Le naturalisme est une école littéraire qui, dans les dernières
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Le naturalisme est une école littéraire qui, dans les dernières
Le naturalisme est une école littéraire qui, dans les dernières décennies du XIXe siècle, cherche à introduire dans l’art la méthode des sciences expérimentales appliquées à la biologie par Claude Bernard. Émile Zola, chef de file du naturalisme, expose cette théorie dans le Roman expérimental (1880). De la France, le naturalisme s’étend à toute l’Europe au cours des vingt années suivantes, fixant les recherches analogues qui existent déjà dans les différentes littératures nationales. Pour certains, le naturalisme n’est qu’une deuxième étape du réalisme, pour laquelle un nouveau terme n’est même pas nécessaire. Pour d’autres, le naturalisme constitue le courant majeur qui regroupe Maxime Gorki, Maupassant, Émile Zola, Gustave Flaubert, Léon Tolstoï et Anton Tchekhov. Selon le dogme littéraire, le réalisme constitue la notion élargie, tandis que le naturalisme est la notion plus restreinte puisqu’il utilise et accepte comme prémices tous les principes fondamentaux et la thématique du réalisme. Cependant, l’école naturaliste exige, si l’on s’en tient à la théorie de Zola, que l’écrivain applique une méthode strictement scientifique qui se rapproche de celles mises en œuvre par les sciences naturelles, et qui avait été utilisée pour la première fois dans la critique positiviste des phénomènes littéraires par Charles Augustin Sainte-Beuve et Hippolyte Taine. Auguste Comte avait, en effet, affirmé, dans son Cours de philosophie positive (1830-1842), que l’art, parvenu au stade « positif », obéissait aux mêmes lois que la science. Suivant le positivisme, Taine va alors s’attacher à découvrir les lois qui régissent la littérature. C’est ainsi qu’il soutient que la race, le milieu naturel, social et politique et le moment au cours duquel est créée une œuvre littéraire définissent ses traits spécifiques et son évolution (Introduction à l’histoire de la littérature anglaise, 1863-1864). C’est dans la préface de Thérèse Raquin et surtout dans le Roman expérimental (1880) que Zola formule sa théorie. Prenant comme modèle le docteur Bernard de la Médecine expérimentale (1865), et suivant sa méthode pas à pas, Zola considère que « le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur ». L’observateur choisit son sujet (l’alcoolisme, par exemple) et émet une hypothèse (l’alcoolisme est héréditaire ou est dû à l’influence de l’environnement). La méthode expérimentale repose sur le fait que le romancier « intervient d’une façon directe pour placer son personnage dans des conditions » qui révéleront le mécanisme de sa passion et vérifieront l’hypothèse initiale. « Au bout, il y a la connaissance de l’homme, la connaissance scientifique, dans son action individuelle et sociale. » Pour rendre sa théorie plus accessible aux lecteurs, Zola se met lui même en scène, dans l’Œuvre sous le patronyme transparent de Sandoz, dans le personnage de l’écrivain. Sandoz est visiblement composé de la réunion du nom de Sand (l’écrivain que dans sa jeunesse Zola disait admirer le plus) et de oz (le début de Zola retourné). Il fait dire à Sandoz : « …J’en sais dont le crâne est trop différent du mien,pour qu’ils acceptent jamais ma formule littéraire, mes audaces de langue, mes bonhommes physiologiques, évoluant sous l’influence des milieux... ». Le naturalisme français semble se limiter, en dehors de Zola, à Guy de Maupassant, à Vallès, aux frères Goncourt et peut-être à Alphonse Daudet (1840-1897). Les autres membres du groupe de Médan, Paul Alexis (1847-1901), Henri Céard (1851-1924), Léon Hennique (1851-1935) sont presque oubliés. Ainsi, le naturalisme a vite été éventé dans son propre pays et a rapidement été abandonné par ses partisans littéraires. Huysmans, dans À rebours (1884), rompt avec l’école de Zola et se tourne vers un spiritualisme teinté de surnaturel (Là-bas, 1891). En 1887, Maupassant, dans la préface de son roman Pierre et Jean (1888), souligne que l’objectivité est impossible en littérature. La même année, le Figaro publie le Manifeste des cinq qui protestent contre l’extrémisme de Zola dans La Terre. En 1891, tous les hommes de lettres s’accordent pour dire que le naturalisme est mort. Même critiqué, le naturalisme suscite partout l’intérêt. D’un côté, des protestations s’élèvent contre le matérialisme du naturalisme, le déterminisme de l’hérédité et de l’environnement, tandis que l’assimilation de l’homme à l’animal soulève un véritable tollé. La critique polonaise constate que « si les naturalistes ont observé qu’il y a toute la bête dans l’homme », ils n’ont pas su distinguer que « dans la bête il n’y avait pas tout l’homme ». D’un autre côté, le naturalisme reçoit un accueil très positif, car il enrichit la thématique du genre romanesque par l’introduction de sujets nouveaux tels que l’influence de l’environnement sur le comportement humain ou encore l’injustice sociale, et il renouvelle l’écriture romanesque par la vivacité picturale et colorée des descriptions. Les campagnes en faveur de l’Assommoir, puis de Germinal, coïncident avec les découvertes des réalités sociales : l’écart entre la bourgeoisie, qui accumule les richesses et la classe ouvrière, poussée vers une pauvreté extrême, ne cesse de se creuser. Le lancement d’une Europe à deux vitesses, conforme au schéma actuel Nord-Sud, Est-Ouest, remonte à cette époque. La classe ouvrière prend conscience de sa situation et revendique activement par la grève et par une syndicalisation croissante (Première Internationale ouvrière, 1864), la protection de ses droits et de ses intérêts. (Wikipedia) Eh bien ! En revenant au roman, nous voyons également que le romancier est fait d’un observateur et d’un expérimentateur. L’ observateur chez lui donne les faits tels qu’il les a observés, pose le point de départ, établit le terrain solide sur lequel vont marcher les personnages et se développer les phénomènes. Puis, l’expérimentateur paraît et institue l’expérience, je veux dire fait mouvoir les personnages dans une histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l’exige le déterminisme des phénomènes mis à l’étude. C’est presque toujours ici une expérience « pour voir ", comme l’appelle Claude Bernard. Le romancier part à la recherche d’une vérité. Je prendrai comme exemple la figure du baron Hulot, dans la cousine Bette, de Balzac. Le fait général observé par Balzac est le ravage que le tempérament amoureux d’un homme amène chez lui, dans sa famille et dans la société. Dès qu’il a eu choisi son sujet, il est parti des faits observés, puis il a institué son expérience en soumettant Hulot à une série d’épreuves, en le faisant passer par certains milieux, pour montrer le fonctionnement du mécanisme de sa passion. Il est donc évident qu’il n’y a pas seulement là observation, mais qu’il y a aussi expérimentation, puisque Balzac ne s’en tient pas strictement en photographe aux faits recueillis par lui, puisqu’il intervient d’une façon directe pour placer son personnage dans des conditions dont il reste le maître. Le problème est de savoir ce que telle passion, agissant dans tel milieu et dans telles circonstances, produira au point de vue de l’individu et de la société ; et un roman expérimental, la cousine Bette par exemple, est simplement le procès-verbal de l’expérience, que le romancier répète sous les yeux du public. En somme, toute l’ opération consiste à prendre les faits dans la nature, puis à étudier le mécanisme des faits, en agissant sur eux par les modifications des circonstances et des milieux, sans jamais s’ écarter des lois de la nature. Au bout, il y a la connaissance de l’homme, la connaissance scientifique, dans son action individuelle et sociale. Sans doute, nous sommes loin ici des certitudes de la chimie et même de la physiologie. Nous ne connaissons point encore les réactifs qui décomposent les passions et qui permettent de les analyser. Souvent, dans cette étude, je rappellerai ainsi que le roman expérimental est plus jeune que la médecine expérimentale, laquelle pourtant est à peine née. Mais je n’entends pas constater les résultats acquis, je désire simplement exposer clairement une méthode. Si le romancier expérimental marche encore à tâtons dans la plus obscure et la plus complexe des sciences, cela n’empêche pas cette science d’exister. Il est indéniable que le roman naturaliste, tel que nous le comprenons à cette heure, est une expérience véritable que le romancier fait sur l’homme, en s’aidant de l’observation. (Émile Zola, Le Roman expérimental) UN GROUPE D’ÉCRIVAINS NATURALISTES La tradition littéraire place ordinairement Zola, Huysmans et Maupassant dans la même mouvance littéraire. On ne peut pas véritablement parler d’« école » mais plutôt, comme le dit Zola dans sa préface de Thérése Raquin, d’un « groupe d’écrivains » liés par l’amitié et des préoccupations artistiques communes. Les Soirées de Médan (1880), recueil de nouvelles prenant pour thème la guerre de l870, signées par Emile Zola, Guy de Maupassant, Joris-Karl Huysmans, Henry Céard, Léon Hennique et Paul Alexis apparaissent aux yeux de l’opinion publique comme le manifeste d’une jeune génération d’écrivains. Emile Zola (l840-|902) tient le rôle de porte-enseigne du groupe. Le mot « naturalisme » appliqué aux arts et aux lettres apparait sous la plume de Zola en 1866. L’écrivain use d’un terme employé depuis le XVIe siècle par les philosophes et les savants qui se consacrent à l’étude rationnelle de la nature. Au XIXe siècle, les penseurs dits « positivistes », comme Auguste Comte (1798-1857), estiment que tout phénomène répond à des lois de la nature que les progrès de la raison humaine permettent de découvrir peu à peu. Influencé par ce courant scientiste, Zola souhaite que les productions esthétiques ou romanesques respectent ces grandes lois. Selon lui, pour y parvenir l’artiste doit se comporter comme un savant. « Si la méthode expérimentale a pu être portée de la chimie et de la physique dans la physiologie et la médecine, elle peut l’être de la physiologie dans le roman naturaliste », écrit-il dans un recueil d’articles intitulé significativement Le Roman expérimental (l880). Ainsi, pour créer, le romancier doit-il a la fois être inspiré par les découvertes scientifiques de son temps et scruter minutieusement la réalité contemporaine sans négliger aucun sujet. Zola accumule donc les déterminisme des phénomènes mis à l’étude » (Le Roman expérimental). Cependant, l’art se distingue de la science par la personnalité de l’artiste. Si le moi du scientifique s’efface devant sa découverte, l’artiste, au contraire, exprime son « tempérament » à travers sa création : « les écrivains naturalistes sont ceux dont la méthode d’étude serre la nature et l’humanité du plus prés possible, tout en laissant, bien entendu,|e tempérament particulier de l’observateur libre de se manifester comme bon lui semble » (Le Naturalisme au théâtre, 1881). Zola donne d’ailleurs cette définition de l’œuvre d’art : « un coin de nature vu à travers un tempérament. » (Mes haines). (Stéphane Gougelmann)