2 pages - hamlet ma

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2 pages - hamlet ma
HAMLET
MACHINE
Revue de Presse
Frankfurter Rundschau
online / 1
29 / 02 / 2002
traduction: Michelle Lapierre
Heiner Müller
MÜLLER FACTORY
--------------------------------------------------------------------Une Müller Factory de trois semaines aux Subsistances
Heiner Müller fit un jour la remarque suivante: « Le théâtre transforme tout en théâtre, aussi
faut-il sans cesse mettre dans la gueule du théâtre ce que le théâtre ne peut digérer », par
exemple des textes qui ne peuvent être joués par le théâtre tel qu’il est, et des expérimentations
artistiques où « un élément remet toujours l’autre en question », où les arts s'affrontent, jouent
à se battre, affirmant ainsi leur particularité dans la lutte pour la reconnaissance. « Ce faisant »,
disait Müller, « le théâtre remet en question la réalité elle-même, ce qui est véritablement la
principale fonction politique du théâtre. »
Ces remises en question sont depuis quelque temps au centre des préoccupations des
Subsistances, le centre culturel de Lyon tout proche du centre ville. Les bâtiments néoclassiques, un ancien monastère nationalisé après la Révolution, servaient encore, pendant la
guerre du Golfe, de caserne et de dépôt de ravitaillement pour l'armée, qui y avait installé une
boulangerie industrielle. Il accueille depuis 2001 les recherches interdisciplinaires qui ne
trouvent pas leur place au théâtre, au musée ou dans une salle de concert, un lieu idéal donc pour
une Müller Factory qui réunit pendant trois semaines gens de théâtre, chorégraphes, musiciens,
plasticiens et vidéastes dont le seul point commun est leur travail à partir de l'œuvre Müller,
textes, mises en scène, manuscrits, et surtout questionnements sur les traces de l'histoire dans le
domaine privé, sur les apories à propos de la justice et de l'identité, sur l'origine de la biopolitique moderne et sur les opportunités manquées du passé.
Il y a l’énorme spectacle multi-médias du vidéaste Dominik Barbier, animé par ordinateur et
retraçant les métamorphoses du texte de Hamlet-Machine lors de sa rédaction par Heiner Müller,
le collectif Dig Ding Dong, une installation à partir du Paysage sous surveillance où
s'entrecroisent sons, images et textes, ou bien encore une publication d'essais littéraires rédigés
par de jeunes auteurs s'inspirant de Heiner Müller pour l'approuver ou le contester. Mark
Lammert y expose des lithographies et eaux-fortes réalisées pendant sa collaboration avec Heiner
Müller et Jean Jourdheuil, 42 impressions de la série Kinne (Mentons), un travail rappelant,
dans son regard sur le petit détail révélateur, l'écriture gestuelle de Müller.
La Tempête de Shakespeare, une des dernières mises en scène à laquelle travaillait encore Müller
peu avant sa mort, est le sujet d'un commentaire de Jean Jourdheuil, traducteur de Müller,
metteur en scène et écrivain, sur le dramaturge anglais, mis en scène par lui-même, sous le titre
de Une épure, avec un acteur et un pianiste. Au piano, Stéphane Leach interprète la musique
qu’il a composée pour la pièce, dans le registre de la grande musique et à la limite de celle-ci. Il
se sert des cordes de son instrument pour en tirer parfois frappements et cliquetis, sortant du
cadre d’une musique de chambre, qu’on attribuerait peut-être à Prospero, pour créer des sons qui
correspondraient à Caliban ou à Ariel. Marc Barbey lit le texte et interprète en même temps le
rôle du metteur en scène, éclairant et dirigeant le jeu de Leach, tout en laissant le texte rythmer
la cadence de ses hypothèses qu’il visualise à l’aide d’accessoires tout simples, par exemple un
stylet lumineux pour la scène avec Prospero et les autres personnages. Magistral exercice de
doigté, Une épure est,
justement par son minimalisme théâtral, un temps fort de la Müller Factory.
HAMLET
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29 / 02 / 2002
« Eschberg, reviens ! »
Le second temps fort vient de Wanda Golonka, et là aussi avec peu de moyens, mais bien
employés. La chorégraphe, originaire de Lyon, qui a divisé le public de Francfort avec sa
performance de théâtre dansé à partir de textes de Heiner Müller, acclamée par les uns, huée par
d’autres aux cris de « Eschberg, reviens ! », a reçu à Lyon un accueil enthousiaste, longs
applaudissements et bravos fusant de toutes parts, pour Close up, une performance lecture qui
fait surgir le travail de Francfort comme l’explosion d’un souvenir. Trois danseurs interprètent la
part chorégraphique, tandis qu’en arrière-plan, une vidéo muette montre la mise en scène dans
son intégralité, certains parties en accéléré, d’autres doublant devant la toile de projection les
passages dansés avec des variantes.
Le responsable de la Müller Factory est Philippe Vincent. Ame d’un groupe indépendant et
metteur en scène au Théâtre municipal de la Croix-Rousse, il a grandi avec Heiner Müller, dont
il vante l’attitude distanciée par rapport au jeu. Il a monté neuf pièces de Müller depuis 1986,
dont la dernière, Anatomie Titus Fall of Rome, une adaptation de Shakespeare, au Festival
d’Avignon, où elle remporta un grand succès. C’est un spectacle grandiose, conçu comme un
palimpseste multi-médias, avec film, vidéo, chant, musique et décors démontés au cours de la
soirée d’anatomie, pour mettre à jour l’imbroglio de tuyaux de canalisation qu’ils cachaient.
Sa rencontre avec le musicien de jazz Louis Sclavis paraît en comparaison intimiste. Vincent dit
des textes de Müller sur le rythme de la musique de Sclavis. Dans sa scénographie de Anatomie
Titus, il fait de certains monologues, comme celui de « L’homme dans l’ascenseur », la partie
vocale d’une improvisation de free jazz. L’ensemble fait ressortir la musicalité du texte et
l’éloquence de la musique pour saxophone, clarinette et hautbois de Sclavis.
Irène Bonnaud, commissaire de la Factory, qui connaît très bien les textes de Müller grâce à son
travail de metteur en scène, de conseillère artistique et de traductrice, a mis en scène ici un
montage « d’autodrames » très fortement autobiographiques de Müller. Elle a consciemment
placé la Factory à contre-courant de l’industrie de la culture avec ses festivals et foires aux
vanités - entre autre en faisant venir de toute la France à Lyon non seulement des productions
confirmées, mais aussi le jeune théâtre : Hamlet-Machine, un spectacle laboratoire, Paysage sous
surveillance, un essai filmique sur Diderot et Müller rappelant Straub, Ange de Müller, textes
pour un requiem, Quartett, dialogue néo-classique - il semble qu’en France, le travail sur des
textes de Müller fasse aujourd’hui partie des rites d’initiation à la formation au théâtre et à la
mise en scène : le guide que fut Brecht pour la génération des metteurs en scène de l’après-guerre
est maintenant Müller pour l’avant-dernière et la dernière génération.
Nikolaus Müller-Scholl
Frankfurter Rundschau online
29.06.2002
traduction: Michelle Lapierre