La vache folle

Transcription

La vache folle
J E AN-PHILIPPE DESLYS
ANDRÉ PICOT
LA VACHE FOLLE
Les risques pour l’homme
DOM I NOS
Flammarion
S O M MAI R E
J E A N- PH I LI PP E DESLYS
Docteur en médecine, docteur ès-sciences, Jean-Philippe Deslys est responsable du groupe de recherche sur les prions au CEA (Commissariat
à l’énergie atomique). Il a commencé à étudier les prions dès 1985 en
travaillant sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob iatrogène. Il est expert
senior du CEA, expert auprès du Comité interministériel sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) depuis
1996, et expert extérieur auprès de l’OMS (Organisation mondiale de
la santé) et de la FDA (Food and Drug Administration). Ses travaux de
recherche ont donné lieu à de nombreuses publications scientifiques.
A NDRÉ PICOT
Ingénieur-chimiste en chimie organique, docteur ès-sciences, directeur
de recherche au CNRS, André Picot est un spécialiste de toxicochimie,
discipline nouvelle qu’il a développée dans le cadre du CNRS, où il a
créé puis dirigé l’Unité de prévention du risque chimique (1989-2000).
Il est également expert français auprès de l’Union européenne, dans le
groupe chargé de la fixation des normes pour les produits chimiques en
milieu de travail. Il co-dirige l’enseignement de toxicologie fondamentale et appliquée au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers)
de Paris et de Lyon. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages
scientifiques, dont La Sécurité en laboratoire de chimie et de biochimie
(Lavoisier), un classique qui, dès les années 90, mettait en garde contre
les prions pathogènes.
© Flammarion, 2001.
ISBN : 2-080300261
Imprimé en France
5 Avant-propos
11 La longue énigme des maladies
à prions chez l’homme
11 Du cannibalisme au kuru
15 Les formes humaines classiques :
la maladie de Creutzfeldt-Jakob
18 La contamination par l’hormone de croissance
21 Les encéphalopathies
spongiformes ne datent pas
d’aujourd’hui
21 La tremblante du mouton, une maladie endémique
d’origine mystérieuse
26 Les autres maladies naturelles animales
29 À quoi servent les modèles de laboratoire?
38 Le prion, un agent infectieux
d’un troisième type
38 Ni virus ni bactérie, une nouvelle forme d’agent infectieux
41 La protéine du prion, une protéine présente
chez tous les mammifères
43 Un changement de structure qui bouleverse
ses propriétés
45 Le prion résiste-t-il à tout ?
48 Les mutations génétiques dans les maladies à prions
51 Prion, virino et autres hypothèses
57 À la recherche de modèles analogues :
les prions de levure
59 Maladie de la vache folle
et contamination de l’homme
59 L’émergence de la maladie de la vache folle
67 Une nouvelle maladie de Creutzfeldt-Jakob
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Les risques pour l’homme
Des farines de viandes et d’os pour nourrir nos herbivores
Peut-on consommer des produits bovins?
Après la vache folle, le mouton fou?
Le principe de précaution : bouclier ou parapluie?
La contamination de l’environnement
La transfusion sanguine
Protection de l’homme :
gestion du risque et programmes de dépistage
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Conclusion
Annexes
Notes et références
Glossaire
Historique de la vache folle
Bibliographie
La première fois qu’apparaît un mot relevant d’un vocabulaire spécialisé,
il est suivi d’un *. On trouvera sa définition dans le glossaire.
Avant-propos
E
n 1986, apparaissent au Royaume-Uni les premiers cas officiels d’encéphalopathie* spongiforme bovine (ESB), rapidement baptisée maladie de la vache folle (mad cow disease). Celle-ci ne constitue au départ qu’une curiosité, une nouvelle maladie à
prions* résultant d’une modification des procédés de fabrication des farines animales incorporées dans l’alimentation du bétail. La découverte de son extension potentielle
à l’ensemble du cheptel bovin britannique est considérée
et traitée pendant très longtemps comme un problème
agricole sans danger pour l’homme, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer sur les mesures de précaution prises et sur leur niveau réel d’application.
Le 20 mars 1996, le ministre de la Santé annonce au
Parlement britannique les premiers cas humains liés à
cette maladie : c’est le déclenchement de la première crise
de la vache folle. Contrairement à tout ce qui a été
annoncé et assuré, l’homme peut être contaminé, via son
alimentation, par des prions, qui demeurent invisibles au
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microscope et provoquent des maladies responsables
d’une dégénérescence du cerveau dont l’évolution est
toujours fatale, et pour lesquelles on ne dispose d’aucun
traitement efficace. Le choc est redoutable : la population
découvre que ces fameux prions, qui ont potentiellement
contaminé tous les troupeaux britanniques (plus de
180 000 cas à ce jour), pour lesquels il n’existe pas encore
de test de détection, et qui résistent à peu près à tous les
moyens de décontamination, peuvent se retrouver dans
une alimentation censée lui apporter énergie et santé. La
mise en place rapide de l’embargo sur tous les produits
dérivés de bovins du Royaume-Uni permet officiellement
d’établir un cordon sanitaire et, couplée à diverses autres
mesures de protection, notamment pour les farines de
viandes et d’os, elle permet de rétablir partiellement la
confiance des consommateurs du reste de l’Europe. Mais
le doute demeure latent. Le renforcement des mesures
britanniques, notamment l’interdiction pour la consommation humaine de tous les bovins statistiquement en âge
de développer la maladie (animaux de plus de 30 mois)
associée à une baisse importante du prix de la viande et à
des campagnes de promotion relance la consommation
de produits bovins outre-Manche.
Fin 2000, nouveau rebondissement : on apprend qu’un
nombre croissant de bovins sont contaminés plus de cinq
ans après l’interdiction des farines animales, responsables
de la diffusion de la maladie, c’est-à-dire à un moment où,
selon les affirmations officielles, le risque est censé être
maîtrisé depuis très longtemps. Des enquêtes diffusées à la
télévision 1 à des heures de grande écoute révèlent que,
contrairement à ce qui a été maintes fois affirmé, des
farines contaminées ont, en toute impunité, continué à cir-
AVA N T - P R O P O S
culer en grandes quantités à travers l’Europe. Par ailleurs,
les cas d’ESB n’ont pas été recherchés avec une réelle efficacité et le niveau des mesures de protection n’est manifestement pas suffisant dans un certain nombre de pays
qui se considèrent indemnes. À la fin de la même année,
la découverte des premiers cas d’ESB en Allemagne, à la
suite de la mise en place des tests de dépistage, a provoqué
un véritable scandale sur l’insuffisance de précautions précédemment prises par les pouvoirs publics et entraîné
outre-Rhin la démission du ministre de la Santé et du
ministre de l’Agriculture. Enfin, l’apparition concomitante
d’un nombre croissant de personnes atteintes par l’ESB
(96 personnes affectées au début de l’année 2001, au
Royaume-Uni), même si elles ont été contaminées avant
les différentes mesures de précaution prises par les
Britanniques, a ajouté à la confusion en renforçant le sentiment d’insécurité et en modifiant considérablement la
perception du risque pour l’homme.
Les éléments sont donc rassemblés pour engendrer un
sentiment de défiance et de rejet massif de tous les produits
bovins, quelle que soit leur qualité. Faute de repères, une
crise de confiance durable s’installe et les efforts pour « rassurer » semblent ne pas convaincre vraiment les consommateurs qui demandent surtout à être informés et protégés.
Mais que peut-on encore manger? se demandent-ils.
L’objectif de ce livre, que le format de poche rend
accessible au plus grand nombre, est de fournir des éléments d’information aussi objectifs que possible et les
bases scientifiques qui permettront au lecteur de se faire
une idée de l’état des connaissances actuelles sur un sujet
en perpétuelle évolution et particulièrement troublant,
voire inquiétant pour le grand public.
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Nous exposerons dans un premier temps les connaissances actuelles sur ces maladies et ces étranges prions
avant d’analyser plus spécifiquement la maladie de la
vache folle et ses conséquences pour l’homme.
Les ESST* (encéphalopathies spongiformes subaiguës
transmissibles) regroupent principalement, chez l’homme,
la maladie de Creutzfeldt-Jakob et, chez l’animal, la tremblante du mouton*, à laquelle s’ajoute depuis 1985 l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), nom scientifique
de la maladie de la vache folle. Ce sont des maladies dégénératives du système nerveux central*. A l’examen microscopique, le cerveau apparaît criblé de trous comme une
éponge, d’où le qualificatif de spongiforme. Elles entraînent une démence et différents troubles neurologiques,
notamment des pertes d’équilibre. Ces signes n’apparaissent qu’après une très longue phase d’incubation silencieuse, qui peut aller de quatre à plus de quarante ans chez
l’homme.
La maladie de la vache folle et les maladies à prions en
général constituent aujourd’hui une énigme biologique et
le seul exemple de maladie transmissible dont l’origine
est encore inconnue.
Deux séries de travaux ont amélioré notre connaissance de ces maladies : la première date de 1936, lorsque
que deux vétérinaires français, Paul-Louis Chelle et Jean
Cuillé, démontrent que la tremblante du mouton est
transmissible à d’autres moutons; Carleton Gajdusek,
prix Nobel en 1976, le démontre ensuite brillamment
pour les maladies humaines, notamment avec le kuru* ;
dans la seconde série de travaux, au début des années 80,
Stanley B. Prusiner (prix Nobel en 1997) et ses collaborateurs révèlent le rôle clé d’une protéine* de l’hôte, la
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protéine du prion, ou PrP, qui s’accumule sous une
forme anormale (PrPsc ou PrPres) dans le cerveau des
sujets atteints. En France, les pionniers ont été une neurologue, Françoise Cathala, et un médecin militaire,
Louis Court, qui, par son enthousiasme et sa persévérance, réussit, dès le début des années 70 et durant près
de vingt ans, à maintenir une recherche sur un sujet
auquel les organismes officiels s’intéressent guère.
Les agents responsables des ESST sont appelés agents
transmissibles non conventionnels (ATNC), virus* lents
non conventionnels, plus spécifiquement virino* ou
prion. Ces agents se multiplient dans les tissus lymphoïdes (ganglions lymphatiques, rate, amygdales,
appendice…) et le système nerveux central (cerveau et
moelle épinière). Le niveau infectieux dépend de l’agent
causal, de la voie d’inoculation et du patrimoine génétique* de l’hôte, c’est-à-dire de l’individu qui l’abrite. Les
ESST n’entraînent aucun signe inflammatoire dans le
cerveau — d’où le terme d’encéphalopathie et non d’encéphalite — ou dans le reste de l’organisme. L’absence de
réponse du système de défense immunitaire obère la
possibilité d’un test de diagnostic sérologique (par détection d’anticorps*). À ce jour, il n’existe aucun test simple
permettant une détection directe de ces agents infectieux ; en pratique, seule l’apparition des signes cliniques
permet le diagnostic, qui se verra confirmé ou infirmé
après le décès par l’examen histologique * du cerveau.
Aucune thérapeutique efficace n’a été mise au point et
l’évolution clinique, sans rémission, est toujours fatale.
Il ne se passe plus un jour sans que la maladie de la
vache folle soit évoqué et, en l’absence de réponse scientifique claire, l’amplification médiatique d’opinions par-
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faitement contradictoires crée un climat général de suspicion. Entre ceux qui considèrent qu’il n’y a pratiquement aucun danger pour l’homme et ceux qui annoncent
des centaines de milliers de morts, le fossé est gigantesque. Après les vaches, ce sont les hommes qui sont
désorientés et qui réclament d’urgence, à défaut de
réponses définitives, des éléments fiables d’information,
que nous allons tenter de leur apporter dans cet ouvrage.
La longue énigme
des maladies à prions
chez l’homme
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Du cannibalisme au kuru
La spongiose*
Cette coupe de cerveau examinée au microscope présente
un aspect caractéristique de spongiose chez un homme décédé
de maladie de Creutzfeldt-Jakob (l’absence de coloration
correspond à des trous).
En 1957, Vincent Zigas, un médecin militaire australien,
et Daniel Carleton Gajdusek, un médecin pédiatre américain, décrivaient pour la première fois une maladie très
particulière, le kuru, qui touchait des tribus du groupe
ethnique des Forés vivant encore à l’Âge de pierre dans
la région des hauts plateaux de Papouasie-NouvelleGuinée, et qui se caractérisait par une perte d’équilibre et
une démence. Le kuru, qui signifie en langage foré
« tremble de frayeur et de froid », était responsable de
plus de la moitié des décès enregistrés dans les villages les
plus durement touchés. Cette épidémie semble avoir
commencé au début du siècle pour atteindre son apogée
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dans les années 50. Elle touchait principalement les
femmes adultes (environ 8 femmes pour 1 homme) et les
enfants des deux sexes (un tiers des cas).
Malgré l’isolement de ces régions, à cette époque quasi
inaccessibles, quelques médecins s’intéressèrent à l’épidémie, très localisée et ne semblant toucher ni les autres tribus papoues proches ni les Blancs en contact avec les
Forés. La nourriture paraissait un élément déterminant
dans l’apparition de la maladie, même si les plantes ou les
insectes (composants classiques de la nourriture des
Papous) semblaient hors de cause. Les explications les plus
variées ont été proposées, à commencer par des désordres
endocriniens (atteintes liées aux hormones) et des anomalies génétiques liées au sexe féminin, mais également des
mycotoxines (principes toxiques des champignons), voire
l’effet des cendres de volcans. En fait, le kuru était transmis par des pratiques anthropophages censées conférer la
vitalité lors de rites mortuaires secrets : dans ces sociétés
primitives, l’homme adulte, guerrier et chasseur, considéré
comme supérieur, consommait les muscles, siège de la
force, et laissait les restes moins nobles, dont le cerveau
(hautement infectieux), aux femmes et aux enfants. C’est
grâce à un énorme travail ethnologique, supervisé par
Donald Carleton Gajdusek, avec reconstitution des « festins » contaminants, que tous les cas de kuru ont pu être
reliés à une chaîne d’infection interhumaine, ce qui constitue une situation tout à fait singulière.
Une description précise des signes cliniques du kuru fut
faite par D. C. Gajdusek, qui distinguait trois stades. Le
premier signe observé était une perte d’équilibre, caractéristique d’une atteinte précoce du cervelet, partie de l’encéphale située juste sous le cerveau : le cervelet contrôle
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la régulation du tonus musculaire et permet un jeu harmonieux des différents muscles impliqués notamment
dans le maintien de l’équilibre, d’où les premiers signes
observés chez les personnes atteintes. Des mouvements
oculaires anormaux et des tremblements complétaient les
symptômes et rendaient cette maladie très handicapante.
Au deuxième stade, dit sédentaire, le malade ne pouvait plus se déplacer qu’en s’appuyant sur un bâton, les
muscles se paralysaient progressivement. Selon les individus, le moral était plus ou moins affecté, certains riant
en permanence, d’où le surnom de « maladie du rire »
donné au kuru, tandis que d’autres sombraient dans une
dépression mélancolique. Au stade final, le malade était
totalement infirme, incontinent, et devenait incapable
d’articuler des mots et de s’alimenter seul. La mort survenait généralement moins d’un an après l’apparition
des premiers symptômes. La prise en charge à l’hôpital
permettait de maintenir le malade en vie plus longtemps,
mais rapidement les familles s’opposèrent à cette médicalisation qui ne faisait que prolonger l’agonie des
patients et elles ramenèrent leurs proches, afin qu’ils
meurent en paix dans leur village.
Tous les essais d’inoculation à diverses espèces animales
(souris, rats, lapins, cobayes) se soldèrent dans un premier
temps par des échecs. Toutefois, grâce notamment à l’observation de similitudes entre le kuru et la tremblante du
mouton notée dès 1959 par William Hadlow, un vétérinaire américain, le docteur Gajdusek acquit la conviction
qu’il fallait poursuivre les inoculations expérimentales,
surtout à des primates, mais en prolongeant les délais
d’observation. La première transmission réussie n’eut lieu
que sept ans plus tard chez le chimpanzé, à la suite d’une
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inoculation dans le cerveau. L’examen histologique de l’encéphale permit de mettre en évidence, outre les lésions de
spongiose (des trous dans le cerveau lui donnant un aspect
d’éponge) correspondant à la dégénérescence des neurones
(voir photo p. 10), les plaques amyloïdes* caractéristiques du
kuru (des dépôts protéiques amorphes particuliers, composés de la forme anormale de la protéine du prion – PrPres –,
lésions identiques à celles retrouvées chez l’homme).
Des transmissions expérimentales du kuru ont finalement été entreprises avec succès dans plus de douze
espèces de singes de l’Ancien et du Nouveau Monde et
ont permis de mettre en évidence un nombre d’unités
infectieuses dépassant 1000 000 par gramme de cerveau
humain, chaque unité étant capable de tuer un animal.
Par ailleurs, une transmission du kuru par voie orale à
partir du cerveau de patients décédés de la maladie a été
démontrée chez certains singes, alors qu’il était impossible de détecter l’agent infectieux dans les prélèvements
de muscles. Chez le primate, la transmission est toutefois
plus facile par scarification *, ce qui suggère que la voie
cutanée était peut-être chez les Papous la voie de contamination privilégiée lors de la préparation du « festin ».
Les femmes étaient en effet chargées du dépeçage du
cadavre et de la récupération du cerveau, travaux qui s’effectuaient de façon assez primitive et brutale.
Depuis l’interdiction de ces pratiques, à partir de 1957,
le nombre de cas a chuté de façon spectaculaire et, ces
dernières années, les très rares individus atteints de kuru
ont été contaminés voilà plus de trente-cinq, voire quarante ans, le dernier cas décrit étant décédé en 1998. Les
victimes les plus jeunes avaient au moins 4 ans et demi,
ce qui fournit une estimation de la période d’incubation
D U CA N N I B A L I S M E A U K U R U
minimale du kuru dans les conditions « naturelles ». La
maladie n’est pas transmissible par contact avec des
patients malades : aucun cas de kuru n’a été rapporté chez
des indigènes n’ayant pas participé à des rites anthropophages ou chez des Européens venus vivre dans ces tribus. Enfin, depuis l’arrêt du cannibalisme, aucun enfant
né de mère infectée (en période d’incubation ou malade),
généralement allaité par elle, n’a développé le kuru.
Le kuru aura finalement tué plus de 3000 personnes
sur une population d’environ 30 000 Papous. L’origine de
l’épidémie pourrait être un cas sporadique* de maladie
de Creutzfeldt-Jakob. Il est indéniable que le kuru aura
permis des avancées considérables dans la compréhension des formes classiques de ces maladies chez l’homme.
Les formes humaines classiques :
la maladie de Cre u t z f e l d t - J a ko b
La maladie de Creutzfeldt-Jakob constitue la forme
humaine la plus fréquente de maladie à prions. Décrite
par les médecins allemands Hans Creutzfeldt et Alfons
Jakob respectivement en 1920 et 1921, cette maladie a
bénéficié, au cours du temps, de plus de 80 appellations
différentes avant d’être clairement identifiée comme
appartenant au groupe des ESST. C’est la ressemblance
des lésions histologiques du cerveau avec celles observées
dans le kuru qui amena l’équipe de D. C. Gajdusek à étudier et à démontrer la transmissibilité de cette affection.
Sous sa forme habituelle, laquelle constitue plus de
80 % des cas d’ESST chez l’homme, la maladie de
Creutzfeldt-Jakob 2 (MCJ) est sporadique : elle survient
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ici et là, touche des individus isolés, ce qui est l’inverse
d’une situation épidémique. Sa fréquence annuelle est de
1,4 cas pour 1 million d’habitants, ce qui représente environ un décès sur 7 000 décès et, en moyenne, 80 cas par
an en France. Il s’agit classiquement d’une démence
(définie comme un affaiblissement intellectuel profond
avec des troubles de la mémoire, une altération de l’intelligence, au sens général du terme, une désorientation
temporo-spatiale et une perturbation des conduites
sociales), dont le début est progressif, chez des patients
âgés de 60-65 ans, à laquelle s’associent peu à peu des
troubles neurologiques (perte d’équilibre et troubles
visuels) et des contractions musculaires (myoclonies*).
Les premiers signes sont variables : dans 40 % des cas,
la maladie commence insidieusement, sous la forme de
détérioration mentale progressive; dans 35 % des cas, les
premiers signes sont uniquement neurologiques et peuvent, lorsqu’ils sont isolés, conduire à des erreurs de diagnostic ; les autres formes associent d’emblée l’atteinte
mentale aux signes neurologiques. La maladie évolue
sans rémission, il s’agit d’une démence avec confusion et
mutisme, souvent associée à une cécité corticale (le
patient devient aveugle par atteinte du cerveau et non
des yeux), avec apparition d’hallucinations accompagnées d’incoordination motrice et de mouvements anormaux. En quelques mois, l’évolution est fatale et le
diagnostic clinique est confirmé par l’examen histologique du cerveau et la recherche de PrPres, la forme anormale de la protéine du prion (voir p. 43).
En l’absence de cause infectieuse déterminée, Stanley
Prusiner a proposé une origine uniquement liée à l’individu qui abrite la protéine du prion devenue pathogène :
LE S F O R M E S H U M AI N E S C LA S S I Q U E S
il se produirait une mutation* somatique de la PrP, par
analogie aux mutations de gènes* en cause dans la plupart
des cancers. Dans cette hypothèse, il devrait toutefois exister une augmentation du nombre de cas en fonction de
l’âge, et non un pic à 60-65 ans suivi d’une décroissance.
Il semble par ailleurs indéniable que les cas de MCJ sporadiques ne sont pas liés à la tremblante du mouton – des
pays indemnes de tremblante comme l’Australie ou la
Nouvelle-Zélande ont la même fréquence de MCJ que le
reste du monde –, mais l’existence d’un réservoir animal
non identifié ne peut être exclue. Dans le cas des virus responsables des fièvres hémorragiques africaines, tel le virus
Ebola, qui sont les plus dangereux au monde et qui surviennent par foyers puis disparaissent pendant dix ans, il
est évident qu’un réservoir animal assure la persistance du
virus pendant les périodes silencieuses, puisque tous les
hommes contaminés meurent en quelques jours (le parasite a besoin d’un hôte pour survivre). Malgré tous les
efforts déployés, notamment par l’OMS, le réservoir du
virus Ebola n’est toujours pas identifié : actuellement, l’une
des hypothèses retenues est la présence endémique du
virus sous forme non pathogène chez des rongeurs. C’est
ainsi qu’occasionnellement un virus mutant pathogène
pour l’homme pourrait apparaître et serait responsable
d’une nouvelle flambée de la maladie.
Dans le cas de la MCJ, il ne semble pas exister de
transmission naturelle interhumaine (au sein d’un couple
notamment), mais la maladie peut être transmise expérimentalement au primate à partir du cerveau d’un malade
et peut l’être accidentellement par des actes médicaux.
On parle alors de formes iatrogènes* de maladie de
Creutzfeldt-Jakob : des cas de contamination de patients
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sains par un patient infecté et non diagnostiqué comme
tel (pendant la phase cliniquement silencieuse ou lorsque
les premiers signes sont atypiques) ont été décrits et
imputés notamment à des instruments de neurochirurgie, des greffes de dure-mère, des greffes de cornée et
l’injection d’hormone de croissance purifiées à partir
d’hypophyses humaines.
Certaines formes de MCJ peuvent toucher plusieurs
membres d’une même famille. Toutes liées à une mutation génétique, elles sont très rares et représentent
10 à 15 % des cas de MCJ. Elles regroupent les maladies de Creutzfeldt-Jakob familiales proprement dites,
le syndrome de Gerstmann-Sträussler-Scheinker et l’insomnie fatale familiale.
Ces formes sont parfois qualifiées de purement génétiques parce qu’il n’existe pas de cause infectieuse
identifiée. Toutefois, expérimentalement, elles sont
transmissibles à l’animal normal, bien que plus difficilement que les formes classiques. Il convient donc
de ne pas confondre la susceptibilité liée à l’hôte, et
principalement au gène codant pour la PrP, et la présence d’un agent infectieux, à savoir d’un agent transmissible* non conventionnel, ou prion.
La contamination par l’hormone
de croissance
À ce jour, la France compte malheureusement le plus
grand nombre de cas de maladie de Creuzfeldt-Jakob
iatrogène liée à l’hormone de croissance (plus de la moitié
des 140 cas mondiaux) : les premiers cas apparus en 1989
L A C O N TA MI N AT I O N P A R L’ H O R M O N E D E C R O I S SA N C E
concernaient des enfants inhabituellement jeunes, âgés de
10 à 11 ans. Sur près de 980 enfants traités entre janvier 1984 et juin 1985 par hormone de croissance dite
extractive, parce qu’extraite d’hypophyses de cadavres
humains, 76 ont à ce jour développé cette maladie mortelle (soit près de 8 % d’entre eux) et de nouveaux cas
apparaissent régulièrement. À l’époque, les progrès du
génie génétique* n’avaient pas encore permis de produire
ces hormones à partir de bactéries : l’inefficacité des hormones d’origine animale (liée à une différence de récepteur – cible de l’hormone – chez l’homme par rapport au
porc ou au bovin) obligeait à recourir à des prélèvements
effectués sur des cadavres humains.
Le même phénomène a été observé aux États-Unis, où le
premier cas fut décrit en 1985, et au Royaume-Uni, où les
programmes nationaux de production d’hormone de croissance ont également été mis en cause, tandis que les industries pharmaceutiques aux règles de production plus strictes
et qui appliquent les BPL (« bonnes pratiques de laboratoire ») ne pouvaient être incriminées 3. Pour mémoire, ces
programmes nationaux ont été mis en place pour gérer la
pénurie d’hormone de croissance, ou plutôt d’hypophyses
humaines, afin d’assurer l’accès de tous au traitement, indépendamment de considérations financières. Au final, cette
contamination rappelle la remarquable capacité des prions
à résister à la plupart des procédés de purification ou de
décontamination. Elle rappelle également la difficulté de
prévoir l’évolution de la contamination d’une population
humaine : aujourd’hui, avec plus de quize ans de recul et
alors qu’il s’agit de transmissions interhumaines – sans phénomène de barrière d’espèce, qui diminue l’efficacité de la
transmission et augmente les périodes d’incubation – par
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une voie de contamination relativement efficace – les injections le sont plus que la voie alimentaire –, nous observons
toujours l’apparition de cas à un rythme soutenu (en
moyenne 4 à 5 par an).
Les facteurs liés à la susceptibilité individuelle jouent
également un rôle important. En l’occurrence, le gène
codant pour la PrP (la protéine du prion) est un facteur
essentiel en cas de contamination chez les patients ayant
développé une MCJ liée à d’anciens traitements par hormone de croissance en France : pendant près de cinq ans,
tous les cas observés (soit 30 enfants ou jeunes adultes)
avaient la particularité d’avoir un seul type de protéine du
prion, alors que cette caractéristique n’est observée que
dans 50 % de la population normale. L’autre moitié de la
population, y compris les enfants traités par hormone de
croissance, possède deux types de PrP qui ne diffèrent que
par un seul acide aminé 4 (hétérozygotie * au codon* 129) :
l’une provenant du patrimoine génétique du père, l’autre
de celui de la mère. Cette différence a donc apparemment
suffi pour rendre les porteurs résistants à la maladie.
Toutefois, aujourd’hui, l’interprétation paraît moins optimiste, car les premiers cas de malades porteurs des deux
types de PrP (hétérozygotes*) sont apparus en 1994 et leur
nombre continue à augmenter. Par ailleurs, il a été observé
que, dans le kuru, cette hétérozygotie au codon 129 entraînait un retard dans l’apparition de la maladie plus qu’une
réelle protection. Dans les modèles expérimentaux, un
phénomène semblable de ralentissement de la maladie est
observé lorsque deux PrP différentes sont présentes chez
un même animal. Au total, la susceptibilité génétique individuelle permet de retarder l’apparition de la maladie,
mais pas nécessairement de l’éviter.
Les encéphalopathies
spongiformes ne datent pas
d’aujourd’hui
21
La tremblante du mouton :
une maladie endémique
d ’o rigine my s t é ri e u s e
Dès la première moitié du XVIIIe siècle (1732) fut
décrite en Europe une maladie endémique, la tremblante
du mouton, que les Anglo-Saxons dénommèrent « scrapie* » (du verbe to scrap, qui signifie « gratter »). Cette
apparition coïncida avec les efforts de sélection de races
productives et le développement de troupeaux importants par de gros propriétaires terriens : on estime qu’à
l’époque près du quart de la population anglaise s’impliquait d’une façon ou d’une autre dans le commerce de la
laine 5.
L E S E N C É P H A L O PA T H I E S S P O N G I FO R M E S
La population de moutons au Royaume-Uni est passée
de 31,5 millions en 1980 à 44 millions en 1992, pour un
total d’environ 85 000 troupeaux. En 1988, la tremblante touchait 1/3 des troupeaux, soit 5 à 11 animaux
par troupeau de 1 000 têtes 6 (donc théoriquement plus
de 60 000 animaux par an), ce qui contraste singulièrement avec les 200 à 300 cas déclarés officiellement à
partir des années 90. Cette maladie touche également
d’autres petits ruminants, les chèvres notamment, et
affecte la plupart des pays du monde, à l’exception de
l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Principalement
étudiée chez les moutons Suffolk, la tremblante naturelle
L A T R E M B L A N T E D U M O U TO N
est une maladie endémique dans les troupeaux et atteint
des animaux âgés de 2 à 5 ans (des raisons commerciales
conduisent à ne garder que rarement les animaux après
cet âge). Elle est présente dans toute l’Europe, et dans
certains troupeaux elle atteint jusqu’à 30 % des animaux
— une fréquence de l’ordre de 0,5 à 2 % par an étant
considérée comme la plus courante. Comme de très
nombreuses maladies animales, elle ne posait aucun
problème particulier pour la santé humaine, mais, étant
considérée comme « honteuse », elle demeurait souvent
cachée. Aujourd’hui, elle ne relève d’une déclaration
obligatoire que dans certains pays, dont la France.
La tremblante du mouton ou de la chèvre présente une
longue période d’incubation – elle peut atteindre deux à
trois ans. On distingue classiquement deux formes cliniques : l’une, nerveuse, se caractérise par une hyperexcitabilité accompagnée de tremblements, initialement
localisés à la tête et gagnant ensuite tout le corps; l’autre,
dite prurigineuse, se manifeste par un prurit* invasif qui va
entraîner des lésions, en général étendues, liées au grattage, et une disparition progressive de la toison. Les animaux atteints, devenus incapables de coordonner leurs
mouvements, finissent par ne plus tenir debout et meurent
d’épuisement (cachexie) au bout de quelques mois.
La transmissibilité de cette maladie au sein des troupeaux, démontrée dès 1936 par des vétérinaires français, a été incidemment confirmée sur une grande
échelle par leurs homologues britanniques. En effet,
en 1939, une tremblante expérimentale s’est développée chez près de 7 % des 18 000 moutons vaccinés
quatre ans auparavant contre le louping-ill (une maladie nerveuse d’origine virale transmise par les tiques).
23
L E S E N C É P H A L O PAT H I E S S P O N G I FO R M E S
24
Le vaccin avait été élaboré à partir de cerveaux de
moutons malencontreusement contaminés par une
souche* de tremblante.
Il existe naturellement une transmission horizontale*
entre animaux au sein d’un troupeau qui pourrait être
liée à la placentophagie (lors de la mise bas par une brebis infectée, le placenta, lui-même infectieux, est ingéré
par la mère mais peut l’être également par d’autres brebis) ou à la contamination des pâtures par le placenta,
voire par les déjections. Les champs ayant abrité des animaux infectés pourraient être contaminants pour de nouveaux troupeaux pendant plus de dix ans. Certaines
expériences (voir p. 90) ont également prouvé la persistance d’une infectiosité dans le sol 7 durant plusieurs
années, d’où le problème de sécurité sanitaire posé par
l’enfouissement des carcasses d’animaux malades; cette
persistance a fait bannir l’utilisation de protéines d’abats
d’animaux dans les engrais. Qui plus est, la présence de
l’agent dans des acariens du fourrage 8 (araignées minuscules) a été décrite, ce qui impliquerait la possibilité d’un
réservoir animal jusque-là non identifié.
Par ailleurs, une transmission verticale semble également possible puisque certains embryons prélevés sur
une brebis infectée et transférés dans une mère porteuse
saine développent une tremblante. Le modèle du mouton
est toutefois particulier. En effet, des taux d’agents infectieux relativement importants sont retrouvés dans plusieurs organes périphériques (amygdales, rate, ganglions
lymphatiques, intestin, placenta), contrairement à ce qui
est observé chez l’homme — la présence d’agents infectieux y est limitée au système nerveux central (cerveau,
moelle épinière) — ou le bovin : cette particularité pour-
L A T R E M B LA N T E D U M O U TO N
rait expliquer l’éventualité d’une contamination de l’environnement (champs à tremblante) par le placenta, voire
par les déjections, et d’une transmission horizontale (entre
animaux d’un même troupeau), donc le caractère endémique de la maladie chez les ovins.
L’étude de la tremblante naturelle montre la présence
de l’agent infectieux très tôt, dès 3-4 mois, dans l’intestin,
au niveau des formations lymphoïdes (dites plaques de
Peyer), puis sa progression vers les autres organes lymphoïdes (ganglions lymphatiques, rate) et, pour finir, vers
le système nerveux central, ce qui signe une contamination précoce par voie orale.
Notons que cette maladie a été presque impossible à éradiquer en Islande, malgré des programmes d’abattage et
de repopulation très importants et très soigneusement
conduits. Les programmes d’éradication ont généralement
échoué, y compris aux États-Unis. En revanche, la tremblante semble avoir naturellement disparu en Australie et
en Nouvelle-Zélande, pays officiellement indemnes qui
ont pourtant introduit, à l’époque du roi George III, des
moutons britanniques nécessairement contaminés. La
tremblante semblait alors poser d’importants problèmes
économiques et un écrit de Claridge, en 1795, rapporte
qu’elle était considérée comme la pire calamité pour les
éleveurs de moutons de Sa Majesté. L’explication pourrait
tenir au mode d’élevage, qui favorise la transmission horizontale en Islande (île de l’Atlantique Nord), où les animaux sont maintenus à l’étable pendant les longs mois
d’hiver avec du foin potentiellement souillé, tandis qu’à
l’inverse l’Australie et la Nouvelle-Zélande offrent des
étendues considérables, ce qui, théoriquement, limite fortement le risque de contamination par la pâture.
25
L E S E N C É P H A L O PAT H I E S S P O N G I FO R M E S
Les autres maladies nat u re l l e s
animales
L’encéphalopathie spongiforme du vison
26
Cette maladie rare (TME, Transmissible Mink Encephalopathy) a ravagé quelques élevages de visons à la suite d’une
contamination alimentaire. Le premier foyer apparaît en
1947 aux États-Unis, dans une ferme du Wisconsin. Tous
les animaux adultes manifestent des signes d’incoordination motrice, de somnolence et des troubles végétatifs
majeurs (le système nerveux végétatif, encore appelé système nerveux autonome, contrôle le fonctionnement des
viscères, la respiration, la tension artérielle et la thermorégulation), puis finissent par mourir. 125 animaux vendus
sept mois auparavant à une ferme du Minnesota développent également la maladie. En 1961, le mal ressurgit dans
5 fermes du Wisconsin ayant toutes le même fournisseur
d’aliments pour visons, mais la mortalité est plus faible
(entre 10 et 30 %). En 1963, deux foyers sont décrits au
Canada, et un dans le Wisconsin, toujours; là encore, il y
a source commune d’alimentation. Des foyers ont également été observés en Finlande, en ex-Allemagne de l’Est
et dans l’ex-URSS. Le cas le plus récent est signalé en
1985 à Stetsonville, aux États-Unis, vingt-deux ans après le
dernier foyer américain observé 9.
La durée d’incubation silencieuse est estimée entre sept
et douze mois. Les premiers signes se caractérisent par une
hyperexcitabilité et une grande agressivité, l’animal pouvant s’automutiler. La phase suivante est dominée par une
somnolence, souvent associée à une cécité, puis par une
paralysie des pattes postérieures avant le décès, qui survient après quelques semaines d’évolution. Il n’existe pas
L E S A U T R E S M A L A D I E S N AT U R E L L E S A N I M A L E S
de transmission naturelle entre visons, lesquels constituent
ainsi un « cul-de-sac épidémiologique* » : la prévention
passe donc uniquement par la surveillance des sources
d’alimentation.
Si l’origine alimentaire est clairement établie d’après les
données épidémiologiques, la cause réelle de la maladie
n’est toujours pas déterminée. Ces animaux carnassiers
ont pu recevoir des carcasses de moutons morts de tremblante, et, effectivement, les expériences menées en laboratoire ont montré que certaines souches de tremblante
sont transmissibles au vison par voie intracérébrale.
Toutefois, aucun vison n’a développé de maladie en mangeant des cerveaux de moutons contaminés par l’agent de
la tremblante. À l’inverse, la contamination par voie orale
s’est aisément faite avec du cerveau de bovins atteints
d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Dans au
moins deux circonstances, et notamment pour le foyer de
Stetsonville, le plus récent, il semble que les visons n’aient
jamais reçu de nourriture à base de viande de mouton,
mais qu’en revanche ils aient été nourris avec des carcasses de vaches retrouvées mortes ou euthanasiées à la
suite d’un décubitus permanent (syndrome dit de la
« vache couchée », ou downer cow syndrome, pour lequel
la recherche de cas d’ESST n’a, semble-t-il, pas été réalisée). Ce type d’observation plaide en faveur d’une contamination des visons par des bovins ayant développé une
maladie à prions de type sporadique non détectée.
La maladie du dépérissement chronique
des ruminants sauvages
Cette maladie (CWD, Chronic Wasting Disease), semblable à la tremblante, touche aux États-Unis les rumi-
27
L E S E N C É P H A L O PA T H I E S S P O N G I FO R M E S
28
nants sauvages en liberté et en captivité : principalement
le cerf-mulet des montagnes rocheuses et le cerf à queue
blanche et l’élan. Cette maladie a été observée pour la
première fois au début des années 60 dans un troupeau
de cerfs-mulets élevés en captivité dans une ferme de
recherche (Research Farm) sur les animaux sauvages à
Fort Collins (Colorado, États-Unis). Plus tard, elle a été
observée dans d’autres centres près de Kremmling
(Colorado) et Wheatland (Wyoming) chez des cerfsmulets et des élans en captivité.
Il existe une transmission horizontale importante chez
les animaux adultes, surtout en captivité, en raison de la
promiscuité : classiquement, en trois ans, la maladie
affecte la totalité d’un troupeau de cerfs-mulets et environ 30 % d’un troupeau d’élans, qui paraissent moins
sensibles. Il est fortement recommandé d’éliminer l’ensemble du troupeau dès l’apparition du premier animal
malade, pour éviter de contaminer l’environnement et
de rendre inutile pendant plusieurs années le remplacement du troupeau par des animaux sains.
La recherche systématique de signes de la maladie en
microscopie 10 a permis de montrer que la maladie n’était
pas diagnostiquée sur le plan clinique dans 97 % des cas.
Ainsi, dans le Wyoming, sur 133 animaux retrouvés positifs, seulement 4 présentaient des signes cliniques. C’est
seulement en 1981 que la maladie a été décrite chez les
animaux sauvages, mais il est vraisemblable que des cas
non détectés sont survenus beaucoup plus tôt. Sa fréquence (ou prévalence), estimée à environ 1 % en 1984 et
augmentant régulièrement, atteignait quelque 3,5 % en
1998 dans le nord-est du Colorado. De la même façon, les
chercheurs estiment que, sur la même période, sa fré-
À Q U O I S E R V E NT L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ?
quence chez les daims est passée de moins de 3 % à 13 %
dans le sud-est du Wyoming. Sans contrôle, cette maladie
pourrait décimer les troupeaux de daims dans les trente à
cinquante ans à venir et envahir les États limitrophes,
d’autant qu’elle se transmet à d’autres espèces, notamment les cerfs à queue blanche, qui sont beaucoup plus
mobiles, ou les élans, qui sont transportés pour être élevés
en captivité dans d’autres contrées 11.
Récemment, au Canada, des élevages contaminés de
plus de mille wapitis ont été abattus pour enrayer la propagation de la maladie. Par ailleurs, la description
récente de trois cas de MCJ chez des chasseurs de moins
de quarante ans potentiellement en contact avec des animaux de ces régions a alerté le CDC (Control Disease
Center) d’Atlanta, chargé de surveiller toute maladie
émergente dans le monde, sur le risque de transmission
à l’homme : pour le moment, aucun lien de cause à effet
n’a été établi ; toutefois, par précaution pour la sécurité
de la transfusion sanguine, les chasseurs de cette zone
pourraient être exclus du don du sang 12.
À quoi ser vent les modèles
de labora t o i re ?
La souris, le modèle par excellence
La souris est l’animal le plus fréquemment sensible aux
maladies naturelles et constitue le modèle de référence :
modèle pour la détection des agents infectieux, leur quantification et l’étude de leurs propriétés, et modèle pour étudier
le déroulement de la maladie. Les laboratoires travaillent
avec des souches syngéniques* (de souris, des animaux pos-
29
L E S E N C É P H A L O PAT H I E S S P O N G I FO R M E S
30
sédant le même patrimoine génétique issus de lignées obtenues par des croisements successifs contrôlés, afin de limiter
au maximum les variabilités inter-individuelles.
Maîtriser la maladie. Face à des prions dont la nature
exacte n’est toujours pas connue, qui demeurent invisibles au microscope et qui ne se multiplient pas en tube
à essai, l’existence de ce modèle in vivo, très facilement
reproductible, est depuis des années l’outil le plus fiable
pour la recherche.
À titre d’exemple, le mode de réponse classique 13 d’une
souris à la suite d’une inoculation directe dans le cerveau (la
voie de contamination la plus efficace) est le suivant :
durant cinq mois, il semble ne rien se passer, puis, en
quelques jours, tous les animaux commencent à présenter
des signes cliniques (troubles de l’équilibre, démarche
anormale) qui s’aggravent et qui en un mois évoluent
inexorablement vers la mort. Il s’agit donc d’une horloge
biologique d’une précision stupéfiante puisqu’il est possible,
au moment de la contamination, de prévoir à quelques
jours près le décès qui surviendra six mois plus tard.
Lors d’une contamination par voie orale, ces agents sont
retrouvés tout d’abord au niveau des plaques de Peyer de
l’intestin grêle (premières formations lymphoïdes qui constituent la première ligne de défense du système immunitaire)
au moment du passage de la barrière intestinale. Ils diffusent ensuite par voie lymphatique et sanguine à tous les tissus lymphoïdes (ganglions lymphatiques, amygdales, rate),
dans lesquels ils se multiplient avant d’envahir le système
nerveux à partir des différentes terminaisons nerveuses au
contact des tissus contaminés. La propagation le long des
nerfs se fait dans les deux sens : par conséquent, en fin de
maladie, l’ensemble du système nerveux central et périphé-
À Q U O I S E R V E NT L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ?
rique est contaminé, quelle que soit la voie d’inoculation initiale. C’est toujours au niveau du système nerveux central
que la quantité la plus importante d’agents infectieux est
retrouvée, ce qui, en raison du poids du cerveau et de la
moelle épinière, représente en valeur absolue la majorité
(plus de 95 %) de l’infectiosité retrouvée chez l’animal.
Déterminer la quantité d’agents infectieux. En pratique, ce
modèle permet de déterminer les titres infectieux, c’est-àdire de mesurer la quantité d’agents infectieux présents.
Plus la dose infectante est faible, plus la durée d’incubation
de la maladie est longue : ainsi, dans ce modèle de laboratoire, les souris contaminées avec un broyat de cerveau
infectieux dilué à 1 % (soit 0,2 mg pour 20 µl injectés, c’està-dire 20 millionièmes de litre) meurent toutes à quelques
jours près en 180 jours, tandis que les souris qui ont reçu
une dose 1 million de fois plus faible meurent entre 320 et
400 jours après l’injection, voire survivent parfois.
Classiquement, la quantité d’agents infectieux présents
dans un gramme de cerveau est suffisante pour tuer entre
1 million et 1 milliard de souris. Pourtant, nos techniques
les plus modernes n’ont toujours pas réussi à visualiser le
moindre microorganisme infectieux.
Une classification des tissus et des organes a été proposée à partir de la quantification des agents infectieux chez
le mouton atteint de tremblante, qui est à la base des
mesures de précaution pour l’exclusion des organes à
risque : schématiquement, le tissu le plus infectieux chez le
mouton est le système nerveux central (cerveau et moelle
épinière – à ne pas confondre avec la moelle osseuse, lieu
de formation des cellules sanguines, qui n’a strictement
aucun rapport et est considérée comme à risque très faible
ou nul); viennent ensuite (avec un facteur de réduction
31
L E S E N C É P H A L O PA T H I E S S P O N G I FO R M E S
32
d’environ 30 à 100 fois) les organes et tissus lymphoïdes
(ganglions lymphatiques, rate, amygdales, plaques de
Peyer, appendice et, de façon plus générale, intestin, placenta). Sont considérés comme sans infectiosité détectable
le muscle, le lait, l’urine, la peau et les poils.
Il faut cependant tenir compte des limites du système :
le volume inoculé à la souris par voie intracérébrale ne
peut guère dépasser 20 microlitres, soit 2 mg de tissu testé
s’il est broyé à 10 %. Cela implique que la même quantité
d’agent qui rendrait malade une souris si elle était concentrée dans 2 mg de tissu serait indétectable si elle était
diluée dans 2 grammes. Toutefois, le fait de ne pas détecter l’agent infectieux ne revient pas à certifier qu’il n’y en
a pas dans l’échantillon ; cela signifie seulement que sa
concentration est insuffisante dans les 2 mg testés.
Ces possibilités d’évaluer la présence de prions ont également permis de déterminer l’efficacité relative des différentes voies d’infection : comme on pouvait s’y attendre,
la voie la plus efficace est la contamination directe dans le
cerveau. Viennent ensuite la voie intraveineuse, considérée comme 10 fois moins efficace, puis la voie intrapéritonéale (injection à travers la paroi abdominale), environ
400 fois moins efficace : pour ces deux voies de contamination, respectivement 90 et 99,7 % des prions injectés
sont éliminés, voire détruits, notamment par les macrophages*, avant d’avoir atteint leur cible, c’est-à-dire les cellules dans lesquelles ils peuvent se multiplier avant
d’envahir le système nerveux central. Le phénomène est
encore plus marqué pour la voie orale, qui est considérée
comme 100000 fois moins efficace que la voie intracérébrale — l’immense majorité du produit ingéré ne traverse
même pas la barrière intestinale. Il n’existe aucun passage
À Q U O I S E R V E N T L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ?
à travers la peau saine. En revanche, sur peau lésée (scarification) ou par voie sous-cutanée, la transmission est relativement efficace — 50 fois moins cependant que par la
voie intracérébrale. Quant à la traversée de la muqueuse
conjonctivale, elle se révèle seulement 5 fois moins efficace que la voie intracérébrale. Il ne s’agit toutefois que
d’ordres de grandeur observés dans un modèle expérimental particulier 14. Ces données changent en fonction du
type de souris testé et de la souche de prion.
Mettre en évidence les différentes souches de prions. Ce que
l’on appelle souche en biologie est « l’ensemble des individus issus des repiquages successifs d’une colonie microbienne ». Une souche de prion résulte de la transmission
d’une maladie à prions à plusieurs hôtes successifs : en
pratique, on effectue des « passages » chez la souris, et
lorsque l’animal développe la maladie son cerveau est
récupéré et réutilisé pour inoculer un nouvel animal, ce
qui permet de « stabiliser » les souches, de leur conférer
des propriétés constantes au cours des passages ultérieurs. Ces propriétés caractéristiques d’une souche sont
notamment la période d’incubation pour un type donné
de souris (animaux syngéniques) et la répartition des
lésions histologiques (lésions tissulaires visibles en microscopie) dans les différentes régions du cerveau — ce que
les spécialistes appellent le « profil lésionnel » et certains
journalistes « la signature lésionnelle chez la souris ».
Plus de 20 souches différentes ont ainsi pu être isolées
dans le modèle expérimental de la souris, principalement
des souches de tremblante du mouton, mais également
d’autres ESST animales et humaines. Il est à noter que certaines souches de tremblante et surtout de MCJ n’ont
jamais pu être transmises à des rongeurs. La stabilité des
33
L E S E N C É P H A L O PAT H I E S S P O N G I FO R M E S
34
souches est variable : il est possible, pour les plus stables
d’entre elles, de garder ces propriétés même en changeant
d’espèce (passage souris-hamster-souris, par exemple), alors
que pour d’autres cela aboutit à la sélection de variants aux
propriétés différentes. Il est également possible de les
mélanger, d’effectuer plusieurs passages successifs chez
l’animal (ce qui implique plusieurs années) pendant lesquels seule la souche dominante est visible, avant d’isoler à
nouveau chacune des souches de départ.
Dès 1975, les expériences d’Alan Dickinson ont fait
apparaître la possibilité de porteurs sains : certaines
souches peuvent se multiplier dans les organes lymphoïdes sans jamais provoquer de maladie (absence de
neuro-invasion) du vivant de l’animal. Cette notion de
porteur sain a été redémontrée récemment entre souris et
hamster par l’équipe de Bruce Chesebro dans le Montana
(États-Unis), puis par celle de John Collinge à Londres :
une souche de prion de hamster peut se multiplier faiblement chez la souris sans provoquer le moindre signe
pathologique et recontaminer ensuite l’espèce d’origine 15.
A) La barrière d’espèce est déterminée par la PrP de l’hôte (qui s’accumule sous forme de PrP res en cas de transmission) : une souche d’ATNC
de souris qui ne se transmet pas au hamster peut être transmise à une souris transgénique qui possède à la fois la PrP de hamster et de souris, mais
ensuite elle ne sera transmissible qu’à la souris
(a-1) ; à l’inverse, une souche de hamster ne pourra pas être transmise à la
souris, même après un passage chez une souris transgénique
(a-2). B) Certaines souches peuvent être transmises à d’autres espèces
mais des variants avec des propriétés différentes sont alors sélectionnés (b :
ici la souche 22C de la souris devient la souche 22H après
passage chez le hamster). C) Certaines souches particulièrement stables
conservent toutes leurs caractétistiques après leur transmission à d’autres
espèces (c : ici la souche d’encéphalopathie spongiforme bovine).
À Q U O I S ER V E NT L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ?
L E S E N C É P H A L O PA T H I E S S P O N G I FO R M E S
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Ce qui pourrait poser des problèmes de santé publique
importants en cas de persistance d’un agent pathogène
dans une population animale ou humaine.
Enfin, ces souches ont également des propriétés de
résistance variables aux procédés de décontamination et
certaines d’entre elles sont particulièrement résistantes
aux traitements thermiques.
Contrôler le terrain génétique. La puissance du modèle
murin (souris) tient beaucoup au fait que l’on maîtrise le
patrimoine génétique de cet animal de laboratoire : les chercheurs peuvent travailler soit sur des animaux syngéniques,
lorsqu’ils ne veulent étudier que les variations liées aux différentes souches de prion, soit sur des animaux ne différant
que par un nombre limité de gènes, voire par un seul, afin
d’apprécier l’influence du patrimoine génétique sur l’apparition et l’évolution de la maladie. Le modèle de la souris a
notamment permis de mettre en évidence le principal gène
responsable de la susceptibilité à ces maladies (ESST), baptisé initialement SINC (pour Scrapie INCubation period ), et
qui s’est finalement révélé être le gène codant pour la protéine du prion (PrP), une protéine normale, qui n’est ni virale
ni bactérienne, mais constitutive de l’hôte puisque présente
chez tous les mammifères (voir p. 41). Enfin, les manipulations génétiques permettant d’obtenir des animaux transgéniques* exprimant, avec des taux très élevés, la protéine du
prion de souris (ou d’autres espèces) ou au contraire ne l’exprimant plus sont à l’origine des plus importants progrès
accomplis pour la compréhension du rôle de cette protéine.
Le hamster
Le hamster doré offre l’avantage de développer la maladie 2 fois plus rapidement que la souris (en moins de trois
À Q U O I S E R V E N T L E S M O D È L E S D E L A B O R AT O I R E ?
mois) avec une souche expérimentale particulière de tremblante 16 qui accumule une quantité d’agents infectieux
10 fois supérieure à celle de la souris. Ce modèle a été très
utilisé pour évaluer les différentes propriétés physicochimiques des prions et a permis en 1982 la première purification de la protéine du prion réalisée par Stanley Prusiner.
Le chat
L’agent de la MCJ est transmissible au chat par voie intracérébrale (transmission dans environ un tiers des cas),
contrairement à l’agent du kuru ou de la tremblante. Sa
durée d’incubation est de deux à cinq ans, la maladie dure de
un à cinq mois et se manifeste par une absence de toilettage,
de la nervosité, une fixité du regard et souvent des tremblements. Des dysfonctionnements très importants du sommeil,
avec perte du sommeil paradoxal et apparition d’états de
mort apparente (catalepsie), sont observés chez plus de la
moitié des animaux. Ces anomalies sont proches de ce qui
est décrit chez l’homme dans l’insomnie fatale familiale.
Le singe
Les premières transmissions expérimentales chez le
singe, en l’occurrence le chimpanzé, ont été réalisées en
1966 pour le kuru et en 1968 pour la MCJ, avec une
incubation qui varie de un à six ans. D’autres modèles de
primates, comme le saïmiri ou le macaque, offrent
l’avantage de se reproduire facilement et de développer
les maladies généralement plus vite. Le macaque est ainsi
sensible, après inoculation par voie intracérébrale, à la
MCJ, au kuru, à la tremblante, à l’encéphalopathie du
vison et surtout à l’ESB, maladie pour laquelle il constitue le modèle particulièrement proche de l’homme.
37
N I V I RU S N I B AC T É R I E
Le prion, un agent infectieux
d’un troisième type
38
Ni virus ni bactérie, une nouve l l e
f o rme d’agent infectieux
La nature exacte de l’agent transmissible non conventionnel* (ATNC) qui serait responsable des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST)
n’est pas encore totalement élucidée et alimente diverses
hypothèses, dont celle du prion. Parvenir à l’hypothèse,
tout à fait révolutionnaire, que cet agent infectieux peut
être une protéine a demandé beaucoup d’acharnement à
quelques biologistes que l’on pourrait qualifier de « non
conventionnels ».
En 1966, un biologiste londonien, Tikvah Alper,
découvre que les ultraviolets qui détruisent les acides
nucléiques, à la base des formes les plus élémentaires de
la vie, y compris des virus, sont sans action sur l’agent
responsable de la tremblante du mouton. De ce fait,
l’agent infectieux ne semble pas contenir d’acide
nucléique* (ADN* ou ARN*) dans sa structure et serait
donc une protéine. L’année suivante, à Londres, un mathématicien digne de Jules Verne, John S. Griffith, précise que
l’agent infectieux de la tremblante doit être, d’après ses
modélisations, une protéine dont la structure dans l’espace
est altérée et qui doit se multiplier par auto-association.
En France, Raymond Latarget, de l’Institut du radium
(aujourd’hui Institut Curie), confirme en 1970 par des
essais d’inactivation la nature apparemment purement
protéique de cet étrange agent cellulaire infectieux.
Le neurobiologiste californien Stanley Prusiner reprend
toutes ces données et démontre que ces ATNC, qui sont
insensibles aux agents physiques (chaleur, rayonnements
ionisants…) et chimiques (acides minéraux forts, aldéhydes* de type formol), résistent en pratique à tous les
procédés qui dégradent les acides nucléiques, tandis qu’ils
sont sensibles à ceux qui détruisent les protéines 17. Depuis
ces travaux fondamentaux (1982), Prusiner défend l’hypothèse selon laquelle l’agent infectieux des encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles (ESST) est
une protéine infectieuse, à laquelle il a donné le nom de
« prion », acronyme anglais anagramme de « particules
protéiques infectieuses ». Cette hypothèse est particulièrement osée, car tous les agents infectieux connus à cette
époque possèdent une information génétique capable de
s’exprimer et de se multiplier dans un organisme vivant,
comme le font les bactéries, les parasites ou les virus.
Classiquement, il est admis que les protéines ne sont
pas le support d’une information génétique, mais résultent au contraire de son expression ; de ce fait, dans son
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L E P R I O N , U N AG E NT I N F E CT I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E
40
hypothèse initiale, Prusiner propose que le prion pathogène soit une protéine étrangère à l’hôte qui utiliserait la
machinerie cellulaire de cet organisme pour se multiplier 18. Comme il fallait s’y attendre, cette hypothèse très
provocatrice fut accueillie avec un grand scepticisme par
la communauté des microbiologistes, sans qu’ils puissent
cependant démontrer son inexactitude.
Dès 1984, une protéine retrouvée dans des extraits
semi-purifiés de cerveau de hamsters infectés par une
souche de tremblante expérimentale fut partiellement
purifiée et baptisée « protéine du prion », puis séquencée
(détermination de sa constitution en acides aminés et de
leur ordre, c’est-à-dire de leur séquence). Ce petit morceau de séquence a permis de construire des sondes
nucléiques et d’aller rechercher l’ensemble du gène responsable de la synthèse de cette protéine. À la surprise
générale fut rapidement identifiée, dès 1985, par deux
équipes (celles de Charles Weismann en Suisse et de
Bruce Chesebro aux États-Unis) une séquence génétique
correspondant à une protéine cellulaire : la protéine du
prion normale (PrPc), localisée à la surface des cellules
nerveuses saines. Chez les animaux malades, cette protéine existe à la fois sous une forme normale, présente
chez tous les animaux sains, la PrPc, et sous une forme
anormale, pathologique, appelée PrPsc (pour scrapie) ou
PrPres (pour résistante), qui n’est pas dégradée par les
protéases* (enzymes détruisant les protéines) et qui, de ce
fait, va s’accumuler dans le cerveau, entraînant l’encéphalopathie spongiforme. Loin d’infirmer l’hypothèse du
prion, cette approche a permis de la réorienter. Le
concept de protéine étrangère à l’hôte a ainsi été remplacé par un modèle s’appuyant sur la transformation de
LA PROTÉINE DU PRION
la structure normale de la protéine du prion, elle-même
naturellement synthétisée dans les neurones*.
Afin d’éviter toute confusion sémantique, il convient
de distinguer la protéine du prion, protéine normale présente chez tous les mammifères, du prion lui-même,
l’agent infectieux responsable de l’ESB.
La protéine du prion,
une protéine présente
chez tous les mammifère s
L’hypothèse émise en 1982 par Stanley Prusiner, selon
laquelle le prion est une protéine exempte d’acides
nucléiques, est celle qui, aujourd’hui, a la faveur de la
majorité des scientifiques. Le groupe de Prusiner a été le
premier à mettre en évidence que la protéine normale du
prion (PrPc), omniprésente dans le système nerveux des
animaux sains, et sa forme anormale (PrPres), isolée d’animaux atteints d’encéphalopathie spongiforme, correspondaient à une même protéine. Les deux formes ne diffèrent
que par un changement conformationnel*, c’est-à-dire
une différence de structure dans l’espace. Ce changement
de structure modifie profondément leurs propriétés respectives. Ainsi, la protéine normale (PrPc) est soluble dans
l’eau, tandis que la protéine modifiée et pathogène (PrPres)
est insoluble, même en présence de détergents connus
pour solubiliser beaucoup de produits.
La structure primaire* de la protéine, c’est-à-dire l’ordre
dans lequel se trouvent les différents acides aminés 19 qui
la constituent, est connue depuis 1986. Il s’agit d’une
petite protéine de 253 acides aminés chez l’homme ; la
41
L E P R I O N, UN AG E N T I N F E C T I E UX D ’ U N T R O I S I È M E T Y P E
42
synthèse de la PrPc est programmée au niveau de l’ADN
par un gène unique (nommé PRNP) et localisé sur le
chromosome* 20. Cette protéine, présente à des taux
variables selon les cellules, est localisée sur la membrane
externe de la cellule. Elle est principalement présente
dans les neurones et, à des concentrations beaucoup plus
faibles, dans les cellules gliales*, les cellules nourricières
du système nerveux central, et dans certaines cellules du
système immunitaire.
La PrPc est synthétisée en quelques minutes dans les
cellules, mais elle est ensuite dégradée par les protéases
(enzymes chargées notamment de la destruction des protéines en fin de vie) : sa durée de vie est de trois à
six heures tandis que celle de la PrPres est environ 8 fois
plus longue (plus de vingt-quatre heures).
Le cycle de la forme normale de la protéine du prion
semble être le suivant : 1. synthèse dans les mini-usines à
fabriquer les protéines que sont les ribosomes (l’information génétique portée par l’ADN du noyau* est transférée
sur des molécules intermédiaires, les ARN messagers, qui
sont traduites en protéines au niveau des unités spécialisées constituées par les ribosomes). 2. migration jusqu’à la
membrane cellulaire à laquelle la protéine est fixée par
une chaîne glycolipidique (localisation sur la face externe
de la membrane) 3. réintroduction à l’intérieur de la cellule par un processus dit d’endocytose 4. destruction
finale dans les lysosomes (petits sacs remplis d’enzymes
chargées de dégrader les protéines).
La synthèse de la PrP normale ne semble pas varier au
cours de la maladie. En revanche, des expériences d’interruption du cycle de la PrP ont montré qu’en l’absence
de réintroduction de la PrP dans la cellule la formation
U N C H A NG E M E N T D E S T R U C T U RE
de PrPres est bloquée. Ce type d’expérience suggère non
seulement que la PrPres dérive de la PrP normale mais
qu’en plus elle provient d’une anomalie au niveau de
son mécanisme naturel de destruction, c’est-à-dire de
son catabolisme.
Le rôle de la PrP normale est inconnu. En raison de ses
propriétés de fixation du cuivre, on a pensé qu’elle pouvait avoir un rôle dans la biotransformation et le stockage
de cet oligoélément (élément à l’état de trace indispensable à la vie) ainsi qu’un rôle indirect de protection
contre la fonction délétère des radicaux libres 20.
Enfin, la localisation de la PrP à la surface des cellules
suggère un rôle de récepteur. Ainsi, elle interagit avec
une cible particulière, le récepteur à la laminine, protéine
capitale du tapis protéique liant la membrane cellulaire
aux structures externes : cela suggère un rôle de la PrP
dans le processus d’adhérence cellulaire, notamment au
niveau de la croissance des neurones 21 qui émettent des
prolongements pour se connecter à d’autres cellules. Qui
plus est, une équipe française 22 a récemment mis en évidence que la fixation d’une molécule sur la PrP entraîne
l’envoi d’un signal à l’intérieur de la cellule.
Un changement de stru c tu re
qui bouleve rse ses propri é t e s
Les deux formes que peut prendre la protéine du prion,
la forme normale (PrPc) et la forme anormale (PrPres), qui
est considérée comme infectieuse dans l’hypothèse du
prion, possèdent une composition identique en acides
aminés, qui sont rangés dans le même ordre, c’est-à-dire
43
L E P R I O N , U N AG E NT I N F EC T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E
44
que ces deux formes de la PrP ont la même structure primaire. Il existe fondamentalement 20 acides aminés différents qui peuvent se succéder en ligne droite sous forme
d’une chaîne protéique, ce qui constitue, en raison de la
longueur (habituellement plus de 100, et parfois plusieurs
milliers d’acides aminés), une diversité pratiquement illimitée d’enchaînements possibles. En fonction de l’ordre
dans lequel se suivent ces différents acides aminés,
chaque chaîne protéique peut se replier de manière bien
déterminée et adopter ainsi une structure secondaire* (qui
concerne la conformation, c’est-à-dire l’organisation dans
l’espace des acides aminés voisins sur la chaîne). Parmi
ces structures secondaires, on distingue les hélices alpha,
qui correspondent à une spirale cylindrique torsadée
expliquant par exemple le caractère étirable de la laine
(constituée de protéines), et les feuillets plissés bêta*, qui
correspondent à une conformation plissée en accordéon
expliquant par exemple la grande résistance à la traction
de la soie (constituée d’un autre type de protéines). Les
protéines présentent enfin une structure tertiaire* qui correspond à la conformation de l’ensemble de la protéine
(par exemple, protéine fibreuse, comme le collagène ou
la kératine de la peau, ou protéine globulaire, comme la
plupart des protéines cellulaires ou l’albumine du sang) et
une structure quaternaire lorsqu’elles sont composées de
plusieurs sous-unités protéiques.
Les deux formes de la PrP se différencient par leur structure secondaire, que l’on peut mettre en évidence par des
techniques dites d’analyse structurale. Ainsi, parmi ces
méthodes spectrales, la spectroscopie RMN (résonance
magnétique nucléaire) est pour le moment la seule technique capable de déterminer la structure tridimension-
L E PR I O N R É S I S T E - T -I L À TO U T ?
nelle de la protéine du prion : c’est le groupe de Kurt
Wüthrich 23, à Zurich, qui a pu établir par modélisation la
structure tridimensionnelle de la protéine normale du
prion (PrPc), d’abord chez la souris, ensuite chez l’homme,
le hamster et le bovin. Lors de sa transformation en PrPres,
sa forme anormale, la protéine du prion acquiert une
structure majoritairement en feuillets bêta au niveau de sa
partie globulaire (environ 43 % de la protéine), contre 3 %
chez la protéine normale, qui a majoritairement une structure en hélice alpha*. C’est l’acquisition de cette structure
en feuillet bêta qui donne à la PrPres ses propriétés d’insolubilité, d’agrégabilité et de résistance à la dégradation.
Ainsi, la PrPres va pouvoir s’accumuler à l’intérieur des cellules, en particulier dans les lysosomes (normalement
chargés de détruire les protéines en fin de vie), et devenir
toxique pour les neurones. En tube à essai, en présence de
détergents et de protéases, la PrPres se condense sous
forme de fibrilles caractéristiques appelées SAF (Scrapie
Associated Fibrils). In vivo, des dépôts sont retrouvés au
niveau du cerveau, sous forme de plaques amyloïdes et
parfois de fibrilles, comme on l’observe classiquement
avec d’autres protéines dans des maladies dégénératives
neuronales telles que la maladie d’Alzheimer.
Le prion résiste-t-il à tout ?
Contrairement aux protéines classiques (par exemple,
l’albumine), la structure particulière de la PrPres lui
confère une résistance exceptionnelle à la majorité des
techniques utilisées habituellement pour détruire ces
macromolécules* : traitements thermiques (coagulation),
45
L E P R I O N , U N AG E NT I N F E CT I EU X D ’ U N T R O I S I È M E T Y P E
46
chimiques et enzymatiques. Cela va permettre de différencier les prions des classiques agents infectieux,
comme les bactéries ou les virus.
Ainsi la stabilité des prions à la chaleur (thermostabilité)
est-elle tout à fait remarquable en milieu sec : 160° C
durant vingt-quatre heures et même 360° C pendant une
heure en atmosphère sèche ne suffisent pas à les inactiver
totalement! De même, ils résistent partiellement en
milieu humide aux températures habituellement utilisées,
comme l’ébullition ou un autoclavage à 121° C durant
une heure (traitement sous pression de vapeur à 2 bars)!
Seule la chaleur humide à haute température permet de
les inactiver à des niveaux compatibles avec les exigences
de la santé publique : l’OMS (Organisation mondiale de
la santé) recommande un autoclavage à 133° C durant
dix-huit minutes sous 3 bars de pression.
Cependant, selon les souches de prion, on observe des
variations importantes de sensibilité à l’autoclavage, ce qui
complique la mise en place de normes de sécurité. De
plus, tous les traitements préalables qui aboutissent à une
fixation ou à un tannage des protéines (formol, éthanol,
voire un simple séchage) protègent de l’action de l’autoclavage. Les conditions précédemment décrites pour inactiver l’agent de l’encéphalopathie spongiforme bovine
sont insuffisantes si le prélèvement a séché sur les parois
du tube et, pour les mêmes raisons, une température de
138° C semble moins efficace que 133° C (la température
de la machine dessécherait l’échantillon avant que la
vapeur n’ait eu le temps de l’hydrater). À l’inverse, toutes
les opérations qui permettent une hydratation (incorporation d’eau), voire une saponification (transformation en
savon en milieu alcalin), de l’échantillon avant l’action de
L E P R I O N R É S I S T E - T -I L À TO U T ?
la chaleur sont efficaces : ainsi, un prétraitement à la
soude*, même diluée à 0,1 N (le dixième d’une solution
normale, qui contient 40 g/l d’hydroxyde de sodium),
rend un autoclavage à 121° C totalement efficace.
Les rayonnements ionisants sont peu efficaces sur les
prions : les doses utilisées classiquement en stérilisation
(25 kGy) sont sans effet. Les rayonnements non ionisants, comme les ultraviolets, mais aussi les ultrasons,
sont tout aussi inefficaces.
Les réactifs chimiques, qui généralement dégradent les
protéines, sont inefficaces : notamment les aldéhydes*, tels
le formaldéhyde (le formol classiquement utilisé à l’hôpital pour décontaminer) ou le glutaraldéhyde. De même,
l’alcool (éthanol), l’oxyde d’éthylène, le sel d’ammonium
quaternaire et, en général, les détergents sont totalement
inactifs sur les prions – à l’exception du dodécyl sulfate de
sodium, à chaud et dans certaines conditions. Fait impressionnant, plusieurs agents oxydants puissants, comme le
permanganate de potassium en solution concentrée, l’eau
oxygénée ou l’ozone, connus pour leur fort pouvoir destructeur de la matière vivante, sont inactifs sur les prions.
Les prions sont peu sensibles aux milieux acides, notamment celui de l’estomac (son pH se situe vers 1,5 — 2), et
seuls des pH très élevés, c’est-à-dire très alcalins, ont une
action efficace : les bases minérales fortes, comme la soude
en concentration molaire (solution 1 N), sont considérées
comme détruisant correctement les prions si le temps de
contact est suffisant : au moins une heure à température
ambiante. Cependant, une résistance a été rapportée avec
certaines souches de MCJ et de tremblante, et ce traitement n’est pas efficace sur d’autres agents infectieux,
notamment les spores (microbiennes).
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L E P R I O N , U N AG E NT I N F E CT I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E
Le traitement chimique le plus efficace est l’eau de javel
concentrée (hypochlorite de sodium) à 20 000 ppm (ce
qui correspond à une solution commerciale à 6 degrés
chlorométriques) pendant une heure.
Les mutations génétiques
dans les maladies à pri o n s
48
Il est désormais parfaitement établi chez tous les mammifères touchés que le gène codant pour la PrP joue un
rôle essentiel dans les maladies à prions. Ce gène avait en
fait été déterminé dès les années 70 par l’équipe d’Alan
Dickinson, à Edimbourg, grâce à des expériences classiques de génétique en croisant des souris : un gène majeur
alors baptisé SINC (pour Scrapie INCubation period ) et
identifié comme le principal responsable de la susceptibilité des animaux à l’infection. Il a été redécouvert une
deuxième fois de manière plus précise à la suite des travaux de Stanley Prusiner, par des expériences de biologie
moléculaire qui confirment qu’il s’agit bien du gène
codant pour la PrP. Les animaux qui hyperexpriment ce
gène (souris transgéniques) sont très sensibles et développent la maladie après une période d’incubation courte. Par
ailleurs, la PrP, même normale (PrPc), peut se révéler
toxique lorsqu’elle est fortement exprimée : certains animaux qui synthétisent des taux de PrP supérieurs à 10 fois
la normale développent spontanément une encéphalopathie spongiforme et des atteintes musculaires. Il n’y a toutefois pas d’accumulation de PrP anormale et la
transmissibilité à l’animal sain reste douteuse – ce qui
signifie que les mêmes désordres cérébraux peuvent être
L E S M U TA T I O N S G É N É T I Q U E S
entraînés par un taux très élevé de cette protéine, lié à une
surproduction de sa forme normale (PrPc) ou à un défaut
de destruction de sa forme anormale (PrPres). À l’inverse,
des souris qui expriment peu cette protéine (gène fonctionnel sur un seul chromosome) développent la maladie
beaucoup plus tardivement et survivent très longtemps
après l’apparition des premiers signes cliniques (quatorze
mois contre un mois pour les souris saines). Enfin, des souris chez lesquelles ce gène n’est pas du tout fonctionnel et
qui ne synthétisent donc pas de PrPc sont complètement
insensibles aux maladies à prions.
Par ailleurs, le gène qui code pour la PrP gouverne également la barrière d’espèce qui protège contre l’infection
par un ATNC d’une autre espèce. La preuve en a été
brillamment apportée par des expériences de transgénèse : des souris modifiées génétiquement et exprimant
la PrP de hamster en plus de la PrP de souris deviennent
sensibles à des ATNC de hamster. Elles accumulent alors
de la PrPres de hamster et non de souris. Leur cerveau
devient, par conséquent, infectieux pour des hamsters et
pas pour des souris normales.
Chez le mouton, sur la base d’études génétiques, cette
susceptibilité a également été retrouvée en association
avec un gène d’abord baptisé SIP et qui par la suite s’est
révélé être le gène codant pour la PrP. Des essais de sélection génétique de moutons résistants sont en cours au
Royaume-Uni. Il faut toutefois rappeler que des expériences anciennes avaient montré que ces moutons résistants pouvaient être sensibles à une souche inhabituelle
de tremblante 24, ce qui pouvait faire craindre l’émergence de nouvelles souches de tremblante adaptées aux
moutons ainsi sélectionnés.
49
L E P R I O N , U N AG E NT I N F EC T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E
50
Chez l’homme, toutes les formes familiales de ces
maladies correspondent à des mutations de ce gène, lesquelles se retrouvent dans des zones particulières de la
protéine. Des expériences in vitro ont permis de montrer
que la présence de ces mutations favorisait l’agrégation
de la protéine (sous forme de fibrilles amyloïdes insolubles) qui résiste ainsi à la dégradation par les enzymes
cellulaires . Ainsi, tous les patients qui développent une
forme familiale de MCJ possèdent en fait une PrP qui a
naturellement tendance à s’agréger plus facilement que
celle de la population normale.
Au cours des maladies à prions, la PrPres s’accumule
habituellement dans les zones du cerveau qui présenteront ultérieurement des lésions histologiques responsables des signes cliniques observés. La majeure partie
de la communauté scientifique considère l’accumulation de la PrP anormale (PrPres) comme l’élément responsable de la destruction du système nerveux au
cours de ces maladies. En effet, cette protéine, en résistant aux mécanismes normaux de destruction des protéines (catabolisme), s’accumule et devient toxique
pour les neurones. Toutefois, les mécanismes de neurodégénérescence pourraient se révéler plus complexes puisque deux études au moins 25, 26 ont rapporté
clairement une dissociation entre l’accumulation de
PrP anormale, les signes anatomopathologiques et l’apparition des signes cliniques : les lésions de spongiose
(les vacuoles* associées à la dégénérescence de certains
neurones) et de gliose (la réaction des cellules nourricières du cerveau en cas d’agression) seraient effectivement liées à la PrP pathologique, tandis que la mort
neuronale, responsable des signes cliniques, aurait une
P R IO N , V I R I N O E T A U T R E S H Y P O T H È S E S
autre cause, potentiellement liée à la multiplication des
agents responsables de ces maladies.
P rion, virino et autres hypoth è s e s
En pratique, personne ne connaît la nature réelle de ces
agents hors du commun.
L’hypothèse du prion a l’avantage de la simplicité : sous
sa forme anormale, la protéine du prion est infectieuse et
constitue à elle seule l’agent responsable de ces maladies.
Cependant, même si cette vision emporte aujourd’hui la
majorité des suffrages scientifiques et qu’elle a valu, en
1997, un prix Nobel à son promoteur, Stanley Prusiner,
elle n’en demeure pas moins hypothétique, et à chacun
des arguments en sa faveur un contre-argument peut être
développé (voir tableau p. 54).
La multiplicité des formes de maladies, toutes transmissibles de façon reproductible avec des caractéristiques spécifiques, constitue sans doute l’aspect le plus
troublant et révélant qu’il manque un élément dans
notre compréhension de ces agents. Ainsi, la mise en
évidence de plusieurs souches d’ATNC (agents transmissibles non conventionnels) chez un même hôte
implique l’existence d’une information spécifique de
souche transmissible indépendamment de l’hôte, et
donc notamment de sa protéine du prion. Il convient
de rappeler que, lors de la contamination d’une souris
avec les agents responsables des différentes formes de
maladies animales ou humaines, la protéine anormale
qui s’accumule provient de l’hôte et non de l’extrait de
cerveau animal ou humain infecté qu’on injecte pour
51
L E P R I O N, UN AG E N T I N F E C T I E UX D ’ U N T R O I S I È M E T Y P E
52
contaminer la souris. L’idée d’un virus était initialement
la plus logique, d’autant que les ATNC traversent des
filtres qui retiennent tous les microorganismes plus gros
que les virus. Cependant, malgré la quantité très importante d’agents infectieux (pouvant dépasser 10 milliards
d’unités par gramme de cerveau), aucune structure évocatrice d’un microorganisme, et notamment d’un virus,
n’était visible avec les microscopes les plus performants. De plus, il n’existait aucune réponse immunitaire, comme si ces agents étaient invisibles pour les
défenses de l’hôte.
L’hypothèse du virino. Développée par le groupe
d’Alan Dickinson, à Edimbourg, à la fin des années 70,
elle imagine l’existence d’une structure hybride comprenant un très petit acide nucléique infectieux nu
(comme les viroïdes des plantes) qui ne coderait pour
aucune protéine virale susceptible d’être reconnue par
le système immunitaire. Ce petit acide nucléique serait
en revanche capable de se lier intimement à des protéines de l’hôte, en l’occurrence à la PrPc, qu’il transforme en PrPres (résistante à la dégradation), laquelle le
protégerait alors en formant une sorte de coque. Dans
cette hypothèse, les ATNC correspondraient bien en
réalité à un acide nucléique protégé par la PrP anormale de l’hôte, particulièrement résistante et inaccessible aux techniques de biologie moléculaire dont on
dispose aujourd’hui.
Classiquement, la présence de l’agent infectieux est toujours associée à la détection de la PrP normale.
Cependant, il a été observé des résultats très curieux lors
d’expériences de transmission de l’agent de l’encéphalopathie spongiforme bovine à la souris 26. Après avoir ino
P R IO N , V I R I N O E T A U T R E S H Y P O T H È S E S
Les principales hypothèses admises :
Le prion : la protéine normale (PrP c) se transforme
en une protéine anormale (PrP res) et pathogène en présence
d’un agent dont la nature est actuellement inconnu.
Elle constitue alors un nouvel agent infectieux capable notamment
de modifier les protéines normales.
Le virino : la structure anormale de la protéine (PrP res) forme
une coque résistante protègeant un petit acide nucléique non identifié qui constitue l’agent infectieux véritable.
Le virus : l’accumulation de la forme anormale de la PrPc
(PrP res), en dépôts amyloïdes dans le cerveau, est une simple
conséquence
de la multiplication de l’agent infectieux.
culé directement dans le cerveau des animaux une forte
concentration de broyat de cerveau de bovin au stade terminal de la maladie, toutes les souris ont développé des
signes cliniques après plus d’un an d’incubation, alors que
plus de la moitié d’entre elles n’avaient pas de PrPres
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L E PR I O N , U N A G E NT I N F E C T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E
P R IO N , V I R I N O E T A U T R E S H Y P O T H È S E S
détectable. Ces souris ont eu des périodes d’incubation et
des signes neurologiques identiques, mais elles ont présenté soit des quantités indétectables de PrPres, soit des
quantités importantes – différence d’au moins un facteur
10000 (seuil de sensibilité de la méthode de détection).
Elles ont pourtant toutes développé une ESST parfaitement transmissible.
Lors d’une transmission secondaire, de souris à souris,
en partant de cerveaux de souris sans PrPres, le même
phénomène s’est reproduit de façon spectaculaire :
toutes ont développé une ESST, mais certaines sans
PrPres (à noter : les transmissions à partir de souris ayant
accumulé de la PrPres ont été plus rapides). C’est l’examen histologique qui a apporté la réponse : toutes les
souris ont présenté des signes de mort neuronale responsable de la maladie. Mais, à l’examen microscopique, seules les souris possédant de la PrPres ont montré
les signes caractéristiques de l’ESB (spongiose et réaction gliale). L’hypothèse la plus vraisemblable pour
expliquer ces résultats est que, dans les conditions que
nous avons utilisées, l’agent de l’ESB est suffisamment
virulent lors du premier passage pour pouvoir se répliquer sans être protégé par de la PrPres. L’absence de protection serait alors compensée par une multiplication
plus efficace. Cependant, au cours des « passages » ultérieurs, on a observé une sélection de variants ayant
acquis la propriété de faire accumuler la PrPres ; celle-ci
confère alors à ces variants un avantage sélectif, du fait
de sa résistance à la dégradation. Ainsi, dans notre analyse, elle semble constituer un facteur de virulence, mais
pas l’agent lui-même, ce qui se rapproche de l’hypothèse
du virino.
55
L E PR I O N , U N A G E NT I N F E C T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E
56
Les hypothèses virales classiques (viroïde animal, virus
classique, rétrovirus, virus amyloïdogénique, c’est-à-dire
entraînant l’accumulation de PrPres) supposent qu’un tel
virus a pu échapper aux techniques actuelles de biologie
moléculaire, ce qui ne peut être exclu.
Certaines hypothèses impliquent la PrP res comme constituant de l’agent : celle de la nucléation*, par analogie avec
les phénomènes de cristallisation dans le monde de la chimie minérale, est une alternative intéressante à celle du
prion, dont elle diffère par la vitesse de formation. Des
variantes qui mettent en jeu des molécules chaperonnes*
(protéines impliquées dans le repliement correct des protéines) ont aussi été proposées comme modèles pour tenir
compte de la vitesse de conversion de la protéine du
prion. Une hypothèse unifiée a été proposée par Charles
Weissmann 27, avec, en plus de la protéine autoréplicable,
un « co-prion » constitué par un acide nucléique et responsable du phénomène de souches. L’hypothèse de la
maladie génétique par mutation somatique du gène a été
proposée pour expliquer les cas sporadiques de MCJ. Une
anomalie membranaire transmissible, comme chez la
paramécie (chez qui la greffe d’une membrane étrangère
conduit à l’acquisition de nouveaux caractères transmis à
la descendance), a également été remise au goût du jour.
Les hypothèses bactériennes : elles sont fondées sur des
images au microscope évoquant certaines bactéries, particulièrement les spiroplastes, ou sur une possibilité de
maladie auto-immune liée à d’autres types de bactéries,
les acinetobacter, voire une atteinte des mitochondries*.
Ces hypothèses semblent plus nettement se rapprocher
d’artefacts, c’est-à-dire d’observations biaisées sans rapport avec le phénomène étudié.
L E S P R I O N S DE L EV U R E
Dernièrement, un nouveau développement est apparu
avec les prions de levure.
À la recherche de modèles
a n a l o g u e s : les prions de lev u re
Cette appellation ne désigne absolument pas un début
d’invasion des canettes de bière par l’agent de l’ESB,
mais, plus prosaïquement, un phénomène apparenté au
mode de multiplication décrit dans l’hypothèse du prion.
En effet, d’anciennes observations de transmission d’informations indépendamment du patrimoine génétique
avaient été laissées de côté depuis la prééminence de la
biologie moléculaire et l’étude des acides nucléiques. La
levure Saccharomyces cerevisiae (la fameuse levure de
bière) offre notamment un modèle d’hérédité n’obéissant
pas aux lois de la génétique classique dite mendélienne.
Ainsi, dans des conditions de développement défavorables, avec un manque d’apport d’azote, un phénomène
d’adaptation est mis en jeu par la levure : une protéine
particulière, baptiséee Ure2p, s’automodifie pour devenir
inactive et libérer d’autres gènes qui vont permettre à la
levure de croître en utilisant de faibles sources azotées. Ce
mécanisme d’automodification, transmissible aux autres
protéines Ure2p sans intervention des gènes de l’ADN du
noyau (qui sont normalement toujours sollicités, mais
impliquent des étapes supplémentaires), permet une réaction beaucoup plus rapide aux changements d’environnement. Par analogie avec le changement de structure de
la PrP et l’hypothèse d’une transmission directe d’informations de protéine à protéine, ce phénomène a été
57
L E PR I O N , U N A G E NT I N F E C T I E U X D ’ UN T R O I S I È M E T Y P E
58
rebaptisé « phénomène de type prion ». En février 2001,
une équipe du CNRS 28 de Gif-sur-Yvette a déterminé la
structure de l’Ure2p, ce qui devrait permettre de mieux
comprendre le rôle de ce type de protéine.
Enfin, chez les champignons filamenteux, un phénomène d’autotransformation de protéine (HET-s) est également observé et constitue un autre exemple d’hérédité
indépendante du génome* : ce phénomène, déclenché en
cas d’infection virale, empêche le développement de l’infection en provoquant un phénomène de mort cellulaire
qui se propage en cercle et isole de la partie contaminée le
reste du mycélium du champignon. Ce phénomène de
suicide circonscrit s’avère très efficace, car la mise en place
du mécanisme de protection est plus rapide que la diffusion du virus. Les champignons filamenteux représentant
la plus grande quantité de matière vivante sur un hectare,
on pourrait en conclure que des phénomènes d’hérédité
indépendante du génome, désormais rebaptisés « de type
prion », comptent finalement parmi les mécanismes les
plus répandus sur terre.
Toutefois, il convient de ne pas oublier que ces modèles
dits « analogues », pour intéressants qu’ils soient, correspondent à des adaptations cellulaires et ne sont pas infectieux. En dépit de toutes les analogies possibles, il faut
rappeler que les agents responsables des maladies à
prions, qu’ils soient uniquement constitués de PrPres,
comme dans l’hypothèse du prion, ou possèdent en fait
un petit acide nucléique, comme dans l’hypothèse du
virino, se comportent comme des agents infectieux et
résistent à la plupart des méthodes de décontamination.
Maladie de la vache folle
et contamination de l’homme
L’émergence de la maladie
de la vache folle
C’est l’extraordinaire résistance des prions qui est à
l’origine de l’épidémie qui a touché le cheptel bovin britannique. Il s’agit plus exactement d’une anazootie : la
contamination d’un grand nombre d’animaux à partir
d’une source commune, l’alimentation. L’origine de la
contamination vient des farines de viandes et d’os (FVO)
qui étaient employées dans l’alimentation de ces animaux : des suppléments protéiques surtout utilisés afin
de nourrir les troupeaux de vaches sélectionnées pour
leur production importante de lait.
Au début des années 80, une volonté de préserver au
maximum la valeur protéique des FVO et de baisser
leurs coûts de production a conduit le Royaume-Uni à
59
C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E
60
les fabriquer avec des procédés moins drastiques : diminution de la température de cuisson, suppression de
l’hexane, produit utilisé pour extraire les graisses, puis
éliminé par chauffage. Dans ces conditions, les prions
n’étaient plus suffisamment inactivés pour empêcher une
contamination par voie orale des animaux qui recevaient
ces farines, et les premiers cas d’ESB ont été diagnostiqués officiellement en 1986. Cela démontre que deux
principes théoriquement excellents du point de vue écologique et économique, le recyclage et les économies
d’énergie, ne sont pas forcément synonymes de protection de la santé et de l’environnement, ni de rentabilité.
Peu après la découverte des premiers cas, les autorités
britanniques lancèrent une enquête épidémiologique de
grande envergure qui révéla un fait étonnant : dans les îles
Anglo-Normandes, l’incidence de l’ESB chez des bovins
de même race était totalement différente à Jersey et à
Guernesey. Un seul paramètre changeait : le fabricant des
aliments préparés à partir de farines de viandes et d’os. Ces
aliments pouvaient en effet contenir des carcasses de moutons (pour 15 %) et de bovins, et certains lots semblaient
contaminés par des agents transmissibles non conventionnels ou prions. Dès juillet 1988, les autorités britanniques
interdirent, sur tout leur territoire, la distribution des
farines de viande aux bovins : c’est la première fois que le
principe de précaution* fut appliqué à grande échelle. En
revanche, l’exportation des farines animales contaminées
ne fut pas stoppée; elle continua légalement pendant près
d’un an vers les autres pays d’Europe, principalement la
France, et fut poursuivie dans le reste du monde.
La détection des premiers cas en 1986 marqua le début
d’une véritable « flambée épidémique » qui connut son
L’ É M E R G E N C E D E L A M A L A DI E D E L A V A C HE F O L L E
apogée en 1992, avec plus de 37000 cas recensés officiellement, soit plus de 100 cas par jour. Entre 1986
et 2001, sur un cheptel de 11,5 millions de bovins, plus de
180000 bêtes à cornes ont été touchées par la maladie et
en sont mortes, dont plus de 70 % dans le troupeau laitier.
Comme les ovins, les bovins, après une longue période
d’incubation qui varie de deux à huit ans (en moyenne
cinq ans), présentent, dès le début de la maladie, une
modification de leur comportement : nervosité, hésitation
à entrer en salle de traite, coups de pied lors de la traite
et, au pâturage, mise à l’écart du troupeau. Ensuite apparaissent des troubles neurologiques posturaux, locomoteurs et sensitifs : démarche « chaloupée » du train
postérieur (évoquant le tangage d’un bateau), posture
caractéristique avec les membres postérieurs ramenés
sous le corps et la queue relevée. Autre signe caractéristique, l’hypermétrie : l’animal surévalue les distances et
fait donc des mouvements inadaptés; il peut ainsi sauter
une simple rigole comme s’il s’agissait d’un fossé; c’est
cette incapacité à évaluer les distances qui explique
l’anxiété de l’animal et toute une série de signes comportementaux. On observe aussi des difficultés à se relever
lorsque l’animal est couché et une hyperesthésie : augmentation anormale de la sensibilité, qui concerne aussi
bien le bruit, tel un claquement de mains, que la lumière,
par exemple, le passage brutal d’une zone sombre à une
zone éclairée, ou encore le toucher, avec léchage excessif
du mufle et des flancs et des frottements de la tête.
Au stade tardif, les signes comportementaux sont complétés par une position anormale des oreilles et des accès
de fureur. Les signes neurologiques se manifestent par des
tremblements, des grincements de dents, une incoordina-
61
C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E
62
tion des mouvements (ataxie*) des membres postérieurs
puis antérieurs, des chutes de plus en plus fréquentes et un
décubitus (l’animal reste couché), avec une dégradation de
l’état général (perte de poids et réduction de la production
laitière). L’évolution s’opère généralement sur une période
de un à sept mois : les animaux étaient initialement sacrifiés en raison d’un comportement dangereux, de blessures
graves consécutives à des chutes ou en raison d’une dégradation de l’état général due à la station allongée prolongée.
Le tableau clinique est souvent incomplet, car seuls certains signes sont présents et des maladies bactériennes
(telle la listériose) ou virales (la rage, la maladie d’Aujesky)
peuvent donner des symptômes similaires. En pratique, la
maladie peut être confondue, principalement au printemps, avec les maladies métaboliques (hypomagnésémie,
ou « tétanie des herbages », et forme nerveuse de l’acétose), et jusqu’à 25 % des animaux abattus à cette période
de l’année pour suspicion d’ESB au Royaume-Uni étaient
en fait indemnes, ce que révéla l’examen histologique.
Les lésions histologiques cérébrales sont principalement
retrouvées au niveau des noyaux sensitifs et moteurs du
nerf vague (zone contenant tous les corps des neurones qui
composent ce nerf). Ces noyaux sont situés dans le tronc
cérébral, au niveau d’une structure appelée l’obex 29. Le
tronc cérébral est situé à la base du cerveau, sous le cervelet, et relie la moelle épinière aux structures cérébrales
évoluées.
À l’examen microscopique, les vacuoles caractéristiques, et notamment la triade spongiose-astrocytose-mort
neuronale, sont parfois difficiles à mettre en évidence et
la détection de la PrPres par immunohistochimie* est particulièrement précieuse. Cette technique permet de localiser
L’ É M E R G E N C E D E L A M A L A DI E D E L A V A C H E F O L L E
63
au microscope, à l’aide d’anticorps, des dépôts caractéristiques de la forme anormale de la protéine du prion.
Les tests rapides (voir plus loin), basés sur la détection de
la PrPres, permettent désormais de faire le diagnostic en
quelques heures. La confirmation est effectuée avec une
C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E
64
L’ É M E R G E N C E D E L A M A L A DI E D E L A V A C H E F O L L E
autre technique biochimique telle que le western blot, et cela
sur un prélèvement frais ou congelé, ou par analyse histologique sur un prélèvement tissulaire fixé dans le formol.
On ignore si le point de départ de la contamination a
été constitué par des carcasses de moutons contaminés
(1/3 des troupeaux de moutons britanniques pouvait être
atteint de tremblante) ou de bovins présentant une forme
sporadique inconnue d’ESST. Quoi qu’il en soit, les
cadavres d’animaux infectés par l’agent de l’ESB ont été
recyclés dans des farines et ont entraîné la contamination
de l’ensemble du cheptel bovin britannique. Seule l’Écosse, qui avait conservé les anciens procédés de fabrication des FVO, avec chauffage poussé, a été épargnée
jusqu’en 1988. Ces farines étaient fabriquées à partir des
restes d’animaux ne pouvant être valorisés à l’abattoir (le
cinquième quartier des bouchers). Ainsi, après broyage
et cuisson, ces aliments déshydratés étaient réduits en
poudre et utilisés comme suppléments protéiques par les
fabricants d’aliments pour bétail.
L’origine de la contamination est inconnue (mouton, vache,ou
autre). Les premiers bovins atteints ont été incorporés dans les
FVO et les recyclages successifs ont abouti à une amplification de
l’agent infectieux, qui a contaminé au Royaume-Uni plus de
180 000 bovins et de nombreuses autres espèces.
65
Contrairement à la tremblante, l’encéphalopathie spongiforme
bovine (ESB) est transmissible par voie orale à de nombreuses
espèces de mammifères et pose des problèmes de santé publique totalement inédits.
Dès 1865, l’utilisation des restes animaux comme source
de protéine est recommandée dans l’alimentation des
porcs et, en 1908, un procédé industriel de fabrication de
C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E
66
FVO est décrit dans un ouvrage de O. Kellner, The
Scientific Feeding of Animals, publié en Angleterre en 1915.
Les FVO sont mentionnées comme utilisables chez les
ruminants dès 1926 au Royaume-Uni et, à partir de 1930,
différents essais sont rapportés sur le fait qu’elles favorisent
l’assimilation des protéines chez les bovins (et même chez
des moutons en Australie) et, par conséquent, elles augmentent la qualité de la production laitière. Au moment
des restrictions de la Seconde Guerre mondiale, le
Royaume-Uni prescrit l’inclusion d’un minimum de 2,5 %
de FVO dans la nourriture pour ruminants, proportion
augmentée à 5 % pour les veaux. Leur utilisation s’élargit
pour permettre aux différents pays de majorer leur production laitière, notamment à la suite de la politique européenne de soutien des cours du lait et de limitation du
nombre d’animaux (ce qui favorisait la recherche d’une
production maximale par animal). D’après le MAFF
(ministère britannique de l’Agriculture), la production
annuelle de FVO se situait entre 350 000 et 400000 tonnes
en 1988 ; elles étaient employées à 90 % pour les porcs et
les volailles et à 10 % pour les ruminants 30.
C’est afin d’augmenter la rentabilité que de nombreuses dérives sont apparues : incorporation d’animaux
retrouvés morts (des cadavres souvent en putréfaction),
voire de boues de stations d’épuration. (La diffusion de
l’ESB par l’intermédiaire des farines animales est développée plus loin.)
Des cas d’ESST liés à l’agent de l’ESB sont survenus
chez différentes antilopes parquées dans des zoos et chez
divers carnivores dont le chat (le premier cas de chat développant cette maladie a été diagnostiqué en mai 1990 en
Angleterre, et les abats de bovins ont été interdits dans l’ali-
U N E N O U V E L L E M A L A D I E D E C R E U T Z F E L D T - J A KO B
mentation des animaux de compagnie depuis septembre
1990). L’origine bovine de cette nouvelle maladie féline a
été démontrée par caractérisation de la souche chez la souris. À ce jour, près de 90 chats ont officiellement développé
cette maladie au Royaume-Uni et 1 en Norvège – nourri
avec différents aliments importés – dont seulement 7 nés
après l’interdiction officielle des abats. À l’évidence, cette
nouvelle souche d’ATNC semblait plus virulente que les
souches classiques de tremblante du mouton.
L’équipe de l’épidémiologiste Roy Anderson, à Oxford,
estime à environ 900000 le nombre de bovins britanniques en phase d’incubation passés avant mars 1996 dans
l’alimentation humaine, dont près de 400000 avant l’interdiction, fin 1989, des abats à risque (les matériaux à
risques spécifiés, ou MRS), principalement la cervelle et la
moelle épinière. Ces tissus n’étaient pas utilisés directement mais pouvaient être incorporés, selon les pays, dans
différentes préparations, comme les tourtes à la viande,
en tant que liant pour la sauce, les saucisses (certaines pouvaient en contenir jusqu’à 10 %), certains hamburgers,
pâtés et plus généralement toutes les préparations à base
de viandes séparées mécaniquement (les viandes reconstituées, les raviolis, les couscous, de nombreux plats cuisinés, les sauces à base de viande, etc).
Une nouvelle maladie
de Cre u t z f e l d t - J a ko b
Les premiers cas chez l’homme sont apparus en GrandeBretagne fin 1994, et 10 cas avérés d’une nouvelle forme
de maladie de Creutzfeldt-Jakob ont été répertoriés en
67
C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E
68
mars 1996. Tous ces cas se caractérisaient en premier lieu
par un âge anormalement jeune (29 ans en moyenne),
alors que toutes les enquêtes épidémiologiques avaient
confirmé que la MCJ était une maladie rarissime chez les
patients de moins de 40 ans, la survenue se situant généralement vers 60-65 ans. La forme clinique était également
tout à fait inhabituelle et très stéréotypée, avec des signes
psychiatriques précoces et une phase clinique très prolongée (en moyenne seize mois, avec une fourchette de neuf
à trente-huit mois, contre en moyenne quatre mois pour
les formes classiques). La maladie, de façon schématique,
commençait par des signes psychiatriques, suivis deux
mois plus tard, de signes sensoriels puis par une incoordination des mouvements à partir du 5e mois, des contractions musculaires à partir du 8e mois, une absence de
parole et de mouvements (mutisme et akinésie) à partir du
12e mois et un décès fréquemment lié à un épisode de
bronchopneumonie.
À l’examen du cerveau, des signes encore plus caractéristiques ont démontré l’unicité de ces cas : en plus des
signes classiques de MCJ (spongiose, astrocytose et perte
neuronale), tous les patients présentaient de nombreuses
plaques florides constituées d’un dépôt de PrPres entouré
de vacuoles leur conférant un aspect en marguerite. Il
s’agissait de signes totalement nouveaux et le réexamen
des anciennes coupes de cerveaux de patients décédés
de MCJ classique confirma qu’un tel aspect n’avait
jamais été observé auparavant.
Aucun facteur de risque particulier n’a pu être mis en
évidence au niveau médical (pas de mutation du gène de
la PrP n’a pu être détectée, en biologie moléculaire ni le
moindre antécédent de traitement par hormone de crois-
U N E N O U V E L L E M A L A D I E D E C R E U T Z F E L D T - J A KO B
sance extractive), professionnel ou alimentaire. Le seul
facteur de risque était d’habiter et de se nourrir dans le
pays qui comprenait plus de 99,7 % des cas mondiaux
d’ESB (environ 165 000 cas d’ESB au Royaume-Uni en
octobre 1996, contre moins de 500 dans le reste du
monde) et pour lequel les estimations évaluaient à plus
de 400 000 le nombre de bovins contaminés passés dans
l’alimentation avant l’interdiction de la cervelle et de la
moelle épinière.
Par ailleurs, tous les patients avaient une particularité
génétique 31. Ces arguments étaient déjà très convaincants
pour incriminer une contamination de l’homme par
l’agent de l’ESB.
Deux mois plus tard, en juin 1996, la première preuve
expérimentale 32 était apportée par la découverte des
mêmes lésions caractéristiques chez des macaques aux-
69
C ON TA MI N AT I O N D E L’ H OM M E
70
quels avait été inoculé expérimentalement l’agent de
l’ESB. Cette démonstration, baptisée par les journalistes
« la preuve par le macaque », constituait le premier
argument de l’identité de l’agent de l’ESB avec celui responsable des nouveaux cas de MCJ chez l’homme.
En octobre 1996, une nouvelle étude expérimentale 33
réalisée par l’équipe de John Collinge, à Londres, a
démontré l’identité des deux agents : la signature biochimique en western blot de la PrP res est caractéristique
chez les patients atteints de ce que l’on a baptisé la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
(nvMCJ) et similaire à celle de l’agent de l’ESB chez
d’autres espèces animales, dont les macaques. La même
signature sera retrouvée chez des patients français 34.
Un an plus tard, en octobre 1997, la démonstration
finale 35 est faite par l’équipe de Moira Bruce à
Edimbourg. Le profil lésionnel chez la souris est identique : l’agent responsable des cas de nvMCJ chez
l’homme est bien le même que celui qui est responsable
des 180 000 cas d’ESB chez les bovins et des nouveaux
cas d’encéphalopathie chez différents ruminants et carnivores vivant en captivité, ainsi que chez le chat.
La seule voie logique de contamination est l’alimentation, et les tissus les plus infectieux (la cervelle et la moelle
épinière) sont incorporés dans toute une série de préparations alimentaires bon marché. À titre d’exemple : les
experts de la Communauté européenne ont calculé que,
selon le mode de fabrication utilisé par l’industrie alimentaire, qui implique des mélanges à des échelles allant
du kilogramme à plusieurs tonnes, le système nerveux
central d’un bovin contaminé pouvait se retrouver dans
l’assiette de moins de 50 personnes pour un pâté et de
U N E N O U V E L L E M A L A D I E D E C R E U T Z F E L D T - J A KO B
plus de 500 000 pour des raviolis. Les habitudes alimentaires, les autorisations d’incorporer ces tissus potentiellement très infectieux, ainsi que la date d’interdiction
théorique et réelle de ces pratiques, connaissent des variations très importantes d’un pays à l’autre : ces tissus ont
été interdits à la consommation humaine en novembre
1989 au Royaume-Uni, en juin 1996 en France et en
novembre 2000 en Allemagne.
La dose minimale infectieuse pour l’homme n’étant
pas connue, il est particulièrement difficile de prévoir le
nombre de cas de nvMCJ à venir chez l’homme. En
1996, les premières modélisations prévoyaient une fourchette allant de moins de 80 cas à plus de 500 000. Les
dernières estimations faites en 2000 sont plus optimistes
puisqu’elles vont de 63 cas à 136 000 – la fourchette se
réduit quelque peu. Cette imprécision extraordinaire est
liée au fait que l’on ne connaît pas la période d’incubation moyenne de cette maladie chez l’homme : si la
période est courte, les cas observés correspondent à l’essentiel de la contamination, et la situation va s’améliorer;
en revanche, si cette période est longue (il convient de
souligner qu’elle peut atteindre quarante ans pour le
kuru et que pour l’ESB, en raison de la barrière d’espèce
entre le bovin et l’homme, on peut s’attendre à un allongement supplémentaire), les cas observés ne représenteraient malheureusement que le tout début d’une énorme
vague encore à venir. Le nombre minimal est d’ores et
déjà dépassé puisque, fin mars 2001, 96 cas ont été répertoriés au Royaume-Uni. De plus, l’augmentation observée étant de 1,23 par an, cela revient à un doublement
du nombre de cas tous les 3,3 ans 36. Dans un tel contexte
d’incertitude, quels sont les risques pour l’homme et
quelles solutions rationnelles peut-on envisager?
71
D E S F A R I N E S DE V I A N D E S E T D ’ O S
Les risques pour l’homme
Des farines de viandes et d’os
pour nourrir nos herbivo re s
72
En 1989, l’interdiction de l’utilisation des farines de
viandes et d’os (FVO) pour les ruminants au Royaume-Uni
a provoqué l’effondrement des cours; puis ces produits ont,
semble-t-il, été bradés et écoulés tout à fait légalement dans
toute l’Europe durant près d’un an. L’importance des
volumes générés a posé d’énormes problèmes de stockage,
et faute de capacités suffisantes de destruction les exportations ont continué légalement et, à l’évidence, illégalement
dans le monde entier (voir tableau p. 74) : Jean-François
Mattei, responsable d’une mission d’information en 1996,
rapporte qu’il a été dans l’incapacité 37 d’obtenir des chiffres
fiables sur les importations de farines britanniques. Qui
plus est, la mise en place du marché unique et l’ouverture
des frontières en 1993 ont très largement facilité le transit
de ces farines et ont en revanche considérablement com-
pliqué l’évaluation des volumes importés depuis cette
date 38. Enfin, des pays comme la Belgique, les Pays-Bas
mais aussi la France ont brutalement augmenté leurs
importations de farines britanniques et irlandaises, des
reportages diffusés à la télévision ayant mis au jour les
nombreuses possibilités de contrebande entre l’Irlande du
Nord, hautement contaminée, comme le reste du
Royaume-Uni, dont elle fait partie, et l’Irlande du Sud,
c’est-à-dire la République d’Irlande, officiellement absoute
par l’Europe en 1993, ce qui l’a autorisée à exporter à nouveau des farines. Ces pays pouvaient tout à fait légalement
reconditionner les farines, qui recevaient alors automatiquement l’étiquette du pays intermédiaire. Un très gros trafiquant belge recherché par Interpol a même été filmé par
des journalistes 1 à Bruxelles, mais n’a jamais pu être
appréhendé. C’est ainsi que la Suisse, qui n’a quasiment
jamais importé officiellement de farines britanniques, mais
a acheté, semble-t-il, des farines belges et françaises, a eu
très vite le triste privilège de compter le plus grand nombre
de cas d’ESB en Europe continentale (118 entre 1990
et 1994, contre 17 en Europe, hors Royaume-Uni, Irlande
et Portugal pendant la même période).
Ce qui illustre bien la complexité des circuits de distribution, légaux ou non, et les changements d’étiquettes
qui ont pu avoir lieu. Ces informations, qui sont désormais publiées dans les journaux britanniques, étaient à
l’époque impossibles à obtenir par les scientifiques.
En l’absence de mesures de protection adaptées, n’importe quel pays du monde a pu être exposé à l’ESB, soit
par les farines britanniques contaminées ou par celles de
pays ayant recyclé des farines britanniques et donc contaminé leur bétail et leur propre production de farines, soit
73
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
par l’intermédiaire d’autres produits (graisses animales de
bovins et ovins) en provenance directe ou indirecte du
Royaume-Uni ou de pays contaminés par ricochet.
74
Les farines animales dites sécurisées telles que définies
en 1996 — provenant uniquement d’animaux aptes à la
consommation humaine, après élimination des abats à
risque et traitement à 133° C, sous 3 bars, durant vingt
minutes — constituent une nourriture riche en protéines
convenant parfaitement à l’alimentation des porcs, qui
sont des omnivores, et des volailles. Leur remplacement
par d’autres sources de protéines, notamment par du soja
transgénique, ne s’impose pas si la filière est bien maîtrisée. Or c’est justement là que le bât blesse : cette maîtrise
n’a pas été assurée, car contaminations croisées pouvaient
avoir lieu à de multiples niveaux (usine de fabrication,
transport, stockage…) et des trafics de très grande ampleur
D E S FA RI N E S D E V I A N D E S E T D ’ O S
n’ont pas été enrayés, ont parfois même été soutenus et
amplifiés. Le Royaume-Uni a fini par interdire, à la mi1996, les farines animales dans la totalité des filières animales parce qu’il ne parvenait pas à maîtriser leur entrée
dans l’alimentation du bétail. La France puis le reste de
l’Europe communautaire suivront seulement fin 2000,
alors que ces farines ont été largement distribuées entretemps. C’est ainsi que des farines britanniques qui ne pouvaient prétendument pas être exportées loin en raison du
prix du transport ont été retrouvées jusqu’en Indonésie. Il
convient donc de différencier le problème sanitaire de
celui lié au contrôle de l’application des mesures préconisées et au contrôle des fraudes.
Cela dit, une fois les farines animales interdites pour tous
les animaux, et donc devenues des denrées dépourvues de
valeur économique, il reste un énorme problème : les
déchets à éliminer. Ainsi, la France produit chaque année
2,5 millions de tonnes de déchets crus (1/3 de ruminants,
1/3 de porcs et 1/3 de volailles), précédemment valorisables en alimentation animale, et 0,2 million de tonnes de
matériaux à risques spécifiés, contenant notamment les
déchets à très haut risque, tels le cerveau et la moelle épinière des ruminants. En raison des volumes générés, traiter l’ensemble des déchets par incinération pose de très
gros problèmes techniques, ce qui aboutit à des stockages
dans des conditions sanitaires souvent discutables qui
inquiètent les riverains des sites choisis.
En pratique, il convient de distinguer :
• les farines issues des tissus à risque (système nerveux
central et/ou bovins avérés positifs lors du test de l’ESB),
qui représentent une minorité des volumes et doivent
être traitées comme des déchets à haut risque ;
75
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
D E S FA RI N E S D E V I AN D E S E T D ’ O S
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
P E U T - O N C O N S OM M E R D E S P R O D U I T S B O V I N S ?
Limiter les volumes permet de résoudre les problèmes
de stockage; il est également plus économique et plus
rationnel de mobiliser les moyens disponibles pour
détruire les déchets présentant un réel danger.
Peut-on consommer
des produit s bov i n s ?
• les farines issues de tissus d’animaux non suspects
d’ESB mais déclarés impropres à la consommation
humaine, qui pourraient être éliminées comme déchets à
bas risque;
• les farines sécurisées, issues de tissus déclarés propres à
la consommation humaine, qui pourraient parfaitement
être utilisées dans l’alimentation des poulets et des porcs
(ces animaux ayant toujours mangé les restes des hommes
à la ferme). Ces farines, qui constituent des déchets sans
risque particulier, devraient être traitées comme tels. Elles
représentent plus de 90 % des volumes de déchets produits. Bien qu’il soit fort dommage de détruire des produits
de très bonne qualité, cette phase est sans doute indispensable tant que l’assainissement de la filière de production
et de distribution des aliments n’est pas garanti.
On le sait, les risques pour l’homme ont été sous-évalués
et sans doute mis en balance avec des enjeux économiques
majeurs… Les exportations vers l’Europe de bovins vivants
ou de produits bovins britanniques ont doublé entre 1988
et 1995 (120000 tonnes en 1988 et 250000 tonnes en 1995)
et ont représenté environ 4,5 milliards de francs sur la
période 1989-1996 39. Les Premiers ministres britanniques
de cette période, Margaret Thatcher puis John Major, ont
ouvertement menacé de bloquer toutes les structures européennes et la mise en place du marché unique prévue en
1993 aurait de ce fait été remise en question. À Bruxelles,
des consignes officielles de désinformation ont même été
données aux médias 1, pour éviter que la vache folle ne
vienne troubler le bon ordre des choses.
En 1989, le rapport Southwood, commandité par le
gouvernement britannique, a conclu que la transmission
de l’ESB à l’homme était hautement improbable 40 et, au
niveau politique, on a parié sur le fait que l’ESB n’était pas
transmissible à l’homme : du coup, la mise en œuvre des
mesures de précaution s’en est ressentie à tous les niveaux.
Quels risques a-t-on réellement courus ? Quels risques
court-on? Peut-on encore manger de la viande ? Et que
peut-on encore manger?
79
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
80
Il est vrai qu’entre la vache folle, le poulet ou le porc
belge à la dioxine, les fromages et les charcuteries contaminés par la listeria et les végétaux transgéniques (les énigmatiques OGM) d’aucuns pourraient s’étonner qu’il existe
encore des Européens. Situation d’autant plus paradoxale
que, globalement, l’espérance de vie de la population
continue à augmenter. En dépit du manque de transparence des industries agroalimentaires et de l’inquiétude
des consommateurs, cristallisée dans le concept de « malbouffe », la qualité sanitaire des aliments s’améliore
constamment 41 : en 1995, en France, sur 531618 décès,
seulement 737 pouvaient éventuellement être liés à la
consommation d’aliments toxiques ou contaminés, dont la
majorité (63 %) par une infection intestinale mal définie.
Il est déconseillé de noyer ses chagrins dans l’alcool, considéré comme responsable de près de 24000 décès par an
en France (principalement par cirrhose du foie et par cancer des voies aérodigestives supérieures). Quant au plaisir
de la cigarette, il se paie plus cher encore, avec près de
60 000 morts par an dans notre pays.
Au regard de ces chiffres, le nombre de cas de nvMCJ
semble dérisoire : depuis 1996, 3 cas en France, alors que
300 personnes sont décédées de la forme classique de MCJ
pendant la même période (maladie qui survient dans tous
les pays du monde, indépendamment de la présence
d’ESB ou de tremblante) et que 120000 décès sont liés à la
consommation excessive d’alcool sur le territoire national.
Mais cette apparente absence de contamination de la
population française n’est-elle pas trompeuse? D’autant
que l’évolution des cas britanniques n’indique pas d’amélioration de la situation dans le temps. La durée d’incubation de la maladie étant inversement proportionnelle à la
P E U T - O N C O N S OM M E R D E S P R O D U I T S B O V I N S ?
dose infectieuse, les cas que nous observons aujourd’hui
sont ceux qui ont été contaminés le plus précocement avec
les doses les plus fortes. Les cas à venir vont vraisemblablement s’étaler sur plusieurs décennies, avec une ampleur
que nous ne savons prédire : entre quelques dizaines et
quelques milliers de cas au Royaume-Uni, d’après les
modélisations 42 les plus récentes; plus de 100000 si la
période d’incubation moyenne dépasse soixante ans, ce
qui semble toutefois exagéré. En France, l’estimation du
futur nombre de cas est très approximative et consiste à
diviser les chiffres britanniques par 10 à 20 pour tenir
compte des importations de produits bovins britanniques
qui sont entrés dans la consommation française jusqu’à
l’embargo de 1996. Pour d’autres pays européens, comme
l’Allemagne, il convient de tenir compte non seulement
des importations britanniques, mais aussi des cas nationaux non diagnostiqués d’ESB alors que cervelle et
moelle épinière ont été autorisées pour l’alimentation
humaine jusqu’à fin 2000 (simple petit rappel : certaines
saucisses de 100 grammes ont pu contenir jusqu’à
10 grammes de cerveau de bovin). Enfin, la circulation des
farines contaminées britanniques jusque dans les contrées
les plus lointaines peut être à l’origine d’un nouveau cycle
d’amplification de l’agent et d’exposition de l’homme dans
ces pays.
C’est au Royaume-Uni que les risques pour l’homme ont
été maximaux durant la période où les tissus connus pour
être très infectieux entraient dans la chaîne alimentaire.
Jusque fin 1989, cervelle et moelle épinière ont été utilisées
de manière tout à fait légale : soit directement, dans de nombreux plats cuisinés, comme liant de sauce, par exemple;
soit indirectement, par le biais des viandes séparées méca-
81
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
82
niquement (méthode de récupération des viandes encore
attachées à l’os, notamment au niveau de la colonne vertébrale, par des procédés mécaniques de broyage, raclage et
pression). La composition des viandes hachées et des hamburgers, régulièrement suspectés, a varié selon les pays – la
réglementation française étant l’une des plus strictes. Au
Royaume-Uni, ce n’est qu’à partir d’avril 1995 que ces abats
ont été rendus inutilisables par leur marquage avec un colorant bleu indélébile, et c’est en 1996 que les viandes séparées mécaniquement ont été interdites.
Il convient de rappeler que, dans le même temps, les
autorités britanniques étaient persuadées que cette maladie ne présentait aucun risque pour l’homme. En 1994,
John Major, alors Premier ministre, affirmait haut et fort
qu’il n’y avait aucun danger pour l’homme et, en 1995,
le ministre de l’Agriculture faisait manger un hamburger
à sa petite-fille devant les caméras du monde entier…
Il est donc possible d’établir une classification en fonction
de la période d’exposition aux tissus nerveux contaminés :
• avant 1989-1990, cervelle et moelle épinière pouvaient
légalement entrer dans la consommation humaine au
Royaume-Uni (jusqu’en novembre 1989) et en France
(jusqu’en février 1990), tandis que les exportations d’abats
à risque du Royaume-Uni (incluant donc ces deux abats)
ont été multipliées par 10 à 20 à partir de 1987 43. Le recyclage systématique de tous les éléments valorisables pose
la question de l’incidence sur l’augmentation du niveau
de contamination de la chaîne alimentaire humaine, britannique d’un côté et européenne de l’autre.
• entre 1990 et 1996, les mesures d’exclusion des tissus
nerveux ont été mises en place lentement et de manière
variable, alors que d’un côté le nombre de cas d’ESB
P E U T - O N C O N S OM M E R D E S P R O D U I T S B O V I N S ?
flambait au Royaume-Uni (de 14 407 cas par an en 1990 à
37 280 en 1992 puis 24 436 en 1994), que les exportations
doublaient et que les autorités maintenaient qu’il n’y avait
aucun danger pour l’homme;
• à partir de mi-1996, le déclenchement de la crise a
provoqué une véritable prise de conscience et l’embargo
a protégé le reste de l’Europe, tandis que l’interdiction de
la consommation des bovins de plus de 30 mois constituait une parade globale onéreuse mais efficace pour les
Britanniques;
• depuis le 1er janvier 2001 en France et en Allemagne,
et à partir de juillet 2001 pour les autres pays européens,
tous les bovins de plus de 30 mois sont testés avant d’entrer dans la chaîne alimentaire humaine ; le niveau de
garantie est très satisfaisant pour le meilleur test actuel et
le sera également pour ceux qui ne vont pas manquer de
suivre. À l’initiative de la France, ce test sera bientôt pratiqué sur tous les bovins de plus de 24 mois, comme c’est
le cas en Allemagne. Ces mesures de protection viennent
s’ajouter aux précédentes, et si certaines se révèlent être
des précautions inutiles (comme l’interdiction des ris de
veau), d’autres devront être absolument maintenues (élimination de la cervelle et de la moelle épinière).
Au niveau individuel, pour se protéger de l’agent de
l’ESB, la question à se poser était : dans quels aliments estil possible de trouver de la cervelle et de la moelle épinière? Erreur classique à ne pas commettre : confondre
moelle épinière et moelle osseuse; la première correspond
au tissu nerveux potentiellement très infectieux, qui est
protégé par la colonne vertébrale (dont l’atteinte peut
rendre paraplégique lors d’un accident de voiture), tandis
que la seconde, responsable de la production des globules
83
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
84
rouges, des globules blancs et des plaquettes, et qui se
trouve au centre des os, n’appartient pas aux tissus à
risque. Aujourd’hui, il n’est plus possible de trouver sur le
marché les tissus nerveux interdits (tels les amourettes,
nom gastronomique de la moelle épinière, qui étaient
consommées notamment dans la région de Lyon). Ils ne
peuvent pas non plus être incorporés tels quels dans les
plats cuisinés ou sous forme de viandes séparées mécaniquement. Les différents produits transformés susceptibles
d’en contenir sont désormais strictement contrôlés, surtout
au niveau des produits d’origine française. Les viandes
rouges non transformées ne font courir aucun risque.
Il devient ainsi possible, à la lueur d’éléments rationnels,
d’analyser l’épisode du foyer de Queniborough, dans le
Leicestershire. Ce petit village anglais a attiré l’attention
du fait de la fréquence anormale de cas de nvMCJ (5 cas
apparus entre août 1996 et janvier 1999). L’enquête épidémiologique a découvert un point commun à tous ces cas :
toutes les personnes contaminées au milieu des années 80
avaient le même boucher, alors qu’il existait maintes
autres possibilités d’approvisionnement pour les villageois. La présentation faite à la presse, le 21 mars 2001, a
privilégié la contamination des couteaux du boucher,
lequel abattait lui-même les animaux : les couteaux, qui
avaient été en contact avec la moelle épinière, pouvaient
servir ensuite à découper la viande servie aux consommateurs. Mais cette explication ne résiste pas à l’analyse, car
si la simple contamination d’un couteau suffit à transporter sur un bifteck une dose mortelle pour l’homme, qu’en
est-il des quantités 100 000 fois supérieures contenues dans
la moelle épinière et le cerveau, qui pouvaient être incorporés dans de multiples préparations culinaires?
P E U T - O N C O N S OM M E R D E S P R O D U I T S B O V I N S ?
La première question à se poser concerne la réalité de ce
foyer (cluster) de cas humains : l’enquête semble avoir été
menée sérieusement, avec les conseils de spécialistes réputés et, jusqu’à preuve du contraire — toutes les restrictions
touchant notamment la reconstitution des témoignages
vingt ans après les faits –, il semble bien exister un phénomène significatif lié à un boucher précis. Par ailleurs, il
apparaît que ce boucher pratiquait un abattage artisanal
(pratique interdite en France depuis 1965 et aujourd’hui
en Angleterre) : cette particularité est extrêmement significative, car elle implique, en cas d’abattage d’un bovin
infectieux, la contamination d’un nombre limité de personnes à des doses fortes dans un périmètre très limité; à
l’inverse, les pratiques industrielles impliquent, en cas
d’abattage d’un animal infecté, une dilution lors des
mélanges avec les tissus de nombreux animaux sains et
une grande diffusion, donc l’exposition à des doses infectieuses faibles et sans limite géographique nette. Cet épisode représente donc bien un exemple de conditions
optimales pour pouvoir détecter un foyer de cas humains.
En revanche, le moyen de contamination par les couteaux
ne peut être retenu : en effet, la quantité de moelle épinière
susceptible de contaminer un couteau est de quelques milligrammes, alors que la moelle épinière pèse 200 grammes
en moyenne et la cervelle 500 grammes. Si quelques milligrammes suffisaient à tuer aussi rapidement des
hommes, les doses 100000 fois supérieures contenues
dans le système nerveux central auraient déjà décimé des
milliers d’Anglais — plus la dose infectieuse est importante,
plus l’incubation de la maladie est courte. La vraie question est plutôt : que faisait le boucher avec la cervelle et la
moelle épinière? S’il ne se donnait pas la peine d’extraire
85
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
86
systématiquement la cervelle, ce qui impose de casser la
boîte crânienne, il avait, au moment de fendre la carcasse,
accès aux 200 grammes de moelle épinière qui pouvaient
être utilisés de façon légale et entrer dans différentes préparations culinaires. Les premiers cas observés correspondent forcément aux doses contaminantes les plus fortes.
Les premières informations recueillies par la commission
d’enquête du Sénat 44 indiquent que ce boucher utilisait
bien la moelle épinière dans ses préparations.
Dans le même ordre d’idée, il semble important de rappeler que la simple interdiction des abats à risque dans
l’alimentation pour chats a permis de faire quasiment disparaître l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme féline.
Tout cela nous permet de souligner que les cas humains
observés actuellement au Royaume-Uni et en France sont
liés à des contaminations survenues avant l’arrêt de l’utilisation de la cervelle et de la moelle épinière dans l’alimentation humaine et correspondent donc à des patients
contaminés avec des doses infectieuses fortes. Depuis
1996, l’interdiction des bovins de plus de 30 mois dans
l’alimentation, au Royaume-Uni, et l’embargo sur les produits bovins britanniques pour le reste de l’Europe ont
constitué des mesures de protection supplémentaires théoriquement très efficaces, et ce malgré les trafics qui ont certainement eu lieu. Désormais, la mise en place de tests
systématiques à l’abattoir constitue une mesure de sécurité
qui, si elle est appliquée de manière optimale dans tous les
pays, rend le système remarquablement protecteur.
Les problèmes qui peuvent se poser désormais reposent sur la garantie de la mise en œuvre des mesures les
plus adaptées et non sur les incertitudes qu’elles laisseraient planer.
A P R È S L A V A C H E F O L L E , L E M O U TO N F O U ?
Après la vache folle,
le mouton fou ?
Les ovins britanniques ont été nourris avec les mêmes
farines contaminées que les bovins. Ces animaux étant
très sensibles à la contamination de l’agent de l’ESB par
voie orale, il serait fort surprenant qu’aucun animal n’ait
développé cette maladie. Le développement de l’ESB
chez le mouton ne pouvant être différencié de celui de la
tremblante, il peut parfaitement passer inaperçu. Enfin,
la présence de l’agent dans de nombreux tissus périphériques (ganglions lymphatiques, amygdales, rate, intestin)
laisse craindre non seulement un risque de persistance de
la maladie sous forme endémique, mais en outre elle
expose l’homme à un risque plus important qu’avec le
bovin. Les moutons britanniques ont continué à être
exportés dans le monde entier, et notamment en France,
jusqu’à l’apparition de l’épizootie* de fièvre aphteuse, au
début de l’année 2001.
Il s’agit pour le moment d’un risque théorique, non
encore étayé sur le plan scientifique. Mais les recherches
engagées augmentent très sérieusement la probabilité de
repérer un animal positif, donc la possibilité de provoquer une nouvelle crise, celle du mouton fou, cette fois.
Même si les craintes devaient s’avérer injustifiées, une
telle crise aurait des conséquences économiques désastreuses, la capacité de ruiner entièrement la filière ovine
et pourrait retentir sur la filière bovine. Actuellement, certains pays comme l’Allemagne envisagent un dépistage
systématique à l’abattoir pour éliminer de la chaîne alimentaire tous les moutons atteints de tremblante et, par là
même, ceux qui pourraient être contaminés par l’ESB.
87
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
Le principe de précaution :
bouclier ou para p l u i e ?
88
La plupart des mesures prises en France l’ont été au nom
du principe de précaution. En théorie, le principe est
excellent, il évite d’attendre les preuves irréfutables d’un
danger pour prendre les mesures conservatoires qui s’imposent. Il semble aujourd’hui inconcevable qu’il n’ait pas
été appliqué en Grande-Bretagne par les gouvernements
de Mme Thatcher et de M. Major. Cependant, appliqué
sans discernement, il peut avoir des effets particulièrement
contre-productifs. En ce qui concerne la filière bovine et
très bientôt la filière ovine, l’application de ce principe
aboutit à de nouvelles mesures annoncées régulièrement
qui font naître un sentiment d’insécurité. Par définition, s’il
est nécessaire de prendre de nouvelles mesures, d’interdire de nouveaux produits, cela sous-entend que les
mesures précédentes n’étaient pas assez protectrices, malgré toutes les affirmations. Le doute est alors permis sur la
sécurité réellement apportée par l’ensemble du système.
En raison de cette perte de confiance et en dépit des
possibilités de diagnostic des tests, des centaines de milliers d’animaux de plus de 30 mois sont sacrifiés uniquement pour soutenir les cours de la viande en Europe. Ces
mesures spectaculaires peuvent finir par ruiner complètement l’économie sans pour autant apporter de vraies
garanties au consommateur (qui peut penser que l’abattage est bien la preuve qu’il a couru un risque), donc sans
réellement protéger les filières bovine et ovine. Certains
vont même jusqu’à prédire, chez les agriculteurs qui se
sentent incompris et désespérés, un nombre de suicides
supérieur aux décès dus à la contamination par l’agent de
L A C O N TA MI N AT I O N D E L’ E N V I R ON N E M E N T
l’ESB. Par ailleurs, l’argent gaspillé en pure perte dans
cette crise (il s’agit désormais de dizaines de milliards de
francs) pourrait être utilisé de manière beaucoup plus
constructive.
Paradoxalement, l’amélioration très importante du
contrôle de la qualité de notre alimentation et la politique
de transparence sur les anomalies constatées aboutissent
à un sentiment d’insécurité, alors qu’elles sont le reflet
d’une importante amélioration de la sécurité alimentaire.
Faut-il en conclure qu’il convient de cacher la vérité
puisque le consommateur n’est pas capable de faire
preuve de discernement? Ce serait une erreur grossière,
doublée d’un sentiment quelque peu méprisant. Tout finit
toujours par se savoir et les médias ont un redoutable effet
d’amplification : n’oublions pas que la confiance est précieuse, souvent longue et difficile à obtenir, et qu’elle peut
se perdre définitivement du jour au lendemain. La solution se trouve plutôt dans l’éducation du consommateur :
il faut veiller à lui transmettre les informations et à lui
donner les moyens de porter son propre jugement, de
mesurer ainsi les risques de sa vie quotidienne.
La contamination
de l’environnement
En dehors des risques alimentaires, un autre problème
se pose : celui de la contamination potentielle de l’environnement. Elle est connue depuis très longtemps chez le
mouton, avec l’existence de champs contaminés par
l’agent de la tremblante. Cette contamination naturelle des
sols pourrait s’expliquer logiquement de trois manières :
89
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
90
par le contact avec des placentas infectés lors de la mise
bas (phénomène d’autant plus limité que la mère a le
réflexe de l’ingérer très rapidement), par un réservoir animal non identifié, comme les acariens (des acariens du
fourrage ont été incriminés, mais cette expérience n’a
jamais pu être reproduite à ce jour), ou par les matières
fécales. Même si les expériences n’ont jamais pu prouver
le caractère infectieux des excréments de moutons et de
souris, il faut noter que ces expériences ont une sensibilité
très limitée due, d’une part, au volume important de
matières fécales produites par jour (d’où une dilution très
importante de l’agent infectieux à rechercher dans des
matières, rendant difficile la détection par nos techniques),
d’autre part, à l’impossibilité d’utiliser correctement les
méthodes de détection des prions par inoculation à la souris (l’injection de matières fécales concentrées dans le cerveau de souris de laboratoire entraîne la mort de l’animal
en quelques heures). À l’inverse, comme il est clairement
démontré que l’agent de la tremblante est retrouvé dans
tout le tube digestif des moutons (il est admis que la PrPres
s’accumule dans les cellules lymphoïdes du tube digestif,
qu’elles soient dispersées dans la paroi du tube digestif ou
regroupées en plaques de Peyer dans l’intestin grêle terminal), il pourrait théoriquement être éliminé dans les
excréments avec les cellules productrices.
Ainsi, l’expérience 7 publiée par P. Brown en 1991 a
consisté à mélanger du cerveau de hamster infecté par
une souche de tremblante expérimentale à de la terre :
une partie du mélange a été conservée au congélateur à
−80 °C, tandis que le reste était placé dans un pot de fleur,
au-dessus de couches de sable et de terre, et enterré dans
le jardin de l’expérimentateur à un endroit exposé aux
LA TR ANSFUSION SANGUINE
intempéries, notamment à la pluie. Au bout de trois ans,
le pot de fleur a été déterré, la terre de surface récupérée,
les couches inférieures également et les échantillons
conservés au froid décongelés : ces trois échantillons ont
été dilués et injectés à différents groupes de hamsters qui
ont développé une tremblante lorsque les échantillons
étaient infectieux. Le résultat est que la terre contaminée
à la surface du pot de fleur demeurait encore très contaminée (diminution d’un facteur 60 de l’infectiosité pour
une contamination initiale d’environ 100 millions d’unités
infectieuses par gramme), alors que rien n’était détectable
dans les couches inférieures pourtant touchées par l’eau
de pluie. Les prions résistent donc remarquablement bien
aux processus naturels de dégradation et peuvent rester
adsorbés (c’est-à-dire collés) à des matériaux inertes
comme l’argile.
Autre problème sous-jacent, celui de la contamination
de l’eau, notamment par les rejets des centres d’équarrissage et des abattoirs en cas de traitement d’un bovin
atteint d’ESB : des programmes d’études sont en cours
pour évaluer précisément les risques en fonction des différents traitements effectués.
La transfusion sanguine
Bien que les prions puissent théoriquement être présents
dans le sang et qu’ils se trouvent associés aux globules
blancs dans certains modèles expérimentaux, la maladie
de Creutzfeldt-Jakob, dans sa forme habituelle (sporadique), n’a jamais été reliée à un risque dû à la transfusion
sanguine, selon les enquêtes épidémiologiques.
91
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
92
Les modèles expérimentaux de contamination par voie
orale ont permis de mettre en évidence une première
phase de réplication de ces agents au niveau des plaques
de Peyer, dans l’intestin, puis des ganglions lymphatiques
associés au tube digestif. Secondairement, une réplication
est observée dans des territoires lymphatiques éloignés
impliquant par là même une recirculation lymphatique et
sanguine. La phase de neuro-invasion est tardive et exponentielle jusqu’à la mort de l’animal. Les taux observés
dans le système nerveux central sont très supérieurs à
ceux observés dans les tissus périphériques, pour lesquels
le phénomène de « plateau » observé est classiquement
attribué à un nombre limité de sites de réplication : les
cellules mises en cause sont les cellules folliculaires dendritiques et certains macrophages.
La transmission de l’agent de l’ESB par transfusion
sanguine à partir d’un mouton contaminé expérimentalement par voie orale a rappelé le potentiel de contamination de cette souche. Chez le mouton, contrairement
au bovin, le marqueur de l’infection (la PrPres, forme
anormale de la protéine du prion) est retrouvé dans tout
le système réticulo-endothélial (ce qui explique sans
doute pourquoi la tremblante du mouton est endémique
à l’état naturel — le placenta notamment est infectieux —
et implique qu’il serait très difficile de l’éradiquer s’il
s’avérait que l’ESB s’était également développée chez le
mouton). Par ailleurs, l’agent de l’ESB se transmet particulièrement bien par voie intraveineuse chez le primate.
Dans le cas de la nvMCJ chez l’homme, contrairement
aux formes habituelles de MCJ, la PrPres est retrouvée
dans les amygdales, la rate, les ganglions lymphatiques,
l’appendice, les plaques de Peyer, c’est-à-dire dans tous
LA TR ANSFUSION SANGUINE
les tissus lymphoïdes. Le risque de contamination du
sang, dont les cellules séjournent très régulièrement dans
tous les tissus lymphoïdes, est donc supérieur à ce qui
était connu antérieurement, mais non quantifiable pour
le moment, faute de test diagnostique. Ce risque doit
bien sûr être relativisé en fonction du nombre de donneurs potentiellement infectés.
Les tests rapides développés à ce jour ont une sensibilité
suffisante pour détecter la PrPres dans des prélèvements de
système nerveux central ou de tissus lymphoïdes, mais pas
dans le sang. Les modèles expérimentaux murins (souris)
ou cricétidiens (hamster) ont permis de montrer que la
majorité de l’infectiosité (environ 90 %) était associée aux
globules blancs et pouvait donc théoriquement être éliminée par déleucocytation (technique d’élimination des globules blancs sur des filtres spéciaux). Par ailleurs, ces
agents, dont la taille a été estimée à 15-40 nm, peuvent
théoriquement être éliminés par nanofiltration, et des
expériences de validation sont en cours pour des dérivés
du plasma. Enfin, la sélection des donneurs est une
approche qui a été retenue par certains pays, qui préfèrent
éliminer ceux dont le séjour au Royaume-Uni dépasse six
mois cumulés entre 1980 et 1996.
Comme nous l’avons souligné, la nature de ces agents
n’est toujours pas connue avec précision, même si l’hypothèse du prion selon laquelle l’agent est constitué uniquement par la PrPres est retenue par beaucoup. En pratique,
les tests les plus sensibles à l’heure actuelle permettent de
proposer une protection de l’homme au niveau de la
chaîne alimentaire (par dépistage systématique de l’ESB à
l’abattoir et élimination de tous les animaux positifs), mais
pas au niveau de la transfusion sanguine. En dehors des
93
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
projets reposant sur une approche fondamentale, les
efforts de recherche en cours s’orientent notamment vers
le développement de tests de sensibilité supérieure et l’exploration de nouvelles approches thérapeutiques de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob.
Protection de l’homme :
gestion du risque
et programmes de dépista g e
94
Le développement de tests de dépistage rapide de
l’ESB constitue une avancée très importante pour la protection de l’homme. La nouvelle crise a été provoquée
par l’absence apparente de maîtrise de l’épidémie en
dépit des mesures annoncées et notamment par le
nombre croissant de cas détectés chez des bovins nés
plus de quatre ans après l’interdiction (1990) des farines
animales, responsables de la diffusion de cette maladie,
alors que les incertitudes scientifiques sont toujours aussi
importantes concernant le risque pour l’homme (la dose
minimale infectieuse par voie orale pour l’homme n’est
pas connue). Les mesures supplémentaires de précaution
prises par la Commission européenne concernent d’une
part l’interdiction complète des farines animales et
d’autre part l’utilisation systématique de tests de dépistage de l’ESB chez les bovins de plus de 30 mois (c’est-àdire en âge de présenter des quantités détectables d’agent
infectieux et de développer la maladie) avant l’entrée
dans la chaîne alimentaire, afin d’éliminer tous les bovins
détectés positifs. En France et en Allemagne, le dépistage
systématique à l’abattoir a été mis en place en janvier
P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E
2001. Il devient obligatoire en juillet pour les autres pays
de la Communauté européenne.
Trois tests ont été validés à ce jour par la Commission
européenne 45 : ils reposent tous sur la détection de la
PrPres, dans le cerveau, pratiquée post-mortem sur un
prélévement de cerveau. Ils ne peuvent donc diagnostiquer la maladie que lorsque le cerveau est infecté, pas
avant la fin de la période d’incubation. Le test suisse
(Prionics), basé sur une technique de western blot (séparation par électrophorèse* suivie d’une immunodétection), a été le premier utilisé pour des études
épidémiologiques en Suisse et en France et a permis de
détecter des animaux non diagnostiqués au préalable.
Le test irlandais (Enfer) est basé sur une technique
ELISA (immunodétection permettant d’analyser 96
échantillons à la fois), qui est plus adaptée au dépistage
à grande échelle. Le test français (CEA-Biorad), basé sur
une technique de purification de la PrPres couplée à une
détection ELISA, est le plus performant en termes de
sensibilité.
De nouveaux tests sont en cours de développement et
d’évaluation. L’intérêt de tests sensibles est de garantir
l’élimination de tous les animaux potentiellement dangereux pour l’homme. La comparaison du test rapide le
plus sensible avec le test de référence, qui consiste à inoculer le matériel potentiellement infectieux directement
par voie intracérébrale à la souris, a permis de montrer
une efficacité équivalente. Comme il est prouvé expérimentalement que le modèle de contamination de la souris par voie intracérébrale est 100 fois plus efficace que la
contamination de bovins par voie orale (ce qui signifie,
par exemple, que 100 mg de tissu cérébral infectés par
95
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
96
l’agent de l’ESB peuvent tuer 200 souris par voie intracérébrale, mais ne peuvent tuer que 2 bovins par voie
orale) et que par ailleurs, en raison de la barrière d’espèce, l’homme est censé être plus résistant à l’agent de
l’ESB que le bovin (ou, au moins, aussi sensible), les animaux qui sont négatifs avec ce test ne sont pas dangereux
pour la souris (par voie intracérébrale) et donc pour le
bovin et l’homme (par voie orale 46 ).
Le dépistage systématique chez tous les bovins de plus
de 30 mois implique de tester environ 10000 animaux
par jour sur l’ensemble du territoire français. L’utilisation
de tests garantissant la sécurité du consommateur, à
condition d’être correctement maîtrisée, doit théoriquement résoudre la crise liée à l’ESB sous réserve que soient
appliquées les mesures précédentes, principalement l’élimination des abats à risque (cerveau et moelle épinière
surtout).
La crise de la vache folle a mis au jour un nouveau paramètre : l’importance du rôle de l’Europe, qui tend à paralyser toute prise de décision au niveau national. En effet,
on a créé un marché économique unique mais en aucun
cas un espace de santé homogène; les règles ont été édictées pour favoriser le libre-échange des marchandises
mais vont à l’encontre des mesures de confinement nécessaires pour empêcher la propagation de maladies bactériennes ou virales. Cela s’est notamment manifesté lors de
la première tentative d’embargo française en 1990 sur les
bovins britanniques; l’embargo a dû être levé parce qu’il
était en contradiction avec les règlements de Bruxelles.
Les graves dysfonctionnements relevés par les commissions d’enquête ont contribué à la démission de l’ensemble de la Commission européenne. Il est également
P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E
significatif que la politique d’évaluation de tests susceptibles d’être utilisés à l’abattoir n’ait pas été conduite au
niveau européen par la direction de l’Agriculture, mais
par celle chargée de la protection des consommateurs
(DG24, désormais DG SANCO) : pourtant, le développement d’un outil garantissant la sécurité du consommateur constitue le rempart le plus logique contre l’ESB.
97
Le test A (britannique, Société Wallac) est le moins sensible
puisqu’il ne détecte que l’échantillon positif pur, et ne détecte plus
rien dès la première dilution du témoin positif. Il n’a pas été
validé,
car il n’a pas détecté certains bovins cliniquement malades.
Le test B (suisse, Société Prionics) est dix fois plus sensible.
Le test C (irlandais, Société Enfer) est 30 fois plus sensible.
Le test D (français, CEA-Biorad) est 300 fois plus sensible.
Les trois derniers tests ont été capables de détecter tous les bovins
cliniquement atteints et peuvent être utilisés dans le cadre
de la réglementation de chaque pays.
Ces blocages ont été clairement identifiés comme rele-
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
98
vant en grande partie de la volonté du gouvernement
britannique de l’époque d’exporter coûte que coûte ses
produits bovins et comme la conséquence du chantage
officiel menaçant de bloquer toutes les institutions européennes en cas de maintien des embargos. Des attitudes
hautement répréhensibles de la part des dirigeant politiques et de différents hauts fonctionnaires britanniques
ont été stigmatisées dans un rapport en 16 volumes de la
Commission présidée par Lord Phillips, BSE Inquiry,
publié en 2000.
D’autres blocages sont survenus de la part de pays qui
ne se croyaient pas touchés et ne voulaient surtout pas
entendre parler de mesures susceptibles d’inquiéter leurs
consommateurs. Ainsi, alors qu’il était de notoriété
publique que des farines britanniques avaient été exportées dans toute l’Europe, des pays comme le Danemark
ou l’Allemagne ne voulaient pas entendre parler de
mesures d’exclusion d’abats à risque et continuaient à
laisser incorporer de la cervelle et de la moelle épinière
dans la chaîne alimentaire humaine. La découverte du
premier cas de vache folle au Danemark en 1999 a eu
l’effet d’une bombe : un seul animal, et du jour au lendemain, toutes les belles certitudes se sont effondrées;
l’embargo a été déclaré par les pays voisins, alors qu’il
était prévisible que des cas seraient découverts si on se
donnait les moyens de les chercher. En Allemagne, deux
ministres (Agriculture et Santé) ont démissionné fin 2000
à la suite de la découverte des cas d’ESB, et une défiance
irrationnelle a succédé à une confiance excessive.
La mise en place des tests systématiques à l’abattoir
décidée par la Commission européenne devrait logiquement permettre de constater que l’ESB est désormais pré-
P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E
sente dans toute l’Europe et vraisemblablement dans de
nombreux autres pays du monde ayant importé des
farines britanniques et des bovins, voire des ovins contaminés. La fin de la détection, du fait des nombreux trafics
qui ont sans doute eu lieu et qui vont vraisemblablement
continuer pendant un certain temps, n’interviendra pas
avant cinq à dix ans dans le meilleur des cas. Les promesses de détection de l’agent de l’ESB du vivant du
bovin (test sanguin) risquent de ne pas être tenues avant
plusieurs années, étant donné l’absence actuelle de toute
donnée scientifique concrète et le temps de développement d’un test industriel.
Seules des mesures appliquées efficacement dans tout
l’espace européen, avec notamment une traçabilité maîtrisée et une répression efficace des trafics permettront de
garantir la protection du consommateur et donc le retour
de la confiance. Il est inutile de prendre des mesures
contraignantes en France si les produits légalement
importés n’offrent pas les mêmes garanties. De la même
manière, il importe que les mesures proposées soient
cohérentes non seulement entre les différents pays, mais
également tout au long de la chaîne, aussi bien pour la
qualité du produit que pour la protection des employés
de la filière bovine.
Dans le même ordre d’idée, quelle est la logique qui
aboutit à laisser consommer du muscle (viande rouge)
contenant des nerfs et des filets nerveux théoriquement
contaminés chez un bovin atteint d’ESB et à interdire le
ris de veau (thymus) alors que celui-ci n’a jamais été
retrouvé infectieux dans l’ESB? Posée d’une autre façon,
cette question devient la suivante : à partir de quelle dose
infectieuse considère-t’on qu’il y a danger? En effet, ni le
99
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
100
muscle (viande rouge) ni le thymus n’ont jamais été
retrouvés infectieux, c’est-à-dire que personne à ce jour
n’a réussi à infecter un autre animal à partir de ces tissus
prélevés chez les bovins atteints malgré des techniques
très efficaces comme l’inoculation directe dans le cerveau
du receveur : cela ne signifie pas qu’il n’y a aucune particule infectieuse mais que les particules infectieuses éventuellement présentes sont en quantité insuffisante pour
présenter un danger.
Ce problème de la dose infectieuse est majeur et doit
être à la base d’un système rationnel d’évaluation du
risque. Il faut arrêter d’avoir peur de la moindre particule
infectieuse : nous vivons au milieu de milliards d’agents
potentiellement pathogènes, bactéries, virus et autres,
aussi bien dans notre environnement que dans notre
propre tube digestif, et pourtant nous sommes en bonne
santé parce que, dans les conditions naturelles, un équilibre s’opère avec les défenses de notre organisme, qui
nous protègent. C’est lorsqu’il y a un déséquilibre, une
augmentation anormale d’un pathogène virulent et/ou
une diminution de nos systèmes de défense (par exemple
effraction cutanée, immunodépression après chimiothérapie), que la maladie apparaît. Nous avons tous à un
moment ou à un autre mangé, comme nos parents et nos
grands-parents, des moutons atteints de tremblante sans
que cela ait eu la moindre conséquence pour notre santé;
pourtant, s’il était injecté directement dans le cerveau d’un
homme, l’agent de la tremblante déclencherait vraisemblablement une maladie, comme c’est le cas chez le singe.
L’agent de l’ESB, tant qu’il n’est pas détectable avec nos
méthodes les plus performantes (ce qui ne signifie pas qu’il
n’est pas présent), n’est pas dangereux pour l’homme : il
P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E
est donc possible de proposer une classification fondée sur
la détection par inoculation à la souris. Tout ce qui n’est
pas dangereux pour une souris contaminée directement
dans le cerveau ne l’est pas pour un bovin contaminé par
voie orale, et donc pour un homme contaminé par la
même voie. En effet, il est démontré que la quantité de cerveau nécessaire pour tuer 1 bovin par voie orale peut tuer
100 souris par voie intracérébrale; on ne connaît pas la
dose minimale capable de tuer un homme par voie orale,
mais il est évident que nous sommes protégés par la barrière d’espèce, suffisamment pour ne pas avoir à compter
les cas humains par milliers alors que l’on sait que plus de
400 000 bovins contaminés (à différents stades de la maladie) sont entrés dans la chaîne alimentaire humaine au
Royaume-Uni avant l’interdiction de la cervelle et de la
moelle épinière. Pour mémoire, il est admis qu’un
gramme de système nerveux central d’un bovin cliniquement atteint d’ESB contient suffisamment d’agent infectieux pour tuer 1000 à 100000 souris : cela signifie qu’un
seul bovin, dont la cervelle pèse environ 500 grammes et
la moelle épinière 200 grammes, peut théoriquement tuer
0,7 à 70 millions de souris. Ces quelques chiffres expliquent pourquoi il est possible d’affirmer aujourd’hui (tout
comme il était possible d’affirmer dès 1996 que l’agent de
l’ESB était transmissible à l’homme) que le modèle de la
souris contaminée par voie intracérébrale est beaucoup
plus sensible à l’agent de l’ESB que l’homme contaminé
par voie orale.
En conséquence, il est possible d’analyser les données
de la littérature pour déterminer ce qui n’est pas dangereux pour l’homme à partir du modèle de la souris :
1) Les seuls tissus retrouvés infectieux dans les formes
101
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
102
naturelles de l’ESB sont le cerveau et la moelle épinière,
ainsi qu’accessoirement les ganglions nerveux le long de
la colonne vertébrale, le ganglion trijumeau et la rétine ;
2) les formations lymphoïdes de l’intestin grêle n’ont été
retrouvées positives que dans les formes expérimentales,
après des contaminations avec de très fortes doses d’agent
infectieux (100 grammes de cerveau infecté). Le fait que
l’on n’ait pas détecté l’agent infectieux dans la forme naturelle de la maladie ne signifie pas qu’il n’est pas présent,
mais seulement qu’il l’est à des doses inférieures au seuil
de détection, et donc de dangerosité théorique (ce qui
explique que dans les conditions naturelles la maladie se
développe en cinq ans tandis qu’elle se développe en trois
ans dans les contaminations expérimentales fortes);
3) aucun autre tissu n’a été retrouvé positif. Il conviendrait
de mesurer précisément la quantité d’agent retrouvé dans
les nerfs périphériques afin d’estimer plus précisément la
dilution qui existe naturellement dans les différents organes
et dans les muscles des bovins contaminés. Toujours est-il
que cette quantité correspond à la zone définie comme non
dangereuse pour la souris, et donc pour l’homme;
4) après sa réplication à bas bruit au niveau de l’intestin,
l’agent de l’ESB remonte le long des nerfs jusqu’à la
moelle épinière et au cerveau. En outre, il prend une sorte
de raccourci en empruntant le trajet du nerf vague 29, qui
innerve tout l’intestin et qui se termine au niveau de
l’obex dans le tronc cérébral, la région du cerveau qui est
la première touchée et qui est spécifiquement étudiée
dans toutes les analyses. C’est cette région qui est retrouvée positive environ six mois avant l’apparition des signes
cliniques dans les contaminations expérimentales;
5) la notion selon laquelle il n’est pas possible de détec-
P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E
ter un bovin plus de six mois avant les premiers signes
cliniques et qu’en conséquence on ne peut pas empêcher
des bovins contaminés d’entrer dans la chaîne alimentaire est un faux problème : l’important est de rester très
au-dessous du seuil dangereux en utilisant un test suffisamment sensible.
6) la limite de recherche de l’ESB chez le bovin a été
baissée de 30 à 24 mois en Allemagne à la suite de la
détection de 2 bovins de 28 mois positifs aux tests (dont
au moins 1 cas très faiblement positif qui n’aurait pu être
détecté sans un test sensible).
Au total, l’existence d’au moins un test rapide aussi
sensible que le test souris (pour le moment, le test français est le seul validé, mais il est logique de s’attendre à
l’apparition de nouveaux tests performants) permet de
proposer l’utilisation de cet outil pour garantir la sécurité de l’homme vis-à-vis du risque de l’ESB, qui peut
être présente chez des animaux entrant dans la chaîne
alimentaire.
Cette approche, qui devrait permettre de résoudre de
manière rationnelle la crise liée à l’ESB, a de multiples
implications :
1) elle doit d’abord être validée par les autorités scientifiques de l’Union européenne;
2) elle implique de réduire de 30 à 24 mois l’âge de
recherche de l’ESB à l’abattoir, comme cela fut préconisé
à l’origine par la Commission européenne. Par conséquent, les mesures britanniques, qui s’appliquent à partir
de 30 mois, devraient être révisées. Toutefois, l’abattage
systématique de tous les bovins britanniques âgés pourrait être remplacé par un simple test ;
3) de la même manière, il n’y aurait plus de raison
103
L E S R I S Q U E S P O U R L’ H OM M E
104
logique de maintenir en France la politique d’abattage
systématique des troupeaux ni de maintenir celle de
l’abattage des cohortes d’animaux du même âge pratiquée en Suisse. La garantie d’un test efficace à l’abattoir
éviterait de décimer des élevages constitués à 95-99 % de
bêtes parfaitement saines;
4) le problème des farines pourrait être traité de manière
beaucoup plus simple. Les matières premières proviennent en majorité de restes de bovins qui entrent dans
la consommation humaine. Le dépistage systématique à
l’abattoir, associé à l’élimination déjà en vigueur des abats
à risque garantit la qualité de cette matière première en
provenance de bovins consommés par l’homme. De plus,
les traitements supplémentaires imposés (133° C, 3 bars)
lors de la fabrication garantissent un produit fini parfaitement sûr qui pourrait être distribué aux porcs et aux
volailles. C’est l’existence de trafics et l’impossibilité pratique de les juguler, ainsi que les contaminations croisées,
qui ont obligé à interdire totalement l’utilisation des farines
animales pour les animaux de rente. Il faudra sans doute
maintenir cette interdiction tant que l’on n’aura pas la certitude absolue que les contaminations croisées et les trafics
ont cessé. Il n’en demeure pas moins que ces farines, lorsqu’elles sont correctement sécurisées, sont parfaitement
saines et ne nécessitent pas d’être détruites comme des
déchets contaminés très dangereux; elles peuvent au
contraire être éliminées comme des déchets normaux,
voire être valorisées d’une autre manière pour limiter
ce gâchis en protéines parfaitement assimilables. En
revanche, il convient de porter tous les efforts sur les
bovins retrouvés positifs, qui devraient être détruits dans
des filières qui leur sont réservées, et ce dans tous les pays,
P R OT E C T I O N D E L’ H OM M E
et de mettre en place des mesures cohérentes de protection des personnels et de l’environnement. Les déchets à
bas risque, retirés à titre de précaution, pourraient bénéficier de mesures intermédiaires;
5) en ce qui concerne le mouton, les seuls animaux diagnostiqués à ce jour sont atteints de tremblante naturelle,
maladie qui existe depuis des siècles et n’a jamais eu de
conséquence notable chez l’homme. Il n’en demeure pas
moins que la même démarche pourrait être pratiquée
dans le cas des ovins, afin de garantir qu’aucun animal
atteint n’entre dans la chaîne alimentaire humaine. Cette
mesure de bon sens aurait un autre avantage immédiat :
protéger le consommateur de moutons éventuellement
contaminés par l’agent de l’ESB et éviter une crise
majeure de la filière ovine lorsque le premier mouton
contaminé sera diagnostiqué (on sait depuis des années
que les moutons anglais ont été nourris avec les mêmes
farines contaminées que les bovins et les scientifiques ont
déjà tiré depuis très longtemps le signal d’alarme sur le
risque potentiel qu’ils représentent).
En fait, désormais, le principal risque d’ESB envisageable chez l’homme dans les années à venir est une
transmission secondaire de la nvMCJ via des greffes, des
instruments chirurgicaux mal décontaminés et, en raison
de sa fréquence, via la transfusion sanguine.
105
C ON C LU S IO N
Conclusion
106
E
n attendant la levée des incertitudes sur la nature
de ces agents transmissibles non conventionnels,
des mesures rationnelles s’avèrent primordiales,
notamment pour éviter la sélection de souches de prions
encore plus virulentes (par passages successifs au sein
d’une même espèce) aussi bien chez l’homme que chez
l’animal. Si les maladies humaines restent rares, leur
longue période d’incubation, leur évolution dramatique
et l’inefficacité des traitements disponibles justifient les
mesures prises, en France, pour éliminer les facteurs de
risques et justifient aussi l’application systématique du
principe de précaution.
Les programmes de tests connaissent une évolution au
niveau européen : nous sommes passés d’une logique
d’études épidémiologiques à une logique de protection
du consommateur. Le dépistage systématique à l’aide de
tests suffisamment sensibles et l’élimination des abats à
risques devraient permettre d’offrir une double sécurité.
Il est désormais théoriquement possible de proposer des
programmes cohérents de protection de l’homme, des
filières bovine et ovine ainsi que de l’environnement.
Les décisions tardives d’interdiction totale des farines
animales et de mise en place de tests performants vont
avoir coûté à l’Europe des milliards d’euros pour tenter
de sauver la filière bovine et peut-être demain la filière
ovine, sans compter la destruction d’une quantité impressionnante d’animaux, future nourriture parfaitement
saine dans son immense majorité.
La solution du problème par le développement des tests
n’est pas intervenue dans le cadre de programmes officiels de recherches au niveau de l’Europe, ce qui semble
traduire l’inadéquation des systèmes traditionnels quand
il s’agit de réagir à des situations nouvelles et d’apporter
d’urgence des réponses originales. La recherche scientifique ne doit pas être limitée, dans ses applications, à la
recherche d’une augmentation de la productivité ou à
celle de fraudes, comme ce fut le cas dans le passé; il
conviendrait de sortir des relations binaires scientifiques/industriels ou scientifiques/pouvoirs publics pour
instaurer des relations associant les trois parties. Si les
scientifiques parviennent à travailler en accord avec les
pouvoirs publics et les industriels, il deviendra possible de
proposer des solutions permettant de concilier les impératifs de santé publique et les contraintes économiques.
Les analyses présentées dans cet ouvrage n’engagent
que leurs auteurs. Elles sont fondées sur l’expérience qu’ils
ont acquise dans leur domaine respectif et sont le reflet de
leur conception du service public et du devoir d’information. Cette crise de la vache folle a été le révélateur de
toute une série de dysfonctionnements de notre société et
a affecté une valeur fondamentale : l’alimentation source
107
L A V A C HE F O L L E
de vie et de santé. Nous espérons que ce travail saura favoriser la prise de conscience de chacun et la mise en place
de systèmes capables de garantir la sécurité alimentaire,
contribuant ainsi à restaurer le plaisir et la confiance que
procure une nourriture de qualité.
108
[
A N NEX E S
Notes et référe n c e s
G l o s s a i re
H i s t o ri q u e
B i b l i o g ra p h i e
N OT E S
Notes et référe n c e s
110
1. Vache folle : la grande peur, M6, 6 novembre 2000.
2. Le cas historiquement décrit par H. Creutzfeldt portait en fait sur
une jeune fille de 23 ans, avec des antécédents familiaux d’atteintes mentales. Etant donné la jeunesse de la malade et les
signes cliniques, sa pathologie ne serait sans doute pas considérée
comme une MCJ, laquelle, de ce fait, devrait s’appeler en toute
rigueur maladie de Jakob.
3. Clément J.-M., Lalande F., Reyrole L. et col., Rapport sur l’hormone de croissance et la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Inspection
Générale des Affaires Sociales (IGAS), 1992, SA 19, n° 92145.
4. L’acide aminé pouvant être une méthionine ou une valine.
5. Maxime Schwartz, Comment les vaches sont devenues folles, Odile
Jacob, 2001, p. 14.
6. BSE Inquiry, 2000, vol. 12, pp. 59-61.
7. Brown P., Gajdusek D.C. « Survival of scrapie virus after 3 years
of interment », Lancet 1991, vol. 337, pp. 269-270.
8. Wisniewski H.-M., Sigurdarson S., Rubenstein R. et col., « Mites
as vectors for scrapie », Lancet, 1996, vol 347, p. 1114.
9. Marsh R. F., Hadlow W. J., « Transmissible mink encephalopathy », Rev. Sci.Tech.Off. Int.Epiz., 1992, vol. 11, pp. 539-549.
10. Par détection de la PrPres (forme anormale de la protéine du
prion) en immunohistochimie après marquage par des anticorps.
11. Miller M.W., Williams E. S., McCarty CW, et col.,
« Epizootiology of chronic wasting disease in free-ranging cervids in
Colorado and Wyoming », J.Wildl.Dis., 2000, vol 36, pp. 676-690.
12. FDA, le « Transmissible Spongiform Encephalopathies
Advisory Committee » s’est réuni les 18 et19 janvier 2001 à
Bethesda (Maryland).
13. Lasmézas C. I., Deslys J.-Ph., Demaimay R. et col., « Strain specific and common pathogenic events in murine models of scrapie
and bovine spongiform encephalopathy », J Gen Virol, 1996,
vol. 77, pp. 1601-1609.
14. Souche 139A chez des souris Swiss. Kimberlin R.H., Walker
C. A., « Pathogenesis of mouse scrapie : effect of route of inoculation on infectivity titres and dose-response curves », Journal of
Comparative Pathology 1978, vol. 88, pp. 39-47.
15. Souche 87V chez la souris pour Dickinson et souche 263K chez
le hamster pour B. Chesebro et J. Collinge.
16. Souche 263K.
17. Il faut néanmoins souligner une certaine résistance aux protéases, enzymes (catalyseurs biologiques) spécialisées dans la destruction des protéines.
18. Prusiner S. B., « Novel proteinaceous infectious particles cause
scrapie », Science, 1982, vol. 216, pp.136-144.
19. Unités fondamentales de molécules de faible taille et qui ont en
commun de posséder sur un même atome de carbone une fonction acide carboxylique, – COOH, et une fonction amine, –
NH2, d’où leur nom d’acides aminés.
20. Par régulation d’une superoxyde dismutase dépendante du
cuivre, enzyme dont le rôle est de détruire une forme active de
dioxygène à l’interface entre les neurones.
21. La pousse neuritique qui correspond à l’émission par les neurones de prolongements en vue de se connecter avec d’autres cellules neuronales.
22. Mouillet-Richard S., Ermonval M., Chebassier C. et col.,
« Signal transduction through prion protein », Science 2000, vol.
289, pp.1925-1928.
23. Billeter M., Wuthrich K., « The prion protein globular domain
and disease-related mutants studied by molecular dynamics
simulations », Arch.Virol., 2000, vol.16, pp. 251-263.
24. Souche CH1641. Selon les animaux, il existe des variations sur 3
acides aminés (en position 136, 154 et 171) qui sont associées à une
plus ou moins grande sensibilité aux différentes souches de prions.
25. Büeler H., Raeber A., Sailer A. et col. « High prion and PrPsc
levels but delayed onset of disease in scrapie-inoculated mice
heterozygous for a disrupted PrP gene », Molecular Medecine,
1994, vol. 1, pp. 19-30.
26. Lasmézas C. I., Deslys J.-Ph., Robain O., et al., « Transmission
of the BSE agent to mice in the absence of detectable abnormal
prion protein », Science, 1997, vol. 275, pp. 402-405.
27 Weissmann C.A., « Unified theory’of prion propagation »,
Nature, 1991, vol. 352, pp. 679-683.
28. Bousset L., Belrhali H., Janin J., et col., « Structure of the
Globular Region of the Prion Protein Ure2 from the Yeast
Saccharomyces cerevisiae », Structure, 2001, vol. 9, pp. 39-46.
29. Le nerf vague, ou nerf pneumogastrique, qui correspond à la
dixième paire crânienne, est un nerf complexe qui possède
notamment des fonctions végétatives très importantes : il innerve
notamment les plexus de Meissner, ou plexus entériques sousmuqueux, constitués de fibres et de cellules ganglionnaires du
système nerveux autonome, qui règlent le mouvement des villo-
111
ANNEXES
112
sités intestinales (les replis de la muqueuse intestinale qui permettent d’avoir une grande surface de contact avec les aliments),
et les plexus d’Auerbach, ou plexus myentériques qui sont des
formations nerveuses situées dans les couches de fibres musculaires lisses qui contrôlent le peristaltisme intestinal (les contractions de l’intestin pour la progression du bol alimentaire). Cette
particularité anatomique explique pourquoi cette zone très particulière de l’obex est la première retrouvée positive après une
contamination par voie orale. Le nerf vague pouvant être contaminé par n’importe lequel de ses rameaux sensitifs tout au long
de l’intestin, et l’agent infectieux remontant ensuite jusqu’aux
corps des neurones situés dans les noyaux de l’obex.
30. BSE Inquiry, 2000, vol 3, pp 101-102.
31. Homozygotes pour la méthionine au codon 129 du gène codant
pour la PrP, comme 40 % de la population normale, ainsi,
comme pour l’hormone de croissance, les patients hétérozygotes
semblaient résistants au développement de la maladie.
32. Lasmézas C. I., Deslys J.-Ph., Robain O., et col. « BSE transmission to macaques », Nature, 1996, vol. 381, pp. 743-744.
33. Collinge J, Sidle KCL, Meads J, et col. « Molecular analysis of
prion strain variation and the aetiology of « new variant » CJD »,
Nature, 1996, vol. 383, pp. 685-690.
34. Deslys J.-Ph., Lasmézas C. I., Streichenberger N., et col., « New
variant Creutzfeldt-Jakob disease in France », Lancet, 1997, vol. 349,
pp. 30-31.
35. Bruce M. E., Will R. G., Ironside J. W., et col., « Transmissions
to mice indicate that « new variant » CJD is caused by the BSE
agent », Nature, 1997, vol. 389, pp. 498-501.
36. Communication Robert Will dans le cadre d’une journée
consacrée aux « Encéphalopathies spongiformes transmissibles »
(Etat actuel des connaissances), Institut de France, Académie des
Sciences, 14 au 16 mars 2001.
37. Rapport n° 3291 du15 janvier 1997 de la Mission d’information
commune sur l’ensemble des problèmes posés par le développement de l’ESB.
38. En raison de l’absence de traçabilité et des fraudes, les enquêtes
en cours sont entravées par la difficulté à reconstituer les événements et ne dévoileront sans doute qu’une partie de la réalité.
39. BSE Inquiry, 2000, vol 10 pp 51 et 60.
40. En raison notamment de l’expérience de la tremblante.
41. Risques et Peurs alimentaires, sous la direction de Marian
Apfelbaum, Odile Jacob, 1998.
G LO S SA I R E
42. Ghani A. C., Ferguson N. M., Donnelly C. A., Anderson R. M.,
« Predicted vCJD mortality in Great Britain », Nature, 2000, vol.
406, pp. 583-584.
43. Données aimablement communiquées par le professeur Jeanne
Brugère-Picoux de l’Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort.
44. Rapport du Sénat prévu pour le 17 mai 2001. Un rapport de
l’Assemblée est également prévu pour le début du mois de
juin 2001.
45. Moynagh J., Schimmel H., « Tests for BSE evaluated. Bovine
spongiform encephalopathy », Nature, 1999, vol. 400, pp. 105.
46. Deslys J.-Ph., Comoy E., Hawkins S., et col., « Screening
slaughtered cattle for BSE », Nature, 2001, vol. 409, pp. 476-478.
G l o s s a i re
Acides nucléiques (AN) : macromolécules biologiques formées
par l’association de molécules azotées plus simples – les nucléotides, unités élémentaires constituées de bases azotées pyrimidiques et puriques, d’un sucre à cinq atomes de carbone (pentose)
et d’un phosphate.
Acide désoxyribonucléique (ADN) : acide nucléique de poids
moléculaire élevé, renfermant comme sucre le désoxyribose, et qui est
le support de l’information génétique (génome) des organismes
vivants. Dans les cellules eucaryotes, l’ADN est localisé dans le noyau.
Acide ribonucléique (ARN) : acide nucléique, généralement de
poids nucléaire moyen, à base de ribonucléotides dont le sucre est
le ribose. Les acides ribonucléiques sont principalement localisés
dans le cytoplasme des cellules eucaryotes, au niveau des ribosomes, lieu de synthèse des protéines. Les ARN effectuent le décodage de l’information génétique portée par l’ADN pour la synthèse
ultérieure des protéines.
Agent transmissible : élément qui est responsable d’une maladie.
Aldéhyde : composé organique possédant une fonction aldéhyde
dont la structure comporte un atome de carbone, lié à un atome
d’hydrogène et doublement lié à un atome d’oxygène. Plusieurs
aldéhydes sont des agents désinfectants, par exemple le formaldéhyde (formol).
113
ANNEXES
Amine (R – NH2) : composé organique azoté dérivé de l’ammoniac (NH3 ) par substitution de ses atomes d’hydrogène par
un ou plusieurs groupements organiques. Certains neurotransmetteurs possèdent une fonction amine (dopamine, adrénaline).
Amyloïde : se dit d’une substance polymérisée de nature glycoprotéique qui ressemble à l’amidon (d’où son nom) et qui dans certaines pathologies se dépose sous forme de fibrilles torsadées
(plaques amyloïdes) dans divers organes (rate), dont le système nerveux central.
Animaux transgéniques : animaux qui ont incorporé de façon
stable, à la suite d’une manipulation, un ou plusieurs gènes d’un
autre organisme qu’ils peuvent transmettre aux générations suivantes.
114
Anticorps : protéine de défense produite par les cellules (lymphocytes B) du système immunitaire d’un organisme animal, à la suite
de l’interaction avec une bactérie, un virus ou une substance xénobiotique.
Apoptose : mort cellulaire (suicide) génétiquement programmée.
Des anomalies dans l’apoptose jouent un rôle dans certaines pathologies, dont les maladies dégénératives cérébrales.
Ataxie : perte de contrôle des membres due à des lésions du système nerveux.
Agent transmissible non conventionnel (ATNC) : nom de
l’agent biologique responsable des encéphalopathies spongiformes
transmissibles.
Axone : long prolongement d’une cellule nerveuse qui assure la
transmission de l’influx nerveux le long du neurone.
Base minérale : molécule inorganique capable de fixer un proton
(H+). La soude (NaOH) et le potasse (KOH) sont des bases fortes
très corrosives qui attaquent beaucoup de matériaux et détruisent
la matière vivante.
Cellules eucaryotes : organismes comportant une cellule
(levures) ou plusieurs cellules (animaux, plantes, champignons)
dont le patrimoine génétique (ADN) est rassemblé dans le noyau.
Cellules gliales : cellules de soutien et nourricières du système
nerveux, comprenant dans le système nerveux central les astrocytes et les oligodendrocytes.
G LO S SA I R E
Cellules procaryotes : organismes vivants de structure relativement simple caractérisés par un cytoplasme dans lequel est dispersé l’ADN non délimité dans un noyau. Les bactéries et les
algues bleues sont des procaryotes.
Chaperonne (protéine chaperonne) : protéine assurant le bon
repliement d’une autre protéine, ce qui lui permet d’être fonctionnelle, par exemple de jouer un rôle de catalyseur.
Chromosome : structure formée d’une molécule d’ADN et de
protéines associées (histones…) qui porte l’information héréditaire
d’un organisme possédant un noyau. Le nombre de chromosomes
est caractéristique d’une espèce donnée.
Codon : séquence de nucléotides adjacents dans un acide
nucléique (ADN ou ARN messager) qui constitue le code nécessaire à l’instruction pour incorporer un acide aminé spécifique dans
une chaîne protéique en formation.
Conformation : forme tridimensionnelle d’une macromolécule.
Cytoplasme : contenu d’une cellule limitée par la membrane
plasmique.
Délipidation : technique d’élimination des graisses (lipides) par
extraction avec un solvant organique lipophile (hydrocarbure de
type hexane…).
Électrophorèse : technique de fractionnement des protéines
basée sur la faculté de migration des molécules chargées placées
dans un champ électrique.
Encéphalopathie : pathologie touchant l’encéphale, partie du système nerveux central comprenant le cerveau, le cervelet et le bulbe
rachidien.
Encéphalopathies spongiformes subaiguës transmissibles
(ESST) : groupe de maladies touchant le système nerveux central
(SNC). Elles se caractérisent par la destruction progressive des neurones de certaines zones de l’encéphale, par suite de l’accumulation d’une protéine pathologique, la PrPres, donnant un aspect
d’éponge au tissu nerveux.
Épidémiologie : discipline médicale qui étudie le développement
d’une maladie chez un grand nombre d’individus dans une région
donnée.
115
ANNEXES
Épizootie : discipline qui étudie le développement d’une maladie
chez un grand nombre d’animaux dans une région donnée.
Eucaryote : organisme vivant composé d’une ou de plusieurs cellules dont le patrimoine génétique (ADN) est concentré dans le
noyau. Les animaux, les plantes, les champignons et les levures
font partie des eucaryotes.
Feuillet plissé bêta (feuillet ß) : chaîne de polypeptides disposés
parallèlement et formant une conformation plissée en accordéon,
très étirée.
Gène : unité d’hérédité correspondant à une région de l’ADN qui
contrôle un caractère particulier. Un gène gouverne la synthèse
d’une protéine unique ou d’un ARN unique et conditionne ainsi la
transmission ou la manifestation d’un caractère héréditaire donné.
116
Génétique : science étudiant l’hérédité des êtres vivants.
Génie génétique : ensemble des techniques permettant de modifier
le matériel génétique d’une cellule ou d’un organisme vivant.
Génome : totalité de l’information génétique propre à chaque
espèce d’organisme.
G LO S SA I R E
Hydrophobe (littéralement : qui n’aime pas l’eau) : tendance
d’une molécule non polaire ou d’une partie de molécule à repousser les molécules d’eau qui l’entourent.
Hypochlorite de sodium (NaOCl) : sel de sodium de l’acide
hypochloreux (HOCl). L’eau de javel est constituée majoritairement d’hypochlorite de sodium et est utilisée, grâce à ses propriétés oxydantes, comme solution désinfectante puissante.
Iatrogène : processus provoqué par un acte médical ou par un
médicament.
Immunohistochimie : technique de marquage d’une protéine
spécifique par des anticorps marqués sur coupe histologique (examen au microscope).
Inositol : composé organique cyclique à 6 atomes de carbone portant chacun une fonction alcool. Ce cyclitol (alcool cyclique) est
une molécule constitutive du glycophosphatidylinositol.
Génotype : constitution génétique d’une cellule ou d’un organisme individuel.
Insecticides organophosphorés : produits chimiques utilisés pour la
lutte contre les insectes (insecticides) renfermant une fonction phosphate liée à un composé organique. Ces insecticides sont en général des
toxiques aigus très puissants, mais ils sont facilement biodégradables.
Isoformes : formes multiples d’une même protéine qui diffèrent
par quelques acides aminés.
Hélice alpha : chaîne de polypeptides qui prend une conformation
enroulée en hélice (conformation hélicoïdale) tournant dans le sens
des aiguilles d’une montre et stabilisée par des liaisons intrachaînes
de faible énergie dites liaisons hydrogènes.
Kuru : maladie neurodégénérative humaine de type encéphalopathie spongiforme, qui a touché durant plus d’un sièle une
tribu papoue, les Forés, de Pa p o u a s i e - No u v e l l e -G u i n é e
(Océanie).
Hétérozygote : cellule possédant pour un caractère donné un allèle
différent du genre correspondant sur chacun des chromosomes.
Histologique : en relation avec l’histologie, la science qui étudie
les tissus des êtres vivants.
Homogénat : broyat de tissus.
Homozygote : cellule diploïde (contenant deux copies de chaque
gène) ou organisme ayant deux allèles (formes alternatives d’un
même gène) identiques d’un gène donné. Par opposition à hétérozygote, pour lequel les deux allèles ne sont pas identiques
Hydrophile (littéralement : qui aime l’eau) : tendance d’une molécule polaire à interagir avec les molécules d’eau qui l’entourent.
Lymphocytes : globules blancs impliqués dans les défenses immunitaires.
Lysosomes : petits organites cellulaires des cellules eucaryotes
riches en enzymes hydrolysantes (peptidases, amidases…).
Macromolécule : molécule de poids moléculaire élevé (supérieur à quelques milliers de daltons). Beaucoup de macromolécules sont de nature organique et certaines sont indispensables à
la vie. Parmi les macromolécules biologiques, on peut retenir les
protéines (protéines de structure, de transport, enzymes…), les
117
ANNEXES
polysaccharides (sucres complexes), les acides nucléiques (ADN
et ARNx).
Macrophage : globule blanc non circulant (dans le système sanguin ou lymphatique) jouant un rôle très important dans nos systèmes de défense contre les agresseurs chimiques aériens
(poussière) ou biologiques (bactérie, virus…).
Membrane biologique : double couche de macromolécules lipoprotéiques (phospholipides possédant des acides gras insaturés
associés à des protéines) qui entoure les cellules procaryotes (bactéries, algues…). Dans les cellules eucaryotes, les membranes biologiques, en plus d’isoler du monde extérieur la cellule (membrane
plasmique), séparent de leur cytoplasme les différents organites
(noyau, mitochondries…).
Métabolisme : en milieu biologique, correspond à l’ensemble des
transformations chimiques catalysées par les enzymes et permettant la transformation des molécules biologiques.
Mutagène : agent chimique provoquant des modifications du
patrimoine génétique (ADN…).
Mutation : modification transmissible d’un gène provoquant un
changement héréditaire.
118
Myoclonies : contractions involontaires des muscles.
Neurone : cellule nerveuse constituée d’un corps cellulaire contenant le noyau, d’un axone (long prolongement membranaire) et de
terminaisons nerveuses : les dendrites, qui assurent grâce à la
synapse la communication axonale, c’est-à-dire la transmission du
message neuronal.
Neurotransmetteurs : messagers chimiques libérés par la cellule
nerveuse soumise à un influx électrique (potentiel d’action) qui est
créé par le mouvement des ions à travers la membrane plasmique
de la cellule nerveuse. Ces molécules chimiques servent d’agents
de transmission des messages produits par les cellules nerveuses.
Noyau : chez les cellules eucaryotes (animaux, plantes, levures…),
gros organite contenant la chromatine formée de la molécule
d’ADN et de protéines nucléaires.
Oligoéléments : éléments minéraux indispensables aux organismes vivants en très faibles quantités et dont l’absence entraîne
des carences nutritionnelles graves.
G LO S SA I R E
Organite : élément bien caractérisé, isolé par une membrane et
présent dans le cytoplasme d’une cellule eucaryote.
Organophosphorés (insecticides) : produits organiques de synthèse,
dérivés de l’acide orthophosphorique, doués de propriétés insecticides.
Oses : glucides (sucres) simples, parmi lesquels on trouve le glucose.
Ozone : gaz correspondant à du trioxygène (O3 ), extrêmement
oxydant et toxique, utilisé comme bactéricide (désinfection de
l’eau…).
Peptide : molécule de taille moyenne formée de l’association
d’acides aminés reliés entre eux par une liaison peptidique. Les
peptides forment des protéines.
Plaques amyloïdes : fibrilles torsadées formées de polymères glycoprotéiques, localisées en particulier dans le système nerveux central.
Polypeptide : petite macromolécule formée de chaînes de plusieurs peptides constitués eux-mêmes d’acides aminés reliés par
une liaison peptidique.
Polymorphisme : propriété d’exister sous diverses formes.
Principe de précaution : principe selon lequel l’absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du
moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures de prévention.
Prion : protéine du genre animal, mais aussi présente dans les
levures, qui peut exister sous deux formes : l’une normale, l’autre
modifiée.
Protéase : enzyme protéolytique qui dégrade les protéines en
hydrolysant, parfois très sélectivement, certaines de leurs liaisons
peptidiques.
Protéine : macromolécule de poids moléculaire généralement
élevé, composée de plusieurs chaînes polypeptidiques, chacune
d’entre elles possédant une séquence en acides aminés caractéristique. Certaines protéines ont un rôle structural au niveau cellulaire
(biomembrane, cytosquelette…), d’autres ont un rôle de transport
(hémoglobine…), catalytique (enzymes…) ou de communication
(hormones, cytokines…).
Protéolyse : dégradation d’une protéine, généralement par hydrolyse d’au moins une de ses liaisons peptidiques.
Prurit : démangeaison de la peau en relation avec une atteinte
cutanée ou générale.
119
ANNEXES
Rayonnements ionisants : rayonnements (rayons X, rayons
(gamma…) dont l’énergie est suffisante pour ioniser, c’est-à-dire retirer
des électrons aux couches périphériques des atomes ou des molécules.
Rayonnements non ionisants : les rayonnements non ionisants
(ultraviolets, infrarouges, visibles) ont une énergie qui n’est pas suffisante pour engendrer l’ionisation des atomes ou des molécules.
Résonance magnétique nucléaire (RMN) : technique spectrale
basée sur la capacité d’absorption résonante de radiations électromagnétiques par les noyaux atomiques. La RMN peut servir à la
détermination de la structure tridimensionnelle de petites protéines
hydrosolubles.
Réticulum endoplasmique : compartiment membranaire
complexe dans le cytoplasme des cellules eucaryotes. On distingue le réticulum endoplasmique rugueux (RER), sur lequel
sont fixés les ribosomes, lieu de synthèse des protéines, et le
réticulum endoplasmique lisse (REL), non associé aux ribosomes et riche en enzymes de métabolisation des substances
étrangères à l’organisme (substances xénobiotiques).
120
Scarification : légère incision superficielle de la peau.
Scrapie (to scrap : gratter) : terme anglo-saxon qui désigne la tremblante du mouton, connue en Europe depuis le XVIII e siècle.
Souche : ensemble des individus (bactéries…) issus d’une même
colonie de microorganismes. Une souche de prions résulte de la
transmission d’une maladie à prions à plusieurs hôtes successifs.
Soude : base minérale forte (hydroxyde de sodium), extrêmement
corrosive.
Spectroscopie : technique de mesure de l’absorption de radiations
de diverses longueurs d’onde (IR, visible, UV).
Spongiose : aspect d’éponge observé dans le tissu nerveux dû à la
présence de vacuoles dans les neurones.
Sporadique (maladie) : maladie qui touche un nombre limité de
sujets sans relation entre eux.
Syngénique : qui possède exactement le même patrimoine génétique, à la suite de croisements successifs maîtrisés.
Système lymphatique : base structurale du système immunitaire
composé de vaisseaux et de ganglions lymphatiques. Les amygdales, le thymus, la rate, les plaques de Peyer (intestin), l’appendice… sont aussi formés de tissus lymphatiques.
G LO S SA I R E
Système nerveux central (SNC) : principal système de traitement
de l’information d’origine nerveuse chez les vertébrés ; il comprend
le cerveau, le cervelet et la moelle épinière.
Structure primaire : séquence d’unités simples dans un polymère, par exemple celle des acides aminés dans une chaîne peptidique ou une protéine.
Structure secondaire : motif de repliement local régulier d’une
molécule polymérique. Dans les protéines, on trouve deux types
de structure secondaire : les hélices alpha et les feuillets plissés bêta.
Structure tertiaire : forme tridimensionnelle d’une macromolécule. Dans les protéines, leur structure tertiaire correspond à la
conformation des chaînes polypeptidiques.
Transgénique : plantes ou animaux qui ont incorporé de façon stable,
à la suite d’une manipulation, un ou plusieurs gènes d’une autre cellule
ou d’un autre organisme et qui peuvent les transmettre aux générations suivantes.
Transmission horizontale : transmission entre individus généralement adultes, par opposition à verticale (de la mère à l’enfant).
Tremblante du mouton : la tremblante est une maladie nerveuse
transmissible rencontrée chez le mouton et la chèvre et apparaissant entre 2 et 4 ans.
Vacuole : organite cellulaire de stockage.
Virino : particule infectieuse très petite, constituée de matériel
génétique (ADN, ARN) entouré d’une enveloppe lipoprotéique
appartenant à l’hôte.
Virus : particule constituée d’un acide nucléique (à base d’ADN ou
d’ARN, comme dans les rétrovirus) entouré d’une enveloppe protéique et qui pouvant se répliquer dans une cellule hôte.
121
ANNEXES
H i s t o rique de la vache folle
Vers 1732 : premiers cas de tremblante en Angleterre, selon un
texte de 1772 (T. Comber) qui situe l’apparition de la maladie quarante ans plus tôt.
1883 : description d’un cas de tremblante chez un bœuf, en France,
qui, après diagnostic vétérinaire, sera « vendu pour la basse boucherie » (réf. M. Sarradet, Revue médicale vétérinaire, vol. 7 :
pp. 310-312).
1920-1921 : Hans Creutzfeldt puis Alfons Jakob, deux médecins
allemands, décrivent les premiers cas d’encéphalopathie spongiforme humaine, qui portera finalement leur nom.
1936 : deux vétérinaires de Toulouse, Jean Cuillé et Paul-Louis
Chelle, démontrent que la tremblante est transmissible au mouton
mais également à la chèvre et qu’elle est provoquée par un agent
plus petit qu’une bactérie.
122
1957 : Vincent Zigas et Donald Carleton Gajdusek décrivent le
kuru, maladie neurodégénérative touchant les Forés, tribu du
centre de la Papouasie-Nouvelle-Guinée ; c’est un nouveau type
d’encéphalopathie spongiforme humaine.
1967 : le mathématicien John Griffith émet l’hypothèse qu’une protéine infectieuse puisse être responsable de la tremblante.
1966-1968 : le kuru puis la maladie de Creutzfeldt-Jakob sont transmises au chimpanzé par Gajdusek.
1973 : premier choc pétrolier et faillite des industries les moins performantes. Accélération des modifications de traitement des farines
de viandes et d’os en Angleterre, qui sont moins chauffées, tandis
que la production augmente.
1976 : Carleton Gajdusek reçoit le prix Nobel de médecine
pour vingt ans de travaux sur les maladies cérébrales dégénératives, qu’il attribue à l’époque à des virus à évolution lente.
1982 : le neurophysiologiste Stanley Prusiner, sur la base d’expériences d’inactivation, développe l’hypothèse selon laquelle l’agent
responsable des encéphalopathies spongiformes transmissibles
(ESST) ne serait pas un virus, mais une protéine infectieuse qu’il
nomme « prion ».
1985 : description en Grande-Bretagne des premiers cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), qui ne seront diagnostiqués en
H I S T O R I Q U E D E L A V A C HE F O L L E
tant que tels qu’à partir de novembre 1986. Il est probable que les premiers cas de cette nouvelle pathologie dénommée « maladie de la
vache folle » datent des années 70.
1987 : progression fulgurante de la maladie de la vache folle en
Grande-Bretagne : 442 cas répertoriés au 31 décembre.
Parallèlement, le principal souci des responsables officiels britanniques de l’époque est d’éviter toute publicité sur cette maladie qui
pourrait nuire aux exportations britanniques (BSE Inquiry, vol. 3,
notamment pp. 33-36)
1988 : en avril 1988, l’épidémiologiste anglais John Wilesmith,
du State Veterinary Service (SVS), montre que les farines d’origine animale (ovins et bovins) sont à l’origine de l’épidémie
d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB). Alors que 421
cas ont été diagnostiqués dans 352 troupeaux à travers tout le
pays, un article en première page du Farming News accuse le
MAFF (ministère britannique de l’Agriculture, de la Pêche et de
l’Alimentation) de sous-estimer nettement l’étendue de l’épidémie d’ESB et s’inquiète d’un danger pour l’homme. Le ministre
de l’Agriculture de Mme Thatcher continue à refuser d’envisager
tout idée d’abattage obligatoire et de compensation financière
pour les éleveurs.
20 juin : première réunion du comité présidé par sir Richard
Southwood, désigné par le gouvernement britannique (et ne
comprenant aucun expert des maladies à prions) pour évaluer
toutes les implications de l’ESB : ils apprennent notamment que
les animaux atteints d’ESB étaient abattus et passaient dans la
chaîne alimentaire humaine (BSE Inquir y, vol. 1, p. 47).
18 juillet : le MAFF interdit enfin au Royaume-Uni la distribution des
farines de viandes et d’os aux bovins. Ces farines sont alors exportées,
le gouvernement de Mme Thatcher estimant qu’il est de la responsabilité des pays importateurs de les interdire dès lors qu’ils savent que ces
produits sont prohibés au Royaume-Uni.
1989 – 27 février : publication du rapport Southwood en
Angleterre, qui conclut à l’absence de preuves scientifiques étayant
l’hypothèse d’un danger pour l’homme des abats de bovins contaminés par l’ESB. Il estime que le risque perçu ne justifie pas une
information spécifique du consommateur sur les produits contenant du cerveau. Sa conclusion, selon laquelle si son « évaluation
des risques n’était pas correcte, les implications seraient très
sérieuses », sera oubliée et ce rapport considéré comme la démons-
123
ANNEXES
tration scientifique que l’ESB ne présente pas de danger pour
l’homme (BSE Inquiry, vol. 1, pp. 48-55).
13 août : la France décide d’interdire l’importation des farines animales britanniques, sauf dans les cas où l’entreprise s’engage à ne
pas les utiliser pour les ruminants ! Description des premiers cas
français de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez les enfants traités
avec l’hormone de croissance hypophysaire humaine, d’origine
extractive et provenant de lots contaminés.
13 novembre : le gouvernement britannique interdit en
Angleterre et au pays de Galles la consommation humaine de certains abats bovins : cervelle, moelle épinière, mais également rate,
thymus, amygdales et intestin.
124
1990 : l’interdiction de consommer ces abats est étendue en janvier 1990 à l’Écosse et à l’Irlande du Nord. Ce n’est qu’en
mars 1990 que l’exportation des abats bovins est interdite vers les
pays de l’Union européenne, et seulement en juillet 1991 vers les
pays du tiers monde…
10 mai : annonce de la première encéphalopathie spongiforme,
apparemment liée à l’ESB, chez un chat domestique. Fait étrange :
le 7 juin, le Comité vétérinaire européen estime que les animaux
atteints d’ESB ne sont pas dangereux pour la santé humaine!
24 juillet : la France interdit l’utilisation des farines de viandes et
d’os dans l’alimentation des bovins. Leur utilisation pour la nourriture des porcs, des volailles et des poissons reste autorisée.
24 septembre : annonce au Royaume-Uni de la première transmission de l’ESB au porc en laboratoire. Le lendemain est annoncée l’extension de l’interdiction des abats à risque dans la
nourriture de tous les animaux.
12 octobre : l’Espagnol Fernando Mansito, représentant de la
Direction générale de l’agriculture (DGG) à Bruxelles, conseille
aux experts européens de minimiser l’affaire de la vache folle en
pratiquant une politique de désinformation de la presse (réf. reportage M6 de novembre 2000, Vache folle : la grande peur).
1991 : le premier cas de vache folle est découvert en France le
2 mars 1991 dans les Côtes-d’Armor (Bretagne). Le gouvernement
français décide d’abattre systématiquement tout le troupeau si un
animal est atteint d’ESB, une mesure de précaution très sage en
l’absence de moyens de protection ciblés. Au Royaume-Uni, description du premier cas « naïf » d’ESB, c’est-à-dire d’un animal né
après l’interdiction des farines.
H I S T O R I Q U E D E L A VAC HE F O L L E
1992 : en Grande-Bretagne, la maladie de la vache folle atteint son
point culminant : plus de 100 cas par jour, ce qui correspond à une
véritable épizootie ! En France, mise en place par l’INSERM d’un
réseau de surveillance de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
1994 – 27 juin : six ans après les Britanniques, l’Union européenne
interdit dans les États membres l’utilisation, pour l’alimentation des
bovins, des protéines ayant pour origine des tissus de ruminants ou de
la viande de mammifères non identifiés. L’administration de ces
farines reste autorisée pour les autres ruminants, les volailles, les lapins
et les porcs. Tout se passe donc comme si le Comité vétérinaire européen ignorait que l’agent de la vache folle franchit la barrière d’espèce.
1995 : décès d’une jeune fille de 18 ans (R. Vicky) atteinte d’une
nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jacob, alors que les
patients touchés par la maladie classique sont âgés en moyenne de
65 ans.
1996 – 20 mars : Stephen Dorrell, secrétaire d’État à la Santé britannique, révèle que dix jeunes Britanniques sont atteints de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ). Ces adolescents auraient été
contaminés en consommant du bœuf atteint d’ESB.
21 mars : la France, puis l’Union européenne le 27 mars, décrètent
l’embargo sur les importations des viandes bovines et des troupeaux
britanniques. Le fait de reconnaître pour la première fois que la
maladie de la vache folle peut se transmettre à l’homme provoque
immédiatement un vent de panique en Europe, qui n’est toujours
pas maîtrisé.
Avril : création d’un comité interministériel sur les ESST, baptisé
Comité Dormont, du nom de son président, le docteur Dominique
Dormont, chef du service de neurovirologie au CEA.
Juin : la première preuve expérimentale de la transmissibilité de
l’ESB à l’homme est apportée avec le macaque par le CEA.
Juillet : l’Union européenne impose de nouvelles conditions technologiques de fabrication des farines animales qui permettent d’inactiver les prions pathogènes (133°C, 3 bars, vingt minutes). En
octobre 1996, en France, le premier cas de nouvelle variante de la
maladie de Creutzfeldt-Jakob est confirmé.
1997 : le prix Nobel de physiologie et de médecine est attribué en
octobre 1997 à Stanley Prusiner pour ses recherches sur les prions.
Interdiction de l’utilisation des farines animales pour l’alimentation
des bovins aux États-Unis. La situation outre-Atlantique est la suivante : officiellement, il n’y a aucun cas d’ESB, mais des importations
125
ANNEXES
126
ont pu avoir lieu; la tremblante est endémique; le Chronic Wasting
Disease continue à s’étendre et touche 5 États; les procédés de fabrication des FVO sont similaires à ceux utilisés au Royaume-Uni.
2000 – 26 octobre : publication du rapport de la commission d’enquête officielle sur l’encéphalopathie spongiforme bovine et la
variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob au Royaume-Uni. (BSE
Inquiry, 4000 pages en 16 volumes). Cette enquête, diligentée par
Lord Phillips, a duré trois ans et porté sur la période antérieure au
20 mars 1996, date à laquelle le gouvernement de John Major a
annoncé que l’agent de l’ESB était transmissible à l’homme.
La crise de la vache folle a abouti à la contamination de plus de
180000 têtes de bétail, à l’abattage d’environ 4,5 millions de bovins,
et près de 45 milliards de francs ont été dépensés pour les indemnisations et la destruction des déchets. Pour certains observateurs, ce
rapport est trop indulgent envers les responsables et ne répond pas
aux vraies questions sur l’origine de l’ESB.
Novembre : découverte des premiers cas d’ESB en Espagne et en
Allemagne. Interdiction des farines animales pour toutes les espèces
en France et tests systématiques sur les bovins de plus de 30 mois à
l’abattoir à partir du 1er janvier 2001. Annonce d’un triplement des
crédits de recherche sur les prions (210 millions de francs).
2001 : découverte des premiers cas d’ESB en Italie. L’Union européenne décide un moratoire sur les farines animales à partir du
1er janvier et la mise en place de tests systématiques à l’abattoir sur
les bovins de plus de 30 mois à partir de juillet. Les premiers résultats indiquent un niveau de contamination similairement faible
dans les pays ayant pratiqué les premières évaluations de grande
envergure (17 positifs sur plus de 500 000 tests en France), mais la
mise en place est longue dans certains pays et la notion de garantie apportée par la double sécurité « test sensible + élimination des
abats à risque » n’est pas encore acceptée.
24 avril : décès en France d’Arnaud Eboli, âgé de 19 ans, qui est la
troisième victime « officielle » de la nouvelle variante de la maladie
de Creutzfeldt-Jakob (nvMCJ). À cette date, on compte un peu plus
d’une centaine de cas de la nvMCJ, dont 97 en Grande-Bretagne.
B I B L IO G RA P H I E
B i b l i o g ra p h i e
APFELBAUM M. (sous la dir.), Risques et Peurs alimentaires, Odile
Jacob, 1998.
KOURILSKY Ph., Viney G., Le Principe de précaution : rapport au
Premier ministre, 0dile Jacob, 2000.
Lord PHILIPS, BSE Inquiry (en 16 volumes), 2000.
SCHWARTZ M., Comment les vaches sont devenues folles, Odile Jacob,
2001.
Sélection de sites Internet d’informations
sur les maladies à prions
Sites en français
AFSSA : www.afssa.fr/dossiers
Bureau vétérinaire suisse : www.bvet.admin.ch
Commission européenne : www.europa.eu.int/comm/food/fs/bse
/index_en.html
CEA : www.cea.fr
CNRS : www.cnrs.fr
Centre de ressources Infobiogen (Génopole d’Évry) : www.infobiogen.fr/people/dessen/prp
INRA : www.inra.fr
INSERM : www.inserm.fr/serveur/prions.nsf
Ministère de la Santé : www.sante.gouv.fr/htm/pointsur/vache
/info.htm
Ministère de l’Agriculture : www.agriculturegouv.fr/esbinfo.htm
Statistiques ESB : perso.infonie.fr/vetolavie/bse.htm
Vache folle en ligne (INRA) : www.inra.fr/Internet/Produits
/dpenv/vchfol00.htm
Sites en anglais (Royaume-Uni)
Ministère de la Santé : www.doh.gov.uk/cjd
Ministère de l’Agriculture : www.maff.gov.uk/animalh/bse
/index.html
BSE Inquiry : www.bseinquiry.gov.uk
Mad cow disease : www.Mad-cow.org
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