Les piliers de l`expertise psychiatrique sont-ils solides

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Les piliers de l`expertise psychiatrique sont-ils solides
RĖPUBLIQUE FRANÇAISE
GROUPE D’ETUDES
LIBERTÉ – EGALITĖ – FRATERNITĖ
SUR LES ENJEUX DU VIEILLISSEMENT
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LONGEVITE
Compte rendu de la réunion du
mardi 7 octobre 2014
(salle n°1, 3 rue Aristide Briand, 17h15 à 18h45)
Ordre du jour :
Le groupe d’études entend Jean-Pierre OLIÉ, chef de service de psychiatrie à l’hôpital
Sainte-Anne à Paris.
Le président Denis Jacquat : Nous sommes très heureux d’accueillir Jean-Pierre
OLIÉ dont l’intervention a pour titre :
« Les piliers de l’expertise psychiatrique sont-ils solides ?»
Le professeur Françoise Forette : Professeur des Universités (Paris V), Praticien
hospitalier en psychiatrie à l’hôpital Sainte-Anne (Paris), fondateur et Président de la
Fondation Pierre Deniker pour l'information et la santé mentale, Membre du Conseil
National de l’Ordre des médecins, Jean-Pierre OLIÉ est médecin expert national agréé
par la Cour de Cassation, et il a été membre expert auprès des autorités sanitaires. Il est
l'auteur de plus de 400 publications scientifiques ainsi que rédacteur en chef de la revue
l'Encéphale. Il est membre titulaire de l'Académie nationale de médecine. Il a publié en
2009 « Guérir la souffrance psychique ».
Jean-Pierre OLIÉ : Conscient, depuis la publication de ce livre que vous avez cité, de
l’importance qui doit être accordée à un titre d’ouvrage ou d’intervention, je
commencerais par préciser que la psychiatrie n’est pas fragile mais qu’effectivement
l’expertise psychiatrique rencontre et pose des problèmes.
Il existe plusieurs types d’expertises : l’expertise pénale et l’expertise pour la réparation
du dommage.
L’expertise psychiatrique pénale est ordonnée, après un crime, dans le cadre d’une
procédure pénale. L’expert évalue les facultés mentales de l’auteur du crime afin de
déterminer si le sujet est partiellement ou totalement responsable ou non de ses actes.
L'expert a aussi pour mission habituelle de renseigner sur l'état dangereux et sur
l'accessibilité à une sanction pénale.
Or si un psychiatre est en mesure d’indiquer qu’un sujet est en état de démence ou non, il
est beaucoup plus délicat pour lui de déclarer un sujet responsable de ses actes.
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Pour tenter de répondre à cette question, on peut discuter à l’infini car la maladie mentale
laisse dans le cerveau des parties saines à côté des parties abimées.
Comment savoir si l’acte criminel commis est imputable à la maladie ? Par le passé, les
malades mentaux, même criminels, étaient tenus pour irresponsables de leurs actes ;
ceci pour d'évidentes raisons humanistes et plus encore parce que la folie ne s'amende
pas sous l'effet de la punition. Puis s'est développée une médecine capable de
reconnaître parmi les délinquants et les marginaux ceux qui doivent être tenus pour
malades. Mais comment expliquer la surreprésentation de malades mentaux graves dans
les prisons françaises, En effet 20 % de la population carcérale française souffre de
troubles schizophréniques alors qu’1 % de la population générale en est atteinte.
La formation et la désignation des experts pose problème en France. Pendant des
années, tout docteur en médecine pouvait devenir psychiatre des hôpitaux sans formation
supplémentaire. Aujourd’hui, l'expert psychiatre est d'abord un médecin qui a fait une
spécialisation en psychiatrie. L’inscription sur les listes d’experts dépend de sa seule
volonté. Il dépose une candidature auprès du procureur de la république, cette
candidature est examinée par une commission de magistrats puis une fois qu’elle est
validée, le psychiatre prête serment. Dès lors, il peut être appelé à intervenir sur une
affaire. L’inscription sur les listes devrait, à mon avis, impliquer des professionnels de la
psychiatrie.
Un autre problème soulevé par l’évolution actuelle des affaires soumises aux experts est
celui du pronostic. Peut-on dire si une personne est dangereuse ou pas ? Les magistrats,
éloignés de la question du diagnostic, se concentrent sur le pronostic et la dangerosité.
On leur demande aux psychiatres experts de jauger le risque que l’acte se reproduise
alors qu’ils ne peuvent pas se prononcer sur la question de la dangerosité.
Par ailleurs, j’estime qu’une évaluation collégiale serait indispensable.
L’expertise pour la réparation d’un dommage présente, de son côté, d’incontestables
qualités. Les préjudices subis font l’objet d’un barême. Plusieurs médecins se
confrontent : en effet, tous les postes de préjudice sont déterminés à la suite d'un examen
médical pratiqué soit à l'amiable entre le médecin conseil de l'assureur du responsable et
le médecin conseil de la victime (expertise amiable) soit judiciairement par un médecin
inscrit sur les listes judiciaires, désigné par le juge dans le cadre d'une procédure
judiciaire.
Pour en revenir aux piliers de la clinique psychiatrique, j’évoquerais les symptômes que
les psychiatres identifient : des symptômes cognitifs importants en ce qui concerne les
personnes âgées des symptômes émotionnels, des symptômes comportementaux.
Aucun signe n’est pathognomonique en psychiatrie, le diagnostic est exclusivement
clinique. La démarche médicale est de relever les symptômes, de les attribuer à une
entité nosographique et de prononcer le pronostic. Les déterminants des symptômes et
affections psychiatriques sont biologiques et environnementaux.
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Nous devons nous interroger sur la mission première de l'expertise psychiatrique. Restet-elle de dire l'existence ou non d'une maladie psychiatrique en se référant à la
classification actuelle des maladies mentales telle que l'Organisation mondiale de la santé
l'a établie (et non plus en avançant un diagnostic tout personnel…) ?
Il est très probable que si les médecins amenés à rédiger le certificat médical devait
s’expliquer devant la famille ou le conseil de famille, le service rendu serait amélioré
Echanges avec les participants à la réunion :
Professeur Françoise FORETTE: Où pourrait être la place du criminel schizophrène en
dehors de la prison ?
Jean-Pierre OLIÉ : On peut parler d’états mentaux dangereux plutôt que de malades
dangereux. L'expertise psychiatrique ne remplit plus sa mission première d'orienter vers
les structures sanitaires les personnes souffrant de troubles psychiatriques
Le sort réservé aux malades mentaux ne peut être une simple privation de liberté ou
quelque autre punition. Il n’y a pas plus dangereux pour la sécurité que de laisser les
malades mentaux en prison. Les thérapeutiques ayant fait la preuve de leur efficacité
doivent être mises en œuvre dans un environnement adéquat pour la protection de la
société et pour éradiquer la maladie. Plus on soigne tôt un malade, plus on se donne de
chances de l'améliorer sinon le guérir.
L'absence de structures alternatives à l'hospitalisation complète (lieux d'hébergement,
structures d'accueil à caractère médicosocial) qui caractérise la situation française est
préoccupante si l'on veut bien considérer que les situations à risque de dangerosité des
patients psychotiques sont : la désocialisation, la consommation de toxiques licites
(alcool) ou illicites, l'arrêt des thérapeutiques.
Dr RAYNAUD, médecin du travail groupe AXA : Que pouvez-vous nous dire du
nombre et de la formation des psychiatres ?
Jean-Pierre OLIÉ : Plus de 1000 postes de psychiatres des hôpitaux ne sont pas
pourvus.
La France est le 2ème pays au monde en nombre de psychiatres, pédopsychiatres, par
rapport à la densité de la population. La densité moyenne de psychiatres est de 21,8
médecins pour 100 000 habitants. Les régions les mieux dotées sont la région Île-deFrance avec une densité de la région Paca et la région Aquitaine.
Mais la majorité des psychiatres ne traitent pas des schizophrènes.
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Le président Denis JACQUAT : Les personnes âgées d’aujourd’hui n’ont pas
consommé de drogues dans leur existence. Quelles pathologies du vieillissement
risquent de se développer du fait de la consommation de drogues par les jeunes
d’aujourd’hui ?
Jean-Pierre OLIÉ : Le risque d’induction de troubles psychiques suite à la consommation
de drogues dures est majeur entre l’âge de15 et celui de 30 ans.
L’alcool et les barbituriques ont toujours été répertoriés comme facteurs de risque de
vieillissement. On sait que le stress et la consommation de drogues dures sont des
déterminants de la schizophrénie. Mais il n’existe pas d’autonomisation de maladies liées
à la consommation de drogues.
Dr RAYNAUD : On sait que les ORL reçoivent des consommateurs de cocaïne qui ont
des problèmes au nez.
Le président Denis JACQUAT …et on vient d’apprendre que des drogue liquides
étaient consommées par vapotage.
Jean-Pierre OLIÉ: Le rôle du médecin est d’apporter aux malades l’espoir de guérir.
Cependant, il ne peut encore soigner toutes les maladies malgré les avancées
extraordinaires de la psychiatrie.
Le président Denis JACQUAT : Lors d’une expertise, on voudrait que le psychiatre
donne une réponse précise qu’il n’est en fait pas en mesure de donner.
Jean-Pierre OLIÉ: Juger un criminel irresponsable au vu de l’expertise et le faire
échapper à la prison n’est pas toujours la solution que ce dernier trouvera la plus
favorable à son égard. Coupable du meurtre de son épouse, le philosophe Louis
Althusser, dont j’ai été le psychiatre, a mal vécu le fait d’avoir été déclaré irresponsable et
maintenu en hôpital psychiatrique.
La prochaine réunion aura lieu le 25 novembre 2014. Le groupe aura pour invité :
M.Jacques Toubon, défenseur des droits.