Ma premire participation un concours remonte 1944 alors que j`tais

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Ma premire participation un concours remonte 1944 alors que j`tais
Un interprète et son concours : Mstislav Rostropovitch
Extrait du Guide des Concours 2003-2004, propos de Mstislav Rostropovitch recueillis en juillet 2002 par
Christiane Louis et Gilles Vachia, traduction assurée par Nina Apreleff
Editions Cité de la musique, 2002, épuisé
Interprète, chef d'orchestre et accompagnateur, Mstislav Rostropovitch est
mondialement reconnu comme l'un des plus éminents musiciens de notre temps. C'est en toute
cordialité et alors qu'il s'apprêtait à fêter dignement le 25e anniversaire du concours portant
son nom qu'il nous a accordé un entretien au cours duquel il évoque son propre parcours et
les raisons qui l'ont conduit à parrainer l'une des plus hautes épreuves instrumentales
internationales.
Ses souvenirs, conseils avisés et incitations profiteront à tous les musiciens quelle que
soit la discipline qu'ils pratiquent. Les mélomanes retrouveront les paroles d'un humaniste
dont le souci constant demeure celui de faire partager une passion musicale universelle.
Pourquoi des concours de musique ?
Il est certain que les concours peuvent aider les jeunes musiciens à accéder à une carrière de
soliste, mais aujourd’hui les épreuves se multiplient et ne s’équivalent pas entre elles.
Quoiqu'il en soit, simple étape ou début de carrière, les concours incitent les candidats à une
certaine discipline de travail et stimulent l'interprète en lui donnant l’occasion de préparer un
programme complet. Par ailleurs, il est toujours très important de se confronter aux autres
interprètes, surtout quand ils viennent du monde entier.
Jusqu'à une période encore récente, les écoles de violoncelle différaient selon les nationalités
et l’on pouvait discerner l’origine des candidats à la seule écoute. Ce n’est plus guère le cas
aujourd’hui, chaque école ayant pris ce qu'il y avait de meilleur dans les autres, et c’est peutêtre salutaire…
J’en donnerai un exemple amusant. En 1955, j’étais vice-président du jury du Concours du
printemps de Prague et Paul Tortelier, devenu par la suite un très grand ami, représentait la
France. Lors de l'un des concerts organisés à l'occasion de ce concours, j'ai interprété le
Concerto pour violoncelle et orchestre d'Anton Dvorak. Je jouai le premier thème du dernier
mouvement plus lentement que ne l’indiquait la partition. Paul Tortelier, très mécontent,
s’écria : « Pourquoi joues-tu cela si lentement ? ». Et moi de tenter de me justifier tant bien
que mal auprès de lui… Bien des années plus tard, pensant le satisfaire, je lui avoue jouer le
début de ce mouvement presque dans le même tempo que le reste. « Mais pourquoi fais-tu
cela ?, s’exclama-t-il, après t'avoir entendu, j'ai adopté un tempo identique à celui de ton
interprétation de 55… »
J'ai, pour ma part, participé à cinq concours qui, à des degrés divers, m'ont permis d'entamer
ma carrière.
Années d'apprentissage
En 1944 le Conservatoire de Moscou, où j'étais encore élève, avait organisé un concours
d'interprétation d'œuvres contemporaines ouvert aux étudiants. J'ai eu la joie d'y jouer le
Concerto pour violoncelle de Nikolaï Miaskovski1 qui, à l'époque, était notre « patriarche » et
demeure à mes yeux un grand compositeur, tout comme l'estimaient alors Serge Prokoviev et
Dimitri Chostakovitch. J'ai été lauréat du premier prix ce qui s’accompagna d’une petite
célébrité bien que, sur l'affiche de proclamation des résultats, le prénom de Mikhail se soit
substitué au mien. Je pense que depuis on s'est habitué à Mstislav...
Ma carrière d'interprète a réellement débuté en 1945 à l'occasion du Concours interrépubliques d'URSS, alors considéré comme un événement majeur de la vie musicale du
pays. Il permettait aux lauréats de se produire dans de nombreux concerts et tournées, y
compris à l'étranger. Le président du jury n'était autre que Dimitri Chostakovitch. Après de
longues années d'interruption pour cause de guerre, de nombreux jeunes interprètes
souhaitaient participer à ce concours ouvert aux pianistes, aux violonistes, aux violoncellistes,
aux harpistes ainsi qu'aux chanteurs. La limite d'âge, fixée à 30 ans, avait été repoussée d’un
an pour donner la possibilité à Svitoslav Richter2 d'y participer ! De très bons candidats,
comme le violoniste Leonid Kogan3, n'ont pas atteint la finale et seulement deux premiers
prix de piano ont été attribués, l'un à Richter, l'autre à Victor Merjanov4. J'ai obtenu le
premier prix de violoncelle. Pour donner toute leur valeur à ces récompenses, il n'y eut pas de
deuxième prix mais seulement un troisième. Pour moi, alors jeune homme de 18 ans, c'était
vraiment une grande prouesse qui favorisa ma carrière de soliste.
Je fus ensuite lauréat de trois concours : en 1947, lors d'un Festival de la jeunesse
démocratique à Prague, ainsi qu’en 1949 lors d'une manifestation analogue à Budapest et, en
1950, au Concours du printemps de Prague qui, cette année-là, était ouvert aux
violoncellistes ainsi qu'aux quatuors à cordes. Ce dernier concours m'a apporté une grande
satisfaction morale, non pas tant à cause du prix que parce que j’y ai rencontré Maurice
Maréchal5, membre du jury et violoncelliste merveilleux que j'admirais beaucoup. Je me
souviens encore de sa dédicace – en français ! – apposée sur le programme : « Pour le grand
vainqueur ». Lorsque je me suis rendu à Paris pour la première fois en 1956, Maurice
Maréchal m'a invité dans sa classe de la rue de Madrid en me présentant à ses élèves comme
étant le meilleur violoncelliste qu'il connaisse. L'une de ses jeunes élèves a joué la Sonate de
Locatelli : il s'agissait de Reine Flachot6.
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1
Nikolaï Miaskovski (1881-1950), compositeur et pédagogue russe. Professeur de composition au
Conservatoire de Moscou de 1921 jusqu'à la fin de sa vie, il eut notamment pour élèves Kabalevski et
Khatchaturian. Il a composé vingt-sept symphonies.=
2
Svitoslav Richter (1915-1997).=
3
Leonid Kogan (1924-1982) fut notamment l'un des partenaires de Rostropovitch en trio avec le pianiste Emil
Guilels.=
4
Victor Merjanov (1919) fut également finaliste au Concours Chopin de Varsovie en 1949. Il est régulièrement
invité comme membre du jury du Concours Reine Elisabeth de Belgique.=
5
Maurice Maréchal (1892-1964) est considéré comme le meilleur représentant de l'école de violoncelle
française de sa génération. De 1942 à 1963 il a enseigné au Conservatoire de Paris.=
6
Reine Flachot (1922-1998) était plus probablement l'assistante de Maurice Maréchal.=
C'est durant l’édition 1955 du Concours du printemps de Prague, alors ouverte uniquement
aux violoncellistes, que j'ai fait la connaissance de Galina Vichnievskaïa7. Une rencontre
fulgurante… nous nous sommes mariés quatre jours plus tard.
Jurys et candidats
Les jurés de concours forment en quelque sorte une famille. Et, comme dans les familles, tous
les membres ne sont pas toujours d’accord. Quand il n’y a pas d’unanimité sur un candidat,
c'est même plutôt bon signe. S'il y a vraiment désaccord, c'est la majorité qui l'emporte…
La « qualité » des jurés joue un rôle important dans l’évaluation portée sur les candidats. Une
interprétation inhabituelle peut susciter l'intérêt des musiciens, mais ne convaincra pas
forcément les jurés enseignants, qui ont parfois du mal à s'éloigner de leur propre point de
vue.
Les candidats du Concours Rostropovitch se destinent à devenir des solistes et doivent
posséder un haut niveau technique de même qu’une grande sensibilité musicale. Un interprète
peut posséder une technique irréprochable sans pouvoir transmettre l’esprit ou les émotions
d’une œuvre. Aucune chance, en ce cas, de devenir un grand soliste ce qui n’empêche
évidemment pas de poursuivre une carrière orchestrale.
Les Suites de Bach figurent parmi les épreuves éliminatoires. Si on les joue mal, autant
renoncer à participer… Je n'ai encore jamais rencontré de candidat jouant très mal Bach et
très bien le reste. Techniquement Bach n'est pas difficile – mis à part quelques petits passages
– et c'est justement avec ce grand compositeur que l'on peut juger de l'intelligence et du talent
du candidat.
De l'authenticité
La quête forcenée de l'authenticité dans l'interprétation de certaines œuvres anciennes est à
mon sens erronée. Cette obsession à vouloir restituer la manière dont était jouée la musique à
l'époque de Bach, les types d'instruments et d’archet utilisés… c'est intéressant, mais
uniquement d'un point de vue historique ou scientifique, pas pour l'interprétation. On peut
faire le parallèle avec la littérature : Shakespeare ou Rabelais ne sont plus compris dans leur
langue originale. Les œuvres géniales demeurent mais la langue change. Certains
compositeurs ont anticipé dans leur écriture les évolutions de l’instrument. Beethoven a
composé ses Sonates pour piano sur un instrument tout petit, peu sonore et c'est lui-même qui
a initié le Hammerklavier qui avait déjà plus de puissance. Aujourd’hui ces Sonates font
partie du patrimoine universel dans leur interprétation sur instrument moderne.
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7
Galina Vichnievskaïa fait partie des grandes interprètes lyriques internationales. Elle s'est aussi bien distinguée
sur les scènes d'opéra que dans le répertoire des mélodies. Se consacrant depuis quelques années plus
particulièrement à l'enseignement, elle a ouvert une école d'opéra à Moscou au cours de cette année 2002.=
Lorsque je répétais le deuxième concerto de Chostakovitch, deux cors s'exerçaient sur des
parties très difficiles. A la pause, Chostakovitch m'a déclaré : « Est-ce que je vais mourir
avant que des facteurs créent un vrai instrument permettant d'entendre le cor sans ratés ? ».
Dans cent ans peut-être, quand il y aura de nouveaux cors permettant d'interpréter cette œuvre
plus aisément, certains affirmeront qu'il faut s'en tenir aux instruments originaux. Et
Chostakovitch se retournera dans sa tombe !
Ceci m'évoque le dernier Concours Tchaïkovski8 au cours duquel les candidats devaient
interpréter les Variations sur un thème rococo, pour violoncelle et orchestre. Les
organisateurs ont retenu la première version de l’œuvre ce qui, de mon point de vue, est une
erreur grossière. Ces Variations ont été créées du vivant de Tchaïkovski qui les avait
travaillées et en avait écouté les premières interprétations. C'est en toute connaissance de
cause qu'il a choisi la version définitive des Variations… L'œuvre d'un compositeur, c'est son
enfant.
La musique contemporaine
L’interprétation de la musique contemporaine est un des éléments très importants du
Concours Rostropovitch. Depuis ses débuts, chaque édition a sollicité un compositeur pour
la création d’une pièce, à commencer par Xenakis en 19779. C'est aussi une manière d'enrichir
notre répertoire. Les candidats reçoivent la partition à une date précise avant le concours,
chacun bénéficiant ainsi du même temps de préparation. La difficulté de l’œuvre et le temps
limité conduisent beaucoup d’inscrits à s’abstenir, pourtant, ce type d’épreuve reflète bien
l’une des exigences de la vie d’un musicien soliste.
Conseils à un jeune violoncelliste
Un artiste a du talent ou il n'en a pas. Partant de là il est difficile de donner des conseils
généraux et utiles. Une chose me paraît tout de même essentielle : l'interprète ne doit pas s'en
tenir aux œuvres de son répertoire, il doit connaître toute la musique. Beaucoup de jeunes
musiciens consacrent tellement de temps à leur propre instrument qu'ils en oublient le reste.
Un violoniste ou un violoncelliste devraient écouter par exemple les symphonies de Brahms
dans trois versions différentes, et analyser ce qui leur plaît davantage. Quelle que soit la
maîtrise de l’instrument, une interprétation sera encore meilleure – plus riche et souvent
inattendue – si elle est nourrie d’une réelle culture musicale. C'est un peu comme franchir le
mur du son pour un avion à réaction. Cela semble long à atteindre mais, une fois le cap passé,
tout devient évident…
J'ai la chance de travailler un répertoire très vaste. En dix-sept ans de travail avec l'Orchestre
de Washington10 j'ai dirigé plus de 500 œuvres. Cette expérience m’a permis de bien
connaître les instruments de l’orchestre et, lorsque je joue en tant que soliste, je sais
m’approcher avec mon violoncelle du timbre du hautbois ou d’un autre instrument. Il faut dire
aussi que j'ai accompagné mon épouse au piano durant trente-cinq ans !
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8
La XIIe édition du Concours international Tchaïkovski de Moscou s'est déroulée du 6 au 23 juin 2002 et
concernait les disciplines suivantes : piano, violon, chant, lutherie et violoncelle. Le premier prix de violoncelle
n'a pas été décerné.=
9
1977 : Kottos de Iannis Xenakis ; 1981 : Quasi Scherzando de Gilbert Amy ; 1986 : Per Slava de Krzysztof
Penderecki ; 1990 : Bribes russes de Rodion Chedrine ; 1994 : Improvisation pour violoncelle seul de Alfred
Schnittke ; 1997 : Spins and Spells de Kaija Saariaho ; 2001 : Ay, there’s the rub de Marco Stroppa.=
10
Mstislav Rostropovitch fut directeur musical du National Symphony Orchestra de Washington de 1977 à
1994.=
Le violoncelle, comme le violon ou l'alto, est un instrument à une seule voix. Il n’est pas
vraiment polyphonique même si parfois il y a certains accords. La sensation de l'harmonie ne
peut être transmise que par le piano et j'estime que chaque violoncelliste doit jouer du piano –
ne serait-ce qu'un peu. Il faut pouvoir sentir l'harmonie !