BUFFETAUT (E.), HÉBERT (F.) et REBOURS
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BUFFETAUT (E.), HÉBERT (F.) et REBOURS
UN MÉTATARSIEN DE DINOSAURE THÉROPODE DANS LE JURASSIQUE DES FALAISES DES VACHES NOIRES (CALVADOS, NORMANDIE, FRANCE) par Eric BUFFETAUT (1), Françoise HÉBERT (2) et Thierry REBOURS (2) RÉSUMÉ Un métatarsien IV gauche incomplet, provenant du Jurassique (probablement Callovien) des falaises des Vaches Noires (Calvados, Normandie), est attribué à un dinosaure théropode. Le contour en « d » de sa face articulaire proximale semble caractéristique des Allosauroidea et il est donc rapporté à ce groupe. Le spécimen est interprété comme un élément d’un cadavre ayant flotté depuis les terres émergées du Massif Armoricain. Les restes de théropodes sont nettement plus fréquents que ceux d’autres dinosaures dans le Jurassique marin des Vaches Noires, sans qu’une explication claire puisse être donnée à cette surreprésentation. ABSTRACT An incomplete left fourth metatarsal, from the Jurassic (probably Callovian) of the Vaches Noires cliffs (Calvados, Normandy, France), is identified as belonging to a theropod dinosaur. The d-shaped outline of its proximal articular surface seems to be characteristic of Allosauroidea, and it is therefore referred to that group. The specimen is interpreted as an element of a carcass which drifted from a land area corresponding to the Armorican Massif. Theropod remains are significantly more common than those of other dinosaurs in the marine Jurassic of the Vaches Noires, but no clear explanation can be provided for this overrepresentation. Référence bibliographique de cet article : BUFFETAUT E., HÉBERT F. et REBOURS T. (2010) – Un métatarsien de dinosaure théropode dans le Jurassique des falaises des Vaches Noires (Calvados, Normandie, France). Bulletin Sciences et Géologie Normandes, tome 1, p. 49-53. 1 – INTRODUCTION La présence de restes de dinosaures théropodes dans les couches jurassiques des falaises des Vaches Noires, entre Houlgate et Villers (Calvados) est connue depuis longtemps (Douvillé, 1885 ; Bigot, 1939 ; Rioult, 1978), et de tels fossiles y sont découverts épisodiquement (Buffetaut, 1994a ; Buffetaut & Enos, 1992 ; Buffetaut et al., 1991 ; Collin et al., 2007 ; Knoll et al., 1999). Cependant, ces éléments squelettiques d’animaux terrestres demeurent relativement rares dans les sédiments marins calloviens et oxfordiens qui composent la base et la partie moyenne de ces falaises. De ce fait, il n’est pas inutile de signaler de nouvelles découvertes de cet ordre, même lorsqu’il s’agit de spécimens fragmentaires. ____________________ (1) CNRS (UMR 8538), Laboratoire de Géologie de l’École Normale Supérieure 24, rue Lhomond 75231 PARIS CEDEX 05 France Courriel : [email protected] (2) 34, rue Émile Zola 14750 SAINT-AUBIN-SUR-MER France Courriel : [email protected] - 49 - BUFFETAUT E., HÉBERT F. et REBOURS T. L’os incomplet décrit ici a été découvert sur la plage, à la base des falaises par l’une d’entre nous (F.H.). Le spécimen a été trouvé en surface, déjà dégagé par l’érosion, de sorte qu’il n’est pas possible de déterminer avec précision son origine stratigraphique. Sa conservation et le remplissage de sa cavité médullaire permettent de supposer qu’il provient des marnes du Callovien supérieur (Marnes de Dives) qui affleurent à la base des falaises, et qui ont livré la majorité des vertébrés fossiles trouvés aux Vaches Noires (bien que certains spécimens proviennent des niveaux oxfordiens sus-jacents). 2 – DESCRIPTION ET COMPARAISONS Cet os (collection Hébert-Rebours, n° 02-vn-73) est un métatarsien IV de théropode, un peu roulé, et auquel il manque la partie distale (Fig. 1). La diaphyse est creuse, de section ovale au niveau de la cassure, avec des parois par endroits très minces (1 mm d’épaisseur). La tête articulaire proximale est très évasée par rapport à la diaphyse. La face antérieure de l’os est arrondie, alors que sa face médiale est profondément concave proximalement pour recevoir le métatarsien III. La face latérale est plutôt plane avec une légère concavité proximale ; cela correspond à la facette pour le métatarsien V. La face postérieure est amincie, l’os formant à sa partie proximale un processus qui fait saillie en direction postéromédiale. La face articulaire proximale (Fig. 2) se compose d’une partie antérieure élargie transversalement, au bord antérieur convexe, et d’une partie postérieure beaucoup plus étroite, qui se plaçait entre les extrémités proximales des métatarsiens III et V. Cela donne à la face articulaire proximale un contour général en forme de « d ». La partie antérieure élargie est concave, pour l’articulation avec le tarse. Fig. 1 : Quatrième métatarsien gauche de théropode du Callovien (?) des falaises des Vaches Noires (Calvados) en vues antérieure (A), médiale (B), postérieure (C) et latérale (D). Barre d’échelle : 10 mm. Left fourth metatarsal of a theropod from the Callovian (?) of the Vaches Noires cliffs (Calvados) in anterior (A), medial (B), posterior (C) and lateral (D) views. Scale bar: 10 mm. Mesures : Longueur en l’état : 100 mm. Longueur antéropostérieure de la face proximale : 56,4 mm. Largeur maximale de la face proximale : 35 mm. - 50 - UN MÉTATARSIEN DE DINOSAURE THÉROPODE DES VACHES NOIRES Bien que les caractères morphologiques de cet os (y compris sa diaphyse creuse) indiquent clairement qu’il s’agit du quatrième métatarsien d’un dinosaure théropode, il est difficile de l’identifier plus précisément, du fait de son caractère fragmentaire. Diverses comparaisons avec des théropodes dont le métatarse est bien connu sont néanmoins possibles. Le théropode le plus complet que l’on connaisse dans le Callovien européen est Eustreptospondylus oxoniensis, provenant des environs d’Oxford, qui a fait l’objet d’une révision récente par Sadleir et al. (2008) ; ces auteurs le considèrent comme un représentant des Spinosauroidea. Le métatarsien IV est bien connu chez ce dinosaure, il diffère notablement du spécimen des Vaches Noires par le contour de la face proximale, qui montre un rétrécissement graduel de l’avant vers l’arrière, et non la forme en « d » mentionnée plus haut, l’échancrure médiale pour le métatarsien IV étant beaucoup moins prononcée. Un autre spinosauroïde, Torvosaurus tanneri, du Jurassique supérieur des États-Unis, montre un contour de la face proximale du métatarsien IV assez similaire à celui d’Eustreptospondylus (Britt, 1991), avec une concavité médiale moins marquée que sur le spécimen des Vaches Noires. Si l’on étend les comparaisons à d’autres théropodes jurassiques, on constate que le métatarsien IV de Ceratosaurus est plus différent encore, avec une face articulaire proximale en forme de trapèze, et plus large antérieurement que postérieurement (Gilmore, 1920). Les ressemblances sont beaucoup plus grandes avec le métatarsien IV d’Allosaurus (Fig. 2), dont la face articulaire proximale montre une partie antérieure élargie et une partie postérieure étroite, faisant saillie postéromédialement (Gilmore, 1920 ; Madsen, 1976), ce qui rappelle tout à fait le contour du spécimen des Vaches Noires. Cette morphologie du métatarsien IV semble courante chez les Allosauroidea, puisqu’on la retrouve chez Neovenator, du Wealdien d’Angleterre (Brusatte et al., 2008), chez Sinraptor, du Jurassique supérieur de Chine (Currie & Zhao, 1993) et chez Acrocanthosaurus atokensis, du Crétacé inférieur des États-Unis (Currie & Carpenter, 2000). Il semble que cet amincissement postérieur de la partie proximale du métatarsien IV corresponde à un stade particulier d’évolution du métatarse, devenu plus « compact » et avec des articulations plus complexes dans la partie proximale que chez des théropodes moins dérivés, tels que les spinosauroïdes et les cératosaures. Les Allosauroidea n’atteignent cependant pas le stade « arctométatarsalien » (Holtz, 1995) connu chez des formes plus dérivées (comme les tyrannosaures), chez lesquelles le métatarsien III est très comprimé, voire réduit, proximalement, ce qui a pour résultat une morphologie différente du métatarsien IV, avec chez les tyrannosaures une face proximale en forme de croissant (Maleev, 1974). Fig. 2 : Face articulaire proximale du métatarsien IV de théropode des Vaches Noires (B) comparée à la vue proximale du tarse d’Allosaurus fragilis (d’après Madsen, 1976). Barre d’échelle pour B : 10 mm. Proximal articular surface of the theropod fourth metatarsal from the Vaches Noires (B), compared with a proximal view of the tarsus of Allosaurus fragilis (after Madsen, 1976). Scale bar for B: 10 mm. - 51 - BUFFETAUT E., HÉBERT F. et REBOURS T. 3 – CONCLUSIONS Bien que fragmentaire, ce quatrième métatarsien des Vaches Noires présente quelques caractères qui l’éloignent de divers groupes de théropodes relativement peu dérivés, ainsi que des arctométatarsaliens, et le rapprochent des Allosauroidea. Il paraît donc légitime de l’attribuer à un membre de ce groupe, chez lequel le métatarsien IV paraît avoir une morphologie assez caractéristique, mais une identification plus précise serait extrêmement hasardeuse. Ce fossile vient ainsi s’ajouter à la liste des restes de théropodes signalés dans les couches jurassiques (principalement calloviennes) des Vaches Noires. Comme les autres restes de dinosaures trouvés dans le Jurassique marin de Normandie, on peut l’interpréter comme un élément d’un cadavre ayant été entraîné en mer depuis une zone émergée relativement proche, correspondant sans doute au Massif Armoricain. Du fait de leur caractère généralement fragmentaire, et de l’absence de squelettes articulés, il demeure difficile d’estimer la diversité réelle des théropodes calloviens de Normandie, mais il semble clair que plusieurs taxons sont présents (Buffetaut & Enos, 1992). Il est intéressant de noter que les théropodes constituent la très grande majorité des dinosaures découverts dans le Callovien marin de Normandie, les autres groupes de dinosaures, représentés par les stégosaures (Hoffstetter & Brun, 1958 ; Galton, 1990) et les sauropodes (Buffetaut, 1995) étant nettement moins fréquents. Cette dominance des théropodes a déjà été signalée (Buffetaut, 1994b), mais ses causes restent obscures. Il est peu probable que les théropodes, dinosauriens carnivores, aient été plus abondants que les herbivores sur les terres émergées (Massif Armoricain) d’où proviennent très vraisemblablement les restes trouvés dans le Jurassique marin normand. Peut-être faut-il donc supposer que leur mode de vie les prédisposait à être entraînés en mer, pour que leurs restes soient finalement enfouis dans les sédiments marins. Toutefois, comme cela a déjà été remarqué (Buffetaut, 1994), l’assemblage de dinosaures découvert dans l’Oxford Clay, équivalent anglais du Callovien normand, est moins déséquilibré en faveur des théropodes. ____________________ RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES BIGOT A. (1939) – Notice géologique sur Villers-sur-Mer et ses environs. Syndicat d'lnitiative de Villers-sur-Mer, p. 1-12. BRITT B. B. (1991) – Theropods of Dry Mesa Quarry (Morrison Formation, Late Jurassic), Colorado, with emphasis on the osteology of Torvosaurus tanneri. Brigham Young University Geology Studies, Salt Lake City, vol. 37, p. 1-72. BRUSATTE S. L., BENSON, R. B. J. & HUTT S. (2008) – The osteology of Neovenator salerii (Dinosauria: Theropoda) from the Wealden Group (Barremian) of the Isle of Wight. 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