Régulation des hémorragies ORL chez l`enfant
Transcription
Régulation des hémorragies ORL chez l`enfant
Régulation des hémorragies ORL chez l’enfant Conduite à tenir immédiate E.Daussac SMUR pédiatrique (SAMU 31), hôpital des Enfants, CHU de Toulouse, 330 avenue de Grande-Bretagne, 31059 Toulouse cedex 09, France Les hémorragies ORL sont une cause fréquente d’appel au 15. Les épistaxis représentent l’urgence ORL la plus fréquente .Neuf fois sur 10, aucune prise en charge thérapeutique spécifique n’est nécessaire mais il est important de savoir repérer les éventuelles urgences. Les autres hémorragies ORL concernent surtout l’enfant en période post-opératoire et sont toujours des urgences. I. Cas cliniques Observation 1 : Manon, sans antécédents particuliers avait été opérée d’une amygdalectomie le 24 juillet 2001 à l’age de 7 ans . A J9 après l’intervention, elle a présenté une hématémèse modérée Un premier examen a été considéré comme normal. Une nouvelle hématémèse dite abondante a justifié, après appel au 15, l’intervention du SMUR pédiatrique. A l’arrivée au domicile, l’enfant était consciente, somnolante. Elle était pâle, tachycarde à 118 / min (< 2 DS), avec une hypotension franche inférieure à - 2DS, TAS 58 ,TAD 32 et TA moyenne 40. Devant la mauvaise tolérance hémodynamique, un remplissage de 500 ml de gélatine (Gelofusine®) était perfusé en 45mn. A l’arrivée aux urgences pédiatriques à 3h30, la TA était égale à 84/45 moyenne 54. La numération formule sanguine en urgence objectivait une Hb à 4.5 g/dl, l’ hémostase était normale. Il était rapidement décidé d’une reprise chirurgicale pour cautérisation de la loge amygdalienne, complétée d’une transfusion de 310 ml soit 1/5 de masse sanguine. Les suites post-opératoires ont été simples. Observation 2 : Jean Baptiste, un adolescent de 13 ans sans antécédent particulier, a présenté un traumatisme de la face au cours d’un match de rugby. Une première épistaxis bilatérale était bien contrôlée dans les suites immédiates. Quelques jours plus tard, Jean Baptiste avait présenté une nouvelle épistaxis abondante traitée par compression et méchage antérieur pendant 48 heures. Quelques jours après l’ablation de la mèche, il avait présenté de nouveaux épisodes d’épistaxis très abondantes. Revu deux semaines après le traumatisme en consultation ORL, l’examen endonasal retrouvait des caillots multiples. Le taux d’ hémoglobine était égal à 10 g/dl. Une nouvelle épistaxis bilatérale très abondante a conduit à réaliser un examen endoscopique révelant un saignement bilatéral provenant de la région du cornet moyen. Les tentatives d’hémostase locale à la pince étant infructueuses, une artériographie avec embolisation des artères maxillaires internes a été réalisée. Une transfusion sanguine était décidée en raison d’un taux d’Hb égal à 7 g/dl. Après ablation du méchage à 48 h, il n’y a pas eu de récidive . En 2004 et 2005, 11 enfants ont nécessité une hospitalisation à l’ Hôpital des Enfants de Toulouse pour une hémorragie abondante de la sphère ORL, révélée systématiquement par une ou plusieurs hématémèses. Cinq d’entre eux ont fait appel au 15 : après régulation, deux situations ont nécessité le déplacement d’une équipe SMUR, deux patients ont bénéficié d’un transport non médicalisé (ambulance privée ou véhicule de pompiers) et pour le dernier cas, il était conseillé un transport par la famille. Les autres enfants ont été accompagnés spontanément par leurs familles . Neuf enfants avaient subi un geste chirurgical ORL dans les 12 jours précédents, amygdalectomie avec ou sans adénoïdectomie. Aucun n’avait de troubles de l’hémostase. Un enfant ayant saigné à J12 post opératoire avait pris des AINS dans la journée. Quatre ont nécessité une reprise chirurgicale dans les 2 heures suivant leur admission. Une seule enfant a nécessité une transfusion au décours d’un saignement post-opératoire immédiat. Les hémorragies ayant nécessité une reprise opératoire sont survenues respectivement à H2, H24, J4 et J9 après le geste initial. Les 5 autres enfants n’ayant pas nécessité de reprise chirurgicale ont été surveillés entre 24 et 48 heures. Tous avaient chuté leur hémoglobine de 1 et 2 g/dl entre le bilan à l’admission et celui à la sortie. II. Régulation des appels pour épistaxis L’épistaxis est un saignement des fosses nasales, le plus souvent antérieur. Dans 90% des cas, ce saignement intéresse la tache vasculaire ou zone de Kiesselbach, zone d’anastomose capillaire de branches terminales de la carotide interne et de la carotide externe homo latérale. Cette région est située à environ 1 cm du seuil narinaire sur la partie antéro inférieure de la cloison nasale, facilement accessible au doigt. Les vaisseaux capillaires y sont nombreux, fragiles, car pauvres en fibres contractiles. Elle est le plus souvent unilatérale mais une épistaxis plus abondante s’extériorise facilement de façon bilatérale, même si l’origine du saignement est unilatérale. Quelle épistaxis est grave ou à risque de gravité ? Un certain nombre de situations font la gravité potentielle d’une épistaxis. Elles méritent donc d’être recherchées à l’interrogatoire car elles sont responsables d’épistaxis prolongées voir sévères et nécessitent une prise en charge thérapeutique. - antécédent de prise de médicaments type AINS (acide acétyl salicylique, ibuprofène) ou autre médicament interférant avec l’hémostase - trouble de l’hémostase connu : thrombopénie, pathologie hématologique - terrain hypertendu : rare en pédiatrie mais pouvant révéler l’ HTA - post-traumatique : comme l’illustre notre cas clinique n°2. L’abondance de l’épistaxis initiale et la répétition des épisodes doivent conduire à une prise en charge en milieu spécialisé et une surveillance stricte. - post opératoire : toute hémorragie survenant dans les 15 jours après chirurgie de la face, de la bouche ou ORL - bilatérale, notion parfois difficile à préciser - antérieure et postérieure des épistaxis répétées ou continues au delà de 30 minutes malgré une compression et un mouchage bien menés Deux situations sont à rechercher par des questions précises : - le fibrome naso-pharyngien du garçon au moment de la puberté : encore dénommé fibrome saignant de la puberté masculine. c’est une tumeur rare pouvant se révéler par une épistaxis grave. La notion d’obstruction nasale unilatérale chronique est à rechercher dés qu’il s’agit d’un jeune adolescent. - maladie de Rendu Osler dans la famille ou toute autre pathologie capillaire. Dans ce type de pathologie, il y a absence de collapsus du capillaire en cas de déchirure. Il faut donc rechercher la notion d’angiomatose telangiectasique cutanée à l’interrogatoire. La conduite à tenir doit être expliquée au téléphone - calmer l’enfant : les pleurs entretiennent le saignement en générant une hyper pression - l’installer en position confortable, ½ assis - le moucher : étape est importante car elle permet le décaillotage nécessaire à la formation d’un thrombus, les caillots favorisant la fibrinolyse locale - comprimer les 2 narines par l’extérieur pendant 10 mn. - si besoin, répéter une autre fois la séquence mouchage-compression, complétée d’un méchage narinaire antérieur peu profond avec une petite touffe de coton sec ou imbibé de pommade type HEC introduite dans la narine et maintenue pendant la compression - prévenir du risque fréquent de vomissement noirâtre après une épistaxis déglutie Une épistaxis qui persiste après 2 séquences de mouchage-compression nécessite un transport vers un service d’urgence pour prise en charge adaptée. III. Quel risque hémorragique post amygdalectomie ? Après une intervention pour amygdalectomie il y a des risques de saignements : - primaire, c’est à dire moins de 24 post –opératoire secondaire, lors de la chute d’escarre dans les 2 semaines qui suivent Il s’agit de saignement de type artériolaire. Les médicaments à risque type AINS, aspirine sont interdits, mais ils peuvent avoir été pris en auto-médication. Tout saignement ORL post opératoire est suspect d’où qu’il vienne : nez, bouche, hématémèse. Toute hémorragie post amygdalectomie doit être acheminée en urgence vers un service adapté disposant d’un bloc. De façon à adapter les moyens utilisés à chaque situation, il faut évaluer au préalable l’importance du retentissement clinique. Il faut réunir les informations quand à l’ancienneté, la répétition, la quantité du saignement, très difficile à évaluer. Les signes faisant évoquer une hémorragie importante sont ceux de l’hypovolémie : - anxiété, angoisse, agitation - soif, sueurs - pâleur - pouls rapide et doivent faire mobiliser une équipe médicalisée en urgence. En leur absence, le transport le plus rapide sera choisi. Aucun geste n’est efficace à la maison pour limiter l’hémorragie. Il faut tenter de calmer l’enfant. Lorsqu’une équipe médicale est sollicitée, il faut rapidement évaluer la situation hémodynamique en tenant compte des valeurs propres à l’enfant, et sans oublier que la chute tensionnelle est beaucoup plus tardive chez l’enfant que chez l’adulte. La mise en place une voie veineuse est recommandée pour contrôler la situation hémodynamique. Il n’y a pas de geste local efficace. En situation de sauvetage, l’intubation peut être indiquée pour permettre une compression au doigt. Age FC TAS TAM 2 ans 4 ans 10 ans 14 ans 110 +/- 35 100 +/- 30 90 +/- 35 85 +/- 30 90 +/- 15 95 +/- 15 100 +/- 15 105 +/- 15 55 +/- 15 55 +/- 15 60 +/- 15 65 +/- 15 Tableau 2 : Constantes hémodynamiques de l’enfant Conclusion : Les situations d’hémorragies ORL à potentiel de gravité sont peu fréquentes chez l’enfant mais doivent être connues du médecin régulateur pour les rechercher lors de l’interrogatoire . Toute hémorragie après intervention ORL, même tardive jusqu’à 15 jours est considérée comme une urgence et doit être acheminée et surveillée sans retard dans un service d’urgence . Toute hémorragie extériorisée par le nez et résistante à 30 minutes d’une compression bien conduite après mouchage efficace doit être prise en charge en milieu ORL.