Les Rutènes, Segodunum et Condatomagos
Transcription
Les Rutènes, Segodunum et Condatomagos
07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:42 Page 1 Les Rutènes Segodunum et Condatomagos Le territoire rutène Musée de MONTROZIER Segodunum capitale des Rutènes Musée Fenaille - RODEZ Condatomagos le marché du confluent Musée de MILLAU 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:42 Page 2 2/3 Les Rutènes, Segodunum et Condatomagos Le colloque scientifique « Les Rutènes, du peuple à la cité » organisé à Rodez et Millau va tenter de faire le point sur les réalités sociales, politiques, économiques et territoriales des Rutènes, ce peuple d’origine celtique installé sur un territoire correspondant à peu près au département de l’Aveyron, augmenté de la partie orientale du Tarn. Concernés au premier chef par cette perspective archéologique et historique, les trois ensembles muséaux que constituent le musée Fenaille à Rodez, le musée de Montrozier et le musée de Millau ne pouvaient que trouver dans cette manifestation l’occasion d’illustrer pour le grand public le propos des archéologues et des historiens, en présentant des collections qui ne sont pas montrées au public habituellement et le résultat de recherches de terrain menées de longue date. Le titre de cette exposition éclatée en témoigne : à Montrozier on découvrira les données sur la géographie, la topographie, sur l’occupation humaine du territoire des Rutènes, sur les marqueurs archéologiques antérieurs ou contemporains de la conquête, sur le développement des échanges et du commerce. Segodunum, le Rodez actuel, constitue le chef-lieu de cette population : il en a tous les attributs urbains, en particulier le forum, et ce sont en particulier les travaux menées par Lucien Dausse depuis plus de 30 ans qui en ont révélé la teneur. La collection qu’il a réunie, et qui vient de rejoindre le musée Fenaille, constitue donc la meilleure illustration de ces recherches sur le Rodez antique. Condatomagos, le Millau actuel, au confluent du Tarn et de la Dourbie, est habituellement confondu avec le site archéologique de La Graufesenque, qui ne constitue que la partie visible de la ville antique. S’il ne fait aucun doute que l’agglomération tire sa réputation d’une activité potière unique dans le monde romain, l’agglomération et ses environs ont livré des vestiges témoins d’une activité économique diversifiée, basée sur les ressources naturelles disponibles, la métallurgie, la poix, le tissage… Le musée du Rouergue et le musée de Millau avaient déjà collaboré avec bonheur sous les auspices du jumelage Aveyron-Tulcea en Roumanie, pour l’exposition « Des Racines Communes ». Le thème fédérateur des Rutènes réunit aujourd’hui nos trois établissements autour de la problématique scientifique fondatrice de nos collections d’archéologie, pour offrir un panorama, sinon exhaustif, du moins détaillé, du contenu « caché » de nos collections. Olivier Agogué, Conservateur au musée du Rouergue François Leyge, Conservateur du musée de Millau Annie Philippon, Conservateur du musée Fenaille En couverture : Monnaie en argent du dépôt du Camp du Larzac (Nant, Aveyron). Tête laurée d’Apollon et lyre. Denier de P. Claudius M.F. © Cliché musée de Millau. Fragment d’oscillum en marbre, découvert à Rodez (passage des Maçons). © Cliché musée Fenaille / Méravilles Photo. Dieu lare en bronze, découvert à La Graufesenque. © Cliché Ville de Millau. 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:42 Page 3 Le territoire rutène antique : limites, principales agglomérations et voies de circulation. © Conseil général de l’Aveyron. Fond Cartographique, D. Schaad / Intercarto. 07100182-16p-fenaille 2/11/07 Le te r r i to i re 10:42 Page 4 rutène Le territoire Le pays des Rutènes correspond, grosso modo, aux départements actuels de l’Aveyron (le Rouergue) et du Tarn (l’Albigeois). Sa situation géographique a été évoquée par plusieurs auteurs antiques, César et Strabon en particulier. Ce dernier indique que « les Rutènes […] confinent à la Narbonnaise » (Strabon, Géographie, IV, 2, 2), province romaine du Sud-Est de la Gaule conquise entre 125 et 100 avant J.-C. Ce peuple s’est donc développé au contact du monde méditerranéen, tout en étant issu du monde gaulois de tradition celtique. Cette situation se retrouve sur le plan géographique : du Sud au Nord, le territoire rutène voit le passage des plaines languedociennes à la moyenne montagne du Massif central. Il en résulte un paysage très découpé, alternant vallées souvent encaissées, collines et hauts plateaux. Cette variété de paysages répond à une diversité géologique, calcaire pour les Causses, roches primaires pour le Massif Central, bassins houillers et accumulations sédimentaires dans les vallées… ce territoire est donc également marqué par une richesse minéralogique naturelle. Ces ressources ont bien été exploitées par les Rutènes, à travers les exploitations minières et la métallurgie, ce dont témoignent les auteurs antiques et que l’archéologie vient confirmer. rutène Aperçu de l’organisation du peuple gaulois de l’Aveyron et du Tarn à la fin de l’Age du Fer La société rutène à l’époque antique est connue par plusieurs travaux scientifiques d’ampleur, depuis la synthèse d’Alexandre Albenque de 1948. L’organisation du peuplement rutène à la fin de l’Age du Fer et au moment de transition que constitue la conquête de la Gaule est moins bien connue. C’est ce moment qui est ciblé au Musée archéologique de Montrozier. Carte du territoire rutène à la fin de l’Age du Fer et sites mentionnés dans le texte. En vert : sites gaulois ; en rouge : sites romains ou romanisés. Ellipses vertes : principaux secteurs miniers. © Conseil général de l’Aveyron. Fond Cartographique, D. Schaad / Intercarto. > La question de la scission entre Rutènes indépendants et Rutènes provinciaux, rattachés à l’empire romain, a été abordée bien souvent. La date de ce démembrement fait encore l’objet de discussions, de même que la localisation de la frontière entre romanisés et indépendants. Il est avéré que cette partition est effective avant la guerre des Gaules et qu’elle est à placer entre 120 et 52 avant J.-C. L’exposition évoque les arguments archéologiques qui peuvent inciter à placer cette séparation à une date plutôt haute et à proposer une limite territoriale à hauteur de la rivière Tarn. Cette question reste cependant ouverte et dépendante de la poursuite des recherches archéologiques modernes, comme le montre l’exemple de Millau / Condatomagos, situé dans une position géographique clé. La question de l’organisation du territoire rutène ne se limite cependant pas à ce sujet, qui n’en est qu’un élément. Le parcours de l’exposition présente un panorama cartographique de sites archéologiques correspondant au territoire des Rutènes indépendants, rythmé par des objets issus de sites représentatifs. Les grandes catégories de sites (habitat, lieux de culte, sites artisanaux, dépôts d’objets…) sont interprétés d’après les vestiges immobiliers découverts par les archéologues mais aussi par les associations d’objets qui en sont issus. Ces derniers peuvent correspondre à une production locale ou témoigner de relations extérieures, qu’il s’agisse de monnaies, d’objets prestigieux ou de matière première. 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:43 Page 5 4/5 rutène L’habitat Le te r r i to i re L’habitat est évidemment un élément primordial de l’organisation d’un territoire. Il prend diverses formes, de l’occupation rurale isolée à l’organisation groupée, pré urbanisée. Plusieurs vastes habitats ouverts sont repérés par l’archéologie en particulier au Sud du territoire (Albi, Montans, Saint-Sulpice, Millau, L’Hospitalet...). L’existence d’oppida, sites de hauteur fortifiés, est un élément fort de structuration. Outre Rodez, futur Segodunum, chef-lieu de la cité antique des Rutènes, Montmerlhe (Laissac, Aveyron) en est un exemple particulièrement remarquable. Le plan montre l’importance des fortifications alternant levées de terre et fossés La surface intérieure ainsi délimitée dépasse 120 ha. Les recherches archéologiques anciennes et plus récentes (sondages R. Boudet à la fin des années 1980), n’ont pas permis de mettre en évidence une occupation intérieure aussi impressionnant et dense que les fortifications. Cependant, la cohérence du matériel archéologique, marqué par une prépondérance de la vaisselle d’importation d’origine italique, confirme l’importance stratégique et commerciale de ce site. Plan de l’oppidum de Montmerlhe (Laissac, Aveyron). © Topographie P. Gruat, d’après R. Boudet. Les grands sites, fortifiés ou non, sont évidemment des lieux de pouvoir au sein de l’entité rutène. La répartition de ces grands sites est un indicateur de leur aire d’influence, où leur pouvoir s’exerce. rutène Le domaine culturel Le te r r i to i re Entrée de la grotte du Rajal-del-Gorp (Millau, Aveyron). © Cliché P. Gruat, CAD. Monnaie de bronze de Tatinos de la grotte de L’Ourtiguet (SainteEulalie-de-Cernon, Aveyron). La sphère religieuse est un autre domaine fort d’organisation sociale. Elle est délicate à appréhender par l’archéologie car ne trouvant que partiellement une manifestation matérielle. Elle l’est d’autant pour le monde gaulois qu’elle est très éloignée de nos conceptions actuelles. Les auteurs latins eux-mêmes ont témoigné de leur incompréhension des pratiques gauloises. Néanmoins, plusieurs vestiges archéologiques, liés ou non à l’habitat, n’ont pas un rôle strictement utilitaire et relèvent de pratiques religieuses ou symboliques. Celles-ci s’expriment par une relative diversité qui trouve un écho géographique : sanctuaires de hauteur au Nord, grottes sanctuaires au Sud-Est, dépôts en liaison avec les mines, comblements ritualisés de puits en agglomération… Le sacré trouve également une expression à travers les quelques représentations sculptées, comme la stèle de Bozouls présentée au Musée Fenaille. Les grottes de L’Ourtiguet et du Rajal-del-Gorp sur les Causses du Larzac sont des exemples de ces cavités où le dépôt d’offrandes s’est poursuivi durant plusieurs siècles, avant et après la romanisation de la Gaule. Si ce type particulier de sanctuaire n’est pas strictement spécifique aux rutènes, il marque une réelle entité géographique caussenarde, au Sud-Est du territoire. Les dépôts sont aussi particuliers en ce sens qu’il s’agit en majorité de petits objets de valeur limitée. Ce sont essentiellement des monnaies, des fibules en bronze ou en fer, des perles, des petits vases indigènes ou d’importation méditerranéenne et des petites statuettes en pâte blanche. Les décomptes de monnaies soulignent la bonne représentation de bronze à l’effigie du roitelet rutène Tatinos, ce qui lui confère un statut privilégié en lien avec les pratiques cultuelles dans ces grottes. > © Cliché J. Pujol. 07100182-16p-fenaille 2/11/07 Le te r r i to i re 10:43 Page 6 rutène Au-delà des lieux sacralisés qui ont fait l’objet d’offrandes à l’instar des grottes sanctuaires ou de cultes liés à l’eau comme le lac de SaintAndéol (Lozère), d’autres types de dépôts se répartissent sur le territoire rutène. Ces dépôts sont pour certains le reflet de gestes symboliques même si d’autres significations peuvent intervenir comme la thésaurisation, la volonté de cacher des richesses : c’est le cas des dépôts monétaires. Plusieurs dépôts ont ainsi été découverts sur le territoire rutène. Le plus important est celui de Goutrens découvert à la fin du XIXe siècle, qui a livré plus de 20 000 pièces n’ayant pas circulée, aujourd’hui dispersées. Le trésor mis au jour sur le Camp du Larzac (Nant, Aveyron) est composé de 36 deniers en argent. Ce sont en majorité des deniers augustéens, mais des pièces émises au IIe siècle avant J.-C. et tout au long du Ier siècle sont également présentes montrant la permanence de la valeur de ces monnaies. rutène La question des dépôts Le te r r i to i re Reconstitution d’un dépôt de vases en dolium (vase de stockage) de Montans (Tarn). © Cliché E. Thomas. D’autres dépôts ont une origine singulière liée à l’activité métallurgique et à la protection de matériaux préparés, comme le dépôt de lingots de fer de Montans (Tarn). En revanche, certains apparaissent aujourd’hui plutôt comme reflétant un geste rituel, symbolique. Le cas des dépôts de vases et d’objets métalliques dans des demi dolia, grands vases de stockage de provision est caractéristique des rutènes. On le retrouve à Montans (Tarn), ou à La Maladrerie (Villefranche-de-Rouergue, Aveyron) dans une galerie de mine. Ce dernier dépôt, dont le matériel vient d’être réexaminé, est à dater de la seconde moitié du IIe siècle avant J.-C. Il confirme l’importance du monde souterrain et des mines dans les conceptions religieuses rutènes. En contexte d’habitat, certains puits ont également un rôle rituel, comme le montre leur comblement qui correspond à des dépôts structurés associés à des restes incinérés d’animaux. Le territoire considéré est marqué par une relative abondance de minerais exploités par les rutènes. L’exploitation la plus reconnue, clairement attestée par les auteurs de l’Antiquité, est celle de l’argent, directement en relation avec la production monétaire. Le secteur de Villefranche-du-Rouergue en particulier a connu une exploitation minière en galeries du plomb argentifère attestée dès le IIe siècle avant J.-C. Cette exploitation s’est bien sûr poursuivie après la conquête romaine, ce que confirme la remarquable découverte à la fin du XIXe siècle d’une dédicace mentionnant le nom oriental d’un régisseur : Zmaragdus. Cette plaque est conservée au Musée des Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, et une copie au Musée de Villefranche-de-Rouergue. L’industrie minière ne se réduit pas à cette production : d’autres métaux ont été extraits au cours du Ier siècle avant J.-C. : le cuivre (Sud Aveyron), l’étain (dont l’exploitation massive en Nord Aveyron (la Viadène) se révèle chaque année davantage), le fer… rutène L’exploitation des ressources (mines et carrières) Le te r r i to i re Carrière de La Marèze (Saint-Martin-Laguépie, Tarn) : déchets de fabrication et préformes de meules en grès. © Cliché E. Thomas. > L’importante activité métallurgique ne doit pas masquer l’exploitation d’autres types de ressources minérales et la circulation des produits obtenus. Les recherches récentes concernant les carrières de meules, sur le site de La Marèze (Tarn) en particulier montrent l’existence de réseaux de diffusion de meules rotatives destinées au broyage. Les meules étaient préparées sous forme de préformes sur le site d’extraction avant d’être exportées, par voie terrestre ou fluviale. D’autres ressources naturelles étaient bien sûr gérées par les rutènes mais elles laissent peu de traces archéologiques. La production de poix, associée à l’exploitation forestière due à l’activité métallurgique ou potière, confirmée par quelques pots à résine, en est une illustration. 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:44 Page 7 6/7 Autre moteur important d’organisation sociale, la circulation des monnaies est aussi révélatrice du territoire rutène. L’exploitation de l’argent est directement liée à la production monétaire. Les ensembles monétaires clos montrent l’importance du monnayage d’argent , drachmes, monnaies à la croix. Quelques roitelets rutènes ont également eu le privilège d’émettre des monnaies en bronze, imités de deniers romains. Tatinos est le plus célèbre pour le milieu du Ier siècle avant J.-C. ; Attalos en est un autre exemple, avec une diffusion plus limitée. rutène La monnaie Le te r r i to i re Denier d’argent du dépôt du Camp du Larzac (Nant, Aveyron). Victoire en quadrige - denier serratus de Q. Antonius Balbus, Rome - 83-82 av. J.-C. © Cliché musée de Millau. > Le trésor du Camp du Larzac (Nant, Aveyron) témoigne de la circulation et de l’économie de deniers romains depuis la fin du IIe siècle avant J.-C., source de richesse pour l’élite rutène et source d’inspiration pour les émissions spécifiquement indigènes. rutène Les importations : vin et vaisselle méditerranéenne Le te r r i to i re L’organisation d’un groupe humain se définit par son fonctionnement interne mais aussi par ses relations avec les autres sociétés. La situation géographique et la richesse naturelle du territoire rutène en fait un jalon privilégié dans le contact entre le monde de tradition celtique et le monde méditerranéen, romain et ibérique principalement. Ceci se traduit par une relative abondance de vaisselle importée, témoignage des réseaux commerciaux privilégiés avec la Provincia romaine voisine, et des principaux axes de circulations. Ceux-ci s’organisent préférentiellement sur une orientation Sud-Nord ou s’appuient sur les principales vallées, celle du Tarn notamment. Les voies romaines ultérieures ont très largement repris ces itinéraires protohistoriques. Le commerce du vin italien est bien représenté par l’abondance des amphores que l’on trouve en nombre impressionnant dans les principaux sites d’habitat, qui ont également un rôle dans la redistribution des produits de circulation. Les céramiques campaniennes à vernis noir et, plus rarement la vaisselle de bronze, confirment l’activité commerciale avec le monde romain bien avant la conquête. Le monde ibérique a également diffusé des produits chez les rutènes, à plus faible échelle : pichets gris, sombrero de copa, issus de la côte catalane. Un certain nombre de ces vases ont fait l’objet d’imitations locales. Accumulation d’amphores italiques dans un puits de la caserne Rauch (Rodez, Aveyron). © Cliché P. Gruat, CAD. Textes rédigés par Olivier Agogué, conservateur au musée du Rouergue Philippe Gruat, Centre Archéologique Départemental 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:44 Segodunum, Page 8 c a p i t a l e d e s R u tè n e s Depuis le XIXe siècle, le sous-sol de Rodez a livré de nombreux vestiges appartenant à Segodunum, la ville gauloise puis romaine sur laquelle s’est construite la préfecture de l’Aveyron. La connaissance de l’agglomération antique a pris un nouvel essor à partir des années 1930, grâce à Louis Balsan. Secrétaire de la Société des Lettres et conservateur du musée Fenaille, il suit avec attention les chantiers ouverts dans la ville, note ses observations et recueille le mobilier mis au jour. A partir de 1972, il est rejoint par Lucien Dausse, amateur enthousiaste et bien vite passionné par l’archéologie, à laquelle il consacre tout son temps libre. C’est lui qui, désormais et pendant plus de trente ans, suit tous les travaux souterrains engagés sur la ville et fouille les déblais avec patience, pour exhumer les traces d’occupation allant de la période gauloise aux époques historiques. Puis, lorsque l’archéologie urbaine s’organise, il a la charge de conduire des chantiers de fouilles et il apporte son aide à tous les archéologues intervenant SITES ARCHÉOLOGIQUES D E Segodunum S U I V I S P A R Dausse Lucien GALLO-ROMAIN Découvertes Vestiges architecturaux/ urbanisme Artisanat/commerce Sépultures GAULOIS / AUGUSTÉEN Découvertes Vestiges architecturaux Puits à amphores 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:44 Page 9 8/9 dans le cadre d’opérations menées par l’Association pour les Fouilles Archéologiques Nationales, puis par l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives. Au cours de ces années, Lucien Dausse est devenu le référent obligé pour toute étude sur Rodez antique et son parcours fait ressortir ce qu’une présence constante, dévouée et attentive peut apporter à l’archéologie urbaine. Par ses bonnes relations avec les entreprises de travaux publics, il a su créer un climat de confiance qui lui permet d’être informé des chantiers à venir et des découvertes réalisées. 33’ - Place Adrien-Rozier (1981) • cimetière médiéval. 38’ - Préfecture (1981) • vestiges d’occupation gallo-romaine. 82 - Rue Villaret (1972) Première participation de Lucien Dausse à une fouille dans Rodez, sous la direction de Louis Balsan. • zone artisanale gallo-romaine. • cimetière gallo-romain tardif puis médiéval. 83 - Bd d’Estourmel (1973-1974) Sous la direction de Louis Balsan. • dépotoir (augustéen, Ie, IIe s. ap. J.-C.). 83’ - Terrasse de l’Evêché (1974) • site occupé depuis les Gaulois jusqu’au XIXe s. 87 - Rue Maurice-Bompart (1974) • dépotoir gallo-romain. 88 - Rue des Martyrs-de-la Résistance, (1975-1976) Sous la direction de Louis Balsan. • habitation gallo-romaine aisée. • artisanat du métal. 90 - Rue Croizat (1975) • habitation gallo-romaine aisée (Ie - IIIe s.). 91 - Rue Eugène-Viala (1975) Sous la direction de Louis Balsan. • entrepôt d’huile (deuxième moitié Ie s. ap. J.-C.). 92 - Rue Victoire-Massol (1976) • indices d’occupation gauloise et gallo-romaine. 93 - Rue Gayrard (1976) • vestiges d’occupation gauloise. 94 - Bd de la République (1976) • habitat augustéen. • habitat gallo-romain (fin du Ie et du IIe s. ap. J.-C.). 95 et 95’ - Rue Saint-Just (1977) • vestiges d’occupation gallo-romaine et médiévale. • sépulture d’enfant. 96 - Jardin hôpital Combarel (1977) • vestiges d’occupation gallo-romaine. • dépotoir gallo-romain (Ie av. J.-C. au IIe ap. J.-C.). 97 - Rue Abbé-Bessou (1976) • vestiges d’occupation gallo-romaine. 98 - Rue du Terral (1977) • puits à amphores gaulois (fin du Ie s. av. J.-C.). • vestiges d’occupation gallo-romaine. 99 - Cité de la Boule d’Or (1977) Sous la direction de Louis Balsan. • nécropole gallo-romaine. 100 - Cité de la Boule d’Or (1977) • nécropole gallo-romaine. 101 - Rue Louis-Oustry (1977) • atelier de bronzier gallo-romain. 102 - Rue des Frères de Turenne (1978) • quelques vestiges gaulois. • habitat gallo-romain. 103 - Bd de la République (1978) • deux puits à amphores gaulois. • quartier d’habitation gallo-romain avec habitations, ateliers d’artisans (bronzier, marbrier, mosaïste, stucateur), chaussée pavée. • rempart gallo-romain. 104 - Rue Abbé-Bessou (1978) • villa gallo-romaine suburbaine. 105 - Impasse Cambon (1979) • puits à amphore gaulois. • vestiges gallo-romains. 106 - Passage des Maçons (1978) • monument gallo-romain (temple ?). • vestiges d’une voie pavée. 107 - Bd d’Estourmel (1978) • dépotoir (augustéen, Ie et IIe s. ap. J.-C). 108 - Les Embergues (1978-1979) • vestiges gaulois. • habitation gallo-romaine aisée. 109 - Bd Flaugergues (1979) • vestiges gaulois. 110 - Rue Corbières (1979) • habitation gauloise à ossature bois. • habitation gallo-romaine. 111 - Rue Cabrières (1979) • dépotoir (augustéen, Ie et IIe s. ap. J.-C). 112 - Bd Pierre-Benoit (1979) • occupation gauloise, puis augustéenne. • habitation gallo-romaine. 113 - Rue du Bal (1979) • égout comblé dès le Ie s. • habitations gallo-romaines aisées. 114 - Côte des Besses (1976-1977) • vestiges d’occupation gallo-romaine. 117 - Rue Saint-Just (1979) • vestiges d’occupation gauloise et gallo-romaine. • sépulture (du XVIIe s. ?). 118 - Place Eugène-Raynaldy (1980) • vestiges d’un sol gallo-romain pouvant appartenir au forum. 119 - Bd d’Estourmel (1981) • quelques vestiges gallo-romains • dépotoir médiéval. 120 - Bd Denys-Puech / place Jean-Jaurès (1981) • 3 puits gallo-romains. • égout non daté. 121 - Rue Saint-Michel (1981) • vestiges d’occupation gallo-romaine. 122 - Rue Monseignat (1981) • habitat gallo-romain. • puits (dont un peut-être gallo-romain). 123 - Préfecture (1982-1983) • vestiges d’occupation gauloise avec habitat augustéen. • quartier d’habitation gallo-romain, avec rue, égout, galerie, mur. • tombe tardive (début du Moyen Age ?). • dépotoir médiéval provenant du Mazel. 124 - Rue Combarel (1982) • vestiges d’occupation gallo-romaine et post-médiévale. 125 - Rue de l’ Embergue (1982-1983) • vestiges d’occupation gallo-romaine et moderne. • habitat gallo-romain. 126 et 126’ - Rue Grandet / bd François-Fabié (1982 et 1987) • habitat gaulois en terre. • vestiges du XIVe au XIXe s. 128 - Bd Denys-Puech (1983) • fosse augustéenne. 129 - Rue du Bourguet-Nau (1983- 1989) • quelques vestiges antiques. • céramiques de la fin du XVIe s. ; voie et fossé du XVIIe s. 130 - Rue Maurice-Bompard (1984) • petit édifice gallo-romain. 131 - Bd République / Rue Maurice-Bompard (1984) • dépotoir augustéen. • habitation gallo-romaine. • caniveau gallo-romain. 132 - Place Emma-Calvé (1984) • quartier gallo-romain avec habitations, un monument, le decumanus avec son égout. • vestiges lapidaires médiévaux. • céramiques et monnaies modernes (L. XIII et L. XIV). 133 - Rue Abbé-Bessou (1985) Fouillé par J-C Aramond ; sondage et post-fouille par Lucien Dausse. • villa gallo-romaine suburbaine. 134 - Rue Eugène-Loup (1985) • puits à amphores gaulois. 135 - Place Emma-Calvé (1985) • égout gallo-romain. L’exploration minutieuse des terres rejetées a permis de sauver des témoignages irremplaçables sur l’histoire de Rodez et d’augmenter considérablement le nombre de points d’occupation connus. Toutes ses observations ont été consignées sur des fiches d’objets, des fiches de sites et des carnets de terrain, qui constituent des outils précieux et incontournables pour les recherches sur l’agglomération antique. Enfin, son travail d’analyse et sa bonne connaissance de l’ensemble des sites lui donne une vision globale de la topographie et de l’organisation de la ville romaine. 136 - Bd d'Estourmel (1986) Fouillé par J-C Aramond ; post-fouille par Lucien Dausse. Pour la partie post fouille : céramique et tête gauloises). 138 - Bd Denys-Puech / Rue François-Mahoux (1987-1988) • dépotoir gaulois puis antique. • habitat gaulois. • puits et citerne modernes. 141 - Rue Saint-Michel (1987) • vestiges architecturaux antiques. 143 - Bd Flaugergues (1988-1989) • point d’eau gaulois. • habitat gallo-romain. 144 - Rue Aristide-Briand (1988-1989) • puits à amphore gaulois. • monument cultuel (temple ?) gallo-romain. • sépultures médiévales. 145 - Place des Toiles (1988) • vestiges d’occupation médiévale. 147 - Place d’Argentine (1989) • vestiges d’occupation gallo-romaine et médiévale. 149 - Rue Combarel, 1989 Fouillé avec R Garric. • puits à amphore gaulois. • mobilier gallo-romain. • puits bâti (moderne). 149’ - Av. Victor-Hugo (vers 1970) • puits à amphores gaulois. 150 - Rue Périé / Rue Sarrus (1989) • vestiges d’occupation gauloise et gallo-romaine. 151 - Autour de l’église Saint-Amans (1989) • vestiges d’occupation gallo-romaine. • tombes et sarcophages médiévaux. 152 - Les Attizals (1990) • habitat gallo-romain (IIe – IVe s.). 155 - Impasse Cambon (1990) • matériel du Ie av. J.C. au VIIe ap. J.C. • habitat gallo-romain. • vestiges d’occupation post-médiévale. 156 - Rue Cabrières (1991) • puits non daté. • petits vases modernes. 158 - Place de la Cité (1992) • sol en béton gallo-romain. • cave voûtée médiévale comblée. • sol post-médiéval. 160 - Bd Denys-Puech (1992) • vestiges architecturaux antiques. 161 - Rue Louis-Oustry (1992) Fouillé par M. Chiabrando ; étude préalable à travaux (relevé stratigraphique d’une tranchée) par Lucien Dausse. • peintures murales médiévales. 162’ - Place Raynaldy (1993) Fouillé par J. Catalo ; examen de bermes après fouilles par Lucien Dausse. • céramiques du XVIIe s. 163 - Av. Victor-Hugo (1993) • matériel gallo-romain. 165’’ - Place Jean-Jaurès / Rue Aristide-Briand (2003) Fouillé par L. Grimbert ; suivi de terrassements par Lucien Dausse. • fosse gauloise. • construction gallo-romaine (sur hérisson). • atelier de marbrier gallo-romain. 168 - Rue des Pénitents Blancs (1995) • vestiges d’occupations gallo-romaine et postmédiévale. 170 - Rue Maurice-Bompard (1995) • vase gallo-romain. 172 - Rue de l’amphithéâtre (1995) • mur de l’amphithéâtre gallo-romain. 173 - Quartier du Bourg (1996) • sépultures et puits d’époque médiévale. 174 - Bd Denys-Puech (1996) • dépotoir médiéval. 175 - Rue Séguret-Saincric (1996-1997) • murs gallo-romains liés à l’amphithéâtre ou à ses dépendances. 177 - Ruelle du Cours Comtal (1996-1997) • habitation gauloise. • murs gallo-romains. 179 - Rue Pasteur (1997) En collaboration avec Christine Dieulafait. • habitation gallo-romaine. 180 - Rue Séguret-Saincric (1998) En collaboration avec Christine Dieulafait. • puits à amphore gaulois. 182 - Place de la Madeleine (1998-1999) Fouillé par C. Boccacino ; étude de contexte et postfouille par Lucien Dausse. • vestiges d’occupation gallo-romaine. • sépultures du Haut Moyen Age. • vestiges de l’église de la Madeleine. • puits public avec une fontaine. 183 - Rue Henri-Dunant (1999) • dépotoir antique. 184 - Autour de la Cathédrale (2000) • quartier gallo-romain avec decumanus bordé d’une galerie et habitation privée. • rempart du Bas-Empire. • vestiges probables de la chapelle du Saint-Soulier (médiéval). • vestiges de maisons modernes. 185 - Rue Aristide-Briand (1998-1999) En collaboration avec Christine Dieulafait. • structures gallo-romaines (murs). • vestiges d’occupations du Ie s. av J.C. au XIXe s.). 187 - Place Raynaldy / Rue Saint-Just (2000) Fouillé par F. Vayssière ; suivi de terrassement par Lucien Dausse. • sol et fossé gaulois. • mur et sol pavé en rapport avec le forum. • sépulture médiévale. 188 - Bd Pierre-Benoit (2001 à 2004) Evaluation par P. Marlière ; étude de contexte et suivi des travaux par Lucien Dausse. • matériel gaulois et gallo-romain dans le remblai rapporté. • vestiges du cloître des Cordeliers. 189 - Bd Flaugergues (2000) • vestiges d’occupation depuis les Gaulois jusqu’au Moyen Age. 190 - Av. de l’Europe (2001) • fossé gaulois. • vestiges de l’occupation allemande. 191 - Rue Sarrus (2002) • vestiges gallo-romains. 193 - Place Raynaldy (2003) En collaboration avec D. Schaad • murs et atelier de bronzier gallo-romains. 194 - Rue Abbé-Bessou (2003) • mosaïque gallo-romaine. 195 - Calcomier (2003) • quelques silex néolithiques. • vestiges d’occupation gallo-romaine. 196 - Rue Saint-Just (2003) • plafond en bois peint moderne (XVIIIe s.). R 1231 - Saint-Cloud • vestiges d’une briqueterie post-médiévale. 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:45 Segodunum, Page 10 c a p i t a l e d e s R u tè n e s Après plusieurs décennies de réflexion, les Rutènes remplacèrent progressivement les habitats gaulois - en torchis de terre armée de clayonnage et couverts de chaume - par des édifices « à la romaine », bien plus résistants. Uniformément couverts de tuiles plates, leurs murs étaient fondés sur un hérisson drainant s’appuyant sur le rocher naturel et maçonnés avec du grès local, lié par un solide mortier fait de sable et de chaux. Segodunum, capitale des Rutènes Eléments de construction et de décor de la maison, découverts à Rodez. © Cliché musée Fenaille / Méravilles Photo. Segodunum, > La maison gallo-romaine Selon la fortune du propriétaire, la maison pouvait n’avoir qu’une seule pièce ou comporter des espaces affectés à diverses fonctions de service ou d’apparat ; les sols étaient de terre battue ou en béton de tuileau (tuile concassée et mortier) ; les murs se présentaient nus ou couverts d’enduits peints. Le confort pouvait aller jusqu’à des fenêtres vitrées, un chauffage par le sol et, exceptionnellement, une adduction d’eau particulière ; l’opulence jusqu’à des colonnes de grès ou de brique peintes, lisses ou ornées de cannelures ou de feuillages, des sols revêtus de marbres ou de mosaïques. Par leur fréquence et la diversité de leur matière, les jetons montrent qu’ils étaient largement utilisés, tant par les adultes que par les enfants, comme accessoires de jeux simples ou plus complexes, par exemple sur des échiquiers. Ils sont plus ou moins sommairement découpés dans des tessons de poteries gauloises, puis gallo-romaines, moulés en céramique lisse ou ornée de La Graufesenque, en pâte de verre ou en os tourné. L’un d’eux porte gravée une inscription laconique, peut-être destinée à attendrir le sort. Bien plus rares sont les dés en os et le domino. c a p i t a l e d e s R u tè n e s Divers jeux découverts à Rodez : damier, ou tabula latruncularia, destiné à recevoir des jetons ; objets miniaturisés pour les enfants. © Cliché musée Fenaille / Méravilles Photo. Les jeux > Les fillettes jouaient à la dînette avec une vaisselle miniaturisée et peut-être à la fermière avec des animaux de basse-cour : coq, poule, pigeon, chien, cheval. D’autres jeux, beaucoup plus violents, attiraient à l’amphithéâtre un public passionné par les combats de gladiateurs et les courses de chars, représentés ici sur des tessons de céramique. Segodunum, c a p i t a l e d e s R u tè n e s Les lampes à huile Echantillonnage de lampes à huile mises au jour à Rodez. © Cliché musée Fenaille / Méravilles Photo. Elles éclairaient avec parcimonie l’intérieur des maisons et accompagnaient aussi les défunts pour les guider dans l’au-delà. Fabriquées en terre cuite, on en retrouve souvent des tessons au cours des fouilles. La plupart proviennent d’ateliers d’Italie ou d’Afrique du Nord ; quelques ateliers régionaux ont produit des imitations ou des surmoulages. Les modèles, changeant assez souvent, permettent de les dater approximativement. La surface supérieure de leur réservoir (ou disque) est ornée de sujets moulés très variés : végétaux, animaux, personnages, symboles… Leur pied porte parfois la signature du décorateur. Elles fonctionnaient avec de l’huile d’olive importée du sud de l’Espagne dans de grandes amphores rondes et débitée dans des magasins spécialisés, comme celui retrouvé rue Eugène-Viala. 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:45 Page 11 10/11 Segodunum, c a p i t a l e d e s R u tè n e s Le faubourg des morts Nécropole de la Boule d’Or à Rodez : matériel de la tombe 4. Alors qu’à l’origine de Rodez les tombes étaient dispersées au plus près des habitats gaulois, les Romains imposèrent des règles impératives dans un double souci d’hygiène et de culte des défunts. Les sépultures étaient groupées dans des cimetières ouverts, hors du périmètre de la ville, le long des voies romaines. L’une de ces nécropoles s’étend sur le flanc est de la butte, en bordure de la voie conduisant vers le Midi, par Millau et Lodève. Déjà reconnue lors de travaux de lotissement, elle fut effleurée lors de l’ouverture de la rue Comtesse-Cécile. Dix tombes firent l’objet d’une fouille de sauvetage qui dévoile les coutumes funéraires en usage. La première contenait le squelette d’un prisonnier âgé, portant des menottes et un lourd collier rivé, preuve de sa condamnation à perpétuité. Dans quelques mètres carrés, sept autre inhumations se superposaient à deux incinérations : des offrandes de vivres, de lampes et de vaisselle en céramique étaient associées à certaines. © Cliché musée Fenaille / Méravilles Photo. L’étude des objets montre que cette nécropole a fonctionné de la fin du Ie siècle, c’est-àdire dès la création de la ville organisée « à la romaine », jusqu’à la fin du IIIe siècle, période durant laquelle Segodunum s’enferme dans une enceinte et où le quartier de la Madeleine se transforme en cimetière. Segodunum, c a p i t a l e d e s R u tè n e s Le verre Fragile et cher, bien moins utilisé que la céramique, il provenait de contrées lointaines, notamment la Syrie et l’Egypte. Les bols, assiettes et flacons comportaient une gamme allant du simple transparent bleuté à des décors plus complexes, filets rapportés, médaillons moulés et décors soufflés. Très tôt, semble-t-il, après la conquête romaine, l’élite ruthénoise avait importé quelques beaux vases en verre polychrome filigrané, marbré ou mosaïqué, et des millefiori d’Alexandrie. Divers types de décor des verreries retrouvées à Rodez. © Cliché musée Fenaille / Méravilles Photo. Segodunum, c a p i t a l e d e s R u tè n e s L’alimentation Le bœuf fournissait plus de la moitié des viandes ; le porc et le mouton le reste, avec gibier, volailles et œufs. L’huile d’olive, les huîtres et le garum sont des marqueurs de romanisation. Si, par leur nature, les légumes et certains fruits n’ont pas laissé de traces, on retrouve des noyaux de pêches, prunes et cerises, des coquilles de noisettes et plus rarement de noix, ou des pépins de raisin. Le froment et l’orge, moulus à la maison, donnaient la farine et le pain. L’assortiment d’ustensiles de cuisine et de vaisselle, comme les moyens de cuire et de servir les repas, et les menus eux-mêmes, variaient du sommaire au fastueux, selon le niveau de vie de chaque famille. Vestiges de noisettes découverts dans un dépotoir de Rodez (bd d’Estourmel). © Cliché musée Fenaille / Méravilles Photo. Textes rédigés par : Lucien Dausse, archéologue Annie Philippon, conservateur du musée Fenaille 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:46 Condatomagos, Page 12 l e m a rc h é d u co n f l u e n t Condatomagos, le marché du confluent Au cœur des grands causses L’agglomération de Condatomagos est située dans une vaste cuvette, dominée par des reliefs tabulaires du Larzac au Sud, du causse Noir à l’Est, du Puech d’Andan au Nord et du causse Rouge à l’Ouest. Ces reliefs, vestiges des sédimentations de l’ère secondaire, forment aujourd’hui une géographie particulière, tabulaire, composée de roches calcaires ménageant des cavités, abris ou avens, créés par l’érosion des eaux de pluie. Les cours d’eau provenant du Nord ou du Mont Aigoual à l’Est, le Tarn et la Dourbie, ont surcreusé ces reliefs en vallées encaissées qui se frayent un chemin au fond des gorges étroites. La Dourbie se jette dans le Tarn au centre de cette cuvette, et a formé une large plaine alluviale, qui a été fréquentée par l’Homme dès le deuxième Age du Fer, bien avant la conquête romaine. Cette plaine est dominée par un éperon surgissant du causse du Larzac, sur lequel a été identifié, dès l’Age du Bronze, un établissement humain qui témoigne de l’intérêt de cette position stratégique audessus de la plaine. Le site de Millau. © Cliché Ville de Millau. Condatomagos, l e m a rc h é d u co n f l u e n t La carte archéologique de Millau, en cours de réalisation, s’attache à recenser l’occupation humaine sur le site de Millau, pendant toute l’Antiquité. Condatomagos, ville rutène La multitude de travaux menés sur l’ensemble de la ville depuis le XIXe siècle, montre que les deux rives du Tarn et de la Dourbie étaient habitées à l’époque romaine, bien que nous ne puissions établir clairement les limites de cette bourgade, ni la nature de ses quartiers. Existe-t-il un « cœur de ville » ailleurs qu’à la Graufesenque, autour duquel se répartiraient les innombrables ateliers de potiers ceinturant la ville, ou bien faut-il imaginer un tissu urbain plus lâche sur la rive Nord que sur le confluent, au Sud ? La Graufesenque, secteur des temples. Le statut juridique de cette agglomération reste incertain. On imagine mal que Condatomagos n’ait pas été intégré à l’organisation territoriale, sous le statut de vicus par exemple, sans pouvoir le démontrer. Nous ne possédons en effet aucun témoignage d’une administration municipale, si ce n’est les flamines mentionnés sur les bordereaux d’enfournement de la Graufesenque : édiles, comme sur d’autres sites, ou prêtres du sanctuaire voisin de la Graufesenque ? © Cliché Ville de Millau. Condatomagos, en gaulois « le marché du l e m a rc h é d u co n f l u e n t confluent » figure sur la Table de Peutinger, et l’on peut donc imaginer que cette étape constitue une agglomération importante. Plusieurs voies la relient aux autres villes environnantes, par lesquelles se sont développés les échanges, bien avant l’époque romaine. Le commerce des céramiques sigillées, bien sûr, mais aussi la poix, le travail du métal et du fer en particulier, les étoffes de lin dont Pline ou Strabon nous précisent que les Rutènes en produisaient de Les hipposandales trahissent la qualité. Tout ceci a transité, sur des chariots ou sur le dos des mulets, à travers les présence de chevaux. causses, jusqu’à la Narbonnaise au Sud, et vers les terres des puissants Arvernes au Nord. Condatomagos, © Cliché Ville de Millau. > Les voies romaines 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:46 Page 13 12/13 La voie du Sud, route empierrée de 6 mètres de large, remontait depuis la Via Domitia par Lodève et la Cavalerie. Elle se prolongeait vers le Nord, jusqu’à Rodez, Segodunum, chef-lieu de la cité des Rutènes, étape importante de la transversale reliant Lyon à Bordeaux. La voie franchissait le Tarn à Millau par un pont dont les piles nous sont connues. Cet axe était complété de deux axes diagonaux, l’un provenant de Nîmes et s’embranchant entre Millau et la Cavalerie, l’autre s’échappant de Millau au Nord-Est, par le col d’Engayresque, Sévérac, Banassac en Lozère, où figurent d’autres ateliers de sigillée et Javols, Anderitum, capitale des Gabales. La fouille du site, entamée à grande échelle par Louis Balsan, a été dirigée ensuite par Alain Vernhet, entouré d’une solide équipe d’archéol e m a rc h é d u co n f l u e n t logues bénévoles. Cette fouille a livré, sur 3000 mÇ, un exemple de constructions organisées autour d’un carrefour, d’où partent deux rues, déterminant trois îlots urbains. L’îlot le plus au Sud paraît le plus révélateur de son usage : colonnes en pierre, chapiteaux, sols construits suggèrent un usage domestique conforme à la construction romaine, plutôt rare à Condatomagos. Ailleurs, des bases de poteaux, en pierre, suggèrent une construction de bois, dont l’alignement provient d’un état (élévation) antérieur. Dans ces lieux se sont aussi établis des potiers, puisque l’emplacement de leurs tours est apparu lors des fouilles. Le second espace se situe de l’autre côté d’une des rues : au centre d’un enclos sacré, ont été construits tour à tour une série de quatre temples. Ils succèdent peut-être à des constructions de même nature, plus anciennes. Apparaissent aussi successivement trois fana, constructions caractéristiques de la piété rurale, fréquemment dédiés au dieu Mercure. Leur plan ne laisse pas de doute sur la forme du bâtiment, constitué d’une cella centrale, ceinte d’une galerie périphérique. Dans le second siècle, après la destruction du dernier fanum, est érigé un petit temple classique à fronton, soutenu par six colonnes, et orienté vers le Sud. La partie la plus au Sud, au pied de la colline, a livré de nombreux témoignages de l’activité potière. Outre plusieurs dépotoirs gigantesques, on dénombre plusieurs fours, des fosses de décantation et des aires de travail de l’argile. Parmi les fours, deux exemplaires de fours ronds sont apparus, tandis qu’un four rectangulaire de grandes dimensions interroge Statuette de Mercure. encore les spécialistes, sur sa capacité à cuire de la sigillée. Les dernières recherches sur cette zone, font état de bâtiments, de sources ou de fontaines votives, qui ont précédé cette acti© Cliché Ville de Millau. vité potière. L’hypothèse d’un sanctuaire des eaux, lié aux temples, semble donc plausible, malgré le peu de lisibilité des vestiges. La vocation potière du site, quoique postérieure au sanctuaire, semble donc bien liée à celuici et à une pratique religieuse, si l’on en juge par la présence des flamines, prêtres rédacteurs de bordereaux d’enfournement. Condatomagos, Le site de Graufesenque De multiples contacts culturels et économiques existaient à l e m a rc h é d u co n f l u e n t Condatomagos comme dans le pays Rutène, bien avant la conquête, principalement avec la sphère méditerranéenne. L’archéologie livre quotidiennement des témoins matériels de ces « importations », qui complétaient le vaisselier indigène, ou contenaient des mets précieux. En fait, c’est la romanisation, du temps d’Auguste (30 av. J.-C. / 15 ap. J.-C.) qui voit se développer l’activité potière. Dépotoir de Gallicanus Les premières productions imitent des formes produites en Italie et à Lyon, dans les pendant la fouille. ateliers actifs au tout début de notre ère. Ce n’est que sous le règne de Tibère que ces ateliers sont « délocalisés » à Condatomagos, où ils prennent un essor unique dans l’Antiquité. Condatomagos, © Cliché Ville de Millau. > Un centre de production de céramique sigillée 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:46 Condatomagos, Page 14 l e m a rc h é d u co n f l u e n t Dans les deux siècles que dure la production, plus de 500 ateliers vont se succéder, et produire des vases par millions. Certains des dépotoirs qui nous sont parvenus livrent des quantités de rebuts de plus de 30 000 vases, témoignant de la puissance de cette production, et de la sévérité du « contrôle qualité ». De même, l’aire de diffusion de ces poteries, depuis la Mer Noire jusqu’à la Mauritanie, de la (Grande) Bretagne jusqu’à Aden, font de cette production du pays rutène un vecteur de la romanisation « planétaire » à l’échelle de l’Empire : cette céramique rouge est la vaisselle de table des populations romanisées, pendant plus de deux siècles, autour de la Méditerranée et au-delà. Cette diffusion ne pouvait être que l’œuvre de commerçants qui l’ont diffusée et ont tiré de substantiels profits de ces échanges. Condatomagos, l e m a rc h é d u co n f l u e n t Les bordereaux d’enfournement Chaque cuisson de sigillée, en raison de la quantité de vases, donnait lieu à un décompte très précis. En effet, plusieurs potiers apportaient leur production, et les vases étaient cuits en commun, sans doute pour limiter les risques. C’est pourquoi un bordereau d’enfournement était rédigé à chaque fournée, qui comptabilisait, en face de chaque nom de potier, le type de vase qu’il cuisait, et le nombre de ces vases. Par exemple, on pense identifier aujourd’hui dans les acetabili des vases à sauce de petites dimensions, dans les catili, des assiettes, des petits plats, dans les atramentaria, bien sûr, les encriers. Le nombre de vases fourni par chaque potier, avoisinait fréquemment 500, mais en fait toutes les quantités peuvent se trouver, de cinquante (L) pour les grosses unités, mille cinq cents (MCCCCC) pour les petites. Les derniers bordereaux découverts apportent une précision importante : on cuisait pendant tout l’été, depuis le mois de mai jusqu’aux nones d’octobre, soit quasiment six mois de l’année. Bordereau d’enfournement mentionnant le flamine Sabinos. © Cliché Ville de Millau. Si la production considérable de céramique peut apparaître comme une l e m a rc h é d u co n f l u e n t mono-industrie de Condatomagos, elle ne doit pas obérer les autres réalités économiques, et la mise en œuvre de la métallurgie. Au Sud, une « société des mines d’argent des Rutènes » est attestée par l’épigraphie dans la Vallée de l’Orb, pour les métaux précieux. Le cuivre et le fer, nous sont, eux, connus par l’archéologie. Du premier métal nous ne connaissons que les productions. Du second, nous sont parvenus de nombreux ateliers, Pichet en fer provenant et le dispositif de grillage du minerai, obtenus par la collecte de sidérolithes, fragments de des temples. minerai à l’état natif et présent en abondance sur les causses. Condatomagos, © Cliché Ville de Millau. > Une métallurgie très puissante 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:46 Page 15 14/15 L’importance de ces ateliers se confirme par les matériaux manufacturés découverts à la Graufesenque, où la nature des terrains a permis de conserver outils, éléments de construction et objets de la vie quotidienne en grande quantité. La culture de cette céréale ne nous est connue que par les textes anciens. Pline est une source précieuse. D’abord, il nous renseigne l e m a rc h é d u co n f l u e n t sur les capacités des Rutènes : « Mais quoi : les Gaules aussi sont estimées pour ce produit (…) Les Cadurciens, les Calètes, les Rutènes, les Bituriges et les Morins, qu’on regarde comme placés aux derniers confins de la terre ; que dis-je ? Les Gaules tout entières, tissent des voiles. » Ensuite, il décrit minutieusement la nature du végétal, la manière de le semer, les espèces, la manière de le préparer et de le teindre. Aucune installation assimilable à cette activité n’est jamais apparue sur le territoire, pour autant que l’énorme quantité de fil nécessaire au tissage de voiles n’ait pas fait l’objet que d’une activité domestique. Mais le site de La Graufesenque, qui a livré plusieurs centaines de pesons, contraint à s’interroger sur la nature de l’activité qu’ils induisent. Condatomagos, Le lin des Rutènes Les études de paléo-botanique montrent que les Grands Causses étaient couverts de pin sylvestre à l’époque romaine, sur une l e m a rc h é d u co n f l u e n t surface voisine de 50 000 hectares. Ce bois, parvenu à Condatomagos par flottage, a sans doute servi à la cuisson des céramiques dans les fours de La Graufesenque. Mais une activité annexe à cette exploitation sylvestre a aussi été révélée par les archéologues : il s’agit de l’extraction de la résine des petites branches de ces pins, qui, une fois extraite, donne la poix. Condatomagos, La poix des grands causses La poix était utilisée pour divers usages, en premier lieu pour enduire l’intérieur des amphores et des tonneaux, afin de les rendre étanches : la production de vin de la Narbonnaise, au pied du Larzac, en était nécessairement consommatrice. La poix noire était utilisée pour le calfatage des bateaux, pour enduire les cordages et les rendre souples et imputrescibles. Pline reconnaît aussi à la poix la plus fine, associée à d’autres plantes, des vertus antiseptiques pour la dermatologie, la gynécologie, les affections respiratoires, mais aussi pour les animaux : « avec l’encens, la cire de poix ou avec l’huile de poix, [l’ellébore noir] guérit la gale des quadrupèdes ». Plusieurs centaines de « picaria », les ateliers d’extraction, ont été identifiés sur le causse Noir, sur le Méjean, le Sauveterre et le Sud du Larzac, ce qui indique la vitalité de cette activité économique. Textes rédigés par François Leyge, conservateur du musée de Millau, administrateur du site archéologique de La Graufesenque et Alain Vernhet, chargé de recherches au CNRS. 07100182-16p-fenaille 2/11/07 10:46 Page 16 Musée de Montrozier Le Bourg, 12630 Montrozier Tél 05 65 70 71 45 - Fax 05 65 70 77 75 Mél [email protected] Vue aérienne de l’oppidum de Montmerlhe (Laissac). © Cliché ASPAA Musée Fenaille - RODEZ 14 place Eugène-Raynaldy, 12000 Rodez Tél 05 65 73 84 30 - Fax 05 65 73 84 31 Mél [email protected] Matériel de la nécropole de la Boule d’Or à Rodez. © Cliché musée Fenaille / Méravilles Photo Hôtel de Pégayrolles, place Foch, 12100 Millau Tél 05 65 59 01 08 - Fax 05 65 61 26 91 Mél [email protected] Céramique sigillée du site de la graufesenque. © Cliché Ville de Millau GRAPHI IMPRIMEUR 12450 La Primaube - 05 65 69 41 20 - RCS B 322 864 265 - 2007100182 Musée de Millau