétérinaire européen estime que les animaux atteints d’ESB ne sont pas dangereux pour la santé humaine! 24 juillet : la France interdit l’utilisation des farines de viandes et d’os dans l’alimentation des bovins. Leur utilisation pour la nourriture des porcs, des volailles et des poissons reste autorisée. 24 septembre : annonce au Royaume-Uni de la première transmission de l’ESB au porc en laboratoire. Le lendemain est annoncée l’extension de l’interdiction des abats à risque dans la nourriture de tous les animaux. 12 octobre : l’Espagnol Fernando Mansito, représentant de la Direction générale de l’agriculture (DGG) à Bruxelles, conseille aux experts européens de minimiser l’affaire de la vache folle en pratiquant une politique de désinformation de la presse (réf. reportage M6 de novembre 2000, Vache folle : la grande peur). 1991 : le premier cas de vache folle est découvert en France le 2 mars 1991 dans les Côtes-d’Armor (Bretagne). Le gouvernement français décide d’abattre systématiquement tout le troupeau si un animal est atteint d’ESB, une mesure de précaution très sage en l’absence de moyens de protection ciblés. Au Royaume-Uni, description du premier cas « naïf » d’ESB, c’est-à-dire d’un animal né après l’interdiction des farines. H I S T O R I Q U E D E L A VAC HE F O L L E 1992 : en Grande-Bretagne, la maladie de la vache folle atteint son point culminant : plus de 100 cas par jour, ce qui correspond à une véritable épizootie ! En France, mise en place par l’INSERM d’un réseau de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. 1994 – 27 juin : six ans après les Britanniques, l’Union européenne interdit dans les États membres l’utilisation, pour l’alimentation des bovins, des protéines ayant pour origine des tissus de ruminants ou de la viande de mammifères non identifiés. L’administration de ces farines reste autorisée pour les autres ruminants, les volailles, les lapins et les porcs. Tout se passe donc comme si le Comité vétérinaire européen ignorait que l’agent de la vache folle franchit la barrière d’espèce. 1995 : décès d’une jeune fille de 18 ans (R. Vicky) atteinte d’une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jacob, alors que les patients touchés par la maladie classique sont âgés en moyenne de 65 ans. 1996 – 20 mars : Stephen Dorrell, secrétaire d’État à la Santé britannique, révèle que dix jeunes Britanniques sont atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Ces adolescents auraient été contaminés en consommant du bœuf atteint d’ESB. 21 mars : la France, puis l’Union européenne le 27 mars, décrètent l’embargo sur les importations des viandes bovines et des troupeaux britanniques. Le fait de reconnaître pour la première fois que la maladie de la vache folle peut se transmettre à l’homme provoque immédiatement un vent de panique en Europe, qui n’est toujours pas maîtrisé. Avril : création d’un comité interministériel sur les ESST, baptisé Comité Dormont, du nom de son président, le docteur Dominique Dormont, chef du service de neurovirologie au CEA. Juin : la première preuve expérimentale de la transmissibilité de l’ESB à l’homme est apportée avec le macaque par le CEA. Juillet : l’Union européenne impose de nouvelles conditions technologiques de fabrication des farines animales qui permettent d’inactiver les prions pathogènes (133°C, 3 bars, vingt minutes). En octobre 1996, en France, le premier cas de nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est confirmé. 1997 : le prix Nobel de physiologie et de médecine est attribué en octobre 1997 à Stanley Prusiner pour ses recherches sur les prions. Interdiction de l’utilisation des farines animales pour l’alimentation des bovins aux États-Unis. La situation outre-Atlantique est la suivante : officiellement, il n’y a aucun cas d’ESB, mais des importations 125 ANNEXES 126 ont pu avoir lieu; la tremblante est endémique; le Chronic Wasting Disease continue à s’étendre et touche 5 États; les procédés de fabrication des FVO sont similaires à ceux utilisés au Royaume-Uni. 2000 – 26 octobre : publication du rapport de la commission d’enquête officielle sur l’encéphalopathie spongiforme bovine et la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob au Royaume-Uni. (BSE Inquiry, 4000 pages en 16 volumes). Cette enquête, diligentée par Lord Phillips, a duré trois ans et porté sur la période antérieure au 20 mars 1996, date à laquelle le gouvernement de John Major a annoncé que l’agent de l’ESB était transmissible à l’homme. La crise de la vache folle a abouti à la contamination de plus de 180000 têtes de bétail, à l’abattage d’environ 4,5 millions de bovins, et près de 45 milliards de francs ont été dépensés pour les indemnisations et la destruction des déchets. Pour certains observateurs, ce rapport est trop indulgent envers les responsables et ne répond pas aux vraies questions sur l’origine de l’ESB. Novembre : découverte des premiers cas d’ESB en Espagne et en Allemagne. Interdiction des farines animales pour toutes les espèces en France et tests systématiques sur les bovins de plus de 30 mois à l’abattoir à partir du 1er janvier 2001. Annonce d’un triplement des crédits de recherche sur les prions (210 millions de francs). 2001 : découverte des premiers cas d’ESB en Italie. L’Union européenne décide un moratoire sur les farines animales à partir du 1er janvier et la mise en place de tests systématiques à l’abattoir sur les bovins de plus de 30 mois à partir de juillet. Les premiers résultats indiquent un niveau de contamination similairement faible dans les pays ayant pratiqué les premières évaluations de grande envergure (17 positifs sur plus de 500 000 tests en France), mais la mise en place est longue dans certains pays et la notion de garantie apportée par la double sécurité « test sensible + élimination des abats à risque » n’est pas encore acceptée. 24 avril : décès en France d’Arnaud Eboli, âgé de 19 ans, qui est la troisième victime « officielle » de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (nvMCJ). À cette date, on compte un peu plus d’une centaine de cas de la nvMCJ, dont 97 en Grande-Bretagne. B I B L IO G RA P H I E B i b l i o g ra p h i e APFELBAUM M. (sous la dir.), Risques et Peurs alimentaires, Odile Jacob, 1998. KOURILSKY Ph., Viney G., Le Principe de précaution : rapport au Premier ministre, 0dile Jacob, 2000. Lord PHILIPS, BSE Inquiry (en 16 volumes), 2000. SCHWARTZ M., Comment les vaches sont devenues folles, Odile Jacob, 2001. Sélection de sites Internet d’informations sur les maladies à prions Sites en français AFSSA : www.afssa.fr/dossiers Bureau vétérinaire suisse : www.bvet.admin.ch Commission européenne : www.europa.eu.int/comm/food/fs/bse /index_en.html CEA : www.cea.fr CNRS : www.cnrs.fr Centre de ressources Infobiogen (Génopole d’Évry) : www.infobiogen.fr/people/dessen/prp INRA : www.inra.fr INSERM : www.inserm.fr/serveur/prions.nsf Ministère de la Santé : www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/vache /info.htm Ministère de l’Agriculture : www.agriculturegouv.fr/esbinfo.htm Statistiques ESB : perso.infonie.fr/vetolavie/bse.htm Vache folle en ligne (INRA) : www.inra.fr/Internet/Produits /dpenv/vchfol00.htm Sites en anglais (Royaume-Uni) Ministère de la Santé : www.doh.gov.uk/cjd Ministère de l’Agriculture : www.maff.gov.uk/animalh/bse /index.html BSE Inquiry : www.bseinquiry.gov.uk Mad cow disease : www.Mad-cow.org 127