« LA MORT AUX TROUSSES » D`ALFRED HITCHCOCK

Transcription

« LA MORT AUX TROUSSES » D`ALFRED HITCHCOCK
AU COLLÈGE
Collège au cinéma
Auteur
Aurore Renaut
Date
2010
Descriptif
« LA MORT AUX TROUSSES »
D’ALFRED HITCHCOCK
Ce document propose une synthèse de la formation organisée dans le cadre de "Collège au cinéma". Différents thèmes y
sont développés : le générique de film, Hitchcock et la maîtrise, les personnages et les acteurs, le film politique...
La Mort aux trousses est un film passionnant pour aborder le cinéma d’Alfred Hitchcock (parfait condensé de sa
filmographie américaine : mise en scène, thématiques), mais aussi pour questionner le cinéma, le film nous livrant
quantité d’exemples-modèles du langage cinématographique (montage, raccord, fondu enchaîné, plongée, mouvement de
caméra, transparence, etc.).
Un peu comme dans La Main au collet quelques années auparavant, Hitchcock va réaliser un film récréatif dans lequel
toutes ses problématiques seront reprises avec humour et sérieux : le faux coupable et l’homme accusé à tort (La Loi du
silence, Le Faux coupable), l’espionnage (L’Homme qui en savait trop), la trahison (Les Enchaînés, Soupçons), le
rapport castrateur à la mère (Psychose, Les Oiseaux).
La Mort aux trousses est un spectacle dont l’ambition affichée est de procurer du plaisir aux spectateurs.
Le générique de Saul Bass
Comme dans plusieurs autres films du cinéaste, le générique du graphiste Saul Bass présente, avant même que l’aventure
ne commence, le sujet du film de façon simple et efficace : des lignes viennent se croiser sur l’écran vide de l’écran
jusqu’à le quadriller et former une structure qui s’anime, un bâtiment reflétant l’effervescence d’une grande avenue
newyorkaise. Le titre original North by Northwest qui apparait souligne l’incohérence d’une direction qui n’existe sur
aucune boussole : le sens des flèches fait autant référence aux lignes initiales du générique qu’au futur itinéraire de Roger
Thornill contraint à traverser les États-Unis pour une raison tout aussi absurde.
Pour le générique de Sueurs Froides (le film précédent), Bass avait imaginé annoncer le vertige du personnage principal
en animant une spirale dans l’œil de Kim Novak ; pour Psychose (le film suivant), il reviendra à une pure abstraction
géométrique, les noms de l’équipe apparaissant d’abord parfaitement lisibles avant d’être fracturés, comme pour restituer
l’esprit dérangé de Norman Bates.
La maîtrise hitchcockienne
« Les Jésuites m’ont appris l’organisation, le contrôle et, dans une certaine mesure, l’analyse. Leur éducation est très
stricte, le sens de l’ordre est l’une des habitudes qu’ils m’ont transmises, même si mon sens de l’ordre est spasmodique.»1
Pour Hitchcock, contrairement à d’autres cinéastes comme ceux de la Nouvelle Vague, le film ne se « réalise » pas au
tournage mais bien avant, dès l’élaboration du projet. Pour chaque film, il savait exactement ce qu’il voulait et à quoi le film
devait ressembler avant le premier tour de manivelle.
1 Alfred Hitchcock cité par Pierre Berthomieu in Hollywood classique, Ed. Rouge profond, 2009.
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Il pensait et préparait ses films si précisément en amont (notamment par des story-boards et des découpages) que le
moment du tournage était réputé ennuyeux, une simple formalité. Sans doute, cette légende est-elle à nuancer mais elle a
le mérite d’éclairer un pan essentiel de la création hitchcockienne : l’obsession de la maîtrise.
A une époque où les grands studios et les producteurs américains sont les rois, Hitchcock peut se permettre d’être l’un des
seuls réalisateurs à faire encore « ce qu’il veut », parce qu’il a choisi le spectacle, qu’il a le souci de divertir son public et
que ses films sont très rentables.
Cette maîtrise passe aussi par un contrôle des décors dans lesquels il choisit de tourner La Mort aux trousses.
Si le film s’ouvre, pour ainsi dire, à l’ONU et se termine au Mont Rushmore, deux cadres historiques et politiques forts,
Hitchcock ne se laissera pourtant pas dominer par leur solennité et n’hésitera pas à réaliser un meurtre dans le premier
(reconstitué en studio pour l’intérieur ; il réalisera le plan d’extérieur, où l’on voit Cary Grant franchir le parvis, en caméra
cachée n’ayant pu obtenir les autorisations) et une course poursuite dans le second 2 (le parc qui eut vent du projet parla
de « profanation flagrante » et interdit à Hitchcock de faire courir ses personnages sur les têtes des présidents ; on ne les
verra effectivement que sur les épaules et entre les têtes dans ce qui restera l’un des plus impressionnants décors de
l’histoire du cinéma).
Acteurs et personnages
Après avoir hésité avec James Stewart, Hitchcock choisit Cary Grant pour interpréter Roger Thornill.
Grant était en effet l’acteur idéal : ayant joué dans de nombreuses comédies et dans d’autres films plus sérieux, il pouvait
donner cette dimension double à son personnage.
Dans La Mort aux trousses, Hitchcock lui réserve un rôle physique dans lequel il l’enferme dans une couchette de
sleeping, le fait se jeter dans la poussière pour éviter un avion improbable (Grant qui joue presque toutes ces scènes sera
pourtant remplacé par une doublure pour le plan du camion qui manque de l’écraser) et le suspend dans le vide. Le
cinéaste joue avec son acteur comme avec une marionnette.
Roger Thornill n’est pas un personnage « plein » au début du film : publiciste pressé, deux fois divorcé et toujours très
proche de « Mother », il est en apparence l’archétype de l’homme superficiel jusqu’à ce que ses aventures le jettent dans
une course pour sa survie. C’est alors que Thornill se remplit et se révèle ; de spectateur passif de son existence (il est
enlevé, interrogé, berné par une femme), il finit par prendre en main sa vie et son personnage en arrêtant littéralement le
camion à la fin de la scène de l’attaque. Le personnage prend alors, à ce tournant du film, une autre envergure3 .
A l’époque où les nouveaux grands acteurs sortent tous de l’Actor’s Studio (dont Mason se moque à la vente aux enchères),
Hitchcock marque sa différence et affirme détester leur jeu psychologique. Il ne croit pas à « la direction d’acteurs » mais
bien à « la direction de spectateurs » ; ce n’est pas l’acteur qui fait le film mais bien le réalisateur qui en contrôle toutes les
étapes jusqu’au jeu des acteurs qui sont ses créatures.
La Mort aux trousses peut être envisagé comme un simple divertissement mais il renferme aussi de nombreuses
couches d’interprétation si l’on veut bien se pencher au-dedans :
- Les trois noms principaux forment un triptyque, rappelant l’attrait d’Hitchcock pour les références et les motifs chrétiens :
Thornill (= ill of thorns = colline d’épines, référence à la crucifixion du Christ, de Roger ?) / Eve (La femme, la tentatrice,
celle qui fait basculer L’homme hors du Paradis et l’envoie à la mort, à l’avion) / Vandamm (Damnation).
- Kaplan, l’espion américain recherché par « les méchants » porte un nom choisi (puisqu’imaginaire) à consonance juive (le
nom prévu au départ était Rosen) : Hitchcock comme pour les références chrétiennes ne développera pourtant guère plus
2 Utiliser les monuments comme décor s’était déjà vu dans sa filmographie : à la fin de La Cinquième colonne, le méchant se
retrouve suspendu à la Statue de la Liberté. Hitchcock estimait avoir commis une erreur en y plaçant le méchant et voulu
corriger avec La Mort aux trousses où ce sont bien les gentils, Roger Thornill et Eve Kendall, qui se retrouvent en danger,
provoquant ainsi l’empathie du spectateur.
3 Ce qui est sensible grâce notamment au détail de la boîte d’allumettes : dans le train, Roger apprend à Eve que l’initiale O ne
signifie rien, comme lui (ses initiales, ROT, signifient en anglais « pourri » ; ce qui n’est pourtant pas rien). Mais à la fin, c’est
grâce à ce « rien » que Thornill réussit à prévenir Eve qu’elle est démasquée et ainsi à lui sauver la vie.
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le scénario de la persécution.
- Kaplan est un personnage fantôme comme d’autres personnages troubles de la filmographie d’Hitchcock (Rebecca,
Carlotta, Madame Bates).
Poursuivant son œuvre, Hitchcock choisira pour interpréter Eve, une nouvelle blonde idéale (comme Ingrid Bergman ou
Grace Kelly), refusant catégoriquement la brune Cyd Charisse proposée par le studio. Il façonnera physiquement son
personnage jusqu’à l’accompagner dans les magasins pour choisir ses tenues et l’on ne peut qu’être fasciné par son
brushing parfait qui ondule sans qu’un cheveu ne dépasse jamais. Eve est-elle bien réelle ?
Enfin, un film d’Hitchcock ne saurait être complet sans un méchant d’envergure, le cinéaste aimait répéter que « plus le
méchant est réussi, plus le film l’est aussi ». Ce sera le britannique James Mason qui en interprétera le chef, un homme
d’un grand raffinement mais toutefois pas aussi bien habillé que son « secrétaire », Léonard, dont Cary Grant jalousait les
costumes toujours impeccables et remarquablement coupés.
A une époque où la censure veille, il était audacieux de la part du jeune Martin Landau de proposer à Hitchcock un
personnage d’homosexuel, ce que le réalisateur accepta pourtant tout de suite. La sexualité de Léonard n’est toutefois pas
outrancière mais révélée par touches (son jeu, ses déplacements) et par cette ligne de dialogue restée fameuse, rajoutée
au script par le scénariste Ernest Lehman : « Appelez ça mon intuition féminine ».
Un voyage américain
Hitchcock, comme Grant et Mason, était britannique, ce qui confère certainement au film sa touche d’humour particulière.
Pourtant, La Mort aux trousses n’en est pas moins un grand film américain.
A cette époque, Hitchcock venait de prendre la nationalité américaine (1956) et il semble évident qu’avec ce film il effectue
un voyage à travers le pays mais aussi l’histoire et la culture de son pays d’adoption.
Fenêtre sur cour quelques années plus tôt avait déjà présenté un portrait de l’américanité sur le mode de l’intime. La Mort
aux trousses aura la même ambition mais dans des proportions plus vastes.
Lors de son périple pour échapper à la mort, Roger Thornill va être amené à refaire un peu différemment le voyage des
pionniers : le « Go West », se transformant en « Go West by Northwest », va l’amener à emprunter tous les transports
possibles (yellow cab new yorkais, train, bus, avion) pour traverser le pays d’Est en Ouest, à croiser les paysages les plus
urbains (New York, Chicago) et les plus désertiques (reprise parodique des codes du western et du duel dans la scène de
l’attaque de l’avion) jusqu’à finalement finir son voyage au pied du Mont Rushmore, au pied de l’un des symboles les plus
forts et les plus récents de l’américanité, le monument ayant fini d’être sculpté en 1941.
Cet itinéraire permet à Hitchcock, qui aimait donner des repères clairs à ses spectateurs4 , de contrecarrer l’adage
traditionnel comme quoi l’histoire américaine serait jeune et vide. Avec les Nations Unies d’un côté, le Mont Rushmore de
l’autre et la maison « à la Frank Lloyd Wright », Hitchcock donne à voir une histoire et une culture typiquement américaine
dont l’Amérique (aussi bien populaire que cultivée5 ) a de quoi être fière.
Un film politique
Hitchcock appelait MacGuffin ce qui fait courir ses personnages : il est « extrêmement important pour les personnages du
film mais sans importance pour moi, le narrateur. » Le plus important est la course et non son objet et sa cause.
Dans La Mort aux trousses, nous ne savons pas ce que contiennent les microfilms, nous ne savons pas pourquoi ils se
trouvent dans une statuette acquise lors d’une vente aux enchères, nous ne connaîtrons pas non plus les motivations des «
méchants ». Et avec le personnage fantôme de Kaplan, Hitchcock a « réduit le MacGuffin à sa plus pure expression : rien ».
Ainsi, bien que La Mort aux trousses ait des allures de film d’espionnage, Hitchcock floute l’arrière-plan politique de son
film : la référence à l’ « alphabet soup » de la CIA, du FBI et de l’ONU évoquée par celui qui semble être le directeur de la
CIA est assez claire.
4 Pour lui, si l’on filmait la Hollande, il fallait montrer des moulins.
5 La fin au Mont Rushmore en est particulièrement symptomatique : la cafétéria montre que le monument est une sortie
familiale alors que la maison de Vandamm est le signe d’une architecture contemporaine dernier cri 100% américaine.
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Dans Les Enchaînés, l’ennemi était identifié, il s’agissait de nazis réfugiés en Amérique du Sud 6. Dans La Mort aux
trousses, si Hitchcock n’est pas aussi limpide, il ne cache pourtant pas tout à fait que le contexte est bien celui de la
Guerre Froide, mais pour le voir en toutes lettres, il faut être attentif aux deux unes des journaux qui nous sont présentées :
la première montrant la photo de Roger Thornill un couteau à la main, la deuxième rapportant l’accident d’avion. JeanPhilippe Tessé7 relève qu’à côté de ces informations principales se trouvent des informations politiques secondaires mais
essentielles : « Nixon promet que les forces de l’Ouest resteront à Berlin » pour la première et « Un journal intime révèle
comment les Russes ont embauché des fabricants de missiles allemands » pour la deuxième, ce qui prouve bien en
définitive que le contexte de La Mort aux trousses n’était pas aussi vaporeux que ce qu’il voulait bien prétendre.
Questions de cinéma
La Mort aux trousses reprend toutes les grandes figures du langage cinématographique pour en proposer des
illustrations aussi personnelles que sophistiquées. En voici quelques exemples :
Point de vue
Pendant le premier tiers du film, le savoir du spectateur est celui du personnage. Puis Hitchcock bascule le point de vue en
nous donnant une scène explicative du côté de la CIA : nous savons alors que Kaplan n’existe pas.
Parfois nous aurons un temps d’avance : lorsque nous voyons Eve faire passer un billet pour Vandamm (même si ce temps
d’avance crée de l’erreur : nous pensons qu’Eve est une alliée de Vandamm) ; parfois nous aurons un temps de retard (lors
du faux meurtre de Roger à la cafétéria).
Hitchcock multiplie les points de vue pour manipuler les émotions des spectateurs.
Mouvements de caméra
Les mouvements de caméra sont aussi guidés par le cinéaste : lors de la première séquence, un ample mouvement de
caméra dédouble un instant le point de vue : le temps de nous laisser entendre les deux acolytes de Vandamm reconnaître
Kaplan en Thornill. Avant le meurtre à l’ONU, un autre mouvement spectaculaire vient nous prévenir de la menace qui
attend Roger. Hitchcock induit une complicité entre lui et le spectateur le temps de provoquer chez lui de la peur pour son
personnage.
Fondus enchaînés
Deux fondus enchaînés magnifiques sont utilisés à deux moments clés du film : lorsque Roger quitte Eve à la gare de
Chicago, la caméra reste un instant sur le visage de la jeune femme qui exprime une certaine douleur : elle envoie à la
mort l’homme dont elle est en train de tomber amoureuse. Le plan suivant apparaît alors progressivement sur son visage :
le paysage désertique où Thornill va débarquer, paysage coupé par une grande route qui traverse lui aussi pour quelques
instants le visage d’Eve, comme si ce fondu enchaîné voulait nous dire quelque chose de l’état d’esprit du personnage,
coupé en deux entre son devoir et ses sentiments.
Hitchcock recourra au même dispositif avec le visage de Cary Grant à la fin de la séquence de l’aéroport, les traits de
l’acteur se fondant avec le plan suivant, une vue du Mont Rushmore : le visage de Cary Grant se trouve pris lui aussi dans
la pierre de l’histoire américaine le temps de quelques fractions de secondes.
Raccord
L’une des images les plus connues du film reste l’avant-dernière, lorsque Hitchcock boucle la scène du Mont Rushmore en
un raccord audacieux dans le mouvement : le geste commencé en suspension, la nuit, sur une falaise, se termine dans la
couchette supérieure d’un sleeping, alors que Roger Thornill qui a fini de sauver la vie de sa maîtresse, aide sa femme à
monter : « Allez Madame Thornill », ce dialogue rajouté, légère concession d’Hitchcock à la censure, ne l’empêchera
pourtant pas de finir sur une image plus métaphorique, celle du train entrant dans un tunnel.
6 Autre point commun entre les deux films : le motif de la prostitution patriotique à laquelle se livre Ingrid Bergman et Eva Marie
Saint, motif politiquement incorrect apportant une part d’ombre à ceux qui sont censés être les « gentils ».
7 Dans le livret du film qu’il a rédigé pour Lycéens et Apprentis au cinéma.
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