Maquette journal - Centre de la Résistance et de la Déportation

Transcription

Maquette journal - Centre de la Résistance et de la Déportation
Septembre 2014
Numéro 62
« Quand on ne tuera plus, ils seront bien vengés »
(P. Eluard)
Association pour un Musée de la Résistance
et de la Déportation du Pays d’Arles
A propos du livre "Résister en Pays
d’Arles"
Une fois de plus : URGENCE et
NECESSITE
DANS CE NUMERO :
Edito
1
1944-1945 - Années 2
Mémorielles : La
Libération de la France
1915-2015,
3
les 100 ans du
Génocide des Arméniens
Activités passées
4
Activités à venir
5
Droit de réponse :
Sortie de route
6/7
Irena Sendlerowa, une
grande figure de la
Résistance
8
Les deux raisons majeures qui nous ont
incités à publier cet ouvrage sont pour la
première l’absence d’une publication de
synthèse sur la Résistance en Pays
d’Arles afin d’apprécier les formes
d’action et leur évolution jusqu’à la
victoire dont nous célébrons le 70ème
anniversaire, cette année.
Notre étude ne retracera pas
l’exhaustivité des faits qui la composent,
mais elle servira à en repérer les plus
marquants. Notre association existe
depuis 1996 et ce livre est aussi une
manière de restituer aussi le travail
inlassable accompli depuis 18 ans et qui
mérite d’être pérennisé. Ce document
sera un support pédagogique important
pour la formation du citoyen
d’aujourd’hui et de demain.
Les "porteurs de mémoire" de la
Résistance et de la Déportation n’ont
négligé et ne négligent encore
aujourd’hui aucun effort pour entretenir
avec l’aide des collectivités territoriales le
souvenir de celles et ceux grâce auxquels
nous restons fiers d’être Français.
Aussi essentielles qu’elles soient leurs
actions ne suffisent plus aujourd’hui.
Les rangs des témoins s’éclaircissent,
hélas, chaque année. Un relais doit donc
être assuré.
C’est la raison pour laquelle notre
association défend la création d’une
structure pérenne, afin que la voix des
Résistants et des Déportés survive grâce
à un Centre Résistance et Déportation
du Pays d’Arles. Grâce au support des
archives, des objets, des témoignages que
nous avons rassemblés, depuis 18 ans
déjà, nous avons constitué une précieuse
collection qu’il y a urgence de faire
connaître avant que l’oubli ne s’installe.
Il y a pire que la mort, il y a l’oubli.
La deuxième raison de publier cet
ouvrage l’année de la commémoration
du 70ème anniversaire de la Libération de
la ville d’Arles c’est aussi, pour notre
association une nécessité. En effet les
réactions racistes, corporatistes,
isolationnistes et antidémocratiques qui
se manifestent dans notre pays et aussi
dans le Pays d’Arles menacent
gravement les structures de notre société.
Il faut donc que dans notre ville d’Arles
et pour le Pays d’Arles, il existe un
Centre qui ait les moyens, à la lumière
de l’histoire et de la mémoire de la
Résistance et de la Déportation, de
contribuer à la cohésion sociale et au
vivre ensemble dans le partage des
valeurs républicaines dont sont porteurs
Résistants et Déportés.
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GENERATIONS RESISTANCES
1944-1945 – Années Mémorielles
LIBERATION DE LA FRANCE GRACE A DEUX DEPARQUEMENTS ET LA RESISTANCE,
DU PEUPLE FRANCAIS ET CELLE DU PEUPLE SOVIETIQUE.
Par Josette PAC
On a célébré le 6 juin dernier le 70ème anniversaire du
Débarquement anglo-américain sur les côtes normandes.
Les Anglais et les Américains étaient venus prêter main
forte pour la libération de la France. Beaucoup d'entre
eux sont morts à peine arrivés comme le montre les
cimetières de Normandie. N'oublions pas non plus le
Débarquement de Provence le 15 août 1944 qui venait
prendre les Nazis en tenaille.
Mais ces événements médiatiques ne doivent pas nous
faire oublier la Résistance française et ces hommes et ces
femmes qui souvent au péril de leur vie, en faisant sauter
les rails, en arrêtant les convois nazis, en sabotant des
pièces d'usine, en fournissant des renseignements ont
retardé l'avancée des troupes ennemies et leur firent
subir de lourdes pertes.
Il ne faudrait pas non plus oublier le sacrifice des
habitants de Stalingrad qui en février 1943 se sont
battus maison après maison et dont la victoire a
constitué un véritable tournant de la guerre, montrant
que les Allemands n'étaient pas invincibles, la victoire de
Koursk (juillet- août 43), qui détruisit définitivement le
potentiel militaire nazi tant matériel qu'humain et le
sacrifice de la population soviétique dans son ensemble
qui a payé un lourd tribut avec 20 millions de morts !
L'éclairage mis sur l'engagement des uns ne saurait nous
faire oublier l'engagement des autres.
Enfin, à ne pas oublier également l’importance des
Commémorations, cérémonies faites en souvenir d'un
événement important dans l'histoire d'un pays qui nous
incitent à faire œuvre de mémoire, à honorer ceux qui
ont vaincu ou péri lors de cet événement ou les deux à la
fois.
Elles sont l'occasion de réfléchir à notre histoire et nous
interpellent aussi sur notre actualité en nous rappelant le
courage et l'audace de ceux qui se sont engagés.
Elles nous invitent à être dignes d'eux en nous engageant
à notre tour afin que notre pays ne revive plus de scènes
atroces mais qu'au contraire, « en reprenant le fil
interrompu du récit émancipateur qui parcourt notre
histoire, de la Révolution de 1789, à la Libération de 1944
en passant par la Commune et le Front Populaire, notre
pays redevienne au 21ème siècle une France de la Liberté, de
l'Egalité, de la Fraternité ». (Citation d'Alain Hayot,
Conseiller régional à la Culture)
Débarquement de Normandie
Débarquement de Provence
à Cavalaire
Actes de sabotages
Soldat Soviétique brandissant le drapeau rouge
sur la Place centrale de Stalingrad
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GENERATIONS RESISTANCES
1915-2015, les 100 ans du Génocide des Arméniens
Une forte population d’Arméniens est venue s’implanter en Arles, aux Salins –de- Giraud à suite des conflits de
1914-1922 qui ont abouti à la chute de l’Empire ottoman et à la création d’une Turquie conquérante qui s’est
débarrassée impunément de 30% de sa population chrétienne. 350 000 Grecs Pontiques, 400 000 AssyroChaldéens, connaitront le même sort que les 1 500 000 Arméniens victimes du génocide de 1915.Dans la nuit du
dimanche 24 avril 1915, 600 intellectuels arméniens d’Istanbul sont déportés, les soldats d’origine arménienne de
l’Armée ottomane sont séparés et abattus par petits groupes. I ne reste plus que les femmes, les enfants et les
vieillards, que l’on dépossède de leurs titres de propriété et que l’on pousse dans les convois de la mort jusqu’aux
désert de Syrie.
Certains arméniens qui ont pu échapper à ce génocide, à peine arrivés en France, ont trouvé la force d’aller
s’enrôler dans le Régiment de Marche de la Légion Etrangère pour combattre et mourir aux côtés des soldats
français dans les tranchées de Verdun. Une tranchée de Picardie porterait même le nom de « Tranchée des
Arméniens »
Des stèles de pierre des «Ville arménienne de Van et de Sis » sont apposées sur le fronton de l’Ossuaire de
Douaumont en témoignage du souvenir de ces 500 arméniens engagés aux côtés des poilus.
Il faut également se souvenir de la célèbre « Légion d’Orient », ce corps d’armée créé en 1916 par le Ministre de
la Guerre français sur la base du volontariat et dans lequel s’enrôlèrent de nombreux arméniens pour combattre
sous les couleurs de la France. La Légion d’Orient répondait aux besoins conjoncturels d’affirmer la présence de
la France en Cilicie et au Levant. De nombreux soldats français sont morts pour défendre la Cilicie, le cimetière
militaire de Dmeir en Syrie est le témoignage de l’histoire française au Proche-Orient.
Pendant la seconde guerre mondiale, il y eut aussi de nombreux engagés volontaires apatrides d’origine
arménienne qui ont demandé à être mobilisé dans l’armée française. Lorsque la défaite surgit, certains sont faits
prisonniers de guerre et envoyés dans des stalags, d’autres entrent dans la Résistance comme ce régiment spontané
d’arméniens commandé par le Capitaine Pétrossian qui ont libéré de nombreuses villes du Sud de la France, à
Paris, c’est Missak Manouchian chef militaire des FTP-MOI, Francs-Tireurs et Partisans-Main d’œuvre immigrée,
qui fut arrêté le 16 novembre 1943, et fusillé avec 22 des membres de son groupe au Mont Valérien.
L’Association des Arméniens d’Arles a été créée en 1988 par Avak KAYZAKIAN suite au tremblement de terre
en Arménie en solidarité et suite à la générosité de la population arlésienne.
En 26 ans d’activité, l’Association a été riche en évènements, notamment en 2007, lors de l’Année de l’Arménie
en France, avec l’exposition « les Splendeurs d’Arménie » au Musée de l’Arles Antique et en 2008, l’Association a
été à l’initiative de la construction de la stèle érigée dans le Jardin d’Eté d’Arles . La France ayant reconnu
publiquement le génocide arménien de 1915 par la loi du 29 janvier 2001, ce mémorial est le lieu de
commémoration pour les victimes du 1er génocide du XXème siècle. Ls liens entre Arles et les Arméniens de la
région restent très forts et solidaires dans toutes les occasions heureuses et malheureuses de la vie.
Laurent ISRAELIAN - Président de l’Association des Arméniens d’Arles et de sa région
Mémorial dédié aux victimes du génocide Arménien situé à Erevan en Arménie
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GENERATIONS RESISTANCES
Stèle de Montélimar
Chronique de l’ANACR – ARLES
Le 17 mai s’est déroulé le traditionnel voyage annuel organisé par le Comité
ANACR Arles.
Cette année au programme, l’hommage à la stèle de Montélimar dédiée à la
Résistance et à la Déportation en présence des autorités municipales et
patriotiques de la ville. A signaler la participation active avec prise de parole
des élus locaux lors de cet hommage. La visite du Musée de la Résistance du
TEIL (Ardèche) avec également une visite d’expo sur la Déportation a occupé
la matinée.
L’après-midi a été consacré à la visite de la Nougaterie SOUBEYRAN –
instructive et documentée. Nous tenons à remercier les membres de l’ANACR
de la Drôme qui nous ont aidé à organisé ce voyage touristique et du souvenir.
Du 6 juin au 13 juin, avec l’Amicale des Anciens Marins d’Arles, nous
avons participé à la magnifique exposition qui s’est déroulée dans
l’Eglise Ste-Anne. Notre association a tenu un stand concernant la
Résistance sur le Rhône et aux Chantiers de Barriol. De nombreuses
personnes ont été fortement intéressées par cette documentation.
COMMEMORATION
Le 18 juin s’est déroulée en salle d’Honneur de la Mairie d’Arles la
cérémonie commémorative du 74ème anniversaire de l’Appel
historique du Général De Gaulle.
A cette occasion les deux élèves du lycée Pasquet ayant participé au
Concours National de la Résistance et de la Déportation ont été
félicitées et récompensées par les autorités présentes.
Notre association a offert le livre "Résister en Pays d’Arles" à
Barbara MARTINEZ et Anaïs MONGE, élèves de classe de
Seconde du lycée Pasquet. Avec nos remerciements et nos
félicitations.
PRÉSENTATION du livre Résister en pays d'Arles
Mardi 24 juin, Aude Gros De Beler, éditrice d'Actes Sud, et les
auteurs de l'ouvrage, Marie-Josée Bouche, Georges Carlevan, Éric
Castellani, Jean-Claude Duclos, Jean-Marie Guillon, Marion Jeux,
Nicolas Koukas, Robert Mencherini, et Éliane Mézy, ont présenté
au public l'ouvrage Résister en pays d'Arles dans la cour de l'ancien
collège Frédéric Mistral, en présence de Monsieur le Maire et des
représentants du Conseil général et du Conseil régional. Ce moment
important pour l'association, a réuni plus de 80 personnes et s'est
déroulé dans une ambiance particulièrement conviviale. Il s'est
terminé par une séance de signature autour d'un apéritif.
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GENERATIONS RESISTANCES
Samedi 26 juillet
Notre association par l’intermédiaire de l’Amicale des Anciens
Marins d’Arles a participé à l’animation "Rhône Movie Party". Nous
avons proposé aux visiteurs un stand sous chapiteau au jardin
romain ORTUS. Ce stand présenta la maquette du remorqueur "Le
Galibier", la documentation concernant la Résistance sur le Rhône
et aux Chantiers de Barriol.
Maquette du "Galibier"
22 Août 2014
Célébration du 70ème anniversaire de la Libération de la ville d’Arles en présence des autorités et des
Associations Patriotiques. Nous en ferons un commentaire détaillé dans notre prochain journal.
Du mercredi 27 août à 18h jusqu'au 24 septembre – Librairie Actes Sud
Vernissage de l'exposition le 27 août à 18h.
Cette exposition Résister en pays d'Arles, 1944-2014 présente à un large public une synthèse de l'ouvrage du même
nom. Elle montre une sélection de documents et d'objets qui retracent les différentes formes d'action de la
Résistance en pays d'Arles jusqu'à la victoire dont nous célébrons le 70e anniversaire.
Vendredi 5 septembre à 18h – Librairie Actes Sud
Rencontre et signature par les auteurs du livre Résister en pays d'Arles, 1944-2014. Marie-Josée Bouche, Georges
Carlevan, Eric Castellani, Jean-Claude Duclos, Marion Jeux, Nicolas Koukas, et Eliane Mézy présenteront cet
ouvrage collectif et animeront un débat sur la Résistance et la libération d'Arles et du pays d'Arles.
Samedi 20 et Dimanche 21 septembre – Journées Européennes du Patrimoine
Notre association a formé un étudiant du lycée Pasquet, Sylvain FOSSAT, pour assurer une visite en ville sur le
thème "Arles dans les tourments de la Seconde Guerre Mondiale".
Il s’agira d’évoquer, à l’occasion du 70ème anniversaire de la Libération, la vie quotidienne, l’occupation, la
Résistance, les bombardements, la Libération au cours d’une visite en ville commentée par Sylvain.
Dimanche 21 septembre 2014 – La Journée des Associations sur le Bd des Lices.
Notre association tiendra un stand avec nos amis de l’A.N.A.C.R. et de la F.N.D.I.R.P. Une occasion
supplémentaire pour indiquer à la population qu’il y a URGENCE et NECESSITE de créer un Centre
Résistance et Déportation pour le Pays d’Arles.
Jeudi 7 octobre à 18h – au Musée de la Camargue
Mas du Pont de Rousty
Notre association présentera le livre "Résister en Pays d’Arles" dans le cadre des activités
culturelles du Parc Régional de Camargue avec la participation de Monsieur Jean-Claude
DUCLOS – Conservateur en Chef Honoraire du Patrimoine.
Centre de Documentation : Réouverture de la Bibliothèque au public le mercredi
10 septembre de 14h30 à 16h30 et le premier mercredi de chaque mois.
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GENERATIONS RESISTANCES
Sortie de Route
Par Françoise Champion
A propos de Dietrich Von Choltitz et de la désobéissance, l’article paru dans le dernier N° de notre journal
appelle à réflexion.
Il est évident que ce qui a intéressé l’auteur de cet article, c’est le ressort de la désobéissance, le mystère de
cette rupture dans le destin tout tracé d’un homme. C’est aussi ce qui a fasciné le metteur en scène Volker
Schlöndorff dans le film « Diplomatie » qui traite du même sujet.
Mais là où un artiste use de sa liberté d’interprétation pour faire un beau film ou un beau roman, là où le philosophe
se penche sur les hypothèses du conflit « devenir bourreau ou devenir Résistant » l’Histoire, elle, explore d’autres
pistes, a une autre finalité, et une méthode qui, recoupant témoignages et documents, s’en
tient aux faits et rejette les extrapolations aventureuses qui pourraient, si on n’y prête garde, devenir
l’expression involontaire d’un révisionnisme. C’est ainsi qu’il convient de nuancer la part prise par Von Choltitz
au sauvetage de Paris : à la lumière des faits, sa désobéissance se révèlerait moins humaniste, moins altruiste et
moins purement respectueuse d’un patrimoine qu’il n’y paraît, (voir les conversations enregistrées avec les
Britanniques après sa reddition, la situation de fin de guerre qui rend pragmatique, ou la trêve négociée avec les
insurgés parisiens qui lui permet d’assurer sa propre sécurité et celle de ses hommes, de disposer d’une monnaie
d’échange, de garder des ponts intacts pour la retraite de la Wehrmacht, et d’attendre l’arrivée des Américains, sans
avoir à se rendre aux Résistants français qu’il craignait).
Des exemples « d’accidents de parcours » dans le contexte de la Résistance, il y en a d’autres.
Rien ne prédisposait Daniel Cordier, grand admirateur de Maurras, à devenir le secrétaire de Jean Moulin,
et le Résistant que l’on sait. Et que dire de la spectaculaire « sortie de route » d’Aristides ! …
Il s’appelle Aristides de Sousa Mendes do Amaral e Avranches, sa désobéissance est extravagante et tout
aussi « exotique » que les jolies sonorités de son nom. En 1940 il est consul général du Portugal à Bordeaux.
Aristocrate, catholique, père d’une nombreuse famille, son début de carrière n’a pas été sans histoires
Semble t-il, mais en 1940, il a 55 ans, c’est un homme rangé et rien ne semble devoir bousculer cette vie officielle.
Et pourtant…
Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, le Portugal est certes neutre, mais le dictateur Salazar interdisait à ses
diplomates de délivrer des visas aux populations dites « indésirables » fuyant les nazis. Or, à Bordeaux en 1940,
beaucoup d’entre elles qui espèrent encore se sauver au Portugal ou au delà vers les États-Unis, s’accrochent à
cette illusion de neutralité, et affluent. La vue d’une humanité menacée, entassée dans les rues et devant les
bureaux de l’ambassade dans de lamentables conditions est insupportable. Surtout quand on détient, comme
Aristides, le pouvoir d’y remédier : le tampon miracle, la signature salvatrice.
Pour cela, il faut commettre la faute impardonnable pour un fonctionnaire de ce niveau : la désobéissance au
gouvernement que vous représentez. La « faute » que Papon n’a malheureusement pas commise. Alors Aristides, lui
aussi, a sa zone d’ombre. Il tombe malade. Trois jours de fièvre. Quand il en sort, il a choisi : « S’il me faut
désobéir, je préfère que se soit à un ordre des hommes qu’à un ordre de Dieu » répondra-t-il aux
reproches qui lui seront faits plus tard.
Il s’ensuit alors une effarante course contre la montre pour délivrer, avant que Lisbonne ne s’inquiète, le plus
possible de visas. Aristides travaille jour et nuit, il a la désobéissance œcuménique et frénétique. Il déclare : « Je
donnerai des visas à tout le monde, il n’y a plus de nationalités, de races, de religions. » « Juifs,
catholiques, protestants ? On signe ! Apatrides ? On signe ! Russe ? On signe ! Allemand ? On signe ! »
Le gouvernement portugais enfin alerté le somme de suspendre la délivrance des pièces, il continue.
Il a la désobéissance têtue, Aristides.
On vient le chercher pour le ramener sous escorte à Lisbonne. Et le voyage est mouvementé. Arrêt à Bayonne
où sa réputation de sauveur l’ayant précédé, des masses de demandeurs l’attendent : il signe et signe.
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GENERATIONS RESISTANCES
Il a épuisé depuis longtemps les formulaires officiels, de simples feuilles volantes font l’affaire. À Hendaye, même
scène. Mais là, la frontière espagnole est fermée sur ordre de Madrid. Alors dans une auberge, sur un coin de
table et dans l’urgence absolue, il signe à tour de bras ses ultimes laissez-passer.
Puis il entraine la troupe des demandeurs derrière sa limousine qu’il fait rouler au pas sur une route à l’écart
menant à un poste frontière de campagne dépourvu de téléphone. Médusé, le policier espagnol, non averti,
intimidé par le titre et l’imposante stature du consul, laisse passer l’étrange cortège.
Rentré dans son pays, Aristides est traduit en conseil de discipline, révoqué, déchu, sans traitement, il mourra
dans la misère et le silence en 1954. Il faudra attendre 1988 pour que le Portugal réhabilite la mémoire de celui qui,
selon un spécialiste, a réalisé « la plus grande action de sauvetage menée par une seule personne
pendant l’Holocauste ». On estime à plus de 30 000 le nombre de personnes ainsi sauvées, dont 10 000 Juifs.
Aristides de Sousa Mendes fut déclaré par Israël « Juste parmi les Nations » en 1966. Mais dans son propre pays
les réticences furent tenaces. Injuste retour des choses, c’est Salazar qui, après la guerre, s’enorgueillit d’avoir
offert une terre d’accueil à des milliers d’exilés, tandis qu’il laissait croupir le principal auteur du sauvetage.
L’Histoire a parfois de ces ingratitudes : Von Choltitz n’a pas été longuement inquiété après la guerre (pour ses
exactions sur le front de l’Est entre autres). Il a joui d’une paisible et très confortable retraite.
Aristides de Sousa Mendes, lui, a tout perdu, sauf son âme.
La décision de dire « non » et de sortir de la route, peut coûter plus ou moins cher.
Bibliographie : Le Juste de Bordeaux. Aristides de Sousa Mendes. José Alain Fralon.
Editions Mollat/Seuil, Bordeaux, 1998
Le Comité National Français A. Sousa Mendes a publié :
Le Portugais du Siècle 2001- Les Documents 2004 - Le pouvoir de dire non 2005
Bordeaux dans la tourmente BD de Jocelyn Gille - 1992
Aurais-je été résistant ou bourreau ? Pierre Bayard - Editions de Minuit 2013
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GENERATIONS RESISTANCES
Irena Sendlerowa, une transparente opacité au sein du Ghetto !
D’après Jean-Claude MARINO
Pourquoi faut-il que notre esprit s’abreuvât des horreurs de
l’histoire pour qu’aussitôt se réactivât le meilleur de nous-mêmes,
pour que nous prissions conscience que la gravité de la situation
exigeât de nous moins de paroles en l’air que d’actes concrets,
alors que l’horreur économique de notre temps est en train de
détruire les masses sans faire se lever le moindre souffle de
rébellion ?
Née le 15 février 1910 à Varsovie, Irena Sendlerowa - la mère des
enfants de la Shoah - figura longtemps dans l’ombre en son propre
pays, la Pologne, et il fallut attendre le mois de mars 2007 pour
qu’elle fût élevée au rang d’héroïne nationale ; cependant, le
mémorial israélien de l’Holocauste, le Yad Vashem, lui avait
décerné dès 1965 - comme à Oskar Schindler - le titre de « Juste
parmi les Nations » réservé aux non juifs ayant sauvé des juifs, et
en 1991 elle devint Citoyenne d’Honneur de l’Etat d’Israël ; mais,
curieusement, c’est en 1999 que son histoire commença à être
connue grâce à quatre étudiantes de la ville d’Uniontown dans le
Kansas. Celles-ci, alertées par le chiffre surprenant de 2500 enfants
juifs sauvés par cette femme, partirent l’y rencontrer en Pologne.
Là-bas, elles réalisèrent une pièce de théâtre – jouée aux EtatsUnis, au Canada et en Pologne - intitulée « Life in a jar » (Vie dans
un bocal) en souvenir des petits papiers dans un bocal de verre…
Son père, qui était médecin, mourut du typhus en 1917 alors
qu’elle n’avait que sept ans ; il lui avait enseigné la devise
suivante : « Aide toujours celui qui est en train de se noyer sans
condition de religion ou de nationalité. Aider chaque jour
quiconque est une nécessité que te dicte ton cœur. » Assistante
sociale, elle travaillait déjà avant la guerre auprès des familles
juives pauvres de Varsovie qui était alors la première métropole
juive d'Europe. La capitale polonaise abritait 400.000 des 3,5
millions de juifs de Pologne. Lorsque l’Allemagne envahit son
pays en 1939, Irena était infirmière au Bureau d’aide sociale de
Varsovie et gérait les cantines populaires de la ville. Dès l'automne
1940, elle prit des risques considérables pour apporter de la
nourriture, des vêtements ou des médicaments aux habitants du
ghetto, que les occupants nazis avaient instauré dans un quartier de
la capitale. Sur 4 km², ils y avaient entassé 450.000 personnes. En
raison du manque de nourriture, beaucoup sont morts de faim ou
de maladie ; les autres ont été gazés au camp de la mort de
Treblinka. Quelques survivants ont mené au printemps 1943 une
insurrection désespérée avant que l'armée nazie ne rase
complètement le quartier. Lorsqu'elle marchait dans les rues du
ghetto, Irena portait un brassard avec l'Etoile de David, à la fois
par solidarité avec les juifs et par souci de ne pas attirer l'attention
sur elle, souligne le mémorial du Yad Vashem. En septembre 1942,
elle rejoignit le mouvement de résistance Zegota, (Organisation
clandestine d'aide aux juifs créée et financée par le gouvernement
polonais en exil à Londres) qui la nomma, en décembre 1942, chef
du département de l’enfance. Elle fit alors sortir clandestinement
des enfants du ghetto qu'elle hébergeait dans des familles
catholiques et des couvents. Les enfants étaient cachés dans des
valises, transportés par des pompiers ou des camions à ordures,
ou simplement dissimulés sous les manteaux des personnes qui
avaient le droit d'accès au ghetto, comme Irena et son équipe
d'assistantes sociales. Par précaution, elle notait soigneusement les
noms des enfants et des familles sur des papiers glissés dans un bocal
de verre qu’elle allait enterrer sous le pommier du voisin. Elle
conserva ainsi, sans que personne la soupçonne, le passé de 2.500
enfants jusqu’au départ des nazis. Elle réussit à recruter au moins
une personne dans chacun des dix centres du Département de l’aide
sociale. Grâce à cela, elle établit des centaines de fausses pièces
d’identité avec des fausses signatures pour donner une identité
temporaire à ces enfants juifs. Mais un jour les nazis eurent vent de
ses activités. Le 20 octobre 1943, elle fut arrêtée à son domicile par
la Gestapo et emmenée à la prison de Pawiak ; malgré les tortures
qui la laissèrent infirme à vie, elle n’avoua rien sur son réseau, ne
trahit aucun de ses collaborateurs ni aucun des enfants cachés car
Irena était la seule à connaître les noms et adresses des familles qui
avaient recueilli les enfants juifs. Alors, on lui rompit les pieds et les
jambes mais personne ne put rompre sa volonté. Aussi, fut-elle
condamnée à mort. Une sentence qui ne fut jamais accomplie car
sur le chemin de l’exécution, le soldat qui l’accompagnait la laissa
s’échapper. La Résistance (Zegota) avait soudoyé le garde parce
qu’on ne voulait pas qu’Irène mourût en emportant le secret de la
cachette des enfants. Elle figura officiellement sur la liste des
exécutés. Ainsi, à partir de ce moment, Irena poursuivit son travail
sous la fausse identité de « Jolanta ». A la fin de la guerre, elle
déterra elle-même les bocaux et utilisa ses notes pour retrouver les
2.500 enfants qu’elle avait placés dans des familles adoptives. Elle
les réunit avec leurs proches, disséminés dans toute l’Europe, mais la
majorité avait perdu leur famille dans les camps de concentration
nazis. Irena resta clouée dans un fauteuil roulant par suite de lésions
dues aux tortures infligées par la Gestapo et disparut le 12 mai 2008
à Varsovie. Elle ne se considéra par comme une héroïne, jamais ne
se glorifia de ses actions, et à chaque fois qu’on lui posait la
question, Irena répondait : « On ne plante pas des graines de
nourriture. On plante des graines de bonnes actions. Essayez de faire
des chaînes de bonnes actions pour les entourer et les faire se
multiplier. »
Les véritables héros restent souvent enfermés dans l’anonymat, la
notoriété ne les intéresse pas - ceux qu’elle attire n’en sont pas - ; le
courage, ne découle que d’une réaction normale ; le danger,
omniprésent, ne représente aucune entrave à la mission ; le risque
d’être trahi, balayé comme un parterre émietté de secrets ; la mort,
inopérante, réduite à n’être plus à même de se mirer dans l’œil du
bourreau ; les conséquences, seulement des images vite effacées qui
ne parviendront pas à briser la carapace enfiévrée de ces personneslà, insensibles au mal, rares de par leur condition et pourtant si
nécessaires à l’humanité, comme le fut Irena Sendlerowa.
Source : Irena Sendlerowa :
La mère des enfants de l’Holocauste
d’Anna Mieszkowska – Ed. du Rocher.
Association pour un Musée de la Résistance et de la Déportation du Pays d’Arles
Boulevard Emile Combes – Ancien Collège Frédéric Mistral 13200 ARLES - 0 4-90-96-52-35
Mail : [email protected] –
RETROUVER-NOUS SUR LE WEB ! http://www.centre-resistance-arles.fr

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