Discours de re´ception de Marguerite Yourcenar a` lAcade´mie

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Discours de réception de Marguerite Yourcenar à l’Académie Française
« [...]] Par beaucoup de traits, Marguerite Yourcenar, qui
n’était pas croyante, se rapproche beaucoup des saints.
Elle était grande comme eux, insupportable comme eux,
digne comme eux de toutes les admirations. »
–
Jean d’Ormesson
Marguerite Yourcenar est une grande
dame de la littérature francophone. Auteur célèbre
pour ses romans et ses nouvelles « humanistes »
ainsi que pour ses récits autobiographiques, elle
s’illustre également dans les domaines de la
poésie, de la traduction, de la philosophie et de la
critique.
Grande
voyageuse,
femme
libre,
plus
intéressée par les enjeux esthétiques et la
recherche de la sagesse que par l’engagement
politique, Marguerite Yourcenar est l’auteur d’une
œuvre audacieuse qui s’impose à contre- courant
de la littérature de son époque.
Élue par l’Académie française, elle est, en
1980, la première femme à y siéger (au fauteuil n°
3). Sa candidature suscita d’ailleurs une vive
polémique
au
académicien.
sein
du
milieu
littéraire
et
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1. Sa vie, son œuvre
Marguerite Cleenewerck de Crayencour est née le 8 juin 1903, à Bruxelles. Elle est
élevée par son père dans le foyer de sa grand-mère paternelle, sa mère étant décédée dix
jours après sa naissance. La jeune fille reçoit une éducation humaniste extrêmement
riche par son père, un anticonformiste et un grand voyageur. L’influence du père de
Marguerite sur son œuvre littéraire sera fondamentale. Son premier poème dialogué, Le
Jardin des chimères, est publié à compte d’auteur (financé par son père) en 1921 et signé
« Yourcenar », anagramme de « Crayencour » (à l’omission d’un C) qu’elle prit pour nom
de lettres et qui deviendra son patronyme légal en 1947, lors de sa naturalisation
américaine.
En 1929, Marguerite Yourcenar publie son premier roman,
Alexis ou le Traité du vain combat, inspiré de la vie d’André
Gide. Le style est précis, froid et classique : il s’agit d’une
longue lettre dans laquelle un homme confie à son épouse son
homosexualité et sa décision de la quitter par souci de vérité et
de franchise. Après le décès de son père en 1929, Marguerite
mène une vie de bohème entre Paris, Lausanne, Athènes, les
îles grecques, Constantinople, Bruxelles, … Elle s’éprend
d’amour pour des femmes et pour André Fraigneau,
homosexuel. Elle publie les Nouvelles orientales, échos de ses
voyages, et Feux, composé de textes d’inspiration mythologique
ou religieuse et entrecoupé d’apophtegmes (préceptes), où
l’auteur traite le thème du désespoir amoureux et des
souffrances sentimentales.
En 1939, elle manque d’argent et l’Europe s’agite dangereusement : elle part pour les
Etats-Unis rejoindre Grace Frick, avec qui elle vécut jusqu’à la mort de celle-ci, en 1979. Les
deux femmes s’installent à partir de 1950 sur l’île des Monts Déserts et nomment leur
maison « Petite-Plaisance ». Yourcenar y passera le reste de sa vie. Citoyenne américaine
en 1947, elle enseigne la littérature française et l’histoire de l’art à l’université jusqu’en 1953.
Son roman Mémoires d’Hadrien, publié en 1951, connaît un succès mondial et lui permet
d’entrer à l’Académie Française. L’auteur dit avoir longtemps hésité, pour le choix de son
sujet, entre l’Empereur Hadrien et le mathématicien-philosophe Omar Khayyam. Yourcenar
lisait couramment le grec et le latin et connaissait parfaitement les textes antiques. Pour la
rédaction des Mémoires d’Hadrien, elle s’obligea à lire ou relire tous les textes majeurs de
l’époque.
« Le véritable lieu de naissance est celui où l’on a porté pour la première
fois un coup d’œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été
les livres ». – Mémoires d’Hadrien.
Elle écrit, en 1968, L’Œuvre au noir qui peut être vu comme le pendant « Renaissance » des
Mémoires d’Hadrien. Ces deux romans ont en effet comme point commun de présenter les
réflexions de deux hommes, bien qu’assez différents, sur leur époque, sur le monde tel qu’ils
l’ont connu.
La vie de Marguerite Yourcenar se partage entre
l’écriture dans l’isolement de l’île des Monts
Déserts et les longs voyages, dont des périples
autour du monde avec Jerry Wilson, son dernier
secrétaire et compagnon. Elle s’éteint le 17
décembre 1987 à Monts Déserts.
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2. L’Académie Française et les femmes
Selon la tradition, Marguerite Yourcenar prononce son discours d’entrée à l’Académie en
hommage à celui qui l’a précédé sur son fauteuil, Roger Caillois :
« Nous nous sommes réunis aujourd’hui pour célébrer ce rite émouvant qui
consiste à louer publiquement un mort […] Quant à moi, parmi les privilèges qui me
sont échus, je n’en connais pas de plus haut que celui d’avoir à faire l’éloge d’un
grand esprit. »
« Vous m’avez accueillie, [...]. Ce moi incertain et
La
flottant,
entouré,
l’Académie Française n’est qu’un
accompagné d’une troupe invisible de femmes
événement relativement récent. En
qui auraient dû, peut-être, recevoir beaucoup
effet, l’Académie ne voit entrer une
plus tôt cet honneur, au point que je suis tentée de
femme dans ses murs qu’en 1980 :
m’effacer
ombres.
Marguerite Yourcenar, elle siège à
Toutefois, n’oublions pas que c’est seulement il y a
la place laissée vacante par la mort
[...],
le
pour
voici,
laisser
tel
qu’il
passer
est,
leurs
un peu plus ou un peu moins d’un siècle que la
question de la présence de femmes dans cette
assemblée a pu se poser. En d’autres termes c’est
vers le milieu du XIXe siècle que la littérature est
devenue en France pour quelques femmes tout
ensemble une vocation et une profession, [...]. [...]
de
présence
Roger
de
femmes
Caillois.
Mais
à
sa
candidature, soumise et activement
soutenue par Jean d’Ormesson,
attisa une vive polémique au sein
des milieux académicien et littéraire.
les femmes de l’Ancien Régime, [...], n’avaient pas
songé à franchir votre seuil, et peut-être eussentelles cru déchoir, en le faisant, de leur souveraineté
Si, pendant les trois siècles qui
séparent la création de l’Académie
les
et l’entrée de Yourcenar, divers
régentaient parfois [...] ; elles se souciaient fort peu
motifs sont invoqués (politiques,
d’être elles-mêmes candidates. On ne peut donc
moraux, religieux, misogynes) pour
prétendre que dans cette société française si
en interdire l’accès aux femmes,
imprégnée d’influences féminines, l’Académie ait été
plusieurs
particulièrement misogyne ; elle s’est simplement
ont
conformée aux usages qui volontiers plaçaient la
Actuellement,
femme sur un piédestal, mais ne permettaient
depuis
pas encore de lui avancer officiellement un
d’académicienne et cinq y siègent
fauteuil. [...] »
depuis 2010.
féminine.
Elles
inspiraient
les
écrivains,
candidatures
néanmoins
1980,
été
féminines
déposées.
sept femmes
endossé
ont,
l’habit
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3. L’écrivain humaniste : Marguerite Yourcenar, un esprit ouvert et universel
« La même rigueur d’un esprit capable, non de penser à contre-courant, […], mais de
trouver les courants qui mènent à la mer libre, lui fait distinguer entre la sincérité et la
vérité, […]. […] Caillois a longtemps considéré la logique comme l’arme absolue de la
raison humaine. C’est la position traditionnelle de l’humaniste. C’est aussi […] celle de
Pascal, accordant à son roseau pensant le privilège de jauger l’univers qui l’écrase,
au moment même où il en est écrasé. L’Homme juge et arbitre, constructeur et
ordonnateur, pour ne pas dire ordinateur. […] »
Dès sa jeunesse, Marguerite de Crayencour rêve de gloire littéraire. Son père l’introduit
aux splendeurs méditerranéennes de la Grèce et de Rome où elle s’installe tour à tour. Deux
chefs-d’œuvre successifs accordent à Marguerite Yourcenar cette gloire qu’elle avait tant
désirée : les Mémoires d’Hadrien et L’Œuvre au noir. Dans chacun de ces deux livres, le
premier personnage est l’histoire.
Selon Jean d’Ormesson, ce qui éclaire le mieux le choix de l’Empereur Hadrien et de
son temps, c’est une phrase tirée de la correspondance de Flaubert : « Les dieux n’étant
plus, et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique
où l’homme seul a été. » C’est cet homme seul, mais lié au monde, que, sous le nom
d’Hadrien, Marguerite Yourcenar ne va cesser de décrire.
Cette lutte du collectif et de l’individuel se déroule autour du bonheur. À notre époque
où la recherche éperdue du bonheur individuel est devenue, pour tous, la seule règle de vie,
Marguerite Yourcenar fait exception. C’est ce qui donne à ses livres cette hauteur, cette
altitude, cette élévation d’autant plus frappante qu’elle se combine, le plus souvent, avec le
non-conformisme des mœurs et le dédain des institutions, y compris, peut-être,
l’Académie Française.
Toute l’œuvre de Marguerite Yourcenar est une méditation sur l’homme et le sens de
la vie, la liberté et ses personnages romanesques en sont les porte-paroles : ils croient en la
dignité humaine et sont à la recherche d’un idéal de sagesse. L’écrivain aboutit à une
certaine résignation : selon elle, l’homme doit affronter les problèmes du présent en
s’appuyant sur les leçons du passé. Sa plus grande tristesse est l’état du monde avec ses
maux et ses vices. Ses personnages favoris sont ceux qui travaillent à améliorer l’homme et
la condition humaine.
Elle se battra pour l’homme et la vie et s’engage dès lors envers la protection du
milieu naturel ; car vivre, c’est vivre en harmonie universelle. Dieu ne nous impose rien,
nous sommes libres. Elle croit en un Dieu qui n’entrave pas la liberté de l’homme et qui le
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laisse s’épanouir. L’homme et son épanouissement sont donc bien au centre de son œuvre.
4. La femme dans la société
George Sand (1804-1876), de son vrai nom Amantine Aurore Lucile Dupin,
est une figure emblématique de la littérature française du XIXe siècle. Elle
est l’auteur de romans, de nouvelles, de contes, de pièces de théâtre,
d’autobiographies, de critiques littéraires et de textes politiques. L’histoire en
a forgé l’archétype de la femme scandaleuse par sa vie amoureuse
tourmentée, sa tenue vestimentaire masculine ainsi que le pseudonyme
masculin qu’elle adopte en 1829. Après elle, Marie d’Agoult signe ses écrits
Daniel Stern (1841-1845) et Delphine de Girardin prend le pseudonyme de
Charles de Launay en 1843. Engagée politiquement dès 1848, George
Sand participe au lancement de trois journaux (La Cause du peuple, Le
Bulletin de la République, L’Éclaireur), plaide auprès de Napoléon III la
cause de condamnés, notamment celle de Victor Hugo dont elle admirait
l'œuvre et dont elle a tenté d'obtenir la même grâce après avoir éclipsé
Notre Dame de Paris avec Indiana, son premier roman.
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Le roman Confession d’un enfant du siècle
d’Alfred de Musset est porté à l’écran par
Sylvie Verheyde, avec Pete Doherty dans
le premier rôle et Charlotte Gainsbourg
dans la peau de George Sand. La sortie
est prévue le 12 septembre 2012.
« En juin 2000, une loi a été promulguée en France qui établit, pour la plupart des élections,
la parité hommes/femmes au niveau des candidatures dans un certain nombre de cas et,
dans d’autres, au niveau des élus. Il avait fallu que, sous la pression des associations
féminines et féministes, soutenues par l’opinion publique, la classe politique admette qu’il
n’était pas acceptable que, plus d’un demi-siècle après l’obtention par les femmes des droits
de vote et d’éligibilité, les assemblées élues soient toujours composées à plus de 90 %
d’hommes. » … « La parité stricte entre hommes et femmes, promise par François Hollande
pendant sa campagne, a été respectée : le gouvernement compte 17 femmes et
17 hommes, pour un total de 34 ministres et ministres délégués ».
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Najat Vallaud-Belkacem (née au Maroc en 1977),
conseillère générale socialiste, nommée le 16 mai 2012
ministre des Droits des femmes et porte-parole dans le
gouvernement de Jean-Marc Ayrault dont elle est la
benjamine.
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5. Pistes pédagogiques
- Quelle serait ta définition de l’écrivain humaniste ?
- À ton avis, pourquoi peut-on dire que l’œuvre de Marguerite Yourcenar se distingue de la
production littéraire de son époque ?
- Comment expliques-tu l’entrée tardive des femmes écrivains à l’Académie Française ?
- Commente cette phrase de Marguerite Yourcenar : « Quand on aime la vie, on aime le
passé, parce que c’est le présent tel qu’il a survécu dans la mémoire humaine ». – Les Yeux
ouverts
- Etude du schéma actanciel à appliquer
à une Nouvelle orientale :
- Actualité des valeurs défendues par Marguerite Yourcenar :
L’écologie : « Mais c’est aussi le moment où je commençais à fréquenter, avec une
passion qui n’a fait que grandir, le monde non-humain ou préhumain des bêtes des bois et
des eaux, de la mer non polluée et des forêts non encore jetées bas ou défoliées par nous.»
Le 24 février 1968, Marguerite Yourcenar écrit à Brigitte Bardot la lettre qui
informera celle-ci de la cruauté du massacre des bébés phoques au Canada, et qui
déclenchera par ce truchement une campagne mondiale de plusieurs années !
Le doute : « [...] le lecteur [...] ne peut douter que Roger Caillois, comme tant
d’entre nous, n’ait ressenti une immense lassitude en présence de l’agitation humaine à
notre époque et des bouleversements quasi planétaires qu’elle a provoqués. Le cas de
l’homme est anormal, ‘donc précaire’. L’avenir est sombre. »
« [...] En présence de cette humanité sentie plus que jamais comme précaire, en présence
même de ce monde animal et végétal dont nous accélérons la perte, [...]. »
- Visite du site Internet de l’Académie Française : comment la question de la femme écrivain
y est-elle traitée ?
- Comment la position de la femme dans les institutions françaises a-t-elle évolué depuis le
XIXe siècle de George Sand jusqu’à l’époque contemporaine, en passant par la figure de
Marguerite Yourcenar ?
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- Liens Internet vers l’interview de Marguerite Yourcenar à propos de la condition féminine :
http://www.youtube.com/watch?v=F0N3EofaqkM
6. Orientations bibliographiques
- ANTOINE, Jean et DASNOY, Philippe, Dans l’île du Mont-Désert chez Marguerite
Yourcenar,
vidéo documentaire, diffusée le 16 Avril 1975 par la Radio Télévision Belge Francophone,
Boulevard Reyers, Bruxelles.
- BLOT, Jean, Marguerite Yourcenar, Paris, éditions Seghers, 1999.
- DE ROSBO, Patrick, Entretiens radiophoniques avec Marguerite Yourcenar (Mercure de
France, 1972-1980).
- DUMAIS-LVOWSKI, Christian, La Promesse du seuil : un voyage avec Marguerite
Yourcenar, Arles, Actes Sud, 2002 (coll. « Archives privées »).
- GAVORY, Antoine, Marguerite Yourcenar : itinéraire d’un écrivain solitaire, s.l., Flagrant
d’élie, 2008.
- GOSLAR, Michèle, Yourcenar. Qu’il eût été fade d’être heureux, Bruxelles, Racine, 1998. Les yeux ouverts, entretiens avec Mathieu Galey, éditions Le Centurion, 1980 (coll. « Les
interviews »).
- SARDE, Michèle, Vous, Marguerite Yourcenar : la passion et ses masques, Paris, Robert
Laffont, 1995.
- SAVIGNEAU, Josyane, Marguerite Yourcenar : l’invention d’une vie, Paris, Gallimard,
1990.
L’Académie Française :
http://www.academie-francaise.fr/
La
parité
hommes/femmes
du
gouvernement
de
François
Hollande :
http://blogs.rue89.com/rattrapage-actu/2012/05/26/gouvernement-international-les-debutsde-la-presidence-hollande-227604-0
La parité hommes/femmes en politique :
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/la-france/institutions-vie-politique/etat-et-citoyens/colonnedroite-4027/sur-ce-theme-4029/article/la-parite-hommes-femmes-en
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Travail réalisé dans le cadre du cours Médiation Muséale et Patrimoniale LHAGI 2550
Par M. HALLET et P. HATZIGEORGIOU,
Etudiantes en histoire de l’art et archéologie,
Université catholique de Louvain
Année académique 2011-2012