Intangibles, facilités essentielles et contentieux - Gredeg

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Intangibles, facilités essentielles et contentieux - Gredeg
Intangibles, facilités essentielles et contentieux
concurrentiels 1
2
Frédéric Marty1, Julien Pillot
1
CNRS UMR 6227 GREDEG – Université de Nice Sophia-Antipolis
OFCE – Institut d’Etudes Politiques de Paris
[email protected]
2
CNRS UMR 6227 GREDEG – Université de Nice Sophia-Antipolis
[email protected]
Résumé
La jurisprudence européenne a opéré un glissement de l’application de la théorie des facilités
essentielles depuis les infrastructures physiques vers les actifs intangibles, au moment même où la
Cour Suprême américaine réitérait son rejet de cette théorie. Ces deux visions diamétralement
opposées répondent de deux conceptions différentes de la concurrence, qu’il s’agisse de l’importance
accordée à la structure des marchés que de l’analyse des incitations à l’innovation. Un ensemble de
décisions des autorités de la concurrence européennes (Magill, IMS, Microsoft…) ont permis à des
firmes, parfois œuvrant sur le même marché, d’obtenir un accès forcé à un actif intangible détenu par
l’entreprise dominante. De telles licences obligatoires posent la question d’une certaine prévalence du
droit de la concurrence sur le droit de propriété intellectuelle. De plus, les incertitudes entourant
l’application de la théorie des facilités essentielles aux intangibles font naître un climat d’insécurité
juridique qui pourrait favoriser les demandes d’accès non fondées émanant d’entreprises
opportunistes, lesquelles pourraient affecter les incitations à l’innovation des firmes. Dès lors, la
préservation de celles-ci ne devrait-elle pas passer, à l’instar de la position américaine, par un
encadrement beaucoup plus strict de la théorie des facilités essentielles ?
Mots-clés : politique de concurrence, droits de propriété intellectuelle, théorie des facilités
essentielles, incertitudes juridique, poursuites stratégiques
Introduction
Nous sommes […] préoccupés par l’application unilatérale par le Tribunal de Première
Instance [des Communautés européennes] qui, plutôt que d’aider les consommateurs,
pourrait avoir la conséquence malheureuse de les défavoriser en entravant l’innovation et en
décourageant la concurrence. Aux Etats-Unis, les règles de l’antitrust sont appliquées pour
protéger les consommateurs en protégeant la concurrence, et non les concurrents. En
l’absence d’une atteinte avérée aux consommateurs, toutes les firmes, y compris les
entreprises en position dominante, sont encouragées à se concurrencer vigoureusement.
Les tribunaux américains reconnaissent les bénéfices potentiels pour les consommateurs
quand une firme, même en position de leadership, prend unilatéralement la décision
d’investir, par exemple en ajoutant des fonctionnalités à ses produits ou en octroyant des
licences d’exploitation à des rivaux, ou en refusant de le faire2.” (Barnett, 2007b)
1
Les auteurs remercient Ejan Mackaay, Marc Deschamps et Eric Elabd pour leurs commentaires et conseils. Ce travail a aussi
bénéficié des commentaires des participants du séminaire de recherche du GIS Larsen. Nous adressons spécialement nos
remerciements à Christophe Defeuilley, Adrien de Hauteclocque et Dominique Finon .Toute erreur ou imprécision demeure
cependant de notre seule responsabilité.
2
Traduction des auteurs
-1-
Les propos tenus, au lendemain de la confirmation de la condamnation de Microsoft par le
Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, par T.Barnett, Assistant
Attorney General, en d’autres termes directeur de la division Antitrust du Département de la
Justice américain, révèlent de profondes différences entre les manières d’appréhender les
contentieux liés à l’arbitrage entre droit de la concurrence et droit de propriété intellectuelle
(DPI) selon que l’on se situe en Europe ou aux Etats-Unis. Ainsi, selon Barnett, les autorités
en charge de la concurrence doivent veiller à ce que la préservation du processus
concurrentiel prime sur la protection des concurrents. Il existe, en effet, des liens complexes
entre innovation et concurrence que l’on pourrait mettre en évidence au travers des travaux
d’Aghion et Griffith (2005). Ces derniers montrent, tout d’abord, que l’incitation à innover
décroît avec la distance qui sépare une firme de la frontière technologique, i.e. de la
technologie détenue par la firme dominante du marché. Ils établissent, ensuite, que si la
concurrence peut effectivement produire des incitations à innover, c’est seulement dans la
mesure où l’innovation en question peut permettre d’échapper à la concurrence en octroyant
un monopole temporaire à la firme innovatrice. Cependant, en matière d’intangibles,
l’innovation peut facilement être imitée par les concurrents. L’innovateur peut donc se voir
rapidement dans l’impossibilité d’amortir ses investissements. Il est alors nécessaire de
protéger ses surprofits vis-à-vis des conditions standards de la concurrence parfaite via des
droits de propriété intellectuelle. La protection que ceux-ci offrent à l’innovateur est
susceptible de recréer les incitations nécessaires pour que l’investissement innovant
s’établisse à un niveau socialement optimal (Landes & Posner, 2003).
Si les politiques de concurrence visent à promouvoir un fonctionnement efficace des
marchés, celui-ci peut se décliner selon deux volets. Un premier correspond à l’efficacité
statique, telle que la présente le modèle de la concurrence parfaite. Il conduit à s’attacher
particulièrement à la structure des marchés. Un second volet correspond à la notion
d’efficacité dynamique. La position dominante ne pose pas réellement problème en ellemême du moment où le marché est suffisamment fluide pour que des incitations efficaces
s’exercent sur les firmes pour se faire concurrence. Parmi celles-ci les incitations à
l’innovation occupent une place centrale. Les firmes en compétition peuvent s’engager dans
une course à l’innovation motivée par la recherche d’un avantage technologique déterminant
sur leurs concurrents permettant d’échapper à la concurrence en prix, laquelle est le lot
commun de la concurrence parfaite (Barnett, 2007a).
Issu de la jurisprudence américaine3, le concept de facilité essentielle (Glais, 1998) désigne
une ressource indispensable détenue par la firme innovatrice (ou l’opérateur historique) pour
permettre à ses concurrents d’exercer leur activité sur le marché pertinent et que celle-ci est
impossible à reproduire par des moyens raisonnables (financiers, techniques et temporels).
Dès lors que le tribunal juge une infrastructure comme étant « essentielle », il peut obliger le
titulaire de la facilité à ouvrir l’accès à celle-ci dans des conditions raisonnables au nom de la
préservation du processus concurrentiel.
Or, ainsi que le sous-entend Barnett (2007b) relativement à l’affaire Microsoft, les politiques
européennes de concurrence tendent à appliquer avec bien plus de libéralité le principe des
infrastructures essentielles aux DPI, à l’inverse de leurs homologues états-uniens. Partant du
principe de la « leapfrog competition », par lequel l’innovateur se voit doté d’un avantage
concurrentiel vis-à-vis des firmes suiveuses, donner la possibilité d’ouvrir l’accès aux DPI par
le droit de la concurrence peut induire, pour ces dernières, un arbitrage entre investir pour
innover et tenter d’entraver l’innovateur en détournant stratégiquement le droit de la
concurrence à son avantage (Baumol & Ordover, 1982 ; McAfee & Vakkur, 2005). Or, les
chances d’obtenir gain de cause par ce biais là apparaîtraient comme d’autant plus élevées
en Europe qu’une conception de la concurrence en termes de structure de marché
3
United States v. Terminal Railroad Assn. of St. Louis, 224 U.S. 383
-2-
prévaudrait sur une approche en termes de processus. On peut donc se demander si ceci ne
risque pas de favoriser des demandes d’accès non fondées ayant pour effet d’empêcher la
firme innovatrice de cueillir les fruits de ses investissements passés, voire de faire le lit de
stratégies de ‘nuisance’ (Rasmusen, 1998) envers des concurrents plus efficaces.
L’activation de la notion ne risque-t-elle pas à nouveau de donner du crédit aux critiques des
politiques européennes selon lesquelles elles protègeraient davantage les concurrents que
la concurrence (Barnett, 2007b) ?
L’objectif de cet article est de montrer que l’application du principe des facilités essentielles
aux DPI, comme cela a pu être le cas dans le cadre communautaire à travers l’arrêt Magill
de 19954 ou encore à travers ses approfondissements successifs par les cas IMS5 et
Microsoft6, peut générer un climat d’insécurité juridique venant mettre en cause les
incitations des firmes à investir dans un processus d’innovation, lesquelles reposent sur
l’espérance d’un futur pouvoir de marché garanti par les DPI. En effet, la propriété
intellectuelle peut se concevoir comme un ensemble de droits accordant à son titulaire une
certaine exclusivité sur une création de l’esprit selon des modalités et pour une période
donnée. En ce sens, l’une de ses utilités est de permettre à la firme détentrice des droits de
rentabiliser son innovation (Mackaay & Rousseau, 2008). Une éventuelle licence obligatoire
au profit de firmes concurrentes pourrait compromettre les incitations à innover.
Dans une première partie, nous présenterons la théorie des facilités essentielles et
montrerons de quelle façon celle-ci est appliquée en Europe et outre-Atlantique. Nous
verrons que, si l’application de ce principe s’avère des plus rares aux Etats-Unis, comme en
témoigne l’arrêt de la Cour Suprême Trinko v. Verizon7, il n’en va pas de même en Europe.
Nous montrerons dans notre deuxième partie que la Commission a déjà, à plusieurs
reprises, forcé l’accès à un DPI sous couvert de cette doctrine. Enjoindre le titulaire d’une
ressource essentielle protégée par un DPI à assurer une interopérabilité8 avec les systèmes
développés par ses rivaux peut, dans certains cas, constituer le moyen le plus efficace pour
stimuler ou promouvoir la concurrence effective9 (justifiant dès lors l’intervention des
autorités de la concurrence dans le sens de l’octroi d’une licence obligatoire). Cependant, le
problème même de la fixation d’un tarif d’accès conciliant les intérêts des deux parties reste
entier. Enfin, dans une troisième partie, nous mettrons l’accent sur le risque de
détournement stratégique du droit de la concurrence pour nuire à la concurrence elle-même,
et aux diverses tactiques dont pourraient user des firmes en illustrant nos propos par la
jurisprudence concurrentielle européenne en matière de demande de licences obligatoires.
I – La théorie des facilités essentielles en Europe et aux Etats-Unis
La notion de facilité essentielle recouvre l’ensemble des installations (matérielles ou non),
détenues par une entreprise en position dominante, qui s’avèrent non aisément
reproductibles et dont l’accès est indispensable aux tiers pour exercer leurs activités sur le
marché (Bazex, 2001).
4
Arrêts C-241/91 P et C-242/91 P. Radio Telefis Eireann (RTE) et Independent Television Publications Ltd (ITP) c/ Commission
des communautés européennes, 6 avril 1995.
Décision C-418/01 du 29 avril 2004 relative à l’affaire I.M.S. Health GmbH et a. c / N.D.C. Health GmbH et a.
6
Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, Arrêt du 17 septembre 2007, affaire T-201/04, Microsoft
Corporation / Commission.
7
Verizon v. Law office of Curtis V. Trinko, LLP 538, US Supreme Court, 905 (2003).
8
L’interopérabilité se définit comme la capacité que possède un produit ou un système dont les interfaces sont intégralement
connues à fonctionner avec d'autres produits ou systèmes existants ou futurs.
9
La concurrence effective se définit par l’absence d’opérateurs capables d’exercer à titre individuel ou conjoint un pouvoir de
marché significatif (une puissance), en d’autres termes de déterminer leurs stratégies de façon significativement indépendante
de leurs concurrents et clients.
5
-3-
Elle est apparue dans la jurisprudence concurrentielle américaine en 1912 au travers du
règlement d’un conflit d’accès à des infrastructures ferroviaires10. En l’espèce, la ville de
Saint Louis, Missouri, constituait à l’époque un véritable « hub », c'est-à-dire une zone
d’interface privilégiée tant par ses infrastructures ferroviaires que par sa position
géographique. Or, la «Terminal Railroad », association ne rassemblant qu’une fraction des
opérateurs de chemin de fer transitant par la commune de Saint Louis, contrôlait l’intégralité
des accès ferrés à la ville et des infrastructures permettant de traverser le Mississipi. Les
sociétés n’appartenant pas à l’association intentèrent alors une action en justice à l’encontre
de l’association afin de l’obliger à leur accorder l’accès à des conditions tarifaires
raisonnables et non discriminatoires.
Saisie du dossier, la Cour Suprême des Etats-Unis d’Amérique se prononça en faveur des
sociétés plaignantes, obligeant ainsi la « Terminal Railroad » à intégrer ces dernières au sein
de leur association de façon à imposer un accès dans des conditions tarifaires raisonnables.
Autrement dit, la Cour a considéré que l’accès à la ville de Saint Louis était d’utilité publique
et que la « Terminal Railroad » agissait comme un cartel ce qui risquait d’exclure les autres
utilisateurs du réseau. Il convient cependant de noter que la Cour s’est fondée dans le cadre
de sa décision sur la seule dimension concurrentielle de l’affaire et n’a pas introduit la notion
de facilité essentielle, laquelle le sera plus tard par des tribunaux de rang inférieur. Il n’en
demeure pas moins, que la doctrine des « infrastructures essentielles », toujours
difficilement admise aux Etats-Unis, était née sous l’invocation de trois critères
indissociables. Le premier est le caractère indispensable et incontournable de son utilisation
pour un opérateur offreur d’un service déterminé. Le deuxième critère réside dans
l’impossibilité ou, pour le moins la difficulté, de dupliquer l’infrastructure en cause, ce qui
rend très probable que celle-ci demeure unique sur le marché concerné. Le troisième critère,
enfin, est le contrôle fonctionnel exercé sur elle par un monopoleur ou un groupe de
partenaires agissant comme le ferait un actionnaire unique.
Les autorités américaines de la concurrence rajoutèrent, sur la base de l’efficience
économique, que pour qu’un accès à une ressource jugée comme essentielle puisse être
forcé, il était indispensable de prouver que cette mesure soit impérative quant à la
persistance d’un processus concurrentiel sur le marché en question, à savoir la conservation
sur celui-ci de firmes efficaces offrant aux consommateurs des biens et des services en
quantités plus importantes à des prix toujours plus compétitifs. En d’autres termes, les
situations de monopole ne sont pas répréhensibles en elles-mêmes s’il est socialement
préférable qu’une unique firme assume la totalité de la production ou des services (cas des
monopoles naturels). C’est donc bien le fait qu’un monopoleur détenteur d’une infrastructure
essentielle abuse de sa position de force pour pratiquer l’intégration verticale qui rend
légitime l’intervention des autorités de la concurrence.
En Europe, la première application de la théorie des facilités essentielles eut lieu en 199211.
En l’espèce, Sealink était une compagnie britannique de ferry mais également l’autorité
portuaire de Holyhead au Pays de Galles. La Commission a considéré que cette dernière
avait profité de sa position d’autorité portuaire pour autoriser des modifications des horaires
de ses propres ferries ce qui a causé un préjudice certain à B&I Line, une société irlandaise
concurrente et, à ce titre, prononça des mesures conservatoires à l’encontre de Sealink. En
d’autres termes, les autorités de la concurrence ont considéré que l’entreprise britannique
était à la fois propriétaire et utilisatrice d’une infrastructure essentielle, en l’occurrence un
port, et qu’en tant que telle ne devait pas accorder à ses concurrents des conditions moins
favorables que celles dont bénéficient ses propres services sous peine de fausser le jeu de
la concurrence.
10
11
United States v. Terminal Railroad Assn. of St. Louis, 224 U.S. 383
B&I Line contre Stena-Sealink, CJCE, 11 juin 1992, (IP/92/478).
-4-
La notion de facilité essentielle n’est pas sans lien, au point de vue de l’analyse juridique,
avec la distinction entre concurrence effective et concurrence efficace (Riem, 2008). Si la
concurrence effective peut se définir comme la concurrence telle qu’elle s’exerce « dans les
faits » sur le marché, la concurrence efficace désigne le degré de concurrence potentiel de
ce même marché. En termes économiques, il s’agirait de son caractère contestable (Baumol
et al., 1982), lequel créé pour la firme dominante une pression concurrentielle potentielle qui
l’empêche d’abuser de sa position sur le marché12. Il apparaît donc qu’une situation de non
compétition (absence de concurrence effective) peut satisfaire aux critères d’une
concurrence efficace (i.e. absence de barrières à l’entrée). Or, comme le relève Riem (2008),
les caractéristiques même de certains marchés sont susceptibles de mettre en cause la
préservation d’une telle concurrence efficace. Le rôle des politiques de concurrence peut dès
lors se déplacer vers la préservation voire la « construction » des conditions qui rendraient la
concurrence possible sur les marchés considérés. Un tel objectif était mis en exergue dès
1973 dans la décision Euroemballage- Continental Can13, dans le cadre de laquelle la CJCE
notait que le but des politiques de concurrence était de « conserver au marché les
possibilités d’une concurrence effective ou potentielle ». Ceci suppose donc que des firmes
tierces puissent faire concurrence à une entreprise en position dominante ou qu’un nouvel
entrant soit potentiellement en mesure de le faire14.
Ainsi, une entreprise détentrice d’une position dominante n’a pas le droit de « compromettre
la concurrence effective », comme nous le verrons dans le cadre de la décision Microsoft.
Ceci peut induire, comme le relève Riem (2008), des obligations spécifiques pour l’entreprise
en question, notamment celle de mettre ses concurrents en mesure de la concurrencer
effectivement15. L’entreprise en position dominante, par exemple celle qui détient une
infrastructure essentielle peut, dans cette logique, porter atteinte à la concurrence, en
l’absence même de pratiques abusives. Elle peut donc se voir soumise à des injonctions
même si elle ne se rend pas coupable de pratiques anticoncurrentielles. En d’autres termes,
« le critère des effets préempte celui de la légitimité de la conduite sur le marché »
(Versterdorf, 2006). La stratégie de la firme dominante peut donc, en l’absence même de
tout abus, provoquer des dommages tels à la structure de concurrence, qu’il est nécessaire
de soumettre celle-ci à des obligations particulières16 (Canivet, 2005). Ce faisant, l’entreprise
détentrice d’une facilité essentielle peut se voir imposer des obligations spécifiques de façon
à ne pas « compromettre irrémédiablement les chances des concurrents sur le marché »
(Vesterdorf, 2006).
La logique sous-jacente est en fait relativement proche de celle de la régulation asymétrique,
utilisée dans le cadre des industries de réseaux en cours de libéralisation. Transposée en
matière de politiques de concurrence, la notion devient celle de l’opérateur crucial, proposée
par Marie-Anne Frison-Roche (2006). Du fait de sa position sur le marché, une telle firme
peut se voir imposer des obligations spécifiques pour préserver la concurrence. Sa seule
position peut générer des barrières à l’entrée de nature à annihiler toute forme de
concurrence. Ainsi, en l’absence même d’abus, une telle firme pourrait se voir contrainte de
céder une licence aux tiers (Frison-Roche, 2005). Il convient cependant de relever que les
conditions de constitution de la facilité essentielle peuvent être fort différentes. Dans le cas
des industries de réseaux, le contrôle de l’infrastructure résulte souvent de l’héritage d’un
monopole légal. En d’autres termes, la position de l’entreprise concernée n’est guère reliée à
ses mérites propres mais à une décision de la puissance publique. La situation est différente
12
L’une des grandes questions qui se posent aux politiques de concurrence est de savoir si elles visent en premier lieu à rendre
la concurrence potentiellement possible ou si elles visent à garantir que la concurrence s’exerce effectivement sur le marché
(i.e. que les firmes se fassent compétition (Lucas de Leyssac, 2006)).
13
CJCE, 21 février 1973, Euroemballage – Continental Can c/ Commission européenne – affaire 6/72.
14
TPICE, 15 septembre 1998, European Night Service EA c/ Commission européenne – affaire T 374-94.
15
Dans le communiqué de presse de la Commission du 17 septembre 2007 (MEMO 07/359), le Commissaire européen N.
Kroes, souligne qu’il appartient aux entreprises dominantes de permettre la concurrence.
16
Du fait de sa position sur le marché, l’entreprise en position dominante a la « responsabilité particulière de ne pas porter
atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée sur le marché commun ».
CJCE, 9 novembre 1983, Michelin c/ Commission, aff – 322/81.
-5-
si la position de l’entreprise est liée à ses investissements passés. Cependant, du fait des
externalités de réseaux, notamment dans l’industrie informatique, une firme peut à terme
bénéficier d’une telle position quels que soient ses mérites. En outre, elle peut aussi susciter
et entretenir de tels effets de réseau par l’intermédiaire de stratégies de levier à partir d’un
marché connexe, par exemple au moyen de prix de pénétration, inférieurs aux coûts, en
d’autres termes de subventions croisées (Tirole, 2005).
Si l’on adopte une vision dynamique, l’entreprise innovatrice détentrice d’une facilité
essentielle se trouve dans une position de force indéniable vis-à-vis à la fois de ses
concurrents directs et des entreprises situées en aval qui ont besoin d’accéder à la
ressource essentielle. Il revient aux autorités de la concurrence d’être particulièrement
vigilantes quant à l’attitude adoptée par la firme titulaire de cette facilité laquelle peut se
rendre coupable d’abus de position dominante, que cela soit par des stratégies de forclusion
ou de ciseaux tarifaires. A ce titre, les stratégies d’éviction ou d’accroissement artificiel des
prix peuvent avoir pour effet de freiner la compétition technologique, et donc la promotion de
l’efficience (Glais, 1998). Ceci est particulièrement vrai dans les secteurs où l’innovation
technologique est un processus intense et continu puisqu’il permet aux acteurs économiques
de dégager des gains de productivité devant in fine se traduire par un surplus social.
Toujours est-il que la doctrine des facilités essentielles a eu une importance prépondérante
en matière de politique de concurrence européenne dans le cadre des infrastructures
physiques de réseau, notamment quand il s’est avéré nécessaire de créer de la concurrence
dans des secteurs anciennement détenus par des monopoles historiques
(télécommunications, distribution d’énergie électrique, …). Toutefois, si le recours à la
doctrine des facilités essentielles est un moyen efficace de créer de la concurrence sur des
secteurs marqués par la présence d’infrastructures de réseau lourdes qu’il ne serait pas
socialement efficace de dupliquer, on peut légitimement se poser la question de la
pertinence d’appliquer cette notion dans le cadre des DPI. Nous allons voir que de ce point
de vue, il existe de profondes divergences entre la manière d’appréhender le problème selon
que l’on se trouve en Europe, où les arrêts Magill, IMS et surtout la décision relative à
Microsoft font craindre une certaine prévalence du droit de la concurrence sur le droit de
propriété intellectuelle, ou aux Etats-Unis où l’application de cette notion demeure
l’exception, comme en témoignent les décisions Xerox (1972), Kodak (1997) et Intel (1999).
II - Divergences transatlantiques dans l’application de la théorie aux
intangibles par les autorités de la concurrence
Une des questions majeures qui est posée en matière d’articulation entre les DPI et le droit
de la concurrence porte sur une éventuelle soumission du premier au second. L’activation de
la théorie des facilités essentielles par la jurisprudence européenne tendrait à accréditer la
thèse d’une possible expropriation des titulaires de DPI au nom de l’intérêt supérieur de la
concurrence. Nous verrons, qu’en fait, l’articulation s’avère bien plus complexe.
Les Etats-Unis dans les années soixante-dix semblèrent remettre en cause les DPI au nom
de l’impératif concurrentiel. Le cas le plus célèbre d’une remise en cause des DPI au profit
de la construction de marchés concurrentiels remonte à l’action entamée par la Federal
Trade Commission en 1972 contre Rank Xerox. En l’espèce, la FTC reprochait au fabriquant
de photocopieurs d’avoir constitué un portefeuille de brevets « assassins »17 dont le
renouvellement annuel constant avait pour effet de bloquer l’entrée de tout concurrent sur le
secteur. Xerox fut accusé de pratiques restrictives et de monopolisation du marché18.
17
Plus de mille brevets, augmentant d’une centaine chaque année.
La compagnie jouissait effectivement d’un quasi-monopole sur le marché des photocopieurs depuis une innovation majeure
introduite en 1959 (le modèle 914).
18
-6-
L’objectif de la FTC était donc de rendre possible la concurrence en considérant que la
compagnie avait d’ores et déjà recouvré ses investissements (Lévêque & Ménière, 2003). La
décision Kodak (1997)19, de la Cour d’appel du 9ème circuit, ouvrait même la voie à une
possible activation de la théorie des facilités essentielles aux Etats-Unis. En l’espèce,
Eastman Kodak était accusé par Image Technical Services Inc. d’avoir profité d’une position
dominante sur le marché de la reprographie pour monopoliser le marché annexe du service
après-vente en se réservant les informations relatives à l’infrastructure de ses copieurs. En
la matière, la position de la Cour d’appel quant à la théorie des ressources essentielles était
intéressante à plus d’un titre puisqu’après avoir redéfini la doctrine comme un cas particulier
de refus de vente, celle-ci a également rappelé que le DPI ne concède à son titulaire
qu’une « presumptively valid business justification » à un refus de fourniture unilatéral.
Autrement dit, un DPI pourrait éventuellement constituer un moyen essentiel si l’innovateur
n’était en mesure de prouver que son refus d’accorder une licence à son rival ne participe à
un comportement de « monopolization ». Plus intéressant encore fut un jugement rendu par
la Cour du district de Columbia dans l’affaire qui vit Intergraph, un fabriquant d’ordinateurs,
attaquer Intel, le leader mondial sur le marché des microprocesseurs20. Selon Intergraph,
Intel aurait adopté un comportement prédateur en refusant de lui céder les informations
relatives à l’architecture de son nouveau processeur (l’Intel Pentium 2). La juridiction
chargée d’instruire le dossier considéra qu’Intel, compte tenu de son quasi-monopole sur le
marché des processeurs, s’était rendu coupable d’abus de position dominante en ne
divulguant pas « une information pour laquelle il n’existait aucune alternative, non
facilement duplicable et essentielle au maintien d’une concurrence effective sur les marchés
pertinents ». Cette décision fut par la suite révisée par le juge fédéral qui considéra que la
doctrine des facilités essentielles ne s’imposait nullement en l’espèce dans la mesure où
Intel et Intergraph n’étaient pas concurrents sur quelque marché pertinent que ce soit.
Il n’en demeure pas moins que les cas de licence obligatoire demeure isolé aux Etats-Unis.
Preuve en est une décision de justice toujours relative à Rank Xerox, prise le 17 février
200021, qui a débouté un groupe de sociétés indépendantes spécialisées dans la
maintenance de photocopieurs d’une demande de libre accès aux pièces et aux logiciels de
Rank Xerox de façon à pouvoir lui faire efficacement concurrence sur ce marché. Les
guidelines de l’antitrust américain relatives aux DPI (US DoJ and FTC, 1995) attestent de
cette progressive immunisation de ces derniers (Pitofsky, 2001). Les directives américaines
se fondent sur trois principes. Le premier tient au fait que la propriété intellectuelle est traitée
par l’antitrust comme toute forme de propriété. Deuxièmement, il n’existe pas de
présomption selon laquelle un DPI créé automatiquement un pouvoir de marché. Enfin, le
troisième point tient au fait que l’octroi de licences est a priori pro-concurrentiel mais il ne
saurait exister d’obligation pour un détenteur de DPI de licencier un tiers pour créer une
concurrence sur le même marché que celui sur lequel il intervient.
D’ailleurs, dans le cadre de l’affaire Trinko v. Verizon, la Cour Suprême a souligné le fait
qu’une firme n’a pas à être obligée à accorder des licences à ses concurrents. En effet, non
seulement seules des circonstances particulières peuvent faire que tels refus peuvent avoir
des conséquences anticoncurrentielles mais en outre un mécanisme de licences obligatoires
peut diminuer les incitations des firmes à innover (Shelanski, 2008). En effet, amenée à se
prononcer sur une action de groupe menée par des clients new yorkais d’AT&T à l’encontre
de Verizon, l’opérateur local dominant, sur la base d’un refus de ce dernier d’accorder
l’accès de ses infrastructures au nouvel entrant, la Cour Suprême a précisé qu’un tel refus
ne peut tomber sous le coup de la section 2 du Sherman Act que dans des conditions
particulièrement restrictives22. En l’espèce, la Cour a considéré qu’il s’agissait plus d’un
problème de régulation sectorielle (Telecommunication Act de 1996) que de concurrence.
19
Image Technical Services Inc v Eastman Kodak Inc, 125 F3d, 9th circ., 1997
3 F. Supp. 2d 1255 (N.D. Ala. 1998), vacated, 195 F.3d 1346, 1367 (Fed. Cir. 1999)
21
In re Independent Service Organizations. Antitrust Litigation, 203 F.3d 1322 (Fed. Cir. 2000)
22
Verizon Co. v Law office of Curtis V. Trinko, US Supreme Court, LLP 538 US 905 (2003).
20
-7-
Elle a cependant été conduite à préciser sous quelles conditions un refus d’une entreprise
dominante d’accorder l’accès de l’un de ses actifs à ses concurrents peut être considéré
comme contraire au Sherman Act23 (Sikol, 2007). Il apparaît que la question des refus
d’accès ne puisse être traitée sur cette base que dans les situations pour lesquelles celui-ci
concernerait des firmes déjà établies, et notamment engagées dans des relations
contractuelles, ou des secteurs pour lesquels il n’existe pas de régulation spécifique.
Cependant si la Cour prend soin de préciser qu’elle ne se prononce pas sur la base de la
théorie des facilités essentielles (issue, selon la terminologie employée dans l’arrêt Verizon,
de la jurisprudence de cours de « rang inférieur ») ou sur les stratégies de levier, il n’en reste
pas moins qu’une ambiguïté demeure pour les domaines dans lesquels il n’existe pas
d’encadrement sectoriel.
A l’inverse, au niveau communautaire, la question de l’application au domaine de la propriété
intellectuelle de la théorie des facilités essentielles est au centre de nombreux débats depuis
le milieu des années quatre-vingt-dix, lesquels furent scandés par trois décisions
consécutives qui ont permis de préciser la position européenne en la matière En matière
d’infrastructures physiques, un refus d’accès de la part d’une entreprise en position
dominante est qualifié d’abusif si cet accès est indispensable à l’exercice de l’activité et si le
refus n’est pas objectivement justifié24. Pour les actifs intangibles, protégés par des DPI, il
est en outre nécessaire de démontrer que ce dernier empêche l’apparition d’un produit
nouveau, pour lequel il existe une demande potentielle (Lévêque, 2008).
Dans l’affaire Magill, la Cour de Justice a jugé abusif le refus opposé par les chaînes de
télévisions irlandaises de communiquer leurs grilles de programmes à la société Magill qui
souhaitait éditer un guide hebdomadaire regroupant les programmes des six chaînes
nationales. En effet, dans les années quatre-vingt en Irlande, chaque chaîne publiait
séparément ses propres programmes. Les chaînes considéraient qu’elles étaient
propriétaires des informations et à ce titre qu’elles n’avaient pas à transmettre ces dernières
à un tiers. Le juge a considéré que l’information protégée constituait une facilité essentielle
en ce sens qu’elle était indispensable à la société Magill TV Guide Ltd pour mettre sur le
marché un nouveau produit, différent de ceux publiés par les chaînes et susceptible
d’apporter une plus-value aux consommateurs. En d’autres termes, la Commission a enjoint
aux compagnies de télévision de fournir aux tiers qui en feraient la demande sur une base
non discriminatoire leurs grilles de programme et de leur accorder des licences de
reproduction pour un montant raisonnable. Pour la CJCE, qui a confirmé en avril 1995 la
décision de la Commission, les chaînes de télévision avaient abusé de leur position
dominante sur un marché amont pour entraver l’apparition d’une nouvelle offre, non
directement concurrente des leurs sur un marché aval. En d’autres termes, la CJCE
considère que le refus d’une entreprise titulaire d’un droit d’auteur de donner accès à un
produit ou à un service indispensable pour exercer une activité déterminée constitue un abus
de position dominante dès lors que ce refus est à la fois injustifié, de nature à exclure toute
23
Parmi les précédents considérés dans l’arrêt Trinko figurent Aspen Skiing et Otter Tail Power. Dans le cadre de la première
affaire, le gestionnaire de trois des quatre pistes du domaine d’Aspen avait unilatéralement rompu ses accords avec l’exploitant
de la quatrième. La Cour considéra que la pratique était susceptible d’être sanctionnée au titre du Sherman Act dans la mesure
où la décision pouvait être analysée sous l’angle de la prédation (Aspen Skiing Co. v. Aspen Highlands Skiing Corp, US
Supreme Court, 472 US 585 (1985). De la même façon, la Cour avait eu à se prononcer sur un refus d’accès en matière de
transport d’énergie électrique (Otter Tail Power v. United States, US Supreme Court, 410 US 366 (1973). Mais dans les deux
cas, il s’agissait d’opérateurs déjà présents sur le marché et non de nouveaux entrants comme dans l’affaire Verizon. Il convient
cependant de relever que le raisonnement de la Cour Suprême ne clarifie guère les termes du débat (Sikol, 2007), notamment
dans la mesure où elle semble établir une distinction entre le cas d’une firme qui exploite seule son actif et celui où elle
n’accorde un accès qu’à un seul (Tirole, 2005). Dans la seconde situation, une licence obligatoire serait envisageable…
24
L’arrêt Bronner (CJCE, 26 novembre 1998, Bronner c. Mediaprint aff-C7/97) indique qu’il est nécessaire d’apporter la preuve
que le contournement de l’infrastructure ne serait pas économiquement viable pour une entreprise ayant un volume d’affaire
comparable avec la firme détentrice de la facilité essentielle. Il s’agissait en l’occurrence d’un quotidien (détenant une part de
marché de 5 %) qui souhaitait accéder au réseau de distribution (portage à domicile) mis en place par l’un de ses concurrents
détenant une part de quelque 50 %. La Cour a considéré dans le cas d’espèce qu’il existait d’autres moyens d’acheminement à
sa disposition (ex. courrier postal), même si ces derniers s’avèrent plus coûteux.
-8-
concurrence sur des marchés dérivés et empêche l’apparition d’un produit nouveau pour
lequel il existe une demande potentielle25.
L’arrêt Magill constitue donc le premier cas européen d’application du critère de la facilité
essentielle à des DPI. Dans le cas de biens intangibles, permettre la concurrence en aval
suppose que le détenteur des DPI garantisse l’accès à des utilisateurs potentiels,
notamment en leur octroyant une licence d’exploitation. Il est intéressant de noter que le
brevet a toutes les caractéristiques des facilités essentielles. D’abord, il est indispensable au
développement de nouvelles offres par les concurrents. Ensuite, il est économiquement
et/ou techniquement irréaliste de le dupliquer et le paiement d’un tarif d’accès par les tiers
est socialement plus efficace que la mise en œuvre de stratégie de contournement. Enfin, le
coût directement lié au partage de l’information est souvent négligeable.
Ceci introduit bien évidemment une limitation dans le droit exclusif garanti par la propriété
intellectuelle, mais repose sur le même arbitrage entre protection des incitations à innover et
promotion de la concurrence. Il s’agit de réaliser un compromis entre la préservation des
incitations individuelles à innover (par l’intermédiaire de la garantie d’un retour sur
investissement), d’une part, et la diffusion des connaissances et le maintien des incitations à
innover pour les autres firmes, d’autre part. A ce titre, l’introduction du critère d’un produit
nouveau pouvait apparaître comme un garde-fou contre d’éventuelles stratégies de
parasitisme menées par des firmes souhaitant mettre sur le marché des produits « clonant »
ceux de l’entreprise détentrice des DPI (Prieto, 2004). Or, une deuxième décision vint
remettre en cause cette condition.
En effet, l’arrêt Magill fut à la fois confirmé mais aussi infléchi par l’arrêt IMS de 2004. En
l’espèce, IMS avait construit une base de données sur les ventes des pharmacies
allemandes sur la base d’une structure modulaire à 1860 modules avec une structure
dérivée à 2847 modules. Cette structure est rapidement devenue un standard de par son
aspect pratique fondé sur les codes postaux allemands et par sa diffusion gratuite aux
pharmaciens lors de son lancement. Pour intégrer le marché, la société NDC a décidé
d’opter pour une base de données s’appuyant également sur une structure à 1860 modules,
ce a quoi IMS répliqua par un refus de vente de sa base de données protégée par le droit
d’auteur. Il est intéressant de noter que, pour IMS, la jurisprudence Magill ne pouvait ici
s’appliquer dans la mesure où NDC proposait un produit sur le même marché. A l’inverse, la
société NDC et la Cour appliquèrent la théorie des facilités essentielles au pied de la lettre
en considérant que le détenteur de l’infrastructure devait permettre l’accès à des concurrents
pour rendre possible la compétition. La Cour a considéré que le fait que la structure basée
sur les codes postaux soit devenu un standard en Allemagne, induit qu’un refus de licence
empêche de facto l’entrée de tout nouveau compétiteur sur le marché et devait, à ce titre,
être considéré comme un abus (Lévêque et Ménière, 2003).
L’arrêt IMS conduit à un glissement de la notion de facilité essentielle en faveur de firmes
opérant sur le même marché. En ce sens, il marque un ‘approfondissement’ de la logique de
l’arrêt Magill qui « se contentait » de donner la possibilité à des firmes de demander une
licence obligatoire pour offrir une offre nouvelle sur un marché connexe à celui du titulaire du
DPI. La décision de la Commission dans l’affaire Microsoft en 2004, confirmée par le TPICE
en 2007, augmente encore le périmètre concerné en considérant que le dommage qui peut
être pris en compte tient au préjudice causé au consommateur par le ralentissement du
progrès technique. Ainsi, la Commission européenne a condamné le 24 mars 2004 Microsoft
(MS) pour abus de position dominante (au travers de la limitation de l’interopérabilité pour les
systèmes d’exploitation pour serveurs26 et des ventes liées avec le logiciel Media Player). En
25
Un refus d’octroi de licence d’une entreprise en position dominante ne constitue pas en lui-même un abus (CJCE, Volvo c.
Veng, aff 238/87, 5 octobre 1998)
Les pratiques mises en œuvre par le géant américain sont d’autant plus troublantes que la société a dans un premier temps
opté pour une très large ouverture de l’information relative aux interfaces et a réduit le degré d’ouverture parallèlement à la
26
-9-
l’espèce, il apparaissait que la limitation volontaire de l’interopérabilité participait bien d’une
stratégie d’abus de position dominante visant à transmettre par effet de levier un pouvoir de
marché du domaine des Systèmes d’exploitation (SE) pour PC à celui des SE pour serveurs.
Bien que MS ne contrôlait alors que 60 % du marché, la Commission a retenu la position
dominante en considérant à la fois les barrières à l’entrée constituées par les effets de
réseaux propres à l’industrie et le fait que les pratiques en question relèvent d’une stratégie
de levier depuis le marché des systèmes d’exploitation pour PC, sur lequel MS détient une
position quasi-monopolistique (Prieto, 2007). Elle a de ce fait considéré les protocoles
d’interface comme nécessaires à la viabilité de toute offre alternative dans la mesure où
même si Windows n’était pas encore le standard du marché, il était appelé à le devenir quasi
inexorablement. En d’autres termes, même si la stratégie de MS n’avait pas pour effet
immédiat d’éliminer la concurrence, celle-ci induisait un risque significatif en ce sens
(Gyselen, 2005).
La Commission a considéré que de telles pratiques avaient freiné l’innovation dans le
secteur et s’étaient faites au détriment des consommateurs, pénalisés au niveau des prix, de
la liberté de choix et du ralentissement du rythme de développement des nouvelles
fonctionnalités. Pour celle-ci, le refus de MS était donc bien de nature à empêcher ses
concurrents de « développer des versions plus avancées de leurs propres produits ». La
décision Microsoft de 2004 conduit donc à s’écarter encore plus du test du nouveau produit
introduit par l’arrêt Magill27. Une telle approche rend compte du fait que l’innovation peut ne
pas seulement se traduire par l’apparition d’un bien ou service inédit mais par une évolution
continue des produits (Prieto, 2007). Outre une sanction de près de 500 millions d’euros28, la
Commission avait notamment enjoint Microsoft de fournir à ses concurrents des informations
relatives à l’interopérabilité et d’en autoriser l’usage pour le développement et la distribution
de produits concurrents aux siens sur le marché des systèmes d’exploitation pour groupes
de travail. En d’autres termes, Microsoft est dans l’obligation de transmettre à ses
concurrents les spécifications de ses protocoles de communication de client à serveur et de
serveur à serveur29.
La décision de la Commission fut en grande partie confirmée par le TPICE en septembre
2007. Celui-ci a précisé à la fois les natures des obligations pesant sur Microsoft en matière
d’accès des tiers aux protocoles d’interface30 mais aussi la position européenne en matière
hausse de la part de marché de son propre système d’exploitation (SE), Windows NT. En dynamique, une telle stratégie de
forclusion peut être efficace. Dans une logique relevant d’une stratégie de prédation, la firme de Redmond a renoncé à court
terme à des revenus liés aux royalties pour décourager les concepteurs d’applications à développer au profit des SE
concurrents (qui du fait de la fermeture apparaissent comme condamnés) pour augmenter la qualité de son propre SE aux yeux
des utilisateurs et donc sa part de marché. A terme, les pertes consenties pourront être récupérées via le pouvoir de monopole
acquis sur les SE serveurs. Il s’agit donc d’un investissement en pouvoir de marché dans l’espace et dans le temps. La
Commission et le Tribunal ne sont pas attaché à cette question, dans la mesure où les tests dérivés des affaires Magill et IMS
suffisaient à conduire à une licence obligatoire. Cependant, il existe du point de vue économique une différence essentielle
entre le fait de refuser l’accès à un actif donné à l’occasion d’une première demande ou de mettre un terme à une fourniture
(Shapiro, 2005). Dans le second cas, il peut s’agir d’une stratégie de hold-up, particulièrement préjudiciable en termes
d’incitations à l’innovation (Lévêque, 2007). Notons, enfin, que le cas de Microsoft s’apparente en l’espèce au cas traité par la
Cour Suprême dans l’affaire Aspen Skiing. Il convient de s’interroger ici sur le rôle réel de la théorie des facilités essentielles
dans l’affaire Microsoft. N’aurait-il pas été plus efficace de retenir un abus de position dominante par l’intermédiaire d’une
stratégie de levier ou même plus directement une pratique prédatrice ? Peut-être que la difficulté de caractériser cette dernière,
et notamment de démontrer l’existence d’une intention prédatrice (Kirat et Marty, 2007), a conduit les autorités européennes à
ne pas s’appuyer sur ce motif.
27
Relevons que la décision de la Commission dans l’affaire Microsoft a précédé de quelques semaines l’arrêt IMS. Si
l’effacement du test du nouveau produit s’est traduit par la disparition du test de la nouveauté introduit par Magill (une très faible
substituabilité de la demande), il n’est pas acquis que cette évolution ne se traduise par un surcroît d’insécurité juridique. En
effet, la nouveauté s’avère en fait très difficile à définir dans les faits (Lévêque, 2008).
28
Notons que le recours formé par MS ne portait pas sur la sanction financière prononcée par la Commission mais sur les
seules mesures correctives qui lui était imposées (Prieto, 2007), ce qui tend à démontrer le faible effet dissuasif des amendes
sur les comportements concurrentiels des firmes (Deschamps et Marty, 2006).
29
TPICE arrêt du 17 septembre 2007 dans l’affaire Microsoft Corporation c/Commission (affaire T- 201/04), Communiqué de
Presse n° 63/07.
30
Il n’est pas exigé de MS qu’il donne accès à son code source, ce qui permettrait alors à ses concurrents de cloner son
système d’exploitation. Il est d’ailleurs à relever que la Commission a d’emblée considéré que ces derniers étaient effectivement
couverts par des DPI, ce qui constitue le cas de figure le plus favorable au défendeur. Il n’en demeure pas moins, comme nous
- 10 -
d’application de la théorie des facilités essentielles, lesquelles confirment l’idée selon
laquelle un opérateur dominant a des obligations particulières en termes de préservation
d’une structure de concurrence effective, a fortiori si la pérennité de celle-ci est mise en
cause par des pratiques abusives. Le Tribunal confirme la position communautaire en
matière de licences obligatoires : « Bien que les entreprises soient en principe libres de
choisir leurs partenaires commerciaux, un refus de livrer émanant d’une entreprise en
position dominante peut, dans certaines circonstances, constituer un abus de position
dominante ».
Les trois critères permettant de conclure à une attitude constitutive d’un abus de position
dominante, dégagés par la jurisprudence à partir des affaires Magill et IMS sont réunis, ainsi
que l’absence de justification objective au refus de licence. De plus, le Tribunal considère
que l’absence d’interopérabilité est de nature à empêcher les concurrents de Microsoft de
s’opposer à ce dernier sur un pied d’égalité et de commercialiser leurs produits de façon
viable sur le marché. Ainsi, l’attitude de la firme de Redmond a eu pour effet, selon le
Tribunal, de renforcer sa position et est de nature à compromettre la pérennité des firmes
concurrentes. Ce faisant quand bien même aucun nouveau produit n’était en cause, le
TPICE considère que le refus de MS est constitutif d’un abus de position dominante dans la
mesure où il limite le développement technique au détriment des consommateurs (article 82
– 2b du Traité), à la fois de façon directe et indirecte, en portant atteinte à la pérennité de la
structure de concurrence effective. De plus, MS n’a pas été en mesure, selon le Tribunal, de
démontrer que la divulgation d’informations relatives à l’interopérabilité pourrait amoindrir ses
incitations à innover.
Il convient, en effet, de s’attacher aux effets incitatifs qui dérivent tant de l’obligation
d’accorder une licence à un concurrent – ce qui réduit d’autant l’avantage compétitif dont
dispose l’innovateur – que de la fixation même de la redevance d’accès. Celle-ci ne doit être
ni excessive sous peine d’évincer toute concurrence et donc, à la limite, de figer l’économie
dans une configuration de marché ex ante, ni trop faible au risque d’anéantir l’intérêt
qu’aurait le détenteur de la ressource essentielle à effectuer les opérations de maintenance
et autres mises à jour nécessaires tout en favorisant l’entrée de firmes inefficaces sur le
secteur. Autrement dit, la détermination de ce tarif d’accès répond à un arbitrage entre le
développement du processus concurrentiel d’une part et le maintien des incitations à innover
pour le titulaire de la ressource essentielle d’autre part. Il s’agit donc de fixer celle-ci à un
niveau raisonnable (Lévêque, 2004), ce qui est d’autant plus difficile que la décision
appartient au juge qui opère dans un contexte d’asymétrie informationnelle31 et qu’à l’inverse
de la situation qui prévaut dans le cadre des infrastructures physiques, il n’existe pas de
règle économique rigoureuse permettant de fixer celui-ci à partir des coûts (Baumol & Sidak,
1994).
A ce titre, le prix auquel les tiers peuvent accéder à la facilité essentielle s’avère la variable
déterminante d’un tel compromis. L’absence d’évaluation par la Commission des DPI portant
sur les protocoles d’interface pose en effet la question de la fixation de la redevance à un
montant raisonnable. De ce dernier procède la balance entre les effets incitatifs de la licence
obligatoire entre le détenteur de l’infrastructure essentielle et ses concurrents qui demandent
l’accès. Comme le relève Lévêque (2008), les effets sont significativement différents dès lors
que la Commission fixe ceux-ci à 0,4% du montant des produits des licenciés et non à 5,95%
comme l’exigeait initialement MS. De la même façon, l’absence d’examen des droits peut
le verrons infra, que l’absence d’évaluation de la validité et de l’étendue de ses derniers ne va pas sans poser de difficultés en
matière de fixation du montant de la redevance (Lévêque, 2008).
31
Dans une optique de réduction de ces asymétries informationnelles, il convient de signaler l’un des aspects les plus innovants
de la décision de la Commission de 2004. Un expert indépendant chargé de veiller au respect des engagements
comportementaux de MS, fut désigné dans un premier temps. Cette décision fit pourtant l’objet d’une annulation par le TPICE
en septembre 2007, dans la mesure où la Commission n’est pas habilitée à contraindre MS à concéder de tels pouvoirs à un
tiers et qu’elle ne peut imposer à cette dernière de supporter les coûts liés à l’activité de ce dernier. Ceci pose la question de la
capacité des autorités de la concurrence européenne à imposer des engagements comportementaux…
- 11 -
susciter une interrogation quant au rôle même du juge de la concurrence. En effet, la
question du partage ou de l’accès est logiquement reliée à l’investissement initialement
consenti par le titulaire des DPI (Tirole, 2005). Par exemple, si IMS Health s’est simplement
basée sur les codes postaux, ses « investissements » sont minimes et ne justifient pas
d’empêcher les tiers d’utiliser son découpage ou de leur imposer des royalties élevées. Il est
donc nécessaire d’évaluer l’investissement réalisé mais aussi la validité même des DPI, ne
serait-ce que pour « constituer une sorte de contre-pouvoir aux offices des brevets » (Tirole,
2005), dont les conditions d’acceptation sont pour le moins diverses de part et d’autre de
l’Atlantique.
Il apparaît en tout état de cause qu’en l’absence d’un cadre théorique rigoureux, les titulaires
d’une facilité essentielle ne peuvent prévoir à l’avance la tarification qui pourrait leur être
imposée par les autorités de la concurrence avec assez de précision. Cette insécurité
juridique, mettant en cause la prévisibilité des flux de ressources futurs liés à
l’investissement en recherche-développement, peut en effet peser sur les incitations à
innover des détenteurs d’une facilité essentielle dans la mesure où ils ne sont pas sûrs de
tirer profit de leurs efforts de productivité. De telles incertitudes pesant tant sur l’obligation
d’accès que sur la tarification de celle-ci sont susceptibles de créer une insécurité juridique
pour l’innovateur et ouvrir, du fait des incertitudes qui prévalent quant à la décision des
tribunaux, la voie à des comportements stratégiques de la part de concurrents. Des
poursuites opportunistes pourraient être engagées sur la base de demandes d’accès à des
droits de propriété intellectuelle conçus comme des facilités essentielles. En ce sens, les
réticences des autorités américaines de la concurrence à user de cette théorie en matière
d’intangibles apparaitraient comme un frein à de telles stratégies.
Il n’en demeure pas moins qu’une logique de licences obligatoires ne va pas totalement à
l’encontre de la logique de la protection de la propriété intellectuelle. Celle-ci vise à la fois à
produire des incitations à l’innovation, en permettant à l’innovateur de rentabiliser ses
investissements passés, et à encourager la diffusion des connaissances au sein de la
Société (Mackaay & Rousseau, 2008). L’innovation a en effet un caractère cumulatif. La
diffusion des connaissances induit par la propriété intellectuelle a notamment pour effet de
favoriser les innovations de filiation32. Une protection absolue et infinie des DPI nuirait au
bien être social sur le long terme en entravant l’ensemble des innovations qui reposerait sur
des innovations précédente. En ce sens, une politique de licences obligatoires constitue une
recherche de compromis entre la préservation des intérêts de l’innovateur individuel et de
ceux de la Société dans son ensemble. Il est cependant possible de s’interroger quant aux
nombreux cas de demandes d’accès à des DPI adressées aux autorités de la concurrence
tant communautaires que nationales. Il s’agit d’opérer une distinction entre des saisines
visant à prévenir une éviction du marché et des saisines visant à nuire à un concurrent plus
efficace ou à obtenir des contreparties (partage de rentes) pour un éventuel retrait de celleci.
III – L’utilisation stratégique du droit de la concurrence
Après avoir présenté, dans un premier temps, l’affaire ayant opposé VirginMega à Apple en
2004 qui pourrait potentiellement constituer un exemple communautaire de demande
d’accès stratégique à un DPI, nous mettrons en exergue un certain nombre de stratégies
détournant le droit de la concurrence de son but premier de promotion de la concurrence
vers la protection des concurrents. Ainsi, comme le suggérait A. Goolsbee (2006), il revient
aux institutions dans leur ensemble « de pénaliser les entreprises néfastes aux
32
Autant la Commission pourrait se voir reprocher de favoriser une approche statique de la concurrence à l’inverse de l’antitrust
américain, autant il apparaît qu’elle privilégie une approche dynamique de l’innovation, en réduisant la protection des
innovations déjà réalisées au profit des innovations futures et donc de la promotion de la diversité des choix des
consommateurs (Prieto, 2004).
- 12 -
consommateurs et non celles qui réussissent en créant de meilleurs produits ». Dès lors,
nous pouvons légitimement nous demander si, dans un cadre jurisprudentiel incomplet, ces
mêmes institutions n’ouvrent pas une boîte de Pandore dans laquelle les firmes les moins
efficientes pourraient trouver un levier d’action juridique leur permettant, sinon de contester
les DPI détenus par l’opérateur dominant, au moins de l’entraver suffisamment pour opérer
une stratégie de rattrapage.
A la fin des années quatre-vingt-dix, le téléchargement de musique en ligne se développait
sous la forme d’échanges bilatéraux (et illégaux) de fichiers (peer to peer, ou P2P),
notamment dans le cadre de logiciels tels que Napster, Kazaa ou encore Audiogalaxy. Face
aux risques induits pour l’industrie du disque, il s’agissait de concevoir un cadre de
téléchargements de musiques et de vidéos en ligne, légal et profitable, qui pourrait remporter
l’adhésion des internautes. Le comportement stratégique ingénieux d’Apple lui a permis de
progressivement s’imposer sur ce marché naissant. En effet, la firme américaine a su se
positionner sur ce segment de marché naissant très tôt (sa plateforme de téléchargement
iTunes fut lancée dès janvier 2001, son lecteur numérique portable iPod suivit dès le mois
d’octobre de la même année). Ainsi l’iPod s’est-il imposé comme un standard sur le marché
des lecteurs numériques.
Cependant, la position d’Apple sur le marché a donné lieu à des actions en justice de
concurrents sur la base d’accusations d’abus de position dominante, notamment fondées sur
l’absence d’interopérabilité liée au système de protection des fichiers adopté par Apple
(Fairplay) et qui lui est spécifique (Barnett, 2006). Les concurrents d’Apple souhaitent
notamment que ce dernier garantisse l’interopérabilité tant d’iTunes que de l’iPod,
notamment en ouvrant son système de protection des droits (DRM33 – Digital Right Manager
ou MTP – Mesure Technique de Protection). Afin d’analyser les enjeux posés par de telles
actions concurrentielles auprès d’une firme innovatrice sur la base d’une exigence
d’interopérabilité, il est possible de s’appuyer sur une décision française de novembre 2004
émanant du Conseil de la Concurrence.
Le 28 juin 2004, le Conseil de la concurrence fut saisi par la plateforme de téléchargement
de musique en ligne VirginMega34 d’une demande d’accès au système de protection des
droits des fichiers musicaux d’Apple au titre de mesures conservatoires. Le refus d’Apple
d’accepter l’interopérabilité était considéré par la filiale du groupe Lagardère comme la
manifestation d’un abus de position dominante. En l’espèce, si un fichier musical est acheté
sur la plateforme VirginMega, il est impossible de le lire directement sur un baladeur iPod
dans la mesure où les systèmes de DRM sont incompatibles. En effet, alors qu’Apple utilise
son propre système, FairPlay, Virgin utilise le DRM 10 de Microsoft. Pour ne pas se priver de
la clientèle équipée d’iPod, le site de téléchargement VirginMega a demandé à Apple de
bénéficier, moyennant le paiement d’une redevance, d’une interopérabilité avec FairPlay
pour pouvoir proposer des fichiers lisibles sur iPod. Le refus d’Apple d’accorder une telle
licence a provoqué la saisine du Conseil de la Concurrence. Du point de vue de VirginMega,
l’interopérabilité avec FairPlay constitue une condition nécessaire au développement de son
offre. Elle demande donc un accès au DRM d’Apple au moyen de mesure conservatoire. Le
Conseil de la Concurrence a donc eu à trancher sur l’éventuel caractère de facilité
essentielle de FairPlay35. VirginMega considérait, en effet, que l’absence d’interopérabilité et
le refus de licences pour permettre de proposer des fichiers dans l’ensemble des formats
participait à une stratégie de levier visant à étendre la position dominante occupée par Apple
33
Les techniques DRM de gestion des droits numériques permettent de protéger les droits de propriétaires de contenus et
d’empêcher des utilisations illégales de ceux-ci, en l’occurrence des copies illicites. Un DRM est donc un outil technique
permettant, entre autres, de limiter les possibilités de copie et/ ou d’écoute des fichiers vidéo ou musicaux. Si la récente loi sur
les droits d’auteurs de l’automne 2006 préconise une interopérabilité totale des DRM, il existe différents systèmes concurrents.
34
La plateforme française de téléchargement fut lancée en fin de premier semestre 2004, soit quelques mois après l’arrivée
d’iTunes Music Store en France.
35
Conseil de la Concurrence, décision n°04-D-54, en date du 9 novembre 2004, relative à des pratiques mises en œuvre par la
société Apple Computers Inc. dans les secteurs du téléchargement de musique sur Internet et des baladeurs numériques.
- 13 -
sur le marché des baladeurs avec l’iPod vers le marché des plateformes de téléchargement
en ligne, sur lequel Apple détenait déjà une position solide avec iTunes Music Store.
Il est tout d’abord intéressant de souligner que le Conseil n’a pas retenu une position
dominante détenue par Apple, du fait de son statut de firme verticalement intégrée, sur trois
marchés interconnectés. En effet, si le DRM 10 de Microsoft était effectivement plus répandu
(du fait de sa meilleure flexibilité), iTunes ne fut pas reconnu comme portail de
téléchargement dominant, malgré ses 75% de part de marché, du fait de la nouveauté du
marché, de sa volatilité et de l’existence de nombreux entrants potentiels (barrières à l’entrée
faibles). Quant à la position de marché de l’iPod, celle-ci varie fortement selon que l’on
adopte, à l’instar des plaignants, une vision très restrictive du marché pertinent (baladeurs
numériques sécurisés à disque dur), ou à l’instar du défendeur une vision très étendue
(l’ensemble des baladeurs numériques). Toujours est-il que le Conseil n’a pas retenu
l’existence d’une position dominante en s’appuyant à la fois sur les constantes évolutions de
spécifications et des tarifs de l’iPod en fonction des contraintes de marché et sur la forte
turbulence concurrentielle et technologique de l’industrie.
Etait-il pour autant possible de contraindre Apple à ouvrir l’accès de son système de DRM
sur la base de la théorie des facilités essentielles ? Pour répondre à cette interrogation, le
Conseil appliqua le test qui dérivait des décisions Magill et IMS. Selon ce dernier, un refus
d’accès est abusif s’il entrave la mise sur le marché d’un nouveau produit à même de
satisfaire une demande potentielle, s’il n’a pas de justification technique ou encore s’il a pour
conséquence de supprimer (ou de prévenir) toute forme de concurrence sur un marché
connexe.
Dans le cas d’Apple, le Conseil n’a pas retenu le caractère de facilité essentielle à la faveur
de trois arguments. Tout d’abord, le transfert des fichiers vers des baladeurs numériques, au
centre de l’accusation de mise en œuvre de stratégie de levier, ne pouvait être considéré
comme le mode prédominant d’usage des fichiers téléchargés au moment de la décision36.
Ensuite, il est possible, pour un surcoût modique (3%) et sans difficulté technique
insurmontable, de contourner l’absence d’interopérabilité, en gravant le fichier sur un CD, en
l’enregistrant au format MP3 et en le re-transférant vers un autre type de baladeur. Enfin,
Apple n’avait alors accordé aucune licence, du fait des surcoûts induits par l’octroi de
licence. Celui-ci mettait en exergue le fait que si le DRM était licencié, il ne serait plus
possible de procéder à la correction en continu des failles de sécurité. Il serait nécessaire de
contrôler l’ensemble des licenciés sur la question de la sécurité, ce qui est extrêmement
coûteux et potentiellement porteur de risques eu égard aux contrats liant Apple aux
fournisseurs de contenus. Dès lors, et à la lumière même du test européen, la demande de
mesures conservatoires de Virgin ne pouvait être retenue. Autrement dit, le Conseil ne
pouvait qualifier FairPlay de facilité essentielle dans la mesure où il est possible de trouver
des substituts dans des conditions économiques et techniques réalistes, que le refus d’accès
ne se traduit pas par une élimination de la concurrence, et enfin qu’il n’existe pas de lien de
causalité avéré entre la position dominante d’Apple avec l’iPod et les risques sur la
concurrence dans le domaine des plateformes de téléchargement.
Cette affaire est riche d’enseignements pour les politiques de concurrence dans la mesure
où elle permet de mettre en relief les possibles utilisations stratégiques du droit concurrence.
Il convient en effet de noter que les plaintes émanent souvent de firmes aux prises avec une
entreprise dominante bénéficiant d’un net avantage technologique. Or, comme la Cour
Suprême américaine l’avait souligné dans ses décisions Brown Shoes de 196237 et Brooke
de 199338, la politique de la concurrence vise à la protection de la concurrence et non à celle
des concurrents. Cependant, il convient de prendre en compte le risque d’actions en justice
36
Fin 2004, il ne concernait que 15 % des fichiers achetés.
Brown Shoes Co v United States, 370US294, 320, 1962.
38
Brooke Group Ltd v Brown & Williamson Tobacco Corp, 509US209, 224, 1993.
37
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stratégiques de la part des concurrents, soucieux d’instrumentaliser les politiques de
concurrence pour préserver leurs positions. Ceci pose notamment la question de la définition
des dispositifs institutionnels les plus à même de minimiser les risques de chicane judiciaire,
la question de l’interopérabilité et des licences forcées posent de réelles difficultés aux
autorités de la concurrence. Il s’agit de s’interroger sur la compatibilité des politiques de
concurrence avec le maintien et le développement des incitations à innover. En effet, il n’est
pas acquis que les autorités en charge de la concurrence soient les plus qualifiées pour
décider des standards qui prévaudront sur le marché (Barnett, 2007a)39. Les incitations de
marchés ont déjà obligé Apple à consentir à accroître l’interopérabilité de ses produits (ports
USB 2.0, compatibilité PC) et il est assez difficile de se prononcer sur l’opportunité pour une
firme de faire de sa technologie un standard du marché.
Les possibilités de poursuites stratégiques sont renforcées multiples difficultés que
connaissent les autorités de la concurrence pour traiter les litiges relatifs à des pratiques
anticoncurrentielles supposées mettant en cause l’accès à des actifs intangibles. Les
incertitudes entourant la notion peuvent être saisies comme des opportunités d’actions
stratégiques dans la concurrence entre firmes. Autrement dit, il semble nécessaire que cette
théorie soit rigoureusement encadrée par les autorités compétentes sous peine de voir se
multiplier les plaintes émanant de firmes opportunistes prétextant que la ressource détenue
par une firme concurrente est essentielle au maintien du processus concurrentiel sur un
marché donné.
Il existe donc un risque potentiel de détournement des politiques de la concurrence pour
nuire à la concurrence elle-même (Baumol & Ordover, 1985). En d’autres termes, lorsqu’une
ou plusieurs firmes sont sur le point de céder des parts de marché au profit d’une entreprise
innovatrice, la nature même du droit de la concurrence en fait un instrument des plus
attractifs pour ces firmes afin de remettre en question le monopole temporaire pourtant
obtenu grâce à l’efficience du processus de production de la firme innovatrice en question.
Certaines entreprises peu scrupuleuses peuvent voir en ces recours en justice un ultime
moyen, non pas de faire valoir leurs droits, mais au contraire de détourner les règles de la
concurrence pour nourrir leurs intérêts propres. Les autorités de la concurrence, qui opèrent
dans un contexte d’information incomplète et imparfaite, font face à un risque de seconde
espèce non négligeable.
De telles situations sont, en effet, constitutives de risques dits de première (ne pas
sanctionner à tort un refus abusif) et de seconde espèces (sanctionner à tort un refus de
licence légitime). De tels risques, caractéristiques d’une insécurité juridique pour les
opérateurs économiques, peuvent être analysés au moyen de la théorie de l’incomplétude
du droit (Xu & Pistor, 2002). Suivant cette approche, il existe une incertitude ex ante quant à
l’application de la loi. Celle-ci peut venir de termes par trop vagues ou de l’impossibilité dans
laquelle sont les agents économiques à anticiper sans erreur les décisions que pourront
prendre les tribunaux. Dari-Mattiaci et Deffains (2006) préfèrent à la notion d’incomplétude
du droit, difficilement admissible pour les juristes, celle d’incertitude juridique, plus proche de
la catégorie de l’insécurité juridique. L’ambiguïté quant à l’interprétation des termes de la
législation et quant à ses modalités effectives d’application est susceptible de susciter non
seulement des décisions de justice susceptibles d’être renversées en appel, mais aussi de la
part des agents économiques, des anticipations inadéquates quant à celles-ci. Ce faisant,
une entreprise désireuse de s’engager dans des nuisance suits trouverait un terrain
particulièrement favorable pour renforcer l’insécurité juridique autour de la firme
39
Notons que la fixation des standards techniques peut donner lieu à des pratiques anticoncurrentielles comme en atteste
l’affaire Rambus aux Etats-Unis. En 2006 la FTC avait conclu (notons que la décision a été annulée en appel) que Rambus,
firme spécialisée dans le développement de composants électroniques, avait sciemment dissimulé, dans le cadre d’un
processus de standardisation technique, l’existence de droits de propriété intellectuelle qu’il détenait pour pouvoir menacer
ensuite les fabricants de produits normalisés de poursuites en contrefaçon pour négocier ensuite en position de force les
redevances (Liotard, 2008).
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défenderesse. Les difficultés liées au déficit informationnel de l’autorité de concurrence
concernent sa capacité à statuer sur un niveau de redevance raisonnable mais aussi en
premier lieu à définir une technologie donnée comme « standard du marché » ou comme
facilité essentielle. L’ensemble de ces difficultés informationnelles sont ainsi susceptibles de
donner prise à des poursuites opportunistes40.
En effet, les firmes ont à leur disposition tout un panel de stratégies leur permettant de tirer
profit du droit de la concurrence (McAfee & Vakkur, 2005). Dans un environnement très
concurrentiel, elles se doivent de les maîtriser car cela leur procure un avantage direct
(utilisation à des fins personnelles), mais leur permet également de se prémunir de
l’utilisation de celles-ci par des firmes rivales, ou encore de se préserver d’éventuelles
poursuites étatiques. En d’autres termes, la maîtrise du cade légal devient une arme
stratégique indéniable au même titre que la veille informationnelle pour obtenir un avantage
concurrentiel.
Parmi ce large éventail de tactiques, une est particulièrement intéressante dans la mesure
où elle témoigne d’une certaine volonté stratégique (mue uniquement par des intérêts
d’ordre privé) des firmes de détourner le droit de la concurrence de son but originel de
promotion et de renforcement de la concurrence. Le droit est alors instrumentalisé en vue
d’entraver le processus de compétition économique lui-même. Il s’agit par exemple de priver
l’innovateur d’une partie de sa rente. Les recours juridiques infondés peuvent constituer un
levier stratégique à disposition des firmes pour entraver la firme dominante et réduire son
avantage compétitif, par exemple en augmentant ses coûts (Rasmussen, 1998). De telles
poursuites suscitent tout d’abord des frais additionnels pour la firme défenderesse. De plus,
de tels contentieux peuvent compromettre la profitabilité, le cours de bourse et la notoriété
du leader. Engagés dans le procès, ce dernier risque en outre d’être obligé d’allouer
inefficacement ses ressources pour les réorienter vers sa défense et non plus vers des
investissements productifs. La firme subira d’autant plus de coûts et sera d’autant plus
encline à accepter une transaction, pour obtenir un retrait de la plainte, que la charge de la
preuve lui incombera (et que le standard de cette dernière sera élevé). Il est d’ailleurs à
relever que le cadre institutionnel américain se révèle plus favorable au défendeur dans la
mesure où l’arrêt Verizon a conduit à une inversion de la charge de la preuve en matière de
justification du refus d’accès41. Dorénavant, la démonstration que le refus d’accès ne repose
pas sur des éléments objectifs doit être faite par le plaignant.
Quoiqu’il en soit, la décision d’engager des poursuites ne repose pas seulement sur la prise
en considération des coûts mais aussi sur l’espérance de gains. Une firme désireuse
d’entamer des poursuites opportunistes peut tout d’abord considérer que le flou
jurisprudentiel accompagnant la notion de facilité essentielle peut conduire soit à une issue
favorable à sa demande, soit à une proposition de transaction de la firme défenderesse
soucieuse de mettre fin à une situation d’insécurité juridique. Elle peut aussi espérer
bénéficier de mesures conservatoires pour neutraliser l’avantage compétitif de son
concurrent. Le principe même des mesures conservatoires que les autorités peuvent
prononcer à l’encontre de la firme innovatrice en attendant le jugement définitif de l’affaire
40
Il convient aussi de souligner que l’application de la théorie des facilités essentielles aux DPI n’est pas le seul point de tension
entre politiques de concurrences et politiques de propriété intellectuelle. Des décisions récentes de la Cour Suprême ont eu
pour effet de contrecarrer d’éventuelles utilisations stratégiques de ces droits, qu’il s’agisse de patent trolls, de « brevets sousmarins » ou plus simplement de stratégies visant à étendre ou accroître la durée de la protection accordée par la propriété
intellectuelle (Mackaay et Rousseau, 2008). D’une part, l’arrêt KSR v. Teleflex a eu pour effet d’imposer des règles plus strictes
en matière de dépôt des brevets (KSR International Co vs Teleflex Inc, Cour Suprême, 30 avril 2007, n° 04-1350).De la même
façon, dans son arrêt eBay v. MercExchange de 2006 (MercExchange v. eBay, 15 mai 2006, n° 05-130), la Cour a adopté une
position lui permettant de prévenir l’usage de DPI comme des barrières à l’entrée, en modulant ses injonctions pour obtenir un
compromis optimal entre respect des droits de l’innovateur et intérêt à long terme de la collectivité. Une poursuite basée sur la
violation d’un brevet peut ne plus se traduire obligatoirement par une injonction interdisant l’usage contesté. Une règle
d’indemnisation peut se substituer à une règle d’interdiction pour favoriser le développement d’innovations ‘substantielles’ qui
seraient le cas échéant entravées par le strict exercice des droits de propriété intellectuelle.
41
Par exemple, dans le cadre de l’arrêt Kodak de 1992 (Image Technical Services v. Eastman Kodak Co. US Supreme Court,
504 US 451 (1992), la charge de la preuve incombait au défendeur.
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sur le fond en fait un biais des plus attractifs pour des entreprises dépassées par le
processus de marché42. Ce faisant, cela revient à suspendre temporellement l’avantage
concurrentiel dûment acquis par l’innovateur ce qui peut donner aux entreprises plaignantes
le temps nécessaire pour combler tout ou partie de leur retard. Le temps de l’instruction va
d’ailleurs jouer comme une variable essentielle, assimilable à un coût, dans la mécanique de
résolution des conflits, lequel pourrait conduire les firmes à privilégier des transactions pour
obtenir des retraits de saisines.
Pour s’ affranchir de ces risques d’utilisation stratégique du droit de la concurrence par
l’instrumentalisation de la doctrine des facilités essentielles, trois principes fondamentaux
devraient prévaloir selon Ph. Areeda, (1998). En premier lieu, une obligation faite au
monopoleur détenteur d’une ressource essentielle de partager son utilisation avec des tiers
ne devrait être qu’exceptionnelle, en particulier lorsque le monopole n’est pas le fruit d’une
entente mais d’un effort innovateur de son titulaire. En deuxième lieu, il convient de
s’attacher au fait qu’à supposer que preuve ait été apportée de la nécessité incontournable
pour le plaignant de recourir à l’utilisation de la ressource concernée, vérification devrait être
faite que l’objectif visé n’est pas le simple partage de la rente de monopole. L’obligation de
libre accès ne devrait être enjointe que si elle est de nature à vivifier la concurrence et à
améliorer l’efficience. Enfin, en toute hypothèse et à condition que ces conditions soient
réunies, le refus d’accéder à la demande d’un tiers ne devrait jamais être considéré comme
illégal en soi et n’être condamné qu’en raison de la preuve dûment apportée de l’intention
prédatrice du monopoleur.
Conclusion
Il apparaît que les recommandations de Ph. Areeda doivent nous alerter quant à la nécessité
d’encadrer rigoureusement l’application de la théorie des facilités essentielles aux actifs
intangibles sous peine de risquer une multiplication de demandes d’accès infondées faisant
écho aux stratégies présentées en amont, et in fine d’affecter la dynamique innovatrice de
tout un secteur. Or, parmi les défaillances de marché que les politiques de concurrence ne
sauraient corriger, figurent au premier rang la faiblesse des incitations qui s’exercent sur les
firmes pour s’engager dans des investissements innovants, particulièrement risqués et
supposant des délais de récupération des capitaux investis extrêmement longs.
En effet, l’innovation entretient des rapports pour le moins conflictuels avec la concurrence.
Ex post, elle a pour effet de bouleverser les structures de marché et donc de créer des
rendements croissants qui justifieraient, dans le cadre d’une approche purement
structuraliste, une intervention des autorités de la concurrence pour remédier à cette position
dominante. L’innovation couronnée de succès se traduit par l’apparition d’un pouvoir de
marché transitoire. Cependant, la possibilité même de ce dernier conditionne ex ante le
lancement par les firmes d’investissements coûteux et extrêmement risqués du fait de
l’incertitude radicale qui prévaut quant à leur réussite (Gaffard & Quéré, 2006). Or, la
concurrence parfaite ne saurait à elle seule fournir les incitations idoines aux innovateurs
dans la mesure où elle aboutit à l’absence de surprofit (Schumpeter, 1942). L’investissement
est lié à l’anticipation d’un certain pouvoir de marché, lequel ne doit pas être remise en
cause par les politiques de concurrence, bien que celles-ci doivent trouver un compromis
avec la préservation des intérêts des autres acteurs de l’économie.
Références
42
Il convient cependant de rappeler que des mesures conservatoires ne peuvent être prononcées que s’il existe un risque
significatif d’un préjudice grave et irréversible pour l’économie.
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