séance 2 la photo humaniste

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séance 2 la photo humaniste
Thème 3: La photographie dans le monde contemporain
Séance 2 : La photographie humaniste
PBL : Quelles sont les caractéristiques de la photographie humaniste ?
Document 1 : La nostalgie est toujours ce qu'elle était
La photographie humaniste est née en 1945 d’une double rupture : rupture technique avec les
expérimentations plastiques des années 20 et 30 et rupture sociétale avec la période de l’occupation, de
l’humiliation, de l’épuration aussi. Elle finira en 1968 sur une autre rupture créée par les évènements de mai
qui vont radicalement changer notre regard sur la vie et le monde.
Mais qu’est-ce que la photographie humaniste ? Un courant très divers, sans théoricien, dont les fondateurs
sont Cartier-Bresson, Doisneau et Ronis; un courant qui « privilégie la personne humaine, sa dignité, sa
relation avec son milieu » pour reprendre la définition de la commissaire de l’exposition Laure BeaumontMaillet.
La guerre a ruiné la France qui se reconstruit avec l’aide financière américaine. Mais si le bonheur de
vivre se réapprend, les conflits sociaux sont nombreux et parfois violents, la décolonisation ne se fait pas sans
drames, la guerre froide engendre un sentiment d’insécurité que certains se forcent d’oublier dans une fureur
de vivre excentrique. C’est tout ce kaléidoscope de la société française que la photographie humaniste va
refléter.
Ces photographes qui ont tous une culture artistique vont recevoir l’appui de l’Etat qui, à travers la
Documentation Française ou le Commissariat Général du Tourisme, veut donner de la France une image
flatteuse, effaçant les années noires. Ils seront aussi aidés par la presse, américaine en particulier, qui va leur
commander des reportages et diffuser leur travail. C’est l’image d’une France poétique où l’identité culturelle
et sociale s’affirme à travers un regard bienveillant sans être mièvre, nostalgique sans être triste, poétique et
narquois, généreux et ironique. C’est la France des petites gens, des travailleurs, de la bonne humeur, un peu
celle que les Américains veulent retrouver. Mais c’est aussi la France de la misère et des luttes, le temps où
l’abbé Pierre lance son appel à « l’insurrection de la bonté ».
On photographie les lieux de vie car le décor est aussi important que le sujet. La rue où, avant la
télévision, la vie se fait, le bistrot pour sa convivialité, les quais pour la flânerie, l’usine ou les taudis pour le
constat documentaire. Images de proximité, de simplicité, d’un pittoresque qui ne sait pas encore qu’il va
disparaître. Images de poésie où Cartier-Bresson répond à Aragon, Doisneau à Prévert ou Cendrars tandis
que la mystérieuse Pierrette d’Orient joue de l’accordéon pour Doisneau, là bas à la Villette.
La photographie humaniste a une éthique fondée sur l’absence de voyeurisme ou de sensationnel et le
respect pour la réalité qu’elle révèle, la spontanéité seule garantie de l’authenticité. D’où la polémique qui
naîtra bien plus tard quand Robert Doisneau avouera avoir pris des modèles pour faire sa photo la plus
emblématique, « Le baiser de l’Hôtel de Ville ».
La violence des conflits de cette époque se retrouve aussi dans les critiques qui reprochent à ces
artistes de ne pas dénoncer avec suffisamment de force les injustices sociales et la misère et de se cantonner,
disent-ils, dans l’évocation d’un monde vieillot et petit bourgeois. C’est là une vision bien partiale quand on
regarde certaines photos sur la pauvreté ou les luttes, même s’il est vrai que le regard est toujours retenu,
discret, jamais désespéré ou manichéen. Mais c’était un temps où le seul fait de travailler pour un journal
américain vous cataloguait ipso facto, pour certains, comme un ennemi des classes laborieuses.
Ce mouvement n’est pas seulement français et on le retrouve dans d’autres pays. Par ailleurs bien des
photographes qui travaillent à Paris sont d’origine étrangère, tel Brassaï, témoignant ainsi de cette France
terre d’accueil qu’elle était alors. Mais c’est peut-être en France qu’il a le mieux traduit l’atmosphère d’une
époque et diffusé cette image d’une France qui se veut éternelle, porteuse de ses valeurs humanistes, entre
mythe et stéréotype.
Pour le grand photographe Marc Riboud, « Le regard est le signal ou l’amorce d’un échange ». Voir ou
revoir ces photos, d’une grande qualité technique et artistique, faites de chaleur humaine, d’empathie, de
douceur de vivre suscitent chez qui a connu cette époque une ombre de nostalgie. Non celle qui voudrait que
« tout était mieux avant » mais celle du temps qui passe et de notre jeunesse enfuie. Qu’est devenue Josette
de Gentilly, si joliment rieuse le jour de ses vingt ans à Gentilly, emportée par une farandole que l’image
perpétue sans fin ? Où est ce petit garçon au sourire espiègle écoutant son grand père lui lisant les aventures
de Tintin ? Vers quel destin s’en vont ces trois petites pèlerines sur cette route d’un hiver lorrain ? Et ces deux
cœurs pour un même manteau, font-ils toujours la même promenade dans le jardin du Luxembourg ?
Oui la nostalgie est bien toujours ce qu’elle était mais elle est aussi l’espérance que ces photographies d’un
temps englouti puissent émouvoir nos enfants et leurs enfants en leur montrant notre quotidien avec ce qu’il
avait de joyeux, de malicieux, de solidaire, de tendre et de violent aussi et surtout d’espérance en l’avenir.
1945-1968 La photographie humaniste de Laure Beaumont-Maillet, Dominique Versavel
Document 2 : Les méthodes de travail (entretien avec Willy Ronis)
Que ressentez-vous au moment du déclic ?
Il y a toujours l’appréhension. Lorsqu’on travaille sur le vivant, il y a toujours une fugacité génératrice
d’angoisse. « Est-ce que j’ai pris le bon moment ? ». Cette angoisse m’a toujours tenaillé avant. Au moment où
je quitte la maison pour aller faire des photos. Le trac. Le trac qui fait que quelquefois, dans le bus ou la
voiture, il m’est arrivé de me dire : « Si mon appareil tombait en panne, je n’aurais pas ce problème à régler
aujourd’hui ! ».
Et lorsque vous développez ?
Quand je développe, il y a naturellement la grande inconnue : « Est-ce que j’ai appuyé au bon moment ? N’ai-je
pas négligé quelque chose qui, dans le fond, casse complètement l’intérêt de mon image ? Quelque chose qui
prend une importance que je n’avais pas prévue au moment où j’ai appuyé ? ». Physiologiquement, l’œil n’est
pas construit pour embrasser tout le champ visuel avec la même capacité d’analyse. L’œil est un toucher à
distance. Et on ne touche qu’un seul objet à la fois. L’œil est incapable de capter en photographie une vision
globale : le principal et l’accessoire. Il y a toujours le danger que l’accessoire tue le principal. L’exemple le plus
simple, c’est le jeune homme qui photographie sa petite amie dans un jardin et ne fait pas attention qu’elle a un
arbre qui lui sort de la tête. L’arbre est à trois mètres derrière mais il regarde la fille, pas ce qu’il y a derrière
elle ! Ça, c’est une chose à laquelle il faut toujours avoir l’esprit : que se passe-t-il derrière et sur les côtés ?
C’est pourquoi j’aime tant les marchés. À mon avis, on touche là la plus haute difficulté photographique. On
voit quelque chose d’intéressant mais quelque chose à côté peut tuer complètement ce que l’on voit : ou bien
c’est un grand trou – et alors ça casse la composition – ou bien ça n’est pas bon et ça rentre en contradiction
avec ce que l’on a voulu exprimer. Il faut avoir l’œil partout.
La photo parfaite pour vous, c’est quoi ?
C’est celle où j’aurais pu communiquer à celui qui la regarde l’émotion qui m’a déterminé au moment du déclic.
Je veux faire participer. Je veux montrer quelque chose qui m’a ému et je voudrais que ce soit parfait. Donc, les
questions formelles sont extrêmement importantes. Je suis un fou de la forme. Pour moi, il ne peut pas y avoir
de contenu exprimé s’il n’y a pas une forme complètement châtiée dans tous ses détails. Ou alors… c’est un cas
très spécial. Par exemple lorsqu’il n’y a qu’un seul personnage avec un fond inexistant ? A ce moment-là, c’est
la simple expression du personnage qui compte. Mais la composition est ce qui requiert mon attention la plus
vive.
Vous autorisez-vous la mise en scène ?
Je m’autorise à mettre en scène ou à faire recommencer une situation en reportage commandé, jamais la photo
libre. Dans la photo libre, la composition se fait spontanément par le fait du hasard combiné avec votre
aptitude à vous placer au bon endroit. Là, on photographie d’abord avec ses pieds. Cette composition sur le vif
est évidemment très difficile. En reportage commandé, je me réserve la latitude de faire recommencer une
situation que les circonstances ne m’ont pas permis de capter au bon moment. Il peut arriver que vous ne soyez
pas prêt ou bien que vous veniez de finir votre film. Dans ce cas-là, vous rechargez et vous demandez à la
personne : « S’il vous plaît, c’était bien intéressant ce que vous faisiez, on va recommencer cela ». Faire cela
n’altère pas la vérité.
Article paru dans Révolution, n°764, 20 octobre 1994.
Document 3 : La mémoire des lieux
"Le sujet des Halles lui tenait à coeur, il s'est passionné pour les personnes qui y travaillaient, pour lui c'était le
lieu idéal", racontent Annette Doisneau et Francine Deroudille, filles du photographe et commissaires de
l'exposition "Doisneau, Paris les Halles", du 8 février au 28 avril 2012 à l'hôtel de ville de Paris.
Sa première photographie des Halles date de 1933, lorsqu'il avait 21 ans, et la dernière de 1979. L'exposition
(208 tirages) relate de façon thématique la vie foisonnante de ce lieu mythique du marché alimentaire, abrité
sous les splendides pavillons Baltard, avant leur destruction regrettable au tout début des années 1970.
"On visite l'exposition un peu comme si on venait aux Halles, là vous avez la viande, les gibiers, les légumes,
vous pouvez faire votre marché !", plaisante Annette Doisneau.
Le photographe a même milité contre la destruction des pavillons Baltard, il écrira à ce moment là : "Paris perd
son ventre et un peu de son esprit".
Les "personnages" photographiés aux Halles sont tous presque souriants, on y voit des religieuses qui
venaient acheter leur pitance, les bistrots, l'accordéoniste, les prostituées de la rue Saint-Denis.
Mais aussi des portraits saisissants des bouchers, des marchands de poissons, des fleuristes, photographiés
de façon très moderne.
"Les Halles étaient aussi un lieu alternatif où n'importe qui pouvait trouver à manger, venir louer ses bras en
faisant du chargement, déchargement, c'était le lieu de la misère et c'étaint déjà un peu les restos du coeur de
l'époque", ajoute Francine.
Les photographies en noir et blanc expriment cette "grande tolérance" et la générosité des marchands.
Par
Document 4 : Les petits métiers
Photographe de mode notamment pour Vogue, Irving Penn (1917-2009) a photographié au début des années
1950 "les petits métiers" à Paris, Londres et New York.
"Irving Penn préférait isoler le modèle de son environnement : c'est pour cela qu'il travaillait toujours en studio,
avec la lumière naturelle, celle du nord. S'inspirant pour ce travail d'Eugène Adget et d'August Sander, il a su
établir une relation privilégiée entre ses sujets et lui-même et créer une collaboration directe avec ses
modèles", confie Anne Lacoste, commissaire de l'exposition.
Des compositions calmes et classiques et des fonds neutres : Irving Penn dresse une galerie de portraits avec
sobriété. Il met en lumière des hommes et des femmes dans un décor épuré, sans fard ni fioriture décorative.
"Pour cette série, Irving Penn a bénéficié de l'aide de rabatteurs. Alors qu'il photographiait des mannequins de
haute-couture pour Vogue en juin 1950, il a commencé ce projet quand il était à Paris : sur les conseils de
Robert Doisneau, des personnes lui ont trouvé des modèles. Ce dernier lui avait suggéré la rue Mouffetard,
quartier éclectique représentant à l'époque le Paris bohème", poursuit Anne Lacoste.
Il a adopté la même démarche pour Londres et New York. C'est ainsi qu'Irving Penn a pu accéder à des gens
très divers comme un pompier, une chanteuse de cabaret ou encore un artiste-peintre. Il les photographiait
toujours avec leur tenue et outil de travail en échange d'une petite rémunération.
Irving Penn effectuait un travail sur la mémoire, un peu pour préserver l'âme de la vieille Europe de l'aprèsguerre : "Il représentait quelque chose qui était sur le point de disparaître, sans aucune nostalgie ni valeur
sociale. C'est un projet qui fait avant tout ressortir l'individualité de ses sujets, leur fierté et leur dignité, avec
un soin particulier accordé au détail.
En réalisant cette série, Irving Penn avait constaté des différences en fonction des nationalités : "Les Français
étaient très suspicieux et trouvaient étrange qu'un photographe s'intéresse à eux. Les Londoniens prenaient
cela avec naturel et posaient avec beaucoup de sérieux. Quant aux Américains, c'était plus difficile. Ils
arrivaient au studio bien coiffés dans leur costume du dimanche : ils pensaient que c'était le début de la
célébrité, les menant tout droit vers Hollywood."
Dans les années 1960, Irving Penn reprend en main son travail personnel et réalise lui-même ses tirages en
s'intéressant à la technique du platine. Pour cette série, il a refait des négatifs plus grands et plus larges. Le
résultat : des tons plus chauds, une gamme de gris plus développée, des noirs denses et veloutés.
Article le Monde, 6 mai 2010