La théorie des facilités essentielles
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La théorie des facilités essentielles
Stratégies juridiques des entreprises en Europe Luxembourg, le 5 décembre 2008 L’application de la théorie des facilités essentielles aux DPI favorise-t-elle des stratégies opportunistes de la part des firmes? Frédéric MARTY Julien PILLOT CNRS - GREDEG-Université de Nice Sophia-Antipolis [email protected] http://hp.gredeg.cnrs.fr/marty/ [email protected] http://hp.gredeg.cnrs.fr/pillot/ Æ Des politiques de concurrence européennes beaucoup plus enclines à appliquer la théorie des facilités essentielles aux droits de propriété intellectuelle que l’antitrust américain Æ Des critères relativement flous (nouveauté, balance des incitations) constitutifs d’une relative incertitude juridique couplés à un contexte de décision en information incomplète et imparfaite Æ Un manque de prévisibilité des décisions des autorités de la concurrence Insécurité juridique pour le détenteur des DPI Ressource d’action stratégique pour le suiveur Æ Possibilités de poursuites stratégiques sur la base des TFE dans le cadre européen ? 2 Quelques réflexions sur l’application de la doctrine des facilités essentielles aux DPI en Europe et les stratégies opportunistes qui pourraient en découler I – La théorie des facilités essentielles Origines et principes La théorie des facilités essentielles appliquée aux actifs intangibles en Europe II – Des risques de détournement stratégique du droit de la concurrence ? L’affaire VirginMega vs Apple De l’insécurité juridique aux recours stratégiques 3 I – La théorie des facilités essentielles 1. 2. Origines et principes La théorie des facilités essentielle appliquée aux actifs intangibles en Europe A) Les arrêts Magill et IMS : le test du produit nouveau B) L’arrêt Microsoft : l’exigence d’interopérabilité pour préserver les incitations à innover 4 La théorie des facilités essentielles : une définition 9 Définition: La notion de facilité essentielle recouvre l’ensemble des installations (matérielles ou non), détenues par une entreprise dominante, qui s’avèrent non aisément reproductibles et dont l’accès est indispensable aux tiers pour exercer leur activité sur la marché (Bazex, 2001). 1. Jurisprudence concurrentielle américaine: affaire Terminal Railroad, 1912 2. Première application européenne: B&I Line contre Stena-Sealink, CJCE, 1992 9 Les critères retenus par la jurisprudence concurrentielle: ÎLa ressource doit être détenue par une entreprise en position dominante ÎLa ressource doit être de telle nature qu’il serait socialement inefficace de la dupliquer (coût de réplication prohibitif) ÎLe refus de fourniture de cette ressource risque de « forclore » le marché Î Le titulaire de la facilité ne peut justifier objectivement son refus 9 Application aux intangibles 5 I – La théorie des facilités essentielles 1. 2. Origines et principes La théorie des facilités essentielle appliquée aux actifs intangibles en Europe A) Les arrêts Magill et IMS : le test du produit nouveau B) L’arrêt Microsoft : l’exigence d’interopérabilité pour préserver les incitations à innover 6 L’Arrêt Magill de 1995 : Le test de la nouveauté 7 Un arrêt fondateur : Magill (1995) 9 Un contentieux dans le secteur de la télévision irlandaise… 9 … impliquant deux firmes œuvrant sur des marchés distincts 9 Les principaux critères retenus : Î Un coût de partage des informations négligeable Î Une nouvelle offre sur le marché aval… Î … susceptible de satisfaire la demande émanant des consommateurs La théorie des facilités essentielles l’émergence d’innovations de filiation pour favoriser 8 L’Arrêt IMS de 2004 : L’approfondissement de Magill 9 Un approfondissement de Magill : IMS (2004 ) 9 Un contentieux dans le secteur de la distribution de produits pharmaceutiques en Allemagne… 9 … impliquant deux firmes œuvrant sur le même marché 9 Les principaux critères retenus : Î Une structure modulaire comme standard technique Î Une base de données non acquise par un mérite particulier Î Un devoir de fourniture pour rendre la concurrence possible (≈ ouverture des industries de réseau) Le critère de nouveauté réinterprété de façon plus extensive ? 10 I – La théorie des facilités essentielles 1. 2. Origines et principes La théorie des facilités essentielle appliquée aux actifs intangibles en Europe A) Les arrêts Magill et IMS : le test du produit nouveau B) L’arrêt Microsoft : l’exigence d’interopérabilité pour préserver les incitations à innover 11 Une affaire emblématique : Microsoft (1/2) 9 La limitation de l’interopérabilité (protocoles d’interface) comme potentielle stratégie de levier 9 Une cessation et pas seulement un refus de fourniture 9 Responsabilité spéciale de l’entreprise dominante vis-à-vis de la structure de concurrence effective 9 Prise en compte du préjudice subi par le consommateur (ralentissement du rythme de l’innovation) 9 Prise en compte des incitations à innover Une licence obligatoire 12 II – Des risques de détournement stratégique du droit de la concurrence? 1. L’affaire VirginMega vs Apple 2. De l’insécurité juridique aux recours stratégiques A) Les institutions face à l’insécurité juridique B) Quelques exemples de recours opportunistes 13 La décision VirginMega (Conseil de la concurrence, 2004) L’exposé des faits 9 3 marchés interconnectés: lecteurs de musique portables, portails de téléchargement, DRM (mesures techniques de protection). 9 Apple est en position dominante sur le marché des baladeurs numériques (iPod) et en concurrence avec VirginMega sur le marché des plateformes de téléchargement (iTunes Music Store) 9 Apple se réserve l’exclusivité de son DRM Fairplay 9 En conséquence, il n’y a pas d’interopérabilité directe entre les iPods et les titres téléchargés sur une autre plateforme qu’iTunes. 9 Le refus de cession de licence est perçu par VirginMega comme un abus de position dominante de nature à l’exclure du marché du téléchargement Demande de mesures conservatoires 14 La décision du Conseil de la Concurrence (VirginMega) La position du Conseil de la Concurrence 9 Le critère de la position dominante non retenu: ÎLe marché des DRM est dominé par le DRM 10 de Microsoft ÎLe marché du téléchargement est nouveau et instable (barrières à l’entrée faibles) ÎSegmentation peu évidente sur le marché des baladeurs numériques 9 Le test Magill/IMS négatif: ÎLe transfert de fichiers musicaux vers les lecteurs numériques portables n’était pas significatif au moment de l’instruction (15%) ÎL’absence d’interopérabilité est aisément contournable ÎLa justification émise par Apple semble pertinente (refus de vente ≠ cessation de fourniture) Pas de lien de causalité évident entre la position dominante d’Apple sur le marché des baladeurs numériques de type iPod et la structure concurrentielle dans le secteur du téléchargement Quelles peuvent être les motivations pour invoquer cette théorie ? 15 Les motivations présumées de VirginMega Des motivations tactiques? 9 Deux firmes verticalement intégrées : une saisine sur le terrain de l’abus de position dominante 9 Une potentielle stratégie de rattrapage : ÎOpportunisme juridique : profiter de incertitude juridique pour se maintenir sur le marché ÎStratégie de nuisance : augmenter les coûts directs et indirects subis par le rival au moyen du cadre juridique ÎStratégie de « signaling » : discipliner l’opérateur dominant en lui rappelant les responsabilités particulières qui lui incombent Le cadre jurisprudentiel comme ressource stratégique 16 II – Des risques de détournement stratégique du droit de la concurrence? 1. L’affaire VirginMega vs Apple 2. De l’insécurité juridique aux recours stratégiques A) Les institutions face à l’insécurité juridique B) Quelques exemples de recours opportunistes 17 Institutions et insécurité juridique De l’insécurité juridique… 9 Les réformes institutionnelles ne sont pas neutres quant aux recours impliquant des DPI : l’exemple des Etats-Unis 9 Les asymétries d’information rendent particulièrement délicates les instructions de dossiers engageant des intangibles ÎLa nature des intangibles entraîne des difficultés quant à la détermination du caractère essentiel d’un actif, et plus encore de la tarification à adopter dans le cadre d’une licence obligatoire ÎLes risques de faux-négatifs sont particulièrement élevés dans ce genre de contentieux ÎLa relative imprévisibilité des décisions du juge peut entraîner des difficultés d’anticipation par les agents, et donc un ralentissement de la dynamique innovatrice 18 II – Des risques de détournement stratégique du droit de la concurrence? 1. L’affaire VirginMega vs Apple 2. De l’insécurité juridique aux recours stratégiques A) Les institutions face à l’insécurité juridique B) Quelques exemples de recours opportunistes 19 Des utilisations stratégiques du droit de la concurrence ? … aux recours stratégiques 9 La maîtrise du cadre légal comme ressource stratégique 9 Trois exemples de recours opportunistes ÎL’impôt sur le succès : transiger afin de s’éviter un procès à l’issue incertaine ÎStratégie de rattrapage par les coûts : générer des coûts additionnels que devra subir le leader ÎStratégie d’entrave des capacités de développement du leader : réduire le champ d’intervention de la firme dominante afin d’entamer sa compétitivité sur tous les marchés sur laquelle elle est engagée 9 Les demandes de mesures conservatoires : le temps comme variable stratégique 20 Conclusion : des pistes pour se prémunir face à l’utilisation stratégique de la théorie des facilités essentielles ? 21 Conclusion Quelles prescriptions possibles à partir d’Areeda (1998) ? Ne faire prévaloir le droit de la concurrence sur le droit de propriété intellectuelle que lorsque : 1) L’entreprise en position dominante adopte un comportement prédateur et/ou n’a pas acquis son innovation par le mérite 2) Preuve a été apportée par le plaignant du caractère incontournable de l’innovation, 3) Vérification a été faite que le but recherché n’est pas le simple partage de la rente de monopole Î innovation 4) La demande de licence est de nature à vivifier la concurrence dans le sens d’une meilleure efficience et d’un surplus pour les consommateurs Engager une réflexion sur le champ de protection des brevets : le brevet idéal est-il étroit et long, ou plutôt large et court? 22