Maquette journal - Centre de la Résistance et de la Déportation
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Maquette journal - Centre de la Résistance et de la Déportation
Septembre 2014 Numéro 62 « Quand on ne tuera plus, ils seront bien vengés » (P. Eluard) Association pour un Musée de la Résistance et de la Déportation du Pays d’Arles A propos du livre "Résister en Pays d’Arles" Une fois de plus : URGENCE et NECESSITE DANS CE NUMERO : Edito 1 1944-1945 - Années 2 Mémorielles : La Libération de la France 1915-2015, 3 les 100 ans du Génocide des Arméniens Activités passées 4 Activités à venir 5 Droit de réponse : Sortie de route 6/7 Irena Sendlerowa, une grande figure de la Résistance 8 Les deux raisons majeures qui nous ont incités à publier cet ouvrage sont pour la première l’absence d’une publication de synthèse sur la Résistance en Pays d’Arles afin d’apprécier les formes d’action et leur évolution jusqu’à la victoire dont nous célébrons le 70ème anniversaire, cette année. Notre étude ne retracera pas l’exhaustivité des faits qui la composent, mais elle servira à en repérer les plus marquants. Notre association existe depuis 1996 et ce livre est aussi une manière de restituer aussi le travail inlassable accompli depuis 18 ans et qui mérite d’être pérennisé. Ce document sera un support pédagogique important pour la formation du citoyen d’aujourd’hui et de demain. Les "porteurs de mémoire" de la Résistance et de la Déportation n’ont négligé et ne négligent encore aujourd’hui aucun effort pour entretenir avec l’aide des collectivités territoriales le souvenir de celles et ceux grâce auxquels nous restons fiers d’être Français. Aussi essentielles qu’elles soient leurs actions ne suffisent plus aujourd’hui. Les rangs des témoins s’éclaircissent, hélas, chaque année. Un relais doit donc être assuré. C’est la raison pour laquelle notre association défend la création d’une structure pérenne, afin que la voix des Résistants et des Déportés survive grâce à un Centre Résistance et Déportation du Pays d’Arles. Grâce au support des archives, des objets, des témoignages que nous avons rassemblés, depuis 18 ans déjà, nous avons constitué une précieuse collection qu’il y a urgence de faire connaître avant que l’oubli ne s’installe. Il y a pire que la mort, il y a l’oubli. La deuxième raison de publier cet ouvrage l’année de la commémoration du 70ème anniversaire de la Libération de la ville d’Arles c’est aussi, pour notre association une nécessité. En effet les réactions racistes, corporatistes, isolationnistes et antidémocratiques qui se manifestent dans notre pays et aussi dans le Pays d’Arles menacent gravement les structures de notre société. Il faut donc que dans notre ville d’Arles et pour le Pays d’Arles, il existe un Centre qui ait les moyens, à la lumière de l’histoire et de la mémoire de la Résistance et de la Déportation, de contribuer à la cohésion sociale et au vivre ensemble dans le partage des valeurs républicaines dont sont porteurs Résistants et Déportés. Page 2 GENERATIONS RESISTANCES 1944-1945 – Années Mémorielles LIBERATION DE LA FRANCE GRACE A DEUX DEPARQUEMENTS ET LA RESISTANCE, DU PEUPLE FRANCAIS ET CELLE DU PEUPLE SOVIETIQUE. Par Josette PAC On a célébré le 6 juin dernier le 70ème anniversaire du Débarquement anglo-américain sur les côtes normandes. Les Anglais et les Américains étaient venus prêter main forte pour la libération de la France. Beaucoup d'entre eux sont morts à peine arrivés comme le montre les cimetières de Normandie. N'oublions pas non plus le Débarquement de Provence le 15 août 1944 qui venait prendre les Nazis en tenaille. Mais ces événements médiatiques ne doivent pas nous faire oublier la Résistance française et ces hommes et ces femmes qui souvent au péril de leur vie, en faisant sauter les rails, en arrêtant les convois nazis, en sabotant des pièces d'usine, en fournissant des renseignements ont retardé l'avancée des troupes ennemies et leur firent subir de lourdes pertes. Il ne faudrait pas non plus oublier le sacrifice des habitants de Stalingrad qui en février 1943 se sont battus maison après maison et dont la victoire a constitué un véritable tournant de la guerre, montrant que les Allemands n'étaient pas invincibles, la victoire de Koursk (juillet- août 43), qui détruisit définitivement le potentiel militaire nazi tant matériel qu'humain et le sacrifice de la population soviétique dans son ensemble qui a payé un lourd tribut avec 20 millions de morts ! L'éclairage mis sur l'engagement des uns ne saurait nous faire oublier l'engagement des autres. Enfin, à ne pas oublier également l’importance des Commémorations, cérémonies faites en souvenir d'un événement important dans l'histoire d'un pays qui nous incitent à faire œuvre de mémoire, à honorer ceux qui ont vaincu ou péri lors de cet événement ou les deux à la fois. Elles sont l'occasion de réfléchir à notre histoire et nous interpellent aussi sur notre actualité en nous rappelant le courage et l'audace de ceux qui se sont engagés. Elles nous invitent à être dignes d'eux en nous engageant à notre tour afin que notre pays ne revive plus de scènes atroces mais qu'au contraire, « en reprenant le fil interrompu du récit émancipateur qui parcourt notre histoire, de la Révolution de 1789, à la Libération de 1944 en passant par la Commune et le Front Populaire, notre pays redevienne au 21ème siècle une France de la Liberté, de l'Egalité, de la Fraternité ». (Citation d'Alain Hayot, Conseiller régional à la Culture) Débarquement de Normandie Débarquement de Provence à Cavalaire Actes de sabotages Soldat Soviétique brandissant le drapeau rouge sur la Place centrale de Stalingrad Page 3 GENERATIONS RESISTANCES 1915-2015, les 100 ans du Génocide des Arméniens Une forte population d’Arméniens est venue s’implanter en Arles, aux Salins –de- Giraud à suite des conflits de 1914-1922 qui ont abouti à la chute de l’Empire ottoman et à la création d’une Turquie conquérante qui s’est débarrassée impunément de 30% de sa population chrétienne. 350 000 Grecs Pontiques, 400 000 AssyroChaldéens, connaitront le même sort que les 1 500 000 Arméniens victimes du génocide de 1915.Dans la nuit du dimanche 24 avril 1915, 600 intellectuels arméniens d’Istanbul sont déportés, les soldats d’origine arménienne de l’Armée ottomane sont séparés et abattus par petits groupes. I ne reste plus que les femmes, les enfants et les vieillards, que l’on dépossède de leurs titres de propriété et que l’on pousse dans les convois de la mort jusqu’aux désert de Syrie. Certains arméniens qui ont pu échapper à ce génocide, à peine arrivés en France, ont trouvé la force d’aller s’enrôler dans le Régiment de Marche de la Légion Etrangère pour combattre et mourir aux côtés des soldats français dans les tranchées de Verdun. Une tranchée de Picardie porterait même le nom de « Tranchée des Arméniens » Des stèles de pierre des «Ville arménienne de Van et de Sis » sont apposées sur le fronton de l’Ossuaire de Douaumont en témoignage du souvenir de ces 500 arméniens engagés aux côtés des poilus. Il faut également se souvenir de la célèbre « Légion d’Orient », ce corps d’armée créé en 1916 par le Ministre de la Guerre français sur la base du volontariat et dans lequel s’enrôlèrent de nombreux arméniens pour combattre sous les couleurs de la France. La Légion d’Orient répondait aux besoins conjoncturels d’affirmer la présence de la France en Cilicie et au Levant. De nombreux soldats français sont morts pour défendre la Cilicie, le cimetière militaire de Dmeir en Syrie est le témoignage de l’histoire française au Proche-Orient. Pendant la seconde guerre mondiale, il y eut aussi de nombreux engagés volontaires apatrides d’origine arménienne qui ont demandé à être mobilisé dans l’armée française. Lorsque la défaite surgit, certains sont faits prisonniers de guerre et envoyés dans des stalags, d’autres entrent dans la Résistance comme ce régiment spontané d’arméniens commandé par le Capitaine Pétrossian qui ont libéré de nombreuses villes du Sud de la France, à Paris, c’est Missak Manouchian chef militaire des FTP-MOI, Francs-Tireurs et Partisans-Main d’œuvre immigrée, qui fut arrêté le 16 novembre 1943, et fusillé avec 22 des membres de son groupe au Mont Valérien. L’Association des Arméniens d’Arles a été créée en 1988 par Avak KAYZAKIAN suite au tremblement de terre en Arménie en solidarité et suite à la générosité de la population arlésienne. En 26 ans d’activité, l’Association a été riche en évènements, notamment en 2007, lors de l’Année de l’Arménie en France, avec l’exposition « les Splendeurs d’Arménie » au Musée de l’Arles Antique et en 2008, l’Association a été à l’initiative de la construction de la stèle érigée dans le Jardin d’Eté d’Arles . La France ayant reconnu publiquement le génocide arménien de 1915 par la loi du 29 janvier 2001, ce mémorial est le lieu de commémoration pour les victimes du 1er génocide du XXème siècle. Ls liens entre Arles et les Arméniens de la région restent très forts et solidaires dans toutes les occasions heureuses et malheureuses de la vie. Laurent ISRAELIAN - Président de l’Association des Arméniens d’Arles et de sa région Mémorial dédié aux victimes du génocide Arménien situé à Erevan en Arménie Page 4 GENERATIONS RESISTANCES Stèle de Montélimar Chronique de l’ANACR – ARLES Le 17 mai s’est déroulé le traditionnel voyage annuel organisé par le Comité ANACR Arles. Cette année au programme, l’hommage à la stèle de Montélimar dédiée à la Résistance et à la Déportation en présence des autorités municipales et patriotiques de la ville. A signaler la participation active avec prise de parole des élus locaux lors de cet hommage. La visite du Musée de la Résistance du TEIL (Ardèche) avec également une visite d’expo sur la Déportation a occupé la matinée. L’après-midi a été consacré à la visite de la Nougaterie SOUBEYRAN – instructive et documentée. Nous tenons à remercier les membres de l’ANACR de la Drôme qui nous ont aidé à organisé ce voyage touristique et du souvenir. Du 6 juin au 13 juin, avec l’Amicale des Anciens Marins d’Arles, nous avons participé à la magnifique exposition qui s’est déroulée dans l’Eglise Ste-Anne. Notre association a tenu un stand concernant la Résistance sur le Rhône et aux Chantiers de Barriol. De nombreuses personnes ont été fortement intéressées par cette documentation. COMMEMORATION Le 18 juin s’est déroulée en salle d’Honneur de la Mairie d’Arles la cérémonie commémorative du 74ème anniversaire de l’Appel historique du Général De Gaulle. A cette occasion les deux élèves du lycée Pasquet ayant participé au Concours National de la Résistance et de la Déportation ont été félicitées et récompensées par les autorités présentes. Notre association a offert le livre "Résister en Pays d’Arles" à Barbara MARTINEZ et Anaïs MONGE, élèves de classe de Seconde du lycée Pasquet. Avec nos remerciements et nos félicitations. PRÉSENTATION du livre Résister en pays d'Arles Mardi 24 juin, Aude Gros De Beler, éditrice d'Actes Sud, et les auteurs de l'ouvrage, Marie-Josée Bouche, Georges Carlevan, Éric Castellani, Jean-Claude Duclos, Jean-Marie Guillon, Marion Jeux, Nicolas Koukas, Robert Mencherini, et Éliane Mézy, ont présenté au public l'ouvrage Résister en pays d'Arles dans la cour de l'ancien collège Frédéric Mistral, en présence de Monsieur le Maire et des représentants du Conseil général et du Conseil régional. Ce moment important pour l'association, a réuni plus de 80 personnes et s'est déroulé dans une ambiance particulièrement conviviale. Il s'est terminé par une séance de signature autour d'un apéritif. Page 5 GENERATIONS RESISTANCES Samedi 26 juillet Notre association par l’intermédiaire de l’Amicale des Anciens Marins d’Arles a participé à l’animation "Rhône Movie Party". Nous avons proposé aux visiteurs un stand sous chapiteau au jardin romain ORTUS. Ce stand présenta la maquette du remorqueur "Le Galibier", la documentation concernant la Résistance sur le Rhône et aux Chantiers de Barriol. Maquette du "Galibier" 22 Août 2014 Célébration du 70ème anniversaire de la Libération de la ville d’Arles en présence des autorités et des Associations Patriotiques. Nous en ferons un commentaire détaillé dans notre prochain journal. Du mercredi 27 août à 18h jusqu'au 24 septembre – Librairie Actes Sud Vernissage de l'exposition le 27 août à 18h. Cette exposition Résister en pays d'Arles, 1944-2014 présente à un large public une synthèse de l'ouvrage du même nom. Elle montre une sélection de documents et d'objets qui retracent les différentes formes d'action de la Résistance en pays d'Arles jusqu'à la victoire dont nous célébrons le 70e anniversaire. Vendredi 5 septembre à 18h – Librairie Actes Sud Rencontre et signature par les auteurs du livre Résister en pays d'Arles, 1944-2014. Marie-Josée Bouche, Georges Carlevan, Eric Castellani, Jean-Claude Duclos, Marion Jeux, Nicolas Koukas, et Eliane Mézy présenteront cet ouvrage collectif et animeront un débat sur la Résistance et la libération d'Arles et du pays d'Arles. Samedi 20 et Dimanche 21 septembre – Journées Européennes du Patrimoine Notre association a formé un étudiant du lycée Pasquet, Sylvain FOSSAT, pour assurer une visite en ville sur le thème "Arles dans les tourments de la Seconde Guerre Mondiale". Il s’agira d’évoquer, à l’occasion du 70ème anniversaire de la Libération, la vie quotidienne, l’occupation, la Résistance, les bombardements, la Libération au cours d’une visite en ville commentée par Sylvain. Dimanche 21 septembre 2014 – La Journée des Associations sur le Bd des Lices. Notre association tiendra un stand avec nos amis de l’A.N.A.C.R. et de la F.N.D.I.R.P. Une occasion supplémentaire pour indiquer à la population qu’il y a URGENCE et NECESSITE de créer un Centre Résistance et Déportation pour le Pays d’Arles. Jeudi 7 octobre à 18h – au Musée de la Camargue Mas du Pont de Rousty Notre association présentera le livre "Résister en Pays d’Arles" dans le cadre des activités culturelles du Parc Régional de Camargue avec la participation de Monsieur Jean-Claude DUCLOS – Conservateur en Chef Honoraire du Patrimoine. Centre de Documentation : Réouverture de la Bibliothèque au public le mercredi 10 septembre de 14h30 à 16h30 et le premier mercredi de chaque mois. Page 6 GENERATIONS RESISTANCES Sortie de Route Par Françoise Champion A propos de Dietrich Von Choltitz et de la désobéissance, l’article paru dans le dernier N° de notre journal appelle à réflexion. Il est évident que ce qui a intéressé l’auteur de cet article, c’est le ressort de la désobéissance, le mystère de cette rupture dans le destin tout tracé d’un homme. C’est aussi ce qui a fasciné le metteur en scène Volker Schlöndorff dans le film « Diplomatie » qui traite du même sujet. Mais là où un artiste use de sa liberté d’interprétation pour faire un beau film ou un beau roman, là où le philosophe se penche sur les hypothèses du conflit « devenir bourreau ou devenir Résistant » l’Histoire, elle, explore d’autres pistes, a une autre finalité, et une méthode qui, recoupant témoignages et documents, s’en tient aux faits et rejette les extrapolations aventureuses qui pourraient, si on n’y prête garde, devenir l’expression involontaire d’un révisionnisme. C’est ainsi qu’il convient de nuancer la part prise par Von Choltitz au sauvetage de Paris : à la lumière des faits, sa désobéissance se révèlerait moins humaniste, moins altruiste et moins purement respectueuse d’un patrimoine qu’il n’y paraît, (voir les conversations enregistrées avec les Britanniques après sa reddition, la situation de fin de guerre qui rend pragmatique, ou la trêve négociée avec les insurgés parisiens qui lui permet d’assurer sa propre sécurité et celle de ses hommes, de disposer d’une monnaie d’échange, de garder des ponts intacts pour la retraite de la Wehrmacht, et d’attendre l’arrivée des Américains, sans avoir à se rendre aux Résistants français qu’il craignait). Des exemples « d’accidents de parcours » dans le contexte de la Résistance, il y en a d’autres. Rien ne prédisposait Daniel Cordier, grand admirateur de Maurras, à devenir le secrétaire de Jean Moulin, et le Résistant que l’on sait. Et que dire de la spectaculaire « sortie de route » d’Aristides ! … Il s’appelle Aristides de Sousa Mendes do Amaral e Avranches, sa désobéissance est extravagante et tout aussi « exotique » que les jolies sonorités de son nom. En 1940 il est consul général du Portugal à Bordeaux. Aristocrate, catholique, père d’une nombreuse famille, son début de carrière n’a pas été sans histoires Semble t-il, mais en 1940, il a 55 ans, c’est un homme rangé et rien ne semble devoir bousculer cette vie officielle. Et pourtant… Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, le Portugal est certes neutre, mais le dictateur Salazar interdisait à ses diplomates de délivrer des visas aux populations dites « indésirables » fuyant les nazis. Or, à Bordeaux en 1940, beaucoup d’entre elles qui espèrent encore se sauver au Portugal ou au delà vers les États-Unis, s’accrochent à cette illusion de neutralité, et affluent. La vue d’une humanité menacée, entassée dans les rues et devant les bureaux de l’ambassade dans de lamentables conditions est insupportable. Surtout quand on détient, comme Aristides, le pouvoir d’y remédier : le tampon miracle, la signature salvatrice. Pour cela, il faut commettre la faute impardonnable pour un fonctionnaire de ce niveau : la désobéissance au gouvernement que vous représentez. La « faute » que Papon n’a malheureusement pas commise. Alors Aristides, lui aussi, a sa zone d’ombre. Il tombe malade. Trois jours de fièvre. Quand il en sort, il a choisi : « S’il me faut désobéir, je préfère que se soit à un ordre des hommes qu’à un ordre de Dieu » répondra-t-il aux reproches qui lui seront faits plus tard. Il s’ensuit alors une effarante course contre la montre pour délivrer, avant que Lisbonne ne s’inquiète, le plus possible de visas. Aristides travaille jour et nuit, il a la désobéissance œcuménique et frénétique. Il déclare : « Je donnerai des visas à tout le monde, il n’y a plus de nationalités, de races, de religions. » « Juifs, catholiques, protestants ? On signe ! Apatrides ? On signe ! Russe ? On signe ! Allemand ? On signe ! » Le gouvernement portugais enfin alerté le somme de suspendre la délivrance des pièces, il continue. Il a la désobéissance têtue, Aristides. On vient le chercher pour le ramener sous escorte à Lisbonne. Et le voyage est mouvementé. Arrêt à Bayonne où sa réputation de sauveur l’ayant précédé, des masses de demandeurs l’attendent : il signe et signe. Page 7 GENERATIONS RESISTANCES Il a épuisé depuis longtemps les formulaires officiels, de simples feuilles volantes font l’affaire. À Hendaye, même scène. Mais là, la frontière espagnole est fermée sur ordre de Madrid. Alors dans une auberge, sur un coin de table et dans l’urgence absolue, il signe à tour de bras ses ultimes laissez-passer. Puis il entraine la troupe des demandeurs derrière sa limousine qu’il fait rouler au pas sur une route à l’écart menant à un poste frontière de campagne dépourvu de téléphone. Médusé, le policier espagnol, non averti, intimidé par le titre et l’imposante stature du consul, laisse passer l’étrange cortège. Rentré dans son pays, Aristides est traduit en conseil de discipline, révoqué, déchu, sans traitement, il mourra dans la misère et le silence en 1954. Il faudra attendre 1988 pour que le Portugal réhabilite la mémoire de celui qui, selon un spécialiste, a réalisé « la plus grande action de sauvetage menée par une seule personne pendant l’Holocauste ». On estime à plus de 30 000 le nombre de personnes ainsi sauvées, dont 10 000 Juifs. Aristides de Sousa Mendes fut déclaré par Israël « Juste parmi les Nations » en 1966. Mais dans son propre pays les réticences furent tenaces. Injuste retour des choses, c’est Salazar qui, après la guerre, s’enorgueillit d’avoir offert une terre d’accueil à des milliers d’exilés, tandis qu’il laissait croupir le principal auteur du sauvetage. L’Histoire a parfois de ces ingratitudes : Von Choltitz n’a pas été longuement inquiété après la guerre (pour ses exactions sur le front de l’Est entre autres). Il a joui d’une paisible et très confortable retraite. Aristides de Sousa Mendes, lui, a tout perdu, sauf son âme. La décision de dire « non » et de sortir de la route, peut coûter plus ou moins cher. Bibliographie : Le Juste de Bordeaux. Aristides de Sousa Mendes. José Alain Fralon. Editions Mollat/Seuil, Bordeaux, 1998 Le Comité National Français A. Sousa Mendes a publié : Le Portugais du Siècle 2001- Les Documents 2004 - Le pouvoir de dire non 2005 Bordeaux dans la tourmente BD de Jocelyn Gille - 1992 Aurais-je été résistant ou bourreau ? Pierre Bayard - Editions de Minuit 2013 Page 8 GENERATIONS RESISTANCES Irena Sendlerowa, une transparente opacité au sein du Ghetto ! D’après Jean-Claude MARINO Pourquoi faut-il que notre esprit s’abreuvât des horreurs de l’histoire pour qu’aussitôt se réactivât le meilleur de nous-mêmes, pour que nous prissions conscience que la gravité de la situation exigeât de nous moins de paroles en l’air que d’actes concrets, alors que l’horreur économique de notre temps est en train de détruire les masses sans faire se lever le moindre souffle de rébellion ? Née le 15 février 1910 à Varsovie, Irena Sendlerowa - la mère des enfants de la Shoah - figura longtemps dans l’ombre en son propre pays, la Pologne, et il fallut attendre le mois de mars 2007 pour qu’elle fût élevée au rang d’héroïne nationale ; cependant, le mémorial israélien de l’Holocauste, le Yad Vashem, lui avait décerné dès 1965 - comme à Oskar Schindler - le titre de « Juste parmi les Nations » réservé aux non juifs ayant sauvé des juifs, et en 1991 elle devint Citoyenne d’Honneur de l’Etat d’Israël ; mais, curieusement, c’est en 1999 que son histoire commença à être connue grâce à quatre étudiantes de la ville d’Uniontown dans le Kansas. Celles-ci, alertées par le chiffre surprenant de 2500 enfants juifs sauvés par cette femme, partirent l’y rencontrer en Pologne. Là-bas, elles réalisèrent une pièce de théâtre – jouée aux EtatsUnis, au Canada et en Pologne - intitulée « Life in a jar » (Vie dans un bocal) en souvenir des petits papiers dans un bocal de verre… Son père, qui était médecin, mourut du typhus en 1917 alors qu’elle n’avait que sept ans ; il lui avait enseigné la devise suivante : « Aide toujours celui qui est en train de se noyer sans condition de religion ou de nationalité. Aider chaque jour quiconque est une nécessité que te dicte ton cœur. » Assistante sociale, elle travaillait déjà avant la guerre auprès des familles juives pauvres de Varsovie qui était alors la première métropole juive d'Europe. La capitale polonaise abritait 400.000 des 3,5 millions de juifs de Pologne. Lorsque l’Allemagne envahit son pays en 1939, Irena était infirmière au Bureau d’aide sociale de Varsovie et gérait les cantines populaires de la ville. Dès l'automne 1940, elle prit des risques considérables pour apporter de la nourriture, des vêtements ou des médicaments aux habitants du ghetto, que les occupants nazis avaient instauré dans un quartier de la capitale. Sur 4 km², ils y avaient entassé 450.000 personnes. En raison du manque de nourriture, beaucoup sont morts de faim ou de maladie ; les autres ont été gazés au camp de la mort de Treblinka. Quelques survivants ont mené au printemps 1943 une insurrection désespérée avant que l'armée nazie ne rase complètement le quartier. Lorsqu'elle marchait dans les rues du ghetto, Irena portait un brassard avec l'Etoile de David, à la fois par solidarité avec les juifs et par souci de ne pas attirer l'attention sur elle, souligne le mémorial du Yad Vashem. En septembre 1942, elle rejoignit le mouvement de résistance Zegota, (Organisation clandestine d'aide aux juifs créée et financée par le gouvernement polonais en exil à Londres) qui la nomma, en décembre 1942, chef du département de l’enfance. Elle fit alors sortir clandestinement des enfants du ghetto qu'elle hébergeait dans des familles catholiques et des couvents. Les enfants étaient cachés dans des valises, transportés par des pompiers ou des camions à ordures, ou simplement dissimulés sous les manteaux des personnes qui avaient le droit d'accès au ghetto, comme Irena et son équipe d'assistantes sociales. Par précaution, elle notait soigneusement les noms des enfants et des familles sur des papiers glissés dans un bocal de verre qu’elle allait enterrer sous le pommier du voisin. Elle conserva ainsi, sans que personne la soupçonne, le passé de 2.500 enfants jusqu’au départ des nazis. Elle réussit à recruter au moins une personne dans chacun des dix centres du Département de l’aide sociale. Grâce à cela, elle établit des centaines de fausses pièces d’identité avec des fausses signatures pour donner une identité temporaire à ces enfants juifs. Mais un jour les nazis eurent vent de ses activités. Le 20 octobre 1943, elle fut arrêtée à son domicile par la Gestapo et emmenée à la prison de Pawiak ; malgré les tortures qui la laissèrent infirme à vie, elle n’avoua rien sur son réseau, ne trahit aucun de ses collaborateurs ni aucun des enfants cachés car Irena était la seule à connaître les noms et adresses des familles qui avaient recueilli les enfants juifs. Alors, on lui rompit les pieds et les jambes mais personne ne put rompre sa volonté. Aussi, fut-elle condamnée à mort. Une sentence qui ne fut jamais accomplie car sur le chemin de l’exécution, le soldat qui l’accompagnait la laissa s’échapper. La Résistance (Zegota) avait soudoyé le garde parce qu’on ne voulait pas qu’Irène mourût en emportant le secret de la cachette des enfants. Elle figura officiellement sur la liste des exécutés. Ainsi, à partir de ce moment, Irena poursuivit son travail sous la fausse identité de « Jolanta ». A la fin de la guerre, elle déterra elle-même les bocaux et utilisa ses notes pour retrouver les 2.500 enfants qu’elle avait placés dans des familles adoptives. Elle les réunit avec leurs proches, disséminés dans toute l’Europe, mais la majorité avait perdu leur famille dans les camps de concentration nazis. Irena resta clouée dans un fauteuil roulant par suite de lésions dues aux tortures infligées par la Gestapo et disparut le 12 mai 2008 à Varsovie. Elle ne se considéra par comme une héroïne, jamais ne se glorifia de ses actions, et à chaque fois qu’on lui posait la question, Irena répondait : « On ne plante pas des graines de nourriture. On plante des graines de bonnes actions. Essayez de faire des chaînes de bonnes actions pour les entourer et les faire se multiplier. » Les véritables héros restent souvent enfermés dans l’anonymat, la notoriété ne les intéresse pas - ceux qu’elle attire n’en sont pas - ; le courage, ne découle que d’une réaction normale ; le danger, omniprésent, ne représente aucune entrave à la mission ; le risque d’être trahi, balayé comme un parterre émietté de secrets ; la mort, inopérante, réduite à n’être plus à même de se mirer dans l’œil du bourreau ; les conséquences, seulement des images vite effacées qui ne parviendront pas à briser la carapace enfiévrée de ces personneslà, insensibles au mal, rares de par leur condition et pourtant si nécessaires à l’humanité, comme le fut Irena Sendlerowa. Source : Irena Sendlerowa : La mère des enfants de l’Holocauste d’Anna Mieszkowska – Ed. du Rocher. Association pour un Musée de la Résistance et de la Déportation du Pays d’Arles Boulevard Emile Combes – Ancien Collège Frédéric Mistral 13200 ARLES - 0 4-90-96-52-35 Mail : [email protected] – RETROUVER-NOUS SUR LE WEB ! http://www.centre-resistance-arles.fr