Le réseau MAGEST : bilan de 10 ans de suivi haute

Transcription

Le réseau MAGEST : bilan de 10 ans de suivi haute
Le réseau MAGEST : bilan de 10 ans de suivi
haute-fréquence de la qualité des eaux de
l’estuaire de la Gironde
Sabine Schmidt1, Henri Etcheber1, Aldo Sottolichio2, Patrice Castaing2
Résumé
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L’estuaire de la Gironde (France Sud-Ouest), formé par la confluence de la
Garonne et de la Dordogne, est un des plus grands estuaires macrotidaux européens. Les
changements environnementaux à long terme (diminution du débit, augmentation de la
température et de la population) laissent présager une présence accrue de la zone de
turbidité maximale et l’installation d’une hypoxie saisonnière permanente dans l'estuaire
fluvial dans les prochaines décennies. L'évaluation scientifique et la gestion de ces
risques sur un système fluvio-estuarien aussi vaste est complexe, en raison des pressions
multiples (température, débit, usages dans le bassin versant, urbanisation) agissant sur
une large gamme d'échelles spatiales et temporelles. Le besoin de connaissances a
motivé la création du réseau MAGEST (MArel Gironde ESTuaire) de surveillance
continue de la qualité physico-chimique des eaux estuariennes. Il est financé et géré par
un consortium qui réunit un laboratoire de recherche et des autorités publiques locales,
et dont le fonctionnement sera brièvement détaillé. Depuis 2004, MAGEST enregistre
toutes les 10 minutes la température, la salinité, la turbidité et l'oxygène dissous des
eaux de surface à plusieurs sites stratégiques de l’estuaire de la Gironde. Cette base de
données est utilisée pour mieux comprendre les facteurs qui contrôlent l’oxygénation
des eaux, l’intrusion saline et la turbidité des eaux, notamment dans l’estuaire fluvial.
Cette surveillance en temps réel est également utilisée pour le développement d’outils
de gestion de l’estuaire.
Introduction
Les grands systèmes fluvio-estuariens sont les interfaces naturelles entre le
continent et l'océan. Ils jouent un rôle déterminant comme collecteurs et voies de
transport de l’eau, des sédiments, des nutriments, des polluants et du carbone. Ce sont
aussi des lieux d’échanges de volumes d’eaux importants avec le milieu côtier. En
Europe de l’Ouest, la Gironde est le plus vaste estuaire avec un plan d’eau de 635 km2
et une largeur qui peut atteindre jusqu’à 12 km à l’embouchure. Il est l’estuaire commun
de la Garonne et de la Dordogne, qui se rejoignent au niveau du Bec d’Ambès.
L’influence dynamique de la marée s'étend jusqu'à Casseuil sur la Garonne, et jusqu'à
Castillon sur la Dordogne, à plus de 170 kilomètres de l’embouchure. De la rencontre
1
CNRS, UMR 5805 EPOC, OASU, Université de Bordeaux, Pessac, France. [email protected]
2
Université de Bordeaux, OASU, UMR 5805 EPOC, Pessac, France.
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Nombre de jour.an
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Nombre de jours.an
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1500
Ecart à la moyenne 1959-2014 (%)
de 15 000 à 25 000 m2 d’eau de mer et de 600 à 1000 m2 d’eau douce chargée de
sédiments résulte une zone de turbidité maximum, aussi appelée bouchon vaseux, assez
remarquable en Gironde avec des concentrations en matières en suspension supérieures
à 1 g L-1 en surface et à 10 g L-1 près du fond. De tels concentrations ont un impact
localement (envasement, consommation d’oxygène, piégeage de polluants) et vers les
régions côtières avec la dispersion de panaches turbides3,4,5,6.
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Figure 1. Evolution du débit de la Garonne aval (Tonneins, données issues de
http://www.hydro.eaufrance.fr/) depuis 1959: A/ débit moyen annuel (la zone grisée
souligne les années d’acquisition MAGEST); B/ écart des années MAGEST à la
moyenne de référence 1959-2014 ; nombre de jours où le débit est C/ > 3400 m3 s-1
(crue biennale) ou D / < 110 m3 s-1 (débit d’objectif d’étiage).
L’estuaire de la Gironde abrite un environnement encore naturel, regroupant une
économie agricole, touristique et de pêche, à côté d’une économie industrielle,
énergétique et portuaire 7 . C’est un passage obligatoire pour les poissons migrateurs
(alose, anguille, lamproie, saumon …) dont le programme de repeuplement est en voie
3
CASTAING P., ALLEN G.P., «Mechanisms controlling seaward escape of suspended sediment from the
Gironde: a macrotidal estuary in France», Marine Géologique, 40, 1981, p. 1981.
4
LANOUX A., ETCHEBER H., SCHMIDT S., SOTTOLICHIO A., CHABAUD G., RICHARD M., ABRIL G., Factors
contributing to hypoxia in a highly turbid, macrotidal estuary (the Gironde, France) », Environ. Sci.:
Processes Impacts, n°15, 2013, 585–595.
5
JOUANNEAU J.-M., BOUTIER B., CHIFFOLEAU J.-F., LATOUCHE C., PHILIPPS I., «Cadmium in the Gironde
fluvioestuarine system», The Science of the Total Environment, n°97/98, 1990, 465-479.
6
SAARI H.-K., SCHMIDT S., CASTAING P., BLANC G., SAUTOUR B., MASSON O., COCHRAN J.K., «The
particulate 7Be/210Pbxs and 234 Th/210 Pbxs activity ratios as tracers for tidal-to-seasonal particle dynamics in
the Gironde estuary (France): implications for the budget of particle-associated contaminants», The
Science of the Total Environment, n°408, 2010, 4784-4794.
7
SAGE Estuaire : Schéma d’aménagement et de gestion des eaux de l’Estuaire de la Gironde et des
milieux associés, www.sage-estuaire-gironde.org.
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de réussite pour l’esturgeon 8 . Toutefois, ce système fluvio-estuarien subit une
dégradation progressive en lien avec les changements climatiques et l’intensification des
implantations humaines. L’évolution du débit de la Garonne aval (Fig. 1A) illustre ces
modifications avec une tendance à une diminution au cours des décennies récentes.
Parallèlement il y a une diminution du nombre de jours de forte crue (Fig. 1C) et une
augmentation du nombre de jours d’étiage (Fig. 1D).
Il y a eu une prise de conscience croissante de ces problèmes tant de la part de la
communauté scientifique que des collectivités locales et des gestionnaires. Ceci a
motivé la création du réseau MAGEST (MArel Gironde ESTuaire) d’observation et de
surveillance du système fluvio-estuarien Garonne-Dordogne-Gironde. Soutenu par un
consortium qui regroupe des partenaires académiques et institutionnels, MAGEST
répond ainsi à un besoin d’une meilleure connaissance de ces eaux de transition.
La gouvernance originale de ce réseau est brièvement expliquée. Reposant
initialement sur quatre stations dans l’estuaire central (Pauillac) et fluvial (Bordeaux,
Portets, Libourne), l’analyse des séries temporelles acquises a permis ensuite de
proposer une évolution de la stratégie de surveillance. Depuis 10 ans, ce réseau
enregistre toutes les 10 mn la température, la salinité, la turbidité et l’oxygène dissous
dont la synthèse des tendances mensuelles est décrite. L’intérêt d’un tel suivi de
mesures continues dans un vaste système fluvio-estuarien tel l’estuaire de la Gironde est
illustré par un exemple de résultats marquants sur l’oxygénation des eaux, de la
recherche à la gestion.
Le réseau MAGEST
Contexte et objectifs du réseau MAGEST
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Des séries d’enregistrement longues de la qualité physico-chimiques des eaux sont
indispensables pour améliorer les connaissances, établir des scénarios d’évolution future
et pour générer des indicateurs pertinents de gestion et d’aide à la décision. En effet, les
bases de données climatologiques deviennent statistiquement fiables après au moins 10
ans d’enregistrement. De même, seules des mesures à haute fréquence sont susceptibles
d’enregistrer des événements météorologiques et hydrologiques extrêmes et de courte
durée, à forte période de retour, et dont l’impact est difficile à mesurer sans ces moyens
de surveillance.
Le premier objectif de MAGEST est donc de documenter les bases de données qui
permettent la description à haute résolution temporelle :
- des processus hydrodynamiques et sédimentaires (dynamique du bouchon vaseux) ;
- des conditions physico-chimiques qui déterminent l’oxydation de la matière
organique, le taux d’oxygénation des eaux, et la solubilisation des contaminants ;
- des conditions environnementales qui contrôlent la dynamique des populations
biologiques (survie, croissance et migrations) dans l’estuaire de la Gironde.
Ce réseau doit également contribuer à surveiller des épisodes critiques (évènements
climatiques exceptionnels, crues, orages ; accident hydraulique ; hypoxie), les pollutions
chroniques (rejets urbains) ou encore l’impact régional du changement climatique
(intrusion marine, augmentation de la température, modifications des débits).
8
MIGADO Association pour la restauration et la gestion des poissons migrateurs du bassin de la Garonne
et de la Dordogne. http://www.migado.fr
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Enfin, grâce à l’ensemble des informations acquises, le réseau MAGEST doit aussi
être pour les partenaires un outil d’aide à la définition et au contrôle des politiques de
gestions de l’estuaire de la Gironde et de son bassin versant.
Figure 2 : Estuaire de la Gironde et le réseau MAGEST: localisation des sites
instrumentés, trajets des missions de terrain et future implantation.
Gouvernance du réseau MAGEST
Des partenaires locaux9 ont signé un accord-cadre (2004-2006) puis un accord de
consortium (2007-2010) déterminant les modalités de coopération pour le financement
et l’exploitation du réseau MAGEST. Cet accord a été renouvelé en 2011 et de
nouveaux partenaires 10 se sont associés à cette démarche. Le laboratoire EPOC
Environnements et Paléoenvironnements Océaniques et Continentaux (Université de
Bordeaux – CNRS) a la charge du fonctionnement opérationnel des stations
automatiques (maintenance trimestrielle, calibration, gestion des pannes), de
l’interprétation et de la diffusion des données. Une station de gestion informatique
rapatrie les données toutes les 6 heures et les archive. Un serveur en permet la
9
AEAG (Agence de l’Eau Adour Garonne), SMEAG (Syndicat Mixte d'Etudes et d'Aménagement de la
Garonne), EPIDOR (Etablissement Public Territorial du Bassin de la Dordogne), SMIDDEST (Syndicat
Mixte pour le Développement Durable de l'Estuaire de la Gironde), Bordeaux Port Atlantique, Université
de Bordeaux, CNRS, IFREMER, Conseil Régional Aquitaine, Conseil Général de Gironde, EDF
10
IRSTEA, Bordeaux Métropole.
visualisation et le téléchargement selon les droits d’accès (public ou détenteurs de
login ; http://www.magest.u-bordeaux1.fr/). La mise en œuvre du réseau est suivie par
un comité technique, composé d’un représentant de chaque partenaire. Il est un lieu
d’échanges et peut soumettre au comité de pilotage des propositions de modifications
des objectifs scientifiques et des moyens techniques.
Stratégie et Matériel
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Le cahier des charges du réseau impliquait des mesures haute fréquence, seules
adaptées à la variabilité temporelle d'un estuaire macrotidal, et une couverture spatiale
complète du système fluvio-estuarien. Les premiers investissements ont ciblé les
apports amont (Libourne, Portets) et urbains (Bordeaux), complétés d’une référence
estuarienne (Pauillac) (Figure 2). L’équipement retenu (station Marel) a été développé
par l’IFREMER (Figure 3). Il s'agit d'un système de mesure in situ conçu pour
fonctionner de manière continue et sur une longue durée dans des eaux estuariennes
généralement très agressives. Placées sur des pontons flottants, les stations ont une prise
d’eau à 1 mètre de profondeur. Une pompe, placée en aval du circuit de mesure pour
conserver les qualités de l’eau, achemine l’eau qui passe successivement devant des
capteurs de conductivité, turbidité et d’oxygène dissous11 . Une mesure est effectuée
toutes les 10 mn. Le système électronique de mesure en continu contrôle les capteurs,
les actionneurs (vannes, pompes, etc.), les pompes d’amorçage et de circulation et le
système de chloration. Ces équipements nécessitent une surveillance continue pour
s’assurer du bon fonctionnement des capteurs et une maintenance active. Les capteurs
sont calibrés tous les trimestres. Chaque station est visitée entre 10 et 20 fois par an. Les
principales pannes sont liées à l’usure des équipements, aux coupures électriques et aux
conditions du milieu (embâcles, intempéries).
Le renouvellement du consortium en 2011 avait permis une évolution de la
stratégie de surveillance du réseau (Figure 2). La station de Bordeaux est apparue
cruciale pour suivre les évènements d’hypoxie dans la Garonne tidale. Un capteur
optique d’oxygène dissous est installé depuis 2012 pour doubler et sécuriser la mesure
de ce paramètre critique en étiage. Le but est d’assurer la continuité des analyses en cas
de défaillance temporaire de la station automatisée. Cette station sert au SMEAG
(Syndicat Mixte d'Etudes et d'Aménagement de la Garonne) pour les soutiens d’étiage
de la Garonne. La station de Portets a permis d’étudier l’impact urbain, par comparaison
avec Bordeaux, mais n’apportait pas d’informations supplémentaires sur la présence du
bouchon vaseux et l’importance des désoxygénations à l’aval de la Garonne. Cette
station a été arrêtée en janvier 2012. Des capteurs autonomes de turbidité et d’oxygène
dissous sont maintenant placés plus en amont, à Cadillac, en étiage. Ce site est visité
avec un pas de temps de 1 à 2 semaines pour relever les données et vérifier l’état des
capteurs. Pour évaluer l’extension de la baisse de l’oxygène pendant l’étiage, des
missions ponctuelles de mesures sont organisées en fonction des données des stations
fixes.
Pour documenter les échanges avec les eaux côtières, le réseau sera doté en 2016
d’une station à l’embouchure, représentative de l’aval de l’estuaire et de la frontière
avec les eaux littorales.
11
ETCHEBER H., SCHMIDT S., ET AL., «Monitoring water quality in estuarine environments:
lessons from the MAGEST monitoring program in the Gironde fluvial-estuarine system»,
Hydrol. Earth Syst. Sci., 2011, n°15, 831-840.
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Figure 3 : Détails de la station de mesure de type MAREL: 1 : pompe de circulation ;
2 : système de chloration, 3 : onduleur ; 4 : chambre de mesures incluant les capteurs ;
5 : système électronique de mesure en continu qui comprend deux modem avec carte
SIM; 6 : coffret électrique ; 7 : récepteurs ; 8 : débitmètre. La photographie
correspond à la station installée sur la barge du port de Bordeaux.
Résultats
Depuis 2004, MAGEST a enregistré une base de données haute-fréquence sur la
qualité physico-chimique des eaux de l’estuaire de la Gironde, qui couvre des
conditions météorologiques très contrastées, et dont il est maintenant possible d’extraire
des tendances. Les 10 années de mesures de turbidité à haute fréquence sont traitées en
détail par Jalon-Rojas et al. 12 pour discuter la dynamique sédimentaire à différentes
échelles de temps dans l’estuaire fluvial (Garonne et Dordogne tidales). Ici, après la
présentation d’un exemple d’enregistrement haute-fréquence et des tendances
mensuelles, un intérêt particulier est porté à l’oxygénation de la Garonne tidale.
12
JALON-ROJAS I., SCHMIDT S., SOTTOLICHIO A., «Analyse de 10 ans de mesures continues de turbidité
dans les sections fluviales de l’estuaire de la Gironde», dans Mesures haute résolution dans
l'environnement marin côtier, Presses du CNRS, 2015.
600
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A. Débit (Tonneins)
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B. Hauteur d'eau
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15 Juil.
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saturation
29 Juil.
12 Août
26 Août
Figure 4. Evolution des paramètres suivis par la station de Bordeaux (une mesure
toutes les 10 mn) du 1 juillet au 26 août 2013. La barre orange indique la fenêtre
temporelle de la vague de chaleur et la flèche l’orage.
Variabilité à haute-fréquence
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L’enregistrement haute-fréquence acquis à Bordeaux du 1 juillet au 2 septembre
2014 est présenté pour illustrer l’amplitude de variation des paramètres mesurés à des
échelles de temps de quelques heures à plusieurs semaines (Figure 4). Cet exemple
permet aussi de visualiser l’impact de facteurs environnementaux sur l’oxygénation des
eaux. Début juillet 2013, le débit de la Garonne était d’environ 500 m3.s-1 et la
température de l’eau inférieure à 19°C : le bouchon vaseux était absent de la Garonne
tidale et l’oxygénation des eaux, > 8 mg.L-1, très bonne.
Il y eut ensuite une forte augmentation de l’oxygène dissous, jusqu’à 12 mg.L-1,
associée à des sursaturations marquées (110-123 %). De telles sursaturations sont
souvent liées à des développements phytoplanctoniques, favorisés par des conditions
propices de température et d’éclairement (fort ensoleillement, très faibles turbidités). Ce
phénomène a duré environ une semaine. Puis la conjonction de plusieurs phénomènes
explique la baisse rapide de l’oxygénation des eaux bordelaises à partir du 20 juillet:
- une vague de chaleur du 15 au 27 juillet 2013, qui a induit une augmentation rapide de
1,3°C, avec une température maximale de 26,8°C enregistrée le 26 juillet ;
- une baisse des débits sous le seuil de 250 m3.s-1 qui a favorisé l’arrivée de bouchon13,
effet amplifié par la période de vive-eau qui culminait le 24-25 juillet avec des
coefficients de 108.
Le 26 juillet 2013 a eu lieu un orage centennal avec un cumul de précipitation de
62,5 mm en quelques heures. Il n’est pas évident de discerner l’effet spécifique de cet
orage sur l’oxygénation des eaux bordelaises. Il est toutefois survenu dans une période
où l’étiage s’installait durablement (bouchon vaseux, température > 26°C). Tous ces
facteurs concouraient à une baisse de l’oxygénation des eaux.
En août, la baisse du débit de la Garonne s’est poursuivie, se traduisant par un
bouchon vaseux encore plus concentré, avec des turbidités comprises entre 1000 et 9999
(valeur de saturation du capteur) NTU, soit l’équivalent de plusieurs grammes par litre
de sédiment14. A l’opposé, il y a eu un tassement de la température des eaux. Ceci a
permis à l’oxygénation des eaux de se maintenir autour de 5 - 6 mg.L-1, avec des
différences au cours d’un cycle de marée pouvant atteindre 1,6 mg.L-1. Les périodes
morte eau / vive eau sont bien visibles sur le signal de turbidité, et dans une moindre
mesure sur l’oxygénation.
Tendances mensuelles de la période 2005-2014
Les tendances mensuelles des différents paramètres sont maintenant présentées
pour les stations de Pauillac, Bordeaux, et de Libourne, selon leur position dans
l’estuaire (Figure 5). Les débits sont aussi traités dans la mesure où ils influencent les
paramètres analysés.
13
JALON-R OJAS, SCHMIDT S., SOTTOLICHIO A., « Turbidity in the fluvial section of the Gironde Estuary
(France) based on 10-year continuous monitoring : sensivity to hydrological conditions », Hydrol. Earth
Syst. Sci., 2015, n°19, 2805-2819.
14
SCHMIDT S., OUAMAR L., COSSON B., LEBLEU P., DERRIENNIC H., «Monitoring turbidity as a surrogate
of suspended particulate load in the Gironde estuary: the impact of particle size on concentration
estimates», ISOBAY XIV International Symposium on Oceanography of the Bay of Biscay, Bordeaux,
11-13 Juin 2014.
ESTUAIRE CENTRAL
ESTUAIRE FLUVIAL
GARONNE AVAL
Bordeaux (100 km)
Pauillac (52 km)
Débits (Pessac/Dordogne)
Débit (Tonneins)
2k
2k
3
m s
-1
Débit
DORDOGNE AVAL
Libourne (120 km)
1k
0
12
1k
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Salinité
J
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Salinité
Salinité
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9
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NTU
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Turbidité
J
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Turbidité
0
°C
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Température
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Température
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0
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0
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mg L
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Température
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6
9
9
6
6
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Oxygène dissous
0
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J
3
Oxygène dissous
O
J
A
J
Oxygène dissous
O
J
A
J
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%
100
0
50
Saturation en oxygène
50
Saturation en oxygène
Saturation en oxygène
0
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Figure 5: Evolution mensuelle (min, médiane, max, quartiles 25% et 75%) du débit
(Garonne, Dordogne, Gironde), de la salinité, de la turbidité, de la température et de
l’oxygène dissous (concentrations et saturation) des eaux à Pauillac, Bordeaux, et
Libourne pour la période 2005-2014. Les stations sont localisées selon leur distance à
l’embouchure de l’estuaire de la Gironde. Les moyennes mensuelles sont calculées à
partir des données haute-fréquence de MAGEST.
Depuis 2005, MAGEST a suivi une période plutôt sèche, avec des débits moyens
annuels en général inférieurs à la moyenne de la période 1959-2014 (Fig. 2B) : entre
311 m3.s-1 en 2011 et 544 m3.s-1 en 2008. Seules les années 2013 et 2014 présentent des
débits, 748 et 634 m3.s-1, supérieurs à la moyenne de la période de référence.
Parallèlement la région bordelaise a subi trois vagues de chaleur : en juillet 2006, août
2012 et juillet 2013, par ordre décroissant d’intensité.
Salinité (période 2005-2014):
Turbidité (période 2005-2014):
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La salinité présente une évolution spatio-temporelle en accord avec la position des
stations par rapport à l’embouchure et le régime pluvio-nival des affluents (Figure 5).
Les salinités les plus élevées sont, en général, enregistrées de juillet à octobre, lorsque
les débits d’étiage favorisent l’intrusion saline. Pauillac, dans l’estuaire central, présente
les valeurs de salinité les plus importantes : les moyennes mensuelles sont comprises
entre 0,3 et 11,3. Ensuite, dans la Garonne aval, Bordeaux affiche une gamme plus
réduite, entre 0,09 et 2,0 en moyennes mensuelles. Sur la Dordogne aval, à + 120 km de
l’embouchure, Libourne montre un léger signal saisonnier, avec des salinités (moyennes
mensuelles) comprises entre 0,06 et 0,7.
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Au fil des saisons, la turbidité évolue différemment dans les sections centrale et
fluviales (Figure 5). Dans l’estuaire central (Pauillac), le bouchon vaseux, ou son
panache, est présent toute l’année. Les stations fluviales présentent des variations des
turbidités bien plus contrastées au cours de l’année. Pour la Garonne aval, il y a une
forte saisonnalité de la turbidité, avec une tendance similaire à celle de la salinité, et
inverse aux variations du débit fluvial. La baisse estivale du débit s’accompagne de la
remontée du bouchon vaseux dans les sections fluviales. Le bouchon vaseux est présent
entre 5 et 8 mois par an à Bordeaux et entre 2 et 5 mois par an à Libourne.
Température (période 2005-2014):
L’évolution saisonnière de la température des eaux estuariennes est conforme à un
climat de type océanique aquitain, qui se caractérise par des hivers doux et des étés
chauds. Les températures mensuelles sont les plus basses en février, en moyenne 7°C
(min - max : 4.2 - 8.3°C), et les plus élevées en juillet, en moyenne 24°C (min - max :
20,7 - 27,3°C) (Figure 5). Il y a peu de différences entre stations, l’écart est en général
inférieur à 2°C. Les eaux de Pauillac sont légèrement plus chaudes en hiver et plus
froides en été en raison de l’influence océanique.
Oxygène dissous (période 2005-2014):
L’évolution mensuelle des concentrations d’oxygène dissous est inverse à celle des
températures. Les concentrations sont les plus élevées en hiver, entre 9,5 et 12,5 mg.L-1,
quand les températures basses de l’eau favorisent la solubilité de l’oxygène (Figure 5).
Avec l’augmentation graduelle des températures à partir du printemps, il y a une
diminution progressive de l’oxygène dissous: les valeurs mensuelles sont les plus
faibles en juillet - août. Le seuil minimal est très variable selon les stations. Dans
l’estuaire central, à Pauillac, les concentrations mensuelles estivales sont relativement
constantes, entre 6,8 et 8,8 mg.L-1. Dans les sections fluviales, ces concentrations
diminuent plus fortement : entre 5,1 et 9,0 mg.L-1 à Libourne, et 3,1 et 8,2 mg.L-1 à
Bordeaux. Pendant l’été et l’automne, c’est donc la Garonne aval qui enregistre les
désoxygénations les plus importantes,
Les saturations en oxygène permettent de s’affranchir de l’influence de la
température. Il ressort que les eaux de Pauillac sont en général légèrement soussaturées, en moyenne 87%, ceci est à mettre en relation avec la présence quasi
permanente du bouchon vaseux (Figure 5). Dans les sections fluviales, la saturation
mensuelle est comprise entre 64 et 112 % à Libourne, 39 et 104 % à Bordeaux. Au
printemps, il peut y avoir de brefs épisodes de développements phytoplanctoniques qui
produisent de l’oxygène dissous et expliquent les légères sursaturations.
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Comprendre et gérer le risque d’hypoxie dans l’estuaire fluvial
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L’oxygène dissous (DO), indispensable à la vie aquatique, est un indicateur
critique de la qualité des eaux. Des épisodes d’hypoxie, définie par une concentration en
DO inférieure à 2 mg L-1, ont déjà été enregistrés dans la Garonne tidale, près de la
métropole bordelaise (730 000 habitants), lors d’étiages secs et chauds (Lanoux et al,
2013). Or l’Aquitaine est considérée comme l'une des régions de France où le
réchauffement climatique sera le plus important, avec une augmentation probable de
température de 2 à 5°C dans les décennies à venir 15 . Parmi les hypothèses les plus
solides figurent des vagues de chaleur plus intenses, la chute globale des précipitations,
et des épisodes de sécheresse estivale plus fréquents. Un tel contexte est propice à la
mise en place d’une hypoxie saisonnière permanente dans l’estuaire fluvial dans les
prochaines décennies, ce qui pourrait être problématique pour la dévalaison des
juvéniles de poissons migrateurs. L'évaluation et la gestion de ce risque sur un si grand
estuaire est complexe, en raison des différentes pressions (température, intensité des
étiages, vague de chaleur, turbidité, rejets urbains) agissant sur une large gamme
d'échelles spatiales et temporelles. La surveillance en temps réel de la qualité des eaux
par MAGEST est un atout pour mieux comprendre les facteurs qui contrôlent
l’oxygénation des eaux et pour le développement d’outils de gestion.
Facteurs de contrôle de l’oxygénation des eaux girondines
Les moyennes journalières d’oxygène dissous sont les plus élevées en hiver, entre
8 et 12,5 mg.L-1, quand les températures basses de l’eau favorisent la solubilité de
l’oxygène, et les plus faibles en été, entre 1,8 et 12 mg.L-1, quand les eaux sont chaudes
(20 – 28,5°C) (Figure 6A). Il y a une forte variabilité interannuelle des concentrations
estivales, notamment à Bordeaux où la valeur instantanée la plus faible mesurée depuis
2004 est de 1,22 mg.L-1 le 17 juillet 2006 (Figure 6B). Pour la période de juin à
septembre et de 2005 à 2014, la concentration médiane est de 5,5 mg.L-1 et 21,4°C, et
35 % des valeurs sont inférieures à 5 mg.L-1.
L’analyse de la base de données a permis de hiérarchiser les paramètres qui
contrôlent l’oxygénation des eaux, dans l’ordre: la température des eaux, directement
liée à la météorologie régionale; la charge en matière en suspension, liée aux débits de
15
Le Treut H., Les impacts du changement climatique en Aquitaine, Presses universitaires de Bordeaux,
2013, pp. 368.
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la Garonne; le débit, qui dépend de la météorologie régionale et des usages dans le
bassin versant, et les rejets urbains 4.
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Figure 6: A/ Chronique d’oxygène dissous, en moyenne journalière, de 2005 à 2014 à
Bordeaux, B/ Comparaison de la température et de la concentration en oxygène
dissous dans les eaux bordelaises du 8 au 31 juillet 2006, 2011 et 2013. C/ Fonction
de distribution cumulative d’oxygène dissous et distribution des concentrations pour
la période juin-septembre 2005 à 2014. La ligne souligne le seuil de 5 mg.L -1 défini
par le SAGE Estuaire, les zones en gris le domaine de concentrations en DO
inférieures à 5 et 2 (hypoxie) mg.L-1.
Suivi du respect des objectifs du SAGE de l’estuaire de la Gironde
Adopté en 2013, le Plan d’Aménagement et de Gestion Durable (PAGD) décrit les
objectifs du Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) de l’Estuaire de la
Gironde et milieux associés et les conditions de leur réalisation. Le SAGE vise à
atteindre le bon état de l’aval des fleuves notamment sur le paramètre concentration en
oxygène, indispensable à la vie aquatique. L’analyse des marges de manœuvres sur les
différents paramètres influant sur la concentration en oxygène a conduit le SAGE à
retenir un seuil de 5 mg.L-1 d’oxygène dissous dans les eaux pour apporter une
amélioration significative des conditions pour l’écosystème de l’aval des fleuves
Garonne et Dordogne et pour les migrations d’espèces piscicoles. Le respect de ces
objectifs est mesuré au niveau des stations du réseau MAGEST de Bordeaux et de
Libourne. Le tableau 1 compare le nombre de jours où la concentration (moyenne
journalière) en O2 dissous à l'aval des fleuves a été inférieure aux seuils de 5 et de 3
mg.L-1 de 2012 à 2014. Le bilan de l’année 2012 à Bordeaux est particulièrement
mauvais au regard de ce critère, et s’explique par un étiage marqué de la Garonne et un
épisode caniculaire en août.
Site
Nombre de jours
consécutifs par an
à teneur en O2
dissous < 5 mg L-1
à teneur en O2
dissous < 3 mg L-1
Objectifs
SAGE :
2012
2013
2014
Nbre de jours
max.
Bordeaux
9
46*
7*
13
Libourne
4
0
0
0
Bordeaux
0
0
0
0
Libourne
0
0
0
0
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Oxygène dissous à
l’aval des fleuves
Tableau 1: Oxygène dissous et suivi des objectifs du SAGE : bilan des années 2012,
2013 et 2014. *: ce nombre de jours total correspond au cumul de plusieurs périodes
de jours consécutifs inférieurs au seuil.
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Conclusion
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Depuis 2004, le réseau MAGEST documente les bases de données qui permettent
la description à haute résolution temporelle de la qualité physico-chimiques des eaux de
l’estuaire de la Gironde. MAGEST a permis notamment de mieux comprendre les
facteurs de contrôle de l’oxygénation des eaux et du risque d’hypoxie dans l’estuaire
fluvial, dans un contexte de changements environnementaux. MAGEST est aussi un
outil d’aide à la définition et au contrôle des politiques de gestion de la qualité des eaux
de l’estuaire de la Gironde.
L’originalité de ce réseau est la forte interaction entre recherche et gestion
opérationnelle. Ce lien a permis la création du réseau et son maintien à long terme, tout
en poursuivant la réflexion sur la stratégie de surveillance. Ceci permet de le faire
évoluer à mesure de l’avancée des connaissances et des besoins de gestion
opérationnelle. La gestion du risque d’hypoxie montre que des stations haute-fréquence
et à long terme sont indispensables. Cependant il est nécessaire de compléter ces suivis
à sites fixes par des missions ponctuelles pour mieux appréhender la distribution
spatiale des paramètres, comme en étiage pour évaluer l’extension de la désoxygénation
à l’aval des fleuves Dordogne et Garonne. La gestion d’un tel réseau, qui s’étendra
bientôt sur plus de 150 km avec la mise en service d’une station à l’embouchure de
l’estuaire en 2016, nécessite au minimum un équivalent temps-plein pour son
fonctionnement et sa maintenance.
Références bibliographiques
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from the Gironde: a macrotidal estuary in France», Marine Géologique, 40, 1981, p. 1981.
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Gironde, France) », Environ. Sci.: Processes Impacts, n°15, 2013, 585–595».
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the Gironde fluvioestuarine system», The Science of the Total Environment, n°97/98,
1990, 465-479.
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particle-associated contaminants», The Science of the Total Environment, 408, n°2010,
4784-4794.
(7) SAGE Estuaire : Schéma d’aménagement et de gestion des eaux de l’Estuaire de la Gironde
et des milieux associés, www.sage-estuaire-gironde.org.Estuaire.
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de la Garonne et de la Dordogne». http://www.migado.fr
(11) ETCHEBER H., SCHMIDT S., ET AL., «Monitoring water quality in estuarine environments:
lessons from the MAGEST monitoring program in the Gironde fluvial-estuarine system»,
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de turbidité dans les sections fluviales de l’estuaire de la Gironde», dans Mesures haute
résolution dans l'environnement marin côtier, Presses du CNRS, 2015.
(13) JALON-ROJAS I., SCHMIDT S., SOTTOLICHIO A., « Turbidity in the fluvial section of the
Gironde Estuary (France) based on 10-year continuous monitoring : sensivity to
hydrological conditions », Hydrol. Earth Syst. Sci., 2015, n°19, 2805-2819.
(14) SCHMIDT S., OUAMAR L., COSSON B., LEBLEU P., DERRIENNIC H., «Monitoring turbidity as
a surrogate of suspended particulate load in the Gironde estuary: the impact of particle size
on concentration estimates», ISOBAY XIV International Symposium on Oceanography of
the Bay of Biscay, Bordeaux, 11-13 Juin 2014.
(15) LE TREUT H., Les impacts du changement climatique en Aquitaine, Presses universitaires
de Bordeaux, 2013, pp. 368.