PARFUM, ART ET STRATÉGIES DE MARQUE Le cas Serge Lutens

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PARFUM, ART ET STRATÉGIES DE MARQUE Le cas Serge Lutens
Université de Paris-Sorbonne
École des Hautes Études en Sciences de l’Information et de la Communication
MASTER 2 PROFESSIONNEL
Mention : Information et Communication
Spécialité : Marketing et Communication
Option : Stratégies de Marque et Communication Plurimedia
PARFUM, ART ET STRATÉGIES DE MARQUE
Le cas Serge Lutens
Préparé sous la direction du Professeur Véronique RICHARD
Nom et prénom : RECORBET Emilie
Promotion 2013
Soutenu le 07/10/2014
Note du mémoire : 15/20
1
REMERCIEMENTS
La rédaction de ce mémoire, finalisation de mon master 2 au CELSA,
marque un tournant dans ma vie personnelle et professionnelle. Elle n’a
toutefois été possible qu’avec l’aide bienveillante de Caroline de Montety,
rapporteur universitaire, et Marion Nielsen, rapporteur professionnel. Je les
remercie de même que Véronique Richard et l’ensemble de l’équipe
pédagogique du CELSA pour la confiance qu’ils m’ont accordée.
2
SOMMAIRE
INTRODUCTION ---------------------------------------------------------------------------- 3
PARTIE 1 : Le parfum, objet d’art et de communication --------------------- 9
A – L’odeur et le parfum constitutifs des processus d’échange ----------------- 9
1) Le rejet historique et sociologique de l’odorat et des odeurs ----------------- 9
2) Les odeurs et le parfum dans la communication non verbale ---------------- 13
3) L’atrophie du sens olfactif ------------------------------------------------------------- 16
B – Le parfum comme œuvre d’art ---------------------------------------------------- 19
1) La place du parfum dans l’histoire de la notion d’art --------------------------
19
2) Le parfum comme art moderne en puissance ----------------------------------- 22
3) La carence de culture olfactive ------------------------------------------------------ 25
PARTIE 2 : La singularité de la stratégie de marque Serge Lutens ------ 28
A – L’éducation de la cible, une démarche sélective et élitiste ---------------- 28
1) L’esthète devenu parfumeur ---------------------------------------------------------- 28
2) Le cercle Lutens : une cible d’initiés ------------------------------------------------ 32
B – L’usage des mots et de l’image pour figurer l’odeur -------------------------- 37
1) La description poétique des parfums par Serge Lutens ----------------------- 37
2) L’identité Lutens dans les visuels de la marque --------------------------------- 44
CONCLUSION ------------------------------------------------------------------------------ 53
BIBLIOGRAPHIE -------------------------------------------------------------------------- 57
ANNEXES -----------------------------------------------------------------------------------
59
RESUME ------------------------------------------------------------------------------------- 70
MOTS-CLÉS -------------------------------------------------------------------------------
71
3
INTRODUCTION
« La parfumerie, comme tous les métiers d’art, a pour objet de créer des
produits dont la finalité est avant tout le plaisir des sens1. » Ces quelques mots
du parfumeur français Jean-Claude ELLENA révèlent toute la difficulté de
qualifier le parfum, tantôt considéré comme objet d’art, tantôt relégué au statut
de produit de grande consommation. Cette dissension quant à la nature même
du parfum jalonne l’histoire de la parfumerie et de l’art. Le règlement de cette
question est toutefois primordial pour les stratégies de marque des parfumeurs.
Mon intérêt pour le parfum et l’esthétique m’a conduite à exercer une
activité professionnelle de six ans au sein de la parfumerie sélective. Cette
approche de terrain a été l’opportunité d’enrichir ma connaissance des parfums
mais aussi de nourrir ma réflexion sur les techniques marketing employées pour
en promouvoir les ventes. Au-delà de ces considérations techniques et
économiques, je souhaitais aller plus loin pour m’attacher à la dimension
symbolique des échanges et processus communicationnels. Par la reprise de
mes études et mon intégration au CELSA, j’ai pu appréhender toutes les
facettes de la marque et de ses enjeux stratégiques. De plus, l’étude des
sciences de l’information et de la communication a démultiplié mes axes de
réflexion, tant à titre professionnel que personnel.
Ainsi, le parfum que je percevais jusqu’alors comme un simple produit de
nature à provoquer le plaisir de ceux qui le portent, m’est apparu comme un
objet de communication. Le fait même de porter un parfum en société est un
acte de communication qui peut être motivé par divers objectifs, plus ou moins
conscients, tels que la séduction ou le positionnement social. De plus, le parfum
peut être défini comme la coordination volontaire et harmonieuse d’essences ou
composantes olfactives par un « nez » ou « maître parfumeur » en vue de
transmettre un message, une émotion, une sensation au sujet. Ma décision
était prise ; mon mémoire traiterait du parfum, tel un pont entre mon expérience
professionnelle passée et les nouveaux horizons s’offrant à moi.
1
ème
ELLENA Jean-Claude, Le Parfum, Que sais-je ?, PUF, 3
2012, p. 61.
édition mise à jour, septembre
4
Ayant toujours eu beaucoup d’intérêt pour l’art et son histoire, je me suis
alors demandée si le parfum y trouvait sa place. Mon avis n’étant pas tranché à
ce stade, ma démarche a donc été complètement impartiale et très documentée.
L’éventualité d’une reconnaissance du parfum comme œuvre d’art m’est
apparue primordiale pour la conception des stratégies de marque jusqu’alors
concentrée sur la classification du parfum comme produit de luxe. Loin de
remettre en cause l’appartenance à ce marché, mon propos s’intéresse à la
qualité artistique intrinsèque qui serait propre au parfum parmi les produits de
luxe. Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, dans leur ouvrage Luxe Oblige,
mettent d’ailleurs en exergue cette relation entre le luxe et les arts non
communément reconnus : « La meilleure proximité du luxe se fait avec les arts
impopulaires, ou plutôt non populaires, ceux qui émergent et n’ont pas encore
séduit le plus grand nombre2 ».
En 1960, le professeur Edmund Jerome McCarthy définissait le mixmarketing par les quatre politiques suivantes : le produit, le prix, la distribution
et la promotion3. Mes recherches se sont axées d’une part sur le produit, par
l’analyse de la dimension artistique du parfum, d’autre part sur la promotion, par
des études sémantiques et sémiologiques de la marque Serge Lutens. Sur le
marché de la parfumerie sélective, cette marque est reconnue et respectée de
ses concurrents par la qualité de ses parfums et sa réussite commerciale.
Toutefois, dans ce secteur extrêmement codifié, elle fait figure d’exception par
des choix et positionnements stratégiques à contre-courant. Ce paradoxe, mis
en perspective avec le parcours artistique de l’autodidacte Serge Lutens, m’a
naturellement déterminée dans mon choix.
Ces réflexions sur les connexions entre le parfum, l’art et les stratégies
de marques ont naturellement fait émerger la problématique suivante :
« Dans quelle mesure la reconnaissance du parfum comme œuvre
d’art peut-elle influer sur les stratégies de marque des parfumeurs ? »
2
3
BASTIEN Vincent et KAPFERER Jean-Noël, Luxe Oblige, Eyrolles, 2008.
MCCARTHY Edmund Jerome, Basic Marketing, A Managerial Approach, 1960.
5
À l’énoncé de cette question, il apparaît immédiatement une tension
entre les notions de produit commercial et d’art. Elle sera néanmoins
désamorcée par l’étude de la place du parfum dans les arts. Il ne fait aucun
doute que le parfum, entendu comme le jus olfactif contenu dans un flacon, est
un produit commercial. Pour autant, la formule composée par le maître
parfumeur peut-être considérée comme une œuvre d’art ce qui nous amène à
notre première hypothèse ainsi formulée :
La composition de parfums est un art non reconnu comme tel par
une carence de culture olfactive.
La notion de composition a été sciemment préférée à celle de création
car elle implique un travail intellectuel de combinaison de composants olfactifs
en vue d’un résultat harmonieux et total de nature à toucher, par le sens, la
sensibilité du sujet. Mon discours ne portera donc que sur les parfums dont la
création résulte de cette démarche, qui ne peut être uniquement commerciale.
Peu de personnes ont un sens olfactif suffisamment aiguisé pour
reconnaître et distinguer les odeurs, même des plus élémentaires. Pour autant,
par l’éducation et l’exercice du sens olfactif, il est possible de mémoriser des
milliers d’odeurs. Les personnes dotées de cet acquis sont généralement
désignées par le terme générique de « nez ». Elles font figure d’exception et
exercent cette capacité élitiste dans les domaines de la parfumerie et de
l’œnologie. Je préfèrerai le terme de « maître parfumeur » pour qualifier le
« nez » capable d’associer les composants olfactifs en un parfum.
Le désintérêt pour le sens olfactif et pour le pouvoir informationnel et
communicationnel des odeurs est frappant lors de l’étude des Sciences de
l’Information et de la Communication. L’importance accordée aux sens
physiques que sont la vue et l’ouïe laisse peu de place au sens chimique qu’est
l’odorat. Notre environnement, notre histoire, notre culture et notre éducation
permettent d’expliquer cette mise à l’écart. Pourtant, de manière consciente ou
non, les odeurs, et par extension le parfum, jouent un rôle omniprésent dans les
processus d’échange. Il convient toutefois de tempérer ces propos en référence
au développement d’un courant d’étude et de recherche représenté par des
6
professeurs
d’université
tels que
Jean-Jacques
BOUTAUD et Pascal
LARDELLIER au sein du Laboratoire sur l’Image, les Médiations et le Sensible
en Information-Communication 4 . Leurs travaux m’ont été d’une grande aide
pour aborder le rôle des odeurs et du parfum dans la communication
interpersonnelle.
Afin de répondre à la première hypothèse et ainsi savoir si la composition
de parfums peut être considérée comme un art à part entière, il faudra mettre
les techniques des parfumeurs, leurs buts et leurs résultats en perspective avec
les critères constitutifs de l’art et de son histoire. Cette recherche comparative
permettra de dégager certaines caractéristiques essentielles du parfum à
prendre en compte dans la démarche stratégique des parfumeurs. Ainsi les
marques reconnaissant au parfum le statut d’œuvre d’art seront susceptibles
d’intégrer dans leurs stratégies de communication une dimension culturelle et
artistique. À ce titre, il convient de noter que la stratégie de marque Serge
Lutens se distingue en de nombreux points de celle de ses concurrents sans
pour autant envier leur réussite commerciale. La seconde hypothèse consiste
donc à envisager que :
La stratégie de marque du parfumeur Serge Lutens est singulière
par le statut d’œuvre d’art qu’elle reconnaît à ses parfums.
Nous verrons que Serge Lutens, créateur éponyme de la marque, est un
acteur engagé du mouvement artistique et intellectuel militant pour une
reconnaissance des grands parfums comme œuvres d’art. Son parcours
d’autodidacte et d’artiste l’a conduit à inspirer et diriger la création de parfums
d’exception en collaboration avec des maîtres parfumeurs tels que Christopher
Sheldrake.
Les supports media et hors media habituellement utilisés par les
parfumeurs pour promouvoir leurs produits sont la télévision, la presse,
4
BOUTAUD Jean-Jacques, Laboratoire sur l’Image, les Médiations et le Sensible en
Information-Communication (LIMSIC), Communication et organisation (article paru en ligne le
01/04/2012), URL: http://communicationorganisation.revues.org/2863
7
l’affichage, le cinéma et Internet. Serge Lutens cantonne quant à lui sa
communication publicitaire à la presse, par la publication de visuels, et à
Internet, par la mise en ligne d’un site commercial. Il se livre également à
quelques interviews, parues dans la presse ou retransmises à la radio, au cours
desquelles il parle de sa vie et de ses parfums5.
Le site Internet de Serge Lutens présente et propose à la vente en ligne
l’intégralité des parfums référencés par la marque. Chaque parfum est alors
décrit par un texte, sous forme de prose poétique, écrit par Serge Lutens en
personne. Les parfums sont également classés selon six catégories aux noms
souvent énigmatiques, parfois provocateurs. Le premier volet de mon étude
terrain a donc consisté en l’analyse sémantique des noms donnés à chacune
des six catégories. Pour la catégorie la plus représentative des axes
thématiques abordés par la marque, l’analyse sémantique a également porté
sur chacun des textes descriptifs des parfums la composant. Cette étude
analytique a été menée selon une méthodologie se référant aux sens des mots
et à leur interprétation dans le discours.
Le second volet de mon étude terrain a porté sur l’analyse sémiologique
des visuels de la marque Serge Lutens. La constitution du corpus a été réalisée
dans une démarche d’exhaustivité sur les visuels parus dans la presse et sur
Internet entre 2003 et 2014. Toutefois, la rareté des productions publicitaires de
la marque a rendu cette tâche peu aisée. Au sein de ce corpus, trois visuels
représentatifs ont été sélectionnés au regard de leurs différences quant aux
thématiques abordées et quant à leur composition graphique. Chacun d’entre
eux a ensuite fait l’objet d’une analyse formelle puis d’une analyse interprétative.
Les résultats de ces deux études terrain ont permis de mieux cerner la
singularité de la stratégie de marque Serge Lutens et de répondre à l’hypothèse
précédemment énoncée.
5
Voir bibliographie.
8
Lors de l’élaboration de ce mémoire, l’ouvrage Les pouvoirs de l’odeur 6
d’Annick Le Guérer a grandement nourri ma pensée par son approche
historique, sociologique et symbolique de l’univers olfactif. Annick Le Guérer est
membre associée du LIMSIC (Laboratoire sur l’Image, les Médiations et le
Sensible en Information-Communication) à l’université de Bourgogne, docteur
en anthropologie à l’université Paris 5 et philosophe. Dans Les pouvoirs de
l’odeur, elle s’est attachée à décrire la place des odeurs et du parfum dans la
société, de l’Antiquité à nos jours. L’article de recherche Comment créer de
l’affectif avec de l’olfactif ? L’attachement aux marques de parfum7 de Benoît
HEILBRUNN m’a également été d’une grande aide. Il m’a confortée dans mes
réflexions sur la difficulté inhérente aux stratégies de marque des parfumeurs
dans la verbalisation et dans la production de signes relatifs à l’odeur et aux
parfums.
Au cours de mes travaux, j’aborderai d’abord la nature sociale du parfum
comme objet d’art et de communication en m’intéressant notamment à sa place
dans les processus d’échange et dans l’univers artistique contemporain.
J’étudierai ensuite la singularité de la stratégie de marque Serge Lutens ; d’une
part en examinant les caractéristiques de la cible et ses liens avec la marque,
d’autre part en procédant à des analyses sémantiques et sémiologiques de ses
supports communicationnels. En conclusion, je synthétiserai les résultats de
mes recherches et procéderai à des recommandations.
6
LE GUERER Annick, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, 2002.
HEILBRUNN Benoît Comment créer de l’affectif avec de l’olfactif ? L’attachement aux
marques de parfums, Mode de recherche, n°11, janvier 2009, Institut Français de la Mode.
7
9
Partie 1 : Le parfum, objet d’art et de communication :
Selon la première de mes hypothèses, l’activité consistant à composer
des parfums pourrait être reconnue comme un art si la société contemporaine
avait développé une véritable culture de l’olfaction. Malgré ce désintérêt pour le
sens olfactif, nous verrons que l’odeur, et par extension le parfum, prennent une
part considérable dans les systèmes de communication interpersonnelle. Plus
encore, nous verrons dans quelle mesure le parfum peut être reconnu comme
œuvre d’art dans le cadre de ces processus d’échange.
A. L’odeur et le parfum constitutifs des processus d’échange :
Si le rejet historique et sociologique de l’odorat et des odeurs explique en
partie l’atrophie du sens olfactif dont souffrent nos sociétés occidentales
contemporaines, il ne remet pour autant pas en cause le rôle déterminant des
odeurs et du parfum dans la communication non verbale.
1) Le rejet historique et sociologique de l’odorat et des odeurs :
L’anthropologue et philosophe Annick Le Guérer, spécialiste de l’odorat,
des odeurs et du parfum, décrit nos sociétés occidentales contemporaines
comme « odoriphobes8 » et l’explique notamment par un rejet historique des
odeurs. Ainsi les odeurs sont communément classifiées selon un système de
valeur binaire entre « bonnes » et « mauvaises », avec une forte propension à
les reconnaître comme négatives. Comme l’a notamment exposé la philosophe
Chantal Jacquet, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, les
raisons du rejet de l’odorat en occident sont multiples9.
La principale est le rejet du corps, par une forme de puritanisme,
d’opposition entre le corps et l’esprit grandement véhiculée par le christianisme.
8
9
LE GUERER Annick, Les pouvoirs de l’odeur, Odile Jacob, 1998.
JACQUET Chantal, La philosophie de l’odorat, PUF, 2010.
10
L’odorat est le sens qui nous ramène le plus à notre corporéité et à son
refoulement. L’odeur du corps, parce qu’elle est incontrôlable, apparaît en effet
comme un défaut de maîtrise de soi pour l’Homme vis-à-vis du monde qui
l’entoure. Certaines figures métonymiques du langage argotique manifestent
l’aversion pour autrui en lien avec la perception olfactive. Des expressions telles
que « ne pas blairer » ou « piffrer » quelqu’un, ou encore « l’avoir dans le nez »,
sont des exemples de ce rejet d’autrui en lien avec l’odeur jugée négativement.
Le fait d’être confronté à l’odeur d’autrui et de devoir l’inhaler malgré soi
provoque cette réaction répulsive tant sa manifestation peut être perçue comme
intrusive. Les odeurs corporelles sont donc autant d’obstacles dressés entre les
catégories sociales et les peuples. Le philosophe Georges Simmel qualifie pour
sa part l’odorat de sens « désagrégeant ou antisocial par excellence10 ». Dans
le même ordre d’idée, odeur et labeur sont historiquement associés dans
l’intolérance olfactive et sociale vis-à-vis de certaines classes professionnelles.
Au Moyen-Âge les activités de tannerie, de teinturerie et de papeterie
dégageaient des odeurs nauséabondes. Le cuir était notamment assoupli au
moyen de l’acide contenu dans l’urine et les excréments. À compter du XIXème
siècle et de l’essor industriel, ces activités malodorantes ont été reléguées à la
périphérie des villes.
Une vision sanitaire et hygiéniste de l’odeur s’est également développée
au cours du Moyen-Âge et de la Renaissance. Les odeurs étaient considérées
comme un facteur agissant directement sur la santé et la vie jusqu’en 1880 et la
diffusion des travaux de Louis Pasteur sur les micro-organismes. Cette
méfiance vis-à-vis des odeurs trouve en effet son origine dans les épidémies de
peste qui ont décimé une grande partie des populations européennes,
notamment de 1347 à 1352 lors de la peste dite « noire ». L’odeur des corps
atteints par la maladie et celle des cadavres en cours de putréfaction était
considérée comme un vecteur de contamination. L’analyse sémantique du
verbe « empester » est révélatrice de cette association de l’odeur à la
contamination sanitaire. Dès son apparition à la fin du XVIème siècle, la
polysémie de ce lemme lui a donné pour double signification « infecter de la
10
SIMMEL Georges, Mélanges de philosophie relativiste, Paris, F. Alcan, 1912.
11
peste » et « infecter d’une mauvaise odeur», synonyme de « empuantir ». Les
membres de la faculté de médecine de Paris considéraient alors qu’il existait un
risque de contagion par les odeurs méphitiques et enjoignaient les personnes
bien portantes à se tenir à distance des malades les répandant.
À la Renaissance, les personnes ont cessé de se laver à l’eau
considérée par les médecins comme propagatrice de contamination. Les corps
dégageaient donc des odeurs fétides, au-delà des classes sociales.
L’aristocratie, par la promiscuité qu’imposait la Cour, a donc eu recours à des
parfums forts et capiteux, ainsi qu’à la fumigation des espaces de vie, pour
masquer ces odeurs. Ces parfums étaient considérés comme désinfectants et
purificateurs. Leur emploi se révélera inopérant mais cette association de
certaines odeurs puissantes à un rôle de purification reste encore prégnante
dans
la
société
commercialisation
contemporaine.
de
parfums
Tel
dits
est
notamment
« d’ambiance »,
le
cas
de
la
« désodorisants »,
« assainissants » ou « purificateurs d’air ».
De nombreux philosophes, penseurs et psychanalystes ont également
participé à la dévalorisation de l’odorat. En effet, ce sens a longtemps été jugé
comme primaire, reflet de notre animalité et de notre sexualité. Dès l’Antiquité,
Platon et Aristote considèrent le sens olfactif comme imparfait, manquant de
finesse et procurant des plaisirs moins purs que ceux de la vue et de l’ouïe. Ils
jugent par ailleurs les odeurs comme trop fugaces et imprécises, à la charnière
des sens de la « distance » (vue et ouïe) et du « contact » (goût et toucher)11.
Sans identité propre, ils estiment que l’odeur ne peut provoquer qu’une réaction
affective limitée aux sentiments de douleur et de plaisir. À la fin du XVIIIème
siècle, Emmanuel Kant considère l’odorat comme un sens « ingrat12 », source
de désagrément et antisocial : « L’odorat est une sorte de goût à distance ; les
autres sont contraints de participer, bon gré, mal gré, à ce plaisir ; et c’est
pourquoi, contraire à la liberté, il est moins social que le goût13 ». Au début du
XIXème siècle, Arthur Shopenhauer le tient quant à lui pour inférieur tandis que
11
PLATON, Timée, Trad. E. Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, p. 444.
KANT Emmanuel, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798), trad. M. Foucault, Paris,
Vrin, 1979.
13
KANT Emmanuel, Critique de la faculté de juger (1790), trad. A. Tremesaygues et B. Pacaud,
Paris, Vrin, 1979.
12
12
Georg Wilhelm Friedrich Hegel l’exclut de l’esthétique14. Le médecin naturaliste
Jean-Claude de La Métherie, de son point de vue, invite ses lecteurs à être
« extrêmement réservés sur l’usage des odeurs » qui commandent l’attrait
sexuel car « l’homme social n’a pas encore perfectionné ses jouissances du
coté de l’odorat comme il l’a fait pour les autres objets de ses sensations15 ». À
la fin du XIXème siècle, le philosophe Friedrich Nietzsche puis le psychanalyste
Sigmund Freud associent pour leur part l’odorat à l’animalité.
Il convient toutefois de préciser que certains écrivains et philosophes tels
que Michel de Montaigne au XVIème siècle, puis Denis Diderot au XVIIIème siècle,
ont tenté de réhabiliter le sens olfactif. Ainsi Montaigne considérait les sens, et
notamment l’odorat, comme des instruments précieux de connaissance et de
jouissance 16 . Pour Diderot, il existerait une échelle des sens dans laquelle
l’odorat trouverait place prépondérante devant l’ouïe, la vue et le goût : « De
tous les sens, l’œil était le plus superficiel ; l’oreille, le plus orgueilleux ; l’odorat,
le plus voluptueux ; le goût, le plus superstitieux et le plus inconstant ; le
toucher, le plus profond et le plus philosophe17 ».
Ce rejet historique et social de l’odorat et des odeurs a grandement
participé à la limitation des recherches et de la pensée sur la place des odeurs
et du parfum dans les processus de communication. La dévalorisation de
l’odorat a ainsi contribué à une appréhension strictement manichéenne des
odeurs décrites comme bonnes ou mauvaises, sources de plaisir ou de douleur.
Pour autant, le rôle des odeurs et du parfum dans les processus d’échange
reste considérable.
HEGEL Georg Wilhelm Friedrich, Esthétique (1832), trad. S. Jankélévitch, Paris, Flammarion,
1979.
15
DE LA METHERIE Jean-Claude, De l’homme considéré moralement, de ses mœurs et de
celles des animaux, Paris, 1802, vol.2, p. 294.
16
DE MONTAIGNE Michel, Essais (1580 – 1595), Paris, PUF, 1965.
17
DIDEROT Denis, Lettre sur les sourds et muets (1751), essai in Premières Œuvres, Paris,
Éditions sociales, 1972, vol.2, p.99.
14
13
2) Les odeurs et le parfum dans la communication non verbale :
L'odeur est la résultante de liaisons entre molécules dites odorantes.
D'un point de vue chimique, les odeurs varient donc en fonction des composés
organiques concernés et de leur organisation moléculaire. L'odeur, invisible et
immatérielle, n'est perceptible par l'Homme qu’au moyen du sens de l’odorat.
La perception d'une odeur peut être influencée par son intensité et sa
persistance. L'intensité de l'odeur peut faciliter sa captation par l’odorat tandis
que sa persistance peut créer un phénomène d'accoutumance également
appelé « habituation » dans la terminologie médicale. Outre la perception
chimique de l'odeur par le sujet, la représentation mentale qu'il en a joue un rôle
déterminant. Cette représentation variera en fonction des codes sociaux et
culturels du groupe auquel l’individu appartient. La classification cognitive des
odeurs par un individu dépend donc essentiellement d'un acquis social qui,
comme nous l’avons vu précédemment pour nos sociétés occidentales,
imposera une catégorisation morale entre bonnes et mauvaises odeurs. Si la
perception de l'odeur est innée, sa représentation est acquise.
Certaines odeurs sont perçues par l'Homme de manière inconsciente
mais influencent néanmoins son comportement. Les phéromones joueraient
ainsi un rôle dans la mise en relation des individus par le déclenchement d'une
attirance sexuelle. Benoist Schall, biologiste et directeur de recherches au
Centre National de la Recherche Scientifique, tempère ce postulat en rappelant
que l’existence même de phéromones humaines reste encore discutée en l’état
des recherches scientifiques. Toutefois, sur la base d’expériences réalisées en
laboratoire, il reconnaît à l’espèce humaine la capacité de percevoir et d’utiliser
l’odeur corporelle d’autrui pour en définir le genre, l’âge, la familiarité ou encore
l’état psychologique et émotionnel18.
Annick Le Guérer qualifie ainsi l’odorat de « sens du contact » et de
« sens de l’intuition »19. Sens du contact car il joue un rôle essentiel dans la
rencontre avec autrui en provoquant la répulsion ou l’attrait. Sens de l’intuition
18
SCHAAL Benoist, Les phéromones humaines, entre communication et manipulation, in À
Fleur de Peau sous la direction de LARDELLIER Pascal, Belin, 2003, chap.3.
19
LE GUERER Annick, L’odorat, un sixième sens ?, in À Fleur de Peau sous la direction de
LARDELLIER Pascal, Belin, 2003, chap.1.
14
car il établit un rapport fusionnel et abstrait avec l’environnement. « Instrument
de connaissance subtil20 », il précède la pensée, le langage et la rationalité par
son instinctivité animale.
Odeur et mémoire sont également intimement liées par le phénomène de
l'association. Dans son roman À la recherche du temps perdu21, Marcel Proust
évoque la résurgence d'une émotion passée provoquée par l'odeur d'une
madeleine. Les odeurs perçues sont la plupart du temps associées à un
souvenir, une émotion, une sensation. Ces associations varient donc en
fonction des événements vécus par un individu récepteur de l'odeur. Pour
Charles Baudelaire, « le parfum provoque la pensée et le souvenir
correspondant 22 ». Ceci étant, les individus composant une société ont
généralement un socle d'expériences communes qui les déterminent à associer
les mêmes odeurs aux mêmes émotions. Le professeur d’université Virginie
Maille explique ainsi que l’odeur de talc rappellera des souvenirs et émotions
liés à la petite enfance, et à la relation maternelle, pour la plupart des individus.
Certains parfumeurs ont donc intégré l’odeur de talc à leurs compositions dans
le but de créer cette association émotionnelle23.
De récentes études tendent enfin à démontrer que les odeurs influencent
nos performances physiques et intellectuelles. L’exposition d'un sujet à une
odeur dont la représentation est positive accentue ses performances. La
marque japonaise de cosmétiques Shiseido a ainsi expérimenté l'influence des
odeurs de citron, d’orange et de bergamote pour les hommes, et de rose pour
les femmes, sur leurs résultats en calcul mental. L'amélioration des résultats
constatée oscille entre 10 et 20 %24.
Les odeurs, essences ou senteurs peuvent être utilisées de manière
consciente et orientée lors de la composition de parfums. Comme nous l’avons
vu précédemment, le rôle historique du parfum fut de masquer les odeurs
20
Ibid.
PROUST Marcel, À la recherche du temps perdu, Bernard Grasset – Gallimard, 1913 – 1927.
22
BAUDELAIRE Charles, L’Art romantique, Paris, Garnier-Flammarion, 1868, p. 173.
23
MAILLE Virginie, L'incidence des stimuli olfactifs : un état des recherches, article in
Recherches et Applications en Marketing, 2001, 16 (2), p. 51-75.
24
LASZLO P., RIVIERE S., Les sciences du parfum, Que sais-je ?, PUF, 1997.
21
15
fétides. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, avec le retour en grâce de la
toilette à l’eau, le parfum acquière ses lettres de noblesse. D’antan puissant et
capiteux, il devient subtil et raffiné. Il n’a plus de fonction hygiénique mais
devient un moyen d’exprimer son identité ou une identité. Produit de luxe, il
permet
également
de
se
différencier
socialement.
L’anthropologue,
psychologue et épistémologue Gregory Bateson, dans son analyse de la
communication
non
verbale,
explique
que
« tout
comportement
est
communication ». Se parfumer a donc pour objectif d’envoyer un message à
autrui en vue de provoquer une réaction ou une réponse. À ce titre, le parfum
est notamment utilisé, tel un apparat, dans le rituel de séduction pour l’effet
émotionnel qu’il procure. Plus généralement, « Le parfum permet une forme
d’extension de l’enveloppe corporelle et psychique de l’individu. Il opère une
médiation entre le consommateur, son environnement et joue surtout comme
médiateur des relations interpersonnelles25 » selon Benoît Heilbrunn. Enfin, la
création même du parfum est un acte de communication car, comme l’explique
le maître parfumeur Jean-Claude Ellena ; « Créer c’est interpréter des odeurs
en les changeant en signes, et que ces signes véhiculent des sens26 ». Ainsi, le
but du parfumeur est de transmettre par l’odeur une émotion, une sensation, et
donc un message.
En définitive, les odeurs et, par extension, le parfum participent
activement aux processus d’échange et de communication non verbale. Leur
transmission peut être volontaire ou involontaire et leur réception consciente ou
inconsciente. Ils sont le « médiateur » entre l’individu, son environnement et
autrui. Ils ont un rôle déterminant dans les rituels de séduction et dans
l’affirmation de l’identité, du statut social. Pour autant, malgré cette
omniprésence des odeurs et du parfum dans les relations interpersonnelles et
le rapport à l’environnement, l’odorat reste le moins développé de nos cinq sens.
25
HEILBRUNN Benoît, Comment créer de l’affectif avec de l’olfactif ? L’attachement aux
marques de parfums, article in Mode de Recherche n°11, Janvier 2009, Institut Français de la
mode.
26
ELLENA Jean-Claude, Le Parfum, Que sais-je ?, PUF, 2012.
16
3) L’atrophie du sens olfactif :
Des cinq sens que sont l’ouïe, la vue, le toucher, le goût et l'odorat, ce
dernier a pour particularité d'être celui dont nous sommes dotés le plus
précocement. En effet, il apparaît dès la septième semaine de gestation. Il
s'agit par ailleurs du seul sens constamment en éveil 27 . Dès la naissance,
l’odorat constitue donc un lien essentiel entre le nourrisson et le monde
extérieur. Instrument spontané de connaissance, il est aussi le lien maternel,
affectif et émotionnel. Toutefois, nos sociétés contemporaines incitent très
rapidement l’individu à recentrer ses perceptions sur des signaux matériels,
physiques, concrets, palpables. Les sens de la vue et de l’ouïe sont ainsi
valorisés et donc favorisés. Outre le rejet de l’odorat pour ses connexités avec
la corporéité, l’animalité et la sexualité, il a longtemps été considéré comme l’un
des sens le moins développé. Depuis 1927, les scientifiques s’accordaient à
reconnaître l’odorat capable de détecter environ dix mille odeurs, contre près de
dix millions de couleurs pour la vue et cinq cent mille tonalités pour l’ouïe.
Cependant, une récente étude américaine tend à porter le nombre d’odeurs
perceptibles par l’odorat à mille milliards 28 . Si autant d’odeurs peuvent être
détectées par l’odorat humain, moins d’une centaine seront identifiées par la
grande majorité des individus. Seuls quelques initiés ou « nez » ayant exercé
leur odorat, généralement dans un contexte professionnel, sont capables de
reconnaître plus d’un millier d’odeurs. Cette « anosmie », qui n’a ici rien de
médical, est le résultat d’un fait social. L’odorat, mésestimé depuis des siècles,
manque d’éducation.
Jusqu’au XVIIIème siècle, des parfums puissants et capiteux sont utilisés
pour masquer la fétidité des odeurs corporelles. C’est seulement en 1709 que
le parfumeur Jean-Marie Farina crée son « Eau de Cologne » qui tranche avec
les parfums de l’époque par sa fraîcheur et sa légèreté. Vers 1750 la toilette à
l’eau, jugée pendant deux siècles comme propagatrice de contaminations par
l’Église et la médecine, refait son apparition de même que les bains publics. Le
27
SCHAAL, MARLIER, & SOUSSIGNAN, Chemical Senses, Volume: 25, Issue: 6, Pages: 729737, 2000.
28
C. Bushdid, M. O. Magnasco, L. B. Vosshall, A. Keller, Humans Can Discriminate More than
o
1 Trillion Olfactory Stimuli, Science, vol. 343, n 6177, 21 mars 2014, p. 1370-1372.
17
recul des odeurs corporelles mène alors l’aristocratie à de nouvelles aspirations.
Elle est en quête d’un air pur et d’une discrétion des odeurs. Cette recherche de
la désodorisation a perduré et s’est renforcée jusqu’à l’époque actuelle selon
l’historien Alain Corbin qui définit notre environnement comme un « silence
olfactif29 ». Ce silence serait donc la conséquence d’une constante et effroyable
volonté de bannir les odeurs de nos corps et des espaces environnants. La
réalité n’est pas si absolue mais conduit à un résultat semblable. En effet, la
volonté d’échapper aux odeurs naturelles et incontrôlées a conduit notre société
à parfumer synthétiquement tout ce qui l’entoure, selon une codification stricte
et simpliste. Les corps, les espaces et les aliments accèdent ainsi à une
approbation morale positive s’ils dégagent une senteur universellement
reconnue comme agréable. Pour se persuader de l’uniformisation des odeurs
auxquelles nous sommes exposés, il suffit de mentaliser des odeurs
synthétiques telles que celles de fraise ou de pomme. De même, les lessives et
produits d’entretien associent le sentiment de propreté à des parfums
synthétiques, récurrents et simplistes, de lavande ou d’agrumes. Pour Pascal
Lardellier, « Nous vivons en fait dans une société de contrôle total des odeurs,
dans laquelle il importe avant tout de leur substituer des fragrances plus
conformes aux cadres culturels et moraux dans lesquelles nous souhaitons
nous sentir et nous sentir bien 30 ». Cette standardisation des odeurs jugées
positives, par opposition à toutes les autres dès lors perçues comme négatives,
a conduit à une atrophie du sens olfactif. L’individu est toujours capable de
capter les odeurs mais il ne sait plus les identifier et en révéler, par l’intellect,
toute la richesse.
Dans un même temps, la multiplication des stimuli visuels et auditifs a
cristallisé nos modes de communication autour des deux sens qui leur sont
associés. Ils sont d’ailleurs perçus, avec le sens du toucher, comme les seuls
capables de créer du lien social. Souffrir d’une infirmité de la vue, de l’ouïe ou
du toucher revêt, dans l’imaginaire commun, un caractère beaucoup plus
angoissant que celui de perdre son acuité olfactive ou gustative. À titre
29
CORBIN Alain, Le Miasme et la jonquille, l’odorat et l’imaginaire social, Paris, Aubier
Montaigne, 1982.
30
LARDELLIER Pascal, Parfums et odeurs ou les impensés de la relation, in À fleur de peau,
Belin, 2003, p. 12.
18
d’exemple, les examens médicaux courants se limitent à la vérification du bon
fonctionnement de la vue, de l’ouïe et du toucher. Faute de stimuler l’odorat par
des expressions olfactives riches et variées, il perd de sa capacité à les
interpréter. Cette lacune provenant d’un manque de sollicitation et d’éducation
du sens olfactif peut être comblée par son exercice. La faculté d’identification et
d’association des odeurs développée par les « nez » atteste de cette nécessité
d’entraîner notre odorat pour le rendre plus efficace.
David Edwards, professeur à l’université d’Harvard et directeur du
Laboratoire 31 , est à l’initiative d’un projet ayant pour ambition d'utiliser des
signaux olfactifs tel un langage codifié, à l’instar de l’alphabet, afin de
communiquer de manière interpersonnelle. Le support imaginé pour transmettre
ces messages olfactifs se nomme l’Ophone. Il a été présenté à l'état de
prototype lors de l’exposition Ophone & The Virtual Coffee, Act 1 of The
Olfactive Project du 17 mai au 15 septembre 201332. Cet appareil, aujourd’hui
commercialisé, permet à deux possesseurs d’Ophones de se transmettre des
messages olfactifs par la combinaison de notes odorantes. Si l’invention d’un tel
appareil reste anecdotique quant à l’éducation du sens olfactif, les notes et
leurs associations restant très standardisées, elle reconnaît aux odeurs et
parfums un véritable rôle de communication.
Pour conclure, le rejet des odeurs et de l’odorat, pour leurs références à
notre corporéité, notre animalité et notre sexualité, a conduit à leur
dévalorisation
dans
les
processus
de
communication.
De
même,
l’uniformisation des parfums, et leur classement moral manichéen, ont atrophié
notre sens olfactif dans sa capacité d’identification et d’intellectualisation. Pour
autant, depuis le début du XXème siècle, la question de la reconnaissance des
grands parfums comme œuvres d’art n’a jamais été aussi prégnante. Elle
manifeste un intérêt croissant pour l’odorat dans sa dimension culturelle.
31
32
Centre d'expérimentation artistique et de design situé au 4 rue du Bouloi à Paris 01.
Voir annexe 1.
19
B. Le parfum comme œuvre d’art :
Si le parfum n’a que peu de place dans l’histoire des arts classiques, de
nombreux penseurs et parfumeurs du XXème siècle militent pour lui reconnaître
ce statut dans les arts modernes. Instrument de communication, sa dimension
artistique n’est pas unanimement reconnue par une carence de culture olfactive.
1) La place du parfum dans l’histoire de la notion d’art :
L’art peut être définit comme l’activité humaine désintéressée, productive
de beau dans un idéal de perfection, s’adressant aux sens et à l’intellect pour
créer des émotions. Toutefois la notion d’art a beaucoup évolué au gré des
époques et des cultures sans qu’une définition ni une classification unanime ne
se soient imposées.
Jusqu’à la Renaissance, aucune distinction n’était faite entre l’artiste et
l’artisan ayant réalisé un ouvrage d’une qualité remarquable. L’art comprenait
donc les savoirs et métiers en opposition avec la nature d’une part, dépourvue
de réflexion, et avec la science d’autre part, source de pure connaissance. À
cette époque, le parfum n’avait alors pas encore de véritable identité puisqu’il
s’agissait en réalité de matières premières odoriférantes qui étaient notamment
diffusées par des fumigations sacrées ou médicinales comme en atteste
l’étymologie latine « per fume » signifiant « par la fumée ». Les croisades ont
ensuite permis d’apporter en Europe de nouvelles senteurs qui ont pu être
conservées par la découverte de l’alcool éthylique et le développement de la
distillation à l’alambic. Le mot parfum n’apparaîtra véritablement qu’au début du
XVIème siècle.
À la Renaissance, les académies d’art voient le jour en Italie puis en
France
et
permettent
aux
artistes
de
s’émanciper
des
corporations
professionnelles. Le parfum n’est alors encore qu’un produit propre à chasser
les odeurs fétides. Il est dépourvu de finesse et d’harmonie. C’est donc
seulement au siècle des Lumières que l’art et le parfum acquièrent leurs
20
acceptions actuelles. Emmanuel Kant distingue l’œuvre des « beaux-arts » des
« arts utilitaires ou matériels » par une réflexion sur les sens et le goût. L’idée
de beauté émerge alors et s’affranchit des règles professionnelles. Elle est le
produit de la nature et du génie33.
L’art ne prendra toutefois son sens moderne qu’avec Georg Wilhelm
Friedrich Hegel et son cours d’esthétique, ou plutôt de philosophie de l’art
(1818-1829). Hegel propose de classer les cinq arts qu’il dénombre selon un
système répondant aux critères d’expressivité et de matérialité. Cette liste
classique des arts les organise donc selon une double graduation allant de l’art
le moins expressif mais le plus matériel à celui le plus expressif mais le moins
matériel. Par ordre, les cinq arts classiques sont ainsi classifiés : architecture,
sculpture, peinture, musique, poésie.
Si le parfum devait être placé dans cette échelle, il serait sans nul doute
caractérisé par l’intensité de son expressivité et son absence de matérialité
pour ne pas parler de fugacité. L’expressivité du parfum se manifeste à
plusieurs niveaux. Tout d’abord par sa capacité à stimuler le sens sans que le
sujet n’ait besoin d’éveiller ni d’orienter son odorat. Ensuite par la variété des
notes olfactives qui le composent, chacune également caractérisée par son
intensité et sa durée, pour en faire une expression globale et totale. Enfin, cette
expression véhicule un message qui provoque chez le sujet une sensation, une
émotion, un souvenir, une réflexion. Pour Jean-Claude ELLENA, la beauté d’un
parfum, qui le distingue de la simple odeur, résulte de l’association des
matières premières en vue de les rendre expressives : « La beauté d’un parfum
ne vient pas de l’addition de qualité des matières premières, mais de
l’entendement des matériaux, de la manière de les utiliser, de les juxtaposer, de
les faire s’exprimer34 ». Concernant l’absence de matérialité du parfum, elle se
manifeste d’abord par son caractère volatile, impalpable, invisible, mais
également par l’instantanéité de sa perception mentale.
33
KANT Emmanuel, Critique de la faculté du juger (1790), trad. A. Philonenko, Vrin, 1974.
ème
ELLENA Jean-Claude, Le Parfum, Que sais-je ?, PUF, 3
édition mise à jour, septembre
2012, p 36.
34
21
Le XXème siècle et les progrès techniques qui l’accompagnent favorisent
l’émergence de nouvelles activités artistiques dont le cinéma et la photographie
qui sont depuis communément reconnus comme les 7ème et 8ème arts. Cette
liste n’est pas exhaustive et reste continuellement discutée. Le parfum, malgré
l’engagement artistique et intellectuel de grands « nez » depuis la seconde
moitié du XIXème siècle, n’a pas eu la faveur d’une intégration dans cette liste
classique. Pour autant, comme nous le verrons plus loin, la composition d’un
grand parfum et ses effets permettent d’en discuter la valeur artistique.
L’anthropologue Marcel Mauss, en déterminant que « L’objet d’art est celui qui
est reconnu comme tel par un groupe », met en exergue la réciprocité
nécessaire entre l’influence de l’œuvre sur le groupe et l’existence de l’œuvre
par le groupe.
L’histoire de la notion d’art et l’histoire du parfum ont connu des
développements respectifs avec pour point d’orgue le siècle des Lumières. Cet
avènement simultané de l’art et du parfum, tels que nous les concevons à
l’époque actuelle, n’a cependant pas permis au maître parfumeur de se voir
reconnaître la qualité d’artiste par le groupe social. Pour autant, il est légitime
de se questionner sur l’existence d’une valeur artistique intrinsèque au parfum,
en perspective avec les conditions de sa reconnaissance comme art moderne.
22
2) Le parfum comme art moderne en puissance :
Le philosophe Étienne Souriau, professeur d'esthétique à la Sorbonne, a
déterminé les conditions nécessaires à la reconnaissance d'un art du parfum
lors de la conférence La Musique des Parfums organisée en mai 1951 par
l'Union de la Technique de la Parfumerie et de la Cosmétique. Lors de cette
intervention, il compara notamment la composition d'un parfum à celle d'une
oeuvre musicale. Le maître parfumeur Edmond Roudniska, alors présent dans
l'assistance, a recueilli les propos d'Étienne Souriau et a analysé la validité de
chacune des cinq conditions permettant au parfum d'être élevé au rang
d'oeuvre d'art35.
Première
condition:
« L'attaque
par
l'excitant
d'une
sensibilité
psychophysiologique spéciale (sens des couleurs pour la peinture, du
mouvement pour la danse, des sons pour la musique, etc.), suffisamment
développée pour intéresser, émouvoir, exciter l'imagination ou la pensée,
provoquer des jouissances esthétiques36. »
Pour Edmond Roudniska paraphrasant Étienne Souriau, le sens olfactif
remplit pleinement cette condition par sa précision, sa subtilité, sa délicatesse,
son abondante palette perceptive, ses propriétés affectives, évocatrices et
représentatives. En tant que sens chimique, par opposition aux sens
mécaniques ou physiques, il en valorise la finesse des réactions et cite Étienne
Souriau: « N'hésitons donc pas à reconnaître que l'odorat est un sens
esthétique au plus haut degré et qu'il présente autant et mieux qu'aucun autre
sens, tout ce qui peut servir à soutenir un art complet ».
Seconde condition: « Possibilité pour les diverses données qualitatives
de ce sens, de s'ordonner, de manifester des rapports, de se prêter à des
dispositions architectoniques, bref de fournir plus ou moins une gamme ou une
palette : un système limité, généralement scalaire, de qualia susceptibles d'être
35
36
ROUDNISKA Edmond, L'Esthétique en Question, P.U.F, 1977.
SOURIAU Étienne, La Musique des Parfums, Conférence, Paris, mai 1951.
23
en un certain ordre assemblés, de se combiner en multiples variations toujours
plus ou moins bien organisées37. »
Edmond Roudniska explique alors que c'est la conjugaison, et non la
simple addition, de composants olfactifs qui, par un choix délibéré du
compositeur, fait du parfum un « tout harmonieux et signifiant ». Il insiste ainsi
sur le travail mental du compositeur qui projette intellectuellement le résultat
des rapports entre les composants olfactifs isolément caractérisés par des
propriétés telles que la qualité, l’intensité, la durée et la volatilité.
Troisième condition: « L'existence de moyens techniques, notamment
de procédés instrumentaux d'exécution et de présentation, permettant à l'artiste
de réaliser avec une certaine précision et une certaine certitude, et de présenter
au public avec une suffisante vivacité dans la délicatesse, l'intensité ou la
signifiance des rapports, soit une oeuvre originale unique, soit une oeuvre
répétable selon un scénario constitutif, lui-même original et unique38. »
Edmond Roudniska définit la formule d'un grand parfum comme l'oeuvre
originale unique qui en permettra la répétition indéfinie, à l'instar de la partition
ou du manuscrit. Elle est la manifestation des techniques et procédés mis en
oeuvre par le compositeur du parfum.
Quatrième condition: « Des conditions historiques et sociales ayant
assez favorisé le développement de cette sensibilité et de ces techniques pour
que l'éducation des créateurs, des exécutants et du public soit adéquate à des
exigences esthétiques élevées39. »
Sur ce point, Edmond Roudniska concède que l'histoire du parfum et son
avènement auraient dû accroître la sensibilité et l'exigence des usagers et des
créateurs mais qu'il n'en a pas été ainsi. Il plaide donc pour une éducation du
public tout en lui reconnaissant une capacité intuitive à reconnaître les parfums
dignes d'être élevés au rang d'oeuvre d'art.
Pour ma part, cette quatrième condition est la seule qui puisse être
légitimement opposée pour dénier le statut d'oeuvre d'art aux grands parfums.
37
Ibid.
Ibid.
39
Ibid.
38
24
En effet, tout comme je l’ai précédemment exposé concernant la faible place
reconnue aux odeurs dans les processus d'échange, le parfum est absent de
l'éducation culturelle. Pour autant, cet état de fait n'altère pas les valeurs
intrinsèques d'un grand parfum car il est ici simplement question de sa
perception par le public.
Cinquième condition: « Des hommes de talent ou de génie ayant
trouvé dans ces techniques et dans ce genre d’oeuvre un moyen d'expression
attirant et important (ce qui, bien entendu, n'est possible que lorsque la période
embryonnaire des recherches, des tâtonnements et des ébauches est
nettement dépassée)40. »
Pour Edmond Roudniska, si peu de maîtres parfumeurs peuvent être
reconnus comme tels, c'est parce qu'ils sont presque exclusivement français. Il
ajoute que leur rareté ne diminue en rien leur valeur.
Tout comme pour la quatrième condition, le faible nombre de
compositeurs de parfums peut s'expliquer par les lacunes de l'éducation
culturelle en la matière qui ne favorise pas les vocations.
Malgré une adéquation presque parfaite aux conditions posées par
Etienne Souriau, le parfum n’a pas encore été reconnu comme œuvre d’art
dans nos sociétés contemporaines faute d’une culture olfactive du public
suffisamment développée pour en appréhender toute la dimension esthétique.
Malgré ce défaut de perception du parfum par le groupe, il garde toutes ses
qualités intrinsèques qui en font une œuvre d’art en puissance. Pour passer à
l’état d’art à part entière, Edmond Roudniska préconise que « l'odorat cesse
d'être un sens à satisfaire pour ne devenir qu'un moyen. Ainsi les parfums
seront compositions de l'esprit et le public pourra s'initier aux formes
olfactives ».
40
Ibid.
25
3) La carence de culture olfactive :
Comme nous l’avons vu précédemment, le sens olfactif souffre d’une
atrophie dans nos sociétés par son manque d’exercice et d’éducation. Il
convient de poursuivre cette réflexion en tentant de comprendre les raisons
pour lesquelles nous utilisons essentiellement notre odorat pour éviter les
« mauvaises » odeurs et privilégier celles catégorisées socialement comme
« bonnes », pour nous « sentir bien ». Notre odorat, plein de promesses quant
à la richesse et à la finesse de ses perceptions, est ainsi limité à l’établissement
d’un jugement purement moral. Il souffre donc d’une acculturation qui
l’empêche de sentir le « beau ».
Nous n’avons aucune difficulté à ressentir une sensation ou une émotion
lorsque notre odorat capte un parfum. Cependant, nous sommes bien souvent
incapables de décrire ce même parfum par manque de vocabulaire. Plus
encore, l’abstraction même du parfum est un obstacle à notre capacité de
l’appréhender et de le conceptualiser. Pour le philosophe John Locke la pensée
est exprimée par les mots qui changent les « idées invisibles » en signes et les
véhiculent dans le but de communiquer. Georg Wilhelm Friedrich Hegel va plus
loin en considérant qu’il ne peut y avoir de véritable pensée sans langage :
« C'est dans les mots que nous pensons. Nous n'avons conscience de nos
pensées déterminées et réelles que lorsque nous leur donnons la forme
objective, que nous les différencions de notre intériorité, et par suite, nous les
marquons d'une forme externe, mais d'une forme qui contient aussi le caractère
de l'activité interne la plus haute41 ».
Le parfum ne peut donc pas être intellectualisé sans un vocabulaire
adapté à sa complexité et à ses subtilités. Les « nez » ont alors recours à un
vocabulaire très riche, mais non spécifique, pour parler du parfum et donc le
penser. Ils l’empruntent généralement à d’autres univers sensoriels et
notamment celui du toucher. Ainsi, ils peuvent par exemple qualifier une odeur
de dure, douce, veloutée, soyeuse ou râpeuse pour en définir le caractère42. De
41
HEGEL Georg Wilhelm Friedrich, La philosophie de l’esprit (1827) in L’Encyclopédie des
sciences philosophiques, tome 3, trad. Bernard Bourgeois, Vrin, 1986.
42
Voir annexe 2 du glossaire des termes de la parfumerie pour décrire les odeurs et parfums.
26
ce fait, ils sont capables d’avoir une représentation mentale de l’odeur et, par
l’imagination, d’en inventer de nouvelles. Faute de langage pour conceptualiser
les odeurs qui nous entourent, nous ne pouvons accéder à la culture olfactive ni
prendre conscience de toutes les dimensions du parfum. Nous sommes dès
lors limités à une sensation analysée comme positive ou négative, et
n’accédons pas à l’esthétique des formes olfactives.
Cette limitation à un jugement binaire des parfums est également le
résultat de la politique menée par l’industrie de la parfumerie de laboratoire qui
tend à uniformiser les jus qu’elle produit afin de créer un consensus des
consommateurs le plus large possible. Ces productions de jus n’entrent pas
dans notre propos sur le parfum comme œuvre d’art mais participent à
l’acculturation de l’odorat dans nos sociétés par un appauvrissement et une
universalisation des senteurs.
La culture de l’odorat doit donc résulter d’une initiation puis d’une
éducation comme l’écrivain et critique d’art Joris-Karl Huysmans l’a si bien
exprimé au sujet du personnage principal de son roman À Rebours :
« Il était, depuis des années, habile dans la science du flair; il pensait
que l'odorat pouvait éprouver des jouissances égales à celles de l'ouïe et de la
vue, chaque sens étant susceptible, par suite d'une disposition naturelle et
d'une érudite culture, de percevoir des impressions nouvelles, de les décupler,
de les coordonner, d'en composer ce tout qui constitue une oeuvre; et il n'était
pas, en somme, plus anormal qu'un art existât, en dégageant d'odorants fluides,
que d'autres, en détachant des ondes sonores, ou en frappant de rayons
diversement colorés la rétine d'un oeil; seulement, si personne ne peut
discerner, sans une intuition particulière développée par l'étude, une peinture
de grand maître d'une croûte, un air de Beethoven d'un air de Clapisson,
personne, non plus, ne peut, sans une initiation préalable, ne point confondre,
au premier abord, un bouquet créé par un sincère artiste, avec un pot-pourri
fabriqué par un industriel, pour la vente des épiceries et des bazars. […] Pour
cela, il lui avait d'abord fallu travailler la grammaire, comprendre la syntaxe des
odeurs, se bien pénétrer des règles qui les régissent, et, une fois familiarisé
avec ce dialecte, comparer les oeuvres des maîtres, des Atkinson et des Lubin,
des Chardin et des Violet, des Legrand et des Piesse, désassembler la
27
construction de leurs phrases, peser la proportion de leurs mots et
l'arrangement de leurs périodes43. »
Chandler Burr, critique de parfum au New York Times de 2006 à 2010
puis conservateur de l’art olfactif au Museum of Arts and Design de New York,
milite pour une initiation du public. En 2012, il a donc organisé la première
exposition présentant le parfum comme un art à part entière. Elle présentait
douze œuvres de grands parfumeurs, dont le parfum Chanel N°5, et invitait le
visiteur à se servir essentiellement de son odorat pour les découvrir. Elle
permettait ainsi de comprendre les principales étapes de la composition d’une
œuvre olfactive et proposait également une rétrospective des innovations de la
parfumerie au cours du XXème siècle. Cette initiative a marqué une étape
importante dans l’histoire du parfum car, en affirmant son caractère d’œuvre
d’art, elle a tendu à remplir la condition manquante de la reconnaissance par le
groupe. De plus, le public ayant visité cette exposition a été sensibilisé non
seulement à l’art de composer un parfum mais également à son olfaction en
tant qu’œuvre à part entière.
La première de mes hypothèses, selon laquelle le parfum est un art non
reconnu comme tel par une carence de culture olfactive, est validée par sa
confrontation à l’ensemble de mes recherches historiques, sociologiques,
contextuelles et culturelles. L’histoire du parfum dans sa dimension artistique
est récente puisqu’elle s’est développée à la seconde moitié du XVIIIème. Le
parfum pâtit donc encore du rejet social et de l’uniformisation des odeurs, du
manque d’intérêt qu’il leur est accordé dans les processus de communication
non verbale et de l’acculturation de l’odorat. Cette tendance pourrait néanmoins
s’inverser dans les prochaines décennies par la multiplication des productions
littéraires et des initiatives culturelles tendant à reconnaître et à promouvoir le
statut d’œuvre d’art au parfum. Tous les maîtres parfumeurs actuels lui
confèrent toutefois déjà ce statut. L’artiste et parfumeur Serge Lutens en est le
fer de lance et se démarque de ses concurrents par la singularité de sa
stratégie de marque.
43
HUYSMANS Joris-Karl, À Rebours, G. Charpentier, 1884.
28
Partie 2 : La singularité de la stratégie de marque Serge Lutens
Selon la seconde de mes hypothèses, la stratégie de marque du
parfumeur Serge Lutens se différencierait de celle de ses concurrents directs
par le statut d’œuvre d’art qu’il reconnaîtrait à ses parfums. Contrairement aux
autres marques du secteur, Serge Lutens n’adapte pas son produit à une cible
de consommateurs. Il fédère un cercle d’initiés autour de ses créations par une
éducation olfactive et artistique de la cible. Par des analyses sémantiques et
sémiologiques nous verrons la manière dont il parvient à figurer l’odeur par la
prose et la composition picturale.
A – L’éducation de la cible, une démarche sélective et élitiste :
La stratégie de marque Serge Lutens s’est construite avec l’artiste et son
parcours. Elle initie et éduque la cible pour en faire un cercle profondément
fidélisé à la marque.
1) L’esthète devenu parfumeur
Serge Lutens est devenu parfumeur au gré d’une pérégrination artistique
dans l’univers de la photographie, du design, du cinéma et de la composition
picturale. Formé dans une école de coiffure malgré sa volonté de devenir acteur,
Serge Lutens crée son univers artistique dans lequel le noir, une non couleur,
prédomine. Lutens devient photographe en capturant les clichés de ses amies
qu’il pare et maquille selon ses goûts. Les fards à paupières, les peaux opalines,
le jeu des courbes, des lignes et des perspectives, la profondeur des noirs et la
mise en scène des postures caractérisent l’univers photographique des portraits
de Serge Lutens44. Ces signes seront également utilisés par l’artiste dans la
composition de ses parfums.
Dans le domaine de la photographie, Serge Lutens collabore d’abord
avec le magazine Vogue puis sera considérablement sollicité par de nombreux
autres magazines de mode tels que Elle, Jardin des Modes ou Harper’s Bazaar.
44
Voir annexe 3 regroupant des photographies de Serge Lutens.
29
Il poursuit son œuvre photographique et s’inspire notamment des peintures de
Seurat, Monet, Modigliani ou Picasso 45 . Il réalise également deux courtsmétrages qui seront présentés au Festival de Cannes au cours des années 70’.
En 1967, il participe au lancement de la première ligne de maquillage de
la maison Dior qui marquera les esprits par une gamme de fards novatrice. La
personnalité de Serge Lutens et ses références artistiques s’expriment
pleinement dans ces créations.
En 1980, il repense l’identité visuelle du groupe de cosmétiques japonais
Shiseido pour lui ouvrir le marché mondial. Serge Lutens conçoit ensuite son
premier parfum pour la marque Shiseido en 1982 et le nomme Nombre Noir. Le
design du flacon, mêlant noir mat et noir brillant, révolutionne les codes visuels
jusqu’alors utilisés par les parfumeurs.
C’est avec la création du parfum Féminité du Bois en 1992 que Serge
Lutens se révèle être l’un des plus grands parfumeurs contemporains. Avec ce
parfum, Serge Lutens exprime notamment les inspirations et sensations
olfactives issues d’un voyage au Maroc qui a profondément marqué sa
sensibilité artistique. La même année, il convainc la maison Shiseido d’ouvrir
Les Salons du Palais Royal 46, un lieu d’exposition et de vente de ses créations,
sur le modèle des galeries d’art. Il conçoit l’intégralité de la décoration intérieure,
fidèle à l’univers olfactif de ses parfums.
En 2000, Serge Lutens crée sa marque éponyme et se voit décerner de
nombreux prix pour l’innovation de ses créations olfactives47. Il est distingué en
2007, date à laquelle il se voit remettre la décoration de Commandeur dans
l’Ordre des Arts et des Lettres.
Cette rapide rétrospective du parcours de Serge Lutens permet de
comprendre la manière dont il s’est construit artistiquement pour devenir
parfumeur. Elle permet également de mieux appréhender ses créations
olfactives qui reflètent tout à la fois ses expériences personnelles et ses goûts
esthétiques. Serge Lutens imagine personnellement ses parfums qu’il compose
45
Les photographies de Serge Lutens ont notamment été exposées au musée Guggenheim de
New-York en 1973.
46
er
Les Salons du Palais Royal sont implantés au 142 Galerie de Valois à Paris 1 .
47
Serge Lutens a reçu quatre FiFi Award du meilleur concept original par la Flagrance
Foundation de 2001 à 2004 et a été consacré Talent d’Or par le Sommet du Luxe en 2006.
30
ensuite avec l’assistance de grands nez tels que Christopher Sheldrake, Pierre
Bourdon ou Maurice Roussel. Ces « partenaires », comme il a pour habitude de
les nommer, l’appuient alors d’un point de vue technique dans l’association des
composantes olfactives en vue de réaliser le jus espéré.
Contrairement à la grande majorité des marques de la parfumerie
sélective, la démarche de Serge Lutens se veut purement artistique. Il le
rappelle en expliquant que « Le premier accord avec le parfum, c’est celui qu’on
fait avec soi-même48 ». Il se fie donc à son instinct, à son envie, pour créer un
parfum sans se soucier de son potentiel commercial. Ainsi, il a souvent été
qualifié d’anticonformiste par son refus de se soumettre à la mode et aux
tendances. Son but n’est pas de plaire au consommateur mais de communiquer
un message, une histoire, une atmosphère, une sensation. Dans cette logique,
Serge Lutens assume le recours à des senteurs peu conventionnelles mais qui
lui siéent parfaitement pour l’animalité qu’elles évoquent. Il utilise donc
fréquemment la civette49, le castoreum50 et le musc51 qui, sentis isolément par
une personne non initiée, pourraient être qualifiées de pestilentiels.
Dans le même esprit, Serge Lutens tend à se libérer des normes de la
parfumerie sélective et refuse ainsi de classer ses parfums par familles. Par
exemple, s’il revendique la filiation entre son parfum Ambre Sultant et les
odeurs du monde arabe, il refuse de le classer comme « oriental ». De même,
Serge Lutens ne destine ses parfums à aucun sexe, à aucune génération, ni à
aucune catégorie socioculturelle. Il laisse à chacun la possibilité de s’approprier
un parfum en fonction des sensations et des émotions qu’il lui procure. Il justifie
cette démarche en référence aux œuvres des arts classiques qui ne sont
jamais réservées par leur auteur à un public déterminé.
Le statut d’œuvre d’art que Serge Lutens reconnaît à ses parfums
s’exprime enfin dans le dépouillement et l’uniformité des flacons de table et
vaporisateurs 52 contenant ses créations. Seules les étiquettes supportant la
mention « Serge Lutens », le nom du parfum et le logo de la marque varient en
48
Interview de LUTENS Serge par BRESSON Philippe, émission À Voix Nue, France Culture,
le 02/09/2013 à 20H00.
49
Odeur issue de la civettone qui provient du liquide sécrété par les glandes anales des
mammifères carnivores désignés sous le terme de civette.
50
Sécrétion glandulaire de deux variétés de castor.
51
Liquide extrait des glandes abdominales des cerfs porte-musc d'Asie centrale.
52
Voir annexe 4 sur les visuels des flacons de table et vaporisateurs Serge Lutens.
31
fonction des jus contenus dans les flacons. Ce choix délibéré met le parfum au
centre de la création artistique de Serge Lutens et le libère de tout artifice
susceptible de parasiter son expression. Les jus créés par Serge Lutens se
distinguent toutefois visuellement par leur opacité ou leur translucidité mais
également par la vivacité ou la pâleur de leurs couleurs. Certains de ces jus
peuvent même tâcher les vêtements sur lesquels ils sont appliqués ce qui, d’un
point de vue commercial, aurait pu conduire leur créateur à en modifier la
composition. De telles considérations n’entrent cependant pas dans le projet
artistique de Serge Lutens qui ne prête d’attention qu’au résultat odorant
escompté. Enfin, contrairement à la concurrence, le prix de vente des différents
parfums de la marque Lutens est quasiment invariable et ne dépend ni du
contenant, ni de la contenance, ni du mode de distribution. Les faibles
variations de prix constatées entre les différents jus s’expliquent simplement par
la différence de coût de certains composants olfactifs utilisés. Ainsi, Serge
Lutens reconnaît une égalité de valeur artistique entre tous ses parfums qui
bénéficient dès lors de prix de vente variant dans une fourchette stable et
extrêmement réduite53.
Nous avons vu que Serge Lutens est un artiste pluriel et abouti qui
intègre son histoire à ses créations olfactives et qui leur reconnaît valeur
d’œuvres d’art. Dans cette logique, il ne les destine pas à une cible marketing
préalablement déterminée mais à toute personne dont la sensibilité est
susceptible d’être touchée. Toutefois, comme pour la plupart des arts, un
certain niveau d’exigence et de culture olfactive est nécessaire à la complète
compréhension, et donc à l’appréciation, de l’univers olfactif de Serge Lutens.
Cette condition limite de fait les amateurs de ses parfums à une cible d’initiés
que je nommerai le cercle Lutens.
53
Le prix au millilitre des parfums Lutens varie entre 1,7 et 2 euros.
32
2) Le cercle Lutens : une cible d’initiés :
Dans sa démarche artistique, Serge Lutens ne peut envisager que ses
parfums soient destinés à un segment de consommateurs déterminé. Toutefois,
une cible existe de fait et ses contours sont la résultante du positionnement et
des stratégies de la marque. Nous allons voir qu’elle peut être définie comme la
femme de plus de trente ans, d’une catégorie socioprofessionnelle moyenne à
élevée, et d’un niveau culturel élevé.
Depuis une dizaine d’années, les parfums Lutens ne sont plus
exclusivement vendus à la boutique du Palais Royal mais également dans les
grandes enseignes de la parfumerie sélective telles que Sephora, Nocibé ou
Marionnaud. Cet élargissement du réseau de distribution a nécessité de faire
un choix quant au placement des produits Lutens dans les linéaires destinés
aux femmes ou aux hommes. La totalité de ces enseignes a pris pour parti de
les mettre à disposition dans les rayons destinés aux femmes de sorte qu’elles
en sont naturellement devenues les consommatrices privilégiées.
Serge Lutens s’émancipe de l’uniformisation des odeurs, des tendances
et des effets de mode lorsqu’il crée un parfum. Ses parfums évoquent des
histoires, des atmosphères et des émotions qui ne peuvent être pleinement
ressenties qu’avec une certaine expérience de la vie acquise par une cible de
plus de trente ans. Les consommateurs d’une tranche d’âge inférieure seront
pour leur part plus sensibles aux tendances et effets de mode.
En créant son unique boutique historique au Palais Royal, Serge Lutens
a aussitôt limité sa cible à un segment de consommateurs disposant d’une
certaine aisance financière et d’un statut social élevé. Avec l’élargissement de
son réseau de distribution, il peut dorénavant s’adresser à l’ensemble de la
classe moyenne, le prix de ses parfums étant par ailleurs en adéquation avec
ceux du marché. Ainsi, le prix des flacons de table 75 mL exclusivement vendus
à la boutique du Palais Royal varie de 135 à 150 euros tandis que celui des
flacons vaporisateurs 50 mL vendus également en parfumerie oscille entre 85
et 100 euros.
À la différence de ses concurrents, Serge Lutens n’utilise pas la publicité
télévisuelle ni l’affichage pour promouvoir sa marque et ses produits. Il n’a pas
non plus recours à des égéries dont le rôle est de faciliter l’identification du
33
consommateur. Au contraire, il emploie des techniques artistiques telles que la
prose poétique ou la composition picturale pour tenter de communiquer au
consommateur les sensations ou les émotions induites par l’olfaction de ses
créations. Seul un public initié à l’olfaction, et plus généralement à la culture
artistique, est donc en mesure d’être réceptif à ces messages et à la complexité
des parfums de la maison Lutens. Il s’agit alors nécessairement d’une cible de
consommateurs ayant un niveau socioculturel conséquent.
Sur ce dernier point, Serge Lutens a pris toute la mesure de la carence
de culture olfactive des consommateurs toutefois nécessaire à la distinction et à
l’appréciation des grands parfums. Suite à la question d’un journaliste lui
demandant pour quelle raison il avait installé sa boutique dans un lieu aussi peu
accessible que le Palais Royal, Serge Lutens répond : « je désirais, dès le
départ, encore mentalement, faire qu’elle assemble un public d’amateurs et non
pas d’occasionnels. » Cette position peut paraître assez paradoxale au regard
du refus de l’intéressé de déterminer une cible pour ses parfums. Elle prend du
sens si l’on considère que la caractéristique essentielle d’un consommateur de
parfums Serge Lutens est celle d’avoir été initié. Ainsi, puisque Serge Lutens
considère ses parfums comme des produits d’exception, et donc de niche, il
privilégie la fidélité de ses consommateurs à leur masse. Son principal nez,
Christopher Sheldrake, le résume ainsi : « Si un jus ne plaît qu’à peu de monde,
ça lui convient très bien, pourvu que les gens en soient heureux ».
Serge Lutens a fait de son unique boutique, qu’il nomme Les Salons du
Palais Royal, un lieu d’initiation avec une forte portée symbolique 54 . Son
implantation dans la galerie de Valois du Palais Royal et son ouverture sur les
jardins en font un lieu connoté par les notions de rareté, d’exception et
d’excellence propres à l’univers du luxe. De même, Serge Lutens a attaché
beaucoup de soin à la décoration de cet espace pour en faire un lieu hors
norme, à la fois harmonieux et esthétique. Le dégradé des couleurs bleu nuit,
violet et pourpre aboutissant au noir caractérise l’univers Lutens de même que
les œuvres photographiques et picturales exposées sur les murs. Lorsque le
54
Voir annexe 5 sur les photographies de la boutique du Palais Royal
34
consommateur
investit
ces
lieux,
il
est
immédiatement
plongé
dans
l’atmosphère de la marque, personnifiée par l’artiste Serge Lutens. Il est ainsi
directement exposé aux codes artistiques qui se dégageront des parfums qu’il
vient découvrir ; c’est la première étape de son parcours initiatique.
Pour optimiser l’exercice d’une capacité sensorielle particulière, il est
souvent préconisé d’éviter les stimuli des autre sens. Pour permettre à leur
sens olfactif de mieux capter et analyser les senteurs d’un parfum, la plupart
des personnes ferment instinctivement les yeux afin de réduire la sollicitation du
sens de la vue. Les grandes enseignes de la parfumerie sélectives ne
permettent pas au consommateur de se trouver dans de bonnes conditions
pour découvrir un parfum. Elles sont généralement bruyantes, surpeuplées,
encombrées de messages publicitaires et leur atmosphère olfactive saturée par
le mélange des émanations parfumées. La boutique Lutens du Palais Royal,
par sa lumière tamisée, l’absence de publicité sur lieu de vente, le silence qu’il y
règne et la neutralité olfactive des lieux, permet quant à elle d’orienter
convenablement l’odorat du consommateur vers un parfum déterminé. Les
créations de Serge Lutens sont présentées dans leurs flacons sur des
présentoirs semblables à des orgues à parfums. Pour éviter la pollution
olfactive de l’atmosphère, des touches à parfum ou « mouillettes » en papier,
préalablement imprégnées, sont mises à la disposition de la clientèle. Il est
toutefois possible de se faire appliquer le parfum directement sur la peau par
l’une des conseillères présentes. La boutique étant uniquement dédiée aux
parfums de la marque, les conseillères les connaissent parfaitement et
transmettent donc des informations avisées au consommateur. En définitive, ce
lieu revêt des caractéristiques semblables à celles de la galerie d’art. Il présente
les parfums Lutens tels des œuvres et apprend au consommateur à les
appréhender dans des conditions optimales ; c’est la seconde étape du
parcours initiatique.
En ouvrant son réseau de distribution aux enseignes de la parfumerie
sélective, Serge Lutens a pris le risque de briser la cohérence de sa stratégie
marketing et donc de déstabiliser son image de marque. Nous allons voir que,
comme le souligne Nicolas OLCZYK conseillé marketing spécialiste du parfum,
« Serge Lutens a réussi à élargir son canal de distribution sans galvauder son
35
image de créateur alternatif 55 ». Cette réussite repose sur le maintien de la
stratégie de communication Lutens non alignée sur celle de ses concurrents et
sur le refus constant de décliner ses parfums en gamme de produits dérivés
tels que les savons, les crèmes et les déodorants. Le rituel initiatique des
clients Lutens perdure avec la boutique du Palais Royal et le site Internet de la
marque comme nous le verrons lors des études sémantiques et sémiologiques.
La fonction des distributeurs se justifie alors par la nécessité de permettre à la
clientèle de se réapprovisionner convenablement, notamment lorsqu’elle réside
en province. En effet, le consommateur non initié n’est pas sensibilisé à l’achat
d’un parfum Lutens lorsqu’il pénètre dans une enseigne de la parfumerie
sélective en raison de l’absence de publicité télévisuelle, de promotion et
d’animation sur point de vente, ou encore de formation spécifique des
conseillères.
Au-delà de la simple initiation du consommateur à l’olfaction de ses
parfums, Lutens se propose d’éduquer son odorat afin qu’il puisse
intellectualiser ses sensations. Dans cette logique, comme l’a si bien exposé
Oscar Wilde dans son essai Le Déclin du Mensonge : « À présent, les gens
voient des brouillards, non pas parce qu'il y en a, mais parce que des poètes et
des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ces effets. Des
brouillards ont pu exister pendant des siècles à Londres mais personne ne les a
vus et ainsi, nous ne savons rien d'eux. Ils n'existèrent qu'au jour où l’art les
inventa 56 ». Contrairement à la grande majorité de ses concurrents, Serge
Lutens n’a jamais recours à des tests marketing pour connaître la popularité
escomptée d’un nouveau parfum. Il refuse d’adapter sa création olfactive à
l’uniformité des tendances et préfère éduquer sa clientèle à la beauté des
fragrances qu’il compose.
Pour ce faire, il a notamment imaginé Le petit livre des parfums proposé
à titre gracieux à sa clientèle. Il s’agit d’un support odorant présenté sous forme
de cartes révélant les notes de fond de chacun des parfums Lutens
exclusivement vendus à la boutique du Palais Royal. Un parfum est en effet
55
OLCZYK Nicolas, Influences olfactives, Qu’est-ce qu’une marque de parfums de niche
aujourd’hui ?, site Internet http://parfums-tendances-inspirations.com, 2010.
56
WILDE Oscar, Le déclin du mensonge, essai in Intentions (1891), trad. J. Joseph-Renaud ,
Stock, 1905.
36
composé d’une note de tête, d’une note de cœur et d’une note de fond. La note
de tête est très intense et provoque la première impression olfactive que le sujet
a du parfum. Elle est très volatile et disparaît dans les deux heures qui suivent
l’application du parfum. La note de cœur, moins intense, correspond à la
signature olfactive d’un parfum et en fait son originalité. Elle s’exprime
pleinement à l’extinction de la note de tête et perdure pendant deux à quatre
heures. La note de fond est la moins intense des trois mais paradoxalement la
plus persistante puisqu’elle peut perdurer au-delà de vingt-quatre heures. Elle
laisse le souvenir du parfum et joue un rôle prépondérant dans l’attachement du
consommateur au parfum. Tout en éduquant l’odorat de son cercle d’initiés,
Serge Lutens le fidélise. Dès lors, sa clientèle n’est plus à la recherche de ce
qui « sent bon » mais de ce qui « sent beau ».
La reconnaissance du parfum comme œuvre d’art est la pierre angulaire
de
la
stratégie
de
marque
Serge
Lutens
qui
se
caractérise
par
l’anticonformisme des moyens de promotion qu’elle met en œuvre pour
conquérir une clientèle d’initiés très restreinte, mais profondément fidélisée.
Nous verrons que la dimension artistique des techniques de communication
employées telles que la prose poétique ou la composition picturale permettent
d’entretenir le mystère des parfums Serge Lutens tout en figurant leur univers
olfactif.
37
B – L’usage des mots et de l’image pour figurer l’odeur :
La stratégie de marque Serge Lutens est essentiellement axée sur le
développement. La promotion des produits se limite en effet à la tenue d’un site
Internet commercial et à la publication de quelques visuels. Si ces modes de
communication publicitaire paraissent très ordinaires, les choix créatifs de la
marque font figure d’exception. Dans une démarche artistique, Serge Lutens
s’attache en effet à figurer l’univers et l’odeur de ses parfums par la prose
poétique et par la composition picturale. L’analyse sémantique des textes
descriptifs des produits et l’analyse sémiologique des visuels attestent de cette
singularité.
1) La description poétique des parfums par Serge Lutens :
Dans son roman Le Parfum, histoire d’un meurtrier, Patrick Süskind
souligne que « notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs57 ».
Les parfumeurs sont donc confrontés à une double difficulté lorsqu’ils élaborent
la description promotionnelle d’un parfum. Ils doivent d’une part trouver les
mots permettant de transmettre une information conforme à la nature du parfum
et d’autre part choisir ceux capables de provoquer l’acte d’achat. Sur le site
Internet de la marque, Serge Lutens a choisi d’utiliser la prose poétique pour
décrire ses parfums et figurer leur quintessence. Il signe de son nom chacun de
ces textes. Leur analyse sémantique nous permettra d’en déceler l’ensemble
des sens et ressorts communicationnels.
Sur son site Internet, Serge Lutens classe l’intégralité des parfums
proposés à la vente en six catégories. J’analyserai d’abord l’énoncé de chacune
de ces catégories pour en dégager une thématique générale. J’étudierai ensuite
le champ sémantique des textes descriptifs des parfums contenus dans la
catégorie la plus représentative de la thématique dégagée.
La première catégorie, « Entre Ciel Eclair », fait référence à l’expression
« entre ciel et terre » qui désigne une position aérienne. Serge Lutens a
57
SUSKIND Patrick, Le Parfum, histoire d'un meurtrier, Librairie Générale Française, 1986.
38
volontairement remplacé le terme « terre » par celui d’ « éclair » pour renforcer
la notion de clarté, d’immatérialité et de divin. L’éclair fait par ailleurs référence
à la brutalité d’une énergie éphémère. Cette catégorie laisse donc envisager
des parfums voluptueux, surprenants et furtifs. Du point de vue de la
communication promotionnelle, l’appropriation d’une expression populaire
permet une bonne mémorisation de cette catégorie. De plus, sa référence à la
spiritualité et au divin lui donne valeur universelle.
La seconde catégorie, « Mortel », fait sans équivoque référence à la
mort. Regroupant une famille de parfums, elle n’a pas trait à la condition d’un
être mortel, par opposition à un être éternel ou divin, mais à la qualification
d’une chose propre à donner la mort. Le choix de ce terme est volontairement
provocateur puisqu’il associe un produit générateur de plaisir à une dangerosité
létale. À l’instar d’une drogue, seule l’addiction peut justifier l’emploi d’un tel
produit. De ce fait, Serge Lutens dresse un interdit moral quant à l’usage de
cette famille de parfum et provoque ainsi le consommateur à sa transgression.
La troisième catégorie, « Fleurs sans cueillette », fait référence aux
notes florales contenues dans les parfums de cette famille. L’un des plus
grands défis de la parfumerie moderne fut de conserver intacte l’identité
olfactive des fleurs après qu’elles ait été cueillies. Le fantasme de tout
parfumeur serait donc de pouvoir capturer l’odeur inaltérée des fleurs dans leur
état naturel, sans opération destructive. Serge Lutens, par l’expression « fleurs
sans cueillette », assure le consommateur de la prégnance des fragrances
florales de ses parfums.
La quatrième catégorie, « La peau du bois », fait référence aux notes
boisées contenues dans les parfums de cette famille. En remplaçant l’écorce
par la peau, Serge Lutens assimile l’intensité des odeurs du corps à celle des
senteurs de bois. La peau représente donc l’enveloppe olfactive du bois et
renvoie à la chaleur des fragrances boisées. Le consommateur est ainsi
informé de la puissance des notes boisées contenues dans les parfums de
cette famille.
39
La cinquième catégorie, « Fouets de velours », associe deux termes
antinomiques. Le fouet renvoie à la rigueur d’un châtiment corporel et le velours
à la douceur d’une caresse. Leur apposition figure donc la violence maîtrisée de
senteurs
intenses
mais
contenues.
Serge
Lutens
propose
ainsi
au
consommateur de découvrir une famille de parfums très nuancés, capables
produire des émotions extrêmement contrastées.
La sixième catégorie, « Consolation », présente les parfums qu’elle
regroupe comme des remèdes capables de soulager et d’apaiser les peines.
Elle figure des compositions olfactives aux notes suaves et sucrées, d’une
douceur enveloppante. Par le choix du terme « consolation », Serge Lutens
plonge donc le consommateur dans un univers rassurant et protecteur.
Ces six catégories sont emblématiques de l’univers Lutens tel que nous
l’avons décrit précédemment. Leur thématique générale peut être définie selon
quatre axes. Le premier axe fait référence aux notions de mort, de violence et
de châtiment. Le second axe est en quelques sortes une résultante du premier
et renvoie au deuil, à la douleur et à la tristesse. Le troisième axe se caractérise
par un univers noir, ténébreux et lugubre. Le quatrième axe est quant à lui
définit par une atmosphère mystique, énigmatique et mystérieuse. Ces quatre
axes se manifestent de manière plus ou moins prédominante pour chacune des
six catégories. L’analyse de ces manifestations permet d’en dégager les
représentations graphiques suivantes :
ENTRE CIEL ECLAIR
MORTEL
Noir / Ténébreux / Lugubre
3
Noir / Ténébreux / Lugubre
3
2
2
1
Mort / Violence / Châtiment
0
Douleur / Tristesse / Deuil
1
Mystérieux / Énigmatique / Mystique
Mort / Violence / Châtiment
0
Mystérieux / Énigmatique / Mystique
Douleur / Tristesse / Deuil
40
Mort / Violence / Châtiment
FLEURS SANS CUEILLETTE
LA PEAU DU BOIS
Noir / Ténébreux / Lugubre
3
Noir / Ténébreux / Lugubre
3
2
2
1
1
0
Mystérieux / Énigmatique / Mystique
Mort / Violence / Châtiment
FOUETS DE VELOURS
CONSOLATION
Noir / Ténébreux / Lugubre
3
Noir / Ténébreux / Lugubre
3
2
2
1
1
0
Mystérieux / Énigmatique / Mystique
Douleur / Tristesse / Deuil
Douleur / Tristesse / Deuil
Mort / Violence / Châtiment
0
Mystérieux / Énigmatique / Mystique
Mort / Violence / Châtiment
Douleur / Tristesse / Deuil
0
Mystérieux / Énigmatique / Mystique
Douleur / Tristesse / Deuil
Il ressort de cette comparaison graphique que la catégorie « Mortel » est
la plus représentative de la thématique générale caractérisant les parfums de la
marque Serge Lutens. Nous allons donc procéder à l’analyse sémantique des
descriptifs des deux parfums, sous forme de flacon de table, associés à cette
catégorie. Ces parfums se nomment respectivement La vierge de fer et
Tubéreuse criminelle58.
La vierge de fer
Description :
« La religion du fer avait besoin d’une Vierge et la Vierge, d’un lys.
- Vous l’avez senti ?
- Oui.
- Comment est-il ?
- Aussi marquant que le sceau fleurdelisé sur le bras des criminelles.
- Non ?!
58
Voir annexe 6 relative aux captures d’écran du site Internet www.sergelutens.com concernant
les descriptifs des parfums La vierge de fer et Tubéreuse criminelle de la catégorie « Mortel ».
41
- Et en fond, autant piquant qu’un cilice sur la peau. En fait, un sublime
supplice ! »
Serge Lutens
Le nom du parfum La vierge de fer désigne un instrument de torture dont
l’usage aurait débuté à la fin du XVIIIème siècle. Son existence est toutefois
contestée et résulterait de mythes populaires. Elle aurait notamment été
employée par l’inquisition à l’égard des hérétiques. Il s’agit d’une boite,
analogue à un sarcophage, de taille et de forme anthropomorphe, fermée par
deux portes, renfermant des pointes tranchantes et perforantes. La victime
devait se tenir debout dans la boîte et était perforée par les pointes à la
fermeture des portes. La mort ne pouvait intervenir qu’au terme de deux jours
de souffrance imposant à la victime de se maintenir debout. La description du
parfum La vierge de fer fait également référence à deux autres instruments de
châtiment ou de torture. « Le sceau fleurdelisé sur le bras des criminelles »
évoque une pratique instaurée par le code noir français de 1685 consistant à
marquer au fer, d’une fleur de lys, les esclaves fugitifs ou reconnus coupables
de vol. Notons que Serge Lutens emploie le terme « criminelles » au féminin ce
qui peut laisser supposer que ce parfum serait plus destiné aux femmes qu’aux
hommes. Le « cilice sur la peau » renvoie quant à lui à une pratique religieuse
destinée à progresser spirituellement par la souffrance. Il se matérialise par une
tunique ou une ceinture, en crin ou en métal, portée sur la peau par
mortification ou pénitence.
Serge Lutens informe le consommateur sur la composante florale
centrale de son parfum en citant « le lys ». Il s’agit d’une fleur communément
associée à la notion de pureté, ce qui lui vaut notamment d’être le symbole de
la vierge Marie dans la religion catholique. De manière antinomique, Serge
Lutens se réfère à la vierge pour aborder les rites expiatoires de la religion.
Ainsi, la vierge associée au fer met en perspective la souffrance du corps, au
contact de ce métal, pour atteindre la béatitude spirituelle. Cette souffrance par
le châtiment permet à Serge Lutens de décrire le trait « marquant » de sa note
de cœur représentée par le lys ainsi que le caractère « piquant » de sa note de
42
fond. Il convient de rappeler que la note de fond est destinée à perdurer
pendant plusieurs jours sur la peau, au même titre que le supplice de la vierge
de fer ou que le port du cilice.
Enfin l’usage de l’oxymore « un sublime supplice », figure au
consommateur le bouleversement sensationnel que ce parfum est de nature à
provoquer. Par ses références au mysticisme et au châtiment divin, Serge
Lutens cherche à surprendre sa clientèle. Il stimule son intérêt en présentant le
parfum La vierge de fer comme un produit de nature à provoquer douleur et
souffrance en vue d’atteindre une grande satisfaction intellectuelle. Pour son
cercle d’initiés, cette description est porteuse de nombreuses informations sur
la nature du parfum proposé.
Tubéreuse criminelle
Description :
« Rendre les fleurs au mal.
Autour d’une hampe de parfois plus d’un mètre, les fleurs de tubéreuse
placent leur parfum bien haut. La civette pour trancher - on le dit bien
pour une lame sous la meule - affûte sa splendeur. »
Serge Lutens
La tubéreuse est une plante à l’odeur persistante et capiteuse. Elle a en
effet pour étrange spécificité de diffuser ses molécules odorantes pendant plus
de 48 heures après sa cueillette. Ces caractéristiques font donc de la fleur de
tubéreuse une composante fréquemment retenue lors de la création de parfums.
Émile Zola a participé à entretenir un certain mystère autour de cette plante en
écrivant dans son roman Nana traitant du thème de la prostitution : « Quand les
tubéreuses se décomposent, elles ont une odeur humaine59 ».
59
ème
ZOLA Émile, Nana, 9
roman Les Rougon-Macquart, Bibliothèque Charpentier, février 1880.
43
L’association de la « tubéreuse » à l’adjectif « criminelle » par Serge
Lutens personnifie cette fleur et cultive son caractère énigmatique. Elle serait
alors dotée d’une volonté ou d’une intention maligne. Rappelons que du temps
de la Reine Catherine de Médicis, il était admis que les compositions les plus
enivrantes étaient susceptibles de dissimuler des poisons mortels. De cette
façon, le consommateur est informé de la composante florale centrale du
parfum et de la prépondérance de sa puissance olfactive. En effet, Serge
Lutens fait un parallèle entre la taille des tubéreuses « autour d’une hampe de
parfois plus d’un mètre » et la hauteur de leur parfum.
L’emploi du mot « hampe » est très intéressant pour sa polysémie. Il peut
en effet notamment désigner, en botanique, la tige supportant les feuilles d’une
plante ou, en boucherie, la pièce de viande correspondant au diaphragme du
bœuf, du veau ou du cheval. Ces deux sens trouvent leur place dans le
contexte mais celui relatif à la pièce de viande est le plus pertinent. Il figure les
tubéreuses en plein champ, à fleur de hampe. De même, le tranchant d’une
« lame sous la meule », renvoie au même champ sémantique en référence à la
découpe de la viande animale et à la dimension criminelle attribuée aux
tubéreuses. Ainsi, en comparant la civette au tranchant d’une lame, Serge
Lutens utilise une métaphore lui permettant de mettre en exergue l’importance
de cette composante pour révéler la « splendeur » des tubéreuses.
La formule « rendre les fleurs au mal » fait référence au recueil de
poèmes Les fleurs du mal de Charles Baudelaire. Cette évocation de l’œuvre
de Charles Baudelaire s’explique par les thèmes de la mort, du sang et du
parfum que cet auteur abordait avec récurrence et qui sont chers au créateur
Serge Lutens.
Pour conclure l’ensemble de ces analyses sémantiques, il est nécessaire
de souligner la singularité de l’approche communicationnelle de Serge Lutens
comparativement à ses concurrents. Là où les autres parfumeurs limitent la
description du produit à ses composants ou à des thématiques récurrentes
telles que la séduction, la sensualité ou le plaisir, Serge Lutens explore des
univers beaucoup plus riches en sensations et en émotions. L’utilisation de la
44
prose poétique lui permet de faire appel à plusieurs niveaux de communication
en informant le consommateur d’une part et en stimulant son imaginaire d’autre
part. Elle lui permet également de figurer le beau dans la création olfactive
considérée comme un art. Les formes de style utilisées et le recours à la
polysémie des mots sont autant d’outils linguistiques propres à imager les
formes olfactives
et ainsi les
rendre plus
compréhensibles
pour le
consommateur.
2) L’identité Lutens dans les visuels de la marque :
Nous avons vu la difficulté inhérente à la description des odeurs, relevant
du sens chimique de l’odorat, via des sens mécaniques tels que la vue ou l’ouïe.
Serge Lutens a recours à l’art de la composition picturale dans la création de
ses visuels publicitaires afin d’atteindre cet objectif. Outre l’émergence d’une
identité visuelle de sa marque, il est parvenu ainsi à communiquer non
seulement sur les composantes et l’univers olfactif des ses parfums mais
également sur les émotions et sensations qu’ils provoquent. Pour ce faire, ses
visuels sont un enchevêtrement de signes qui donnent du sens, qu’il s’agisse
d’indices, d’icônes ou de symboles.
L’analyse sémiologique de ces visuels nous est dès lors apparue
nécessaire dans l’étude de la singularité de la stratégie de marque Serge
Lutens. Nous avons donc constitué un corpus composé des visuels de la
marque Serge Lutens parus dans la presse et sur son site Internet entre 2003
et 2014 60 . Cette recherche a notamment permis de constater la rareté des
visuels proposés par la marque Serge Lutens pour promouvoir ses produits.
Nous avons ensuite sélectionné trois de ces visuels en fonction de la variété de
leurs structures graphiques et picturales ainsi que des thèmes qu’ils abordent.
Chacun de ces trois visuels vont faire l’objet d’une analyse formelle puis
d’une analyse interprétative. L’analyse formelle consistera en une étude
systémique des strates scénique, chromatique, iconique et symbolique, littérale
60
Voir annexe 7 relative au corpus de l’analyse sémiologique des visuels de la marque Serge
Lutens.
45
et typographique. L’analyse interprétative aura quant à elle pour objectif de
dégager des significations en prenant en compte les réalités sociales,
culturelles et historiques.
a) Le visuel Serge noire paru sur le site Internet de la marque en 2011 :
Analyse formelle du visuel Serge noire :
Strate scénique :
Le flacon vaporisateur est situé dans le centre homothétique de l’image
et donc dans l’axe du regard. Sa taille occupe une grande partie de l’espace par
un cadrage photographique serré. Cette composition est très statique mais très
valorisante pour le produit.
Strate chromatique :
La non couleur noire est omniprésente et la lumière réduite à sa plus
simple expression. L’obscurité de l’image est en effet brisée par un faible halo
lumineux émanant du cœur du flacon et permettant tout juste d’en distinguer les
lignes.
46
Strate iconique et symbolique :
La présence d’une croix au centre du flacon symbolise la religion
catholique. La forme anguleuse du flacon et sa verticalité renforcent ce symbole
en référence à l’art gothique des cathédrales.
Strate littérale et typographique :
Le flacon supporte le nom du parfum Serge noire inscrit en noir et en
famille de caractères gothique. L’accord au féminin de l’adjectif qualificatif
« noire » rappelle la polysémie du mot « Serge ». Outre la référence au prénom
du créateur, elle désigne les textiles issus d’une des trois techniques principales
de tissages.
Analyse interprétative du visuel Serge noire:
Avec ce visuel, Serge Lutens privilégie le flacon du parfum Serge noire
en lui faisant occuper la totalité de l’espace central du champ et en le sublimant
par une touche de lumière sur un fond noir opaque. Cette disposition statique et
centrale du flacon n’est pas coutumière pour Serge Lutens qui met ici en avant
sa gravure en édition limitée. Le message communicationnel réside donc d’une
part dans la mise en scène du flacon et d’autre part dans les signifiants de sa
gravure.
L’obscurité absolue entourant le parfum le détache de toute référence
spatiale ou temporelle. Le halo lumineux trouvant son origine au cœur du flacon
dessine une croix et des lettres gothiques qui participent à l’atmosphère
mystique et incantatoire du visuel. Le regard et l’attention du consommateur
sont ainsi rapidement captivés par cette mise en scène et la référence
énigmatique à cette symbolique religieuse. En définitive, ce visuel décrit un
parfum atemporel et sombre, au mystère tout aussi impénétrable que la serge.
Il suscite donc la curiosité du consommateur plus qu’il ne l’informe sur la
composition olfactive du parfum.
47
b) Le visuel Jeux de peau paru dans la presse en 2011 :
Analyse formelle du visuel Jeux de peau :
Strate scénique :
L’espace est inégalement utilisé car le flacon, imposant par sa taille,
occupe toute la partie gauche du champ. Il est dessiné en perspective ce qui
génère une sensation de mouvement. Une silhouette féminine est dessinée au
centre de l’image à la manière d’un croquis de mode. Les lignes de cette
silhouette sont courbes et tranchent avec le caractère anguleux du flacon de
parfum. La pureté du graphisme et la simplicité des formes et des lignes
s’apprécient à la lecture des pleins noirs et à la beauté des vides blancs. Le
cadre de l’image est constitué d’un large bandeau noir analogue à la marielouise d’une peinture ou d’une photographie en exposition. Ce cadre intensifie
donc le caractère artistique de l’image proposée.
Strate chromatique :
L’image ne contient aucune couleur ni dégradé de gris et sa lecture
résulte donc des contrastes entre le noir et le blanc. Cette opposition abrupte
entre le noir et le blanc est l’élément le plus emblématique de l’identité visuelle
de la marque Serge Lutens. L’ombre portée du flacon, le halo lumineux
représenté sur son bouchon et le blanc emplissant le reste du champ laisse
supposer que la silhouette féminine se dirige vers une source de lumière
48
intense. Ce jeu d’ombre et de lumière participe au dynamisme se dégageant du
visuel.
Strate iconique et symbolique :
Le personnage représenté au centre de la composition est l’icône de la
femme selon Serge Lutens. La silhouette longiligne, les cheveux noirs, courts et
plaqués, le teint opalin, l’allure élancée et élégante sont autant de repères
permettant
d’effectuer
ce
rapprochement.
Ils
rappellent
les
portraits
photographiques de l’artiste. Le filet à pain tenu dans la main droite du
personnage est un indice quant à la note de pain grillé présente dans la
composition olfactive du parfum Jeux de peau. Le flacon de parfum est, pour sa
part, dessiné d’une manière pleinement figurative.
Strate littérale et typographique :
Les inscriptions dessinées sur l’étiquette du flacon sont les mêmes que
celles imprimées sur le produit réel. La lisibilité du nom du parfum est toutefois
réduite par l’imprécision des traits de crayon et la mise en perspective du flacon.
Le sujet observant ce visuel doit donc pénétrer intellectuellement dans l’image
pour lire le contenu de l’étiquette du parfum, à l’instar de la silhouette féminine
qui tourne la tête dans cette même direction. En haut du large cadre noir
entourant l’image, le nom et le logo de la marque sont inscrits en blanc, comme
si les lettres avaient été découpées à l’emporte-pièce. La police et la
typographie utilisées sont les même que celles présentes sur tous les supports
de la marque, en adéquation avec son identité visuelle.
Analyse interprétative du visuel Jeux de peau:
Un sentiment de mouvement et de dynamisme se dégage de ce visuel
par les jeux d’ombre et de lumière, par la mise en perspective du flacon et par
la silhouette déhanchée du personnage. De ce fait, le temps ne semble pas figé
mais évoque la mémoire du passé, l’action présente ou à venir. Le personnage
avance vers l’horizon mais détourne son regard en direction du flacon situé
derrière lui. Cette scène peut ainsi évoquer le souvenir d’un sentiment ou d’une
49
émotion passés. Cette analyse est d’autant plus pertinente que la note
principale de ce parfum est celle du pain grillé souvent associée au souvenir.
Le capital de l’image de marque de Serge Lutens est également renforcé
par ce visuel qui dépeint une femme aux courbes élégantes et aux critères de
beauté extrêmement codifiés. De même, l’absence de couleur et l’encadrement
du croquis par un large bandeau noir sont autant d’indices rattachant le visuel à
l’univers artistique de Serge Lutens.
c) Le visuel Vitriol d’œillet paru dans la presse en 2011 :
Analyse formelle du visuel Vitriol d’œillet :
Strate scénique :
Ce visuel est une peinture représentant en son centre le buste d’un
personnage sur un fond en dégradé, délimité par un large cadre noir. Des
lignes de fuite verticales et obliques forment un cône à la base du buste. Cette
délimitation conique est caractéristique des productions artistiques de Serge
Lutens. Il l’emploie en effet régulièrement dans ses photographies mais
également dans d’autres visuels 61 . Le flacon de parfum est représenté de
61
Voir notamment dans l’annexe 7 le visuel presse de 2014 du parfum Laine de verre.
50
manière très discrète. Il est de petite taille, translucide et positionné en oblique
dans le coin inférieur droit du champ. L’accent est donc mis sur la personnalité
du sujet représenté, la place du parfum se révélant alors accessoire.
Strate chromatique :
Le fond est un dégradé de violet et de vert laissant penser à une base
bleutée tour à tour mêlée au rouge puis au jaune. Ce choix de couleurs fait
référence à l’œillet rouge d’une part et à l’œillet vert d’autre part. L’aspect de ce
dégradé reste toutefois très sombre et conforme à l’univers Lutens. La partie
inférieure droite de la composition réservée à la représentation du flacon est
plus lumineuse. Elle est délimitée par la ligne oblique du pan de veste du
personnage. Le visage de ce personnage est tourné vers la lumière et le
parfum.
Strate iconique et symbolique :
Le caractère androgyne, raffiné et élégant du personnage symbolise le
dandy. Il peut être interprété comme un autoportrait de l’artiste Serge Lutens.
L’œillet vert épinglé à la boutonnière du personnage est quant à lui susceptible
de faire référence à Oscar Wilde qui le portait de la sorte et qui participa ainsi à
en faire un symbole de reconnaissance pour les homosexuels de l’Angleterre
victorienne. Plus généralement, l’œillet s’intègre parfaitement à l’univers Lutens
puisqu’il symbolise l’amour mais également la mort.
Strate littérale et typographique :
Dans la partie inférieure du cadre noir, le logo de la marque, le nom du
parfum et celui du site Internet sont inscrits en lettres blanches. La taille du logo
le rend aisément reconnaissable et le nom du parfum est inscrit en italique,
forme typographique notamment utilisée pour citer les noms propres.
Analyse interprétative du visuel Vitriol d’œillet :
La position centrale de l’individu représenté, l’énergie des lignes
dessinant sa silhouette et l’élégance de sa tenue en font un personnage de
caractère, à l’identité affirmée. Son visage est toutefois masqué par un chapeau
51
qui ne laisse entrevoir que la base de son menton androgyne. De ce fait, il
représente plus un symbole qu’une personnalité individuelle. Il est la
manifestation de l’élégance, du raffinement et de la distinction. Le second rôle
de ce visuel est tenu par l’œillet qui trouve sa place à la boutonnière du
personnage. Il s’agit d’une plante qui a également du caractère ; elle est plus
épicée que florale. Le parfum Vitriol d’œillet, représenté par un flacon presque
inexistant, semble donc au service de ces deux puissances de caractère. Il est
un accessoire de la parure du dandy et un écrin pour l’explosivité olfactive de
l’œillet.
Pour conclure cette partie et comme l’explique Benoît Heilbrunn dans
son cours de stratégies communicationnelles de la marque au CELSA, la
marque est un dispositif d’intermédiation symbolique. Un système de codes est
ainsi présent entre l’annonceur et le consommateur. Il s’applique notamment au
produit, au nom de la marque, au packaging, à la publicité, à la promotion et
parfois au personnage de marque.
Nous avons vu précédemment que la personnalité de Serge Lutens
participait grandement à l’identité symbolique de sa marque. Nous venons de
voir que la manifestation de son univers artistique dans les supports
promotionnels concoure à la codification de l’image de marque et à sa
résonance auprès du consommateur. La stratégie de la marque Serge Lutens
se distingue de ses concurrents car elle privilégie la dimension artistique du
parfum et de ses modes de promotion. Lorsque Serge Lutens décrit ou
présente un parfum en utilisant des moyens de communication artistiques tels
que la prose poétique ou la composition picturale, il s’attache à transmettre des
sensations et des émotions reflétant au mieux celles provoquées par l’olfaction
du parfum qu’il propose. Cette constatation permet de valider la seconde
hypothèse établissant un lien entre la singularité de la stratégie du parfumeur
Serge Lutens et le statut d’œuvre d’art qu’il reconnaît à ses parfums. Pour leur
part, les autres marques communiquent essentiellement sur l’univers stéréotypé
auquel se réfère le parfum. Le plaisir, la sensualité, la séduction ou la réussite
sociale en sont quelques exemples. De même, le recours à des égéries
52
populaires
leur
permet
d’accentuer
le
processus
d’identification
du
consommateur.
En définitive, la stratégie de marque Serge Lutens peut être est attractive
pour le consommateur du fait même de sa singularité et de son
anticonformisme. La forte codification artistique de cette stratégie délimite avec
précision l’identité de marque. Toutefois, comme je l’ai évoqué précédemment,
cette stratégie ne peut trouver d’écho que dans la fidélisation d’un cercle de
consommateurs initiés.
53
CONCLUSION
Mes développements sur les liens entre parfum, art et stratégies de
marque touchent à leur terme. Faute d’être exhaustifs, ils ont eu pour ambition
d’étudier le parfum et les odeurs sous des angles historique, sociologique,
culturel et communicationnel. À la lumière de cette physionomie du parfum,
l’étude du cas Serge Lutens, dans la singularité de sa stratégie de marque, a
été très enrichissante et me conduira à exposer certaines recommandations.
En première partie nous avons vu que, de tous temps, les odeurs ont été
perçues et décrites de manière extrêmement manichéenne, selon un jugement
moral les classant comme bonnes ou mauvaises, sources de plaisir ou de
désagrément. Cette perception sociologique résulte historiquement du rejet de
notre corporéité, de la puanteur liée au manque d’hygiène et de l’association
des odeurs à certains risques sanitaires. De même, le sens olfactif a longtemps
été dévalorisé pour son abstraction et ses liens avec notre animalité et notre
sexualité. Malgré sa précision, la subtilité de ses propriétés affectives,
évocatrices et représentatives, notre odorat est atrophié au profit de la vue et
de l’ouïe. À ce titre, l’une des principales difficultés rencontrées au cours de ce
mémoire fut de constituer un corpus théorique traitant de la place des odeurs
dans les processus d’échanges interpersonnels. Pour autant, nous avons pu
démontrer que l’odorat était fondamental dans le contact à autrui, dans la
connaissance et la perception fusionnelle de notre environnement, dans la
construction de la pensée et de la mémoire. Les odeurs et le parfum sont donc
le « médiateur » entre l’individu, son environnement et autrui. Nos sociétés
modernes tendent toutefois à rendre inaudible ce langage des odeurs en
parfumant les corps, les espaces et les aliments de senteurs récurrentes et
standardisées, universellement reconnues comme agréables d’après des codes
socioculturels.
Le siècle des Lumières a marqué l’avènement de l’art mais également
celui du parfum qui n’a plus eu pour seule fonction de masquer les odeurs
pestilentielles. Il est devenu l’expression d’un message, d’une sensation, d’une
émotion, du beau. Toutefois, en validation de notre première hypothèse, nous
54
avons vu que la composition de parfums n’était pas pleinement reconnue
comme un art faute de culture olfactive du public. Cette carence s’explique
notamment par la difficulté de verbaliser les odeurs, et donc de les appréhender
par la pensée, pour en percevoir toute l’esthétique.
En seconde partie, nous avons vu que Serge Lutens est un artiste abouti
et anticonformiste, refusant de se soumettre à la mode et aux tendances. Sa
marque éponyme s’est ainsi dotée d’une identité extrêmement codifiée, en
complète concordance avec sa personnalité et ses goûts esthétiques. Par une
éducation olfactive et artistique de la cible, elle fédère et fidélise autour de ses
produits un cercle de consommateurs initiés. Serge Lutens propose ses
compositions olfactives comme des œuvres d’art dont le but est de
communiquer un message, une histoire, une atmosphère, une sensation. Il
bouleverse ainsi les codes de la parfumerie sélective en ne proposant que des
parfums mixtes, sans test marketing, sans gamme de produits dérivés, sans
packaging ostentatoire, le tout dans une fourchette de prix très réduite. De
même, à la différence de ses concurrents, Serge Lutens n’utilise pas la publicité
télévisuelle ni l’affichage pour promouvoir sa marque et ses produits. Il n’a pas
non plus recours à des égéries mais emploie des techniques artistiques, telles
que la prose poétique ou la composition picturale, pour tenter de communiquer
au consommateur les sensations ou les émotions induites par l’olfaction de ses
créations. Les analyses sémantiques et sémiologiques de ces supports
promotionnels ont permis de confirmer la validité de la seconde hypothèse
associant la singularité de la stratégie de marque Serge Lutens au statut
d’œuvre d’art qu’elle reconnaît à ses produits.
La première de mes recommandations concerne la stratégie de la
marque Serge Lutens dont la réussite repose notamment sur une identité forte
et codifiée ainsi que sur son opposition à la concurrence. Benoît HEILBRUNN,
dans son cours de stratégies communicationnelles de la marque au CELSA,
rappelle en effet qu’un marché se structure par une axiologie, une opposition
entre les marques par des systèmes de valeurs concurrents. Pour pérenniser
sa réussite, la marque Serge Lutens doit maintenir ses choix stratégiques et
s’assurer de leur cohérence d’ensemble. Toutefois, cette logique pourrait être
55
mise à mal du fait de l’élargissement du canal de distribution des parfums
Lutens aux grandes enseignes de la parfumerie sélective. En effet, la plupart
des codes propres à la marque ne sont pas respectés dans ces enseignes et
notamment la mixité de ses jus qui sont généralement présentés au rayon
femme. De même, les caractéristiques artistiques des parfums Lutens et la
dimension initiatique de leur découverte sont écornées par la mise à disposition
des flacons dans des linéaires qui les relèguent à de simples produits de
grande consommation. Ces éléments dénaturent la cohérence de la stratégie
de marque Serge Lutens et donc son image auprès de son cercle de
consommateurs. En proposant ses produits dans les enseignes de la
parfumerie sélective, la marque Serge Lutens ne vise pas une nouvelle clientèle
puisqu’elle n’a pas recours à la publicité sur les lieux de vente ni à la création
d’une gamme de produits dérivés. Elle s’adresse donc à des consommateurs
fidélisés pour leur permettre de se réapprovisionner sans recourir à la boutique
du Palais Royal ou au site Internet marchand. Pour autant, elle doit conserver la
logique de sa stratégie. D’après Nicolas OLCZYK, les grandes enseignes de la
parfumerie sélective comme « Sephora, Marionnaud ou Douglas » trouvent un
intérêt dans la distribution de marques dites de « niche » comme Serge Lutens
car elles tendent ainsi à séduire « une clientèle plus élitiste 62 ». La marque
Serge Lutens pourrait ainsi peser dans une négociation visant à proposer ses
produits dans des présentoirs spécifiques, véhiculant des signes adaptés à son
image.
La seconde de mes recommandations concerne les stratégies des autres
grandes marques de la parfumerie sélective. Si les résultats commerciaux des
leaders de ce marché sont révélateurs du succès de leurs choix stratégiques,
l’importance des dépenses publicitaires et la fréquence de remplacement de
certains parfums dénotent leur difficulté à fidéliser le consommateur. Ainsi,
comme l’explique Nicolas OLCZYK, certaines de ces marques créent des
collections proposant une « offre hyper luxe » pour « vendre de l’image et du
prestige et ainsi redonner ses lettres de noblesse à la marque 63 ». Cette
62
OLCZYK Nicolas, Influences olfactives, Qu’est-ce qu’une marque de parfums de niche
aujourd’hui ?, site Internet http://parfums-tendances-inspirations.com, 2010.
63
Ibid.
56
stratégie, au regard de la faible durée de vie de ces collections, ne me semble
pas satisfaisante. Au contraire, la revalorisation du parfum dans son ensemble,
comme produit d’art et d’exception, permettrait d’atteindre l’objectif escompté.
Cette démarche a été adoptée par certaines de ces marques mais elle se
cantonne malheureusement trop généralement à un produit phare. À titre
d’exemple, Chanel est parvenue à élever le « N°5 » au rang d’œuvre d’art ce
qui renforce la notoriété de toute la marque. Notre propos va plus loin et
propose d’étendre cette valorisation de la dimension artistique du produit à
l’ensemble de l’offre. Pour ce faire, les grandes marques de la parfumerie
sélective doivent participer à l’éducation olfactive du consommateur et ne
retenir que des critères esthétiques lors de la composition d’un nouveau jus. En
d’autres termes, les stratégies de marque des parfumeurs doivent prendre en
compte la dimension artistique du parfum qui lui confère un statut d’exception.
57
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES :
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BASTIEN Vincent et KAPFERER Jean-Noël, Luxe Oblige, Eyrolles, 2008.
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FLOCH Jean-Marie, Sémiotique, marketing et communication : sous les signes,
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Collectif sous la direction de LARDELLIER Pascal, À fleur de peau, Belin, 2003.
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VERNETTE Éric, L’Essentiel du Marketing, Editions d’Organisation, 2008.
ARTICLES :
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http://autourdeserge.alloforum.com/message.php?categorie=46501&msg=1914
99
HEILBRUNN Benoît, Comment créer de l’affectif avec de l’olfactif ?
L’attachement aux marques de parfums, in Mode de recherche n°11, Institut
français de la mode, janvier 2009.
Collectif, HERMES n°43, Rituels, CNRS, 19 janvier 2006.
JEUDY Henri-Pierre, L'art et les systèmes de communication, in L’Homme et la
société n° 26, Art littérature créativité, 1972, p. 181-193.
LE GUERER Annick, Odeurs et communication, in Dictionnaire critique de la
communication, publié sous la direction de SFEZ Lucien, PUF, 1993.
58
MAILLE Virginie, L'incidence des stimuli olfactifs : un état des recherches, in
Recherches et applications en marketing, 2001.
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de niche aujourd’hui ?, site Internet http://parfums-tendances-inspirations.com,
2010.
INTERVIEWS ET ÉMISSIONS RADIO ET TV :
Interview de JACQUET Chantal, vidéo Dailymotion Le nez des philosophes,
publiée le 16/07/2010, visible sur : http://www.dailymotion.com/video/xe1tif_lenez-du-philosophe_school
Émission Le parfum, Arte, diffusée le 14/06/2014 à 22H40.
Interview de LUTENS Serge par BRESSON Philippe, émission À Voix Nue,
France Culture, cinq épisodes à compter du 02/09/2013 à 20H00.
Interview de LUTENS Serge par DREYFUS Arthur, émission Encore heureux,
France Info, le 24/10/2013.
59
ANNEXE 1
Exposition Ophone & The Virtual Coffee,
Act 1 of The Olfactive Project
Lieu d’exposition : Le laboratoire, centre d'expérimentation artistique et de
design situé au 4 rue du Bouloi à Paris 01.
Dates : Du 17 mai au 15 septembre 2013.
David Edwards, professeur à Harvard et fondateur du Laboratoire est à
l’initiative de The Olfactive Project. Il s’est entouré d’une équipe notamment
constituée d’Olivier Pescheux, maître parfumeur, et de Ryan Spinoglio,
responsable qualité sensorielle à Toby’s Estate Coffee. Ce projet a pour
ambition d'utiliser des signaux olfactifs, tel un langage codifié à l’instar de
l’alphabet, afin de communiquer de manière interpersonnelle.
Le support imaginé pour transmettre ces messages olfactifs se nomme
l’Ophone. Présenté à l'état de prototype lors de l’exposition, cet appareil
aujourd’hui commercialisé permet à son utilisateur de transmettre, par voie de
télécommunication, une association de notes odorantes à un second utilisateur
également en possession d'un Ophone.
OPHONE
60
ANNEXE 2
GLOSSAIRE DES TERMES DE LA PARFUMERIE
POUR DECRIRE LES ODEURS ET PARFUMS
Établi lors de mes recherches et lectures
Famille
Nature
Style
Floral
Boisé
Herbacé
Épicé
Animalisé
Hespéridé
Fruité
Oriental
Ambré
Chypré
Aromatique
Musqué
Agrumes
Fougère
Cuir
Vert
Mat
Dur
Doux
Clair
Sombre
Velouté
Soyeux
Sec
Plat
Coupant
Acidulé
Chaud
Froid
Vibrant
Strident
Aiguë
Piquant
Tendre
Râpeux
Huileux
Gras
Élégant
Harmonieux
Tranchant
Tenace
Volatil
Intense
Sensuel
Envoûtant
Persistant
Chaleureux
Énergique
Addictif
Exotique
Fin
Lourd
Léger
Fragile
61
ANNEXE 3
PHOTOGRAPHIES DE SERGE LUTENS
62
63
ANNEXE 4
FLACONS DE TABLE
Vendus exclusivement à la boutique du Palais Royal
FLACONS VAPORISATEURS
Vendus à la boutique du Palais Royal et chez les
distributeurs de la parfumerie sélective
64
ANNEXE 5
LA BOUTIQUE SERGE LUTENS DU PALAIS ROYAL
Les galeries du Palais Royal
Les jardins du Palais Royal
65
La boutique Serge Lutens
Les parfums Serge Lutens
66
ANNEXE 6
LA VIERGE DE FER
Premier flacon de table de la catégorie « Mortel »
Capture d’écran du site Internet www.sergelutens.com
67
TUBÉREUSE CRIMINELLE
Second flacon de table de la catégorie « Mortel »
Capture d’écran du site Internet www.sergelutens.com
68
ANNEXE 7
CORPUS DE L’ANALYSE SEMIOLOGIQUE
Serge noire – 2011
Visuel Internet
Clair de musc – 2003
Visuel Internet
Vitriol d’œillet – 2011
Visuel Internet
Louve – 2007
Visuel Internet
69
Jeux de peau – 2011
Visuel presse
Serge noire – 2008
Visuel presse
Eau froide – 2012
Visuel presse
Vitriol d’œillet – 2011
Visuel presse
La fille de Berlin- 2013
Visuel presse
Laine de verre - 2014
Visuel presse
Five o’clock – 2008
Visuel presse
70
RÉSUMÉ
Ce mémoire mène une réflexion sur la mesure dans laquelle la
reconnaissance du parfum comme œuvre d’art peut influer sur les stratégies de
marque des parfumeurs.
La première partie a pour ambition d’étudier le parfum et les odeurs sous
des angles historique, sociologique, culturel et communicationnel. Elle valide
l’hypothèse selon laquelle la composition de parfums est un art non reconnu
comme tel par une carence de culture olfactive.
La seconde partie aborde le cas de la marque Serge Lutens et valide
l’hypothèse selon laquelle la singularité de sa stratégie réside dans le statut
d’œuvre d’art qu’elle reconnaît à ses parfums. Elle examine la façon dont cette
marque initie et éduque sa cible pour mieux la fidéliser. Elle propose enfin une
analyse sémantique des descriptions des parfums Lutens et une analyse
sémiologique des visuels de la marque parus dans la presse ou sur le site
Internet.
71
MOTS-CLÉS
PARFUM
ART
STRATEGIE
LUTENS
SENS
ODEUR
72

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