Marie de Hennezel Enjeux du vieillissement de la population

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Marie de Hennezel Enjeux du vieillissement de la population
Marie de Hennezel
Enjeux du vieillissement de la population
Défi et responsabilité
Nous allons vivre plus longtemps. La question du vieillissement de la population porte avec elle la
peur du fardeau que représenterait un glissement collectif de toute une génération dans la
"dépendance". Les jeunes générations s'en inquiètent. Auront-ils les moyens financiers et humains
d'être solidaires de leurs aînés? De leur côté, les seniors d'aujourd'hui disent ne pas vouloir "peser sur
leurs enfants". Ils sont donc confrontés à un défi : prendre à bras le corps leur vieillissement pour en
faire une expérience féconde, et une responsabilité : changer l'image du vieillir dans notre société,
montrer à leurs enfants qu'il est une façon de vieillir qui a du sens, qui recèle ses propres joies, et leur
transmettre l'exemple d'une maturité heureuse.
La question du poids que la génération des baby boomers risque de représenter pour la société et les
générations plus jeunes est donc au centre d'une inquiétude commune : en vieillissant, serons nous un
fardeau ou une chance pour nos enfants ?
La génération X, celle des enfants des boomers, vit la crise actuelle, celle dont on parle tant dans les
médias, au sens où Myriam Revault d'Allones la définit dans son ouvrage « la crise infinie ». Une
inquiétude permanente face à un avenir incertain. Ils ont beaucoup de difficultés à envisager leur
avenir, dans un contexte sociétal assez dépressif, comme le soulignait récemment le médiateur de la
république, et sont donc en attente de repères.
C'est ce qu'a confirmé l'enquête qu'Edouard de Hennezel a mené auprès d'une trentaine d'hommes et de
femmes de sa génération. Les 35-45 ans sont très critiques vis à vis de leurs parents et d'une génération
qui leur lègue une dette colossale, une croissance zéro, bref un monde dans lequel ils peinent à trouver
du travail et à construire leur avenir.
Ils reprochent, être autre, à cette génération qui a fait sauter beaucoup de tabous d'en avoir crée un
nouveau : le tabou de la dépendance. Beaucoup se plaignent que leurs parents n'abordent jamais avec
eux ce qu'ils souhaiteraient, s'il devenaient un jour trop fragiles pour subvenir seuls à leurs besoins.
Dans quel établissement aimeraient-ils aller ? Préfèreraient-ils rester chez eux ? Ils ne veulent en aucun
cas être confrontés aux situations dont ils ont été témoins, quand un grand parent a dû être « placé » en
institution, contre son gré. La violence et la culpabilité qu'engendrent ce type de situations, ils n'en
veulent pas !
Mais au delà des critiques, on sent une immense attente vis à vis de parents confrontés, eux aussi, à une
autre forme de crise, celle de la scénessence. Comment cette génération, qui s'est bâtie sur des valeurs
d'autonomie et de maîtrise va t'elle aborder cet âge de la vie, où il faut progressivement vivre
autrement, lâcher prise, accepter de diminuer sur un certain plan, pour grandir sur un autre?
Le défi est donc de prendre du recul face à l'interdit de vieillir qui nous est signifié dans le monde de
l'image dans lequel nous évoluons. Accepter de vieillir est un travail de deuil. Le corps vieillit
inéluctablement. Résister au jeunisme n'est pas toujours facile. On peut être dans le déni, vivre l'âge
d'or des seniors sur le mode d'une seconde adolescence. Mais on manque alors la mutation à laquelle le
vieillissement invite. Ce sont souvent ceux qui refusent de vieillir qui deviennent des fardeaux. Nos
enfants le sentent bien, qui ne manquent pas une occasion de railler la « seconde adolescence » de leurs
parents, et de les inviter à plus de maturité.
On peut accepter de vieillir tout en restant porteurs d'énergie et de savoir faire. Actifs autrement.
L'expérience est un atout, et invite à transmettre. Beaucoup d'associations, d'organisations non
gouvernementales humanitaires, de municipalités reposent aujourd'hui sur l'expérience des seniors
bénévoles. Nombreux sont les seniors qui ont saisi l'enjeu de ce défi à relever. Ne pas refuser de vieillir,
puisque vieillir c'est aussi mûrir et s'accomplir : « Tu n'as plus à produire, mais à découvrir le vrai grain
de ta vie » nous dit Michel Serres. Voilà, à la fois le défi et la responsabilité auxquels les jeunes
générations invitent leurs parents. Savoir lâcher les objectifs égotiques propres à la jeunesse et à l'âge
adulte, les ambitions, les constructions de tous ordres, et faire place à une autre façon plus « intérieure
» de vivre et d'aimer.
Les seniors sont ainsi les mieux placés pour transmettre les valeurs dont notre société a besoin dans la
mutation à laquelle elle se prépare. Les valeurs d'effectivité, de rentabilité, de performance ont eu leur
temps. Nous touchons leurs limites, dans un monde où la croissance et le progrès technologique ne
peuvent se développer à l'infini.
La génération de nos enfants nous fait comprendre qu'ils accordent désormais moins d'importance à la
valeur-performance qu'à la valeur-bonheur. Ils veulent que leur travail leur apporte une qualité de vie et
qu'il ait un sens. Ils nous signifient par là même la mutation de société à laquelle leurs parents peuvent
contribuer, s'ils acceptent de vieillir et d'explorer les ressources de l'âge.
En vivant les contre-valeurs de la société jeuniste, les seniors contribuent au changement. Valoriser la
lenteur dans un monde où tout va si vite, la tendresse dans un monde où tout est si dur, le plaisir de la
rencontre dans un monde où les relations sont régies par des rapports de force, la disponibilité dans un
monde sur-occupé, la confiance dans un monde frileux, voilà ce dont le monde de demain a besoin.
Il est urgent, dans la désespérance actuelle, de montrer cet autre visage de la vieillesse, lumineuse et
intéressante, afin qu'en vieillissant nous ne pesions pas de notre mal être sur les jeunes. Imaginons que
demain la vieillesse continue d'être vécue comme un échec à cacher. La tristesse, le désespoir, le
marasme psychique engendrés par cette vision seront effectivement ruineux. Il est donc de notre
responsabilité éthique de nous préparer suffisamment tôt, dans la vie, à bien vieillir, au sens où j'ai
essayé de le définir, afin de transmettre aux générations qui viennent l'image d'un vieillir enviable, avec
sa mission propre. C'est à quoi nous invite Robert Misrahi, qui pense que vivre sa vieillesse de manière
heureuse, c'est ce que nous pouvons transmettre de mieux, « un message de joyeuse maturité » à ceux
qui vivront encore, et qui, lorsqu'ils seront vieux à leur tour, ne manqueront pas de se souvenir qu'il est
une façon de vieillir qui ne pèse pas sur l'entourage mais au contraire l'aide à vivre.

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