Lettre de Penthes 025 / printemps 2015

Transcription

Lettre de Penthes 025 / printemps 2015
La Lettre
De Penthes
Le magazine du Domaine de Penthes – Numéro 25, printemps 2015
POLITIQUE
ÉTRANGÈRE
Enfant mal-aimé
des Suisses ?
LYON
ET SES SUISSES
EXCLUSIVITÉ :
NOTICES
AUTO-BIOGRAPHIQUES
de Charles Aznavour
Trésors arméniens
à Penthes
| SOMMAIRE
La Paix en Musique, peinture sur toile,
Peggy Hinaekian
Penthes est à vous
2
Politique étrangère
enfant mal-aimé des Suisses ?
5
Mot du Directeur57
Rencontre des Clubs Suisse à Penthes58
Trésors arméniens à Penthes60
Une loi pour les Suisses de l’étranger
Vivre la coopération
internationale : défis et passion
10
Notices auto-biographiques
de Charles Aznavour64
12
Profession : avocat-conseil
17
Les Suisses de Rhône-Alpes
20
Bernard Challandes, sélectionneur suisse
de l’équipe de football d’Arménie68
Le marché aux fromages
de Nueva Helvecia70
Lyon et ses Suisses23
L’âge d’or des barons du fromage
27
Edmond Boissier (1864-1952) :
pionnier de la coopération
transfrontalière31
Comment devenir cheffe
d’entreprise dans les Caraïbes …72
Ceux qui ont compté pour Penthes...
René Burri74
Aujourd’hui : Jérémie Pauzié (1716-1779)76
Bruno Manser –
un Suisse pas comme les autres36
Le Domaine de Penthes en devenir40
Jean-Victor II de Besenval (1671-1736) :
officier et diplomate42
Livres à lire44
Andreï Gratchev analyse
le passé récent russe à Penthes78
Une station à saute-frontière
sur le Bassin Lémanique81
Le Chili en exposition
au Restaurant de Penthes82
Les Amis de Penthes55
La Suisse redessinée.
De Napoléon au Congrès de Vienne83
La Lettre de Penthes
|1
| ÉDITORIAL
Penthes
est à vous
Rodolphe S. Imhoof
T
el est le titre de notre campagne de communication auprès des citoyens genevois et de vous tous,
chers lecteurs de ce numéro spécial de la « Lettre
de Penthes », campagne initiée par la Fondation pour
l’Histoire des Suisses dans le Monde, avec le soutien du
Président du Conseil d’Etat de la République et Canton
de Genève. Ce titre reflète le fait que la Fondation a pu
s’assurer, pour les années qui viennent, de son établissement sur le Domaine de Penthes. Elle pourra ainsi
poursuivre la réalisation de son rêve de toujours, au
cœur même de la Genève internationale : représenter,
par ses activités multiples, l’apport indéniable des
Suisses dans le monde, et des amis de la Suisse qui à
l’étranger ont assuré et véhiculé l’image d’ouverture, de
stabilité et de fiabilité de notre pays.
La Suisse est au cœur de l’Europe. La Suisse est aux
carrefours du monde. La Suisse s’est faite, et se fera au
contact des autres. La Fondation, grâce à son Musée et
ses expositions, son Institut et ses archives, mais aussi
son Restaurant, lieux de rencontres et de dialogue par
excellence, va vous surprendre dans les mois et les années qui viennent par de nouvelles offres culturelles.
Vous avez démontré par votre régularité à vous
promener dans le parc, votre assiduité au restaurant et
ses annexes, au musée surtout, où en deux ans le nombre des visiteurs a quasiment triplé, passant de 3800
en 2012 à 10 850 en 2014, que vous saviez apprécier la
nouvelle orientation de la Fondation : devenir la vitrine culturelle d’une Suisse ouverte sur le monde, qui
documente les principes de l’engagement de la Suisse
et de la Genève internationale dans le monde.
L’histoire de ce peuple que Denis de Rougemont a
qualifié d’heureux ne s’est construite que par notre curiosité envers l’autre, notre acceptation des diversités
culturelles qui régissent le monde dans lequel nous vivons, notre ferme conviction que seuls l’indépendance,
la démocratie, le fédéralisme, le respect de l’autre et de
ses droits et libertés favorisent la paix et la stabilité.
Cette dernière est fortement tributaire de notre volonté
2 | La Lettre de Penthes
d’intégration et de notre capacité à déployer une large
solidarité envers autrui. Enfin, c’est aussi le sens aigu du
travail bien fait et la volonté d’assumer nos choix et le
sens des responsabilités qui ont forgé l’image que nous
avons dans le monde. Les contributions qui proviennent d’auteurs aux horizons si différents, qui font la
spécificité de ce numéro jubilaire, sont une illustration
de ces spécificités bien helvétiques.
Je tiens ici tout particulièrement à rendre hommage
à mon prédécesseur à la tête de la Fondation, l’ancien
ambassadeur Bénédict de Tscharner, qui par ses nombreux écrits a illustré l’apport des Suisses dans le monde.
Pendant toutes ces années, également en tant que rédacteur en chef de la Lettre de Penthes, il a su faire les
choix les plus judicieux quant à la diversité des contributions et aux talents des auteurs. Qu’il en soit spécialement remercié à l’occasion de ce numéro jubilaire.
Vous nous avez suivis et soutenus fidèlement tout au
long de ces années. Vous nous avez apporté de nombreux témoignages que vous appréciez notre contribution à la vision d’une Suisse ouverte sur le monde. Vous
répondrez certainement avec enthousiasme à notre
nouvel appel. Car grâce à votre soutien, intellectuel et
financier, nous allons pouvoir réaliser ce pour quoi
nous nous sommes engagés : faire de Penthes un écrin
qui puisse abriter à long terme les joyaux culturels de ce
qui fait la spécificité de Genève et de la Suisse. C’est
pourquoi je vous demande de soutenir notre action culturelle en faveur de l’image de Genève et de la Suisse
dans le monde en vous portant acquéreur d’une parcelle
virtuelle du Domaine de Penthes, grâce au lien indiqué
sur www.penthes.ch.
Votre domaine est entre vos mains, Penthes est à vous !
La Lettre de Penthes
|3
J’ai soutenu
la suisse
en achetant
la case 1291
WWW.PENTHES.CH
www.theoreme.ch
OFFREZ-VOUS LA CASE QUI VOUS
CORRESPOND ET CONTRIBUEZ À
PRÉSERVER LE PATRIMOINE GENEVOIS
DOMAINE DE DÉCOUVERTES
CULTURE | GASTRONOMIE | NATURE
DOMAINE DE PENTHES - CHEMIN DE L’IMPÉRATRICE 18
1 2 92 P R EG N Y- C H A M B É SY
ARTICLE
|
Politique
étrangère –
enfant mal-aimé
des Suisses ?
Entretien avec le conseiller fédéral Didier Burkhalter,
chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE)
VOUS FAITES PARTIE DU CONSEIL FÉDÉRAL DEPUIS 2009 ET VOUS DIRIGEZ NOTRE DIPLOMATIE
DEPUIS 2012. COMMENT PERCEVEZ-VOUS LA
PLACE DES RELATIONS EXTÉRIEURES DANS LA VIE
NATIONALE EN SUISSE ? EXISTE-T-IL VRAIMENT,
DANS CE PAYS, UNE SORTE DE MÉFIANCE ENVERS
TOUT CE QUI A TRAIT À L’ÉTRANGER ? PEUT-ÊTRE
DE LA MÉFIANCE À L’ÉGARD DE LA POLITIQUE
ÉTRANGÈRE, VOIRE LES DIPLOMATES ?
Non, je ne ressens pas une telle méfiance, mais une
forte volonté des Suisses de se reconnaître dans les valeurs de l’action suisse à l’étranger. Et au fond, c’est
normal ! Cela dit, la Suisse est en fait ouverte au
monde. Elle se trouve au milieu d’un continent et entretient de bonnes relations avec ses voisins. Plus largement, elle mène une politique universelle et a des
relations avec tous les pays de la planète. La Suisse ne
peut vivre en autarcie et cela les citoyens de ce pays le
comprennent bien. Nous entretenons des relations
avec les autres, qu’elles soient de type commercial, financier, scientifique, culturel.
Ce qui se passe dans le monde nous concerne directement. Or ce monde qui nous entoure ne cesse de
bouger et ceci de plus en plus rapidement. Je pense
notamment aux nouveaux moyens de communication. Des événements violents se passent parfois
jusqu’à nos portes – les attaques qui ont touché Paris
ce début janvier par exemple – et suscitent des questions, des peurs chez nos concitoyens. Et les souffrances en Afrique, en Ukraine ou au Moyen-Orient
ne sont pas loin non plus.
Notre rôle est d’entendre cela et d’apporter des réponses qui permettent de maintenir notre prospérité et
notre sécurité. Pour cela, la Suisse a besoin des autres.
Les solutions se trouvent souvent dans les mises en
commun des efforts de la communauté internationale.
Le rôle de la politique étrangère suisse peut être important à ce niveau. Notre diplomatie permet de mettre en
exergue ces questions dans différentes enceintes –
l’ONU, l’OSCE dont la Suisse a assuré la présidence en
2014 ou le Conseil de l’Europe – en apportant des propositions de solutions communes. Comme c’est le cas
en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, domaine
dans lequel la Suisse est très active, œuvrant à ce que ce
fléau soit combattu avec détermination tout en respectant les droits de l’homme et le droit international.
La Lettre de Penthes
|5
| ARTICLE
La diplomatie helvétique est reconnue et permet de
construire des ponts. Les bons offices de la Suisse ont
une longue tradition et sont une constante de notre
politique étrangère. Grâce à ses bons offices, la Suisse
prend une part active dans différents processus de
paix en cours au niveau international, ce qui est aussi
dans son intérêt. Nous allons donc continuer à mettre
à disposition notre savoir-faire en matière de médiation, de recherche de compromis et de promotion de
la paix. Le monde en a besoin.
La Suisse doit donc établir des ponts solides et des relations stables avec d’autres Etats. Là où le besoin s’en fait
sentir, elle doit les consolider et les renouveler. Enfin, j’ai
grande confiance dans les jeunes générations de ce pays
qui occuperont demain des responsabilités pour aller de
l’avant, continuer à défendre notre pays, son modèle, sa
prospérité, son développement tout en participant au
concert des nations et en agissant pour que nos valeurs
de démocratie, de respect et de tolérance soient partagées
par le plus grand nombre.
COMMENT FAIRE POUR MIEUX INTÉGRER LES AF-
LE DFAE N’EST PAS UN « ACTEUR SOLITAIRE » ; SON
FAIRES EXTÉRIEURES DANS LA VIE NATIONALE ?
RÔLE CONSISTE ÉGALEMENT À COORDONNER L’AC-
COMMENT MIEUX EXPLIQUER AUX CITOYENS
TION D’AUTRES INTERVENANTS ET D’ÉVITER QUE
POURQUOI IL FAUT SOIGNER ET DÉVELOPPER LES
CHAQUE DÉPARTEMENT ET CHAQUE OFFICE FÉDÉ-
RELATIONS INTERNATIONALES ?
RAL – OU ENCORE CHAQUE CANTON – MÈNE SA
PROPRE POLITIQUE ÉTRANGÈRE. EST-CE QUE CELA
En fait, la politique étrangère est comprise en Suisse
par ses valeurs. Lorsque la Suisse s’engage pour la paix,
personne en Suisse ne trouve cela « étranger ». Au
contraire, nous avons tous l’impression que c’est naturel, quasiment génétique. Il n’y a pas de politique plus
suisse que la politique de paix et de sécurité. Il s’agit
donc de faire résonner en Suisse l’engagement typiquement suisse qui se fait à l’étranger.
POSE DES PROBLÈMES ?
De plus, le succès du modèle suisse repose pour une
bonne part sur les ponts construits vers l’extérieur. La
prospérité de notre pays exige, à côté de notre cohésion nationale, une politique d’ouverture raisonnable
et responsable face au contexte international.
En matière de politique extérieure, le DFAE assume
effectivement un rôle directeur, en coordination étroite
avec les différents départements et offices fédéraux, ainsi
qu’avec les cantons, dont les besoins et les rapports avec
les pays voisins sont conditionnés par leur situation géographique et économique.
La Suisse est l’un des pays les plus avancés dans la
mondialisation. Notre économie dépend de marchés
d’exportation et de production à l’étranger. Les
Suisses forment également un peuple de voyageurs.
En 2012, ils ont entrepris quelque neuf millions de
voyages à l’étranger, où vivent d’ailleurs plus de
700 000 de nos concitoyens.
6 | La Lettre de Penthes
Ce n’est pas un problème, mais une culture, parfois
même un art. Dans un pays fédéraliste comme la Suisse,
la coordination fait partie de la vie. Du fait de notre système politique, elle constitue presque une seconde nature
allant de pair avec l’habitude de la consultation, de la
concordance et de la recherche de solutions négociées.
Les grands axes de la politique extérieure de la Suisse
sont définis dans la Stratégie de politique étrangère 20122015, qui a été approuvée par le Conseil fédéral. Celle-ci
prévoit qu’à l’exemple de la stratégie adoptée ces dernières
années dans le domaine de la politique étrangère de santé, les départements fédéraux élaborent davantage de
stratégies communes de défense des intérêts afin de renforcer la coordination des politiques du Conseil fédéral à
l’égard de l’étranger.
ARTICLE
AU COURS DE VOTRE ANNÉE PRÉSIDENTIELLE,
COMPARÉE À D’AUTRES PAYS, LA SUISSE FAIT DES
VOUS AVEZ BEAUCOUP VOYAGÉ ; LES SUISSES
EFFORTS LOUABLES POUR SOUTENIR SES CI-
COMPRENNENT-ILS CETTE NÉCESSITÉ ? CES
TOYENS ÉTABLIS OU SÉJOURNANT À L’ÉTRANGER ;
VOYAGES NE SONT-ILS PAS PARFOIS UN PEU TROP
NÉANMOINS, EN SUIVANT LES TRAVAUX DE L’OR-
MÉDIATISÉS, AU POINT OÙ, FINALEMENT, SEUL UN
GANISATION DES SUISSES L’ÉTRANGER (OSE), ON A
CONTACT AU NIVEAU « M INISTÉRIEL » EST CONSI-
L’IMPRESSION QU’IL RESTE, ICI ET LÀ, QUELQUES
DÉRÉ COMME VRAIMENT UTILE, PEUT-ÊTRE MÊME
POINTS DE DISCORDE OU DE DÉCEPTION : LENTEUR
PARFOIS AU DÉTRIMENT DU TRAVAIL DE NOS RE-
DE L’INTRODUCTION DU VOTE ÉLECTRONIQUE,
PRÉSENTANTS DANS L’ENSEMBLE DU MONDE ?
SOUTIEN TROP MODESTE À L’INFORMATION DES
|
SUISSES DE L’ÉTRANGER, RESSERREMENT DU RÉ-
Je pense que tous ces efforts s’additionnent et ne se
font pas au détriment de l’un ou de l’autre. La médiatisation est bonne lorsqu’elle sert l’intérêt général. Et elle
peut aussi permettre de mieux faire connaître la politique étrangère de la Suisse aux Suisses eux-mêmes.
Certes, il y a des risques, mais il y a aussi la chance
d’être fier de ce qui est fait au nom de notre pays !
En 2014, la double présidence de la Suisse et de
l’Organisation pour la sécurité et la coopération en
Europe (OSCE) s’est traduite par de nombreux
voyages. Ceux dictés par l’évolution de la crise ukrainienne se sont ajoutés aux voyages plus réguliers dans
le cadre de la présidence de l’OSCE, dans les Balkans,
l’Asie centrale ou le Caucase du Sud par exemple, ainsi qu’aux voyages effectués en tant que président de la
Confédération pour des visites d’Etat, des visites officielles ou des sommets internationaux.
Dans le contexte de la crise en Ukraine comme
dans celui des relations bilatérales, rien ne remplace
l’approche humaine. Les contacts personnels – quel
que soit le « niveau » auquel ils se produisent – sont
indispensables pour tenter de progresser, pour promouvoir les valeurs suisses, aborder des questions
délicates ou tout simplement garantir un échange
régulier avec nos voisins proches comme avec des
pays plus lointains.
SEAU DES REPRÉSENTATIONS CONSULAIRES, MODESTIE DE L’AIDE AUX ÉCOLES SUISSES À L’ÉTRANGER, IMPACT NÉFASTE DES NÉGOCIATIONS SUR LA
FISCALITÉ ET LA SÉCURITÉ SOCIALE SUR LES
SUISSES DE L’ÉTRANGER, ETC. – QUEL EST VOTRE
POINT DE VUE ?
L’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) est
une fondation de droit privé qui a pour but de représenter, en Suisse, les intérêts de nos concitoyens à l’étranger. L’une de ses tâches consiste à informer la communauté des Suisses de l’étranger au sujet de l’actualité
politique et culturelle suisse qui les concerne. Bien que
le tiers du budget de l’OSE soit financé par le DFAE,
son point de vue est indépendant. Compte tenu de son
rôle et de son statut, il est normal que l’OSE mette
l’accent sur des points qui pourraient être améliorés en
faveur des Suisses de l’étranger. Nous sommes à l’écoute
de cela afin d’apporter des corrections là où cela est
nécessaire et possible.
Une loi a par ailleurs été élaborée pour les Suisses de
l’étranger (LSEtr). Elle entrera en vigueur le 1er novembre 2015. Ainsi, les efforts du DFAE pour satisfaire
les besoins de la communauté suisse établie à l’étranger
sont importants. Dans ce contexte, la notion de responsabilité individuelle mentionnée dans la loi a toute son
importance : les Suisses qui partent à l’étranger doivent
être conscients, d’une part, des risques qu’ils prennent
en voulant s’expatrier et, d’autre part, que les conditions
de vie à l’étranger sont souvent différentes de celles que
nous connaissons en Suisse.
La Lettre de Penthes
|7
| ARTICLE
LES GENEVOIS PERÇOIVENT BIEN QUE LA BERNE
FÉDÉRALE SOUTIENT LA GENÈVE INTERNATIONALE ; ON SAIT QUE LES EFFORTS FINANCIERS – À
TRAVERS LA FLPOL, ESSENTIELLEMENT – SONT
LOIN D’ÊTRE NÉGLIGEABLES. DEUX QUESTIONS
FONDAMENTALES SE POSENT : LA POLITIQUE MULTINATIONALE TELLE QU’ELLE FUT CONÇUE DU
TEMPS DE LA SOCIÉTÉ DES NATIONS EST-ELLE ENCORE ADAPTÉE AUX BESOINS DU MONDE D’AUJOURD’HUI ? QUELLES SONT LES CHANCES POUR
GENÈVE DE RESTER UN DES CENTRES OPÉRATIONNELS MAJEURS DE LA VIE INTERNATIONALE ?
La gouvernance mondiale a beaucoup évolué au fil
du temps. A l’époque de la Société des Nations, les Etats
étaient les principaux acteurs des relations internationales. Aujourd’hui, on assiste à une multiplication d’entités (ONG, secteur privé, milieu académique, etc.). Les
problématiques sont en outre beaucoup plus complexes,
transversales et interdépendantes qu’au début du XXe
siècle (p.ex. climat, commerce).
Dans le contexte de la mondialisation, il est crucial que la communauté internationale dispose de
lieux de rencontre, de concertation et de discussion
sur les thèmes touchant l’ensemble des pays du
monde. La Suisse, grâce à la Genève internationale,
est l’un des principaux centres de gouvernance mon-
8 | La Lettre de Penthes
diale. Trente organisations internationales et plus de
300 ONG ont leur siège à Genève, où 173 Etats
membres des Nations Unies sont représentés. Plus de
2700 réunions diplomatiques y ont lieu chaque année auxquelles se rendent plus de 220 000 délégués.
Genève, qui abrite le siège européen des Nations
Unies au Palais des Nations, est ainsi un pilier essentiel de la scène multilatérale. Cette concentration
unique sur un petit territoire, d’acteurs internationaux qui travaillent quotidiennement à trouver des
solutions aux problèmes du monde offre un potentiel
de synergie extraordinaire.
Par ailleurs, il faut relever que la Suisse offre des
conditions-cadres d’excellente qualité : stabilité politique, sécurité juridique, qualité de vie et haut niveau
d’infrastructures et des services offerts. Pour garantir
la compétitivité et l’attrait de la Genève internationale, le Conseil fédéral a adopté en novembre passé un
message relatif aux mesures à mettre en œuvre pour
renforcer le rôle d’Etat hôte de la Suisse, désormais
transmis au Parlement pour approbation en 2015. Les
mesures prévues et les moyens financiers supplémentaires demandés permettront de consolider le dispositif d’accueil et ainsi de renforcer la place de la Genève
internationale dans le monde. Afin que Genève continue d’être cette extraordinaire chance pour la Suisse
et pour le monde.
ARTICLE
La Lettre de Penthes
|
|9
| ARTICLE
Peter Zimmerli
Délégué
aux relations avec
les Suisses
de l’étranger,
Direction
consulaire, DFAE
Une loi pour
les Suisses
de l’étranger
B
ien que la migration soit un thème actuel très
discuté qui soulève les passions, il n’est de loin
pas nouveau. Depuis que la Suisse existe, ses
citoyens ont migré. Si la soif d’aventure, la guerre ou
la pauvreté les ont précédemment poussés à quitter le
pays, ce sont aujourd’hui souvent des personnes hautement qualifiées qui répondent à l’appel du grand
large. Dans une mouvance de croissante mobilité et de
globalisation, le visage de la diaspora suisse a changé.
Les temps de l’émigration définitive sont révolus. Un
nombre croissant de Suisses s’établissent pour une période limitée dans un pays étranger avant de revenir
en Suisse ou de partir vers une autre destination.
La mobilité transnationale des individus a accentué
la diversité du phénomène migratoire et engendré des
besoins complexes. Cette situation influence le travail
des représentations suisses à l’étranger et demande
une attention particulière de la part de notre gouvernement. Fin 2014, plus de 746 000 concitoyens se sont
inscrits dans les registres des ambassades et consulats
à l’étranger. Ce chiffre représente près des 11% de citoyens suisses, à peu près l’ensemble des habitants du
canton de Vaud. Afin de tenir compte du nombre toujours croissant non seulement des Suisses établis à
l’étranger, mais aussi des touristes, des hommes d’affaires ou des « globe-trotters » suisses, le DFAE a augmenté ses ressources ces dernières années. Cela s’est
traduit notamment par la modernisation et la spécialisation des prestations consulaires. Les solutions proposées par l’e-government en sont un bon exemple.
Avec la toute nouvelle Loi sur les personnes et institutions suisses à l’étranger, la Confédération a souhaité mettre à disposition de la communauté suisse
dans le monde un instrument moderne qui définisse
de façon simple et cohérente ses relations avec la
Confédération, ainsi que les droits et devoirs de ses
membres.
10 | La Lettre de Penthes
La politique que mène « Berne » dans ce domaine
s’appuie sur une base constitutionnelle, introduite en
1966 et actualisée lors de la révision totale de la
Constitution en 1999, qui stipule que la Confédération contribue à renforcer les liens qui unissent les
Suisses résidant à l’étranger entre eux et à la Suisse.
Cette base constitutionnelle autorise les autorités à
soutenir des organisations qui poursuivent ce but et à
légiférer sur les droits et devoirs des Suisses concernés,
notamment en matière de droits politiques, d’aide sociale et de la sécurité sociale.
Avant l’introduction de cette base constitutionnelle,
la Constitution de 1874 comportait simplement un article relatif aux agences d’émigration. Pourtant, une loi
sur les Suisses de l’étranger constitue une demande de
nos concitoyens concernés depuis le début du XXe
siècle. Déjà lors du quatrième congrès des Suisses de
l’étranger organisé en 1921 par leur organisation, les
délégués ont accepté un postulat en faveur d’une loi et
notamment exigé le droit de vote pour les Suisses de
l’étranger. Entre 1926 et 1950, on ne compte pas moins
de six interventions au sein du Conseil des Suisses de
l’étranger allant dans le même sens.
En 1954, le conseiller national zurichois William
Vontobel réussit à faire accepter un postulat qui aboutira, en 1966, à l’introduction de l’article constitutionnel susmentionné. Ainsi, selon le message du
Conseil fédéral, la Confédération reconnaît l’importance de la « cinquième Suisse » du point de vue historique, politique et économique. Avant l’attribution
des droits politiques, les Suisses de l’étranger devront
cependant attendre encore plus de dix ans. La Loi sur
les droits politiques de 1977 leur donnera – et entretemps aussi aux Suissesses – la possibilité de participer
aux décisions au niveau fédéral. Pour exercer leur droit
de vote, cependant, ces citoyennes et citoyens dispersés dans le monde devaient, alors, se déplacer en Suisse
afin d’y déposer leur bulletin dans les urnes. Ce n’est
qu’en 1992 que sera introduit le vote par correspon-
ARTICLE
|
Le Palais du Parlement
dance depuis l’étranger. Avant cela, la Loi fédérale sur
l’aide sociale et les prêts alloués aux ressortissants
suisses à l’étranger entra en vigueur en 1974.
La nouvelle Loi, qui est issue d’une initiative parlementaire du Conseiller aux Etats tessinois Filippo
Lombardi, a été acceptée par le Parlement le 26 septembre 2014 ; elle rassemble dans un seul texte les
dispositions les plus importantes pour les Suisses de
l’étranger, dispositions qui étaient auparavant dispersées dans plusieurs lois, ordonnances ou règlements ; elle intègre les normes sur les droits politiques, l’aide sociale, la protection consulaire ainsi
que sur les prestations consulaires. La loi exprime
aussi la possibilité d’introduire le vote électronique
pour les votations et élections fédérales ; le Conseil
fédéral peut ainsi prendre des mesures pour faciliter
et encourager l’exercice des droits politiques de nos
concitoyens à l’étranger.
Bien que la Loi n’introduise pas de nouveaux droits
ou devoirs pour les membres de la communauté suisse
à l’étranger, elle modernise néanmoins le droit actuel
et promeut quelques nouveaux principes. A ce titre,
elle stipule que les Suisses qui résident ou voyagent à
l’étranger engagent leur responsabilité individuelle.
Cela signifie qu’il est attendu de ces personnes qu’elles
s’efforcent, par des choix judicieux, d’éviter les risques
et de surmonter les difficultés par leurs propres
moyens. La responsabilité individuelle inclut aussi le
fait que les personnes qui voyagent ou résident à
l’étranger doivent s’informer sur la législation en vigueur dans le pays d’accueil ou de passage et la respecter. Dans ce sens, la Suisse ne doit intervenir que de
façon subsidiaire, notamment dans les domaines de
l’aide sociale et de la protection consulaire. La loi définit aussi la notion de « guichet unique » ; cet instrument permet d’atteindre l’objectif de cohérence et
d’unité de la politique menée par la Confédération
dans ce domaine. En effet, ce guichet est le centre
d’accueil vers lequel sont dirigées toutes les questions
relatives aux Suisses de l’étranger ; grâce à lui, le DFAE
assure un service public efficace répondant aux besoins des citoyens.
La Loi sur les Suisses de l’étranger doit entrer en
vigueur avec son ordonnance – actuellement en voie
d’élaboration – le 1er novembre 2015. A cette date, et
cela près de cent ans après la première intervention du
Conseil des Suisses de l’étranger, sera exaucé un souhait cher à nos compatriotes. Disons que, dans ce domaine comme dans d’autres, la patience paie !
La Lettre de Penthes
| 11
| ARTICLE
Vivre la coopération
internationale :
défis et passion
Gérard Viatte
ancien directeur à
l’OCDE (Paris),
ancien conseiller
spécial auprès de la
FAO (Rome)
Les organisations internationales paraissent à beaucoup comme des institutions abstraites, éloignées des réalités et peu transparentes. Elles sont
pourtant au cœur de la vie contemporaine, et elles participent à l’effort
de gestion de la « mondialisation ». Consacrer une grande partie de sa vie
professionnelle aux organisations internationales requiert un engagement fort pour des thématiques innovantes et une vraie « passion » pour
la coopération internationale.
INNOVATION DANS L’ANALYSE ET L’ORIENTATION DES POLITIQUES
L
a capacité d’innover en termes d’analyse et de
recommandations politiques est précisément
l’une des caractéristiques de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), basée à Paris. Un nombre relativement limité
de pays (aujourd’hui 34, plus des pays « partenaires »)
partageant des valeurs communes permet de mener
les activités d’une manière relativement efficace et
transparente. La force de l’OCDE réside dans sa capacité de couvrir pratiquement tous les secteurs et problématiques économiques et sociaux, de la macro-économie à la fiscalité, de l’énergie à l’éducation et à
l’emploi, pour ne citer que quelques exemples. L’important n’est pas seulement de couvrir plusieurs secteurs, mais de saisir leurs interrelations pour faire face
à la complexité des économies et des sociétés contemporaines. C’est grâce à cette approche intersectorielle,
et à l’articulation de l’analyse scientifique, à des discussions multilatérales (« examens par les pairs ») et des
recommandations politiques ou « standards » que
l’OCDE joue un rôle « d’éclaireur » sur le plan international et aide les pays membres à réformer leurs politiques et à les harmoniser sur le plan international.
Ce sont aussi les raisons qui ont justifié mon long engagement personnel dans cette organisation – que
j’avais rejointe au départ avec un congé de trois ans de
l’administration fédérale…
12 | La Lettre de Penthes
Gérard Viatte
En tant que directeur responsable des secteurs de
l’alimentation, de l’agriculture et des pêcheries, j’ai
considéré que les problèmes essentiels n’étaient pas
« internes » à ces secteurs, mais concernaient leurs relations avec les problématiques plus globales de la
croissance économique et de l’emploi, du développement, de l’environnement, des échanges internationaux ou de la technologie et de la santé. Je n’en citerai
ici que deux exemples.
ARTICLE
INTRODUIRE L’AGRICULTURE
DANS LES NÉGOCIATIONS COMMERCIALES
globale qui a abouti à l’accord dit de Marrakech de
1994, qui a créé l’OMC.
Le premier exemple est le travail analytique et les
calculs très complexes que l’OCDE a entrepris pour
que l’agriculture puisse être incluse pour la première
fois dans les négociations commerciales internationales du GATT dans les années 1980. Alors que l’industrie est protégée principalement par des droits de
douane dont la réduction est techniquement assez facile à négocier, l’agriculture est soutenue par un grand
nombre de mesures (droits de douane, contingents,
calendrier d’importation, soutien des prix intérieurs,
stockage, etc.), qui sont trop nombreuses et trop différentes entre pays pour faire l’objet d’une négociation
de réduction pour chacune d’entre elles séparément. A
la demande des pays membres, l’OCDE a calculé,
pour chaque pays et chaque grand produit, le montant
global de subventions que toutes ces mesures représentent, tout en distinguant celles qui n’ont pas d’effet
de distorsion sur les échanges (« boîte verte », par
exemple les dépenses de formation ou de protection de
l’environnement). Sur cette base, le GATT a pu établir le « montant de soutien » dont la réduction a été
négociée dans le cadre de la négociation commerciale
Cette avancée technique et politique exigea un travail
de titan en collaboration étroite avec les autorités nationales qui ont validé les calculs (non sans de longues négociations !) et l’aide d’universitaires. Je veux tirer de cette
expérience quelques conclusions personnelles.
|
Même si la finalité de ce travail était liée à un accord commercial international, il fut politiquement
possible parce que, au même moment, les pays
membres de l’OCDE qui protégeaient fortement leur
agriculture, notamment la Suisse et l’Union européenne, étaient convaincus de la nécessité de réformer
leur politique agricole pour des raisons internes, économiques (coût) et sociétales (nouvelles priorités).
C’est ainsi que le nouvel article sur l’agriculture (art.
104) de la Constitution fédérale suisse fut adopté par
le peuple en 1996, renforçant le rôle des paiements
directs. Le fonctionnaire international doit être
conscient de la nécessité d’articuler négociations internationales et réformes des politiques nationales.
L’OCDE est bien armée pour cela comme on le voit
aujourd’hui dans le domaine fiscal…
La Lettre de Penthes
| 13
| ARTICLE
La coopération entre diverses organisations internationales, même si elles ont chacune leurs propres objectifs et méthodes de travail, est indispensable. Dans ce
cas particulier, la coopération pragmatique entre les
secrétariats de l’OCDE, qui a mené l’analyse de base, et
le GATT qui l’a « traduite » en termes de négociation
proprement dite, a permis de surmonter les obstacles
politiques résultant de la nature et de la couverture géographique différentes des deux organisations. Je me
dois ici de rendre hommage à la mémoire de deux personnalités suisses dont je fus très proche : Arthur Dunkel, qui a dirigé le GATT à cette époque décisive (et qui
avait été l’un de mes « mentors » lorsque j’ai commencé
mon activité professionnelle à Berne), et David de
Pury, brillant négociateur et notamment président du
Comité des échanges de l’OCDE.
Je constate avec satisfaction que cette coopération se
renforce, notamment entre l’OCDE et l’Organisation
14 | La Lettre de Penthes
des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
(FAO) qui produisent ensemble plusieurs études, par
exemple sur les perspectives à moyen terme des marchés agricoles. Sur un plan plus politique, le rapport
contenant des propositions d’action demandées par le
G-20 après la crise alimentaire de 2008 a été piloté par
ces deux organisations, en liaison avec toutes les autres
organisations compétentes.
Cela dit, malgré les progrès accomplis, le dossier
agricole demeure politiquement très sensible sur le plan
international ; ainsi le « cycle de Doha » de l’Organisation mondiale pour le commerce (OMC), lancé en
2001, n’a pu être conclu qu’à fin 2014 en surmontant
un dernier problème avec l’Inde sur sa politique de réserves alimentaires subventionnées. Et cela est aussi vrai
sur le plan national comme le montrent bien les initiatives actuellement en cours de lancement en Suisse. Les
« négociateurs agricoles » ne sont jamais au chômage !
ARTICLE
LA « MULTIFONCTIONNALITÉ »
DE L’AGRICULTURE
Le deuxième exemple est l’activité que l’OCDE a
consacrée à la « multifonctionnalité » de l’agriculture,
à la fin des années 1990. Derrière ce terme technique
se cache une réalité et une problématique politique
très importantes. Si l’objectif principal de l’agriculture
a toujours été de produire des aliments, les autres services qu’elle rend à la société prennent de plus en plus
d’importance, notamment dans le domaine de l’environnement, de la gestion des ressources naturelles et
de l’équilibre territorial. Au niveau international, les
pays européens, notamment la Suisse, la Norvège et
les pays méditerranéens, ainsi que le Japon ou la Corée, ont mis en avant la « multifonctionnalité » de
l’agriculture pour justifier leur politique agricole et le
maintien de certaines formes de soutien à l’agriculture, alors que les pays exportateurs d’Amérique du
Nord et d’Océanie refusaient ce concept, considérant
qu’il n’était qu’une couverture pour le maintien du
protectionnisme agricole. Ce débat paralysait les discussions internationales sur l’agriculture.
Pour sortir de l’impasse, l’OCDE a été chargée de
mener une étude économique et politique de ce concept.
Sans entrer dans les détails de cette analyse complexe
qui m’a passionné, je mentionnerai seulement sa conclusion politique (en termes simplifiés !) : si l’agriculture
contribue aussi à d’autres objectifs que la production
alimentaire, le soutien public doit être octroyé par des
moyens spécifiques ciblés, adaptés à ces objectifs, et non
pas par des moyens généraux de soutien des prix ou de
protection à la frontière. Les paiements directs, notamment les paiements pour les « services écologiques »,
trouvent ainsi leur justification, mais en liaison avec la
réduction du soutien des prix et de la protection à la
frontière – une voie sur laquelle la Suisse, comme l’UE,
se sont engagées. Cette étude sur la multifonctionnalité
a été officiellement approuvée par tous les pays membres
de l’OCDE, y compris les pays exportateurs, ce qui lui
a donné un poids politique considérable.
|
Cet exemple montre que la rigueur de l’analyse est
le meilleur moyen de faire avancer les discussions politiques et de sortir des impasses. Un véritable accord
ne résulte pas de compromis sur le langage, mais de la
force de conviction d’une analyse. A cet égard, la recherche académique peut jouer un rôle important,
mais elle doit être relayée et traduite sur le plan politique, ce que l’OCDE sait faire. Une autre condition
de succès réside dans la collaboration permanente
entre le secrétariat d’une organisation internationale
et les pays membres tout au long du processus. Ce
dialogue permanent est par moments frustrant, mais
finalement enrichissant et « payant ».
Au-delà des aspects économiques et politiques, la
« multifonctionnalité » prend une dimension sociétale,
et donne à l’agriculteur un rôle encore plus important ;
en effet, la crainte que celui-ci soit « relégué » en « jardiner du paysage » est infondée. Cela est vrai aussi dans
les pays en développement. Ayant pris ma retraite de
l’OCDE après avoir terminé la supervision de l’étude
sur la multifonctionnalité, j’ai eu la chance de participer
pendant plusieurs années à une activité assez proche
dans une équipe multidisciplinaire au sein de la FAO,
sous le titre « Rôles de l’agriculture », portant
sur les pays en développement. Les fonctions environnementales, sociales, territoriales, culturelles de l’agriculture sont aussi évidentes dans ces pays, souvent
encore plus que dans les pays développés. Je ne citerai
qu’un des exemples sur lequel j’ai travaillé, celui des
régions de montagnes du Maroc, où la lutte contre
l’érosion, la gestion des eaux, le développement des
zones sylvopastorales, le frein à l’exode rural ou le
maintien des cultures locales sont des fonctions essentielles des agriculteurs. Ceux-ci sont aidés par un volet
spécifique récent de la politique agricole marocaine,
mais ils sont aussi rémunérés par le marché (produits
de niche, tourisme rural). L’agriculture se trouve ainsi
au centre du développement économique et social et
de la gestion des ressources naturelles – une thématique que je continue à traiter dans divers contextes, et
avec le même intérêt…
La Lettre de Penthes
| 15
| ARTICLE
LA COOPÉRATION INTERNATIONALE :
UNE « PASSION »
Dès le titre de cet article, j’ai introduit ce mot
« passion ». Est-il exagéré ? Je ne le pense pas, car la
coopération internationale exige une conviction qui
seule permet de surmonter les inévitables frustrations – les nuits de négociation sur des textes de communiqués et d’accords ou sur des conclusions
d’études par pays en sont un des exemples les plus
évidents ! L’activité dans une organisation internationale permet de participer à l’histoire, même modestement. Un exemple marquant fut, immédiatement
après la chute du Mur de Berlin, l’ouverture de l’OCDE aux pays d’Europe centrale et orientale, y compris en recrutant des ressortissants de ces pays, qui
sont vite devenus des amis et dont beaucoup sont
restés fidèles à l’Organisation. Cette nouvelle orientation, comme le développement du dialogue et des
activités communes avec des pays non membres, notamment la Chine, furent très motivants.
Cela m’amène à souligner l’enrichissement personnel
que représentent l’animation d’une équipe multiculturelle et multidisciplinaire, et les contacts permanents avec
les pays membres, autorités et acteurs professionnels.
Traiter de l’alimentation et de l’agriculture exige des
contacts personnels avec tous les acteurs professionnels
16 | La Lettre de Penthes
et non seulement avec les ministères : « le travail de terrain » est indispensable et enrichissant, même si les organisations professionnelles ont souvent des positions
tranchées ! Je suis « entré en agriculture » sans y être prédestiné, mais parce que « Berne » avait besoin de juristes
et d’économistes pour les négociations internationales
dans ce secteur sensible, où la Suisse était souvent en
position d’accusé ! Je n’ai jamais regretté cette orientation tout en veillant à ne pas être enfermé dans une
approche sectorielle. Expérience bilatérale et expérience
multilatérale sont complémentaires et il est judicieux de
les combiner, ce que les représentants de la Suisse savent
bien faire, comme j’ai pu le constater à Paris où les ambassadeurs de Suisse en France et auprès de l’OCDE
avaient des contacts étroits.
Je n’ai volontairement pas abordé la question de savoir si la nationalité suisse est un avantage ou un handicap pour une carrière internationale. Y répondre
nécessiterait de confronter plusieurs expériences pour
éviter des jugements subjectifs. Dans tous les cas, ma
conclusion est d’encourager les jeunes Suisses à s’engager dans les institutions internationales, même si cela
comporte des risques. « Les Suisses dans le monde »,
dont Penthes illustre l’histoire, ont su sortir de leurs
frontières et prendre des risques…
ARTICLE
Profession :
avocat-conseil
Entretien avec
Me Jean Russotto,
Bruxelles
|
Jean Russotto, né à Montreux, avocat et docteur en droit de l’Université de Lausanne, est diplômé du Collège d’Europe à Bruges et de la
Harvard Law School ; il a débuté sa carrière professionnelle au Département de justice du Canton de Vaud et l’a poursuivie en tant que
conseiller juridique au siège principal de Nestlé à Vevey. Depuis 1972,
Jean Russotto est établi en Belgique, où il compte parmi les personnalités les plus en vue de la petite communauté des Suisses qui ont fait des
relations entre la Suisse et l’Union européenne leur spécialité. Associé
dans la grande étude d’avocats américaine Steptoe & Johnson LLP, Me
Russotto représente, entre autres, l’Association suisse des banquiers auprès des institutions européennes. Il signe régulièrement des articles
dans la presse suisse sur les relations de la Suisse avec « Bruxelles ».
M. RUSSOTTO, NOUS N’ALLONS PAS – UNE FOIS
COMME POUR LES DIPLOMATES, CE TRAVAIL A
N’EST PAS COUTUME – DISCUTER DES HEURTS ET
DONC UNE DOUBLE FACE : « C OMPRENDRE ET
MALHEURS DES RELATIONS ENTRE LA SUISSE ET
FAIRE COMPRENDRE », ÉCOUTER ET PARLER. AU
L’UNION EUROPÉENNE, MAIS DE VOTRE TRAVAIL
VOLET DE L’ÉCOUTE ET DE L’ANALYSE, LA RÉCOLTE
DE REPRÉSENTANT D’IMPORTANTES SOCIÉTÉS
D’INFORMATIONS AUPRÈS DES SERVICES DE
SUISSES AUPRÈS DES INSTITUTIONS EURO -
L’UNION RESTE-T-ELLE DIFFICILE ?
PÉENNES À BRUXELLES. APRÈS UNE LONGUE CARRIÈRE SOUS LA BANNIÈRE D’AVOCAT-CONSEIL,
QUELLE EST DONC L’ESSENCE DE VOTRE TRAVAIL ?
Tout d’abord : comprendre, en détail, les activités
des sociétés qui nous consultent et les objectifs qu’elles
visent auprès des institutions européennes. C’est essentiellement un travail de défrichage et parfois de
décryptage ; il est suivi de la rédaction d’un document
sur la nature du problème et les objectifs à atteindre,
document auquel le client peut donner son accord. Il
s’agit ensuite de présenter l’essentiel, juridiquement et
souvent économiquement, aux instances européennes :
Commission, Conseil, Parlement.
En effet, ce métier a deux facettes : obtenir l’information des services compétents est souvent malaisé.
L’administration européenne est vaste et les responsabilités sont réparties parmi un grand nombre d’acteurs. Parfois, la transparence n’est pas immédiate ;
d’où la difficulté de tracer, par exemple, les contours
et l’état présent d’une proposition législative qui peut
affecter une société cliente.
La Lettre de Penthes
| 17
| ARTICLE
À CE MÊME VOLET S’AJOUTE UNE TÂCHE DIDAC-
COMMENT UN AVOCAT-CONSEIL TRAVAILLE-T-IL
TIQUE VIS-À-VIS DE CEUX QUI VOUS DONNENT UN
AU PARLEMENT EUROPÉEN ?
MANDAT : VOS CLIENTS VOUS LISENT-ILS, VOUS
ÉCOUTENT-ILS, AGISSENT-ILS CONFORMÉMENT À
VOS CONSEILS ?
Le client est traditionnellement pressé et dispose
d’un temps limité pour s’entretenir avec son conseiller.
Il aime recevoir une analyse succincte, toujours accompagnée de recommandations concrètes. Le client
ne s’embarrasse pas de la recherche juridique ou du
détail des contacts pris, car il part de l’idée que ce
travail a été accompli de manière professionnelle ; ce
qui lui importe, c’est la logique de fond. Et il n’est pas
rare que le client, pour des raisons commerciales et/ou
tactiques, décide de choisir finalement une autre voie
que celle recommandée…
Côtoyer un parlementaire européen doit se faire
dans le même esprit. Souvent, avant même d’aborder
« politiquement » un dossier, certaines questions qui se
présentent au client doivent être abordées avec l’assistant du député. Certes, le parlementaire a, par définition, un rôle politique ; mais en tant qu’organe législatif, le Parlement européen doit aussi aborder et
maîtriser de nombreux aspects très techniques.
SOUVENT, DE TRÈS GRANDES ENTREPRISES MULTINATIONALES PRÉFÈRENT ORGANISER LA DÉFENSE
DE LEURS INTÉRÊTS EN SOLO ; DE PLUS PETITES
UTILISENT PLUS VOLONTIERS LES SERVICES DE
L’ASSOCIATION FAÎTIÈRE NATIONALE, VOIRE EUROPÉENNE DE LEUR BRANCHE ; QU’EST-CE QUI EST LE
VENONS-EN AU VOLET DE LA DÉFENSE D’INTÉRÊTS
PLUS EFFICACE ?
– QUI S’APPARENTE AU LOBBYISME ET QUI PEUT,
DANS L’ESPRIT DE BEAUCOUP DE GENS, PRÉSENTER UNE CERTAINE AMBIGUÏTÉ. CE TRAVAIL SE
FAIT-IL, COMME LE VEUT LE CLICHÉ, AU RESTAURANT – BRUXELLES EN CONNAÎT D’EXCELLENTS ! –
SUR LE TERRAIN DE GOLF, OU PLUTÔT DANS LES
BUREAUX DES COMMISSAIRES OU FONCTION-
Les deux approches sont valables. Il faut toujours
vérifier si, en l’espèce, l’adage qui veut qu’on ne soit
jamais mieux servi que par soi-même est applicable ; il
y a de nombreux exemples où la société doit s’effacer
et laisser parler d’autres interlocuteurs, telle une association européenne ou encore un cabinet externe.
NAIRES SPÉCIALISÉS ?
QUELLES SONT LES RELATIONS ENTRE LE REPRÉ-
Un avocat spécialisé en droit européen se doit de
connaître personnellement un grand nombre de responsables à tous les niveaux afin de s’assurer que tous
les aspects d’un dossier ont été couverts. La tradition
qui voudrait qu’un dossier soit conclu dans le confort
d’un restaurant est, en effet, plus un cliché que le reflet de la réalité. Par ailleurs, le fonctionnaire européen est tenu par des engagements éthiques, qui l’empêchent parfois de déjeuner, voire même de rencontrer
un consultant sur l’un ou l’autre dossier. Sur le long
terme, la clé de la réussite réside toujours dans la qualité du travail accompli au sein même du cabinet de
l’avocat-conseil.
18 | La Lettre de Penthes
SENTANT D’INTÉRÊTS PRIVÉS ET LA MISSION
SUISSE AUPRÈS DE L’UNION EUROPÉENNE QUI REPRÉSENTE LE CONSEIL FÉDÉRAL ?
Les sociétés suisses abordent la Mission suisse à
Bruxelles avec confiance. Elles savent que nos diplomates sont efficaces, sérieux et soucieux d’écouter les
entreprises, notamment quand celles-ci rencontrent
des difficultés. Toutefois, logiquement, les diplomates
ne peuvent pas assurer la représentation du secteur
privé. Les diplomates conseillent et éclairent le débat ;
les experts externes, dont l’avocat-conseil, incarnent
en revanche des intérêts particuliers et assurent la mise
en œuvre d’une stratégie.
ARTICLE
|
Le Parlement européen
ENFIN, QUELLE EST, AUJOURD’HUI, L’IMAGE DE
LA SUISSE DANS LES INSTANCES DE L’UNION ? REPRÉSENTER DES INTÉRÊTS SUISSES, CELA RENDIL VOTRE TÂCHE PLUS DIFFICILE EN COMPARAISON AVEC CELLE DE VOS COLLÈGUES D’AUTRES
NATIONALITÉS ?
L’image de la Suisse s’est modifiée depuis la mise
en place des accords bilatéraux. En principe, la Suisse
est jugée comme un partenaire efficace et fiable,
certes, mais toujours exigeant, et même parfois tourné exclusivement vers ses propres intérêts. Certains
estiment que trop de déviations et d’exceptions fine-
ment négociées ont finalement été faites en faveur de
la Suisse ; on observe dès lors un changement d’attitude vers une position plus réservée, moins accommodante. Le verdict du 9 février 2014 n’a pas facilité
les choses. Si ma tâche n’en est pas rendue en soi plus
compliquée, elle se présente peut-être comme plus
délicate ; je dois être plus circonspect et aussi meilleur auditeur, car, en fin de compte, je représente les
intérêts d’entreprises d’un pays qui est devenu, cette
fois-ci, véritablement un pays tiers. Ma longue présence à Bruxelles m’aide cependant à mieux comprendre ce changement, subtil, du climat ambiant à
l’égard de la Suisse.
La Lettre de Penthes
| 19
| ARTICLE
Les Suisses
de Rhône-Alpes
Entretien avec
François Mayor
ancien consul général de Suisse à Lyon
Propos recueillis par
Bernard Sandoz
ancien consul général de Suisse à Lyon
LA RÉGION RHÔNE-ALPES, GRANDE VOISINE DE GE-
J’IMAGINE QUE CETTE STRUCTURE A ÉVOLUÉ AU
NÈVE, EST LA RÉGION AYANT LA PLUS IMPORTANTE
COURS DU TEMPS ? EN QUOI SE DISTINGUE-T-ELLE
CONCENTRATION DE SUISSES DE L’ÉTRANGER. POU-
DE LA STRUCTURE DES SUISSES DE LA RÉGION PA-
VEZ-VOUS NOUS DONNER QUELQUES CHIFFRES,
RISIENNE OU DU MIDI ?
POUR LA FRANCE EN GÉNÉRAL ET POUR VOTRE CIRCONSCRIPTION CONSULAIRE EN PARTICULIER ?
Fin 2013, on comptait en France 191 362 Suisses.
Pour la circonscription consulaire de Lyon incluant
cinq régions (Rhône-Alpes, Bourgogne, Franche-Comté, Auvergne et Limousin), ce sont, à fin février 2014,
101 139 Suisses qui sont inscrits. En comparaison
mondiale, on peut dire qu’un Suisse sur sept qui vit à
l’étranger est établi dans l’arrondissement consulaire
de Lyon !
QUI SONT CES SUISSES ? PEUT- ON ÉTABLIR
QUELQUES CATÉGORIES (ÉMIGRÉS DE LONGUE
DATE, FRONTALIERS DANS LE VOISINAGE DE GENÈVE, SUISSES DE PASSAGE – ÉTUDIANTS, VACANCIERS, HOMMES D’AFFAIRES, ETC.) ?
Nous trouvons toutes ces catégories. Tout d’abord
des Suisses immigrés de longue date, car il faut rappeler qu’après la Première Guerre mondiale et compte
tenu des résultats dévastateurs de ce conflit, notamment dans la population masculine française, des
offres furent faites aux Suisses de venir s’installer en
France dans des domaines divers comme l’agriculture,
l’élevage bovin, la fromagerie-laiterie et la viticulture.
D’autres Suisses se sont installés en France comme
frontaliers et y sont restés. La pénurie de logements du
côté suisse a également engendré quelques déplacements de familles du côté français. Enfin, une dernière catégorie est constituée de rentiers suisses qui
déménagent en France pour jouir d’un coût de la vie
moins élevé qu’en Suisse.
20 | La Lettre de Penthes
La distinction principale entre les Suisses de RhôneAlpes et les Suisses de la Région parisienne ou du Midi
est la proximité immédiate avec la Suisse. Nos statistiques montrent que plus de 90% des Suisses immatriculés habitent dans les régions frontalières de Rhône-Alpes,
mais aussi de Franche-Comté.
L’évolution principale est récente ; elle est due essentiellement aux changements de la législation suisse
concernant l’obtention de la nationalité, notamment
pour les membres d’une seule famille (conjoints, enfants). En effet, depuis ces changements, on a pu noter
une augmentation constante des demandes visant le
passeport suisse et par là, du nombre de nouveaux
Suisses enregistrés au Consulat général à Lyon. En
outre, il est évident que la situation de l’emploi en
Suisse, avec seulement 3% de chômage, attire aux
alentours de Genève de nombreux Suisses et doubles
nationaux qui vivaient jusqu’alors dans d’autres régions françaises.
VIVANT PROCHES DE LA SUISSE, CES COMPATRIOTES GARDENT-ILS LE CONTACT AVEC LA
SUISSE, EN PARTICULIER PARTICIPENT-ILS AUX VOTATIONS ET ÉLECTIONS EN SUISSE ?
39% des Suisses de l’arrondissement de Lyon se sont
inscrits pour voter en Suisse, ce qui montre que ces derniers gardent un contact avec notre pays. Pour ce qui est
du reste de la France, il faut compter en moyenne entre
20 et 25% d’inscrits exerçant leur droit de vote.
ARTICLE
|
Genève et sa frontière
La Lettre de Penthes
| 21
| ARTICLE
Nos compatriotes maintiennent aussi des contacts
avec la mère patrie par le biais des associations et clubs
suisses. On compte pas moins de 30 clubs suisses dans
l’arrondissement consulaire.
ou sociétés à capitaux suisses (plus de 500 dans la région) sont évidemment soumises à la législation française et souvent dirigées par un ressortissant français.
LA PROXIMITÉ GÉOGRAPHIQUE DE LA SUISSE, L’IM-
QUELS SONT LES PRINCIPAUX PROBLÈMES DE CES
PORTANCE DE L’IMPLANTATION DE L’ÉCONOMIE
SUISSES, PROBLÈMES DONT LE CONSULAT GÉNÉ-
SUISSE ET LE NOMBRE IMPORTANT DES SUISSES
RAL PEUT S’OCCUPER (FISCALITÉ, SÉCURITÉ SO-
RÉSIDANT DANS LES DÉPARTEMENTS FRANÇAIS
CIALE, FORMATION…) ?
LIMITROPHES GÉNÈRENT DES PROBLÈMES INSTITUTIONNELS. ETES-VOUS IMPLIQUÉ DANS CETTE
Il s’agit principalement des changements de lois en
France qui génèrent de l’insécurité parmi les Suisses
résidant dans l’arrondissement consulaire de Lyon, en
particulier par rapport :
- aux questions de régularisation fiscale du gouvernement français,
- à la convention franco-suisse sur les successions,
- au réaménagement par l’Etat français du droit d’option pour souscrire une assurance-maladie, un problème qui touche surtout les frontaliers.
Des décisions en Suisse peuvent également avoir un
impact direct ou indirect sur nos compatriotes qui
vivent à l’étranger. Le résultat de la votation fédérale
du 9 février 2014 a provoqué une grande incertitude
parmi les Suisses résidant en France.
Le rôle du Consulat général est de renseigner sur les
différentes législations et de donner des informations
sur des autorités ou institutions, en Suisse ou en
France, qui pourront aider les demandeurs dans leurs
démarches. Par contre, le Consulat n’est pas en mesure de traiter un dossier dans sa substance ou de répondre à des questions spécifiques relatives aux domaines mentionnés ci-dessus.
COMMENT CARACTÉRISEZ-VOUS LA PRÉSENCE DE
L’ÉCONOMIE SUISSE DANS CETTE RÉGION ?
L’économie suisse est très présente en Rhône-Alpes
du fait de la proximité avec notre pays et cela dans
beaucoup de domaines (chimie, machines, agroalimentaire, banques, autres services). Les compagnies
22 | La Lettre de Penthes
PROBLÉMATIQUE ?
Le Consul général représente l’Ambassade de Suisse
à Paris dans le Comité franco-genevois, le Conseil du
Léman, la Conférence transjurassienne et le programme Interreg, quatre organismes transfrontaliers
qui gèrent et tentent de régler des problèmes de voisinage franco-suisses tels que la pollution, l’éducation,
les transports, etc.
IL Y A SANS DOUTE AUSSI UNE DIMENSION CULTURELLE À CES RELATIONS ENTRE VOISINS ? QUE
FAUT-IL RETENIR ?
C’est peut-être le domaine dans lequel l’échange est
le plus vif et effectif. Il existe une collaboration directe
entre institutions culturelles régionales françaises et
suisses, notamment, bien entendu, en Suisse romande,
et cela touche toutes les catégories de l’expression
culturelle. Des accords entre théâtres, opéras ou galeries des deux côtés de la frontière ont été conclus directement. L’appui du Consulat général se résume
surtout à accompagner ces réalisations et à assister aux
vernissages et premières pour souligner l’image de
notre pays et les bonnes relations culturelles qui
existent. Le Consulat publie un calendrier culturel
mensuel sur son site : www.eda.admin.ch/lyon
ARTICLE
Lyon et ses Suisses
Jean-Claude
Romanens
généalogistehistorien, secrétaire
de la Chambre des
généalogistes
professionnels de
Suisse romande
(CGP-SR)
T
|
L’émigration civile des Suisses vers celle qui fut la capitale des Gaules est
une des plus importantes après Paris et les régions frontalières comme
la Franche-Comté ou la Savoie. Entre Rhône et Saône, je vous propose
une promenade dans les rues de Lyon à la découverte de l’histoire de sa
colonie suisse.
out au long de mes recherches sur l’histoire des
Suisses de l’étranger, pour laquelle je me passionne depuis trente ans, j’ai pu constater avec
intérêt les multiples apports de la « nation suisse » à la ville
de Lyon. Lyon était, après Paris et la Franche-Comté, une
des destinations privilégiées de l’émigrant suisse qui souhaitait venir travailler en France. De par sa proximité
avec la Mère patrie, elle fut pour beaucoup un exil temporaire et pour d’autres un tremplin vers des horizons
plus lointains. Ces milliers de Suisses venaient pleins
d’espoir chercher du travail à Lyon, seuls ou avec leur
famille, et ainsi démarrer une nouvelle vie dans cette capitale régionale, véritable carrefour de l’Europe. Protestants et catholiques, parlant allemand, français, italien
ou romanche, ces derniers se sont partagé durant ces
siècles la manne lyonnaise. Nombreux sont ceux qui venaient également en apprentissage ou poursuivre des
études supérieures. Lyon attire autant qu’elle fascine.
LES TOILES DE SAINT-GALL
On trouve à Lyon, dès le début du XVIe siècle, les
traces d’une colonie de commerçants suisses qui vendaient principalement des toiles de Saint-Gall. Ces
derniers acquirent une résidence à Lyon et de 1549 au
XVIIIe siècle, ce n’est pas moins de soixante-cinq maisons de négociants suisses qui s’établirent sur les bords
du Rhône. Citons parmi les plus connues les Sollicoffre (Zollikofer), Sellonf (Schlumpf ), Hogguer
(Hoegger), Gonzebat (Gonzenbach), Horutener (Hochreutiner), Councler (Kunkler) et Guiguer (Gyger).
La liaison entre Lyon et Saint-Gall était assurée
par un service de courrier régulier : « l’ordinaire de
Lyon » – auquel répondait en direction inverse « l’ordinaire de Nuremberg » – fondé par les huit plus anciennes maisons lyonnaises de Saint-Gall.
La Lettre de Penthes
| 23
| ARTICLE
Eglise des
Cordeliers par
Matthäus Merian
La rivalité des foires de Genève et de Lyon contribua à augmenter les échanges entre les deux villes rhodaniennes. En 1536, à la naissance de l’industrie de la
soie, les ouvriers suisses qui venaient résider avec leur
femme et leurs enfants pouvaient y acquérir des biens
comme s’ils étaient natifs du royaume, sans être tenus
de se faire naturaliser : ils étaient tous également affranchis de la taille et d’impôts. Ces privilèges attirèrent
une nombreuse main-d’œuvre suisse dans le royaume
de France et notamment à Lyon.
DES IMPRIMEURS, GRAVEURS ET ÉDITEURS
En 1478, Le Miroir de la Rédemption, premier livre
illustré imprimé en France, fut composé avec des caractères typographiques importés de Bâle. Quelques
années plus tard, en 1548, les imprimeurs lyonnais
saluèrent avec satisfaction l’arrivée en leur ville, des
correcteurs Theodor Zwinger, de Bâle, et Heinrich
Elmer, de Glaris. Parmi les graveurs sur cuivre les plus
connus, citons notamment les Bâlois Johann Jakob
Thurneysen (1636-1711), qui se fixa à Lyon une vingtaine d’années avant de retourner dans sa ville pour
des questions religieuses, et surtout le célèbre Matthäus Merian (1593-1650), auteur d’inoubliables vues
de Lyon en 1622.
24 | La Lettre de Penthes
DU THÉÂTRE DES CÉLESTINS…
On ne peut parler de la présence suisse à Lyon sans
évoquer la personnalité de Gaspard André (18401896). Originaire de Bassins (Vaud), cet architecte
grandit dans le quartier de la rue Juiverie à Lyon (5e).
Elève de l’Ecole des Beaux-Arts, il est notamment le
concepteur du Palais de Rumine à Lausanne, qu’il
considérait comme son chef-d’œuvre. On lui doit également plusieurs réalisations importantes à Lyon, sa
ville natale, et principalement en 1873, la reconstruction du Théâtre des Célestins (2e), un des seuls théâtres
en France avec la Comédie Française et le Théâtre de
l’Odéon à fêter plus de deux cents ans d’art dramatique. Il travailla également sur la Fontaine des Jacobins et le Grand Temple des Brotteaux pour l’Eglise
réformée où il fut diacre.
… À LA TOUR DE FOURVIÈRE
Autre monument incontournable du paysage urbain lyonnais : la tour de Fourvière. Son terrain appartenait en 1905 à Georges Rusterholz (en fait, à sa seconde épouse), dont l’ancêtre avait quitté son village
d’Uetikon am See (Zurich) pour devenir apprêteur en
mousseline à Lyon au début du XVIIIe siècle. Rachetée par la ville de Lyon, la tour métallique échappa à
la destruction et connut une seconde vie lorsqu’elle
reçut les antennes de l’ORTF. Petite anecdote qu’il
convient de rapporter : cette tour, haute de 85 mètres,
fut construite à l’occasion de l’Exposition universelle
de 1894 et en grande partie montée par l’entreprise
Buffaud & Robatel. Or, Tobie Robatel, ingénieur de
l’Ecole centrale de Lyon, était par son père natif de
Noréaz (Fribourg). Une place de Lyon dans le 1er arrondissement porte désormais son nom.
ARTICLE
Restons dans cet arrondissement afin de profiter
d’un agréable jardin public appelé le « Parc Sutter » et
situé rue de Vauzelles, sur les pentes de la CroixRousse ; ce terrain fut acheté en 1976 par la mairie de
Lyon à la veuve d’un industriel zurichois, Paul Suter
(un T supplémentaire a été ajouté au nom figurant sur
la plaque commémorative…).
… EN PASSANT PAR LA CATHÉDRALE SAINTJEAN
A ne pas manquer bien sûr « le Suisse », cet automate qui carillonne à l’horloge astronomique de Lyon
et qui se trouve dans la chapelle Saint-Jean-l’Evangéliste de la cathédrale. Cette horloge fut restaurée à la
demande des chanoines de Lyon par l’horloger bâlois
Niklaus Lippius (1566-1598).
Ce petit détour dans le vieux Lyon nous ramène
maintenant sur la place Bellecour. Et plus précisément
à l’angle de la rue Alphonse Fochier (anciennement
rue du Peyrat) pour découvrir une somptueuse habitation : la Maison Rouge, surnommée le Petit Louvre,
où logèrent Louis XIII en 1630 ainsi que Louis XIV
et sa cour en 1658. Son propriétaire était Alexandre
de Mascrany, originaire des Grisons, trésorier de
France et prévôt des marchands de Lyon. De nos
jours, seule la petite rue Mascrany (4e) rappelle encore
cette famille qui finança une grande partie des emprunts faits par la Cour de France et qui prêta en particulier 30 000 écus d’or à Richelieu pour solder les
mercenaires envahisseurs de la Savoie.
|
Les Grisons fournirent, outre des financiers et des
militaires, de très nombreux pâtissiers, qui avaient
aussi pignon sur rue, notamment au n° 23 de la rue
Sirène où le limonadier et confiseur Fleury Petzy, de
Zuoz, régalait les Lyonnais de ses douceurs. Dans la
même rue, à quelques pâtés de maisons de là, se trouvait un autre compatriote qui tenait la confiserie Perini. Nous ne pouvons oublier de mentionner Joseph
Baretta, tenancier du Café Suisse sur la place Confort
(aujourd’hui place des Jacobins), qui fabriquait un fameux chocolat dont raffolaient Monseigneur le duc et
Madame la duchesse d’Angoulême.
La rue des Treize cantons (aujourd’hui rue Vernay 5e)
doit son nom au fait que de nombreux négociants confédérés étaient installés dans cette rue. Dans ce vieux quartier de Saint-Paul habitait le marchand fribourgeois
François Menoux dont le petit-fils, Louis-François-Marie Menoux (1769-1855), se fit un nom en redonnant le
sien à la ville de Lyon en 1794. En effet, c’est grâce à un
discours particulièrement convaincant à la Convention
que ce jeune avocat venu représenter ses concitoyens à
Paris, plaida pour que l’on pardonne aux Lyonnais de
s’être dressés contre le mouvement révolutionnaire, que
le nom de Ville-Affranchie – nom dont on avait rebaptisé
Lyon – soit abandonné et que la cité retrouve son nom
antique. Etant fils d’un sujet helvète, il avait lui-même
échappé à la guillotine.
La place des Jacobins
La Lettre de Penthes
| 25
| ARTICLE
Pasteur Roland de Pury
installé à Lyon fut l’initiateur des grandes compagnies
de navigation sur le Rhône. En 1829, « Monsieur
Jacques », comme l’appelaient les mariniers du Rhône,
se vit confier la direction de la Compagnie Générale de
Navigation. En 1838, la Compagnie concurrente des
Aigles était dirigée par Louis Breittmayer, frère du directeur de la CGN lyonnaise !
La rue Kimmerling dans le 3e arrondissement commémore la vie d’Albert Kimmerling (1882-1912),
d’origine genevoise, fils du directeur de la Société
lyonnaise de dépôts, et qui fut le premier Suisse à avoir
piloté un avion dans le monde, mais également le premier directeur et moniteur de vol de l’Ecole lyonnaise
d’aviation de Lyon-Bron dès 1910.
En 1943, le pasteur Roland de Pury (1907-1979),
installé à Lyon dès 1937 dans son temple des Terreaux
au 10 de la rue Lanterne (1er), fit une prédication remarquable qui fut très probablement un des premiers
actes de résistance chrétienne en France. Il s’écarta de
la prudence pastorale et, dans son prêche intitulé Tu
ne déroberas point, s’opposa fermement au nazisme, à
Pétain et à la collaboration de l’Etat français. Il fut
arrêté à Lyon au moment où il allait célébrer le culte ;
détenu durant plusieurs mois par les Allemands au
Fort Montluc de Lyon, il y rédigea son désormais fameux Journal de cellule (publié à Lausanne en 1943).
LES GRANDES COMPAGNIES DE NAVIGATION
SUR LE RHÔNE
Le Rhône qui étire son cours à travers la cité, c’est
déjà un peu de la Suisse qui passe et qui dynamise Lyon.
La mise au point de la machine à vapeur a permis l’essor
de la navigation fluviale. De 1828 à 1855, cela a été
l’âge d’or des bateaux à vapeur. Les entreprises de batellerie à vapeur se multipliaient et passaient de cinq en
1841 à une vingtaine dix ans plus tard. On vit apparaître la publicité pour ces bateaux dans le Censeur, par
exemple avec la Compagnie générale de navigation,
fondée en 1830 par Jean-Jacques Breittmayer (18011865). Cet homme d’affaires et entrepreneur genevois
26 | La Lettre de Penthes
Un autre Suisse fut directeur des messageries de
Lyon : Pierre Galline (1772-1847), négociant et
consul de Suisse à Lyon. Il avait ses bureaux sur le
quai Saint-Antoine où les « citoyens des 22 cantons
suisses » pouvaient se faire connaître du consul
chaque après-midi entre 17 et 19 heures. Son fils,
Oscar Galline (1812-1881), chevalier de la Légion
d’honneur, fut banquier, président de la Chambre de
commerce de Lyon et vice-consul de la Confédération suisse. Cette famille avait émigré en France
suite au bannissement, en 1794, de Louis Elie Galline, maître horloger genevois.
Il reste beaucoup à découvrir sur l’histoire de cette
« Suisse d’au-delà les frontières » et sur ces enfants
d’Helvétie qui ont choisi une autre terre, une autre
culture pour simplement pouvoir vivre dignement.
Comme on le voit, des pans entiers de l’histoire des
Suisses de l’étranger restent encore à écrire et gageons
que cette promenade historique dans un Lyon méconnu donnera des envies et des idées à des universitaires
ou autres érudits, amoureux de l’histoire de leur patrie.
Penthes est un trésor et ce patrimoine est unique ;
c’est une mémoire vivante que l’on doit entretenir et
diffuser, car son action nous fait prendre conscience du
rayonnement de la présence suisse dans le vaste monde.
ARTICLE
|
L’âge d’or des barons
du fromage
Pierre Rime
ancien notaire, docteur en sciences économiques et sociales
La Tzintre
A
u mois de septembre 1790, Ferdinand Blanc,
curial – greffier de justice et secrétaire communal – du Pays et Val de Charmey, est
convoqué à Fribourg, toutes affaires cessantes, pour
avoir toléré la lecture, en assemblée communale, d’un
libelle révolutionnaire provenant du Club helvétique
de Paris : crime de lèse-majesté ! Leurs Souveraines Excellences veulent le tancer pour cet acte outrecuidant.
Mais l’intéressé louvoie. Par courrier, il invoque qu’il
se trouve sur le point d’aller peser des fromages dans
diverses fruiteries (chalets d’alpage) pour le compte
d’un riche marchand, Jean-Laurent Kolly. Il croit bon,
pour sa défense, d’invoquer l’économie fromagère ; il
n’en perdra pas moins sa place.
La production du fromage est alors vitale pour le
canton de Fribourg. Comme l’a écrit en 1779, l’avocat Nicolas Blanc, émigré à Paris à la suite d’une faillite infamante pour lui et qui sera secrétaire du Duc
de Luynes : « Sans les fromages, les Fribourgeois et les
Gruériens seraient dans ce siècle fort embarrassés de
leur existence ». Et le Pays et Val de Charmey est,
sans conteste, le centre de cette production. Preuve
en est l’activité des caves de la Tzintre, qui frappe
l’esprit des voyageurs, comme le pasteur Bridel de
passage à Charmey en 1797 : « Les alentours de
Charmey, semés de divers hameaux et fermes isolées,
offrent de tout côté de jolis points de vue. Le pont de
Tschentra (La Tzintre) sur la Jogne est le plus pittoresque : dans les bâtiments du voisinage, on peut voir
en été plusieurs milliers de fromages qu’on sale et
qu’on soigne avant de les envoyer plus loin ; c’est l’entrepôt général d’une foule de bergeries, qui y versent
leurs produits, dont le commerce s’empare bientôt
pour les répandre dans toute l’Europe et les faire passer jusqu’aux deux Indes ».
La Lettre de Penthes
| 27
| ARTICLE
28 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
Autre indice : Charmey serait l’endroit de Suisse où
l’on consommerait le plus de sel. Les caves traitent les
meules qui se fabriquent dans les grasses montagnes
de la vallée, mais aussi dans celles des baillages de Jaun
et de Planfayon, voire du canton de Berne. Deux peseurs procèdent à la pesée officielle des fromages pour
la perception d’un impôt qui tombe dans la bourse du
« pays ». En 1791, le remplaçant de Ferdinand Blanc,
Pierre Léon Pettolaz dressera, pour la perception de
cet impôt, un « état spécifique de la récolte de fromages fabriqués ou déposés rière le Pays et Val de
Charmey » : durant la saison d’alpage 1791, 96 fruitiers – fabricants de fromage – ont fabriqué ensemble
14 377 meules de fromage.
Cette activité est l’expression d’un vaste mouvement
de chalandage qui existe depuis deux siècles en direction des marchés de Lyon ou de Turin. A la fin du
XVIIIe siècle, elle a suscité bien des vocations en
Gruyère et dans le Pays d’Enhaut. Une véritable « manie » aurait même « séduit une grande partie du peuple
de vouloir être marchand ou au moins fermier ». L’économie fromagère mobilise beaucoup d’énergie autour
des propriétaires de vaches, des propriétaires d’alpages,
des fruitiers, des marchands, sans compter LL.SS.EE.
de Fribourg qui, en 1663, ont tenté en vain de monopoliser à leur seul profit ce commerce rémunérateur.
Le fruitier organise la production : il admodie –
loue – les vaches nécessaires et bien souvent « la montagne ». La saison d’alpage dure vingt semaines,
jusqu’à la foire de la Saint-Denis de Bulle le 9 octobre.
Au mois de mai, le « pays » est envahi par la transhumance de nombreux troupeaux de 40 à 80 vaches,
porteuses de « sonailles ». Ainsi se crée, ici comme ailleurs, le rite de la poya – la montée à l’alpage – au
printemps et celle de la rindya en automne – le retour
du bétail.
|
Sur son alpage, l’armailli fabrique le gruyère qu’il
soigne lui-même ou qu’il transporte à dos de mulet,
aux caves d’affinage de la Tzintre. L’alpage et le gîte
qu’il occupe sont rarement sa propriété ; ils appartiennent souvent à un patricien de Fribourg. La lettre
explicative du curial Ferdinand Blanc, en 1790, précise bien qu’il doit encore aller peser les fromages de
Joseph Moret « dans la montagne de M. Laurent Vonderweid », un patricien ; il conçoit l’information
comme une excuse incontournable.
Dans le système, le fruitier est le plus misérable.
L’avocat Blanc l’a bien compris : « La perte retombe
toujours sur les plus malheureux, car les possesseurs
de montagnes, par privilège spécial (…) sont toujours
les premiers payés ». Le rôle cardinal est tenu par le
marchand, car de lui dépend le gain des autres. C’est
un grossiste qui négocie le prix de vente de son produit
sur les marchés, généralement celui de Lyon. A la
mi-septembre, les marchands domiciliés au pays
conviennent du prix d’achat des fromages. Quelle passion dans le négoce ! Car l’entreprise n’est pas sans
risque ; quelques faillites sont retentissantes. Le risque
n’est pas que financier : en avril 1715, une barque fait
naufrage dans le Rhône ; les commerçants François
Pettolaz, Pierre Niquille et son fils y meurent noyés.
La route traditionnelle du négoce conduit pourtant
à Lyon. Là, le marchand suisse jouit des privilèges négociés avec le roi de France dans les capitulations. Il
inscrit sa marque à La Douane en suivant une procédure juridique compliquée, mais il est alors affranchi
de la traite foraine – le droit de douane – et peut rapatrier son bénéfice. Les fromages sont entonnelés par
dix et transportés dans des « chariots », puis dans des
barques sur le Léman et sur le Rhône à partir de Seyssel, à la frontière franco-savoyarde.
La Lettre de Penthes
| 29
| ARTICLE
Marque du marchand Jacques Chappalley (1769-1803) inscrit
à la Douane de Lyon le 25 avril 1787
en 1750 pour interdire la suppression des terres à blé ;
il en va de la subsistance même de la population. Cette
mesure reste sans grand effet : beaucoup de jeunes
gens, sans travail, s’engagent dans le service étranger ;
de nombreuses familles émigrent, notamment en
Franche-Comté, où elles se mettent à fabriquer du
fromage, copie conforme du gruyère…
De nombreux marchands s’enrichissent dans cette
activité, souvent grâce à la pratique simultanée du prêt
à intérêts ; comme Jean-François Pettolaz qui achète
en 1780, du couvent de Hauterive, le « Gros-Plan » à
l’entrée de Charmey, pour 1000 louis d’or neufs ; il y
fait construire une magnifique maison en pierres. Les
jours de fête, on mange avec des cuillères en argent. La
maison occupe un domestique et une servante. A la
même époque, son lointain cousin, François Apollinaire Pettolaz, fait construire « la grosse maison » à
l’entrée de La Tour-de-Trême. Un vent de folie a présidé à ces réalisations : les deux cousins avaient été
admis dans le patriciat fribourgeois ; ils pouvaient se
titrer « de Pettolaz ». On atteint l’apogée de la réussite
financière des barons du fromage.
Car ce commerce a aussi des effets pervers qui provoquent une grave crise économique dont souffrent les
communiés ordinaires. Jusqu’alors, la vallée vivait en
autarcie, sur une stricte égalité économique des citoyens. L’économie fromagère balaie cette organisation socio-économique ; elle est gourmande en terres,
les marchands accaparant les surfaces productives,
suivant en cela les principes économiques des physiocrates. Des emblavures sont dorénavant pâturées,
des communs sont supprimés, l’exploitation individuelle gagne en importance. Le phénomène est tel que
le gouvernement fribourgeois est obligé d’intervenir
30 | La Lettre de Penthes
Les rapports sociaux, les mœurs de la population
évoluent. L’avocat Blanc dresse un triste tableau de ses
concitoyens dans l’esprit du Siècle des Lumières : « (…)
il n’y a donc que les vices qui sont la suite du luxe, de
l’oisiveté, du penchant à la débauche et une espèce
d’indépendance mal entendue, qui puissent les porter
à abandonner leur patrie et leur liberté avec une émulation partagée pour le beau sexe et encouragée par les
vieillards ». Ce jugement sévère est confirmé par l’opinion du curial Pettolaz : « (…) le commerce du fromage est presque le seul que nous connaissons. Il a,
cependant, ruiné l’agriculture, détruit la population
et introduit tous les maux qui viennent de la subite
abondance de l’argent et de sa disparition presque aussi prompte, fruit d’un luxe outré en tous genres, qui a
gagné toutes les classes, infecté presque tous les individus… ». Dans une autre lettre, il évoque « la dépopulation effrayante de la Gruyère fribourgeoise ».
A la fin du XVIIIe siècle, la fermeture du marché
lyonnais suite « aux événements de France », puis l’invasion du Corps helvétique par les troupes révolutionnaires françaises mettent brusquement fin à ces préoccupations. Au sortir des révolutions, il sera de moins
en moins question de fromage d’alpage. Peu à peu, les
fermes de la plaine vont prendre le relais grâce à la
suppression de la jachère. Avec beaucoup moins de
prestige.
Le temps des barons du fromage est presque fini. Il
avait permis l’ouverture du Pays et Val sur le monde ;
preuve en est : en 1786, Marie-Thérèse Villermaulaz,
une Charmeysanne, épouse Pierre-Augustin Caron
de Beaumarchais à Paris en troisièmes noces – prestige
d’un temps dorénavant révolu.
Edmond Boissier
(1864-1952) : pionnier de la
coopération transfrontalière
ARTICLE
|
Luc Franzoni
Edmond Boissier
à cheval
L
es Suisses dans le Monde… mais où, exactement, commence « le monde » ? A la frontière,
bien entendu. Pourtant la frontière, ce n’est pas
simplement une ligne plus ou moins épaisse sur une
carte ; c’est une histoire, c’est un contexte, une zone,
des zones : ainsi les Zones franches de Haute-Savoie
et du Pays de Gex, établies par les Traités de Paris et
de Turin des années 1815 et 1816, c’est déjà le monde.
La Suisse n’a jamais eu de colonies, certes, mais elle a
eu et a toujours ses Zones franches ! C’est là un chapitre assez peu connu de notre histoire et un aspect
particulièrement intéressant de la place que la Suisse
– avec le Genevois Charles Pictet de Rochemont, en
première ligne parmi les négociateurs helvétiques – a
su se tailler dans le « concert des nations » post-napoléonien. Et, bien entendu, les Genevois ou des Genevois ont joué également un rôle important dans la
suite de cette histoire.
Les Zones franches, c’est d’abord des droits donnés à
la Suisse sans aucune contrepartie de sa part, dans le
cadre de ces traités multilatéraux vus plus haut, dont
elle n’était même pas partie prenante, une situation rarissime en droit international public, si rare et si complexe qu’elle a été et est toujours une source de friction
entre la Partie bénéficiaire, la Suisse, et la partie grevée
de servitudes, la France, qui subissait ainsi les contrecoups de l’écroulement de l’ordre napoléonien – qu’on
lise l’arrêt de la Cour permanente de justice internationale, du 7 juin 1932, et la sentence arbitrale internationale rendue à Montreux-Territet, le 1er décembre 1933
pour en découvrir la complexité ! Mais le principe est
simple : après avoir tracé – voulu tracer, dû tracer… –
des frontières relativement resserrées pour former le
nouveau canton de Genève ; autrement dit : après avoir
coupé la ville de son arrière-pays naturel, il a fallu faire
reculer au moins les lignes douanières pour assurer l’accès libre, sans droits de douane ni restrictions quantitatives, à la vaste ceinture de terres fertiles assurant l’approvisionnement des Genevois en denrées agricoles
depuis des temps immémoriaux.
La Lettre de Penthes
| 31
| ARTICLE
Genève, devenue canton suisse depuis 1814, ne tirait de cette situation que des avantages matériels sans
avoir la charge administrative et sociale de territoires
peuplés en très large partie de catholiques. Ces droits
s’ajoutaient à l’ancienne couche de droits et d’exemptions fiscales pour les propriétaires de descendance
genevoise de biens appelés « de l’ancien dénombrement », c’est-à-dire des terres genevoises faisant l’objet
d’un échange entre la Sardaigne et Genève en 1754
(par exemple Collonges-Sous-Salève contre Evordes).
Cette couche était reprise dans les traités de Paris et de
Turin. Parmi ces propriétaires, citons des descendants
des Turretini, des Beaumont ou encore des Micheli,
des Naville entre autres. L’interprétation la plus récente date des années 1970-1980, quand un accord est
intervenu entre Jacques Chirac, alors Premier ministre
et Pierre Graber, conseiller fédéral, dans le cadre de la
Commission mixte franco-suisse, permettant à un exploitant suisse locataire de terres agricoles en Zone
franche de sous-louer une partie de celles-ci à des exploitants français. Le tout en approvisionnant librement Genève des produits cultivés (au prix genevois,
nettement plus intéressant que ceux de la région Rhône-Alpes). C’était une étape supplémentaire dans
l’imbrication des paysannats suisses et français dans la
région franco-valdo-genevoise.
Ces Zones et ces droits ne peuvent s’éteindre que par
renonciation déclarative par la Suisse, ou par la conclusion de nouveaux instruments multilatéraux pour
construire un ordre alternatif à ces Zones, avec la Suisse
comme Partie intégrante de ces traités. Nous verrons plus
loin où nous en sommes aujourd’hui du côté fédéral.
32 | La Lettre de Penthes
Au-delà ou en deçà de la mise en œuvre de ces Zones
franches se sont tissés des liens économiques et sociaux
transfrontaliers impliquant des gens de toutes conditions et de toutes convictions et qui font qu’aujourd’hui,
la région du Grand Genève est l’une des plus attrayantes
d’Europe. Au nombre des gens concernés, il faut citer
Edmond Boissier-Fatio (1864 -1952) qui, alors qu’il
avait embrassé une carrière militaire, puis politique et
philanthropique, s’impliqua directement dans le développement de l’agriculture et dans la sauvegarde du
patrimoine rural transfrontalier.
Edmond Boissier est issu d’une vieille famille protestante originaire de Sauve en Languedoc, dans l’arrière-pays de Nîmes, famille établie définitivement à
Genève au XVIIe siècle. Négociants, armateurs, banquiers d’abord à Anduze près d’Alès, les Boissier installèrent des comptoirs à Genève et à Gênes pour se
prémunir contre les persécutions religieuses. Ce fut
finalement la révocation de l’Edit de Nantes qui, en
1685, amena une branche de la famille à se fixer définitivement dans la cité de Calvin, sans pour autant
couper tous les liens avec d’autres branches, restées en
France. Avec des familles alliées originaires de la
même région, les Sellon et les Naville, les Boissier ouvrirent ce qu’il sied de qualifier de plus grand chantier
du XVIIIe siècle genevois, celui, rue des Granges, des
maisons portant aujourd’hui les numéros 2, 4 et 6,
hôtels particuliers qui dominent la place Neuve. Leurs
descendants tissèrent des liens familiaux avec les familles patriciennes les plus influentes de la République
et s’illustrèrent dans la banque, les sciences, la politique, la philanthropie, la diplomatie et… l’agronomie. Ils contribuèrent directement et d’une manière
profonde à ce qu’on a appelé l’« Esprit de Genève » :
une ville ouverte sur le monde et au monde.
ARTICLE
|
A l'intérieur des Laiteries Réunies de Genève
Edmond Boissier possédait par ascendance familiale
avec les Butini, famille dirigeante genevoise avant la
période calviniste, un grand domaine à Miolan, entre
Vandœuvres et Choulex. Cette terre tantôt savoyarde
– traversée par le « chemin des Princes » –, tantôt genevoise, exploitée depuis le milieu du XIVe siècle joua un
rôle décisif dans l’intérêt que le jeune Edmond portait
à la nature. Il tenait de son grand-père, le célèbre botaniste Edmond Boissier-Butini, son prénom et aussi son
amour de la nature et de la gent paysanne.
Edmond Boissier servira la commune de Miolan
comme maire pendant des décennies. Son attachement à la terre s’exprimera aussi par sa carrière militaire chez les dragons où il commandera un régiment,
puis servira comme chef d’armes de la cavalerie pendant la Première Guerre mondiale. Il fut appelé par
Max Huber au Comité international de la CroixRouge et en sera, à un âge avancé déjà, vice-président
pendant la Seconde Guerre mondiale. Son fils Léopold, ancien secrétaire particulier de Gustave Ador,
après avoir dirigé l’Union interparlementaire (UIP) à
Genève, deviendra président du CICR entre 1955 et
1964 et recevra pour cette institution et son rôle durant la crise de Cuba, le Prix Nobel de la Paix en 1963.
C’est donc à travers les vicissitudes de la vie de propriétaire terrien et en raison de son intérêt pour le monde
agricole genevois, notamment au lendemain de la dévastation des vignobles par le phylloxera et des dégâts causés
par la peste bovine dans le monde rural, qu’Edmond
Boissier s’investit dans la création d’un outil majeur de la
sauvegarde et de la promotion de la paysannerie franco-valdo-genevoise : Les Laiteries Réunies de Genève.
La Lettre de Penthes
| 33
| ARTICLE
34 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
S’appuyant sur d’anciennes tentatives des producteurs de la région genevoise de créer de grandes associations pour la défense de leurs intérêts, Edmond Boissier
estimait qu’aux changements de mœurs de la paysannerie et aux apports des techniques modernes devait correspondre une organisation professionnelle et commerciale efficace. Après une période de tâtonnements et
d’expériences qui se traduiront par divers regroupements et mutations structurels (sans oublier les changements de nom), l’acte fondateur des Laiteries Réunies de
Genève fut signé à Miolan en 1911. Edmond Boissier
accompagnera le développement de cette entreprise
comme président jusqu’en 1931. D’abord établi à Carouge, le groupe, qui, en 2012, a affiché un chiffre d’affaires de près de 280 millions de francs, est installé à
Plan-les-Ouates depuis 1982.
Heureusement, les acteurs économiques et politiques des deux côtés de la frontière se sont unis de
façon exemplaire et sans précédent pour demander
aux capitales – toujours très lointaines par rapport aux
enjeux régionaux – de préserver et protéger ce patrimoine historique, politique et économique : magistrats genevois et français, députés, présidents de départements, chambres d’agriculture, les propriétaires,
sans oublier les exploitants franco-valdo-genevois euxmêmes et, avec eux, les LRG, sont à l’unisson et prêts
à se battre jusqu’au bout pour la défense de ces droits
devenus partagés, tout en satisfaisant aux exigences de
qualité du « label Swissness » ! Le label est un nouveau
niveau d’exigences auquel tous les acteurs suisses et
français adhèrent ! C’est un nouvel atout pour la Région et la Suisse.
Regroupant dès les origines quelques laiteries du canton de Genève et de la Zone, les LRG rassembleront
bientôt les producteurs laitiers et agricoles de toute la
région franco-valdo-genevoise, de Saint-Prex dans le
pays de Vaud à Annemasse en Haute-Savoie en passant
par le Pays de Gex. Certaines laiteries du pied du Salève
– où l’auteur est domicilié – avaient rejoint le groupe en
1908 déjà : Collonges-sous-Salève, Lathoy, Perly-Certoux. Le monde agricole du bassin genevois tel qu’il
existe de nos jours aurait été bien différent sans l’apport
rayonnant de cet acteur majeur de l’agro-alimentaire
que sont les LRG. Quant aux consommateurs, bien évidemment, ils ont pu et peuvent encore profiter des produits du terroir de toute première qualité et largement
diversifiés. Il n’y a là que des gagnants !
Le Conseil du Léman, qui réunit l’Ain, la Haute-Savoie ainsi que les cantons de Genève, Vaud et Valais,
a adopté par acclamation une résolution adressée à la
Berne fédérale qui doit se pencher durant le premier
semestre 2015 sur l’ordonnance du label « Swissness »
dans les prochaines semaines. Cette résolution demande « une application de cette ordonnance cohérente et porteuse d’avenir, pour le territoire transfrontalier et pour nos deux pays » – une belle unanimité et
donc une belle revanche de l’Histoire sur les errements
nationalistes d’autrefois !
Mais l’histoire n’est pas terminée, car comme nous
l’évoquions au début de notre article, l’introduction par
les Chambres fédérales, en juin 2013, d’un « label
Swissness » dont la mise en place pourrait mettre en jeu
l’existence même de la production agricole et laitière
des Zones franches, jusqu’à l’exclure purement et simplement du marché, a ravivé les plaies ! Au moment où
cet article est écrit, les négociations sont toujours en
cours et fluctuent d’un jour à l’autre, passant de la
conciliation à la menace et aux ultimatums, puis aux
prodromes d’un accord.
|
La question du « label Swissness » qui continue à
défrayer la chronique avec ses hauts et ses bas, a montré que les acteurs économiques et politiques des deux
côtés de la frontière se sont unis de façon exemplaire
et sans précédent afin de préserver et protéger ce patrimoine historique, politique et économique, qualitatif aussi bien que quantitatif. Mais ce patrimoine et
cet atout seront-ils reconnus et intégrés par la Berne
fédérale ? Au moment où sont écrites ces lignes, rien
n’est moins sûr tant, la situation genevoise semble
lointaine et inaudible… Affaire à suivre donc !
La Lettre de Penthes
| 35
| ARTICLE
Bruno Manser –
un Suisse pas
comme les autres
Bénédict
de Tscharner,
Président honoraire
de la Fondation
pour l'histoire
des Suisses
dans le Monde
Dans notre jeunesse, la plupart des livres d’aventures étaient de la pure
fiction : jungle tropicale, climat insupportable, bêtes sauvages, indigènes
mystérieux, trésors cachés, quelques méchants, quelques gentils… Tarzan et Jane n’étaient jamais loin. Les récits authentiques, écrits par des
chercheurs sérieux, des géographes, des ethnologues, des naturalistes
existaient, certes, mais ne se trouvaient pas nécessairement entre les
mains des jeunes lecteurs. Notre époque a vu une nouvelle catégorie
d’aventuriers faire leur apparition : le militant écologiste, quelqu’un qui
met en jeu sa santé, voire sa vie, non seulement pour mieux connaître
les milieux naturels et leurs habitants, mais aussi pour les protéger, voire
les sauver ; ce qui signifie aussi : pour dénoncer ceux qui contribuent à
la dégradation ou à la destruction de l’environnement naturel.
L
e Suisse Bruno Manser (né en 1954 – déclaré mort
en 2005) est le prototype de cette nouvelle espèce
de héros ; mais précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas
d’un fanatique ou d’un illuminé, mais d’un homme qui
a aimé la vie dans toutes ses formes, tout simplement. Et
l’aventure écologique de notre époque a ceci de particulier que, même si cette lutte se déroule dans une région
fort éloignée, quasiment dans un autre monde, elle a un
impact sur nos propres conditions de vie.
Après ses études secondaires à Bâle, le jeune Bruno
Manser renonce à faire des études universitaires et préfère travailler comme armailli sur un alpage des Grisons,
et cela pendant pas moins de onze ans ! Il refuse de faire
son service militaire. Il s’intéresse à l’artisanat traditionnel, à la médecine naturelle, ou encore à la spéléologie.
En 1984, à trente ans, Bruno Manser part pour l’Asie du
Sud-Est ; son but est d’explorer la forêt tropicale et d’entrer en contact avec une population encore proche de ses
origines, « avec mon sac à dos, un compas, un hamac et
une toile, un couteau militaire suisse et du Birchermuesli », comme il dit. Son idéal est de vivre sans argent,
sans contraintes, sur les ressources qu’offre la nature. Ce
qu’il apporte aussi, c’est son habileté et sa résistance phy36 | La Lettre de Penthes
sique et psychique exceptionnelles. Manser, nous l’avons
vu, ne dispose pas d’une formation scientifique ; mais il
est un excellent observateur, il note, il photographie ou
enregistre tout ce qu’il vit, voit et entend ; il illustre aussi
son journal de nombreux dessins d’une valeur artistique
incontestable. Heureusement, grâce à des mécènes, ce
journal (16 volumes en tout) sera publié en fac-similé
après sa disparition.
La région que Bruno Manser a choisie est l’île de
Bornéo, île que se partagent l’Indonésie, la Malaisie et
le Sultanat de Brunei. Son lieu d’exploration préféré
est plus précisément l’Etat malaisien de Sarawak, une
région qui est proche de la province indonésienne du
Kalimantan. C’est là, dans une jungle vierge, que vit
la tribu de nomades forestiers des Along Sega, environ
300 familles en tout. Ils font partie du peuple des Penan, dont le nombre est estimé à 12 000 âmes. En vivant dans la jungle, Manser s’expose évidemment à de
nombreux risques qui vont des aléas de la nature (chaleur, humidité, épines, plantes vénéneuses, sangsues,
piqûres d’insectes, morsures de serpents, etc.) à de
nombreuses maladies ou blessures.
ARTICLE
|
En 1990, Manser est pratiquement chassé du pays
par les autorités de Malaisie qui finissent par considérer
cet « impérialiste suisse » comme une sorte d’ennemi
public ; une récompense est offerte pour sa capture. Il
faut savoir que l’homme fort du Sarawak, Abdul Taïb
Mahmoud, Premier ministre entre 1981 et 2014 (sic !),
est aussi l’un des hommes les plus riches du monde ; sa
fortune est estimée à 20 milliards de dollars. Lui et sa
famille ont, au fil des années, acquis des intérêts dans
pratiquement toutes les activités lucratives du Sarawak
(exploitation du bois tropical, remplacement de la forêt vierge par des plantations de palmiers à huile, barrages hydrauliques, routes, etc.). Les investissements
que contrôle le clan s’étendent au monde entier.
Au début, le Suisse désire simplement mieux
connaître le mode de vie et la langue de ce peuple des
forêts ; dans un sens, c’est la quête du paradis terrestre.
Très vite, cependant, il se voit affronter un défi d’une
tout autre nature, à l’instigation d’ailleurs de ses amis
indigènes, à savoir la résistance contre les coupes brutales et massives de bois tropicaux, des coupes qui détruisent l’habitat à la fois naturel et culturel des Penan. Manser comprend très vite qu’en tant que « blanc
sauvage », son accès aux médias est plus facile que celui
des autochtones. Sur un plan juridique, il vise notamment à faire reconnaître les droits territoriaux de la
population locale dans ses zones de vie ancestrales,
droits qui existent sur papier, mais qui sont régulièrement violés, impunément. Un des moyens de lutte
sont de simples barrages sur les pistes qui traversent la
jungle et où circulent les nombreux véhicules et
lourdes machines des grandes sociétés d’exploitation
forestière. Mais attention : les Penan n’ont que leurs
sarbacanes ; les bûcherons, eux, sont munis de fusils.
Manser mènera cette vie pendant six ans, entre 1984
et 1990, à la fois observateur extérieur et homme complètement intégré à la population autochtone, et très
respecté par elle.
En 1992, après son retour en Suisse, Bruno Manser
crée une Fondation – le Bruno-Manser-Fonds (www.
bmf.ch/fr) – et publie un livre, Voix de la forêt pluviale
(Stimmen aus dem Regenwald) qui le rendra célèbre. Le
but de la Fondation est d’étudier et de protéger le
peuple des Penan, mais aussi d’obtenir l’arrêt des importations, en Occident, de bois tropicaux en provenance des forêts vierges et l’introduction d’une déclaration d’origine obligatoire. Manser aimerait que,
dans nos pays, les consommateurs eux-mêmes renoncent à utiliser ces ressources nobles que sont
l’acajou, le balsa, le palissandre, le teck et beaucoup
d’autres, essentiellement dans des aménagements intérieurs – y compris des yachts de luxe ! – ou encore
comme meubles de jardin.
En 1993, afin d’attirer l’attention de l’opinion publique sur ce qui se passe au Sarawak, Manser mène une
grève de la faim de deux mois devant le Palais fédéral à
Berne. Il est surtout soutenu par les Bâlois qui siègent
aux Chambres fédérales et qui, à leur tour, se sentent
soutenus par la population de leur ville. D’autres « actions » plus ou moins spectaculaires suivent.
La Lettre de Penthes
| 37
| ARTICLE
Grâce à cette campagne publique – il faut admettre
qu’elle est menée fort habilement, avec un grand sens
de la communication –, la problématique du bois tropical commence à occuper une place croissante dans
le discours écologique. Au Sarawak, en revanche, on
est bien loin des débats idéalistes des pays industrialisés…
Toutes ces activités s’accompagnent de voyages que
Bruno Manser entreprend dans le monde entier pour
promouvoir sa cause et, surtout, de fréquents retours
dans la jungle de Bornéo. Fin mars 1999, Manser survole la ville principale du Sarawak, Kuching, à l’occasion d’une fête célébrant le retour des pèlerins de la
Mecque. Manser est arrêté, transféré à Kuala Lumpur
et expulsé de Malaisie vers la Suisse avec interdiction de
séjour ; mais dès le mois de mai 2000, on le retrouve sur
place. Trois jours plus tard, le Suisse disparaît sans laisser de traces, au milieu de la forêt pluviale. Les théories
sur ce qui s’est passé sont nombreuses : maladie, accident, crime – les coupables présumés sont tout désignés
–, suicide ou intégration volontaire au sein d’un groupe
d’indigènes… ? Verra-t-on un jour réapparaître Bruno
Manser ? Plusieurs expéditions sont organisées pour
trouver les traces du disparu, sans succès. Il est évident
que ce mystère a donné un coloris particulier à l’aventure et au combat du Suisse.
Parmi les activités militantes menées par le Fonds
Bruno Manser depuis la disparition de son fondateur, il y a lieu de mentionner également la lutte
contre les projets hydroélectriques géants et leurs
barrages, qui auront pour conséquence l’inondation
de vastes surfaces de la forêt ainsi que la délocalisation des peuples qui y vivent. Les attaques se dirigent
alors non seulement contre les autorités ou sociétés
malaisiennes, mais aussi contre des entreprises
suisses telles qu’Asea Brown Boveri (ABB), qui ont
décroché de juteux contrats pour la fourniture de
turbines et d’autres équipements.
38 | La Lettre de Penthes
La lutte contre la déforestation dans les tropiques
n’appartient bien évidemment ni aux seuls amis de
Bruno Manser ni aux seuls Suisses ; elle est menée également dans d’autres pays et par d’autres organisations
publiques et privées. Disons toutefois qu’en tant que
plateforme à la fois politique et financière, la Suisse se
prête particulièrement bien pour de telles activités. La
Genève internationale est un centre mondial où des
initiatives de ce type ont une grande tradition ; mentionnons, entre autres, la Convention sur la diversité
biologique (CDB) de 1992, une des suites du Sommet
de la Terre à Rio de Janeiro de la même année. Il existe
aussi des accords plus spécifiques sur l’exploitation et
l’utilisation des bois tropicaux et, depuis 1986, même
une Organisation internationale des bois tropicaux
(OIBT / ITTO), dont le siège se trouve curieusement
à Yokahama au Japon.
Pour ce qui est de la défense des droits des peuples
autochtones, on peut mentionner la Déclaration que
l’Assemblée générale des Nations unies a adoptée en
2007. Sur un plan pratique, ce sont essentiellement
des organisations non gouvernementales qui sont engagées dans cette lutte, tel que le Centre de documentation, de recherche et d’information des peuples autochtones en danger, le doCip, dont le siège est à
Genève et qui existe depuis 1978. Il est difficile de
porter un jugement équilibré sur l’efficacité de toutes
ces activités et institutions privées et publiques ; pour
certains, à coup sûr, elle est insuffisante, pour d’autres,
des droits collectifs basés sur des critères ethniques,
linguistiques ou socioculturels mettent en péril les
principes mêmes de l’Etat de droit, basés sur l’égalité
de tous les êtres humains.
Depuis le 25 août 2014, date du 60e anniversaire de
la naissance de Bruno Manser, une petite araignée de la
forêt tropicale de l’ouest de Bornéo porte le nom d’Aposphragisma brunomanseri. C’est le biologue suisse Marco
Thoma qui l’a repérée – encore sans nom – dans les
collections du Musée d’histoire naturelle de Berne.
ARTICLE
La Lettre de Penthes
|
| 39
| ARTICLE
Le Domaine
de Penthes en devenir
La Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde a pérennisé l’usufruit du Domaine de Penthes jusqu’en 2022. Entre 2012 et aujourd’hui, la Fondation a su mobiliser tous les acteurs culturels importants pour proposer aux citoyens et habitants de
Genève un programme riche et exigeant sur la qualité autour de la thématique « Suisse
et le monde ».
N
otre investissement, lié notamment aux frais
d’exploitation d’un domaine de neuf hectares entièrement dédié aux citoyens et habitants de Genève, sont à la mesure de l’exceptionnelle
ampleur de nos ambitions et de ce domaine de découvertes où se conjuguent harmonieusement nature, culture et gastronomie.
Malgré la volonté affichée de l’Etat de Genève de
sauvegarder en ces lieux la vocation extraordinaire
d’une institution qui fait de notre canton le cœur
de la 5 e Suisse et le seul endroit à Genève qui explique l’histoire et le fonctionnement de la Suisse,
le financement du budget de la Fondation, qui ne
Rendez-vous sur
penthes.ch
et cliquez ensuite sur
Penthes est à vous
vit ni de l’air du temps ni des subventions publiques, reste aléatoire et pourrait aboutir, à plus
long terme, si l’on n’y prend garde, à une cession du
Domaine de Penthes à un privé ou à une institution
quelconque. Pour éviter ce scénario-catastrophe et
pour sensibiliser le plus large public à la conservation du domaine de Penthes aux mains des Genevois-e-s, la Fondation a lancé une importante campagne de « crowdfunding ». Cette vaste opération a
pour vocation de préserver le Château, le Musée et
le Domaine et surtout nous permettre de développer de nouveaux projets ambitieux qui assureront la
pérennité de cette interface entre la Suisse, Genève
et le Monde.
sélectionnez la case de
votre choix sur la grille
OU
entrez le numéro qui vous intéresse
dans le champ à disposition
OU
40 | La Lettre de Penthes
affichez les cases thématiques
et choisissez celle qui vous plaît
Cliquez sur le panier et
entrez simplement vos
coordonnées et décidez
des informations que
vous souhaitez afficher
ARTICLE
L’appel de fonds s’articule autour du site internet
www.penthes.ch et d’une page dédiée à cette fin (voir
ci-dessous la procédure) et sur laquelle le public est
invité à acquérir une case sur un tableau réunissant au
total 2500 cases, pour un montant variant entre CHF
80.– et CHF 1500.–. Des sponsors ou mécènes « premium » ont également été sollicités pour l’obtention
de fonds plus conséquents. Une campagne de sensibilisation dont vous pouvez découvrir deux sujets dans
ce numéro est déployée dans les medias. La Fondation
a aussi établi des partenariats avec OneFm, Léman
Bleu et le GHI pour augmenter la visibilité de la campagne et faire en sorte qu’un maximum d’internautes
converge vers le site internet.
Vous réglez votre
achat au moyen
d’une carte bancaire
OU
Vous réservez votre
case et effectuez
un virement bancaire
dans les 5 jours
|
L’intérêt général exige que nous lancions cet appel
auprès du public. Aidez-nous vous aussi à préserver le
patrimoine qui vous est cher en vous rendant sans tarder sur notre site internet pour acquérir la case qui
vous correspond. N’oubliez pas de partager votre geste
avec votre entourage et incitez-le à faire un don.
Penthes est à vous !
Votre achat est confirmé.
Personnalisez votre case
avec la photo ou l’image
de votre choix et partagez
votre participation
avec votre entourage !
Vous pouvez à tout
moment consulter
la page explicative
en cliquant sur
La Lettre de Penthes
| 41
| ARTICLE
Andreas
Affolter
historien ;
Institut
d’histoire
de l’Université
de Berne
Jean-Victor II de Besenval
(1671-1736) :
officier et diplomate
Le 11 décembre 1722, après de longues années passées au service de la France, les rêves
de Jean-Victor II de Besenval se réalisent enfin : le roi Louis XV nomme le Soleurois
colonel du régiment des Gardes suisses ; c’est le point culminant d’une brillante carrière
qui l’a vu non seulement servir son roi en tant qu’officier, mais aussi comme diplomate.
S
on père, Jean-Victor I, puissant avoyer de Soleure,
est le plus important et le plus fidèle des conseillers des ambassadeurs de France qui résident dans
cette ville, au point où l’un d’eux, le marquis de Puyzieulx,
peut dire que « si le roi pouvait acheter dans chaque canton un homme comme Besenval, la France pourrait
compter sur la Suisse comme son propre royaume ».
Pas de doute donc : Jean-Victor II, né en 1671, servira
lui aussi les rois de France. Après un passage chez les Jésuites à Soleure, le jeune homme entre à dix-huit ans
comme cadet au régiment des Gardes suisses et entame
une véritable carrière éclair. Après quelques semaines
seulement, il est nommé capitaine dans la compagnie
d’un cousin et, en mars 1690, Louis XIV l’autorise à recruter sa propre demi-compagnie pour La Garde. C’est à
la tête de cette unité qu’il participe aux batailles de la
guerre de la Ligue d’Augsbourg et, plus tard, de la guerre
de Succession d’Espagne. En récompense de ses faits militaires, le Roi Soleil le fait chevalier de l’ordre de SaintLouis, puis le promeut au grade de brigadier en 1704.
Mais avec la défaite des armes françaises à Ramillies au
Brabant, l’an 1706 devient un véritable annus horribilis
pour la France. Louis XIV doit trouver de nouveaux alliés et se tourne vers la Suède du jeune roi Charles XII,
vainqueur, cette année-là, d’importantes confrontations
faisant partie de la Grande Guerre du Nord et de ce fait,
considéré comme arbitre de l’Europe.
Le roi confie au Suisse qui a déjà fourni des preuves
de son talent de diplomate dans des échanges de prisonniers de guerre, la tâche de négocier avec le souverain de Suède. L’envoyé extraordinaire se déplace in-
42 | La Lettre de Penthes
cognito sur plus de mille kilomètres pour rencontrer
Charles XII, qui a établi ses quartiers d’hiver à Altranstädt près de Leipzig. Arrivé en mars 1707, Besenval n’est pas le seul diplomate à vouloir entrer dans les
grâces du roi. Très rapidement, il devient clair que
Charles XII ne compte pas se faire instrumentaliser
par la France ; il préfère partir en guerre contre le tsar
Pierre le Grand. La mission de Besenval est un échec.
Notre diplomate arrive à Danzig en septembre 1707 et
agit dorénavant comme envoyé auprès du roi de Pologne,
Stanislas Lesczynski – le père de Marie Lesczynska, future reine de France –, élu à ce poste grâce à la protection
suédoise. En 1709, la bataille de Poltava en Ukraine se
termine par une cuisante défaite de l’armée suédoise, alliée aux cosaques que commande Ivan Mazepa. Besenval
reste accrédité auprès de deux rois dont l’un, Stanislas,
vient d’être destitué et l’autre, Charles, se retrouve en exil
en terres ottomanes. Malgré cela, Besenval reçoit la
consigne de rester à Danzig et d’œuvrer pour la réconciliation entre la France et le roi Auguste II, dit le Fort,
prince-électeur de Saxe, que Pierre le Grand a réinstallé
sur son trône polonais. D’emblée, Besenval est engagé
dans de complexes négociations ; mais ce ne sera qu’en
1711 qu’il sera officiellement accrédité auprès des puissances du Nord. Son mandat consistait à gagner ces puissances comme médiateurs dans la guerre de Succession
d’Espagne et à écarter Auguste II de la coalition anti-française : double échec et refroidissement des relations
franco-polonaises. Mais le roi de France autorise néanmoins Besenval à prendre résidence à Varsovie où son
titre sera celui d’envoyé extraordinaire auprès du roi et de
la République de Pologne.
ARTICLE
|
Johann Viktor II de Besenval
Frans Van Mieris, 1711
Château de Waldegg, Soleure
Parmi les appuis que Besenval trouve sur les bords
de la Vistule, il faut surtout mentionner la famille Bielinski, famille noble traditionnellement francophile,
que Besenval fréquente déjà quand il est encore à
Danzig. C’est surtout Casimir Louis, le grand maréchal de la cour, qui lui facilite l’accès au roi de Pologne
et quand ce dernier prend comme maîtresse une fille
du maréchal, Marianne Bielinska, comtesse Dönhoff,
les relations du diplomate sont encore revalorisées, ne
serait-ce que parce que Marianne peut lui fournir des
informations particulièrement utiles. On dit qu’elles
faciliteront la conclusion du traité d’amitié franco-polonais de 1714. En 1716, les liens avec la famille Bielinski se renforcent encore puisque Besenval épouse la
sœur de la compagne royale, Catherine Bielinska,
veuve Potocka. Voici donc le simple fils de patricien
de la petite république de Soleure qui fait son entrée
dans la haute noblesse polonaise, une promotion qui
a notamment des conséquences financières non négligeables dans la mesure où la dot de la mariée permettra au diplomate de desserrer quelque peu l’étau de
son endettement chronique.
Pour ce qui est des années qui suivent, il n’y a pas
grand-chose à signaler, ne serait-ce que parce que la
couronne polonaise a perdu de sa liberté d’action et
que la France a perdu de son intérêt à la courtiser.
Besenval fait valoir des raisons de santé pour appuyer
sa demande de rentrer à Paris ; mais le régent Philippe
d’Orléans fait la sourde oreille. L’ancien officier se met
néanmoins à planifier la suite de sa carrière militaire :
sera-t-il à la tête de son propre régiment ? Malgré les
interventions de l’ambassadeur de France en Suisse,
aucun commandement ne lui est confié. La difficulté
de communiquer avec la métropole restreint ses possibilités d’intervenir à la cour. En 1721, le régiment
Buisson est confié au jeune et inexpérimenté Fribourgeois François-Philippe de Diesbach. « Je vois avec une
mortification accablante que tout ce qui est incroyable
devient possible à mon égard », se plaint Besenval dans
une lettre à un ami parisien.
Enfin, au cours de cette même année, après quatorze ans de bons et loyaux services comme diplomate, le roi autorise Besenval à rentrer en France. Il
fait escale à Soleure, mais gagne aussitôt Paris pour
défendre personnellement ses intérêts en haut lieu.
C’est donc en juin 1722 que le roi le nomme lieutenant-colonel au régiment des Gardes suisses et,
après le décès de François de Reynold quelques
mois plus tard, il peut accéder à la prestigieuse
charge de colonel. C’est au sein de ce même régiment que débute la carrière de son fils Pierre-Victor
(1721-1791), futur inspecteur général des Suisses et
des Grisons, confident de la reine Marie-Antoinette
et homme de lettres.
En reconnaissance de ses services, le roi transforme,
en 1726, la seigneurie de Brunnstatt en Alsace,
qu’avait acquise le grand-père de Jean-Victor, Martin
Besenval, en baronnie. Jouissant d’une réputation
flatteuse et d’amples pensions, mais aussi de son titre
de colonel des Gardes suisses, le baron Besenval de
Brunnstatt passe le restant de sa vie à Paris. Avec Catherine, son épouse, il emménage dans une maison de
la très élégante rue de Varenne – non loin du futur
hôtel particulier de la rue de Grenelle qu’achètera un
jour son fils Pierre-Victor. Cet « Hôtel Besenval » est
aujourd’hui le siège de l’Ambassade de Suisse. En revanche, le retour en Suisse tant espéré ne sera plus
accordé à Jean-Victor II, qui meurt le 11 mars 1736 à
Paris où l’église Saint-Sulpice accueillera sa dépouille.
La Lettre de Penthes
| 43
| LIVRES
Livres à lire
Eloge de
la dépendance
Bénédict de Tscharner
ANDRÉ HOLENSTEIN
Mitten in Europa
Verflechtung und Abgrenzung in der Schweizer
Geschichte
Verlag Hier und Jetzt, Baden, 2014
JOËLLE KUNTZ
La Suisse ou le génie de la dépendance
Editions Zoé, Genève, 2013
JOËLLE KUNTZ
Die Schweiz oder die Kunst der Abhängigkeit
– Zwischenruf
Traduction : Benedikt von Tscharner
Verlag Neue Zürcher Zeitung, Zurich, 2014
P
arler d’un pays, c’est aussi le placer dans son
contexte géographique, historique, culturel, économique… Qui dit contexte, dit rapports de voisinage ; et là, deux optiques s’offrent à l’analyste : il peut
mettre l’accent sur tout ce qui relie ce pays à son environnement, à savoir les échanges économiques, les
communications, les migrations, les rapports de force
militaires, les influences culturelles ; mais il peut aussi tenter de faire ressortir les différences, tout ce qui
distingue, voire ce qui sépare un pays de ses voisins.
Cette seconde optique s’impose plus facilement ; elle
permet à l’historien de construire son récit autour de
la notion de l’indépendance ou de l’identité. Nos amis
américains peuvent acheter un fac-similé de la « Declaration of Independence » de 1776 ; voilà qui facilite
le ressourcement dans le patriotisme, et tant pis pour
les nuances !
44 | La Lettre de Penthes
André Holenstein, professeur d’histoire suisse à
l’Université de Berne, en a trop lu de ces éloges de
l’indépendance, de ces mythes qui ponctuent l’historiographie traditionnelle de la Suisse, du Grutli au
secret bancaire en passant par Morgarten, Marignan
et la Berezina. C’est pourquoi il nous propose une
autre lecture : après avoir constaté, au début de son
livre, que « la Suisse se voit réveillée et bouleversée par des
développements en Europe et dans le monde dont les
forces motrices se soustraient au contrôle d’un petit Etat »
(p. 9), Holenstein écrit que « ce livre tente de démontrer
que l’ histoire suisse est une histoire transnationale et c’est
dans cette perspective qu’ il faut la raconter. C’est l’ histoire d’un espace qui s’est transformé en un Etat national
au moyen d’ échanges et de dialogues continus avec son
voisin ; c’est par ce processus qu’elle a pris conscience de
son identité spécifique et de l’ étroitesse de ses frontières.
[…] Le fondement de la Suisse est sa situation particulière en Europe ; elle est le produit de forces et de constellations européennes. » (p. 245)
Ce n’est sans doute pas une coïncidence si, peu de
temps avant l’historien spécialiste en histoire suisse, la
journaliste genevoise Joëlle Kuntz a développé le
même thème dans son essai La Suisse et le génie de la
dépendance (Editions Zoé 2013).
Ajoutons encore ceci : dans ses développements sur
les interdépendances (Verflechtungen) entre la Suisse
et l’Europe, André Holenstein nous livre notamment
un remarquable résumé historique de l’émigration et
de l’immigration qui, au cours des siècles, ont caractérisé l’histoire suisse, y compris et plus particulièrement l’épopée à multiples facettes que fut le service
étranger. Qui traduira en français ce chapitre fort bien
écrit, qui se trouve être aussi le récit central du Musée
des Suisses dans le Monde à Penthes ?
LIVRES
Marignan –
mythe et réalité
ROLAND HAUDENSCHILD (ÉDITEUR)
Marignano 1515 – 2015
Von der Schlacht zur Neutralität
Fondazione Pro Marignano, Chiasso / Verlag Merker im
Effingerhof, Lenzburg 2014
L
e conseiller fédéral Didier Burkhalter a sans doute
raison quand il écrit, dans la préface de ce livre, que
« Les mythes sont réalité à part entière ». Cela explique
peut-être pourquoi les initiateurs de cette commémoration de la bataille de Marignan – et ils ne sont de loin
pas les premiers – établissent un lien direct entre cette
bataille du XVIe siècle et la neutralité suisse, non pas le
rôle que les politiques de neutralité, dans leurs interprétations successives, ont pu jouer au cours des siècles,
mais la neutralité de la Suisse dans sa réalité d’aujourd’hui. Dans le logo de la Fondation pro Marignan
qui édite ce volume, on retrouve les deux dates et le
slogan ex clade salus : c’est du désastre que naît le salut !
Il s’agit pourtant d’une défaite qui fut immédiatement
suivie d’une paix perpétuelle et d’une alliance militaire
entre le Corps helvétique et le roi de France, grand vainqueur de Marignan ; et c’est bien cette date que nous
commémorons en 2015 !
Le livre que nous avons devant nous éclaire de
nombreuses facettes le cheminement des cantons,
puis, dès 1848, de la Suisse entre 1515 et 2015, même
là où la neutralité fait place aux mythes, aux ruptures
ou aux doutes. Il nous fait aussi découvrir de nombreux autres grands et petits faits relevant notamment de l’histoire militaire.
|
Le résumé de la quatrième de couverture constate
que Marignan a amené les Suisses à renoncer à toute
« politique de grande puissance » et que ce renoncement a été – et là, cela devient franchement compliqué
– « le début d’un tournant vers une longue tradition de
retenue – Stillesitzen –, autrement dit, un moment déterminant – Einschnitt – pour la future définition de la
neutralité d’aujourd’ hui. »
Pour ce qui est de la politique étrangère de la
Confédération, ce n’est peut-être pas dans ce livre
qu’il faut aller chercher une analyse complète. Notons
toutefois cette phrase d’Antoine Fleury qui se penche
sur la seconde moitié du XXe siècle :
« Si l’on conçoit la neutralité comme un legs du passé,
qui selon les circonstances a constitué un atout important
dans les démêlés avec les Puissances, il est impératif de
réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour que la
Suisse soit à même de relever le défi d’une fonction internationale renouvelée, digne de son passé et qui soit à la
hauteur des attentes de la communauté internationale. »
Quant à Hervé de Weck, il s’élève contre ceux qui
considéreraient la neutralité comme une relique de la
guerre froide et rappelle que, malheureusement, le
monde n’a pas encore trouvé un ordre basé sur le respect mutuel. Est-ce à dire, pour reprendre le titre de
sa contribution, qu’il n’y a, en fin de compte, ni rupture ni évolution dans ce domaine au cours des dernières décennies ? Cela mériterait un débat.
La Lettre de Penthes
| 45
| LIVRES
Sans doute faut-il lire ce livre de manière pragmatique : en effet, personne n’a jamais pu définir avec
certitude ce qu’il y a précisément sous le terme de « libertés suisses », personne non plus ne sait exactement
ce qu’est la « neutralité suisse » ; mais tous les Suisses la
vivent à leur façon et avec leur compréhension. Le débat est ouvert depuis fort longtemps et ce livre en est
un témoin : du mythe à la réalité, ou selon les opinions, de la réalité au mythe. Dans la vie d’une nation,
le mythe a souvent plus de place et de poids que la
réalité ; il fallait en tenir compte aussi !
GÉRARD MIÈGE *
Marignan. Histoire d’une défaite salutaire
1515-2015
Editions Cabédita, Bière, 2015
E
nhardis par les victoires qu’ils avaient remportées
au cours des XIVe et XVe siècles, les Suisses se
mirent à convoiter les terres qui se trouvaient au sud
des Alpes. Cependant, cette ambition leur suscita rapidement des ennemis, car pour les princes européens
il n’était pas question de laisser les Suisses empiéter sur
leur pré carré.
Alliés tantôt des Français, tantôt de la papauté, de
l’empereur du Saint-Empire, de Milan, de Venise et
même de l’Angleterre, les Confédérés furent de toutes
les batailles du premier quart du XVIe siècle, jusqu’au
jour où, à Marignan, leurs régiments d’infanterie
furent défaits par François Ier.
Cette « bataille de Géants » marqua un coup d’arrêt à
la politique d’expansion des Suisses et fit prendre
conscience à leurs élites de la faiblesse des institutions qui
unissaient les cantons et de la nécessité de définir, au sein
des Diètes, une politique qui leur fût commune pour
faire face aux grandes puissances qui les entouraient.
C’est cette histoire, qui fut pleine d’enseignement
pour l’avenir, que Gérard Miège va vous conter.
* Gérard Miège a publié plusieurs ouvrages :
La Suisse des Bonaparte en 2007 et Genève et la Suisse
au temps des révolutions.
Contact avec l’auteur :
Gérard Miège, route de La Bâtie 9,
CH-1290 Versoix, tél. : 079 219 09 29,
courriel : [email protected].
Histoire de Genève
N
ous avons eu l’occasion, dans la Lettre de Penthes
n°24 (automne 2014), de signaler au lecteur la
parution du premier tome de cette nouvelle Histoire
de Genève. L’auteur de La cité des évêques (IV e VIe siècle) est Mathieu Caesar. Voici à présent la suite,
les tomes 2 et 3, toujours dans ce petit format de
poche fort pratique. Les trois auteurs travaillent dans
le sillon de l’Université de Genève.
CORINNE WALKER
Histoire de Genève, tome 2
De la cité de Calvin à la ville française (1530-1813)
Editions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel, 2014
46 | La Lettre de Penthes
LIVRES
A
u XVIIIe siècle, les peintres représentent volontiers Genève et ses environs comme une scène de
théâtre. Au bout du lac, la ville entourée de ses remparts se détache d’une campagne ordonnée et prospère, organisée entre domaines bourgeois et villages
paysans. A l’heure de la découverte de la nature, et
bientôt des montagnes enneigées, tout semble ici
n’être que calme et volupté. Pourtant, au-delà de cette
image, la cité est déchirée par des conflits qui opposent une bourgeoisie luttant pour ses droits et une
oligarchie qui s’est peu à peu arrogé tous les pouvoirs.
La révolution calviniste du XVIe siècle a fait de la
cité un centre de la Réforme européenne en même
temps qu’une république indépendante qui a pu préserver sa liberté jusqu’à sa réunion à la France en 1798.
En évoquant les événements, les réussites et les crises
économiques, l’évolution des usages et des goûts, ce
livre propose de parcourir trois siècles au cours desquels Genève se forge une identité entre particularisme et ouverture, entre repli sur soi et esprit cosmopolite.
OLIVIER PERROUX
Histoire de Genève, tome 3
De la création du canton en 1814 à nos jours
Editions Alphil – Presses universitaires suisses, Neuchâtel,
2014
L
a création du canton à la Restauration initie une
période lors de laquelle Genève change totalement
de visage tout en conservant une très forte ambivalence, hésitant constamment entre ouverture et repli.
D’abord politiquement apaisée, la cité de Calvin
connaît sa mue au milieu de luttes politiques et confessionnelles très vives.
|
Ville industrielle dominée d’abord par la production horlogère, melting-pot densément peuplé et disposant d’un rayonnement international, Genève présente plusieurs aspects. La création d’une Genève
internationale, qui devient autant une composante
essentielle de son économie qu’une carte de visite,
construit une cité où le secteur tertiaire devient roi.
Des cités-satellites à la nouvelle Constitution, en
passant par l’établissement d’un secteur bancaire privé tout à fait unique, cet ouvrage offre un regard nouveau sur la construction d’une agglomération, qui ne
cesse d’hésiter entre tradition et modernité.
Horace-Bénédict
de Saussure
STÉPHANE FISCHER
Horace-Bénédict de Saussure
Naturaliste des Alpes – Natur- und Alpenforscher
OSL Œuvre suisse des lectures pour la jeunesse, n° 2479,
Zurich 2014
SJW Schweizerisches Jugendschriftenwerk, Nr. 2479,
Zürich 2014
Q
ui ne se souvient pas des cahiers de l’OSL que
nous avons tous connus – et parfois dévorés –
dans notre jeunesse ? Comme l’indique bien le numéro 2479 que porte cette publication, la longue série
continue et offre toujours des textes faciles d’accès à
un public qui dépasse de loin celui des écoliers.
Comme d’habitude, il existe une version française et
une version allemande. Fort heureusement, cette
œuvre a trouvé quelques mécènes permettant ainsi un
prix particulièrement avantageux, pour les écoles notamment.
La Lettre de Penthes
| 47
| LIVRES
Cette évocation de la vie du Genevois Horace-Bénédict de Saussure (1740-1799), auteur du « Voyage
dans les Alpes » en quatre volumes et dont l’ascension
du Mont-Blanc, en août 1787, est restée célèbre, se présente en grand format et est particulièrement riche en
informations, mais aussi – c’est à souligner – en illustrations. L’auteur, Stéphane Fischer, biologiste de formation et journaliste scientifique, est assistant conservateur au Musée d’histoire des sciences de la Ville de
Genève, musée qui est logé à la belle Villa Bartholoni
dans le parc de la Perle du Lac ; il a pu puiser dans les
riches collections de « son » musée pour nous présenter
des documents exceptionnels ainsi que des photographies d’instruments scientifiques liés aux travaux du
savant, objets que la famille de Saussure y a déposés. On
y trouve encore les portraits de quelques éminentes personnalités du monde de la science, contemporaines de
Saussure, dont plus d’un Genevois.
Patumbah
GABY WEBER, THOMAS MÜLLER, PETER
BAUMGARTNER
(éditeurs pour la Kantonale Denkmalpflege Zürich)
Villa Patumbah
Monographien Denkmalpflege Nr. 7
Zürich, 2014
U
ne bonne nouvelle : la « maison la plus folle de Zurich », la Villa Patumbah et son beau parc, dans le
quartier de Riesbach, ont été sauvés, soigneusement
restaurés et remis au Patrimoine suisse (Heimatschutz)
qui y a installé son siège principal (Zollikerstrasse 128,
8008 Zurich, [email protected]).
48 | La Lettre de Penthes
C’est une chance exceptionnelle que cette maison,
construite entre 1883 et 1885 pour le richissime Carl
Fürchtegott Grob (1830-1893), grand propriétaire de
plantations de caoutchouc sur l’île de Sumatra, ait survécu jusqu’à nos jours, car ce style architectural – on parle
d’historisme ou d’éclectisme, en vérité un mélange de
tous les styles et, en l’occurrence, enrichi d’éléments exotiques d’Asie – n’a longtemps pas eu les faveurs du public
et encore moins celles des architectes et historiens d’art.
Aujourd’hui, ces extravagances du XIXe siècle sont à
nouveau appréciées à leur juste valeur. En 1910, la famille
Grob fit don de la maison aux diaconesses de Neumünster, qui y installèrent pour près d’un siècle un home pour
personnes âgées – ce qui sauva la bâtisse, sans doute.
Restaurer scrupuleusement la Villa Patumbah avec
toutes ses fresques et plafonds peints, ses vitraux, statues,
bronzes, marbres, bois rares, lustres, etc. a exigé des fonds
considérables ; ils ont été mis à disposition par la Confédération, le Canton et la Ville de Zurich ainsi que par des
mécènes privés. L’épopée de cette restauration est décrite
dans le menu détail dans ce magnifique livre de plus de
quatre cents pages.
Né dans le quartier zurichois du Niederdorf dans
une famille de boulanger, Carl Grob fit un apprentissage de commerce et, avec Hermann Näher de Lindau
(Bavière) sur les bords du lac de Constance, entreprit
son premier voyage en Indonésie en 1869. C’est un
Suisse, Albert Breker, qui avait encouragé les deux associés à le rejoindre – la rumeur courait qu’on pouvait
y gagner beaucoup d’argent… ; en effet, il y régnait une
ambiance de ruée vers l’or. Grob et Näher commencèrent par cultiver la noix de muscade, puis s’engagèrent
dans le commerce du tabac, et, enfin, trouvèrent leur
« vocation » dans la culture de l’hévéa, l’arbre à caoutchouc ; c’était miser juste ! Leurs terres, sises dans le
Sultanat de Delhi sur la côte est de l’île, finirent par
LIVRES
s’étendre sur 25 000 hectares. Les agriculteurs de Sumatra n’étant que peu enclins à travailler dans les
grandes plantations – un travail dur, malsain et misérablement mal payé – il fallait faire venir des coolies d’ailleurs : les deux patrons employaient près de 2500 Chinois
et 1800 Javanais et Indiens sur leurs terres. Qui a dit
que la Suisse n’avait pas de passé colonial ?
Fortune faite après seulement dix ans d’absence,
Grob rentra au pays en 1879, se maria, s’installa, acheta un terrain de 13 000 m2 aux portes de la ville avec
vue sur le lac et les Alpes, se fit construire son nouveau
foyer à son goût et lui donna le nom du lieu de sa plantation ; il fit aussi enterrer le chemin de fer qui passait
sous ses fenêtres ; mais finalement, mourant à 53 ans,
n’en profita que quelques années.
La Maison du patrimoine peut être visitée et organise des expositions.
Mission à Urfa
|
Le docteur Hermann Christ, le grand-père de l’auteur, sait de quoi il parle quand il évoque la souffrance
de la population arménienne, puisqu’il y a travaillé
pendant cinq ans pour apporter de l’aide médicale aux
nombreuses victimes des persécutions, endémiques
dans la région. Son mandat, il l’a obtenu de la Mission
allemande de l’Orient (Deutsche Orient-Mission,
DOM) qui y construisit un petit hôpital. L’esprit est
celui de la solidarité entre communautés chrétiennes
d’Occident et d’Orient ; mais l’hôpital accueille également des musulmans.
Le livre est basé sur les nombreuses lettres qu’Hermann Christ a envoyées à sa famille et ses amis ; il
comporte également une belle collection de photos.
Le livre nous révèle le fonctionnement du réseau de
bienfaisance humanitaire tel qu’il fonctionnait au sein
des familles de la bonne société bâloise à l’époque. Il
contribue aussi à nous éclaircir sur les antécédents des
événements de 1915/16 qui font encore polémiques
aujourd’hui. L’auteur est journaliste et a été correspondant et rédacteur du journal Tagesanzeiger pendant plus de trente ans.
EMANUEL LA ROCHE
« Doctor, sieh mich an ! »
Der Basler Arzt Hermann Christ auf medizinischer
Mission in der Osttürkei (1898-1903)
Chronos Verlag, Zürich, 2013
P
eu de gens connaissent Urfa, le lieu de naissance
d’Abraham, sous le nom d’Edesse une des plus
anciennes villes chrétiennes, aujourd’hui, Şanl1urfa,
ville située à 40 kilomètres de la frontière syrienne,
entre Gaziantep et Diyarbakir. Et peu de gens ont été
les témoins de la vie dans cette région éloignée, habitée d’une population mixte (turque, kurde, arménienne, arabe, etc.).
La Lettre de Penthes
| 49
| LIVRES
Andersonville
ALBERT WINKLER
Henry Wirz and the Tragedy of Andersonville. A
Question of Responsibility
Swiss American Historical Society, Review, vol. 50, n° 3,
novembre 2014
HEINRICH L. WIRZ, FLORIAN A. STRAHM,
Schweizer im amerikanischen Sezessionskrieg
1861-1865,
Bibliothek am Guisanplatz, Berne, 2012
D
ans son livre Soldats aux Editions de Penthes
(2010) Bénédict de Tscharner nous a livré un
résumé succinct de la vie tragique de Hartmann
Heinrich (dit Henry) Wirz (1823-1865), un émigrant
suisse – né à Zurich – devenu officier sanitaire dans
les forces armées sudistes pendant la guerre de Sécession. Handicapé par des blessures, le Suisse se trouve
propulsé commandant du grand pénitencier
d’Andersonville, en Géorgie, où les autorités confédérées regroupent les prisonniers de guerre unionistes,
donc du Nord. A la fin des hostilités, Wirz est déclaré,
par la justice militaire des vainqueurs, responsable de
la mort de nombreux prisonniers et plus généralement
50 | La Lettre de Penthes
des conditions inhumaines qui régnaient dans ce
campement ; il est condamné à la peine capitale et
pendu devant le Capitole à Washington, le 10 novembre 1865.
A présent, nous devons une étude un peu plus fouillée à l’historien Albert Winkler, archiviste et enseignant à la Brigham Young University à Provo (Utah) et
à Laie (Hawaï). Ce compatriote siège, avec le professeur
Leo Schelbert, au conseil éditorial de la Review, que la
Swiss American Historical Society publie depuis plus de
cinquante ans. Le professeur Winkler se penche plus
particulièrement sur les accusations qui furent portées
contre le capitaine Wirz au cours de son procès et sur la
question de savoir si, comme l’historiographie l’a voulu
pendant longtemps, il est effectivement à ranger parmi
les grands criminels de guerre d’un conflit qui connut
une dose exceptionnelle de cruauté et de souffrances,
mais aussi de confusion dans les responsabilités au sein
de la hiérarchie militaire.
Celui qui ne se contenterait pas de ces 97 pages très
denses attendra la publication prochaine d’une grande
biographie du capitaine Wirz, œuvre particulièrement
documentée, que préparent les historiens Heinrich L.
Wirz – un descendant du frère de Henry – et Florian
A. Strahm qui travaillent à la Bibliothek am Guisanplatz (ancienne Bibliothèque militaire) à Berne ;
ces deux chercheurs y ont publié récemment un livre
sur les officiers suisses – cent officiers et six généraux
– qui se sont battus en Amérique dans les deux camps
de la guerre de Sécession.
LIVRES
Espionnage
Swiss made
CHRISTOPHE VUILLEUMIER
La Suisse face à l’espionnage 1914 - 1918
Editions Slatkine, Genève 2015
R. JAMES BREIDING
Swiss made – Tout ce que révèle le succès du
modèle suisse
Traduit de l’anglais par Adriana SOLARI PONTI
Préfaces de Patrick AEBISCHER, président de l’EPFL
et de Harold JAMES, professeur à l’Université de
Princeton
Editions Slatkine, Genève 2014
L
’historien Christophe Vuilleumier, président de la Société d’histoire de la Suisse romande, a été la cheville
ouvrière du Colloque « La Suisse et la Guerre de
1914/1918 » qui eut lieu à Penthes en septembre 2014. En
attendant la publication des actes de ce colloque – la préparation a bien avancé, nous dit-il – il nous présente un
produit de ses recherches, toujours sur la Grande Guerre.
La Première Guerre mondiale ne se déroula pas uniquement sur les champs de bataille. Elle se développa, de
manière insidieuse, dans les pays neutres, sous des formes
moins sanglantes, mais tout autant efficaces. La Suisse, à
proximité immédiate des pays en guerre, parfois à
quelques centaines de mètres des affrontements, allait
être un terrain particulièrement propice pour l’espionnage. Allemands, Français, Anglais, Autrichiens, Turcs,
tous développèrent des réseaux de renseignements sur le
territoire helvétique, organisant à certaines occasions des
opérations militaires entre Zurich et Genève.
Industriels suisses impliqués dans l’économie de
guerre, tel Jules Bloch dont le train cheminait sans cesse
de Bienne à Genève, chargé de fusées d’obus, Nachrichtenoffizier, comme Hans Schreck, chef du contre-espionnage allemand qui allait être arrêté par la police fédérale
avant d’être exfiltré de la clinique dans laquelle il était
interné, ou simples agents recrutés parmi la population
locale, les espions allaient devenir une hantise dont les
Suisses conservent un vague souvenir sans pourtant se
rappeler les événements qui défrayèrent les chroniques
cinq années durant.
|
C
omment un petit pays privé de ressources naturelles
a-t-il pu se doter d’une économie prospère, capable
de rayonner dans le monde entier, et dans quasiment tous
les secteurs ? Comment a-t-il pu se hisser au rang de pays
le plus compétitif du monde ? Sur quelles institutions, et
sur quelles caractéristiques, a-t-il pu s’appuyer pour obtenir d’aussi flatteurs résultats ? Et que signifie ce Swiss
made qui sait se renouveler constamment ? Ces questions
reviennent régulièrement dans les journaux et dans les
discours politiques.Peut-on parler de modèle ? Et peut-il
inspirer d’autres pays ? Et ce modèle est-il durable ?
Ce livre répond à ces questions, balayant toutes les
idées reçues qui encombrent souvent les commentaires
relatifs à la Suisse !
Ce livre a été rédigé en anglais, mais traduit en plusieurs langues, dont le japonais. L’auteur est double-national, fils d’un père suisse et d’une mère américaine.
Il a obtenu une maîtrise à la John F. Kennedy School
of Government de l’Université de Harvard et à l’IMD
à Lausanne. Il a écrit pendant plusieurs années pour
The Economist sur des thèmes suisses. John F. Breiding
a fait carrière dans la finance et est fondateur et propriétaire de Naissance Capital, une société d’investissement suisse (Zurich).
La Lettre de Penthes
| 51
| LIVRES
Ajoutons à ce gros volume un autre titre, un essai
rédigé par Dominique Dirlewanger, historien et enseignant à Lausanne, auteur, entre autres ouvrages, de
Tell me : La Suisse racontée autrement, fondateur de
l’Association memorando.ch qui vise à promouvoir la
redécouverte de l’histoire suisse :
DOMINIQUE DIRLEWANGER
Les Suisses. Lignes de vie d’un peuple
Ateliers Henry Dougier, Paris 2014
L
a montagne, une montre et du chocolat. Qui se
cache derrière le décor des cartes postales suisses ?
Des banquiers en costume trois-pièces, des lutteurs en
habits traditionnels, des étudiants branchés en soirée
électro… Derrière le folklore, la Suisse accumule une
incroyable richesse économique, sociale et culturelle.
Composée d’une mosaïque de vingt-six cantons aux
identités multiples, la Confédération helvétique ne
connaît pas d’unité de langues ni de religions. Son
territoire exigu, au milieu de l’Europe, ne recèle pas de
matière première. Pourtant, les salaires de ses habitants sont parmi les plus élevés du monde et le chômage ne dépasse guère les 3,5%. Les Suisses ne forment pas à proprement parler un peuple. Tiraillés
entre unité et diversité, intégration et isolement, les
Suisses du XXIe siècle sont confrontés à des controverses qui résonnent des mêmes échos identitaires de
l’Europe en devenir.
52 | La Lettre de Penthes
Moi, Alexandre John
Emile Yersin
DANIEL BERNARD
« Journal apocryphe »
Paris 2015, ISBN : 978-2-84679-253-0
A
lexandre Emile John Yersin est né le 22 septembre 1863 à Aubonne dans le canton de Vaud.
Médecin, bactériologiste et explorateur franco-suisse,
on lui doit notamment la découverte du bacille de la
peste, la préparation du premier sérum antipesteux et
l’étude de la toxine diphtérique. Il est mort le 28 février 1943 à Nha Trang, en Indochine française.
« Le 20 juin 1894, dans un modeste cabanon installé dans le jardin de l’hôpital de Hong Kong, Alexandre
Emile Jean Yersin, 31 ans, se penche sur son microscope. Ce qu’il voit l’effraie : des milliers de petites
taches. Elles grouillent. Il a un mouvement de recul.
Pour la première fois, un homme observe le bacille de
la peste, le plus grand tueur en série depuis l’aube des
temps. Cette découverte lui vaut l’honneur de donner
son nom à la bactérie : Yersinia pestis. »
Médecin, bactériologiste, explorateur, ethnologue,
ex-préparateur à l’Institut Pasteur, Yersin est une des
personnalités les plus attachantes de la fin du
XIXe siècle. Né en Suisse, il a pris la nationalité française… En juin 1894, il vit à Saïgon quand le ministère des Colonies français et l’Institut Pasteur lui demandent de se rendre toutes affaires cessantes à Hong
Kong où la peste a débarqué en provenance de Canton
où elle a déjà fait 60 000 morts.
LIVRES
Pourquoi diable la France se mobilise-t-elle pour
sauver des Chinois et une poignée d’Anglais ? Parce
que l’épidémie menace de s’abattre sur l’Indochine
française ! Yersin est chargé de découvrir « la nature du
fléau, les conditions dans lesquelles il se propage » et
de « rechercher les mesures les plus efficaces pour l’empêcher d’atteindre nos possessions ».
En 1994, Daniel Bernard est chargé de réaliser le
film officiel du Centenaire de la découverte à Hong
Kong du microbe responsable de la peste, célébrant le
grand œuvre d’Alexandre Yersin.
|
Derrière ce rempart, écrit supposément à la fin de
sa vie à Nha Trang, au milieu du conflit mondial de
39-45, on découvre une recherche intime et curieuse
de l’esprit qui trouva l’origine de la peste, mais ne se
soucia guère de son mode de transmission, la puce, de
l’homme qui défricha les hauts-plateaux de l’Annam
et encouragea la plantation des hévéas.
Daniel Bernard livre, ce faisant, quelques solutions,
par le ton léger du journal intime, en s’approchant
avec subtilité de l’homme Yersin, chercheur et humaniste, complexe, fort et fragile à la fois.
Or son grand-père, le Docteur Noël Bernard, est
l’homme qui lui avait succédé à la tête de l’Institut
Pasteur de Saïgon dans les années 20, et qui devint
son premier biographe en 1958.
Exploitant le journal du Docteur Bernard, les archives personnelles et les lettres d’Alexandre Yersin, ce
Journal apocryphe est une construction presque imaginaire non seulement liée aux étapes importantes de
la vie scientifique du XX e siècle, mais aussi aux
méandres d’une pensée personnelle mêlée aux tourments de l’homme que fut Yersin. Célibataire ? Solitaire ? Suisse ou Français, protestant ou athée, médecin ou chercheur, découvreur ou explorateur…
der-weg-nach-oben.ch
te,
Wer dlich!
in
ktur,
Stru en. Verb nser
ektiv tive für u m.
p
s
r
Pe
asiu
Mo
Ihre ats-Gymn ehr:
m
h
n
Inter lesen Sie h-oben.c
Hier weg-nac
.derwww
« DAS BESTE INTERNATS-GYMNASIUM DER SCHWEIZ » Die Weltwoche 23 / 2012
La Lettre de Penthes
| 53
DOMAINE DE DÉCOUVERTES
www.theoreme.ch
CULTURE | GASTRONOMIE | NATURE
W W W. PEN T HE S .CH
DEVENEZ AMIS DE PENTHES
Vous aimez la nature et l’histoire des arts ? L’avenir de la Suisse et des Suisses dans le monde vous intéresse ? Alors vous êtes un ami
de Penthes. En rejoignant la Société des Amis de Penthes, vous soutenez non seulement les activités du Domaine de Penthes mais
vous bénéficiez aussi des nombreux avantages offerts par ce lieu de partage et de découverte.
Amis de Penthes – Chemin de L’impératrice 18 – 1292 Pregny-Chambésy - Pour plus d’informations: [email protected] - +4122 734 90 21
ARTICLE
Les Amis
de Penthes
|
Printemps 2015
LES AMIS DE PENTHES CHANGENT DE LOOK
Avec le printemps, les nouvelles idées, les envies de
nettoyage, de classement, de remise en ordre après un
long hiver. Nous, c’est notre identité sur laquelle nous
nous sommes penchés. Investis par la fondation, nous
avons eu envie d’avoir notre logo ! Depuis quelques
mois, Laure Eynard, vice-présidente, et moi-même
avons confié cette tâche de recherche de notre corporate identity, comme on le dit dans le monde du business, à une créatrice genevoise, graphiste et pleine de
talent, Sophie Jaton. Le résultat ? Eh bien vous l’avez
sous les yeux.
Un CŒUR carré dans le drapeau national ? Une
réminiscence du I Love NY ? Le résultat : dynamique,
dans l’air du temps, déclinable sur tous les supports
que les Amis utilisent, de votre carte de membre aux
cartons d’invitation, papier à lettres et toute autre présence visuelle que l’on a pour mission, donc, d’assumer. Revenons aux missions de l’association : non
seulement soutenir les activités du musée, principalement, telle l’exposition de Peter Knapp ou de La Suisse
par les Russes, pour les plus récentes, mais aussi recruter de nouveaux membres. Ainsi en quelques mois,
c’est 10% d’augmentation que nous avons consigné.
Merci à vous, nouveaux venus. Votre action permet de
faire vivre le Domaine de Penthes, d’attirer de nouveaux visages, de brasser les cultures dans ce si bel
endroit, chacun s’accorde à le dire.
Nos activités sont principalement constituées
d’événements qui ont lieu à Penthes, comme vous le
savez, conférences, concerts, projections de films,
écrivains, débats. Mais nous avons développé un partenariat avec les musées romands, invitant tour à tour
les membres des associations à des visites personnalisées privées lors d’expositions, telle celle consacrée à
Dürer, au Musée Jenisch ou encore celle sur Marcello,
au Musée d’art et d’histoire de Fribourg. Cela permet
de connaître d’autres lieux, de se faire connaître, nous,
Amis de Penthes, donc la Fondation et son musée et
enfin de promouvoir les actions culturelles des uns et
des autres.
Alors, faites donc comme nous : parlez-en autour de
vous, invitez vos amis au restaurant du Domaine de
Penthes, et proposez-leur de nous rejoindre.
Devenez un membre encore plus actif de notre réseau !
Daniel Bernard,
Président des Amis de Penthes
La Lettre de Penthes
| 55
DOMAINE DE DÉCOUVERTES
CULTURE | GASTRONOMIE | NATURE
www.theoreme.ch
W W W. PEN T HE S .CH
“ La cuisine est un art, la restauration celui de le partager ”
Ouvert tous les jours de 9h à 17h ainsi que le mercredi,
jeudi et vendredi soir.
Domaine de Penthes - Chemin de l’Impératrice 18 - 1292 Pregny-Chambésy
Sandro Haroutunian
ARTICLE
Mot du Directeur
Anselm
Zurfluh
|
Chers Amis,
En 2002, il y a maintenant treize ans, nous avons entrepris de produire
un Bulletin d’information pour nos Amis à travers le Monde. Internet
existait déjà mais son emploi n’était pas aussi répandu et surtout, l’accès
aux innombrables fichiers de toute sorte n’était pas toujours aisé. Après
mûre reflexion, nous avons décidé que malgré internet, nous allions
produire ce bulletin d’information sur un support papier. Pari gagné!
Le titre La Lettre de Penthes s’est rapidement imposé à tous et au printemps 2003, lors de notre Conseil de Fondation, le numéro 001 était sur
la table. Dans la première préface, on pouvait lire notre ligne programmatique, sous la plume de Bénédict de Tscharner :
E
n vous adressant la nouvelle Lettre de Penthes, la
Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le
Monde entend renforcer encore les liens qui
l’unissent avec tous ses amis : membres actuels et anciens du Conseil de Fondation, conseillers associés,
membres de l’Association des amis suisses de Versailles, membres de la Société des amis de l’Institut
des Suisses dans le monde, mécènes, partenaires dans
les institutions publiques genevoises, représentants
des médias, institutions privées travaillant dans des
domaines connexes etc. en leur fournissant, en principe deux à trois fois par an, des informations sur le
travail qui se fait à Penthes, au Musée tout comme au
Centre de recherche et de documentation. (...)
La communication, telle que nous la concevons, ne
doit pas se pratiquer à sens unique : notre lettre appellera des réponses, du moins je l’espère, qui nous aideront à mieux concevoir notre rôle.
De 2003 à 2015, sur plus de 1000 pages ont été
présentées une quinzaine d’expositions, une centaine
d’articles de fond, plus de deux cents livres ont été
thématisés, une belle moisson d’autant que plus de
26 000 personnes ont cliqué sur le lien internet pour
visualiser ou charger les numéros électroniques
(http://www.penthes.ch/institut/lettres-de-penthes/).
Merci à notre président honoraire Bénédict de
Tscharner d’avoir œuvré pendant deux lustres pour
La Lettre et nous espérons pouvoir compter sur sa
plume aussi à l’avenir !
Avec ce numéro 25, nos ambitions sont à la hauteur de
celles que nous avons pour la Fondation, à savoir, devenir
le cœur et la maison de tous les Suisses dans le Monde
tout en développant et en optimisant notre présence à
Penthes. En effet, la distribution de cette lettre se fera
exceptionnellement large, à travers le monde, de Puerto
Yartou (près d’Ushuaïa au Chili) à New Glaris (Wisconsin), de Nova Friburgo (Brésil) à Singapour, du Club
Suisse de Monaco aux Consulats Suisses à travers le
monde, de Dubaï à Vladivostok... et nous invitons tous
nos amis des Clubs Suisses de l’étranger à venir à Penthes
les 12 et 13 août 2015 pour partager des moments de
convivialité inoubliable et pour échanger les expériences
en faveur de la sauvegarde du patrimoine suisse à l’étranger (voir l’annonce Clubs Suisses dans ce numéro).
Par ailleurs, et ceci est de la plus haute importance,
nous lançons dans ce numéro une vaste campagne de
levée de fonds afin d’être à la hauteur de nos ambitions: en effet, chacun pourra s’approprier Penthes
sous forme de pavé électronique disponible sur la
Toile. Nous espérons que nos amis worldwide deviendront partie prenante de l’avenir de Penthes, en y
contribuant selon leurs rêves, leurs besoins, leurs possibilités. Un musée a besoin pour vivre de pouvoir
compter sur ses soutiens. Je suis convaincu que cet
appel rencontrera le succès qu’il mérite! D’autant plus
que nous vous réservons de belles surprises dans un
avenir proche. Il est encore trop tôt pour déflorer tous
nos projets mais une chose est certaine : Penthes fera
notre fierté.
La Lettre de Penthes
| 57
| ARTICLE
Rencontre
des Clubs Suisses
à Penthes
12 au 13 août 2015
Les Clubs Suisses à travers le Monde sont les maillons essentiels non seulement des Suisses expatriés
entre eux - dont certains habitent leur pays depuis des
générations - mais aussi du lien qui existe entre ses
membres et la mère patrie, ces clubs font partie intégrante des réseaux suisses.
Ces dernières années, j'ai pu rencontrer les présidents et membres de clubs suisses à travers le Monde,
et chaque fois, cela fut une rencontre forte, avec des
personnalités qui sont concernées par la Suisse et qui
se réjouissent des contacts.
Mais il est difficile de faire se rencontrer les Clubs
Suisses dans un même endroit au même moment.
Pour cela le Musée des Suisses dans le Monde organise
cette année, de manière exclusive, la première Rencontre des Clubs Suisses à Penthes. En plus, nous
avons la chance de pouvoir participer au congrès de
l'ASO à Genève - donc, vous avez une triple raison de
venir en Suisse cet été : rencontre Clubs Suisses,
Congrès ASO et famille/tourisme !
Cette année 2015, à Genève, le Domaine de Penthes accueille les membres des clubs suisses du monde
entier, en partenariat avec l'Organisation des Suisses
de l’Etranger et en marge du Congrès qui se tient du
14 au 16 août 2015.
Le domaine de Penthes abrite depuis 40 ans la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde, son Musée qui raconte les aventures des Suisses dans le monde et
son centre de recherche. Il s’agit donc de la vitrine culturelle des Suisses de l’étranger sur le sol helvétique. Forts
de cette identité, nous souhaitons développer et aider au
développement des projets de sauvegarde et de promotion du patrimoine suisse de l’étranger.
58 | La Lettre de Penthes
En effet, des siècles durant, de nombreux Suisses
ont quitté le pays pour s’installer ailleurs, parfois à
l’autre bout du monde connu. Avec eux, ils ont emportés une partie de leur culture et l’ont adapté à la culture
de leur pays d’accueil, produisant ainsi une histoire
suisse de l’étranger. Ce patrimoine est d’une richesse
peu connue et chaque club suisse à travers le monde se
retrouve dépositaire d’un morceau de ce patrimoine,
sous la forme de bâtiments, d’archives, d’objets artistiques, scientifiques ou historiques, ou de traditions
encore vivantes et vibrantes.
Ainsi, notre Fondation veut rassembler les clubs
suisses de tous les continents, à Genève, ville-monde
par excellence et centre de culture et d’histoire. Les
objectifs étant de :
- Favoriser la rencontre et la création de réseaux
d’échange entre les clubs suisses
- Promouvoir la richesse du patrimoine suisse de
l’étranger
- Faire découvrir l’histoire des clubs suisses, patrimoine à part entière
- Rencontrer des professionnels de la conservation,
de la restauration et la promotion d’objet culturel,
et de leur financement
- Soutenir un ou plusieurs projets de restauration
A cette occasion, un certain nombre d'initiatives et
de projets seront présentés, comme par exemple le drapeau suisse des Archives régionales de Nueva Helvecia
en Uruguay.
POUR TOUS RENSEIGNEMENTS
SUPPLÉMENTAIRES
Merci de nous contacter à cette adresse :
[email protected]
ou visiter notre site internet :
www.penthes.ch
ARTICLE
La Lettre de Penthes
|
| 59
| ARTICLE
Plat
Céramique
XVIIe siècle
Collection Kalfayan
Trésors arméniens
à Penthes
Camille Verdier,
directeur artistique
du Musée des
Suisses dans le
Monde
Le Musée des Suisses dans le Monde présente du 17 avril au 20 septembre prochain
l’exposition Suisse-Arménie – La collection Kalfayan, sur le chemin de la mémoire. Si les
liens qui unissent ces deux pays sont particulièrement mis en avant, le cœur de l’exposition reste les trésors de la collection Kalfayan : plus de 170 objets, échelonnés sur cinq
siècles, se feront l’écho de la richesse artistique d’un peuple sans frontière.
60 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
LA SUISSE ET L’ARMÉNIE
L
es liens entre les deux pays ne sont pas évidents au
premier abord ; pourtant ils sont nombreux et solides. L’Arménie et la Suisse partagent une géographie commune : montagneuses et isolées de la mer, entourées de puissants voisins. Mais surtout, l’une, avec
ses trois millénaires d’histoire, comme l’autre « jeune »
de sept siècles, ont su s’adapter et se développer autour
d’une notion centrale : l’importance du réseau et de
l’ouverture sur le monde. Le rôle joué par la diaspora est
centrale pour les Arméniens ; mais l’attachement des
Suisses à leurs compatriotes vivant à l’étranger est également significatif dans leur histoire.
Contraintes par la configuration de leur territoire, la
Suisse et l’Arménie se sont tournées vers le commerce et
ont bâti leur prospérité sur leurs réseaux. Ainsi, l’Arménie est un centre de rencontre entre différents peuples,
religions et cultures : entre Islam et Chrétienté, entre
mondes grec, byzantin, perse, arabe, ottoman et slave,
entre Europe et Asie. Tout au long de son histoire, l’Arménie connut grandeur et déclin, s’accommodant parfois de son occupant ou subissant des persécutions.
Mais cette diversité a produit une culture raffinée et
métissée, qui associe à l’art chrétien byzantin certaines
caractéristiques de l’art perse ou syrien. C’est le résultat
de ces siècles de métissage que nous proposons à nos
visiteurs de découvrir d’avril à septembre 2015.
LA RELIGION, IDENTITÉ COMMUNE D’UN
PEUPLE DISPERSÉ
L’Arménie fut le premier Etat chrétien de l’histoire,
le christianisme devenant religion officielle du royaume
en 301. La légende veut que saint Grégoire Ier l’illuminateur ait converti le roi Tiridate IV, alors que celui-ci,
transformé en sanglier par punition divine pour avoir
persécuté des chrétiens, demandait l’aide du saint pour
sa guérison. Cette légende est souvent représentée, accompagnée par deux autres symboles de l’Arménie : le
saint-siège d’Etchmiadzin et le mont Ararat. Cette iconographie reflète bien l’importance des deux sites pour
le peuple arménien ; deux sites sacrés liés à la terre et à
son identité.
Si le catholicossat d’Etchmiadzin jouit de la primauté, il existe actuellement un autre catholicossat à Antélias, en Cilicie, l’ancien royaume de la Petite-Arménie,
un patriarcat à Constantinople et à Saint-Jacques de
Jérusalem. Une partie des trésors exposés à Penthes et
provenant de la collection Kalfayan sont des donations
|
faites à ces églises. Calices, coupes, chandeliers ou reliquaires portent des inscriptions en langue arménienne,
autre trait culturel primordial dans l’identité de ce
peuple, appelant les fidèles à se souvenir du donateur,
pour le salut de son âme.
Par ailleurs, pour les communautés arméniennes,
l’édification de l’Eglise restait une des priorités. Pour
exemple, les églises arméniennes de Singapour (1835),
d’Amsterdam (1713), Thessalonique (1903), Ispahan
(1650), Calcutta (1688).
UN RÉSEAU COMMERCIAL INTERNATIONAL
De Lisbonne jusqu’à Madras, le réseau de la diaspora arménienne s’étendait sur l’ensemble des routes
de commerce entre l’Orient et l’Europe. Les objets
présentés dans l’exposition montrent à la fois l’étendue et la force du réseau, et les influences culturelles
transportées avec les marchandises. Les motifs sur les
céramiques de Kütahya (Turquie actuelle) ou sur les
productions safavides (dynastie persane du XVIe et
XVIIe siècles), issues de l’artisanat arménien, sont les
témoignages graphiques de l’influence de la porcelaine chinoise ou du décor des textiles indiens1. Des
écrits de voyageurs occidentaux rapportent la présence
d’Arméniens dans les principaux ports et les principales villes caravanières. En 1604, Shah Abbas Ier fit
transférer la population arménienne de Djoulfa (aujourd’hui en Azerbaïdjan) vers Ispahan, sa nouvelle
capitale, puis vers la zone de la Nouvelle-Djoulfa (Nor
Jougha), au sud de la rivière Zayenda.
Bien que les établissements arméniens aient été déjà
présents sur la côte orientale de la Méditerranée et à Venise, là même où la première bible en arménien fut imprimée en 1512, le réseau arménien dont le centre se
trouvait à la Nouvelle Djoulfa, s’étendait de l’Asie orientale à la côte Atlantique de l’Europe, assurant ainsi le
contrôle de nombreux marchés à une vingtaine de familles marchandes opérant depuis la Perse2.
Au début du XVIIe siècle, le commerce de la soie détenu en mains propres par la couronne safavide, remplissait les coffres de la maison royale, la khassa ; mais après
la mort de Shah Abbas en 1629, il devint un domaine
réservé aux marchands arméniens qui reversaient, dès
lors, une partie des gains au Trésor royal. Les Compagnies des Indes Orientales, tant anglaise qu’hollandaise,
devaient payer en monnaie pour leur approvisionnement
en soie, ce qui contrariait grandement les Européens.
La Lettre de Penthes
| 61
| ARTICLE
Cruche
Céramique émaillée
XVIIIe siècle
Collection Kalfayan
L’Inde était également un grand centre pour la communauté arménienne, et Madras en particulier, où la
présence d’une église est attestée en 1712. Les Arméniens
contrôlaient le commerce des chintzes, toiles indiennes,
comme le décrit l’abbé Raynal (1713-1796) : « Ces négociants [Arméniens] avaient entrepris depuis longtemps le
trafic des toiles. Ils n’avaient été supplantés ni par les Portugais, qui n’étaient occupés que de pillage, ni par les
Hollandais, dont les épiceries avaient retenu toute l’attention. On pouvait craindre, d’ailleurs, de ne pouvoir soutenir la concurrence d’un peuple également riche, industrieux, actif, économe. Les Arméniens faisaient alors – ce
qu’ils ont toujours fait depuis : ils passaient aux Indes, ils
y achetaient du coton, le distribuaient aux fileuses, faisaient fabriquer des toiles sous leurs yeux; les portaient à
Bender-Abassi, d’où elles passaient à Isfahan. De là, ces
toiles se distribuaient dans les différentes provinces de
l’Empire, dans les Etats du Grand-Seigneur et jusqu’en
Europe, où l’on contracta l’habitude de les appeler persanes; quoi qu’il ne s’en soit jamais fabriqué qu’à la côte
de Coromandel » 3.
C’est aussi dans cette ville, à la fin du XVIIIe siècle,
que Shahamir Shahamirian proposa une esquisse de
Constitution pour une Arménie libre4. Le Vorogayt
Parats, imprimé en 1773, liste les raisons pour lesquelles les gouvernements représentatifs sont nécessaires et bons, et pourquoi les Arméniens se doivent
d’établir leurs propres lois et s’en tenir uniquement à
celles-ci. L’égalité entre hommes et femmes était également garantie dans certains domaines, de même
qu’un certain degré de séparation entre l’Eglise et
l’Etat et la nécessité d’un Etat providence, dont la
Chambre de l’Arménie (parlement) serait garante de
la représentativité. Ces idées s’accordent avec les courants révolutionnaires de l’époque et montrent
qu’au-delà du réseau commercial, les Arméniens
étaient clairement connectés avec la pensée politique
moderne des Lumières européennes.
Ainsi, à travers les 170 objets issus de la collection Kalfayan se dessine le portrait historique, artistique, religieux et culturel d’un peuple, sur le
chemin de sa mémoire.
1
Y. CROWE, Persia and China : Safavid Blue and White ceramics
in the Victoria and Albert Museum, 1501-1738, La Borie 2002.
2
V. S. GHOUGASSIAN, The Emergence of the Armenian Diocese
of New Julfa in the 17th Century, Atlanta 1998
3
G. T. RAYNAL, Histoire philosophique et politique des
établissements et du commerce des Européens dans les deux Indes,
Genève 1780, vol. II p. 22
4
D. ZENIAN, Dreams Come True: 18th Century Madras
Armenians Envision an Independent Armenia, AGBU News
Magazine, July 1, 2001
62 | La Lettre de Penthes
SUISSE
ARMENIE
ARTICLE
|
LA COLLECTION
KALFAYAN, S UR LE CHEMIN DE LA MÉMOIRE
DOMAINE DE DÉCOUVERTES
CULTURE | GASTRONOMIE | NATURE
W W W. PEN T HE S .CH
D O M A I N E D E P E N T H E S - C H E M I N D E L’ I M P É R AT R I C E 1 8
1 2 92 P R EG N Y- C H A M B É SY
EXPOSITION
DU 17 AVRIL
AU 20 SEPTEMBRE 2015
La Lettre de Penthes
| 63
| EXCLUSIVITÉ
Notices auto-biographiques
de Charles Aznavour
Mon père Mischa Aznavourian et ma mère Knar
Baghdassarian apatrides de passage en France, attendant un Visa pour les USA avec une enfant en bas âge,
ma sœur Aida née en Grèce durant ce périple. Tout ce
petit monde n'aurait jamais imaginé qu'il s'installerait
pour toujours ici. Ma naissance un 22 Mai 1924 dans
un hôpital du 5e arrondissement devait changer le
cours de nos vies.
Il m’aura fallu attendre encore 70 ans pour en obtenir un second et me retrouver doctor honoris causa de
plusieurs universités à travers le monde. Une de mes
grandes fiertés pour moi qui ma vie durant me suis
toujours senti complexé par mon manque d’instruction. Nous avons rejoint les bancs de l'école du spectacle. Ma sœur et moi courions le cacheton, faisant
une apparition dans des pièce de théâtre ça et là.
Mon père, un être merveilleux et fantasque, travailleur mais piètre homme d'affaires était plus doué pour
pousser la chansonnette que pour diriger une affaire.
Il ouvrit son propre restaurant rue M. Le Prince où il
eut la bonne idée d’engager un orchestre hongrois qui
lui coutait souvent plus que sa recette étant donné
qu’il était aussi partisan du gratuit pour étudiants sans
le sous de l’école de médecine et du crédit à 100%
pour les amis de passage. C'est pour cette raison que
l'aventure ne dura qu’un temps.
Mon père s'engagea comme volontaire dans l'armée
française pour remercier ce pays qui l'accueillait.
Ma mère de formation littéraire trouva des petits
emplois comme couturière. Mais leur passion à tous
deux était les spectacles qu'avec leurs amis émigrés ils
montaient pour la diaspora. J'ai grandi ainsi entouré
de beaucoup d’amour mais avec peu de moyens.
Mischa et Knar étaient toujours heureux et positifs.
Ma sœur et moi avons très vite quitté l'école mais
j'ai toujours été très fier de mon seul et unique diplôme de certificat d'études.
64 | La Lettre de Penthes
Ce fut une drôle de guerre où il se retrouva assez vite
à rendre les armes qui pour lui consistaient en une batterie de cuisine car il avait été assigné aux cuisines pour
la troupe des engagés volontaires étrangers et apatrides
comme lui. Mais c'est en revenant que son vrai courage
naquit puisque durant toute la guerre il hébergea et cacha plusieurs émigrés russes arméniens et juifs d’Europe. J'étais alors adolescent et je côtoyais les Manouchian et de grandes figures de l'Affiche rouge.
C'est à la sortie de la guerre que ma carrière prit son
envol. J'avais connu dans mes cours un jeune homme
dégingandé, Pierre Roche, un pianiste hors pair avec
qui nous commençâmes à composer pour nous puis
pour les autres quelques chansons.
Nous avions vite trouvé en M. Raoul Breton et son
épouse surnommée « La Marquise » par leur protégé
Charles Trenet une aide précieuse. C’est grâce à eux
que nous avons été introduits dans tout ce qui comptait dans la chanson française et surtout Edith Piaf
EXCLUSIVITÉ
pour qui j'écrirai quelques titres et dont je serai le
complice durant plusieurs années.
Entre nous est née une amitié très forte sans doute
à cause de notre passé d'enfants de la balle. Elle nous
conviera à une tournée aux USA entre 1947 et 1948 et
Pierre et moi finîmes par nous installer pour quelques
temps au Québec.
Ma première fille Seda naquît le 21 Mai 1947.
Notre duo avec Pierre marchait bien, nous enregistrâmes nos 6 premiers 78t à Paris puis au Québec,
mais j'avais le mal du pays alors que Pierre décida de
rester à Montréal. Nous avions fait ensemble plus de
40 semaines de concert au Faisan Doré à raison de 11
spectacles par semaine et nous étions des vedettes locales. Mais personne ne nous connaissait en France et
tout était à recommencer, de plus en solo.
|
près de trois octaves. Je peux avoir les possibilités d'un
chanteur classique, malgré le brouillard qui voile mon
timbre. De la ténacité j'en ai eu et elle a payé.
En 1952 j’ai même postulé en vain pour remplacer
Marc Herrand qui avait quitté les Compagnons de la
chanson. Je fus refusé presque à l'unanimité. Cependant je resterai en très bons termes avec eux et serai le
parrain de la fille de Fred Mella, Laurence, qui naîtra
quelques années plus tard. Fred restera mon meilleur
ami.
C'est à cette époque que je rencontrai Gilbert
Bécaud en 1950 chez Edith Piaf.
L’année 1956 marque un premier grand élan dans
ma vie de chanteur. Lors d’un récital à Casablanca, la
réaction du public est telle que je suis aussitôt propulsé au rang de vedette. Pour ma première à l'Olympia,
J’écris Sur ma vie (1956), qui deviendra mon véritable
premier succès populaire. De fil en aiguille, les
contrats se succèdent, et, après un autre passage de
trois semaines à l'Olympia, ma carrière prend définitivement son envol à l’Alhambra, où j’écris Je m’voyais
déjà (1960).
Je commençai à me faire un petit nom mais plus en
tant qu’auteur compositeur. Ce fut une période merveilleuse même si les critiques étaient cruels. Quels
sont mes handicaps ? Ma voix, ma taille, mes gestes,
mon manque de culture et d'instruction, ma franchise, mon manque de personnalité. Ma voix ? Impossible de la changer. Les professeurs que j'ai consultés
sont catégoriques : ils m'ont déconseillé de chanter. Je
chanterai pourtant, quitte à m'en déchirer la glotte.
D'une petite dixième, je peux obtenir une étendue de
Lors de cette soirée du 12 décembre 1960, après
sept chansons interprétées devant un public froid, je
sors mon dernier atout : Je m'voyais déjà, qui raconte
l'histoire d'un artiste raté. A la fin de la prestation, les
projecteurs sont braqués sur le public. Aucun applaudissement. En coulisses, J'étais prêt à abandonner le
métier. Retournant saluer une dernière fois, je vois la
salle de l'Alhambra, le public debout sous un tonnerre
d'applaudissements. C'est un triomphe. Enfin à
trente-six ans.
La Lettre de Penthes
| 65
| EXCLUSIVITÉ
En parallèle avec ma vie de chanteur je pris part à
de nombreux films durant cette période.
Cette décennie fut pour moi le début de ce qui sera
mon lot de bonne fortune: Tu t’ laisses aller (1960), Il
faut savoir (1961), Les comédiens (1962), La mamma
(1963), Et pourtant (1963), Hier encore (1964), For Me
Formidable (1964), Que c'est triste Venise (1964), La
Bohème (1965), Emmenez-moi (1967) et Désormais
(1969). Ces chansons font pour la plupart référence à
l’amour et au temps qui passe.
Mon beau-frère, Georges Garvarentz, un homme
de grand talent qui composa beaucoup de belles musiques pour moi.
En 1972 j’écris la chanson Comme ils disent, qui,
première du genre traite de l'homosexualité de façon
sérieuse et sans dérision. Mon entourage de l'époque
me déconseilla de l’interpréter au risque de dégrader
mon image. Je décidai néanmoins d’en courir le
risque car ce sujet me tenait à cœur et méritait que je
prenne position.
En 1976 je décidai de prendre toute ma famille et de
m'installer en Suisse à cause du malentendu entre les
médias, l'administration et moi. Après m’avoir plumé
j’obtins un non lieu, faisant de moi un homme neuf. J'ai
toujours été un bâtisseur et sans doute que le fait de tout
recommencer à zéro fut pour moi un moteur.
En 1977 naquit mon fils Nicolas.
En 1964 je rencontrai à New York un jeune homme
énergique et ambiteux, Lévon Sayan, qui eut au début
les fonctions de sonorisateur, éclairagiste et régisseur
de scène. Il devint par la suite l’administrateur de mes
tournées, puis mon « personal manager ».
Avec le succès vint la stabilité affective c'est en 1968
que j'épousai Ulla avec qui j'eus mes trois enfant et
avec laquelle je suis toujours marié.
Grâce a elle je pus me poser et tirer un trait sur la
cour de parasites qui m’entourait. En 1969 naquit ma
fille Katia, notre premier enfant avec Ulla. Puis un an
et demi plus tard ce fut la naissance de mon premier
fils Mischa.
66 | La Lettre de Penthes
A partir de cette période je fus beaucoup sur les
routes, privilégiant les concerts à l’internationale.
C'est en 1982 que nous partîmes nous installer ma
petite famille et moi aux USA. D’abord une année à
Los Angeles, puis a Greenwich dans l’Etat du Connecticut à proximité de New York. En 1984 nous rentrions tous à nouveau en Suisse.
Le terrible tremblement de terre de 1988 ayant frappé l'Arménie, fut aussi un bouleversement dans ma
vie. Ayant toujours été très proches de ma famille et
vénérant mes parents plus qu’il ne l’est imaginable et
bien que je sois français avant tout. L’Arménie et les
Arméniens sont dans mon cœur comme dans mon
sang. Il était impensable que je reste les bras croisés
devant tant de malheur et de malchance. Nous avons
EXCLUSIVITÉ
remué ciel et terre; entouré de quelques fidèles pour
tout de suite faire le nécessaire. En montant La Fondation Aznavour pour L’Arménie nous n’avons cessé
de soutenir notre pays d'origine, La chanson Pour toi
Arménie (1989), enregistrée avec Georges Garvarentz
et la collaboration de plus de quatre-vingts artistes, se
hisse au sommet des hit-parades. Je veux préciser que
non seulement j’ai reversé les droit du disque mais aussi les droits d’édition tous confondus. Ce qui n’est pas
le cas dans tous les projets de ce type. Si je dis cela c’est
que j’ai été très peiné lorsque des personnes publiques
m’ont accusé de malversation. Je trouve cela bas et
blessant. Aznavour pour l’Arménie est une association
qui tient surtout par l’argent que nous avons versé personnellement.
En 2001, mon nom est donné à une place dans le
centre d’Erevan, la capitale arménienne, sur la rue
Abovian, par les autorités du pays. Une statue est
même érigée à Gyumri, la ville d’Arménie la plus touchée par le Séisme de 1988.
C’est en 1995 que j’ai racheté avec Gerard Davoust
les éditions musicales Raoul Breton. Eux qui m’avaient
mis le pied à l’étrier presque 50 auparavant. Il s’agit
pour moi de continuer de faire vivre et promotionner
le talent des auteurs compositeurs francophones de
talent. Mais surtout j’ai le grand plaisir d’être devenu
l’éditeur de mon poète favori, Charles Trenet.
|
Il m’aura fallu attendre la fin du siècle pour me
consacrer à l’écriture de livres en commençant par un
premier recueil de nouvelles, Mon Père ce Géant. J’y
abordais des thèmes familiaux parfois sensibles; parfois drôles. Puis petit à petit, page après page, je me
mis à écrire ma biographie d’abord, puis divers ouvrages autobiographiques en cherchant à partager
mon expérience et mes pensées intimes sur ce métier
que j’aime tant. J’y ai pris goût de plus en plus, trouvant dans ce travail de longue haleine un plaisir bien
différent de celui de la chanson.
Le 26 décembre 2008, le président de la République
d'Arménie, Serge Sargsian, me confère la citoyenneté
arménienne et en février 2009, j’accepte le poste d'ambassadeur d'Arménie en Suisse. Le 30 juin 2009, j’ai
présenté mes lettres de créance à Hans-Rudolf Merz,
le président de la Confédération suisse. J’occupe également le poste de représentant permanent de l'Arménie auprès de l'ONU à Genève et à l'UNESCO à
Paris. Je ne dis pas ça par vantardise, mais avouez que
pour un fils d’émigré sorti de l’école avec pour tout
bagage un certificat d’étude en poche c’est étonnant.
Pendant mes quatre-vingt ans de carrière, j’ai joué
dans plus de soixante films, j’ai composé plus de 800
chansons, chanté dans six langues différentes. Mais
surtout tout ce que j’ai fait je l’ai fait avec amour et
sérieux, bien que je me sois toujours amusé, je l’ai fait
dans le respect de mon public et de mes valeurs.
La Lettre de Penthes
| 67
| ARTICLE
Bernard
Challandes,
sélectionneur
suisse de
l’équipe de
football
d’Arménie
Emmanuelle Maubert
L’exposition de l’été 2015 à Penthes aura
pour thème l’Arménie sous ses aspects artistiques et en filigrane le réseautage mondiale de cette communauté, une spécificité
que l’Arménie partage avec la Suisse. « La
Cinquième Suisse en Arménie » au pied du
Caucase a trouvé un représentant de talent
en la personne du Neuchâtelois Bernard
Challandes, entraîneur de l’équipe de football nationale arménienne depuis 2014.
C
henorhagaloutioun, « merci » en arménien est
le premier mot qu’aura appris Bernard Challandes au cours des premières semaines de son
arrivée en Arménie. La capitale, Erevan sur les contreforts du mont Ararat, ville de l’ère post-soviétique
sauvagement urbanisée depuis son indépendance en
1991 est pour le moins dépaysante pour le sélectionneur suisse qui n’a cependant pas ressenti de choc des
cultures. Quel challenge pour ce Neuchâtelois habitant de la Brévine que de se voir propulser à 62 ans
dans cette partie du monde ! Il aurait pu avoir une vie
réglée et confortable d’une retraite pantouflarde en
étant consultant ou éditorialiste, il a préféré le défi.
« Si on est pas un peu fou, on ne peut pas faire ce métier » lâche-t-il.
C’est à un homme d’expérience que la fédération de
football arménienne a fait appel pour réformer le foot
arménien. Le Neuchâtelois au caractère bien trempé,
passionné et fort sympathique est du genre utopiste. Il
sait que l’équipe d’Arménie n’est pas une grande nation du football mais qu’à cela ne tienne, il a bien
l’intention de la mener le plus loin possible, à savoir en
France pour l’Euro 2016.
Bernard Challandes a commencé sa carrière d’entraîneur en 1977 et s’est fait un nom au club Yverdon
sport FC. Il entraînera ensuite Le Locle, Yverdon
sport, Le Servette, BSC Young Boys, FC Zurich, FC
Sion, Neuchâtel Xamax et le FC Thoune, autrement
dit une carrière déjà bien remplie et beaucoup d’expérience. C’est parce que la Suisse a une très bonne réputation en matière de formation des jeunes footballeurs qu’il a mis en place avec le concours de l’UEFA
et de ses collaborateurs une académie pour cette classe
d’âge et également pour les moins de quinze ans.
« Une des différences entre l’Arménie et la Suisse,
culturellement parlant » nous apprend-il « c’est par
exemple le sens de la hiérarchie omniprésente façon
orientale et aussi héritée des années soviétiques ».
Ce qui distingue les deux pays se constate à l’œil
nu : la société arménienne n’est pas comme en Suisse
centrée autour d’une très forte classe moyenne, il y a
les riches, il y a les pauvres.
Mais les valeurs suisses et arméniennes, tout compte
fait, ne sont pas aussi éloignées qu’on aurait pu se
l’imaginer. Il y a en commun la simplicité, le goût du
travail bien fait, une exigence d’être bon, sinon le
68 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
|
Copyright des images : Football Federation of Armenia (www.ffa.am)
meilleur, l’amour du progrès et le fait de se battre pour
ses rêves. L’équipe de football arménienne, c’est avant
tout une famille, où le comportement de star doit être
laissé au vestiaire, les ego surdimensionnés ne sont pas
de mise, il y a une vraie modestie et, on peut dire,
qu’une harmonie certaine règne au niveau des joueurs,
donc, aussi, au niveau de l’équipe. C’est très agréable à
vivre et surtout, c’est un gage de réussite d’autant plus
que les joueurs sont vraiment là pour donner plus que
le meilleur d’eux-mêmes - ils ne comptent pas, ils
donnent. Le langage commun, c’est le sport, donc la
technique. Ce que Bertrand Challandes apporte à
l’équipe de football d’Arménie, c’est la façon pragmatique suisse de mélanger la technique pure avec de l’organisation et de la régularité et un brin d’humanisme
paternaliste. On entraîne efficacement, quand la base
de cet entraînement est organisée parfaitement, les rôles
distribués et les entraînements systématiques. C’est
vraiment cela, la base du travail d’un entraîneur.
Certes, son avenir en Arménie n’est pas assuré mais
l’entraîneur suisse jouera sa carte jusqu’au bout. Il s’est
assigné comme objectif de qualifier l’équipe d’Arménie pour l’Euro 2016. Si l’Arménie est qualifiée, il
peut espérer continuer son travail dans le Caucase, si
l’équipe échoue, il aura échoué avec elle. Cela fait partie du contrat d’entraîneur, il acceptera le destin...
comme les joueurs.
Nous avons appris la démission de Bernard Challandes de son
poste de sélectionneur de l' équipe de football d'Arménie après la
défaite concédée par son équipe contre l'Albanie.
La Lettre de Penthes
| 69
| ARTICLE
Le marché aux fromages
de Nueva Helvecia
Colonie suisse de l’Uruguay
Pierre Jaggi
A
u milieu du XIXe siècle, la crise économique
qui sévissait en Suisse rendait l’ambiance si délétère que de nombreux concitoyens quittèrent
les verts pâturages de l’Helvétie pour se lancer à la découverte d’autres horizons, notamment ceux des terres
prometteuses des Amériques. La guerre de Sécession
qui faisait rage aux Etats-Unis, l’instabilité politique
qui régnait en Argentine et les ignominies de l’esclavage
au Brésil poussèrent beaucoup de ces nouveaux pionniers à choisir les vastes étendues de l’Uruguay.
Cette immigration fut favorisée par plusieurs projets de lois destinés à implanter d’innovantes colonies
agricoles dans ce pays. Les premiers immigrants
suisses arrivèrent en 1861 et les nouvelles encourageantes qu’ils donnèrent au pays provoquèrent un afflux de nouveaux colons qui ne cessa d’augmenter,
1862 fut la date retenue comme étant celle de la fondation de Nueva Helvecia, Colonia Suiza.
En 1863 la population de la colonie atteignait déjà
600 habitants, provenant principalement des cantons
de Berne, de Lucerne, de Saint-Gall, d’Argovie et
d’Appenzell. Le travail de la terre et de l’élevage déboucha bien vite au développement des produits laitiers, par le biais d’exploitations basées principalement
sur la fabrication de fromages artisanaux. Elaborés à
partir de précieuses recettes amenées de la mère patrie,
ces fromages d’excellente qualité connurent un rapide
succès et permirent l’émergence d’un nouveau secteur
économique important pour la région. Au début du
XXe siècle, la colonie Suisse dénombrait déjà une centaine de producteurs et totalisaient une production
annuelle d’environ 60 tonnes de fromages. C’est à
cette époque que naquit le marché aux fromages de
Nueva Helvecia. Depuis qu’il existe, il a toujours eu la
particularité d’être un marché nocturne et il continue
de se tenir une fois par semaine, du mardi au mercredi, à deux pas de la place de los Fundadores, derrière la
rue « Berna » et non loin de celle de « Guillermo Tell ».
Les petits producteurs de fromages arrivent bien avant
l’aube dans leurs antiques camionnettes ou en calèche
avec leur chargement de meules. Après d’âpres négociations effectuées sous la lumière des lampadaires, les
fromages changent de véhicules et se retrouvent maintenant à bord de solides camions frigorifiques, prêts à
être acheminés vers les autres villes du pays ou vers la
capitale, d’où certains prendront la destination des
marchés extérieurs.
Les habitants de cette région ont maintenu les traditions de leur patrie d’origine, ils ont perpétué le savoir faire de diverses préparations culinaires ainsi que
les secrets de la réalisation d’objets artisanaux, gardé
un grand respect de la qualité et du travail bien fait,
conservé leur dialecte pour les plus anciens, leurs habits folkloriques, leur musique et leurs danses pour
célébrer les fêtes traditionnelles tel que le 1er Août.
70 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
|
A Nueva Helvecia, la radio locale diffuse tous les
jours à midi une heure de musique folklorique suisse
et les frontons des maisons sont ornés d’écussons de
différents cantons. L’ambiance qui émane de cette petite cité et l’allure de ses rues à consonance helvétique
plongent l’observateur Suisse dans un drôle de présent, qui, vu d’ici, à déjà un peu la couleur et la saveur
d’un passé lointain.
« Nueva Helvecia », chef-lieu de « Colonia Suiza » : petite
ville située à mi-chemin entre Montevideo et Buenos-Aires,
capitales respectives de l’Uruguay et de l’Argentine.
La Lettre de Penthes
| 71
| ARTICLE
Comment devenir
cheffe d’entreprise
dans les Caraïbes...
Anselm
Zurfluh
Jana Caniga n’est pas née en Suisse ; ses parents ont quitté la Tchécoslovaquie en 1968.
A l’âge de huit ans, elle a dû commencer une nouvelle vie à Saint-Gall. Sa première impression de son nouveau pays était qu’on pouvait y vivre vraiment bien, que le confort y
était exceptionnel – à condition de s’adapter à la mentalité locale et notamment à une
certaine pratique très rigoureuse du putz (le nettoyage frénétique de la maison).
72 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
|
Quelques années plus tard, Jana décida de devenir
maîtresse d’école secondaire ; elle avait, en effet profité d’une formation de qualité qui, comme toujours en
Suisse, transmet des valeurs fondamentales, tel
l’amour du travail bien fait. Elle n’exercera jamais sa
profession, mais travaillera d’emblée chez Radio Aktuell, la radio locale de Saint-Gall, puis à Radio Suisse,
avant de passer à l’audiovisuel.
C’est ainsi qu’en 1990, Jana devint modératrice de
l’émission 10 vor 10 de la Télévision suisse allemande,
l’émission incontournable du soir, qui mélange information et séquences documentaires, la version
suisse-allemande de l’infotainment, si on veut. Après
neuf ans passés dans l’urgence des émissions et un diplôme en gestion de l’Université de Saint-Gall, Jana se
retrouva directrice du Pourcent Migros, l’une des plus
importantes fondations culturelles de Suisse ; là, elle
put prendre une part active à la préparation de l’Expo
2002, une aventure qui finit par apporter la preuve
qu’un vaste amalgame d’idées et d’opinions peut, à
travers une solide dose de vifs débats, voire plus, aboutir à un concept d’exposition valable et cohérent.
La prochaine étape fut une aventure fort spéciale, à
savoir l’ouverture d’un restaurant-concept à Wetzikon, près de Zurich, établissement vendu en 2006.
Las de leurs diverses carrières successives, Jana et son
mari musicien Dieter partirent, en 2006, pour l’île de
Grenade aux Caraïbes, à 80 miles de la côte vénézuélienne ; leur rêve était d’y réaliser un lieu de vacances dans une baie protégée des vagues par des barrières de corail, en somme, de proposer le paradis sur
terre aux touristes en quête de soleil, de chaleur et de
farniente. Le Phare Bleu était né, patronyme qui fleure
bon la France sur une île perdue par Louis XV en
1763, britannique jusqu’en 1974 et indépendante aujourd’hui, culturellement vraiment british - même les
policiers sont habillés en Bobby. Le travail s’y déroule
selon un rythme et une mentalité à l’opposé de ceux
de la Suisse et, bien entendu, dans un climat où la
température dépasse régulièrement les 25 degrés !
A Grenade, Jana, qui est appelée « la générale » par ses
collaborateurs, put transmettre à son staff sa vision de
l’accueil, de l’hôtellerie et de la restauration : tout doit
être tip-top ! Mais elle a su décliner cette philosophie à
la manière caribéenne ; il ne faut jamais oublier, dit-elle,
que nous sommes ici des hôtes ; notre responsabilité est
d’abord de nous adapter aux traditions locales. C’est
aussi la philosophie de Dieter, appelé « Monsieur Bricolage », qui de son côté, a trouvé des solutions à tous les
problèmes côté technique et comme passionné de voile,
s’occupe du port de plaisance pour les yachts, tout en
s’adonnant à son autre passion, la musique, pour le
grand plaisir des vacanciers.
Aujourd’hui, après beaucoup de travail et quelques
millions d’investissements, la baie se développe, le restaurant – un bateau-phare acheté en Suède et amené à
Grenade ! – est devenu un succès, même si ouvrir un
restaurant gastronomique sur une île de 100 000 habitants n’est pas forcément la formule la plus rentable.
Jana et Dieter se sont installés pour de bon à Grenade ; ils en ont demandé le passeport et ils imaginent
même finir leur vie en insulaires. Le couple n’oublie pas
pour autant leur ancienne patrie, bien au contraire :
Jana a été nommée consule honoraire de Suisse à Grenade et elle s’inspire autant que faire se peut de la façon
suisse de concevoir les choses : en installant par exemple
la première station d’épuration dans le complexe hôtelier, en recyclant les déchets, en cultivant des légumes
bio à proximité, bref, en proposant, au cœur même des
Caraïbes, un paradis où le Swiss Made a trouvé sa place,
tout en y intégrant la gentillesse et le sourire des locaux,
qualités qui, dans la mère patrie, ont plutôt tendance à
se perdre… Que chacun tire de cette combinaison de
modes de vie ce qui lui tient le plus à cœur !
Et last but not least : les lecteurs qui se sentent l’âme
voyageuse et qui téléphonent à Jana sur recommandation de la Lettre de Penthes peuvent compter sur 10%
de rabais, un geste amical d’une île amicale ! Voici ses
coordonnées :
www.lepharebleu.com
Bay Garden, Corbeau Town, Grenada
téléphone : +1 473-444-2400
email: [email protected]
demander Jana Caniga
La Lettre de Penthes
| 73
| ARTICLE
Ceux qui ont
compté pour
Penthes...
René Burri
1933-2014
Anselm Zurfluh
L
a dernière grande exposition de René Burri a eu
lieu à Penthes, en 2013, autour d’un titre évocateur et intriguant : Utopia. Comment ce Zurichois, Suisse dans le monde s’il en est, qui savait que son
pays était minuscule face au vaste globe et que la seule
façon de l’appréhender était d’en faire le tour et d’en
rendre compte, comment René Burri ce pragmatique,
qui savait que son parcours allait reposer d’abord sur le
travail bien fait... pouvait-il choisir d’intituler son exposition Utopia ? Tout simplement, parce qu’à côté de tout
ce qui fait la vie d’un « Suisse typique », il y avait, chez
lui, de la place pour le rêve, pour l’improbable, pour
l’inconnu. C’est sur cette vision pragmatique et précise,
mais aussi sur les chances et les hasards de la vie que s’est
construite la vie de Burri. Sur ce que René appelait luimême le destin.
L’été 2012, René Burri vint à Penthes grâce à notre
ami commun, le photographe Marco D’Anna. Nous
nous sommes installés à la terrasse du Restaurant de
Penthes, sous l’olivier, et avons commencé à discuter
d’un projet d’exposition. Entre la poire et le fromage,
René Burri me dit, en suisse-allemand : «Alors Anselm,
on la fait, cette expo» ? – «Ce serait un immense honneur
pour nous, cher maître» – «Ok, je m’appelle René ; si tu es
d’accord, on y va»... Cette exposition nous l’avons faite.
La simplicité et la disponibilité de cette star de la photographie mondiale m’ont profondément touché.
René trimbalait inlassablement son Leica en bandoulière pour prendre LA photo, mais pas à n’importe
quel prix. Quand il s’est trouvé en compagnie de Marylin Monroe et qu’à un moment donné l’actrice s’est
74 | La Lettre de Penthes
jetée, fatiguée, sur un canapé, en ne prêtant plus attention à l’appareil de photo d’Henri Cartier-Bresson
qui hurlait de rage, René fit quelques prises. Marylin
se releva en sursaut et, à ce moment précis, sa jupe vola
plus haut que dans la fameuse photographie où on la
voit sur la bouche d’aération du métro de New York,
dans Sept ans de réflexion. Burri ne publiera jamais
cette image, qui lui aurait certainement valu plus de
notoriété que celle du Che au cigare ; mais il ne voulait
pas jeter Marylin en pâture aux médias. Question
d’éthique, disait-il.
René était un personnage qui avait une envie insatiable de découvrir le monde, la soif de comprendre
comment il fonctionnait, mais surtout, la volonté de
partager son expérience avec ses semblables. Cet enthousiasme, nous en avons profité chaque fois que
nous sommes passés chez lui, à Paris, pour travailler.
Que René et Clotilde Burri soient chaleureusement
remerciés de ces moments inoubliables.
Suisse typique, René Burri était enraciné dans son
pays, dans sa ville natale de Zurich, ville où il décèdera. Il a été ouvert aux autres jusqu’au dernier moment,
travailleur et contemplatif, perfectionniste et réaliste,
curieux de tout et partageant, sans compter, le fruit de
son travail. Avoir pu présenter, au Musée des Suisses
dans le Monde, la partie «utopique» de son œuvre a été
pour nous – et là j’inclus les nombreux visiteurs de
l’exposition – plus qu’un honneur, la certitude qu’un
ami nous a voulu du bien.
ARTICLE
La Lettre de Penthes
|
| 75
| ARTICLE
Aujourd’hui :
Jérémie Pauzié (1716-1779)
JOAILLIER GENEVOIS À LA COUR DU TSAR
Par Renaud de Montmollin
A
la cour du tsar, on aimait beaucoup les cailloux, les petits comme les gros (surtout), les
diamants comme les émeraudes, les saphirs
ou les rubis. Tout était prétexte à les choisir avec soin,
les assembler de manière élégante puis les sertir enfin
sur des métaux précieux pour fabriquer de superbes
bijoux et des parures somptueuses : colliers, broches,
boucles ou pendentifs, un sceptre ou même une couronne. Dans un tel contexte, comment imaginer un
creuset plus propice que Saint-Pétersbourg pour faire
fleurir de prometteuses prédispositions dans l’art de
la joaillerie?
son sacre. En deux mois, le symbole du pouvoir russe
est terminé : soixante-quinze perles et près de 5000 diamants surmontés par un rubis de 400 carats sont assemblés sur une armature pour former un couvre-chef
pesant un peu plus de deux kilos ! Les deux lobes couverts de diamants en forme de feuilles de chêne (autorité) et de laurier (pouvoir) n’ont rien à voir avec les attributs de Catherine ; ils rappellent que l’empire russe
s’étend sur deux continents, comme le montre plus
communément l’aigle à deux têtes sur le drapeau russe.
C’est certainement une des raisons pour lesquelles
le père de Jérémie, admiratif devant l’habileté et la
délicatesse de son fils alors âgé de treize ans se décida
à quitter Genève en 1729 et partir avec sa famille, à
pied, pour Saint-Pétersbourg en passant par la Suisse,
l’Allemagne et la Hollande et rejoindre son frère,
chirurgien à la cour du tsar Pierre II, et qui, comme
de nombreux huguenots, s’y était réfugié pour fuir la
chasse menée en France contre les protestants.
A la vue de cet énorme bijou, toute l’aristocratie
fortunée de Russie veut du Pauzié : montres et pendules, tabatières, bagues et tout ce que l’on peut imaginer dans un catalogue de quincaillerie ostentatoire
et précieuse. Il travaille d’arrache-pied, mais un jour,
Jérémie part soudain pour Genève. Il a quarante-huit
ans et il est ruiné ! Incroyable, mais le secret est encore
et toujours bien gardé. Certains l’ont soupçonné d’escroqueries, d’autres d’avoir tout perdu à force d’avoir
trop joué. Il y mourra quinze ans plus tard, sans faire
de bruit.
A quinze ans, Jérémie commença un apprentissage
de joaillier chez un maître réputé. Rapidement, l’élève
se montra plus doué que son patron et à peine sa formation achevée, Jérémie ouvrit une boutique à
Saint-Pétersbourg, encouragé par les compliments
que lui adressait l’impératrice Anne à qui le brillant
apprenti avait proposé avec succès quelques-unes de
ses créations. Nommé premier expert en diamants et
joaillier de la cour à vingt-cinq ans, Jérémie Pauzié se
vit confier, par la future Catherine II la Grande, la
réalisation de la couronne qu’elle arborera le jour de
Il faut revenir sur cette couronne. Paradoxalement, elle conserve un caractère sacré, même pour
les bolcheviks qui ont assassiné le dernier tsar Nicolas II et toute sa famille en 1918. Pour les révolutionnaires, cette couronne impériale demeure certes le
symbole honni de la prise de pouvoir des six tsars qui
ont succédé à Catherine II la Grande, elle est aussi
celui, permanent voire éternel de la patrie de tous les
Russes, cette Russie chargée d’histoire et qui restera
un empire quelle que soit la forme du régime politique au pouvoir.
76 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
La Lettre de Penthes
|
| 77
| ARTICLE
DE L’ÉCHEC DE GORBATCHEV AU RETOUR DE POUTINE
Andreï Gratchev
analyse le passé récent
russe à Penthes
La première rencontre historique Reagan-Gorbatchev devait se tenir en 1986, au Château de Penthes, avant d’être déplacée au dernier moment, par la CIA dans une autre
demeure genevoise. Andreï Gratchev y était et s’en souvient encore. Dernier porte-parole et conseiller personnel du Président soviétique, il a témoigné de ce moment historique lors d’une rencontre-débat organisée le 07 mars au Musée des Suisses dans le
Monde, en partenariat avec Radio Zones 93,8 Fm, à l’occasion de la sortie de son
dernier livre, Le Passé de la Russie est imprévisible*.
78 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
N
é en 1941, Andreï Gratchev est historien,
journaliste, politologue et spécialiste des relations Est-Ouest. « Enfant du dégel », il pleure
la mort de Staline à onze ans. En 1961, il accompagne
le premier cosmonaute Gagarine en France comme
étudiant et traducteur, avant de connaître de près les
grands changements de l’URSS : fin du stalinisme dénoncé par Khrouchtchev, crise des missiles à Cuba,
érection du mur de Berlin, «printemps de Prague»,
invasions soviétiques en Tchécoslovaquie et en Afghanistan. Nombre de responsables communistes de sa
génération, ont, comme lui, partagé les espoirs de
changement interne du système, puis connu la frustration face aux chars lancés à Budapest comme à Prague.
Passé membre du Département international du Comité Central du Parti, il accède au Kremlin comme
conseiller et porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev.
Après la démission du Président et la fin de l’Union
Soviétique en 1991, il s’installe au Japon, puis à Paris.
Il devient chercheur et conférencier dans plusieurs
universités, dont celle d’Oxford. Il enseigne aujourd’hui à l’Institut de Relations Internationales et
Stratégiques à Paris et dirige le Comité scientifique du
New Policy Forum.
|
Après la guerre froide, la démocratie en danger ?
Dans son dernier ouvrage, Andreï Gratchev analyse
l’échec de la politique de Gorbatchev et les vingtquatre ans qui ont suivi la fin de l’URSS. Il y présente
l’état de la société russe et s’interroge : pourquoi faitelle désormais le choix du populisme et du nationalisme ? Sur le volet international, il dresse un bilan
quant aux conséquences de la fin de la guerre froide.
Il n’y a pas eu de vainqueur, remarque-t-il, sauf « le
capitalisme de marché ». Pour Gratchev, tout reste à
faire, si l’Occident veut retrouver une place de référence qu’il a perdue. « Le triomphe historique s’est révélé un piège », écrit-il. « L’Occident a été chassé du « paradis » en noir et blanc : il n’a plus la certitude et le
confort de savoir que le « monde libre » représente un
idéal par opposition à son rival totalitaire ». Il avertit :
« la menace ne vient plus de l’Est, mais des quelques
happy few qui gouvernent le monde occidental »,
chinois ou autre. Et de s’inquiéter de façon « hérétique » : « le capitalisme a-t-il encore besoin de la démocratie ? »
Jean Musy
*Le Passé de la Russie est imprévisible, Journal de bord d’un enfant du dégel,
Alma Editeur
La Lettre de Penthes
| 79
DOMAINE DE DÉCOUVERTES
CULTURE | GASTRONOMIE | NATURE
www.theoreme.ch
W W W. PEN T HE S .CH
Aux portes de Genève, le Domaine de Penthes propose,
dans un cadre exceptionnel face au Lac Léman et au Mont-Blanc, un monde
de découvertes où gastronomie et culture se côtoient.
Domaine de Penthes - Chemin de l’Impératrice 18 - 1292 Pregny-Chambésy
ARTICLE
|
Une station à saute-frontière
sur le Bassin Lémanique
De l’Histoire des révolutions au Chemin de Jérusalem des Croisés, des lectures de
textes poétiques aux musiques urbaines, des fêtes de migrants à l’actualité onusienne,
de la vie de l’Ain à celle de la Haute-Savoie, des événements genevois aux manifestations vaudoises, Radio Zones propose depuis 34 ans un regard croisé sur le monde et
la frontière franco-suisse.
L
ancée sur les ondes en 1981, au moment où le
Président Mitterand décidait de rompre le monopole d’Etat en matière de médias radiophoniques,
la station gessienne basée à Grilly prenait le nom de
Radio Zones pour rappeler les « zones franches » de ses
origines. Légalisée en 1984, elle déménageait à Ferney-Voltaire, ville du Patriarche des Lumières, où elle a
son siège et son studio aujourd’hui. Son antenne sise sur
les hauteurs jurassiennes de Crozet couvre tout le Bassin Lémanique et la vallée de l’Arve.
Groupés en association à but non lucratif, sa quinzaine d’animateurs et membres, consacrent chacun
une dizaine d’heures hebdomadaires pour leurs émissions, sans compter tous les sympathisants qui proposent des collaborations ponctuelles. Un technicien
webmaster et graphiste en assure le volet technique.
Une petite rédaction genevoise professionnelle conçoit
les bulletins d’information et les magazines d’actualité, sans oublier la couverture des événements de
l’ONU, grâce à un correspondant accrédité.
UNE GRANDE DIVERSITÉ MUSICALE
ET INFORMATIVE
Une cinquantaine d’émissions se partagent la grille
des programmes, consacrés pour un tiers à la vie des
migrants, notamment portugais (Nozes e Vozes) et
brésiliens (Som Brasil), latinos et africains (Afrozic et
Afropolis), y compris ceux des pays de l’Est ; un autre
tiers à la musique spécialisée (Spécial Concert de Jazz,
All Blues, Super Son des 60’s, Black Swing, Soleil des
Tropiques, Rock à la Casbah, Big Cactus Country Show,
Dixie Rock, Loccomotion R&B, etc.), grâce à la collaboration de musiciens professionnels, de collectionneurs,
de DJ et d’autres passionnés en notes de tout genre.
Alors qu’une radio commerciale propose en moyenne
250 titres différents par mois, Radio Zones en offre
3000. Enfin, le reste du programme se répartit entre
thématiques spécialisées sur l’écologie (In-Folio), les
femmes (Regards de Femmes), la poésie (Lettera Amorosa), la Défense (Du Général au particulier), l’actualité vue de façon transfrontalière au niveau local et régional. Une grande émission phare bimensuelle (Clés
de Lecture) reçoit des personnalités de premier plan du
monde littéraire, scientifique et politique. La station
échange ses programmes avec une trentaine de radios
françaises.
UN PONT MÉDIATIQUE SUR LA FRONTIÈRE
Dans un monde médiatique de plus en plus concentré et global, Radio Zones s’est transformée en multimédia, accessible partout grâce au net et au câble
(www.radiozones.com). La station se veut un media
critique et ouvert, avec une approche particulière mise
sur les événements culturels, aujourd’hui de moins en
moins couverts par la presse écrite locale. Ce pont
hertzien sur 93,8 FM établi quotidiennement entre
Vaud et Genève, Haute-Savoie et Pays de Gex, y compris entre internationaux et nationaux, lui confère
une originalité reconnaissable et en fait un média incontournable de la vie locale.
La Lettre de Penthes
| 81
| ARTICLE
Le Chili
en exposition
au Restaurant
de Penthes
Descendants de Suisses en Araucanie
1883–2010
C
ette exposition de photographies est un hommage aux 1300 citoyens suisses, issus de divers cantons et à leurs 400 000 descendants.
Ces enfants descendants de sept générations de Suisses
émigrés en Araucanie, au Chili dans les années 1883
et 1891 dans le cadre d'un contrat signé entre la République du Chili et la Confédération Suisse, il y a cent
trente et un ans sont la mémoire vivante de notre pays.
lors du Bicentenaire de la déclaration d'Indépendance
du Chili, cette évocation d'immigrants venus d'une
terre si lointaine et si différente qu'est la Suisse, aide à
mieux comprendre et prendre conscience de la variété
des nationalités et des ethnies qui ont façonné les habitants de ce pays. Cette prise de conscience fortifie le
concept d'identité nationale et élargit le champ d'action et la conservation de notre patrimoine culturel.
A gauche : installation de l'exposition
avec Alejandro Rogazy
au Restaurant du Château de Penthes
82 | La Lettre de Penthes
ARTICLE
La Suisse
redessinée.
De Napoléon
au Congrès
de Vienne
|
E
mbarras du choix : l’année 2015 permet aux
Suisses de commémorer trois dates clés de leur
histoire : la bataille de Morgarten, en 1315,
celle de Marignan, en 1515, et le Pacte fédéral de 1815,
avec le Congrès de Vienne en arrière-fond. Alors que
le Forum de l’histoire suisse à Schwyz se penche sur
la première des deux batailles, celle qui aurait eu lieu
tout près de là, et que le Landesmuseum à Zurich
évoque Marignan dans la plaine du Pô, le Musée national suisse au Château de Prangins explore, de manière originale, les événements autour des années 1814
et 1815. Cette exposition temporaire, qui porte le
sous-titre De Napoléon au Congrès de Vienne nous
invite à rencontrer ceux qui ont su « redessiner » la
Suisse après les chapitres peu glorieux de l’occupation
du pays par les troupes révolutionnaires françaises, de
la République Helvétique et de la Médiation.
Quels enjeux représente la Suisse pour les Puissances européennes au lendemain de la chute de Napoléon et de son empire ? Pourquoi ces dernières se
soucient-elles d’un territoire si exigu et divisé ? S’il est
vrai que la délégation suisse et les nombreux représentants cantonaux n’ont pas de rôle officiel à jouer, un
comité spécial est tout de même constitué à Vienne
pour étudier de près la « question suisse ».
Au terme d’intenses mois de négociations, la Suisse
est redessinée : stabilisée, agrandie de trois nouveaux
cantons – Genève, Neuchâtel et le Valais – ; enfin, elle
se voit dotée d’une neutralité perpétuelle au profit
d’une paix durable en Europe. A travers quelques objets phares et des témoignages surprenants, l’exposition de Prangins illustre des thèmes toujours d’actualité, tels que la guerre et la paix, les frontières et la
position de la Suisse en Europe.
Du 13 mars au 13 septembre 2015 ; du 15 octobre
2015 au 10 janvier 2016, cette exposition temporaire
sera présentée au Nouveau Musée de Bienne.
La Lettre de Penthes
| 83
| IMPRESSUM
LA LETTRE DE PENTHES
LE MAGAZINE DU DOMAINE DE PENTHES
NUMÉRO 25 – PRINTEMPS 2015
CONCEPTION ET RÉALISATION
Théorème communication, Genève
CORRECTIONS
ÉDITEUR
Fondation pour l'Histoire des Suisses dans le Monde
Château de Penthes
18, ch. de l'Impératrice
CH-1292 Prégny-Chambésy
T +41 (0)22 734 90 21
Mireille Ripoll
Emmanuelle Zurfluh
PUBLICITÉ
Régie Kal
IMPRESSION
RÉDACTION EN CHEF
Bénédict de Tscharner
Anselm Zurfluh
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO
Andreas Affolter
Daniel Bernard
Luc Franzoni
Jean Musy
Pierre Rime
Jean-Claude Romanens
Bernard Sandoz
Camille Verdier
Gérard Viatte
Peter Zimmerli
PHOTOS
iStock – pp. 5, 14, 16, 21, 23,72
Services du Parlement 3003 Berne / Béatrice
Devènes – p. 11
Akulamatiau | Dreamstime.com – p. 13
Sergey Novikov – p. 16
David Iliff – p. 21
Eric Fookes – p. 32
Thanos Kartsoglou – p. 64
CaraMaria – p. 72
© The State Hermitage Museum /
photo by Vladimir Terebenin – p. 77
DR.
84 | La Lettre de Penthes
SRO-Kundig SA
Label SRO-Kundig SA
RANGERWOOD
MAKERS OF THE ORIGINAL SWISS ARMY KNIFE | VICTORINOX.COM

Documents pareils