LA RÉCEPTION DE L`ŒUVRE DE MARGUERITE
Transcription
LA RÉCEPTION DE L`ŒUVRE DE MARGUERITE
LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE DE MARGUERITE YOURCENAR EN GRÈCE par Triantafyllia KADOGLOU (Université de la Macédoine Occidentale) Marguerite Yourcenar jouit d’une réception universelle avec la parution des Mémoires d’Hadrien1 en 1951. Pourtant un peu avant la Seconde Guerre Mondiale, de 1932 à 1939, sa vie et son activité littéraire – jeune écrivaine à l’époque, profondément helléniste à cause de ses études classiques, inhérentes à la conception humaniste grecque – se focalisent sur la Grèce. Durant cette période, Marguerite Yourcenar effectue de longs séjours en Grèce où elle fait la connaissance du poète et psychanalyste Andréas Embiricos, du jeune intellectuel Constantin Dimaras et de tant d’autres amis, « “tous plus ou moins poètes” »2. Il apparaît que Marguerite Yourcenar et son œuvre jusqu’à cette époque sont d’abord reconnues dans ces milieux fermés grecs. En effet, peu après sa mort, Constantin Dimaras, étant à l’époque de sa rencontre avec Marguerite Yourcenar « l’auteur récent d’un petit art poétique intitulé Sept Chapitres sur la poésie […] »3, se rappelle : 1 Mémoires d’Hadrien parut en décembre 1951, chez Plon. Radioscopie Marguerite Yourcenar, entretiens avec Jacques CHANCEL (1979), Monaco, Éditions du Rocher France Inter, 1999, p. 113, cité par Achmy HALLEY, « Marguerite Yourcenar, Grecque par-delà la Grèce », Le Lien Desmos, nº 15, 2004, p. 17. 3 Cf. André TOURNEUX, « Présentation Critique de Constantin Cavafy (Gallimard, 1958). Genèse et réception d’une œuvre de Marguerite Yourcenar » dans le dossier du Bulletin de la SIEY, nº 27, décembre 2006, p. 121. 2 123 Triantafyllia Kadoglou […]. Nous avions sensiblement le même âge, mais je respectais chez elle une autorité d’aînée, qui lui était naturelle ; d’ailleurs, elle portait déjà dans son bagage littéraire plusieurs volumes d’œuvres originales4. En outre, dans un « petit cercle d’initiés »5, réunis autour d’André Gide, de passage en Grèce, C. Dimaras fait référence à Marguerite Yourcenar – jeune auteure non reconnue amplement à l’époque – qui, d’après les commentaires chaleureux d’André Gide concernant « ses exceptionnelles capacités d’écrivain »6, commence à jouir d’une grande considération de la part de ses homologues. Il est de notoriété publique que C. Dimaras fait connaître à Marguerite Yourcenar le poète gréco-alexandrin Cavafy avec lequel elle se passionne tellement que de l’été 1936, le projet d’une traduction française en commun devient pour eux le début d’une collaboration future. Dans ce travail commun, Marguerite Yourcenar « reste cependant le maître d’œuvre, imposant son style et son interprétation »7. Or, elle publie, en premier lieu, diverses parties de cette co-traduction dans la revue Mesures en 1940 et dans la revue Fontaine en 1944. En second lieu, elle conçoit l’idée d’une édition d’ensemble complétée par des notes concernant la vie et l’œuvre du poète. Cette idée née en 1953 finit par se réaliser en 1958 avec la publication de l’ouvrage, portant le titre, Présentation critique de Constantin Cavafy 1863-1933, suivie d’une traduction intégrale de ses Poèmes par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras8. En dernier lieu, presque quarante ans après sa conception initiale, l’ouvrage paraît à nouveau en 1978 avec sa préface « légèrement retouchée et […] augmentée d’une “Note sur les Poèmes inédits de Constantin Cavafy” […] »9. Au niveau de la réception de l’ouvrage en question, la première critique s’effectue en 1936 par Constantin Dimaras lui-même dont la vision de la traduction est différente de celle de Marguerite Yourcenar. Celui-ci « n’aime pas l’idée des “belles infidèles” »10, se ralliant plutôt à l’avis de ceux qui sont 4 Constantin DIMARAS, « À la barre du témoin », Cahiers Marguerite Yourcenar, nº 3, 1988, p. 28-29, cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 122. Souligné par nous. 5 Ibid., p. 124. 6 Ibid., p. 125. 7 André TOURNEUX, op. cit., p. 114. 8 Cet ouvrage parut successivement chez Gallimard en 1958 et en 1978. 9 Pour plusieurs détails, cf. André TOURNEUX, op. cit., passim. 10 Témoignage de Constantin DIMARAS rapporté par Josyane SAVIGNEAU, Marguerite 124 La réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar en Grèce pour une traduction exacte, mot à mot. Marguerite Yourcenar refuse aussi les « belles infidèles », mais elle souhaite, d’après Constantin Dimaras, « faire du style en français »11. Il finit sa critique de la sorte : […]. Il existe d’autres traductions, en français, qui sont plus fidèles, mais qui sont loin d’avoir la même valeur littéraire. Cela dit, cette traduction de Marguerite Yourcenar ne donne pas vraiment le climat particulier de la poésie de Cavafy. À mes yeux, elle demeure plutôt l’œuvre d’une grande styliste française que l’œuvre d’un poète grec.12 Aussi, peu après la mort de Marguerite Yourcenar, Constantin Dimaras dépose-t-il à nouveau son témoignage sur cette collaboration en mettant encore l’accent sur la dimension de leurs points de vue concernant la traduction : « elle, pour la qualité du discours contre [s]on seul souci, en ce cas-là, la fidélité à l’original »13. Il finit par répéter son respect pour Marguerite Yourcenar portant – à l’époque et en comparaison avec lui-même – « dans son bagage littéraire plusieurs volumes d’œuvres originales »14. Marguerite Yourcenar elle-même n’est pas en général contente de la critique et de la réception de son ouvrage dont la parution en 1958 coïncide avec les événements d’Algérie et la présence dynamique de Charles de Gaulle qui semblent monopoliser à l’époque l’actualité française. En communiquant l’année suivante à Constantin Dimaras la liste des comptes rendus parus à la sortie de Présentation critique de Constantin Cavafy, Marguerite Yourcenar exprime sa déception : « un “peu de critiques, et presque aucune significative” »15. Parmi les critiques qu’elle excepte considérée comme importante, se trouve celle d’un journaliste grec, spécialisé sur des sujets littéraires, né à Trieste et installé avec ses parents à Genève quelques années avant la Yourcenar. L’invention d’une vie, Paris, Gallimard, 1990, p. 118-119, cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 121. 11 Ibid. 12 Ibid. 13 Constantin DIMARAS, « À la barre du témoin », Cahiers Marguerite Yourcenar, op. cit., cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 122. 14 Ibid. 15 Lettre à Constantin DIMARAS, du 7 octobre 1959, correspondance inédite, bMS Fr372.2 (4459), cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 115, 166. 125 Triantafyllia Kadoglou Seconde Guerre Mondiale. Il s’agit de Démètre Ioakimidis16 qui apprécie la traduction de Marguerite Yourcenar et de Constantin Dimaras témoignant, d’après lui, «d ’un profond respect de l’œuvre originale […] » ; pour aboutir en disant que « grâce à cet ouvrage, une image fidèle et complète de [l’]œuvre [de Cavafy] est offerte pour la première fois au lecteur de langue française »17. Quant à la préface de l’œuvre en question, il la caractérise comme « une pénétrante analyse de l’auteur et de son œuvre »18. À travers une présentation critique des points de vue concernant la fidélité ou les désavantages d’une traduction en prose des poèmes de Cavafy, Hélène Ioannidi fait, beaucoup plus tard, en 1972, dans une étude plus recherchée et raffinée, une approche positive de l’effort traductif de Marguerite Yourcenar et de Constantin Dimaras. Leur travail, signale-t-elle, « permet de comprendre ce que la traduction en prose, aussi intelligente et respectueuse qu’elle soit, ne peut manquer de détruire dans une œuvre poétique »19. Mais elle finit par constater : […]. Traduire en prose présente l’avantage de permettre la traduction d’une œuvre poétique, dans son intégralité ; […]. Quant à la qualité du travail fait par M. Yourcenar et C. Dimaras, elle est ce qu’on peut espérer de mieux20. Le même type de réflexion concernant l’évaluation de la traduction des poèmes de Cavafy par Marguerite Yourcenar est exprimée Christiane Odile Papadopoulos dans un colloque assez récent, organisé à Tours en 1997, sous le titre, Marguerite Yourcenar. Écriture, réécriture, traduction21. En comparant la traduction yourcenarienne à d’autres traductions, Christiane Odile Papadopoulos considère qu’« aucune traduction ne peut être dite parfaite, et [que] la prose de Marguerite Yourcenar paraît parfois loin du 16 Pour plusieurs détails, voir André TOURNEUX, op. cit., p. 166, 193. Démètre IOAKIMIDIS, La Tribune de Genève, 22-23 novembre 1958, nº 274, cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 194. 18 Ibid., p. 193. 19 Hélène IOANNIDI, Critique (Paris), avril 1972, 25e ann., t. 28, nº 299, p. 364-368, cité par André Tourneux, op. cit., p. 210. 20 Ibid. 21 Christiane Odile PAPADOPOULOS, « Les poèmes de Cavafy traduits par Marguerite Yourcenar », dans Marguerite Yourcenar. Écriture, réécriture, traduction. Actes du colloque de Tours, 20-22 novembre 1997, Rémy POIGNAULT et Jean-Pierre CASTELLANI éd., Tours, SIEY, 2000, p. 343-362. 17 126 La réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar en Grèce poème en prose »22. Mais elle aboutit elle aussi à un jugement positif en estimant que « “Marguerite Yourcenar a réussi à rendre dans une partie de ses traductions la voix de Cavafy qui diffère tellement de la sienne, mais qui parle de sensations et d’émerveillements qui étaient également les siens” »23. En participant au même colloque, Maria Orphanidou-Fréris24 met l’accent sur le fait que Marguerite Yourcenar, se fondant sur un texte lu et adapté par C. Dimaras et ne pouvant reconstituer le texte original, a été finalement amenée « à une nouvelle imagination ou plutôt à une réimagination des poèmes de l’écrivain grec »25. De toute façon, Marguerite Yourcenar est justifiée, selon Maria Orphanidou-Fréris, par quelques théoriciens du langage, tels André Lefevere et Henri Meschonnic, qui estiment que la poétique de la traduction se fonde sur le renouvellement et non sur un mot à mot. La même chercheuse grecque développe encore plus ses réflexions à propos de l’activité traductrice de Marguerite Yourcenar, d’un côté, dans un colloque plus récent encore se tenant à Thessalonique en 2000 et, de l’autre, dans un article figurant dans le dossier de la revue Le Lien Desmos consacré à Marguerite Yourcenar à l’occasion du vingtième anniversaire de sa mort. Dans sa communication, portant le titre, « Marguerite Yourcenar, traductrice de Cavafy du XXIe siècle ? »26, Maria Orphanidou-Fréris renforce encore plus le point de vue que la conception traductrice de Marguerite Yourcenar telle qu’elle apparaît à travers les poèmes de Cavafy est en avance sur son temps. Car la traduction yourcenarienne étant « sous le signe du sémiotisme qui efface le littéralisme »27, remplit du point de vue esthétique tout en respectant la poétique herméneutique cavafienne, « le rôle de ce que Jakobson entendait par “fonction poétique” »28. 22 André TOURNEUX, op. cit., p. 224. Christiane Odile PAPADOPOULOS, op. cit., p. 361, cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 224. 24 Maria ORPHANIDOU-FRÉRIS, « Traduire ou réimaginer Cavafy ? », Marguerite Yourcenar. Écriture, réécriture, traduction, op. cit., 2000, p. 333-342. 25 Ibid., p. 341, cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 225. 26 Maria ORPHANIDOU-FRÉRIS, « Marguerite Yourcenar, traductrice de Cavafy du XXIe siècle ? », Marguerite Yourcenar. Écrivain du XIXe siècle ? Actes du colloque international de Thessalonique, Université Aristote (2-4 novembre 2000), Georges FRÉRIS et Rémy POIGNAULT éd., Clermont-Ferrand, SIEY, 2004, p. 307-316. 27 Ibid., p. 314. 28 Ibid., p. 316. 23 127 Triantafyllia Kadoglou Dans l’opposition de Marguerite Yourcenar au littéralisme de son époque exigeant une traduction mot à mot et un respect de la forme et de la spécificité du style, dans le refus de celle-ci d’introduire des éléments étrangers dans sa propre langue, Maria Orphanidou-Fréris reconnaît une novatrice qui « attirera des lecteurs même au XXIe siècle, puisque sa création herméneutique ne vise pas uniquement à transmettre une information sur une expérience référentielle »29. Aussi, dans son article, sous le titre, « Yourcenar traductrice du grec »30, Maria Orphanidou-Fréris donne-t-elle à voir cet art de traduire yourcenarien, illustré à nouveau à travers la traduction des poèmes de C. Cavafy mais aussi à travers celle des grands poètes grecs anciens, présentée dans La Couronne et la Lyre (1979) : « anthologie proposant un voyage à travers la production lyrique grecque de l’époque d’Homère aux premiers temps de l’Empire byzantin »31. En soulignant encore la nouveauté remarquable de la conception traductrice de Marguerite Yourcenar opposée à toute traduction ethnocentrique de son temps, Maria Orphanidou-Fréris conclut que « ses traductions grecques ont été classées parmi les traductions qui font date, comme des créations à part entière […] »32. Du fait que Mémoires d’Hadrien paraît en 1951 et que peu après, en 1953, Marguerite Yourcenar conçoit l’idée d’une édition d’ensemble des poèmes de Cavafy, il y a parfois de la part des critiques une corrélation entre Cavafy et Hadrien. Toujours est-il que dans une lettre adressée à Robert Levesque, critique élogieux d’Hadrien, en février 1953, Marguerite Yourcenar fait ce rapprochement : « […]. Et j’avoue qu’en imaginant, un peu arbitrairement, une rencontre d’Hadrien et de Straton, je pensais à Cavafy et à ce qu’eût été une conversation entre l’auteur d’Animula et l’auteur des Jours de 1903 ou Les dieux désertent Antoine. En dépit des siècles qui les séparent, ces deux hommes se seraient, je pense, assez bien compris »33. 29 Ibid. Maria ORPHANIDOU-FRÉRIS, « Yourcenar traductrice du grec », Le Lien Desmos, nº 25, 2007, p. 31-33. 31 Ibid., p. 31. 32 Ibid., p. 33. 33 Lettre à Robert LEVESQUE du février 1953, dans D’Hadrien à Zénon, t. 1, p. 226-227, cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 142. 30 128 La réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar en Grèce Dans sa communication portant le titre Décadence et conception de l’histoire de Cavafy dans Mémoires d’Hadrien34 au colloque de Tours (1997), Georges Fréris donne à voir tous ces rapprochements possibles entre Mémoires d’Hadrien et Cavafy. Par de nombreuses questions concernant l’intérêt et les raisons de cet intérêt de la part de Marguerite Yourcenar pour le poète grec, Georges Fréris remarque : « “Yourcenar découvre chez Cavafy que l’abaissement et la défaite des mythes s’inscrivent dans la trajectoire transhistorique du temps, qu’ils ne résultent pas de l’ère contemporaine” »35. Ce qu’elle cherche à trouver, signale-t-il, par l’écriture poétique et le voyage dans l’espace-temps, ce sont le sens et l’expérience de vie tout comme une sorte d’humanisme universel qui lui permettront de « “comprendre le monde, [de] s’ouvrir à toutes formes de cultures” »36 et de civilisations. Et dans cette perspective, « la ville d’Alexandrie “cité grecque, romaine et égyptienne, voire orientale” est tout à fait symbolique »37. Actuellement le nom de Marguerite Yourcenar figure dans la presse hellénique comme point de référence à d’autres traductions38 des poèmes de Cavafy faites très récemment en français, en allemand et en anglais. Un article de Marie Papayiannidou39 paraît dans ΤΟ ΒΗΜΑ en novembre 1999 à l’occasion de la publication, la même année, de la traduction de Cavafy de 34 Georges FRÉRIS, « Décadence et conception de l’histoire de Cavafy dans Mémoires d’Hadrien », Marguerite Yourcenar. Écriture, réécriture, traduction, op. cit., 2000, p. 6575. 35 Ibid., p. 69, cité par André TOURNEUX, op. cit., p. 228. 36 Ibid., p. 73, cité par André TOURNEUX, op. cit. 37 Ibid., cité par André TOURNEUX, op. cit. 38 Les traductions moins récentes de Cavafy en français sont les suivantes : Constantin CAVAFY, Poèmes. Traduits du grec par Théodore GRIVA précédés d’une étude d’Edmond JALOUX et avant-propos de Mario MEUNIER. Lausanne, Abbaye du Livre, 1947 ; Poèmes de Cavafy, traduits par Robert LEVESQUE, Cahiers du sud, 1948 (il s’agit des traductions partielles). C. P. Cavafy, Poèmes. Traduits par Georges PAPOUTSAKIS. Préface d’André MIRABEL, Paris, Les Belles Lettres, 1958 (Publié un mois avant la parution de l’ouvrage de Marguerite Yourcenar et de Constantin Dimaras), réédition 1979 ; Poèmes anciens ou retrouvés, traduction de Gilles ORLIEB et Pierre LEYRIS, Seguers, 1978 ; Œuvres Poétiques, traduits par Socrate ZERVOS et Patricia PORTIER, éd. de l’Imprimerie Nationale, 1992. 39 Μαρία ΠΑΠΑΓΙΑΝΝΙΔΟΥ, «Γέννηση στον Gallimard», To BHMA online, Κυριακή 28 Νοεµβρίου 1999, code de l’article : Β127715061, ID : 193522, p. S06. C’est moi qui traduis. 129 Triantafyllia Kadoglou Dominique Grandmont40. En soulignant la réception chaleureuse de l’ouvrage, Maria Papayiannidou se réfère aux critiques faites par le Soir et la Quinzaine Littéraire qui caractérisent successivement la traduction de Dominique Grandmont comme supérieure à celle de Marguerite Yourcenar. Aussi résume-t-elle la conception traductrice de Dominique Grandmont sans se rapporter à celle de Marguerite Yourcenar. À l’occasion d’une nouvelle traduction de Cavafy en allemand faite par Joerg Schaefer41 en 2003, Spyros Moskovou42, traducteur et directeur du programme hellénique de Deutsche Welle, donne à voir, dans le même journal, en mars 2004, à travers une révision traductrice, l’acception allemande de la poésie cavafienne. Dans cette tentative, il aboutit à la conclusion que les traductions cavafiennes suivent deux tendances fondamentales. La première est la traduction en prose telle que Marguerite Yourcenar la tente en français et Robert Elsie en allemand. Cette espèce de traduction, conclut-il, permet au poète grec de parler simplement et clairement comme parlerait un monsieur cultivé, méditatif et parfois mordant en buvant son thé dans la pâtisserie Pastroudi d’Alexandrie. La seconde est la transposition « poétique » qui est plutôt vouée à l’échec parce qu’elle méconnaît des paramètres essentiels du style cavafien. Spyros Moskovou considère comme valable la traduction de Joerg Schaefer qui cherche, selon lui, à garder, entre les deux tendances, un juste milieu mais sas aboutir définitivement. Enfin, en 2004, une nouvelle traduction de Cavafy43 en anglais, réalisée par Stratis Chaviaras, précédée d’une préface de Seamus Heaney et d’une introduction de Manolis Savidis, est le motif du dernier article paru en mai 2004, dans Καθηµερινή. Dionysis Kapsalis44 se réfère ici aux points de vue 40 Constantin CAVAFIS, Poèmes. Préface, traduction et notes de Dominique GRANDMONT, Gallimard, 1999. 41 Konstantin KaAVAFIS, Das Hauptwerk. Uebersetzt und kommentiert von Joerg Schaefer, Heidenburg, Winter, 2003. 42 Σπύρος ΜΟΣΚΟΒΟΥ, «Από την εποχή του χαλκού στην καβαφική Αλεξάνδρεια», To BHMA online, Κυριακή 21 Νοεµβρίου 2004, code de l’article : Β141215071, ID : 261691, p. S07. 43 C. P. CAVAFY : « THE CANON ». Préface of Seamus HEANEY. Introduction of Manolis SAVIDIS. Hermes, 2004. 44 Διονύσης ΚΑΨΑΛΗΣ, «Ο Κ.Π. Καβάφης σε ξένη γλώσσα – µια νέα µετάφραση στα αγγλικά του έργου του Αλεξανδρινού ποιητή από τον Στρατή Χαβιάρα», Καθηµερινή, Τρίτη 25 Μαΐου 2004, news.Kathimerini.gr/4dcgi/warticles civ 623032 25/05/2004 130 La réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar en Grèce des deux nobelistes Seamus Heaney et Joseph Brodsky qui confirment tous les deux que les poèmes de Cavafy persuadent tellement qu’ils résisteraient même à une traduction en prose. Dionysis Kapsalis mentionne la traduction en prose de Marguerite Yourcenar et de Constantin Dimaras en soutenant, tout comme Seamus Heaney, qu’elle sauve une partie importante du charme cavafien. Il existe deux traductions en grec de Présentation critique de Constantin Cavafy, celle de Michel Pieridis en 1963 et celle de J. P. Savidis en 198345. Ioanna Hadjinikoli, la traductrice principale en grec et éditrice de Marguerite Yourcenar, a fait connaître son œuvre en Grèce. Fascinée par « la réception de la Grèce dont témoigne [l’œuvre] de Marguerite Yourcenar […] »46 lorsqu’elle a découvert Mémoires d’Hadrien, Ioanna Hadjinikoli traduit successivement ses livres en admirant chez elle « “son regard qui avec la plus pénétrante clarté se pose sur la vie, enveloppant avec la plus vaste compassion les choses humaines” », en respectant aussi chez elle toujours et « “constamment le rythme de sa voix” »47. À l’exception de son rôle de traductrice et d’éditrice, Ioanna Hadjinikoli devient et demeure à vie une très bonne amie de Marguerite Yourcenar qui finit par inscrire son nom parmi « “les gens de bonne volonté rencontrés en route” »48. Elle constitue d’ailleurs « la compagnie apaisante »49 de l’académicienne pendant son dernier voyage en Grèce en 1983, qui ne lui rappelle plus rien de la Grèce d’antan où elle a vécu, près d’un demi-siècle plus tôt. Outre Ioanna Hadjinikoli qui est la traductrice essentielle de l’œuvre yourcenarienne, à la maison d’édition qui porte son nom, on citera aussi 104757. 45 ΓΙΟΥΡΣΕΝΑΡ Μαργαρίτα, Κριτική Παρουσίαση του Κωνσταντίνου Καβάφη, Ανέκδοτα πεζά κείµενα. Εισαγωγή και µετάφραση Μιχάλη ΠΙΕΡΙΔΗ, Αθήνα, Φέξης, 1963. ΓΙΟΥΡΣΕΝΑΡ Μαργαρίτα, Κριτική Παρουσίαση του Κωνσταντίνου Καβάφη. Μετάφραση Γ.Π. ΣΑΒΒΙΔΗΣ, Αθήνα, Χατζηνικολή, 1983. 46 Bérangère DEPREZ, « “Ces souvenirs qui sont miens” – Traces grecques de soi dans Mémoires d’Hadrien », Le Lien Desmos, nº 25, 2007, p. 21. 47 Achmy HALLEY, « Yourcenar et la Grèce », ibid., p. 12. 48 Achmy HALLEY, « Marguerite Yourcenar, Grecque par-delà la Grèce », op. cit., 2004, p. 26. 49 Voir « Le Livre d’adresse ». Les Trente-trois noms de Dieu, édition établie et présentée par Achmy HALLEY, Montpellier, Fata Morgana, 2003, p. 21-26, cité par Achmy HALLEY, « Marguerite Yourcenar, Grecque par-delà la Grèce », op. cit. 131 Triantafyllia Kadoglou Catherine Zarakosta50 qui a traduit en 1980 Le Coup de grâce (réédition en 2000) et Thérèse St. Panayiotou51 qui a traduit en 2002 Denier du rêve et en 2006 le premier tome du Théâtre qui comprend : a) Rendre à César (Τα του Καίσαρος τω Καίσαρι), b) La Petite sirène (Η Μικρή γοργόνα) c) Le Dialogue dans le marécage (Διάλογος στο βάλτο). La traduction du deuxième tome qui comprend : a) Électre ou la Chute des masques (Ηλέκτρα ή η πτώση των προσωπείων), b) Le Mystère d’Alceste (Tο Μυστήριο της Άλκηστης), c) Qui n’a pas son Minotaure ? (Ποιος δεν έχει το µινώταυρό του;), est effectuée par Ioanna Hadjinikoli. Il s’agit de la publication la plus récente des Éditions Hadjinikoli concernant Marguerite Yourcenar. De plus celle-ci figure dans une œuvre collective parue encore plus récemment en 2007 aux Éditions Ermias52. La traduction en grec, d’une manière progressive, presque de l’ensemble de l’œuvre yourcenarienne prouve que cette auteure, Grecque par-delà la Grèce53, touche de plus en plus, non seulement le cœur des lecteurs avertis mais aussi du grand public grec54. En outre, des théâtres grecs montent des pièces de Marguerite Yourcenar ou des pièces inspirées par celle-ci. En effet, en 1987 le Centre Culturel Théâtre Libre (Πολιτιστικό Κέντρο Ελεύθερο Θέατρο/ΠΟ.Κ.Ε.Θ.) monte la présentation « Pièces en un acte » jouant, entre autres, Clytemnestre de Marguerite Yourcenar – texte théâtralisé par Marie Bakopoulou. Th. Espiritou met en scène, en 1992, La Petite sirène de Marguerite 50 YOURCENAR Marguerite (1980), Η χαριστική βολή, Αθήνα, Χατζηνικολή, Μετάφραση Κατερίνα ΖΑΡΟΚΩΣΤΑ, 1980, rééd. 2000. 51 YOURCENAR Marguerite, Ο Οβολός του ονείρου, Αθήνα, Χατζηνικολή, Μετάφραση Τερέζα Στ. ΠΑΝΑΓΙΩΤΟΥ; 2002. Marguerite YOURCENAR, Θέατρο (Τόµος 1), Αθήνα, Χατζηνικολή, Μετάφραση Τερέζα Στ. ΠΑΝΑΓΙΩΤΟΥ, 2006. 52 Συλλογικό έργο, FRANCE Anatole, ARAGON Louis, BALZAC Honoré de, BLEYS Olivier, CASANOVA Giacomo, CHATEAUBRIAND François René de, COLETTE SIDONIE Gabrielle, DUMAS Alexandre 1802-1870, FLAUBERT Gustave, GAUTIER Théophile, GIONO Jean, MALLARMÉ Stéphane, MAUROIS André, MÉRIMÉE Prosper, NERVAL Gérard de, PROUST Marcel, SADE Louis Aldonze Donatien Comte de, TOURNIER Michel, VOLTAIRE, YOURCENAR Marguerite, ZOLA Émile, κ.ά., Οι γεύσεις στη λογοτεχνία : Γαλλία, Αθήνα, Ερµείας, 2007. 53 Achmy HALLEY, « Marguerite Yourcenar, Grecque par-delà la Grèce », op. cit., p. 9. 54 J’ai été agréablement étonnée quand en feuilletant un de ces magazines consacrés à l’actualité, j’ai lu à la question posée, quels livres accompagneront-ils vos vacances ?, la réponse d’un des lecteurs qui disait qu’il voudrait compléter ses lectures concernant l’œuvre de Marguerite Yourcenar avec l’essai Mishima ou la Vision du vide. 132 La réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar en Grèce Yourcenar, une pièce montée par le Théâtre de Mars et subventionnée par le Ministère de la Civilisation. Cette même pièce mise en scène par Th. Espiritou et sous l’égide des Théâtres Municipaux de Kozani et de Naoussa, est également jouée dans ces villes en 1997 et en 1998 respectivement . En 2002, dans le cadre de l’Olympiade culturelle, le metteur en scène Peter Stein interprète également le monologue de Marguerite Yourcenar montant à Épidaure Clytemnestre. D’autre part, en 2003, l’adaptation théâtrale de Mémoires d’Hadrien – un spectacle « conçu au printemps 1989 par Maurizio Scaparro, alors directeur du Teatro di Roma, en collaboration avec Jean Launay et représenté pour la première fois le 31 juillet à la Villa Adriana, où il est repris chaque été depuis 2003 »55 – est présentée à Athènes à l’odéon d’Hérode Atticus. Un article de Vassilis Angelikopoulos sur ce spectacle paraît dans Kathimerini (en version anglaise), sous le titre «''Mémoires d’Hadrien'' on stage»56. En outre, une adaptation théâtrale en grec de Feux est organisée et présentée, la même année, à Mycènes, par Nikos Sakalidis.57 Encore plus récemment en octobre 2006 et en mars 2007, le groupe théâtral KINITIRAS monte Clytemnestre invisible (Κλυταιµνήστρα Αόρατη). Antigone Gyra qui signe la mise en scène de ce choréspectacle, crée sa propre Clytemnestre dont l’attitude face à la vie repose sur des textes de Marguerite Yourcenar, de J. Ritsos, de C. Cavafy, de J. Kampanelis, de D. Zagora et sur des témoignages anonymes de femmes avec l’autorisation d’Amnesty International. Il y a d’autres chercheurs ou écrivains grecs contemporains inspirés par Marguerite Yourcenar et son œuvre. En effet, l’auteur Kostas Akrivos publie en 2003 un recueil de neuf nouvelles sous le titre Balle sur le sein58 (Σφαίρα στο βυζί). Dans son effort de dépister la relation profonde entre l’amour et l’écriture, il y décrit certaines des plus grandes personnalités de la mythologie, de l’histoire et de la littérature, parlant à la première personne de leur vie sexuelle secrète, 55 François BONALIFIQUET, Réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar – Essai de bibliographie chronologique (1995-2006), Clermont-Ferrand, SIEY, 2007, p. 7. 56 Vassilis ANGELIKOPOULOS, « “Mémoires d’Hadrien” on stage », Kathimerini (version anglaise-Greece), 27/3/2003. 57 Fires, compagnie Argolis cultural and sports organisation, par Nikos SAKALIDIS, Mycenes, 4 septembre 2003. 58 Κώστας ΑΚΡΙΒΟΣ, Σφαίρα στο βυζί, Αθήνα, Κέδρος, 2003. 133 Triantafyllia Kadoglou s’autoanalysant à travers un discours direct et intrinsèque lié absolument à l’époque de chacun. Parmi les grands monstres sacrés de la littérature, l’auteur grec choisit entre autres Marguerite Yourcenar, faisant émerger à travers un discours fabuleux, la disposition poétique suggestive yourcenarienne, dépliée à travers le rôle que l’homosexualité et la bissexualité ont joué dans la vie et l’œuvre de l’académicienne. En outre, le 23 novembre 2007, à Paris, Unesco Culture Heritage and Diversity attribue le Prix International à la chercheuse grecque Barbara Douka pour son travail théorique et pratique à la fois sur l’anthropologie théâtrale et spécialement sur la Lamentation et la Tragédie Grecque. Plus précisément sa dernière recherche, sous le titre, Tradition Grecque et Lamentation – Ritual Lament and Greek Tragedy – commencée en 1999 et appliquée aux extraits des tragédies sur la scène de plusieurs théâtres, aux séminaires internationaux ou aux programmes européens, sur Internet et ailleurs – est basée sur des textes de Marguerite Yourcenar, de J. Ritsos, de J. Kampanelis et autres. D’autre part, dans la presse journalistique hellénique, il y a très souvent des références témoignant de la grande réception de Mémoires d’Hadrien en Grèce. Le professeur d’Ethnomusicologie de l’Université d’Athènes et directeur du Musée d’Instruments de Musique Traditionnels Grecs, Labros Liavas59 présentant dans un article les modèles helléniques de l’art musical, emprunte, par exemple, aux paroles d’Hadrien : à la place des livres qui représentaient pour celui-ci ses « premières patries »60 (MH, p. 43), il met mutatis mutandis les disques, ces livres sonores comme il les appelle, où l’univocité des mots est rebaptisée dans la polysémie de la musique pour accepter de multiples lectures-auditions. Aussi, à partir de la phrase d’Hadrien, « presque tout ce que les hommes ont dit de mieux a été dit en grec » (MH, p. 45), il renvoie à l’étymologie grecque du mot musique, passant successivement dans plusieurs langues du monde. En présentant également le dernier livre, portant le titre Les Cimetières de la Grèce (Ελλάδος Κοιµητήρια) du folkloriste grec Elias Petropoulos61, 59 Λάµπρος ΛΙΑΒΑΣ, «Τα ελληνικά πρότυπα της µουσικής τέχνης», Στυξ, 10 Αυγούστου 2007. 60 Toutes les citations de Mémoires d’Hadrien renvoient à l’éd. Gallimard, coll. Folio, 1988. 61 Ηλίας ΠΕΤΡΌΠΟΥΛΟΣ, Ελλάδος κοιµητήρια, Αθήνα, Κέδρος, 2005. 134 La réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar en Grèce Démosthène Kourtovik62 le compare à Hadrien. Car, d’après lui, concentrant durant quatre décennies des informations à propos de la culture grecque de la mort, étant également malade lui-même, cet Hérodote du folklore contemporain hellénique se prépare pour le voyage dans la mort, tout comme Hadrien : « Tâchons d’entrer dans la mort les yeux ouverts… » (MH, p. 316). Outre les articles concernant l’activité traductive yourcenarienne mentionnés ci-dessus, il y a ceux qui informent le public grec sur des livres ou des biographies de Marguerite Yourcenar traduits en grec. Lory Keza63 signe deux articles consacrés à Marguerite Yourcenar, l’un sur son livre autobiographique Quoi ? L’Éternité ?, et l’autre sur la publication de sa biographie par Josyane Savigneau64 traduite aussi en grec par Ioanna Hadjinikoli. Aristomenis Kalkavouras65 consacre également un article à la mémoire de Marguerite Yourcenar à l’occasion du centenaire de sa naissance. Aussi y mentionne-t-il la publication d’honneur à propos de cet anniversaire aux éditions Gallimard : Marguerite Yourcenar, Du Mont-Noir aux Monts-Déserts66. Dès la parution de la traduction en grec de Denier du rêve, aux Éditions Hadjinikoli, Ar. Ellinoudi67 saisit l’occasion pour donner la dimension politique de cet ouvrage caractérisé comme le premier roman anti-fasciste dans l’Europe occidentale, comme une allégorie caustique qui donne à voir l’absurdité tragique du fascisme. Du côté des interprétations critiques, il y a dans les milieux universitaires des chercheurs grecs en Grèce ou à l’étranger qui étudient l’œuvre de Marguerite Yourcenar. À l’exception des critiques rapportées ci-dessus concernant la traduction, leurs analyses, comparatives dans leur ensemble, 62 Δηµοσθένης ΚOYΡΤΟΒΙΚ, «Ρέκβιεµ για τον Ηρόδοτο της λαογραφίας», ΤΑ ΝΕΑ, 13/5/2006. 63 Λώρη ΚEΖΑ, «ΜΑΡΓΚΕΡΙΤ ΓΙΟΥΡΣΕΝΑΡ – Το κενό και το αιώνιο», ΤΟ ΒΗΜΑ online, Κυριακή 2η Αυγούστου 1997, code de l’article : Β124435161, ID : 28894, p. S16 ; Λώρη ΚΕΖΑ, «Βιβλιογραφίες ή αδιακρισίες;», ibid., Κυριακή 4 Αυγούστου 1996, code de l’article : Β12388Β021, ID : S17, p. B02. 64 Josyane SAVIGNEAU, op. cit. Josyane SAVIGNEAU, Μαργκερίτ Γιουρσενάρ, Η επινόηση µιας ζωής, Αθήνα, Χατζηνικολή, Μετάφραση Ιωάννα Χατζηνικολή. 65 Αριστοµένης ΚΑΛΚΑΒΟΎΡΑΣ, «Επέτειος – Στην τροχιά της Αθανασίας», ΤΟ ΒΗΜΑ online, Κυριακή 24 Αυγούστου 2003, code de l’article : Β13946S051, ID : 257276, p. S05. 66 Marguerite YOURCENAR, Du Mont-noir aux Monts-Déserts, Paris, Gallimard, 2003. 67 Αρ. ΕΛΛΗΝΟΥΔΗ «Η τραγική γελοιότητα του φασισµού», www2.rizospastis.gr/column Page.do? publDate=31/8/2003&columnld=81. 135 Triantafyllia Kadoglou font voir l’universalité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar, inhérente soit à son esprit diachronique soit à sa conception humaniste helléniste. En effet, lors d’un récent colloque (Thessalonique, 2000), Z. I. Siaflekis68 révèle une autre dimension de l’universalité yourcenarienne localisée dans les mythes et l’histoire enfin dans la culture. À travers une lecture comparée entre Marguerite Yourcenar et Alexandre Papadiamandis, il projette l’actualisation du fantastique, émergeant d’une « écriture qui articule la conscience individuelle et la tradition collective »69. Dionysis Kapsaskis montre en comparaison avec Tomas Mann, Honoré de Balzac et Marcel Proust tout comme avec les courants littéraires et critiques de son temps, le réalisme de Marguerite Yourcenar qui refuse « de traiter le problème de la représentation comme problème épistémologique et continue la recherche d’une solution qui rende compte de l’“essentiel” – d’où son intérêt constant pour la cause humaniste »70. Au cours du même colloque Christian Papas fait également émerger le réalisme visionnaire très postmoderne de Marguerite Yourcenar, emprunté aux peintres visionnaires réalistes et appliqué par celle-ci dans son Labyrinthe du monde en nous transmettant ainsi « une vision à la fois grandiose et pessimiste du monde, dans son sens large, c’est-à-dire comprenant le règne végétal, animal et humain »71. Plus récemment encore (Cluj, Arcalia, Sibiu, 2003), Dionysis Kapsakis72 tente une approche philosophique de l’œuvre yourcenarienne parallèlement à celle de Heidegger, en montrant que « tous les deux adoptent instinctivement 68 Z. I. SIAFLEKIS, « Marguerite Yourcenar dans le sillage du conte fantastique : l’homme qui a aimé les Néréides, Notre-Dame-des-Hirondelles et sous le chêne royal d’Alexandre Papadiamandis (1851-1911) », dans Marguerite Yourcenar. Écrivain du XIXe siècle ?, op. cit., 2004, p. 375-388. 69 Ibid., p. 388. 70 Dionysis KAPSASKIS, « Réalisme et limites de la représentation dans la pensée critique de Marguerite Yourcenar », dans Marguerite Yourcenar. Écrivain du XIXe siècle ?, op. cit., p. 255. 71 Christian PAPAS, « Yourcenar, écrivain post-moderne ? », ibid., p. 317. 72 Dionysis KAPSASKIS, « Remarques préliminaires au sujet du cosmopolitisme dans la pensée “antimoderniste” de Marguerite Yourcenar », Marguerite Yourcenar. Citoyenne du monde. Actes du colloque international de Cluj, Arcalia, Sibiu, 8-12 mai 2003, Maria VODA CAPUSAN, Maurice DELCROIX et Rémy POIGNAULT éd., Clermont-Ferrand, SIEY, 2006, p. 183-190. 136 La réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar en Grèce un point de vue anti-moderniste et conservateur »73 à la fois. Mais il remarque que l’opposition entre la tradition et le cosmopolitisme, le fait de « distinguer ontologiquement entre les deux, comme le faisait Heidegger c’est retomber dans l’erreur de la métaphysique »74. Par contre, chez Yourcenar « au cœur de la tradition métaphysique nous trouverons ce qui la fait éclater : le sujet fragmenté, l’homme cosmopolite »75. À travers une présentation critique comparative entre Marguerite Yourcenar et Selma Lagerlöf, une auteure suédoise que Yourcenar a admirée toute sa vie, Ioanna Konstandulaki-Chantzou (Thessalonique 2000) conclut que ces deux femmes écrivains, distinguées pour leur humanisme et leur universalité, honorent « les lettres européennes en rappelant la notion et la valeur de l’esprit européen authentique que l’on a quelque peu tendance à oublier aujourd’hui »76. Par un rapprochement entre Marguerite Yourcenar et Rimbaud, Hélène Skoura (Thessalonique 2000) fait aussi émerger « les réseaux ésotériques qui unissent ces deux créatures, lesquelles pendant deux périodes différentes ont réussi à poétiser leur réalité quotidienne »77. Les analyses de Christiane Papadopoulos78 (Tenerife 1993) et de Georges Fréris (Thessalonique 2000) ne suivent pas une méthode critique comparative. En effet, Christiane Papadopoulos dépiste « la présentation de la Grèce à différentes époques » dans les textes de Yourcenar sur Pindare et Cavafy, se proposant également de montrer « si et jusqu’à quel point l’image de la Grèce de Yourcenar est influencée par des préjugés […] »79. Elle aboutit à l’idée que « la présentation des poèmes de Cavafy comporte quelques jugements assez sévères, qui […] sont proches de préjugés » ; ce 73 Ibid., p. 190. Ibid., p. 188. 75 Ibid., p. 190. 76 Ioanna KONSTADULAKI-CHANTZOY, « Selma Lagerlöf-Marguerite Yourcenar : un diptyque européen », Marguerite Yourcenar, Écrivain du XIXe siècle ?, op. cit., 2004, p. 106. 77 Hélène SKOURA, « Arthur Rimbaud – Marguerite Yourcenar : affinités électives », ibid., p. 389. 78 Christiane PAPADOPOULOS, « L’image de la Grèce dans les présentations de Pindare et de Kavafis de Marguerite Yourcenar : jugements ou préjugés ? », L’Universalité dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar (volume 2), Actes du colloque international de Tenerife (novembre 1993), Maria José VÁZQUEZ DE PARGA et Rémy POIGNAULT éd., Tours, SIEY, 1995, p. 59-69. 79 Ibid., p. 60. 74 137 Triantafyllia Kadoglou qui est dû au fait que « la Grèce moderne est quasiment absente de son essai et que les années trente grecques de Yourcenar n’y ont pas laissé de trace, tout ceci indice d’un certain malaise de l’auteur devant cette période de sa vie »80. Georges Fréris de son côté se basant sur l’esthétique de la réception de Hans Robert Jauss, montre, à travers Mémoires d’Hadrien, que « le “moi” devient à son tour dépositaire d’une mémoire collective »81. Dans cette perspective, il donne à voir la valeur universelle de cette œuvre, faisant émerger de « ce quiproquo continuel du “je” narrateur, d’Hadrien, acteur de l’Histoire et de Marguerite Yourcenar, écrivain du récit »82, un discours autocritique, bref « le discours sur l’histoire universelle que le narrateur déploie de façon permanente tout au long du récit »83. Dans un article paru tout dernièrement dans la revue franco-hellénique Le Lien Desmos84, Georges Fréris revient à ce même sujet étudié antérieurement par Christiane Papadopoulos : « l’image que se fait un écrivain étranger de la Grèce, d’après son expérience personnelle, ses relations, ses lectures »85. Celui-ci, contrairement à Christiane Papadopoulos, localise des éléments de la tradition néo-hellénique dans trois des dix nouvelles du recueil qui se rapportent à la Grèce contemporaine : L’Homme qui a aimé les Néréides, Notre-Dame-des-Hirondelles et La Veuve Aphrodissia. Et même il y décèle « l’influence d’Embiricos dont les théories psychanalytiques font discerner derrière chaque mythe l’écho d’un état d’âme, le comportement naturel de l’homme primitif loin de la logique imposée par la société »86. Dans cette catégorie non comparative s’inscrit aussi ma propre étude critique sur Alexis87 qui élabore la relation de Marguerite Yourcenar avec la psychanalyse et fait émerger, à travers différentes théories psychanalytiques 80 Ibid., p. 69. Georges FRÉRIS, « L’esprit décadent du XIXe siècle et l’angoisse du XXIe siècle dans Mémoires d’Hadrien », Marguerite Yourcenar. Écrivain du XIXe siècle ?, op. cit., 2004, p. 183. 82 Ibid., p. 190. 83 Ibid., p. 191. 84 Dans la dernière édition de cette revue, il y a un dossier dirigé par Achmy HALLEY, sous le titre Yourcenar et la Grèce, Le Lien Desmos, op. cit., p. 7-44. 85 Ibid., p. 27. 86 Ibid., p. 28. 87 Cf. Triantafyllia KADOGLOU, « Alexis ou Le Traité du vain combat : la projection de l’archétype maternel », Bulletin de la SIEY, nº 26, 2005, p. 19-36. 81 138 La réception de l’œuvre de Marguerite Yourcenar en Grèce de Freud, de Jung, de Lacan, des femmes-analystes…, la projection de l’archétype maternel repéré, du point de vue psychologique, à l’origine de l’homosexualité du héros. Au niveau des recherches-rencontres, il faut noter trois colloques, le premier, organisé à Thessalonique en 2000 par le Laboratoire de Littérature Comparée de l’Université Aristote de Thessalonique et la Société Internationale d’Études Yourcenariennes et dont les communications ont été publiées sous le titre, Marguerite Yourcenar. Écrivain du XIXe siècle ? Actes du colloque international de Thessalonique, Université Aristote (2-4 novembre 2000), éd. Georges FRÉRIS et Rémy POIGNAULT, ClermontFerrand, SIEY, 2004 ; le deuxième, organisé à l’Université d’Athènes en 2003 à l’occasion de l’anniversaire du centenaire de la naissance de Marguerite Yourcenar ; le troisième, à Andros en 2004, à propos de la revue touristico-littéraire Le Voyage en Grèce, organisé par l’École française d’Athènes et dont les communications ont été éditées sous le titre, Le Voyage en Grèce (1934-1946). Actes du colloque international de l’École française d’Athènes, 23-26 septembre 2004, Athènes, École française d’Athènes 2006. Dans le cadre de ce colloque, Marguerite Yourcenar est référée parmi les auteurs qui ont collaboré avec la revue ci-dessus, édifiant une arche incomparable en hommage à la civilisation hellénique, de l’Antiquité à l’époque contemporaine. En décembre 2007, à Athènes, une table ronde a été organisée par l’Institut Français d’Athènes et la revue Desmos : La Grèce, l’autre patrie de Marguerite Yourcenar. Il y a, en outre, au moins à ma connaissance, un Mémoire de D. E. A. sur Alexis ou Le Traité du vain combat présenté à l’Université Aristote de Thessalonique88. Enfin, il faut également noter qu’actuellement, Marguerite Yourcenar, même si elle est la première femme élue à l’Académie française, est très peu étudiée dans l’Université française. Car les critiques littéraires d’aujourd’hui « ne veulent voir dans les écrivains du XXe siècle que ceux qui reflètent le progrès et la modernité et ceux qui ont mis l’accent sur la rupture avec le XIXe siècle »89. Dans cette perspective, Marguerite Yourcenar est « souvent 88 Fotini TILIAKOU, L’Espace intérieur et le monde dans Alexis ou le Traité du vain combat de Marguerite Yourcenar : être et faire, Janvier 2000, Mémoire de D. E. A., Université Aristote de Thessalonique. 89 Christian PAPAS, « Yourcenar, écrivain post-moderne ? », Marguerite Yourcenar. Écrivain du XIXe siècle ?, op. cit., 2004, p. 317. 139 Triantafyllia Kadoglou liquidée dans les anthologies du XXe siècle en quelques lignes à propos des Mémoires d’Hadrien, signalant son classicisme et son académisme »90. Contrairement à cette tendance existant dans les universités françaises, Marguerite Yourcenar est actuellement étudiée dans les universités grecques. Elle est enseignée au département français de l’Université d’Athènes et même des textes intégraux de celle-ci. Mais ce qui est étonnant, c’est qu’elle est enseignée au département français de l’Université Aristote de Thessalonique dans le cadre d’un cours optionnel intitulé Le Nouveau Roman examinant les romans français après la Deuxième Guerre Mondiale, ainsi que les courants sociaux, politiques et littéraires qui ont influencé sa production. Malgré son opposition ou son mépris même « vis-à-vis des expériences quelque peu stériles du Nouveau Roman […] »91, Marguerite Yourcenar y est enseignée côte à côte avec Queneau, Robbe-Grillet, Pinget, Sollers, Le Clezio, Tournier… Cela montre que Marguerite Yourcenar a commencé à être révisée et classée, comme il a d’ailleurs été prouvé par plusieurs chercheurs au colloque de Thessalonique, parmi les écrivains modernes, et que « par ses procédés d’écriture elle se révèle très novatrice et annonce peut-être le post-modernisme culturel du XXIe siècle »92. Dans cette optique, elle est également enseignée à la Faculté des Lettres de l’Université de Crète. Dans le cadre d’un cours intitulé Les aspects du roman historique dans la littérature hellénique et européenne du XXe siècle, est dépistée, à travers Mémoires d’Hadrien, la proposition réformiste de Marguerite Yourcenar. Or, il est indéniable que Marguerite Yourcenar, étant au fond, comme le disait son amie et traductrice en Grèce, Ioanna Hadjinikoli, « une grande poétesse grecque qui écrivait en français »93, traverse le temps, touchant de plus en plus non seulement le cœur des lecteurs avertis mais aussi du grand public grec. 90 Ibid. Ibid. 92 Ibid., p. 323. 93 Bérangère DEPREZ, « Traces grecques de soi dans Mémoires d’Hadrien », Le Lien Desmos, op. cit., 2007, p. 24. 91 140