Masterisation, les projets grenoblois
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Masterisation, les projets grenoblois
Section académique de Grenoble Masterisation, les projets grenoblois Annoncée en juin dernier par Sarkozy, la masterisation du recrutement des enseignants doit être une réponse au mécontentement de la profession. Fausse bonne nouvelle et vraie menace sur le service public d’éducation, ce néologisme est l’exemple type de la méthode de casse de l’école du gouvernement Sarkozy. La masterisation, ou le recrutement des professeurs des premier et second degrés à Bac +5, tombe en juin dernier pour gagner la bataille de l’opinion en direction de la profession et de l’ensemble de la population. Avec la masterisation, le gouvernement annonce la disparition des IUFM, se reposant sur les marronniers de chaque rentrée accusant ceux-ci de tous les mots et de leurs effets néfastes, avec une formation confiée aux universités. Autre bienfait de cette masterisation, Xavier Darcos pose la première pierre de la revalorisation avec la prime de 1500 euros (1300 nets, a oublié de préciser le ministre) à tous les professeurs titularisés dès la rentrée 2008. Une formation au rabais Que va-t-il vraiment se passer, en dehors de « l’incontestable progrès » qu’apporte la masterisation « car elle permettra l’élévation du niveau de recrutement et une amélioration de la qualité de la formation. »1 Le Ministère de l’Education nationale fait le point le 13 novembre 2008,2 suivi par la CDIUFM dans une Foire aux questions3: - Les futurs enseignants devront justifier de l’obtention d’un diplôme de master pour pouvoir être recrutés à titre définitif à l’issue des nouveaux concours de recrutement. Chaque université est libre de proposer des parcours adaptés, pilotés par le cahier des charges de la formation des maîtres et les nouveaux concours. Tout étudiant inscrit en deuxième année de master ou ayant déjà validé celui-ci pourra se présenter au concours. - Les concours restent nationaux, « tout en rendant possible une politique de première affectation plus conforme aux souhaits des jeunes enseignants et plus proches de leurs lieux de formation initiale ». La certification de niveau scientifique des candidats est confiée aux universités dans le cadre des masters. Les concours sont un outil de sélection et de processus de classement. Un des principes directeur est « d’impliquer dans le recrutement des personnels de direction, des membres de l’administration et de la hiérarchie de l’Education nationale ainsi que des membres de la société civile. Pour le CAPES deux épreuves écrites d’admissibilité. Le programme est disciplinaire, et son niveau exigé est celui de la licence. « Si le nombre des disciplines d’un concours est supérieur à deux, il sera procédé pour chaque session à un tirage au sort le jour de l’épreuve pour déterminer les disciplines qui seront effectivement proposées aux épreuves d’admissibilité. Deux épreuves d’admission, l’une portant sur un exercice pédagogique, l’autre étant une épreuve sur dossier, d’entretien avec le jury sur le fonctionnement du système éducatif. » L’agrégation est modifiée en introduisant un exercice pédagogique à l’oral et l’épreuve d’entretien avec le jury. - A la suite de la réussite au concours, les lauréats des nouveaux concours seront mis en situation d’enseignement à temps plein avec l’aide et le soutien de professeurs expérimentés, tout en pouvant suivre des actions de formation en dehors du temps scolaire. A l’issue de cette année, le professeur fonctionnaire stagiaire pourra être titularisé après avoir été inspecté. A la lecture de la description des concours, on s’aperçoit très vite que la hausse de niveau de connaissance des candidats n’est pas envisagée : le niveau demandé est celui de la licence, et non celui d’un master. Le concours ne se base donc sur des connaissances disciplinaires supérieures à celles demandées aujourd’hui. On peut même s’interroger sur une diminution du niveau des épreuves de certains CAPES comme les CAPES de langue pour lesquels aucune épreuve orale n’existerait : trois examinateurs pour un candidat, cela à un coût ! L’introduction d’une épreuve sur le système éducatif, dirigée par « des personnels de 1 http://media.education.gouv.fr/file/10_octobre/15/8/recrutement-et-formation-enseignants-charte_36158.pdf http://media.education.gouv.fr/file/10_octobre/15/1/nouveaux-concours-recrutements-des-professeurs_36151.pdf 3 http://www.iufm.fr/applis/faq/faq.php#ancre91 2 Section académique de Grenoble direction, des membres de l’administration et de la hiérarchie de l’Education nationale ainsi que des membres de la société civile » va, elle, faire le bonheur des pressings et permettra le recyclage des caporals retraités dans le dressage des candidats. Pour la formation, ce schéma montre clairement les modifications entre le système actuel et la masterisation Sarkozy : La mise en parallèle des deux plans de formation permet de saisir l’hypocrisie de la masterisation Sarkozy : - le niveau disciplinaire demandé au concours reste la licence ; - la formation dure toujours cinq ans ; - les conditions de préparation aux concours sont plus dures car l’année de préparation (M1) est aussi celle de stages d’observation, etc. (ou bien on diminue les exigences du concours…) ; - les étudiants deviennent fonctionnaires stagiaires cinq ans après le Bac, contre quatre aujourd’hui ; - les stagiaires sont en formation en situation : 18 heures de service pour les certifiés contre 6 à 8 heures pour les stagiaires à l’IUFM aujourd’hui et une formation en plus de leur service (ils seront encadrés par des bons professeurs). Reste à voir ce que les universités envisagent de mettre dans les maquettes de ces masters. Les universités grenobloises et l’IUFM se sont organisés dès l’annonce de la masterisation et un comité de pilotage a vu le jour, dirigé par le directeur de l’IUFM. Au niveau du nombre de masters, il est pour l’instant envisagé deux voies de formations : un master « Education et formation » en direction des PE et des CPE avec des spécialités « sciences », « sciences humaines et sociales », « lettre et langue » et « vie scolaire », et des masters disciplinaires pour privilégier l’accès au professorat de lycée et collège : Section académique de Grenoble « La voie « disciplinaire » est organisée en trois groupes de spécialités ou de parcours de master regroupant les disciplines enseignées au lycée et au collège dans chacun des trois grands ensembles : « Sciences et Technologie », « Lettres et Langues », et « Sciences Humaines, Economiques et Sociales ». Ce regroupement a pour objectif de coordonner la mise en œuvre de parcours de master conduisant à la formation des enseignants dans les différentes disciplines, de construire des équipes d’encadrement stables, de mutualiser les ressources humaines, d’assurer une meilleure orientation des étudiants au passage M1-M2 et enfin de proposer des débouchés professionnels autres que l’enseignement en relation avec les disciplines d’origine des étudiants. »4 L’université Stendhal propose elle d’introduire dans ses masters existants un parcours « Education et formation 2nd degré ».5 La quantité de travail que nécessite chaque enseignement étant comptabilisée en crédit ECTS, il est possible de quantifier le contenu de ces masters, parcours « Education et formation 2nd degré ». Si l’on prend l’exemple du master « Lettres et arts », parcours « Education formation », on obtient : - au premier semestre du M1 : 12 ECTS pour le tronc commun à l’ensemble des parcours (dont 3 ECTS de langue), 15 ECTS pour le parcours « Education Formation » (il ne faut pas oublier les écrits du CAPES qui interviendront au premier semestre de M2), 3 ECTS d’ouverture ; - au second semestre, 18 ECTS sont dévolus à la spécialité « Education Formation » ou au rapport de recherche (qui ne doit pas dépasser 70 pages, annexes comprises, dans les usages) et 12 ECTS à l’unité d’expérience pro (stage) ; - au premier semestre du M2 : 12 ECTS pour le tronc commun à l’ensemble des parcours (dont 3 ECTS de langue), 3 ECTS d’ouverture, 15 ECTS pour le parcours « Education Formation » qui comportera un enseignement sur l’histoire de la discipline, sur le fonctionnement du système éducatif et des enseignements disciplinaires intégrant l’orientation didactique et les exigences de l’écrit du concours ; - au deuxième semestre du M2 : stage accompagné et rapport, enseignement sur le système éducatif et enseignements disciplinaires pour préparer la leçon. L’université Stendhal note que pour ce dernier semestre du parcours « Education Formation », « il est évident que nous ne pourrons pas exiger un mémoire de recherche. Néanmoins, il faut se garder de dévaloriser le rapport de stage car nous assurerons, aux côtés de l’IUFM, que cet écrit en phase avec le stage pro le soit aussi avec les axes du rapport de M1 et ses questionnements scientifiques ». Il est donc impossible d’envisager une poursuite dans des études doctorales pour des étudiants qui n’auront pas soutenu de mémoire de recherche, préalable requis pour entrer en thèse. En résumé, la moitié des crédits de ce master concernent le lien avec la préparation du CAPES et les stages d’observation. Le rapport de recherche en M1, continué par le rapport de stage en M2 reprend l’actuel mémoire demandé à l’IUFM. Les ECTS d’ouverture seront des renforcements disciplinaires « fortement conseillés pour le parcours EF ». Il reste donc 12 ECTS qui ne concernent pas aujourd’hui des enseignements dispensés en IUFM. Seul hic, à regarder l’organisation de masters actuels (celle d’une discipline que je connais mieux), le tronc commun des masters d’histoire de l’UPMF propose de suivre un enseignement d’historiographie général (bien utile pour préparer l’actuelle épreuve sur dossier à l’oral du CAPES d’HistoireGéographie) ou le cours de préparation à la question d’histoire contemporaine de l’agrégation et du CAPES, si l’on a choisi l’option histoire contemporaine. Donc, on risque fort de retrouver les enseignements dispensés aux PLC1 et PLC2 d’aujourd’hui dans un nouvel ordre dans les masters de demain ! Au final, la formation des enseignants, tant au niveau disciplinaire que pédagogique, stagne, voir même diminue (observer des classes ou enseigner ne demandent pas le même investissement disciplinaire et pédagogique !) et le gouvernement fait une économie conséquente (5 000 stagiaires actuellement assurent près de 2 000 ETP et non 5000 dans le parcours 2010). Le projet ministériel d’indemniser un stage en responsabilité d’un maximum de 108 heures à la hauteur de 3000 euros continue la même démarche et répond à la question : comment exploiter un peu plus des stagiaires en les rémunérant moins que les vacataires ? Inutile de s’attacher à des considérations « humaines » en prédisant un nombre en hausse des démissions 4 http://portail.grenoble.iufm.fr/STIC/Groupes/masterisation_public/Groupes_InterU_Grenoble_Chambery_internet/ Note_n___4_bis_Master_GRE_Schemas.doc 5 http://portail.grenoble.iufm.fr/STIC/Groupes/masterisation_public/Groupes_InterU_Grenoble_Chambery_internet/ Groupe_2_CAPES_Disciplinaires/Proposition_PLC_Stendhal.ppt Section académique de Grenoble pendant l’année de stage ou de licenciement, tant chacun sait qu’assurer 18 heures de cours après quelques semaines d’observation est un jeu d’enfant ! Au niveau du métier, on peut s’interroger sur le « formatage » introduit par une épreuve sur le système éducative. Aujourd’hui, le cahier des charges de la formation des maîtres met en avant 10 compétences que le stagiaire doit valider. La formation des stagiaires en deuxième année d’IUFM est organisée en fonction de ces compétences. A Grenoble, la première unité de Formation s’intitule « Ethique de l’enseignant et responsabilité du fonctionnaire ». Jusqu’ici, cela reste plus de la théorie qu’une réalité. Avec l’épreuve sur le système éducatif (et surtout le jury de cette épreuve), ce ne seront plus des professeurs qui engageront une discussion autour de l’éthique de l’enseignant, mais des membres de l’administration, de la société civile (MEDEF) qui contrôleront la connaissance des textes (cette dérive est déjà visible dans les formations que reçoivent les néotitulaires avec des stages autour de la fonction de professeur principal, de l’orientation, où ce sont des chargés de mission (les professeurs les plus « méritants » qui les encadrent) et qui font de des enseignants des fonctionnaires d’exécution sans aucun recul sur les textes. Ce formatage passe également par le rôle accru des chefs d’établissement et des « bons » professeurs sur la titularisation des stagiaires. Cette dérive est déjà visible aujourd’hui, depuis que le rapport du chef d’établissement pour les PLC2 pèse plus de poids pour la titularisation. Le jugement sur la formation des stagiaires délivrée à l’IUFM est de moins en moins négatif, non pas car la formation s’améliore car les IUFM n’en ont pas les moyens, mais car les stagiaires nous font part d’une pression ressentie de plus en plus importante des chefs d’établissement et des conseillers pédagogiques. Ce ressenti étant important pour les stagiaires en situation qui connaissent aujourd’hui des conditions de stage similaires à celle envisagée demain, nous pouvons nous attendre à une accentuation de ces dégradations. Enfin, est-ce un hasard si sont annoncés dans un même temps la diminution du nombre de TZR, la création d’une agence de remplacement et la masterisation Sarkozy ? Quelle perspective auront les milliers d’étudiants titulaires d’un master d’enseignement et qui auront échoué aux concours de recrutement, sinon celle d’aller assurer des vacations pour simplement survivre ! Quel projet du SNES ? Le SNES et la FSU dénoncent la déqualification de notre métier en réduisant la formation professionnelle au simple compagnonnage, qui découle du master Sarkozy. Au niveau des IUFM et universités, les usagers et les formateurs s’organisent contre cette réforme avec les syndicats FSU, seuls présents comme tels à Grenoble. Les PE et PLC de Grenoble étaient présents avec la FSU lors du rassemblement du 10 décembre. Au niveau universitaire, où se discutent les maquettes des futurs masters, le SNESUP appelle au blocage de ces maquettes pour empêcher la mise en place de cette « réaction » gouvernementale contre la formation des maîtres. Quelle alternative proposée à cette attaque ? Celle d’une formation ambitieuse et synonyme d’une vraie hausse du niveau de qualification. Le SNES a montré depuis longtemps qu’il est nécessaire d’augmenter le niveau de recrutement pour les enseignants et de mettre en place une entrée progressive dans le métier, pour que les stagiaires bénéficient d’une solide formation disciplinaire et pédagogique, avant de prendre en charge leurs classes. Face au master Sarkozy, notre mandat adopté en 2001 est toujours d’actualité : « Dans un contexte d’évolution rapide et incessante des connaissances, il est de l’intérêt du système éducatif de disposer d’enseignants et de CPE ayant un haut niveau de formation universitaire permettant d’acquérir un recul et une maîtrise des savoirs. C’est ce qui fonde, parallèlement à notre exigence de revalorisation, notre demande d’élévation du niveau de recrutement à la maîtrise pour les certifiés et au DEA ou équivalent pour les agrégés, assortie du rétablissement des prérecrutements et d’un dispositif d’aide sociale et de bourses, attribuées sur des critères transparents. Nous proposons que l’on s’engage maintenant dans un processus visant à faire des agrégés le corps de référence du second degré. Cela implique, notamment, d’augmenter le nombre des postes à l’agrégation externe et de créer des agrégations dans toutes les disciplines où elle n’existe pas (Documentation, Education, SMS, Technologie…). Cela passe aussi par une augmentation du nombre de postes et par une amélioration des conditions de préparation à l’agrégation interne. Il faut aussi augmenter les possibilités d’accès des certifiés au corps des agrégés en prenant en compte le niveau de qualification initial ou acquis des collègues. La proposition ministérielle de délivrer sous certaines conditions un mastaire aux sortants d’IUFM ouvre la perspective de reconnaissance d’un niveau de qualification à Bac + 5. Ce n’est pas suffisant s’il n’y a pas d’incidence sur la rémunération des titulaires de ce grade. Elle ne répond pas et en aucun cas ne se substitue à notre demande d’élévation du niveau de recrutement. »