Médias économiques et construction de la citoyenneté au Maroc

Transcription

Médias économiques et construction de la citoyenneté au Maroc
Médias économiques
et construction de la citoyenneté
au Maroc
- Comportement des éditeurs et des journalistes -
Rapport
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AUTEURS DU RAPPORT
Fadma Aït Mous, chercheur CM2S, université Hassan II, AïnChock
Bachir Znagui, journaliste associé au Cesem, HEM
Khalid Tritki, journaliste économique (Free lance)
IliasAridal (Free lance)
AbdeljabbarAbdouni, Professeur d’économie, Université Mohamed I, Settat
EDITEUR
Driss Ksikes, écrivain, spécialiste des media, Cesem, HEM
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Sommaire
I- Cartographie des media économiques
I-1 : Aperçu historique sur le secteur de la presse économique
I-2 :
Analyse
structurelle
des
des entreprises de presse économiques
marges
de
manœuvre
II- Media et journalistes économiques : Définitions et perceptions
II-1 : Qu’est-ce qu’un « média économique » au Maroc ?
II-2 : Quels rôles pour les media économiques ?
III- L’information économique, les opérateurs privés et les publics
III-1- Qu’est-ce que l’information économique ?
III-2- Le rapport avec les opérateurs privés
III-3- Le rapport au grand public
III-4. Processus de la fabrique de l’information économique
IV- Pressions
économiques
et
problématique
d’indépendance des
supports
IV-1. Pressions externes
V- Les publics des médias (économiques) au Maroc
V-1. Les lieux de l’information économique :
V-2. L’information économique ne renseigne pas sur la réalité économique
au Maroc
V-3. L’information économique est inaccessible sauf pour les « initiés »
V-4. Les médias, pas encore des relais de débats démocratiques
V-5. L’avenir des médias économiques au Maroc est dans le net
V-6. Les pratiques autour de la page Facebook khbarkoum
VI- L’avis des formateurs
Conclusions générales
Recommandations
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« Médias économiques et construction de la citoyenneté » est un projet de
recherche appliquée, dirigé par le Centre Marocain des Sciences Sociales
(CM2S) dépendant de l’université Hassan II – AïnChock, et la CISS, en
partenariat avec le Cesem, centre de recherche de HEM, avec le soutien
exclusif de la Délégation de l’Union Européenne à Rabat. Il donne lieu à :
-
Un rapport sur les comportements des acteurs (le présent document)
-
Un rapport sur les pratiques et les attentes des publics
-
Un rapport sur les rencontres avec les formateurs
-
Des recommandations pour formateurs, éditeurs et opérateurs privés
Introduction générale
L’information économique est née d’abord au sein de la politique et de l’Etat
comme étant un monopole du pouvoir, puis elle a connu un processus de
marchandisation continue qui s’accélère de plus en plus. Nombre de
professionnels des medias et d’observateurs académiques estiment
aujourd’hui que la presse économique et financière produit des contenus
plutôt que des informations, et ce qu’on déguise en information est souvent
de la communication - c’est à dire de la publicité - ou du spectacle - voire du
divertissement : « Une fusion d’autant plus facile que les grosses entreprises
qui contrôlent l’information sont souvent aussi celles qui contrôlent la
communication (Havas, groupe Vivendi), le ciné
ma (Fox, Disney) ou le sport »i.
C’est l’évidence même de faire le lien entre le développement économique et
l’émergence d’une presse spécialisée dans les affaires. Mais il est tout aussi
juste de souligner avec force que, au Maroc comme dans tous les pays en
quête de démocratisation ou en perpétuelle transition démocratique, les
périodiques économiques ont toujours été, et demeurent dans certaine
mesure, le prolongement d’une stratégie politique qui reflète, sans détour, la
vision du développement des forces dominantes.
En effet, dans les sociétés non démocratiques, ou en voie de l’être, le pouvoir
de l’Etat dépend de l’adhésion du peuple aux règles et aux normes. Or, ce
sont aujourd’hui, les mass media qui devancent les Etats dans cette
entreprise. Et là dedans, « les règles d’accumulation des bénéfices, en termes
d’image et de profit, telles que mises en avant par les media (à vocation
économique), font du gain rapide, immédiat, la valeur suprême au sein de ces
sociétés »ii.
Ces mises en garde prises en compte, est-il possible de faire du journalisme
citoyen dans le contexte de l’information sur le business ? Le journaliste
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peut-il faire de l’engagement citoyen sans tomber dans un engagement
politique plus étroit ? Qu’est-ce que l’information économique, au juste ?
Quel est le rôle d’un support médiatique économique ?
Contexte international : des questions venues d’ailleurs
Ailleurs, on reconnait déjà la difficulté de faire du journalisme économique
citoyen, mais naïvement certains disent que le journalisme économique sera
citoyen s’il adopte un langage de franchise pédagogiquement accessible.
Laissons de côté les vœux pieux et examinons de près les réalités. Les
journalistes économiques aux USA ont affiché une culpabilité de plus en
plus marquée depuis l’aggravation de la crise sociale liée aux crises
économiques et financières, déclenchées en 2008. Ils reconnaissent que très
peu de journaux et magazines d’affaires aux USA avaient gardé leur sens
d’indépendance et leur marge critique. La pression des magnats de
l’économie et des passeurs de commandes publicitaires fut telle que depuis
les années 80 les médias ont perdu progressivement leur vigilance éthique.
Aux yeux des journalistes les plus critiques, parmi les bienfaits du système
libéral figure la presse indépendante permettant, non seulement aux
citoyens, mais aussi aux hommes d’affaires de se voir exactement dans le
miroir sans déformation. Ils s’interrogent désormais sur comment la manière
dont ils ont pu aider, par leurs écrits, à encenser sur la prétendue santé de
fer des valeurs en bourse et celles des institutions bancaires américaines
appelées à voler les économies des salariés et leurs épargnes
La préservation de l’indépendance éditoriale de la presse en général et de la
presse dite économique en particulier a d’abord pâti dans les années 1990
du renforcement des concentrations économiques. Mais si des magnats de la
presse s’avèrent très dangereux pour la liberté d’informer le public ; le
paradoxe de cette activité reste lié à l’intériorisation par le champ médiatique
de la logique commerciale, car celle-ci biaise indéniablement l’offre
informationnelle.
En termes de pratique journalistique, remarque Serge Halimi, les vocations
qui consistent à éduquer et informer supposent la possibilité de démystifier
ce discours tendancieux et cette pensée de marché ; ce que la presse
économique ne fait presque jamais. L’une des explications données à ce
formatage du discours dans la presse économique, peut s’expliquer par la
sociologie des acteurs (journalistes dans ces supports), leurs cursus de
formation et la prédominance de la logique économique.
Prenons le cas de la Est-ce, Erik Izraelewicz, directeur de publication du
journal Le Monde -depuis le 10 février 2011- raconte cette évolution à sa
manière : « Les journalistes qui ont créé le journalisme économique venaient
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soit de la science politique, soit du domaine social. Ils sont devenus des
journalistes économiques sur le tas. Depuis une vingtaine d’années, on assiste
à une professionnalisation et à une spécialisation des journalistes
économiques. Les plus jeunes ont pour la plupart reçu une formation en
sciences économiques : ils sont diplômés soit de l’université ou de sciences po
(section éco-fi) soit d’une école de commerce. Mais des journalistes
économiques sont parfois directement issus du monde de l’entreprise (où ils
ont occupé des fonctions de direction commerciale ou financière) »iii
Ce schéma rapporté par Erik Izraelewicz nous rappelle un peu les résultats
de notre propre enquête du cas marocain. Les nouvelles générations
marocaines de ce secteur sont d’abord des diplômés des écoles de gestion et
de commerce ainsi que des universités marocaines en économie (63,6%),
alors que seules 6,1% proviennent de filières de communication et de
journalisme. Initialement, les premiers journalistes économiques étaient soit
des généralistes qui ont évolué vers cette option par la force des situations
de sous-effectifs qui caractérisent les rédactions marocaines, soit des
universitaires ayant enseigné l’économie politique ou l’économie générale
dans les facultés et les écoles supérieures. À noter aussi que des journalistes
ont débarqué dans le domaine après des passages professionnels à la
banque et l’entreprise privée surtout. Ce processus ressemble au schéma
français mais avec une vingtaine d’années de décalage.
Histoire et contextes actuels et autres
En 1785, la publication britannique The Times, avait montré un intérêt pour
l’information commerciale et d’affaires. Des années plus tard, en 1843 The
Economist est né.Julius Reuter fonde le service de nouvelles de l’entreprise en
Europe en 1849 -. En 1882, Dow Jones a fondé Dow Jones and Company, agence
de nouvelles et d’information financière aux États-Unis. En 1884, paraissait à
Londres, Est-ce, le premier quotidien financier : Les Nouvelles financières. En 1888
Financial Times est né. En 1889, Dow Jones Company crée le premier quotidien
aux États-Unis : Le Wall Street Journal. On peut ainsi le constater, la presse
d’information économique est plutôt une tradition anglo-saxonne lié à l’émergence
de la société industrielle et du développement des échanges commerciaux et
économiques. Le XIXe siècle marque le développement de la presse économique
sous la version que nous connaissons à ce jour.
Celle-ci s’est installée avec l’ascension du statut de l’information économique qui a
envahi autant la presse généraliste, les médias publics audiovisuels, et est devenu
aussi un argument pour l’émergence de la presse économique et financière.
L’information économique fut un élément du processus de la modernisation des
structures économiques et sa diffusion relève des étapes d’évolution des économies
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libérales .A travers des journaux spécialisés ou généralistes, l’information
économique s’est subdivisée en plusieurs domaines :
-Information macro-économique, destiné à couvrir l’information sur l’activité
économique de l’Etat et d’autres économies mondiales.
-Informations sur les stocks, les données sur les valeurs nationales et
internationales boursiers, taux de change, le marché à terme, les fonds
d’investissement ou de devises.
-Informations sur l’entreprise, qui comprend des informations sur les entreprises
privées.
-Information sur les finances privées, les facteurs affectant les lecteurs directs de
l’économie tels que les régimes de retraite….
L’évolution de ce secteur des médias dits économiques a enregistré de grands
succès à travers de nombreux pays. L’Europe nordique, les pays Bas et l’Est-ce, la
Grande Bretagne, l’Amérique du nord, le japon et plusieurs pays de l’Asie du Sud
Est ont connu une longue période de prospérité et d’épanouissement de cette
presse, sur les 40 dernières années consécutives à la seconde guerre mondiale.La
prégnance de l’idéologie de marché, les conditions économiques dans lesquelles la
presse évolue, le poids pris par le marketing sont des éléments qui expliquent le
parcours des medias dits économiques dans les pays à économie développée.
On notera toutefois le début d’un nouveau cycle au niveau international depuis la
fin du deuxième millénaire, avec des répercussions économiques, commerciales,
politiques et humaines. Car finalement les média de l’information économique tous
réunis n’ont jamais réussi à épargner aux démocraties des économies développées
de vivre les affres des crises cycliques du système capitaliste.
Pourtant, les médias spécialisés dans l’info économique n’ont cessé de se
développer depuis le nouveau millénaire,, soit les supports de stricte économie, soit
de vulgarisation économique ce médias continuent de proliférer . Des radios et des
télévisions spécialisées ont même vu le jour, alors que pendant toute une période
l’audiovisuel était par nature généraliste. Sans oublier Internet, qui a vu
l’apparition de nombreux médias spécialisés. L’économie s’est imposée aussi en tant
que rubriques dans les médias généralistes, ou alors en tant que sujet qui occupe
une place de plus en plus importante dans les journaux télévisés ou autres.
Toutefois ces aspects positifs d’apparence ont quelque chose de paradoxal, la
multiplication des médias spécialisés s’accompagne d’un phénomène d’atomisation.
En Europe ou aux Etats Unis là où on avait de grandes rédactions qui traitaient
d’économie, on a aujourd’hui beaucoup plus de médias mais avec des structures
plus petites. On n’observe pas une progression de la taille des supports, mais bien
une rétraction continue surtout de leurs rédactions. (Le dernier exemple en date
concerne Reuters qui s’engage cette année sur une réduction de ses personnels) .iv
Un autre indicateur de la situation de ces medias est reflété par le cas de la Est-ce ;
ainsi par ex à la fin des années 1990, la proportion de journalistes ayant eu dans
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leur cursus une formation à l’économie représentait 10 % de l’ensemble de la
profession journalistique. Dix ans plus tard, on est retombé à 5 %. (www.idies.org)
c’est-à-dire qu’on a de moins en moins de journalistes économiques maitrisant le
domaine de l’économie et de la finance. Cette problématique de la formation et de la
compétence est particulièrement importante dans un domaine où il faut souvent
rendre compte de controverses. L’expertise personnelle des journalistes, de leur
compétence se décline aussi dans leur rapport aux autres, leur rapport aux
sources. Sans expertise et connaissance suffisantes, et c’est souvent le cas, on se
décrédibilise vis-à-vis de ses sources et on se fait manipuler. Et même en
consultant les « experts » il faut avoir la capacité de savoir valoriser « l’expertise » de
son interlocuteur, c’est-à-dire savoir lui poser les bonnes questions. Cette situation
domine pourtant le terrain de l’info économique et des supports spécialisés ou pas
dans de nombreux pays. C’est comme si les patrons de ces médias dans la plupart
des parties du monde ainsi que leurs actionnaires ont choisi sciemment d’avoir une
information fragilisée et produite par des journalistes vulnérables.
Pour comprendre l’état des lieux au Maroc, il est utile de se rappeler que la presse
économique chez nous est majoritairement d’expression française et que la langue
française demeure la plus utilisée autant dans les affaires que dans la
communication de l’élite économique du pays. Or, se référant au cas français,v Loïc
Hervouet, ancien directeur de l’école de journalisme de Lille déclare à IDES ce qui
suit : « les formations spécialisées en journalisme économique en Est-ce se
comptent sur les doigts de la main : il y a eu le DESS de Paris-Dauphine – qui est
en train de se rapprocher de l’IPJ –, ainsi que Panthéon-Sorbonne. La première
formation estampillée « journalisme économique » est à l’initiative de l’IEP de
Grenoble qui s’est associé avec l’école supérieure de commerce de Grenoble ».
Loïc Hervouet précise que« Dans les écoles de journalisme en tant que telles, il n’y a
pas de formation économique de base. Comme les écoles recrutent de Bac +2 à Bac
+4, on considère que c’est déjà fait. Il n’y a que l’école de Lannion, qui recrute à un
niveau d’IUT, qui propose 35 heures d’enseignement économique et social. Pour le
reste, il y a quelques cours au Celsa ou à Strasbourg au Cuej… Mais les formations
spécifiques au journalisme économique n’ont pas d’influence significative – de
manière quantitative – sur la profession».
Contexte américain
Dans le cas de la presse business américaine la situation est différente, il y a bien
entendu des formations spécifiques soutenues, mais toujours est- il qu’on continue
à vivre le marasme au niveau de la profession, avec une augmentation vertigineuse
des formules free-lance et des contrats ponctuels.
La crise qui a commencé le 15 septembre 2008 avec l’effondrement de
LehmanBrothers n’était pas le début de la crise des médias américains, elle n’a fait
que révéler une longue évolution ; qui a commencé d’abord par la domination de la
télévision et ses incidences financières et éditoriales sous l’effet du constat que les
informations sont une marchandise, avec un potentiel commercial énorme. Après
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Watergate, tous les services d’information étaient devenus des « centres de profits »,
rapportant à leurs sociétés mères des publics et des marges bénéficiaires de plus en
plus grands. Mais en même temps la décision éditoriale était de plus en plus influencée par le marché. Pendant ce temps, Internet se développait rapidement,
altérant les modèles économiques traditionnels. Le contexte américain a été marqué
par une offre médiatique qui va au-delà de la demande du public menant à la
fragmentation et la polarisation de l’audience. Les journaux américains tous
confondus n’ont pas été en mesure d’enrayer la perte de publicité, que ce soit en
version papier ou électronique (Mutter, 2012). S’en est suivi une réduction du nombre de journalistes employés par les journaux– jusqu’à 45 000, uniquement pour
les États-Unis en 2007 (Papercuts). Aujourd’hui les médias tentent de trouver des
solutions à leur infortune économique mais les problèmes éthiques ne cessent de
s’accumuler. Au pays de l’oncle Sam aussi, sans un flux de revenus fiables et
réalistes, les médias et la démocratie qu’ils doivent servir s’affaiblissent et
deviennent sensibles aux influences politiques ou économiques.
Le journalisme économique au niveau universel se trouve aujourd’hui soumis à de
nombreuses interrogations majeures. Parmi celles-ci la question de la diversité
idéologique. Dès qu’on parle économie, on confond souvent le fait d’être compétent
et d’être ultralibéral.
Un autre problème essentiel, c’est la dépendance à l’égard des sources
d’information. C’est encore plus vrai dans le journalisme économique que dans
d’autres types de journalisme
Quant à ceux qui exercent le métier de journaliste dans le domaine économique et
financier , ils se trouvent désormais face à de puissantes barrières émanant des
grandes entreprises munies de gros moyens de la communication moderne et une
armada de conseillers et d’intermédiaires spécialement affectés à la mission de
l’image et de la réputation..
La bataille ne se joue d’ailleurs pas entre entreprises de presse économique,
journalistes de l’information éco et décideurs économiques ; elle est surtout une
affaire de la société post moderne dans son ensemble et doit impliquer l’ensemble
des forces politiques d’une démocratie et sa société civile en particulier. Cela
suppose, aussi la reconnaissance par l’État des enjeux vitaux que posent la qualité,
la diversité et l’accessibilité de l’information en général et de l’information
économique en particulier pour la culture et l’exercice de la responsabilité
citoyenne. La qualité de l’information s’ancre tout autant dans la vigilance du
citoyen que dans la responsabilité de ses producteurs et de ses diffuseurs.
Cela pourrait laisser croire que la propension à être jargonneux, plus
sensible aux enjeux entrepreneuriaux qu’aux besoins de la société,
prédomine. Mais ne présageons de rien et regardons de plus près les
données de base et les résultats de l’étude pour en tirer des conclusions
plausibles.
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Problématique et interrogations théoriques et conjoncturelles
Le point de départ de cette étude est le constat de la visibilité de la question
économique dans l’espace public au Maroc durant les dernières années suite
au lancement des grands chantiers économiques du pays concomitant avec
la libéralisation du secteur médiatique. Cette centralité de la question
économique interroge la pratique journalistique et ce, eu égard à son degré
d’ouverture sur les sources d’information, les acteurs et les publics.
La construction de la citoyenneté présuppose que l’opinion publique puisse
avoir accès à une information objective, impartiale via des supports
médiatiques libres, pluralistes, indépendants et professionnels qui
contribuent aux débats contradictoires, à l’analyse critique et aux enquêtes
d’investigation approfondies. C’est ainsi que « la diffusion large et
circonstanciée, par le biais de la presse écrite, des médias audiovisuels, et
des nouvelles technologies, des données de base requises pour que tout
citoyen soit en mesure de se forger sa propre appréciation de la chose publique
contribue largement à construire et à affermir l’idéal démocratique : la
participation de tous, par la médiation d’institutions de représentation, à la
marche des affaires qui concernent l’intérêt général »vi.
Tout cela est théoriquement valide mais l’information économique est
désormais abondante, souvent contradictoire, compliquée car trop technique
pour le citoyen lambda qui dans le quotidien se trouve envahi sans qu’il
puisse en saisir les ressorts ni en décoder le langage. Le besoin d’accéder et
de maîtriser l’information économique dans un langage clair se fait
pressant : « Clef d’analyse de nombreux problèmes de société, la
compréhension des rouages de l’économie constitue un impératif majeur pour
tous les citoyens. La méconnaissance des phénomènes économiques est une
faiblesse de la démocratie, une source de malentendus permanents, qui
permet aux idéologues de tous bords de manipuler l’opinion »vii
L’origine du dilemme réside dans la spécificité du media « économique » ou à
« vocation économique ». De fait, il est à la fois juge et partie en ce sens qu’il
est essentiellement financé par ceux-là mêmes qui sont (doivent être) l’objet
de son traitement informationnel (les annonceurs, qu’ils soient des
entreprises publiques ou privées du pays). Le traitement de l’information
économique relève de la presse économique qui la produit et de l’institution
(entreprise médiatique) qui la diffuse. Il s’agit donc de voir jusqu’à quel point
les entreprises de presse se prémunissent contre les risques de conflits
d’intérêt quasi-inhérents à leur spécificité et ce, en vue de contribuer à la
production et à la diffusion d’une information indépendante, impartiale
(tenant compte de la diversité des acteurs, des intérêts, des opinions et de
leur expression) capable de permettre aux citoyens marocains de formuler
des choix politiques conscients. Ceci pose la question de l’objectivité et de
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l’indépendance des médias économiques dans le traitement de l’information
économique.
L’étude interroge, par conséquent, le statut spécifique de l’information
économique : « à la fois bien public nécessaire à la démocratie, et bien
marchant soumis aux lois de l’offre et de la demande ». Toute la complexité
du phénomène réside dans cette ambivalence à savoir pour la presse
économique : comment ne pas devenir une presse de « révérence » vu ses
interrelations et sa dépendance structurelle avec le monde économique ?
L’objectif est d’analyser, à partir de ce prisme, la pratique journalistique (du
média économique) au Maroc et d’en dégager une meilleure connaissance du
milieu (identification des acteurs) et une compréhension fine de la réalité et
des pratiques du monde des médias à vocation économique.
Pour ce, l’étude procède dans cette section à l’analyse des comportements,
perceptions et observations des producteurs (éditeurs, journalistes,
commerciaux)viii.
Méthodologie et échantillon de l’étude
Pour la partie, objet du présent rapport, nous avons mené une enquête
auprès de 49 personnes. L’échantillon comporte plusieurs profils, des
journalistes en exercice, des journalistes ayant abandonné le métier pour
d’autres horizons, des journalistes travaillant dans l’audiovisuel, dans la
radio, des responsables de rédaction presque tous, des éditeurs, des
commerciaux, finalement l’échantillon est très représentatif et constitue près
de 30% des travailleurs du secteur et plus de 70 % de ceux qui le gèrent ou
le dirigent sur le plan économique et éditorial.
.
Tableau récapitulatif de l’échantillon
Le secteur de la presse économique se féminise rapidement et surtout dans
son front office de commerciaux. Pour cette catégorie, nous avons choisi
11
deux femmes et un seul élément masculin. Pour les autres, nous notons une
très forte représentativité masculine des patrons et une relative montée en
puissance dans les postes de responsabilité éditoriale.
Déclinaison de l’échantillon par genre
Au niveau des supports, la liste est finalement réduite dès qu’on passe la
frontière de l’information institutionnelle. Trois ou quatre publications
dominent le marché. En effet, entre « l’Economiste » (quotidien), et une série
d’hebdomadaires, dont notamment « La Vie économique », la liste de cette
catégorie ne dépasse pas une quinzaine de publications. Dans le lot, nous
avons identifié des titres, partiellement économiques, plus généralistes que
d’autres, une deuxième catégorie plus informative en matière d’économie et
une dernière plus financière. L’étude se donne pour but d’examiner toute la
gamme !
Sur le plan méthodologique, cette étude participe aussi d’une analyse de
l’état de l’information économique au Maroc, le choix essentiellement de
focaliser sur la presse économique pour évaluer celle-ci s’explique par
plusieurs arguments : Le premier se trouve dans le fait que les émissions
radio et télé en matière économique sont réalisées par des boites de
production en audiovisuel dépendant d’une logique entrepreneuriale et
commerciale n’ayant pas de rapport avec l’information journalistique. La
dimension journalistique de ces produits est effectuée par contre, par des
journalistes de la presse économique. En outre, l’enquête a interrogé deux
journalistes de la TV et de la radio à la fois en leur qualité de journalistes de
la presse écrite et de responsables de programmes économiques dans les
rédactions audiovisuelles.
L’enquête auprès des acteurs s’est déroulée entre août et décembre
2011.Elle a pris la forme d’entretiens, avec deux versions, une fermée pour
les journalistes et une semi-ouverte pour les patrons et responsables de
rédaction. Le questionnaire (voir annexes) est structuré autour de 4 grands
axes :
-
Rôle du média économique et de la spécificité de l’information
économique.
Sphère organisationnelle et processus de fabrication de l’information
Sphère extérieure : sources et public(s)
Evaluation du métier
Les données collectées à partir de l’enquête ont été par la suite traitées avec
le logiciel d’analyse et de calcul SPSS afin d’en dégager des tendances, de
mieux appréhender la teneur des résultats pour mieux les interpréter.
Nous présentons, ci-après, les résultats de l’étude en suivant les items du
questionnaire, en plus d’un aperçu historique et des données générales du
12
marché marocain, issus d’une revue de littérature et
complémentaires, le tout restructuré autour de quatre thèmes :
1234-
I.
d’entretiens
Aperçu historique et données statistiques sur les médias économiques
Définitions, rôles et perceptions des supports et des acteurs
Accès, fabrication et traitement de l’information économique
Pressions et indépendance
Cartographie des media économiques
Avant de faire parler les interviewés sur leurs pratiques, il est nécessaire de
faire le point sur la presse économique, au niveau de son évolution, de son
business plan et de son comportement, empirique, vis-à-vis de son
environnement immédiat. Pour ce, nous nous sommes basés sur des
documents officiels et quelques entretiens d’appoint.
I-1 : Aperçu
économique
historique
sur
le
secteur
de
la
presse
Dès l’aube de l’indépendance, la presse a, dans un premier lieu, accompagné
la fougue des changements économiques radicaux qu’a connu le Maroc dont
notamment la création d’institutions financières nationalisées (Bank Al
Maghrib, Banque Nationale de Développement Economique …), le lancement
d’une stratégie d’industrialisation (la raffinerie Samir, Somaca…) ou encore
ce qui était perçu, à l’époque, comme l’esquisse d’une réforme agraire qui
restait à parfaire. A côté de la presse dominante, du groupe Mas, héritée de
la période coloniale et soutenue par le palais, vit le jour, dans les années 60
et ne put survivre au-delà, le journal indépendant « Maroc informations ».
Tout au long de cette période s’étalant jusqu’au début des années 90,
l’information économique a été cantonnée à un prisme politique dont les
portes drapeaux étaient le groupe Maroc Soir et l’ancêtre de la presse
économique « La vie Economique » sous le contrôle à l’époque de Marcel
Herzog, longtemps porte-plume de Moulay Ahmed Alaoui au groupe Le
Maroc soir.
La décennie 90 annonça la fin d’une tendance et l’apparition d’une autre,
plus diversifiée et plus sophistiquée. Le Maroc sortait difficilement du très
drastique plan d’ajustement structurel, imposé par le Fonds Monétaire
International, dans une conjoncture favorable sur le plan économique.
Détente des prix des produits énergétiques, augmentation de la demande
extérieure et surtout l’installation, voulue ou forcée, d’un néolibéralisme
13
économique qui allait se solder par la plus grande vague de privatisation de
l’histoire du Maroc. Ces transformations, programmées pour certains et
subies pour d’autres, ont favorisé l’émulation d’un secteur économique
national en pleine mutation.
En effet, sous l’impulsion de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire
International, les gouvernements marocains se devaient d’entreprendre de
grandes réformes juridiques et réglementaires. Adoption d’un nouveau
système fiscal, droit des affaires, les lois sur les libéralisations sectorielles,
notamment dans les télécoms, le transport, la gestion portuaire et jusqu’à la
santé, conjuguées à la signature du traité du GATT… étaient autant de
sources inépuisables d’informations économiques.
Sentant cette vague grandissante du besoin en information économique
fiable et vérifiée, des professionnels de la presse étrangère se sont investis
dans le champ médiatique marocain. L’illustration parfaite de cette tendance
se résume dans la reprise de La Vie Economique par J-L. Schreiber du
Groupe « Expansion » en 1994. Ce changement de tour de table de
l’hebdomadaire le plus dominant sur la scène de l’information économique
n’allait pas être sans conséquences ou impact sur la transformation de la
scène médiatique au Maroc. En plus de regrouper en son sein à l’époque la
fine fleur des journalistes qui allaient diriger les principaux journaux
indépendants nés plus tardix, la ligne éditoriale de La Vie Economique se
réclamait d’une tendance libre et objective allant jusqu’à publier des
rapports négatifs sur le Maroc et obligeant, par ricochet, le pouvoir central à
les dévoiler, en les nuançant bien entendu, au grand public. Cette phase de
la vie médiatique du pays a démontré qu’une presse économique
indépendante était possible et offrait, à plus d’un titre, un potentiel de
rentabilité non négligeable, moyennant un investissement conséquent et une
ligne franchement décalée par rapport aux usages de l’époque.
Pour concurrencer la dominance de La Vie Economique et porter la voix d’une
information plus au moins « officialisée », aseptisée, portant le sceau de
l’Establishment économique, d’autres journaux ont été encouragés et
soutenus par des institutions proches du pouvoir central. L’Economiste est
né dans cette vague avec l’appui de la BCM (ancêtre d’Attijariwafa Bank),
filiale du holding, ONA, regroupant les activités économiques de la famille
régnante. Depuis, la reconfiguration du marché de l’information économique
se poursuit toujours avec la même caractéristique : indépendance du capital
par rapport aux institutions politiques, mais dépendance sur le plan
idéologique. Une dépendance qui se reflète à travers l’actionnariat des
journaux les plus influents du marché de l’information économique.
14
Pour s’affranchir de cette corrélation forte entre actionnariat et
conditionnement éditorial, un groupe de financiers lance, en 1997, un
nouvel hebdomadaire initialement conçu pour avoir une vocation
économique « Le Journal ». Son modèle de base s’inspirait du journal
espagnol « El Pais » : créer une marque journalistique solide pour fonder les
bases d’un groupe média contrôlé par des journalistes. Selon ses
promoteurs, l’hebdomadaire se positionnait sur l’analyse et l’enquête dans le
domaine de l’économie politique. « Le marché était, à l’époque, dans une
phase de transition majeure et les acteurs assistaient à des évènements
d’une grande portée économique et politiques, mais la presse spécialisée ne
répercutait pas et n’a pas joué son rôle de catalyseur de débat »x.
Pour les fondateurs du Journal, la presse économique faisait l’impasse sur
des questions de choix de politique économique à un moment où l’élite
marocaine était demandeuse d’informations fiables et de clés de lecture pour
s’inviter dans le débat. Mais pour réussir cette expérience avec une ligne
éditoriale décalée, il fallait réunir deux conditions majeures : des capitaux et
une ouverture politique. Le Journal ne disposait ni de l’un ni de l’autre.
Le lancement de cet hebdomadaire a nécessité 1 million de DH seulement,
au moment où les besoins en financement pour un hebdomadaire se
définissent à hauteur de 8 à 10 millions de DH. De l’aveu même de ses
fondateurs, l’expérience tablait sur la réactivité du marché : ventes
conséquentes et marché publicitaire dynamique. Si les ventes ont été au
rendez-vous, le marché publicitaire est resté indécis face au ton critique du
journal. Dès début 2000, l’hebdomadaire était théoriquement en faillite et
n’arrivait plus à s’acquitter de ses obligations sociales (impôt et charges
sociales), cumulant ainsi des retards de paiement qui allaient conduire,
officiellement, à sa fermeture en 2010.xi
L’autre expérience significative du marché de la presse économique consiste
en le repositionnement du groupe La Gazette du Maroc. Initialement, ce
dernier investissait la presse hebdomadaire généraliste avec une préférence
pour la politique et le sport. Dès la fin des années 90, le groupe oriente ses
efforts d’investissement vers la presse économique. Il commence d’abord par
étoffer son offre économique à travers son titre phare de l’époque « La
Gazette du Maroc » pour arriver à la conviction, début 2000, de l’opportunité
de lancer un hebdomadaire entièrement dédié à l’économie. C’est dans cette
optique que le groupe lance le magazine « Challenge Hebdo ».
Après un lancement timide handicapé par une ligne éditoriale qui se
cherchait, l’hebdomadaire opère une restructuration en 2006. La démarche
porte ses fruits et le marché publicitaire a suivi. Challenge Hebdo, devenu
Challenge en 2010, a sur le dos comme biais son appartenance à un groupe
15
spécialisé dans les services et dont la plus grande activité est l’affichage
urbainxii. Et à ce titre, l’hebdomadaire se devait et se doit toujours de
maintenir un
équilibre entre une ligne éditoriale souhaitée théoriquement libre et les
intérêts de la maison mère qui doit garder des relations sans tâche avec ces
clients afficheurs.
I-2 :
Analyse
structurelle
des
des entreprises de presse économiques
marges
de
manœuvre
Un regard sur l’ensemble du secteur de la presse écrite au Maroc nous
permet de constater que les quinze chefs de file de la presse économique
figurent parmi les entreprises les plus nanties du secteur dans son
ensemble, autant en termes de subventions étatiques pour les cinq gros
bénéficiaires qu’en termes de revenus publicitaires. Celles-ci sont leur
principal avantage en termes de produits d’exploitation. Phénomène
paradoxal de la situation au Maroc, ces publicités sont accaparées par la
presse dite d’expression française à qui revient 77% du volume global. Le
Groupement des Annonceurs du Maroc GAM annonce, pour sa part, que les
hebdomadaires en langue française détiennent 39 % du marché publicitaire
marocain de la presse. Or, il est admis par tous les professionnels de médias
et confirmé par l’étude réalisée en 2011 par l’agence KPMG au profit du
ministère de la communication, que les publications en langue française
représentent dans leur totalité 23% environ des titres en circulation sur le
marché marocain, sachant que cette proportion connait une régression
continue depuis la
décennie 90 du siècle dernier.
Source : Ministère de communication
16
Titres
publications
2009
2010
2011
1800000,00
1400000,00
1800000,00
1400000,00
1800000,00
1400000,00
2000000,00
2000000,00
2000000,00
1400000,00
400000,00
1400000,00
700000,00
1400000,00
700000,00
300000,00
300000,00
700000,00
700000,00
des
L’Economiste
La
Vie
Economique
Le
Matin
du
Sahara
Tel Quel
Challenge Hebdo
Economie
et 300000,00
Entreprise
La
nouvelle 700000,00
Tribune
Tableau des investissements publicitaires
Titre
Investissement
2007
Investissement 2008
Challenge
20.180.000
25.193.000
Economie
15.346.750
&
Entreprises
14.021.000
Finances
News
7.531.000
7.838.500
L’Economis 105.116.000
te
125.295.800
La Vie Eco
41.564.700
42.514.000
Le Matin
85.733.260
88.581.860
Source : Groupement des Annonceurs du Maroc
Sur les titres figurant sur la liste ci-dessous, l’Etat place annuellement
9.200.000 dhs de ses deniers sur les 41 millions dhs destinés à cette fin, soit
23% de l’aide destinée à la presse. L’une des principales conclusions de
l’étude menée par KPMG est que les deniers de l’Etat remis à la presse en
général (l’économique ne fait as l’exception sur ce volet) ne déteignent ni sur
17
les ressources humaines et techniques des supports ni sur la qualité du
rendement.
Il est clair que les apports de l’Etat et les bénéfices engrangés par la vente ne
permettent pas de couvrir les charges des journaux économiques. L’analyse
de la structure des charges, ramenée aux ventes en kiosque ne laisse pas
d’équivoque : le produit de la vente n’arrive même pas à couvrir les charges
salariales ou encore les charges d’impression. Comme l’indique le tableau cidessous, les charges d’exploitation des journaux et magazines
hebdomadaires varient entre 20 et 30 millions de DH. La fourchette des
ventes en kiosque, pour ces mêmes périodiques, mis à part ceux dont les
résultats d’exploitation sont très positifs, est souvent en deçà de 5.000
exemplaires par semaine. En partant de la moyenne la plus forte, les
revenus issus des ventes ne dépassent guère 3 millions de DH, dans le
meilleur des cas. La plupart de ces journaux sont, par conséquent,
quotidiennement acculés à résoudre une équation difficile : comment garder
intactes leur liberté éditoriale et leur objectivité alors que le chiffre d’affaires
de l’éditeur est à plus de 70% dépendant de la publicité.
Chiffre d’affaires, résultats et charges d’exploitation
Support
Chiffre d’affaires Charge
Résultat net de la
de
la
société d’exploitation de société éditrice
éditrice
la société éditrice
Economie
12 814 972,63
14 269 252,51
-1 547 269,20
La Vie Eco
37 115 118,63
26 924 904,53
8 700 135,95
Challenge
27 937 181,22
29 851 435,49
5 870,36
Actuel
12 639 079,68
22 957 636,28
-10 927 194,03
Les
Echos 11 635 055,75
quotidiens
23 366 145,71
-12 280 402,63
Finance News
20 213 115,06
20 002 640,27
223 017,28
Le Matin
254 040 755
ND
21 146 051
208 292 528
ND
31 067 567
& Entreprise
(Maroc Soir)
Eco Médias
18
Source : la centrale des bilans de l’OMPIC au 31/12/10 sauf pour Le Matin et Eco
Media (31/12/09)
Le gros des ressources doit émaner de la publicité pour couvrir des postes de
dépenses incompressibles, comme les charges du personnel. Ces derniers se
situent à plus de 10 millions de DH à La Vie Eco, 7,6 millions de DH à
challenge, 12,1 millions de DH à Actuel, 10,5 millions de dirhams pour Les
Echos quotidien et 5,6 millions de DH à Finance News. La capacité de
couverture des charges d’exploitation par les recettes publicitaires est ainsi
une variante qui conditionne les résultats de l’entreprise de presse. Les
résultats baissent ou augmentent en fonction du comportement du marché
et surtout le degré de neutralité du périodique.
Ainsi à titre d’exemple, Economie & Entreprises est passée par une période
très difficile dont l’impact demeure perceptible sur les résultats. Il est vrai
que Success Publication, la société éditrice du magazine, a réalisé, en 2010,
une perte de 1,54 million de DH, mais elle traine une perte cumulée des
exercices précédents de plus de 8 millions de DH. Ce qui établit ses capitaux
propres à -9,3 millions de DH contre un capital social de 4 millions de DH.
La même configuration se décline dans les autres journaux, mais avec moins
d’acuité, à l’exception de Maroc Soir (le Matin) et de L’Economiste. Ces
derniers arrivent à maintenir une rentabilité élevée (31 millions de DH en
2009 pour Eco Média 22 millions pour Maroc Soir). Toutefois, il est difficile
de distinguer la part des bénéfices générés par le journal de l’ensemble des
gains comprenant les chiffres de l’imprimerie et autres périodiques du
groupe. Le seul indicateur disponible se résume aux chiffres communiqués
par le Groupement des Annonceurs du Maroc (voir tableau des
investissements publicitaires), qui se base sur le mode déclaratif. Selon le
site du groupement, Le Matin et L’Economiste drainent l’essentiel des
ressources publicitaires et donc des revenus des groupes qui les éditent.
Le fait que le bilan tendanciel de ces journaux soit fortement dépendant de
la publicité est en lien avec le recul du nombre de lecteurs. On constate en
effet que les supports en français connaissent aujourd’hui un reflux continu
sur le marché marocain en termes de chiffres de diffusion et de vente. Ce
constat est reconnu par tous, attesté par les chiffres de l’OJD, et corroboré
par les éditeurs marocains, ainsi que par de nombreux observateurs, dont
les derniers en date sont les participants au dit « dialogue national sur la
société et les médias au Maroc qui affirment la régression du lectorat en
général pour ces dernières années (surtout en français).
19
Tirages et diffusion à fin 2011
Titre
Tirage
Diffusion Totale
Diffusion payée
Actuel
11.240
7.087
3.704
Challenge
19.949
9.145
5.014
Economie
9.967
6.443
4.033
L’Economiste
24.210
19.189
17.669
Finances News
12.000
2.379
1.448
Le Matin
41.875
23.229
19.534
& Entreprises
Source : OJD
Si on se référait à une étude restée inédite, réalisée par l’organisation
américaine IREX en 2006, sur les techniques de prospection des lectorats et
audiences dans les médias ; celle-ci avait travaillé sur un échantillon de
2200 personnes à travers le territoire national afin de répondre à tous les
critères de représentativité et de répartition démographiques, territoriaux,
socio économiques et culturels. Voici quelques résultats très significatifs de
cette enquête partielle : ceux qui préfèrent le Français constituent 6% de
lecteurs parmi les 19 % formant le lectorat dans ces zones urbaines. Ils ont
une meilleure position économique, c’est à dire, qu’ils appartiennent aux
groupes socio-économiques les plus nantis. Cette même enquête avait conclu
que beaucoup plus d’hommes (63%) que de femmes (37%) lisent des
magazines en langue française régulièrement, que 89 % de ces catégories
affirment chercher de l’information sur le Maroc en priorité et que les sujets
économiques intéressent 48 % des membres des catégories supérieures de
l’échantillon. Ils s’intéressent aussi aux rapports d’enquête (47%), aux
entretiens avec les grandes personnalités (55%) et aux opinions.
En plus de la nature et des attentes des lecteurs, les journaux économiques,
fonctionnant selon les règles d’un marché libéral, sont tributaires dans leurs
choix éditoriaux de leurs besoins en capitaux. Les charges d’exploitation
annuelles d’un quotidien, comme expliqué dans le tableau ci-dessus,
peuvent atteindre jusqu’à 30 millions dhs, en fonction de sa taille et la
qualité de son produit et donc de son marché de lectorat (qualité papier,
maquette, impression, traitement de l’information). La masse salariale à elle
seule peut atteindre des niveaux importants (de 9 à 15 millions de DH selon
20
la périodicité et la structure des équipes) rendant l’investissement dans la
presse lourd et risqué. La garantie d’une ligne éditoriale libre et équilibrée,
commence par le pacte des actionnaires.
Dans la réalité, seuls des groupes ayant les ressources financières
nécessaires ou des « outsiders » disposant de promesses d’accompagnement
publicitaire, s’aventurent dans l’investissement du champ médiatique et
perdurent. Bien entendu, il relève du parti-pris de soutenir que les lignes
éditoriales de ces périodiques sont à la solde des capitalistes qui les
contrôlent, mais l’analyse des rendus journalistiques laisse deviner un jeu
d’équilibriste pour maintenir une façade de ligne éditoriale libre, objective et
indépendante, et en même temps, défendre les intérêts des lobbies ou des
tendances politiques proches des actionnaires.
Cela nous amène au cœur du sujet : comment être un acteur économique
rendant compte de l’activité des autres acteurs économiques de la place et
contribuer à la construction d’une conscience citoyenne ?
Conclusions de la partie :
-
L’indépendance éditoriale dépend de l’indépendance économique. Or,
la plupart des structures dépendent dans leur business model
essentiellement du marché publicitaire, peu diversifié.
-
Les charges en ressources humaines, quoique partiellement
subventionnées par l’Etat, ne sont pas transformées en atout
qualitatif.
-
La pérennité des structures médiatiques dépend plus de leur réseau
relationnel et leur investissement dans des produits annexes, comme
l’imprimerie.
21
II- Media et journalistes économiques :
Définitions et perceptions
II-1 : Qu’est-ce qu’un « média économique » au Maroc ?
Un magazine ou un journal exclusivement économique n’existe pas
réellement au Maroc, même si le label économique est mis en valeur ou
s’arroge le titre de la publication. En feuilletant les pages de l’Economiste, de
La Vie éco ou de Finances news, on se retrouve devant des publications plus
généralistes même si trois publications sur la quinzaine en circulation
régulière tentent de se rapprocher timidement du modèle d’une publication
dite économique et financière sur le plan du contenu. Certaines de ces
publications sont encore à un stade exploratoire et n’arrivent pas à avoir
des parts de marché significatives ni sur le plan de la publicité ni de la vente
au numéro, c’est le cas notamment de « les Echos ».
Parmi les autres publications dites économiques, on se retrouve face à des
éditions qui ont un contenu généraliste dominé par l’économie et les
finances, du moins au niveau de l’image, un état de fait pour certains mais
plutôt un choix réfléchi chez les autres. On peut constater que certaines
publications (ex : La vie Eco) ont choisi de combiner la formule originelle
imprimée à celle du portail électronique avec actualisation permanente.
Trois questions directes de nos entretiens nous renseignent sur ces aspects ;
elles ont reçu des réponses diverses de la part des patrons, des responsables
de rédaction mais tous se sont définis d’abord comme étant des supports
consacrant une place privilégiée à l’économie, non des titres exclusivement
économiques. C’est plutôt chez la catégorie des journalistes qu’on trouve des
déclarations mettant en avant le fait que leur support est « économique ».
Voici des exemples parmi les réponses des journalistes consultés, tirés de
leur réponse :
-
« c’est un journal indépendant à orientation économique et financière »
« généraliste à vocation économique »
« un journal généraliste avec une certaine expertise économique »
« c’est un support qui traite l’information économique, financière et
boursière. On retrouve une rubrique société et une rubrique culture ».
« c’est un journal quotidien qui traite globalement l’information
économique et financière avec certaines rubriques comme : bourse,
focus, société…etc ».
a- Perception du support en interne
A la question relative à l’idée que se font les professionnels de leur support,
les différentes réponses nous renseignent sur la définition du support pour
lequel l’interlocuteur travaille, la définition des rôles que chacun assigne à
« son support », l’évaluation du support et mise en valeur de son
22
positionnement dans l’environnement de la presse et au passage le
traitement de l’information économique. Une attention particulière aux
adjectifs utilisés par nos interlocuteurs lorsqu’ils définissent leurs supports
est édifiante dans ce sens. Nos interlocuteurs ont ainsi mis l’accent sur le
contenu du support.
Support généraliste versus support spécialisé
Un directeur de publication présente son support comme étant « un
magazine généraliste qui se veut le porte-parole d’un Maroc moderne,
dynamique et tolérant ».
De son côté, un journaliste avance : « C’est un journal indépendant. Il
comporte plusieurs rubriques diversifiées (politique-économique-société –
culture) ».
Un autre journaliste qualifie son support de « magazine économique … et qui
intègre aussi bien la politique que la culture et les sujets de société ».
D’autres journalistes mettent en avant le contenu « économique » de leur
support en utilisant les expressions suivantes : « C’est un quotidien
économique » ; « un magazine économique » ; « un mensuel économique » ;
« C’est un outil d’information spécialisé dans l’information économique… ».
D’autres réponses vont encore plus dans la précision de la spécialité, comme
l’exemple de ce rédacteur en chef qualifiant sa publication de « référence en
info décisionnelle (éco et emploi), au positionnement clair ».
« Informer le public avec rigueur et pondération, nous existons depuis 55 ans
et nous devons notre parcours à cette manière de traiter l’info hors du
sensationnalisme et des approximations. Par ailleurs comme nous sommes un
hebdomadaire, 80% de nos articles sont propres à notre rédaction y compris
en termes d’informations » répond l’un des interviewés, patron d’une
publication hebdo.
Un autre patron d’un groupe de presse éditant un magazine hebdomadaire
financier déclare : « Nous sommes un
magazine spécialisé dans l’info
financière, l’idée m’en est venue en 97 et 98, c a d les années au cours
desquelles la bourse de Casa a connu un essor exceptionnel. Nous ne sommes
pas une publication de scoops, nous sommes un journal d’analyse et de
conseil financier. »
Ces déclarations se recoupent également avec la partie « charte éditoriale »
qu’on avait insérée dans notre questionnaire mais pour laquelle nous
n’avons collecté que très peu de réponses. Ces réponses nous renseignent
sur les difficultés à définir les contours d’un média
exclusivement
« économique » et ce malgré la mise en avant du qualificatif « économique ».
23
Jeune versus leader et « bien établi »
Les adjectifs de « leader » sont utilisés pour souligner le caractère ancré et
bien établi du support tandis que les termes de « jeune » sont utilisés pour
souligner le caractère du « nouvel arrivant » sur la scène médiatique. Les
journalistes notamment tirent de la fierté du leadership de leur support.
C’est ainsi qu’un journaliste qualifie son support de : « Leader sur le marché
– la plus importante base de données en économie –c’est le seul journal à avoir
un répertoire de plus de 20 ans de chiffres – une base de données sur le
marché et les investissements – les secteurs d’activité – on est une référence
de l’investisseur étranger qui veut s’installer au Maroc ».
Un autre journaliste avance : « C’est un quotidien économique, …. C’est un
leader sur le marché ».
Un autre journaliste met en avant le leadership de son support en termes de
ventes : « premier tirage au Maroc en terme de vente».
Un rédacteur en chef parle de sa publication en ces termes : « acteur
incontournable du landerneau économique 1er quotidien économique du
Maroc ».
De l’autre côté, ceux qui sont dans une jeune publication, mettent en relief
cette « jeunesse » comme une source de fierté. Voici quelques exemples de
déclarations de journalistes :
-
« C’est un support jeune qui a de l’avenir »
« c’est un support jeune avec une jeune équipe ».
« Publication qui en l’espace de quelques années à réussi à occuper une
place primordiale dans le champ de la presse économique ».
Sérieux, respectable, crédible
Plusieurs journalistes ont qualifié leur support de « sérieux », de
« respectable », et de crédible. L’usage de ces adjectifs est intéressant à noter
dans la mesure où il renseigne sur les perceptions que ces acteurs ont du
traitement de l’information. Avancer que son support est sérieux est aussi
un positionnement par rapport aux autres supports qui, indirectement, sont
perçus comme « moins sérieux » du point de vue justement du traitement de
l’information. Voici quelques exemples :
-
« Notre support fait partie de ceux qui tiennent la route. C’est un média
sérieux »
« C’est un support respectable »
« Un support sérieux, il fait partie des journaux qui traitent l’information
avec objectivité et neutralité ».
« C’est un journal crédible par rapport aux supports économiques
existants.
24
b) Perceptions autour du traitement de l’information
L’identification du support est ici intimement liée, non seulement au contenu
et aux rôles du support, mais aussi et surtout au traitement réservé à
l’information. Plusieurs perceptions se dégagent dans ce sens des réponses
de nos interlocuteurs lorsqu’ils identifient leurs supports en lien avec cette
question. Elles ont trait à plusieurs aspects du traitement informationnel :
définition, fiabilité, profondeur, crédibilité, multiplicité des sources,
vulgarisation.
Nos interlocuteurs parlent d’« information fiable » ; d’ « information fiable,
sûre et intéressante » ; d’analyse « d’information en profondeur » ; d’une
«pertinence au niveau de l’information ».
Il est, ainsi, important de noter, au delà des qualificatifs utilisés, la vocation
qu’attribuent
les professionnels à leurs supports dans le traitement de
l’information pour la mettre à disposition dans l’espace public. En termes
quantitatifs, 74% des interrogés déclarent que leur support vise à informer,
17% veulent contribuer aux débats publics, alors que seuls 4% déclarent
œuvrer pour la vulgarisation et la sensibilisation aux questions
économiques.
Ces résultats ne diffèrent pas beaucoup, quelque soit la variable considérée.
C’est ainsi que quelque soit leur support (presse quotidienne éco et
financière ; presse magazine spécialisée destinée aux professionnels ; presse
magazine éco destiné au grand public), presque tous nos interviewés
considèrent que le rôle du support est d’abord d’informer.
Perception du traitement de l’information par les supports
Fonction
information sensibilisation
et
vulgarisation
Journaliste
52%
2%
Responsable 11%
0
publication
Responsable 11%
2%
rédaction
Total
74%
4%
Animation
du
débat
public
11%
2%
Autre
(non
défini)
0
0
Total
4%
2%
20%
17%
2%
100%
66%
14%
Les journalistes qualifient leurs supports ainsi :
-
« Pour moi la presse économique constitue un moyen pour répondre au
besoin en information à caractère économique souvent nécessaire pour
comprendre les autres informations y compris politiques » déclare un
journaliste qui a quitté le terrain depuis plusieurs années et qui exerce
aujourd’hui la fonction de conseil en communication d’une grande
boite internationale.
25
-
-
« C’est un journal d’information, d’éducation, d’orientation des hommes
d’affaires, en plus on a une petite partie pour la politique (parce qu’on ne
peut pas dissocier les deux).Il est indépendant. Il y aune pertinence au
niveau de l’information. On vérifie auprès de plusieurs sources nos
informations ».
« C’est un support relativement bien… Il se caractérise par la fluidité de
l’information économique et la fiabilité de l’info aussi » ;
« Je conçois qu’il est très bien dans cet environnement de presse. Il est
toujours très proche de l’information, donc il est crédible... »
« c’est un support jeune avec une jeune équipe. Nous cherchons à mettre
en avant les informations économiques qui impactent le quotidien du
citoyens. Ce n’est pas le type de journal économique fatiguant à lire. Je
pense qu’on y trouve le nécessaire de manière très vulgarisée ».
II-2 : Quels rôles pour les media économiques ?
Dans leur définition du support, plusieurs de nos interlocuteurs présentent
des définitions en termes de rôles que le support joue ou ambitionne de
jouer en lien avec son/ses public(s) et avec sa ligne éditoriale.
b- Les media économiques ont-ils plus pour vocation d’informer les
décideurs ou de participer au débat public ?
Les patrons et rédacteurs en chef sont les plus aptes à définir leurs cibles.
Voici quelques unes de leurs réponses :
Un responsable de rédaction déclare : « Nous sommes une publication
s’adressant à une cible définie qui constitue un lectorat de 20.000 acheteurs,
on arrive à donner à ce lectorat une idée sur la situation marocaine par
secteur, puis en matière d’info économique on privilégie le choix de sujets
novateurs qui intéressent le maximum de nos lecteurs (la vente sur internet
...) »
Voici quelques unes des réponses des rédacteurs en chef :
- « des supports de référence pour la prise de décision pour les décideurs aussi
bien politique qu’économique…………et source d’informations pour un public
plus large incluant les agents micro……mais aussi portevoix de groupes
influents » ;
- « un relais de l’information des entreprises, mais aussi un conseiller des
professionnels en matière de management » ;
- « c’est un média économique destiné aux décideurs fournissant une
information fiable et jouissant d’une grande notoriété ».
Les réponses des journalistes laissent émerger deux tendances, ceux qui
définissent leurs publics en s’alignant avec leurs patrons. Dans ce cas, ils
mettent clairement en avant l’idée que leur support est destiné, non pas
26
vraiment au grand public, mais aux acteurs économiques (décideurs, chefs
d’entreprises, responsables etc.). Et d’autres qui donnent une perception
« idéaliste », et ambitieuse des rôles de « démocratisation » qu’ils veulent bien
assigner à leur support.
Pour la première tendance, voici quelques exemples :
-
« C’est un support respectable qui n’est pas lu par le grand public mais
par des acteurs économiques… » ;
« C’est un journal d’information, d’éducation, d’orientation des hommes
d’affaires.. »
« C’est un quotidien économique, son lectorat est principalement des
décideurs, des hommes d’affaires et des chefs d’entreprises ».
« un mensuel économique destiné aux décideurs et responsables du
public et du privé…».
En ce qui concerne la seconde tendance, voici des exemples de déclarations :
-
-
« Un support informatif, éducatif et culturel. Un des rôles principaux est
élargir la liberté d’expression au Maroc qui est restreinte » ;
« Un outil d’information du grand public » ;
« Généraliste progressiste, image du Maroc dynamique. Informe le
grand pub sur les sujets les plus importants pour comprendre son
environnement » ;
« C’est un support jeune qui a de l’avenir. Sa charte éditorial prévoit de
démocratiser l’économie, la finance, l’information fiable, sur et
intéressante ».
Malgré ces déclarations de « bonnes intentions » à l’égard du grand public et
de la démocratisation de l’information, les médias dits économiques au
Maroc ne sont pas en réalité destinés au grand public. La cible déclarée de
ces supports c’est la classe A et B+, comme l’a si bien formulé un
journaliste : « On n’est pas destiné au grand public mais à une classe A-B+ un lectorat informé en matière d’économie, finance et politique économique ».
27
Autre indicateur, seuls 16% des répondants appartenant à la presse
quotidienne économique et financière considèrent que le rôle de leur support
est de participer au débat public. Et aucun ne mentionne la vocation de
sensibilisation et vulgarisation du discours économique.
La tendance à favoriser les décideurs sur le grand public, dans l’esprit
des journalistes et éditeurs des media économiques se confirme
lorsqu’il leur est demandé de classer, par ordre de préférence, les rôles du
support (informer les décideurs ; informer le grand public ; relayer les
demandes des professionnels ; relayer les demandes des consommateurs ;
participer au débat public).
Le rôle d’information des décideurs a été classé en premier lieu par 65% de
nos interrogés ; en second lieu par 11% ; en 3ème et 4ème lieu par 2,2%.
Tandis que le rôle d’informer le grand public, a été classé en premier lieu par
17,7% ; en second lieu par 33,3% ; en 3ème lieu par 15,5% ; en 4ème lieu par
8,8% et en 5ème lieu par 11,1%.
En accord avec la vocation du support telle que précisée dans la question du
début, ces réponses vont donc dans le sens de cette idée d’informer surtout
les décideurs (classé en premier largement) ; l’on comprend que les décideurs
et acteurs économiques ont besoin de disposer de connaissances précises
dans des délais brefs.
Lorsque nous leur demandons si leur rôle est de relayer les demandes (aussi
bien des professionnels que des consommateurs), personne ne cite cette
raison en premier. Avec cette différence tout de même que relayer les
demandes des professionnels est cité parfois en 2° ou 3° recours 20%. Le
rôle de relais des demandes des consommateurs est par contre largement
cité en dernier (classement 4 et 5ème lieu) : 24% et 37,7%.
A contrario, en lien avec notre problématique, le rôle de participer aux
débats publics n’est cité en premier classement que par 4,4%. Il est ensuite
cité en 2ème lieu par 22% ; en 3ème lieu 33,3% ; en 4ème lieu 22% et enfin en
5ème lieu par 3,3%.
En ce qui concerne l’importance de l’information économique, plus de 62%
de nos interviewés considèrent qu’elle est nécessaire et 26% disent qu’elle est
utile. Nécessaire à entendre dans le sens indispensable en vue de l’obtention
du résultat souhaité.
A la question « Qui vos informations sont-elles censées servir en
particulier ? », nos interviewés répondent qu’ils sont censés d’abord servir les
professionnels et les opérateurs et ensuite les citoyens et le grand public et
enfin l’Etat.
28
L’info éco est elle utile ?
info utile
9%
Pas de réponse
33%
info nécessaire
58%
a- Les supports économiques existants contribuent-ils à vulgariser
l’information économique ou à la rendre plus opaque ?
« Nous sommes en tant que support une publication destinée à un public
identifié comme étant formé de cadres moyens et supérieurs, nous estimons
que nous répondons à la demande de ces catégories en matière d’info, nous
avons un traitement et un langage appropriés pour ce faire », répond un
patron avec assurance.
Un autre patron répond à sa manière apportant une évaluation du secteur et
déclare :
« Vulgariser, oui mieux que par le passé, mais il faut agir pour mieux doter la
presse économique en compétences et la professionnaliser ». La même idée
est reprise autrement par un troisième patron qui a déclaré « Il faut agir pour
donner au public marocain des grilles de lecture valable, il y a un début mais
ce n’est pas encore bien développé ».
Un autre patron reconnait « Si on est là c’est pour rendre l’info plus
intelligible, mais c’est un milieu où il y a beaucoup de lobbies et de groupes de
pression ».
Un autre enfin déclare : « Ce sont généralement des supports relativement
jeunes, nous sommes encore au début d’un processus où on assiste à
l’émergence de quelques journalistes qui abordent l’économie selon les normes
professionnelles donc, certains supports et certaines plumes font la différence
alors que d’autres maintiennent l’amalgame entre publicité, communication et
journalisme. En tout cas, par rapport à 20 ans de parcours, relativement
l’information éco est en train de connaître une certaine amélioration. ».
Au niveau des résultats, plus de 82% de nos interrogés disent que les
supports économiques existants contribuent à vulgariser l’information
économique. Ces résultats ne renseignent cependant pas sur les arguments
29
avancés pour l’une ou l’autre réponse. Retournons aux déclarations de nos
interviewés.
Pour ceux qui ont répondu par l’affirmative quant à la contribution des
médias économiques à vulgariser l’information économique, ils ajoutent un
« mais » juste après pour souligner l’insuffisance d’une telle démarche.
Comme l’exemple de ce directeur de publication qui répond ainsi : « Ils
essayent de la vulgariser, mais ce n’est pas suffisant » ; un journaliste
souligne les efforts de la démarche dans ces termes : « Oui il y a des efforts
aux niveaux des journaux, des tables rondes, des salons. Mais il faut un
minimum de bagage pour décrypter les messages ».
La question de la vulgarisation de l’information est évoquée dans d’autres
réponses en lien avec le public du support. C’est ainsi qu’un journaliste
trouve que les supports tendent à vulgariser « mais juste pour une certaine
catégorie de citoyens car il y a beaucoup de termes techniques ». Un autre
journaliste
refuse
l’opacité
du
traitement
de
l’information
économique : « Opaque non. Mais ça dépend du positionnement du support et
de sa cible (soit A –b+) ».
D’autres journalistes mettent en valeur la vocation de vulgarisation pour le
public du support, évoquant ainsi l’idéal du métier de journaliste
économique en ces termes :
-
-
-
-
« Il y a toujours des supports qui sont au-dessus de la compréhension
des consommateurs. Mais je pense que les supports économiques
contribuent à vulgariser l’information économique, ça dépend de la ligne
éditoriale de chaque support.
On est orienté vers une catégorie
socioprofessionnelle
A-B+. On essaye
d’expliquer le maximum
possible. ».
« Ca dépend de la cible. Il faut que le lecteur soit initié. N’importe qui ne
peut pas connaitre les termes techniques employés par les chefs
d’entreprises et les professionnels » ;
« Le journaliste doit faire un effort pour vulgariser et banaliser
l’information, en évitant d’abord de reprendre les termes techniques. Si
la vie économique touche directement le citoyen il faut essayer
d’employer des termes simples. Il faut faire le pont entre les données
chiffrées et ce qui touche le lecteur »
« Vulgariser : en écrivant notre papier on prend en considération que le
lecteur ne peut pas tout savoir. On essaye de banaliser au maximum.
On choisit des mots simples et quand on utilise un terme technique on
l’explique ».
D’autres réponses sont liées à la nature même de l’information économique
et sa connexion au monde économico-politique taxé d’opaque et de « tabou ».
C’est ainsi qu’un rédacteur en chef affirme que « les supports
économiquesétant eux mêmes des acteurs économiques, leur réaction à
l’information économique dépend de leur propre intérêt vis-à-vis de
l’information dont ils disposent ». Une autre rédactrice en chef déclare plus
clairement : « ça dépend de leur obédience, d’autant plus que la presse
économique marocaine n’est pas une presse d’investigation, l’information
30
économique reste taboue. La concentration des pouvoirs économiques aux
mains de l’entourage royale n’arrange pas les choses. Les opérateurs ont
tellement peur qu’ils préfèrent se taire ».
La vulgarisation tient donc du domaine des intérêts du support comme
formulé par un responsable de rédaction : « « ça dépend des cas et des
intérêts de tout support…… ». De son côté, un journaliste met en avant cette
idée de dépendance de la presse économique du monde économique en ces
termes : « Ils [supports économiques] contribuent à maintenir en place la
structure libérale et capitalistique de l’économie ».
Une réponse d’un responsable de publication met l’accent sur la
problématique de la langue en lien avec la vulgarisation : « Le manque de
support spécialisé arabophone n’aide pas à vulgariser l’information. Et pour
les journaux existants, ils sont souvent orientés vers le socio économique».
Une autre réponse d’un journaliste pointe du doigt la question de la
vulgarisation avec la formation du journaliste : « Vulgariser. Mais le problème
se pose au niveau de certains journalistes économiques qui n’ont pas une
formation en économie. Il y a aussi les diffuseurs de l’information (Banque
centrale – Ministère de finance…) qui ne simplifient pas l’information (ils
utilisent des termes difficiles et compliqués). Normalement c’est un rôle
partagé. Il faut simplifier les concepts et les termes techniques ».
c- Quel est le rôle du journaliste économique ? Quelle est sa
mission ?
« Il informe sur les changements qui surviennent dans le domaine économique
en général, le comportement des usagers consommateurs et autres, les
décisions de l’Etat.. » dit l’un des interrogés ; un autre responsable de
rédaction déclare « Rendre le jargon économico-financier compréhensible et
déchiffrable par le commun des mortels, mais cela est une question où il n’y a
pas de recette universelle, chaque journaliste invente son style propre pour
rendre accessibles les divers sujets d’information. ».
Un journaliste économique affirme « La priorité à l’information, mais aussi à
une certaine initiation à la vie économique en général et de proximité en
particulier ».Un autre journaliste semble avoir une certaine visibilité
inhabituelle , il dit : « Le journaliste a pour mission d’informer d’abord ;et en
matière d’information économique d’analyser et vulgariser l’information brute
qu’il détient avant de la livrer au public ; en quelque sorte ce journaliste a
pour mission particulière de donner aussi les outils et les grilles qui
permettraient l’intelligibilité de l’info économique. Le journaliste économique
souffre de l’existence de nombreux handicaps qui l’empêchent souvent de faire
convenablement son métier ; il faut édicter des lois qui lui assurent l’accès à
l’info ; c’est ainsi que les choses marchent dans d’autres pays alors que la
législation marocaine reste en deçà de ce seuil de transparence
nécessaire..… »
31
Une autre déclaration apporte un éclairage supplémentaire sur la manière
avec laquelle le journaliste économique semble aborder sa mission dans
une rédaction. Elle affirme que : « c’est d’abord du journalisme donc de
l’information qui répond aux mêmes critères professionnels que les autres
informations, pour le volet économique, le background nécessaire est
généraliste, pour le journalisme financier il y a besoin de formation spécialisée
pour pouvoir analyser les données financières, mais à la fin, les uns et les
autres doivent donner de l’info intelligible pour le public ».
Ainsi, à travers leur conception du métier de journaliste dans le domaine
économique, les répondants confirment la tendance préalablement mise en
exergue, à savoir informer d’abord (40% : informer le public) et ensuite
analyser et interpréter les informations économiques (33,3%). En revanche,
le journalisme d’investigation et d’enquête n’est cité qu’une seule fois.
24% des journalistes interrogés mettent l’accent sur des perceptions du
métier plutôt négatives à cause de la corruption qui donnerait selon eux une
mauvaise image du métier. D’autres réponses mettent en valeur que
l’apprentissage du métier se fait non comme formation en économie mais
comme apprentissage acquis avec le temps et l’expérience.
Une autre réponse met l’accent sur la perception du journaliste comme
« intermédiaire » qui doit objectiver son objet et livrer une information, un
commentaire ou une analyse documentée sans donner d’avis.
Une autre réponse met l’accent sur la nature du métier de journaliste
économique en lien avec le professionnalisme et l’éthique en disant « C’est un
métier qui est sympa que j’ai choisi par conviction et qui nécessite beaucoup
de professionnalisme. Pas n’importe qui peut devenir journaliste économique.
Malheureusement le ministère de communication n’est pas conscient de cela
car il distribue des cartes de journalistes un peu n’importe comment. Un
journaliste de manière général doit avoir un sens d’éthique, de
la
responsabilité et du professionnalisme ».
Toujours en lien avec le professionnalisme un autre interviewé pense que ce
n’est pas un métier assez développé au Maroc, ce serait un travail sousestimé car perçu comme facile, ce qui n’est guère le cas dans la mesure où
« Il faut être dévoué pour être un bon journaliste ». Un autre journaliste va
dans
ce
sens en affirmant : « C’est un métier passionnant mais
malheureusement au Maroc de manière générale nous ne pouvons l’exercer
comme il le faut. Comme vous le savez notre société et régime politique rendent
la chose très contraignante. Nous ne pouvons s’exprimer comme cela se fait
dans des pays occidentaux Bon, Les choses ont certainement évolué depuis
un bon bout de temps et on espère que la situation évoluera pour le mieux. On
reste optimiste pour le moment avec une pratique de négociation avec nos
directeurs de rédaction et de publication pour rebondir sur certains sujets. Je
dirais qu’on est plutôt des ‘Katib 3oumoumi’ [(écrivains publics] ».
Au niveau de la vision du métier et de ses qualificatifs, nos interviewés se
perçoivent d’abord comme des « interprètes de la réalité » et ensuite comme
« médiateurs ». Ce sont les deux qualificatifs qui sont cités majoritairement
32
en premier lieu (48,8% pour le premier et 33,3% pour le second). Les
qualificatifs de technicien, d’employé dans une entreprise de presse, de
porte-voix de la collectivité professionnelle, de défenseur de l’opinion
publique ne sont pas beaucoup cités en premier lieu.
d- Quelles sont les principales valeurs que prône votre institution ?
« La crédibilité de l’info et la rigueur » dit le premier patron avec fermeté. Le
second n’est pas en reste, il lance fièrement son crédo : «
Intégritéimpartialité-pluralisme de la parole ».
Des valeurs morales sont ainsi avancées par tout un chacun : honnêteté ;
honnêteté intellectuelle, droiture, intégrité, éthique ; transparence,
indépendance, respect des règles déontologiques ; confidentialité…
D’autres valeurs en lien avec les droits et liberté d’expression sont également
mentionnées : Liberté d’expression ; droit d’informer des vérités tout en étant
fidèle à la réalité ; droit à la différence ; humanisme ; progressisme…
Les répondants ont également mis en avant des valeurs en termes de
performances comme par exemple : rigueur, professionnalisme, organisation,
pertinence, anticipation, exigence, pertinence du travail ; nouveauté,
réactivité…
Bref, en lien avec le traitement de l’information, les interviewés ont
globalement avancé les valeurs suivantes : l’objectivité (« Etre objectif dans le
traitement et l’analyse ») ; la fiabilité de l’information ; info crédible, fiable ;
esprit d’analyse ; être sûr de l’info ; la justesse ; crédibilité de l’info : (
« Traiter, analyser et informer tout en gardant cet équilibre à travers la
multiplication des sources (avis des experts) et le respect des délais ») ;
(« collecter et vérifier les informations, s’interdire toute manipulation et plagiat,
ne pas relayer les rumeurs, éviter tout lien d’intérêt avec les acteurs») etc.
Un seul journaliste a cité le libéralisme et le capitalisme comme valeurs de
référence pour son traitement médiatique.
33
On constate une confusion sur le plan éthique, patrons ou journalistes
utilisent des principes strictement techniques, ou les aspects relatifs à la
production de l’information pour mettre en évidence le rapport de leur
démarche à l’éthique professionnelle ; les non dits dans ce cas sont plus
significatifs que les propos des orateurs, les journalistes interrogés ont
évoqué souvent leurs sources , mais nulle part ils n’ont insisté sur la
citation des sources, ou la protection des sources , ni sur les droits
d’auteurs, ….Le plagiat véritable fléau aujourd’hui n’a été cité qu’une seule
fois , la dénonciation de la corruption reste relativement vague, elle n’est
pas ignorée mais ne se trouve pas au premier plan …
Sur le plan éthique aussi, il y a le recoupement des sources, mais leur
nombre ne suffit pas à l’interprétation des faits, surtout
le plus
fréquemment, ce ne sont pas les sources dans leur généralité qui posent
problème, mais plutôt les sources réfractaires dont la voix est occultée, et
pour cause, on trouve chaque fois le moyen de dévaloriser son intérêt. Il
s’agit finalement d’une manipulation même si elle est doigtée ou feutrée…
On doit rappeler que l’éthique professionnelle
qui prévaut chez les
journalistes de l’info généraliste découlant notamment de la charte dite de
Munich datant de 1972 stipule notamment que les journalistes s’engagent à
« publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les
accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas
supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les
documents » de même ils se doivent de« Rectifier toute information publiée
qui se révèle inexacte » et de « Ne jamais confondre le métier de journaliste
avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne,
directe ou indirecte, des annonceurs »
Les différentes réponses de l’échantillon ont été finalement codifiées, dans
cette étude, sous les items suivants : assurer le droit à l’info ; crédibilité et
respect de la déontologie ; objectivité, honnêteté et intégrité ; droit à la
différence et liberté d’expression ; nouveauté et anticipation.
Au niveau des résultats, ce sont d’abord les valeurs de crédibilité, respect de
déontologie et « les valeurs d’objectivité, honnêteté et intégrité » qui sont
mises en avant.
Si l’on recoupe ces réponses avec notre question sur la charte déontologique,
partie du questionnaire pour laquelle on n’a eu que très peu de réactions, on
se rend compte que :
La presque totalité de nos répondants disent que leur support n’a pas de
charte déontologique formelle. Certains reconnaissent que leur institution
dispose d’une telle charte mais ne semblent guère en avoir une copie à
fournir. Un journaliste explique l’usage d’une telle charte dans la pratique :
« On a des documents
sur la déontologie qu’on donne après chaque
recrutement de journaliste, ces documents évoquent les valeurs et principes
de l’entreprise dont les recommandations suivantes : on ne prend pas de pot
34
de vin, il faut rester objectif, les cadeaux ne doivent pas dépasser un stylo
d’une valeur de 200 dhs. Il y a un ensemble de règles de conduite qu’on nous
transmet et qu’on doit respecter ».
Une autre définition est apportée par un journaliste de notre échantillon :
« On respecte la charte de Munich de 1972. » dit il, ajoutant qu’il « est vrai que
la plupart des journalistes spécialisés dans l’économie n’ont pas fait d’école
de journalisme. Ils ont dû apprendre sur le tas ».
D’autres répondants n’ont fait que réciter quelques valeurs comme celles
déjà citées. Dans l’ensemble, c’est l’aspect traitement de l’information (en
termes de fiabilité, crédibilité, pluralité et recoupement) qui est le plus
nettement mis en valeur. Considérons quelques exemples de réponses des
journalistes :
-
-
-
-
« une information fiable et des sources fiables » ; « on doit rapporter
l’information le plus fidèlement possible – on doit avoir plusieurs sources
fiables - » ;
« il faut toujours vérifier l’information auprès de deux ou plusieurs
parties» ;
« information sure et vérifiée a travers plusieurs personnes » ;
« c’est la vérification de l’info (on ne publie pas n’importe quoi) par ce
qu’on est connu comme étant un journal fiable on ne peut pas se
permettre de décevoir nos lecteurs et diminuer notre crédibilité » ;
« la rigueur, la diversité de l’information et sa crédibilité. Nous devons
publier une information de qualité, précise, vérifiée et équilibrée. Les
journalistes doivent porter un regard critique sur l’information et faire
écho au pluralisme des opinions » ;
« Recouper l’information et la vérifier 3 ou 4 fois pour qu’elle soit
fiable » ;
« on cherche à respecter le maximum possible les pratiques du
journalisme. C’est-à-dire la crédibilité de l’information en s’appuyant
évidement sur 2 sources minimum et aussi de rendre l’info facile à
comprendre par nos lecteurs » ;
Dans ces réponses, se profilent plusieurs attitudes et plusieurs perceptions
du rôle et du positionnement des médias économiques, c’est une affaire
d’image pour les adeptes de cette presse très particulière. Ainsi la qualité de
l’info est dressée en crédo et semble un critère qui limite le champ de
l’information hors des controverses, des scandales, des polémiques qui font
l’actualité souvent même dans ce domaine et ce, pour une attitude plus
« sereine », ou douce qui prétend à « la précision, l’équilibre et la
vérification », donc l’idée d’une presse qui rejette le sensationnalisme au
profit de la rigueur. L’image de la sagesse face à d’autres tentations dans le
traitement médiatique. Ou encore le choix de la critique dite responsable
face à une info propagande, pro patronat et pro gouvernement d’une autre
presse tout aussi économique. La presse économique semble être dominée
par ces deux tendances qui voudraient chacune se présenter en experte des
chiffres au service de la rigueur. Ces deux « courants » majoritaires
cohabitent cependant depuis toujours avec un troisième courant.
35
Après le défi perdu des anciennes écoles de l’économie politique qui
évoluaient dans la sphère des sensibilités politiques et de leurs médias, on a
assisté à l’émergence d’une tendance depuis la fin de la dernière décennie du
siècle révolu, contestataire du système ; avec pour objet d’expression
réfractaire une certaine approche de l’information économique. Celle là ayant
pris germe paradoxalement dans les laboratoires du pouvoir, a tenu à s’en
séparer très rapidement pour afficher son indépendance. Son illustration
s’est cristallisée sur les questions des privilèges économiques des grands
lobbies du pouvoir. Malgré l’asphyxie de cette tendance, quelques
émanations de celles-ci continuent à agir sur la scène publique.
Trois réponses à la question de la charte déontologique sont liées au modèle
et au monde économique. Deux réponses soulignent l’importance de
l’indépendance vis-à-vis de ce monde, quitte à avoir des problèmes avec des
annonceurs :
-
« On a beaucoup de relations avec des gens importants mais on nous
enseigne de garder nos distances » ;
« Droit à la liberté d’expression. On dit ce qu’il y a même si on peut avoir
des problèmes avec des annonceurs »
Et une réponse qui met l’accent sur le consensus vis-à-vis du modèle
économique dominant. C’est un journaliste qui présente ainsi cette
conception : « vu de dehors, on est considéré comme un journal du patronat,
ça veut dire quoi ? On a choisi délibérément de traiter l’information
économique, l’économie. Il n’est pas question pour nous d’affoler les marchés.
Notre source d’information c’est les opérateurs économiques, les politiques. On
ne fait pas du sensationnalisme. Tout est recoupé, tout est vérifié. On fait
passer les informations stratégiques. La charte est volontairement axée, c’està-dire, on tire dans le même sens que le pays, on ne sabote pas ».
Dans la mise en application de ces valeurs, les résultats chiffrés ne nous
donnent pas de tendances claires. Entre une attention particulière aux
sources et aux contacts et respects des droits et obligations, plusieurs autres
réponses restent non codifiées.
On peut cependant en dégager quelques idées.
La mise en application des valeurs relatives au traitement informationnel est
pensée en termes de multiplicité et de recoupement des sources. « C’est
l’ADN de tout ce qu’on fait » dit un journaliste. Pour mieux marquer cette
exigence, un autre journaliste insiste « Recouper, recouper, recouper ».
D’autres réponses abondent dans ce sens, en voici des exemples :
-
« en multipliant les sources d’information et en essayant de donner aux
lecteurs une info la plus vraie possible ». ;
« En recoupant l’information, en multipliant les sources en donnant la
parole aux différentes parties prenantes d’un dossier » ;
36
-
-
« Quand on écrit nos articles on essaye d’être le plus honnête possible.
On possède déjà une source mais on appelle une autre pour vérifier
l’information » ;
« Je fais toujours attention à mes sources et mes contacts. » ;
« Je dois être objectif, rapporter l’information, contacter les gens et rester
neutre ».
Ce n’est pas aussi simple, il y a quand même des difficultés qui exigent un
temps de réflexion. D’où certaines nuances dans les réponses. Une autre
catégorie de l’échantillon met en relief l’application des valeurs énoncées en
relation avec l’environnement et l’exigence d’indépendance :
-
-
« Exemple : il y a des informations qui dévoilent des pratiques illégales,
des personnes essayent souvent de nous contacter pour empêcher la
diffusion de ces informations. Quand on est confronté à de telles
situations on partage l’information au sein de la direction et on décide
ensemble de ce qu’on va faire » ;
Les risques et même les menaces se font entendre au point qu’un
journaliste n’hésite pas à demander de :
« développer une grande résistance à la tentation » ;
Un autre s’interroge sur la manière qui permettrait de :
« Rester indépendant des pressions internes et externes»
Une dernière catégorie de réponses, mais très minoritaire, met l’accent sur
l’aspect didactique des valeurs, par exemple : « C’est un apprentissage
continu » dit un journaliste ; ou encore, comme le déclare un directeur de
publication « on valorise notre éthique à travers la ligne éditoriale et en
inculquant ses valeurs chaque jour aux journalistes de notre support ».
Principales conclusions de la partie
- Les opérateurs économiques arrivent les premiers sur la liste des populations
ciblées par les media économiques
- Les médias dits économiques au Maroc ne sont pas destinés au grand public
malgré les déclarations de nos interviewés… La cible déclarée de ces supports
c’est la classe A et B+
- La vulgarisation de l’information économique et son accessibilité au grand
public est très insuffisante.
- Le journalisme d’investigation n’est pas très présent.
37
III- L’information économique,
les opérateurs privés et les publics
L’information économique est le vocable galvaudé par les différents usages
qu’en font les praticiens des médias économiques au Maroc. Quelles sont les
diverses définitions qu’ils lui attribuent, quels sont les qualificatifs qu’ils lui
associent et quels usages en font-ils à l’égard des opérateurs privés, qui en
sont l’objet et la cible, et les publics en général ?
Cela pose, au passage, la question de l’accès à l’information en économie.
Ainsi, le questionnaire et les entretiens nous ont ouverts plusieurs pistes :
Qui produit l’information ? Chez qui se trouve-t-elle ? Les médias
économiques en font ils quelque chose ? Parviennent-ils à la diffuser ? Qui
sont les premiers usagers ou consommateurs de cette information ? Qu’en
font-ils ?
III-1- Qu’est-ce que l’information économique ?
Pour cette question, de grande importance dans le cadre de notre
problématique en termes d’enjeu citoyen, nos interviewés ont avancé une
pluralité de définitions et de sens : en termes de contenus, de
fonctions/rôles, d’adjectifs et d’attributs et enfin en termes de traitements.
C’est dire qu’il n’y a pas un «sens dominant » et faisant consensus. Cidessous des échantillons de ces différentes définitions et usages.
a- Définitions en termes de contenus
Les définitions en termes de contenu focalisent sur le contenu, large ou
spécifié, de l’information. Des exemples de ce type de définitions telles que
formulées par interlocuteurs :
- « Une information qui touche un aspect de l’économie d’un pays ou ses
acteurs économiques » (directeur de publication) ;
- « Tout ce qui peut concerner l’économie (…) ––examiner les différents
secteurs qui marchent et les secteurs à problèmes » (journaliste) ;
- « Ce qui se rapporte de près ou de loin aux secteurs économiques du
pays » (journaliste) ;
38
- « Tout ce qui à une relation avec la vie économique ; le micro et macro
économie – le finances publiques – les professionnels – le marché »
(journaliste) ;
- « C’est tout ce qui intéresse les acteurs économiques. Ce qui informe
sur les grands chantiers du pays » (journaliste) ;
- « C’est l’information qui par son caractère intéresse, les gens, l’Etat,
les opérateurs par ce qu’elle a des effets sur leurs biens et intérêts
économiques .Toute information qui apporte une nouveauté ou un suivi
par rapport à un secteur économique ou financier » (patron) ;
- « il s’agit de plusieurs types d’informations : macro économique ; micro
économique ; informations liés au rôle économique de l’Etat et ses
différentes institutions et administrations, l’information sur le secteur
privé, le système bancaire, la Bourse..» (Ancien responsable de
rédaction
et
responsable
d’un
supplément
économique
hebdomadaire) ;
Soulignons par ailleurs, une définition en terme de contenu essentialiste,
dans le sens de « toute information est économique ». Elle a été évoquée par
un journaliste ainsi : « C’est toutes les informations qu’elle soit de la météo,
société. Une information est naturellement économique quelle qu’elle soit. Par
exemple, l’industrie du cinéma marocain est en faillite, on ne peut pas dire que
c’est culturel. Je pense qu’il n’y a pas de vie sans économie. Toute information,
on peut l’économiser même quand elle est politique. »
b- Définitions en termes d’attributs et de finalités
Ce type de définition associe l’information économique à un attribut très
souvent suivi d’un verbe pour signifier une fonction ou un rôle ; quel qu’en
soit le destinataire (journaliste, lecteur ou acteur économique en général).
Les échantillons de réponses ci-après montrent cette définition liée à une
finalité :
- « C’est un baromètre de la réalité » ;
- « C’est un indicateur micro et macro qui renseigne sur les secteurs
économiques »
- « Qui porte une valeur ajoutée à nos connaissances économiques d’un
pays ou de ses acteurs éco » ;
- « Une arme utilisée par les sources pour servir leurs propres intérêts » ;
39
- « débat d’idées, décryptage, investigation c’est un vivier et une épine
dorsale de la croissance du pays » ;
- « Expliquer et informer le public par rapport à toutes les questions
économiques qui l’intéressent ; de la facture d’électricité qu’il paie
jusqu’à la loi de finances et le système bancaire » ;
- « Une information « quantifiée » qui a un impact sur le quotidien des
gens. C’est aussi une donnée qu’il convient constamment de lire sous le
prisme de la bonne gouvernance. La ressource « richesse » étant rare, il
s’agit de savoir si elle est vraiment rationalisée, optimisée au profit de la
collectivité. Et puis, ne pas se tromper sur le fait qu’un opérateur privé a
une vocation légitime à l’enrichissement sans limite, à charge pour l’Etat
d’assumer son rôle de régulateur. C’est sur cet aspect que le journaliste
économique devrait, à mon humble avis, centrer sa réflexion et ne pas se
tromper d’axe de traitement » ;
- « c’est déchiffrer l’économie » ;
- « C’est une information qui impacte, de prêt ou de loin, l’économie du
pays et le consommateur » ;
- « C’est une information qui aide à une prise de décision ou alors à se
faire une image de l’environnement économique dans lequel les
operateurs évoluent » ;
- « C’est la matière première de mon travail, entant que journaliste
économique. C’est aussi une information d’une importance capitale
parce que l’économie tend à être le centre des décisions politiques » ;
- « C’est une information économique comme les autres mais avec un
enjeu quand même plus important parce que ça touche plusieurs
personnes. Disant l’information sur la consommation ça touche tous les
marocains pas seulement une tranche. Une augmentation d’un dirham
ou de 5 centimes dans le prix du pain ca touche tout le monde ».
Il ressort de ces extraits des paroles de nos interviewés que les finalités d’une
information économique concernent aussi bien le journaliste (pour qui elle
est sa matière première) ; que les lecteurs (grand public pour la gestion du
quotidien ou acteurs économiques pour les aider dans la prise de décision).
On peut aussi dire que ces finalités se déclinent en deux aspects, non
exclusives : l’aspect de connaissance et l’aspect de praxis.
Au niveau de la connaissance, la finalité de l’information économique vise à
connaître le marché, la vie économico-politique ; nos interlocuteurs ont
utilisé les mots suivants pour signifier cet aspect : déchiffrer ; renseigner ;
40
enrichir nos connaissances ; décrypter ; décoder la vie économique et
politique ; expliquer et informer ; se faire une image…
Et par rapport à l’aspect de la praxis, la finalité de l’information économique
réside dans un résultat qui est l’impact sur le grand public (en termes
d’amélioration de sa quotidienneté) ; sur l’Acteur économique (en termes
d’aide au processus décisionnel). Des exemples des termes et expressions
utilisées pour dire cet aspect : « nourrit les décideurs au niveau national et
international » ; « outil pour la prise de
décision » ; «Une information
« quantifiée » qui a un impact sur le quotidien des gens » ; « impacte, de prêt ou
de loin, l’économie du pays et le consommateur ; l’assimiler et l’utiliser pour
améliorer leur quotidien et secteur »…
Ces différentes définitions nous renseignent globalement sur les perceptions
que se font nos interlocuteurs de l’information économique – qu’elles soient
effectives dans leurs pratiques et/ou idéalement souhaitables.
c- Définitions en termes de traitement
Dans ce type de définition, nos répondants associent l’information à son
traitement (fiabilité, recoupement, crédibilité, traduction, vulgarisation etc.)
en usant des adjectifs dans ce sens. Voici des extraits :
-
-
-
« Avant d’être économique, une information est une information, c’est
une fenêtre censée décrire une réalité qui doit être vérifiée et, au besoin,
mise en scène et en rapport avec un environnement pour être plus
visible »
« En information économique, il y a tous les genres journalistiques mais
je pense que l’analyse est toujours nécessaire dans ce domaine et c’est
le recours pour traiter les informations brutes (statistiques,
communiqués, décisions, positions des opérateurs…). D’ailleurs, tout
événement ou acte qu’il soit social, politique ou autre, a la plupart du
temps des dimensions économiques » ;
« une information recoupée et fiable » ;
« vérifiée, recoupée et commentée par plusieurs sources et étayée par
des chiffres et études » ;
« C’est avant tout une information vérifiée, recoupée et crédible »
« L’information doit être d’actualité mais décryptée, traduite et
vulgarisée »
« L’information est une mine. Quand on a une petite information ou un
petit chiffre on peut sortir une problématique qui concerne cette
entreprise, la décortiquer et dévoiler la stratégie de celle-ci. J’ai un
41
chiffre d’affaires qui est en hausse ou en baisse je peux très bien le
décortiquer et voir ce qui a derrière».
Soulignons à la fin, cette définition intéressante qui est en quelque sorte
évaluative du secteur médiatique au Maroc en lien avec la faiblesse de
l’économie et qui, de surcroit engendre des redondances dans le traitement
des mêmes sujets. C’est un journaliste qui l’évoque ainsi : « Au Maroc on n’a
pas une forte économie. Ce sont les mêmes sujets qui se répètent tout au long
de l’année. On n’a pas de matière pour travailler. On ne peut pas être au
niveau des supports étrangers ».
Définition des sources de l’information économique par les opérateurs
parole des experts
données publiques par les
institutions économiques
chiffres et indicateurs
éclairages des opérateurs
analyses et enquêtes
indépendantes
autre
Au niveau des résultats, nos interviewés ont été amenés à classer par ordre
de priorité les qualificatifs qui correspondent le plus à leur définition de
l’information économique (parole des experts ; données publiques par les
institutions économiques ; chiffres et indicateurs ; éclairages des
opérateurs ; analyses et enquêtes indépendantes).
La définition de l’info économique est d’abord associée aux analyses et
enquêtes indépendantes et chiffres et indicateurs et données publiques
annoncés par les institutions éco. Moins liée à la parole des experts et aux
éclairages des opérateurs.
C’est ainsi que les analyses et enquêtes indépendantes sont citées en
premier lieu par 31,11%. Ceci semble contredire la conception « vision de
métier » ne citant l’investigation qu’une seule fois.
La définition de l’information économique comme chiffres et indicateurs est
citée en premier par 26,6% de nos interrogés. Les données publiques par les
42
institutions économiques : cité par 20% en premier classement. La parole
des experts 11,1% et l’éclairage des opérateurs est cité une seule fois, en
premier classement soit 2,2%.
III-2- Le rapport avec les opérateurs privés
Annonceurs, prescripteurs, détenteurs d’informations cruciales, cibles
privilégiées, les opérateurs privés constituent pour les media économiques
un pôle déterminant. Jusqu’à quel point doivent-ils tenir compte de leurs
attentes ? La prise en compte de cet acteur incite-t-elle à biaiser le
traitement de l’information économique ?
a- Satisfaction perçue des opérateurs privés
Au niveau des résultats, nos répondants estiment en grande majorité que les
opérateurs privés disposent de l’information économique nécessaire à leur
activité. Mais elle reste en général peu crédible et surtout insuffisante (trop
de non dits ; opacité ; manque de crédibilité, de fiabilité et de transparence) :
Une rédactrice en chef par exemple, parle de cette insuffisance ainsi : « « ces
médias ne sont informés que des grandes orientations économiques de l’Etat
et des grands groupes privés, mais manquent d’infos sur les PME » ;
Un journaliste évoque que ce sont ces mêmes opérateurs privés qui donnent
l’info aux journalistes économiques et d’ajouter « c’est un circuit fermé ».
Cette dépendance des opérateurs privés de l’info économique est mise en
accusation par un autre journaliste qui dit :
« Les médias, ne sont pas crédibles, car ils dépendent justement de ces
opérateurs privés pour leur survie, sans oublier l’absence de liberté
d’expression imposée par le pouvoir ».
Un directeur de publication évoque les difficultés d’accès à un certain type
d’informations :
« Oui, même si l’accès à un certain type d’informations sensibles et
stratégiques demeure encore limité, les acteurs économiques disposent depuis
quelques temps d’une multitude de sources d’information économique. Le
manque à relever est au niveau de l’exploitation de ces données par les
acteurs eux mêmes. ».
Enfin un journaliste économique pointe du doigt la pratique de
sa
collectivité professionnelle en termes de manques d’outils pour « lire »
l’information économique qui est toujours, selon lui disponible. Il dit
exactement ceci : « L’information est toujours disponible mais il faut disposer
des clés de lecture pour bien la situer et en tirer profit… ».
43
Que faut-il faire pour remédier à cela ? Les propositions qui émergent des
réponses touchent surtout l’aspect accès à l’information et sa transparence
et aussi l’indépendance des médias et du journaliste économique. Voici des
extraits :
-
« démocratiser l’accès à l’info… » ;
« Il nous faut plus de transparence de la part des opérateurs !!! Une loi
pour protéger le droit d’accès à l’information» ;
« plus de clarté et de transparence de la part de tout le monde,
opérateurs privés, pouvoirs publics, associations professionnelles »
« Plus de transparence dans la communication et plus de droit à l’accès
à l’information. »
« dire non à la censure mais aussi à l’autocensure ».
b- Le « journalisme économique » et les lobbies économiques
A la question « le journalisme économique se soumet-il à la volonté des
lobbies économiques », la moitié des interrogés répondent par l’affirmative.
44
Les arguments de cette perception sont à retrouver dans le discours de nos
interviewés :
« Oui. Car la presse n’est pas indépendante » répond un directeur de
publication.
Une autre rédactrice en chef n’hésite guère à employer l’adjectif « C’est un
journalisme lobyyiste ».
Un journaliste explique la cause de ce fait ainsi : « Oui parce que ces lobbies
économiques contrôlent l’information et les journaux économiques. Exemple :
Akhennouch c’est la vie éco ,MoulayH’fid Alami c’est les Echos ». Un
responsable de rédaction va aussi dans ce sens en affirmant : « Ça dépend
du journaliste ou du support. Il existe des supports qui travaillent pour un
groupe ou qui sont même dans la propriété d’un entrepreneur. Et le manque
d’indépendance de la presse ne peut que générer ce genre de tendance »
Un ancien journaliste donne une autre explication : « « Il lui est difficile de
faire autrement sinon sa publication en paiera le prix » et d’entamer « difficile
de juger la profession en vrac, mais en règle générale, la répression
« économique » a mué les supports de journaux d’information en journaux de
« communication ».
III-3- Le rapport au grand public
Alors que l’étude confirme la prise en compte des opérateurs privés comme
un souci majeur des media économiques, celle-ci révèle un rapport ambigu
et ambivalent avec le grand public, dépendant du volume de lectorat visé ou
assuré par la publication.
a- Le grand public et le besoin d’information économique
Au niveau des résultats, tous nos interviewés pensent que le grand public a
besoin d’information économique. Ce qui contraste un peu avec leurs faibles
réponses sur le rôle de ce support média comme « informateur du grand
public ».
Le pourquoi de ce besoin est majoritairement identifié par nos répondants en
lien avec la gestion de la quotidienneté et l’impact sur le niveau de vie du
citoyen. C’est en répondant à cette question relative au grand public que le
mot « citoyen » est ici utilisé plusieurs fois par nos répondants. De même que
dans ces réponses émergent quelques identifications de qui est « grand
public », telle cette réponse d’un directeur de publication :
45
« Le grand public est un ensemble hétérogène regroupant différents sous
groupes (étudiants, petits acteurs économiques, épargnants, cadres…) chacun
de ces groupes en fonction de ses spécificités développe un besoin pour une
information économique particulière »
Les arguments de ce besoin d’information du grand public sont évoqués de
manière variée. Mais c’est en grande majorité pour les besoins liés au
quotidien et au niveau de vie du citoyen, explicitent nos interviewés. Là aussi
il y a une dimension de connaissances (savoir, connaître, être au courant,
comprendre etc) ; mais aussi une dimension pragmatique donc dans la
mesure où cette information économique sert à une finalité (agir, gérer son
budget et son quotidien, prendre une décision etc.).
Voyons plus en détails ces réponses car elles sont édifiantes à mettre en
avant ici :
Voici des exemples des arguments allant dans le sens du besoin de
l’information pour le grand public en termes de l’agir sur sa quotidienneté.
Cette idée est explicitée par nos répondants chacun selon ses termes :
-
« Tout le monde a besoin d’information économique. Le citoyen quand il
achète un produit plus cher ou moins cher que d’habitude, il a besoin de
comprendre les raisons» ;
-
« Incontournable, car tout le monde passe à l’ardoise (factures, achats,
salaires….) toutes les activités sociales passent par la question des
coûts. »
« Oui, pour comprendre son environnement économique afin de pourvoir
gérer son quotidien et son budget »
« Bien sûr, l’économie est importante dans la vie du citoyen. Il a besoin
de l’info pour gérer son quotidien »
« Oui, Pour avoir une vision globale sur son environnement économique
et gérer son budget et surtout les gens qui s’intéressent à l’entreprise ».
-
46
-
-
-
« Oui, afin de comprendre les tenants et les aboutissants des décisions
prises au sein du gouvernement, mais aussi dans la vie quotidienne »
« Oui, dans certains cas comme pour la loi de finances ;la caisse de
compensation, les privatisations, les impôts et la fiscalité » ;
« Oui pour lui permettre de se faire une idée sur les grandes orientations
économiques du pays, l’aider à prendre des décisions dans sa vie de
tous les jours, l’orienter dans ses choix, le conseiller dans certains cas
(impôts, recours légal) » ;
« Oui parce qu’elle touche le quotidien de chaque consommateur, sa vie
personnelle et professionnelle »
« Oui, car une grande partie de nos problèmes viennent de
l’organisation actuelle de l’économie et des choix économiques de
l’Etat »
« Oui, car c’est une information qui impacte quand même le quotidien du
consommateur que ca soit à travers l’augmentation du prix des matières
premières, des taxes à payer et des nouveaux dispositifs de l’Etat vis-àvis d’un secteur ou un autre ».
D’autres arguments sont évoqués en lien avec l’utilité de l’information
économique et citoyenneté (participation à la vie publique et politique). Voici
des extraits des paroles de nos répondants :
-
-
-
-
« Oui, le besoin est là, de plus il y a un lien évident entre politique et
économie d’où l’intérêt d’accéder à l’info économique pour pouvoir agir
en politique. Tout passe d’ailleurs par la politique, la fiscalité, les
investissements, les salaires... ».
« naturellement, les citoyens ont besoin d’information économique… c’est
le moyen de faire avancer la participation à la vie publique en général, le
citoyen prend conscience à travers l’information éco du lien des
questions de sa propre vie avec le système, les lois et la politique… »
« Absolument, pour lui permettre de comprendre que sa participation, en
sa qualité de contribuable, est utilisée dans l’intérêt de
l’épanouissement de la collectivité. En clair, pour arriver à le
responsabiliser avec un contrat : Un contribuable a l’obligation de payer
ses impôts et le droit de demander des comptes » ;
« Oui. Cela lui permet d’avoir une idée sur le politique et l’économique »
« Oui c’est important dans la mesure où il a besoin d’acquérir les
informations primaires qui lui permettent de comprendre le rôle qu’il
doit jouer car l’économie est liée au politique. Le citoyen est
indirectement lié à la décision économique ».
b- Mise à disposition de l’information économique pour le public
Ces différentes réponses concernent un idéal pour lequel tout le monde est
unanime : le droit du grand public à une information économique.
Maintenant, considérons ce que pensent nos répondants effectivement, le
grand public Marocain disposerait-il d’une information économique ?
47
Ainsi, parmi les répondants par l’affirmative, certains font suivre leur
affirmation par un « mais » qui nuance et qui pointe du doigt les lacunes,
manques et autres difficultés relatives à l’accès effectif à l’information. D’une
part, ces difficultés concernent le plus souvent deux aspects : le média
économique et le métier du journaliste économique. La difficulté tient au
manque d’effort de vulgarisation du savoir économique pour qu’il soit à la
portée du citoyen moyen. La difficulté concerne également la langue utilisée
(le français) qui n’est pas maîtrisée par le grand public. Et en général, elle
touche à la faiblesse du milieu médiatique économique au Maroc.
Exemples :
-
-
-
-
«j’ai le sentiment qu’on fournit des indicateurs en vrac qui ne parlent pas
aux citoyens » ;
« Je pense que le grand public marocain est malheureusement analphabète
et ignorant des questions économiques » ;
« Oui mais le problème qui se pose c’est que les lecteurs n’ont pas tous la
capacité de déchiffrer l’information économique. Les journaux et magazines
doivent faire un effort supplémentaire pour rendre l’info accessible et
compréhensible par le grand public. Par exemple : rédiger avec un style
simple, faire une analyse méthodique de l’info. C’est surtout valable pour
les journaux généralistes. Pour les autres supports spécialisés, je pense
que le lectorat est plus averti » ;
« Oui mais il y a encore des choses à faire au niveau de la presse
arabophone économique car la majorité des Marocains parlent arabe. La
presse arabophone économique n’existe pas » ;
« Moyennement, car il n y a pas assez de publications en arabe. Les
médias ne donnent pas beaucoup d’importance à l’information
économique » ;
« de façon superficielle, l’info éco est toujours élitiste……… » ;
48
-
« Oui mais elle n’est pas suffisante parce qu’il y a très peu de médias
économiques ».
Et d’autre part, les difficultés sont retournées au grand public lui-même : il
ne lit pas ; il est analphabète, il préfère les supports à polémiques… voici des
extraits de ce type de réponses :
-
-
« Oui l’information est disponible mais le problème c’est le lecteur marocain.
On à une clientèle de masse qui préfère les supports arabophones et les
supports de la polémique » ;
« Oui, mais il faut se poser la question « est ce qu’il va la chercher ? ». Je ne
pense pas parce qu’il ne se sent pas concerné. Les gens ne lisent pas. » ;
Pour ceux ayant répondu que le grand public marocain ne dispose pas
d’information économique, leurs arguments sont les suivants :
L’information reste très codée et élitiste et l’usage du français comme langue
dominante dans les médias économiques au Maroc complique encore la
donne. Sont également citées les difficultés touchant le lectorat en termes
d’analphabétisme de même que la faiblesse numérique des supports
spécialisés.
Voici des extraits de ces arguments :
-
« En général l’information économique est diffusée en français donc elle
peut exclure ceux qui ne pratiquent pas cette langue » ;
« Il y a un problème d’alphabétisation. Notre lectorat est limité » ;
49
-
-
« Non. Il faut dire qu’on a beaucoup avancé. On accède mieux qu’avant
aux informations mais, les gens ne lisent pas » ;
« On n’a pas beaucoup de supports spécialisés. Il y a un grand écart
entre la démographie et le nombre de journaux. Il y a un taux
d’alphabétisation très élevé. On n’a pas la culture de la lecture » ;
« De manière générale la presse économique est destinée à des gens
qui ont un diplôme ou un certain bagage qui leur permet de comprendre
le marché financier. Parfois, on a des infos qui ne sont pas disponibles
en arabe et difficiles à traduire et donc l’info ne parvient pas au citoyen
arabophone »
Au-delà des perceptions construites individuellement, subjectivement, il y a
lieu de se demander si les media économiques ont des outils qui leur
permettent de connaître leur public. La réponse à cette question est très
relative, il y a certes une définition pour quelques-uns des décideurs
concernant la tranche visée du public, mais cela n’est pas réellement vérifié.
En tout cas, pour une grande publication et pour la question suivante :
« Avez-vous jamais réalisé une étude pour prospecter votre public ? », nous
avons reçu la réponse suivante : « Oui nous le faisons régulièrement à
travers un service chargé exclusivement des politiques de développement de
la publication. »
Et pour identifier les cibles de cette publication ? « Nous distribuons
gratuitement des exemplaires de notre publication aux grandes écoles pour
drainer les lecteurs de demain ».
A la question : « Faites vous du marketing pour la vente de votre
publication ? Comment ? » Nous avons obtenu des réponses évasives,
laissant entendre que cela s’est fait au démarrage du titre.
c- Quels types d’informations intéressent le plus le public, selon les
professionnels ?
« Les informations qui concernent les droits sociaux, les impôts, la douane des
équipements, les produits de large consommation, etc », nous dit un patron,
un autre qui affirme avoir un lectorat supérieur à 20000 exemplaires vendus
estime que « ce que nous avons en exclusivité attire notre public et donc ce
sont les informations découlant d’investigations ». Un troisième affirme que
dans sa publication le public apprécierait « les sujets de proximité et certains
propos des experts ». Ou encore pour un autre plus accroché aux volets de la
finance « le public est attiré par les informations sur les réalités financières
des sociétés, surtout celles en relation avec la bourse ». Plus encore « Les
sujets de proximité et les questions à caractère socio économiques exemple : le
50
programme des dvd, les tarifs de prestations de la protection civile, les
enquêtes de consommation, les pensions retraites, les salaires,…. ».
A quoi s’ intéresse le public ?
grandes
controversse
27%
Pas de réponse
24%
grandes
enquêtes
6%
scoops
43%
Que disent les chiffres de notre enquête ? 35,5 % des interrogés déclarent
que ce sont les informations exclusives ou scoops qui attirent le public dans
leurs éditions, 13,3% estiment que les lecteurs apprécient les enquêtes et
investigations, 31,1% affirment que le public apprécie les grandes
polémiques ou controverses, 7% croient que le public cherche l’analyse dans
leurs publications. On peut remarquer d’abord que plus de 12 % ne
répondent pas ou formulent des réponses hors de ce champ. Il s’agit
finalement d’une proportion non négligeable. Mais plus est, il semble, aux
yeux des professionnels, que les analyses n’attirent pas le public marocain
et ne sont pas considérés comme un genre porteur dans la presse
économique, ce qui est relativement paradoxal. Il y a d’ailleurs une
contradiction flagrante dans les propos des entretiens réalisés avec certains
patrons du secteur qui mettent l’accent sur l’analyse comme le genre
distinctif de la presse économique et financière et ces résultats quantifiés
reposant sur les réponses des professionnels à notre questionnaire.
d- Les medias économiques et les débats publics : quels liens ?
Examinons ce sujet directement par les réponses formulées lors des
entretiens et des réponses au questionnaire ; nous avons demandé : « Avezvous eu des sujets économiques qui ont donné lieu à un grand débat
public ? » la réponse a été affirmative pour la plupart des journalistes ; nous
avons demandé aussi : « Pourriez-vous nous citer des exemples ? » et là ;
nous avons dégagé une série de réponses dont les suivantes :
51
« La question du retrait du permis de conduire avant le nouveau code de la
route a été l’occasion d’un débat national y compris au parlement grâce à un
éditorial de notre publication ».
« Le business du Roi, qui est devenu un sujet important de la scène
politique nationale »
« Les taux de dédouanement des voitures et véhicules, le projet de loi des
finances … »
« Il nous est arrivé de contester les conditions d’introduction d’une société en
bourse et l’opération a été annulée par la suite. Donc les débats concernent
surtout un segment particulier pas le grand public. »
« Les prix des hydrocarbures »
« Le programme des départs volontaires »
« Le plus récent, le projet de loi de finances2012 »
Ce sont là des sujets qui ont effectivement suscité le débat public au Maroc,
leur mention a été faite dans nos entretiens essentiellement avec des
patrons de presse ou des responsables de rédaction de médias économiques
ou assimilés.
Cela nous permet d’abord de dire que les débats publics peuvent être
suscités aussi par des questions non directement économiques même sur
des supports réputés économiques ; quant aux réponses recueillies on
pourrait dire qu’elles n’apportent que partiellement une idée sur les sujets
économiques qui ont donné lieu à un débat public, la liste reste modeste par
rapport à l’étendue des sujets ayant donné lieu en économie à de grands
débats au Maroc. Cependant on est ainsi certains à travers ces exemples, du
fait que les informations économiques sont des champs riches pour
provoquer et développer le débat démocratique et citoyen dans notre pays.
e- Des aspects contradictoires
Sur le plan statistique, les résultats directs indiquent que 85% de
l’échantillon affirme son intérêt pour le débat public
dont 85% des
journalistes de l’échantillon, 83% des patrons et 78% des responsables de
rédaction. Bref, une tendance nette favorable aux débats publics et partagée
par tous les intervenants du métier. Par contre, en creusant dans le détail
des résultats recueillis d’après les questionnaires, l’intérêt se précise : 46,5%
de réponses affirment que les débats publics se produisent autour
d’informations sur les grands projets régionaux, 17 ,5% seraient le résultat
52
des affaires immobilières, 11% sont relatifs à la Bourse, 6,6% s’intéressent
aux enquêtes sur les riches, les salaires, la santé. Et puis 4,4% sur les
grandes entreprises, la fiscalité, l’énergie….On précisera que 6% d’autres
réponses ont évoqué des sujets épars, alors que quasiment 10 % de
l’échantillon ne se sont pas exprimés.
Sur le plan méthodologique, le schéma ci-dessus est fondé sur la fréquence
des réponses sur une liste ouverte. Il révèle une contradiction entre les
réponses des responsables de publication et de rédaction d’un côté et celles
des journalistes composant l’échantillon de l’autre, surtout sur des
questions particulièrement signifiantes, telles la fiscalité, l’énergie, les
salaires, les grandes entreprises. Les conséquences sur l’échantillon examiné
sont importantes. En effet, celui-ci, rappelons-le, est composé de 60% de
journalistes, 13,5% de patrons de presse, 20,5% de responsables de
rédactions et 6% de commerciaux ou cadres de gestion.
Le débat public apparait -de fait - comme objectif mineur dans les
motivations des patrons et des journalistes dans le cadre des objectifs
recherchés par les publications. Il s’agirait pour la plupart des publications à
l’exception d’une seule, d’une conséquence non recherchée !
Sur la grille des réponses on découvre une confusion éditoriale qu’on
pourrait qualifier comme suit : les patrons des publications sont plus
soucieux de la santé économique de la publication, ils examinent toutes les
questions à travers leur propre projet d’entreprise (fut ce- t-elle de presse).
Ce paramètre semble déterminant dans toutes leurs appréciations. Les
journalistes de leur coté se plient aux exigences éditoriales de leurs
publications et c’est dans cette grille qu’ils ont répondu souvent à nos
questionnaires et entretiens. Finalement, l’habillage éditorial est surtout
présent chez les responsables des rédactions chez qui le souci de cohérence
dans le traitement des problématiques liées aux politiques publiques et à
l’économie est pris en considération.
III-4. Processus de la fabrique de l’information économique
a- Le français est-il un handicap ?
L’accès à l’information n’est pas seulement une question de lois obligeant
les détenteurs d’informations ayant un intérêt public de les mettre à
disposition des intéressés, elle pose le problème de moyens et d’outils
d’accès aussi. Par exemple 70 % de citoyens marocains ne lisent pas le
français ou possèdent une connaissance très rudimentaire de cette langue.
Pourtant c’est en français que la quasi majorité de l’information économique
53
est dispensée, et lorsque on assure que l’arabe est une langue ne convenant
pas aux opérateurs, de quels opérateurs parle-t-on ? Est-ce de la majorité
écrasante des PME et PMI qui ont des chiffres d’affaires généralement
modestes ou de cette minorité dominante qui est largement francophone
voire francophile et cumule les résultats nets positifs exorbitants pour
lesquels parler de temps de crise ressemble à une plaisanterie de mauvais
gout ?!
Au niveau des résultats, à la question de savoir si la langue constitue un
handicap pour l’information économique, les réponses des interrogés sont
presque à égalité (44,4% oui ; 51,1% non). Et ne renseignent donc pas sur
cette réalité du tissu médiatique au Maroc.
Pour nos interviewés, dans le cas où la langue constitue un handicap c’est
d’abord et surtout à cause du problème de la langue et du langage trop
technique (traduction & compréhension). Voyons les réponses en détails.
« la majorité du grand public ne maitrise pas la langue
française » ; «absence d’un support arabophone spécialisé en
économie » ;
- « la majorité des citoyens ne lisent pas le français sachant que la
totalité des supports sont francophone ». « Les journalistes trouvent une
difficulté pour simplifier et transmettre l’information économique » « non
maitrise du jargon économique par les journalistes et les lecteurs » ; …
- « l’information économique publique ou privée est aujourd’hui
essentiellement produite en langue française excluant de son champ de
facto les franges ne maitrisant pas cette langue » ;
- « L’économie reste un domaine réservé des francophones. Les
difficultés techniques excluent du débat une large partie de la
population. » ; « C’est encore une fois la conséquence de l’absence de
volonté de vulgariser le sujet pour impliquer l’ensemble de la société » ;
- « Il faut aller dans les kiosques la plupart des supports sont en
français. Les arabophones donne l’information brut ».
Cette question nous a révélé aussi une autre carence du journalisme
marocain, certains ont développé des réponses plus étoffées où on note la
reconnaissance de la non maitrise des langues étrangères les plus présentes
au Maroc au-delà de la langue française .Un journaliste relie la question de
la langue avec sa pratique pour signifier l’handicap que posent d’autres
langues (anglais et espagnol) : « Oui, parfois on a des informations paraissant
dans des médias étrangers en espagnol ou en anglais qu’on ne peut pas
décrypter. Parce qu’on est amené à être en contact avec les opérateurs de
différentes nationalités, il serait bon d’être au moins bilingue».
54
Ceux ayant répondu par la négative, pensent soit qu’il s’agit d’un faux débat,
soit en restant conformes à leur idée sur leur cible déclarent que la langue
n’est pas un handicap car justement la cible visée de leurs supports est
francisante, ceci leur facilite par conséquent leur pratique. Voici des
exemples :
-
-
« Non, la presse économique est destinée aux décideurs qui maîtrisent
bien le français » ;
« non puisque la majorité des décideurs s’expriment en français » ;
« Non la langue n’est pas un handicap, la plus part des décideurs sont
francophones et il n’y a pas de journaux spécialisés en arabe » ;
« Non au contraire. Et puis dans le Monde des affaires le français est
plus utilisé. Aussi, on trouve plutôt l’information en français, en anglais
ou en espagnol qu’en arabe. Les communiqués économiques sont
presque tous rédigés en français. C’est un atout ».
« En général le lectorat est francophone et en termes de recherche
d’infos je trouve que c’est un atout ».
D’autres réponses mettent en avant, dans une note d’espoir, le
développement de plus en plus réel d’une presse économique en arabe
comme ce journaliste qui répond : « Non, il existe des supports en langue
arabe qui font du bon travail journalistique en éco (d’ailleurs, j’ai fais une
partie de ma carrière en tant que journaliste arabe économique, c’est vrai que
nous étions une petite poignée, mais grâce à nos efforts, nous sommes arrivés
à nous rendre indispensable et à démocratiser l’info économique ». De son
côté, un responsable de publication répond : « non pas vraiment, les
opérateurs publics comme privés ont compris que l’utilisation des deux
langues est indispensable pour que le message atteigne sa cible, ce n’est pas
encore généralisée, mais ça viendra grâce notamment à une presse
arabophone de plus en plus professionnelle ».
Le seul journaliste dans notre échantillon ayant travaillé dans une émission
économique en langue arabe pour la télévision, actuellement rédacteur en
chef d’une chaîne publique bilingue considère que « c’est surtout une
affaire de compétence et de savoir faire des intervenants, si on fait une
bonne émission économique en arabe elle sera largement suivie et regardée,
et si on s’adressait aux annonceurs avec des arguments et des avantages
clairs, ils n’hésiteront pas à soutenir ».
Moins tranché sur la question un rédacteur en chef de la radio nous a
déclaré que : « Sur le marché il y a peu de journaux ou magazines de langue
arabe spécialisés en économie, peut être qu’on continue à penser que l’élite
économique demeure francophone, nous, à la radio on passe les infos
économiques également en arabe, à mon avis ce n’est pas un handicap, il
s’agit essentiellement de travailler le langage et le discours économique en
langue arabe pour le rendre plus fluide et plus intelligible par les auditeurs. »
55
Pour les autres réponses sur cette question linguistique puisées chez des
journalistes usant de la langue française, plusieurs considèrent que « la
langue reste au Maroc un handicap ». C’est aussi l’avis exprimé par un
patron de publication alors qu’un autre déclare telle une évidence ou une
fatalité : « Oui ; le français constitue au Maroc la langue des grands
décideurs ».
Mais sur le plan professionnel proprement dit, certains n’acceptent pas ce
« préjugé » ; d’où la réponse de certains comme suit : «L’information
économique a été le plus souvent abordée comme étant le moyen d’attirer la
publicité, Il n’y aurait pas de clivage linguistique si le choix éditorial aurait
opté pour un public approprié ayant un intérêt pour l’économie, la question
n’est que partiellement linguistique, le reste est un savoir-faire en
journalisme et en marketing. »
Ainsi, la réalité du marché, fait que les médias économiques ou présentés en
tant que tels, majoritairement d’expression française, sont des medias
élitistes qui s’adressent à une minorité d’opérateurs économiques et vivent
dans une compétition relative pour accéder à une offre publicitaire dominée
aussi par le support linguistique francophone. Les principaux donneurs
d’ordre et agences de communication font partie de ce lobby économique
important.
C’est un des premiers aspects mis malheureusement en évidence par cette
étude ; il illustre comment une partie des opérateurs ordinaires autant que
des citoyens se trouve privée à l’origine du droit d’accès à l’info économique
à cause de l’analphabétisme, ou de l’incapacité de lire aussi en français.
Mais n’est il pas des missions d’un secteur audiovisuel, surtout s’il est
public de veiller à faire accéder tous les citoyens-opérateurs compris – à
l’information économique ? Cet aspect ne fait pas l’objet de notre étude – du
moins directement – mais le déficit dans ce domaine aussi converge avec les
autres aspects de l’analyse pour démontrer
le déficit
de l’offre en
information économique au Maroc.
Pourtant, les opérateurs de cette catégorie sont actifs et parviennent à être
dynamiques dans leurs activités grâce à leur encadrement dans des circuits
ou réseaux professionnels traditionnels ou par des institutions publiques
qui veillent partiellement à leur encadrement (coopératives de l’artisanat, ou
PME créées par certains établissements publics pour externaliser certaines
missions ONEP, OCP.)
b- Processus de
économique
traitement
et
sources
de
l’information
Au niveau des résultats, les sources d’information, telles que déclarées
par nos répondants, sont réparties essentiellement en trois catégories,
d’abord les milieux professionnels, administratifs et officiels (40%) ;
ensuite c’est le carnet d’adresses et les relations publiques (24,4%) et
enfin, les médias (6,6%).
56
Généralement, la sélection des dossiers économiques par les praticiens du
journalisme économique est fonction de l’actualité. Très peu sélectionnent
des dossiers en lien avec un événement saisonnier et rares sont ceux qui
créent un événement. Voici quelques exemples de réponses :
-
« Nos sujets sont sélectionnés sur propositions des journalistes après
discussion. On préfère les sujets d’actualité et ceux qui donnent plus
d’éclairage aux préoccupations de notre lectorat potentiel ».
-
« Après la collecte des différentes informations on choisit l’info qui a le
plus de valeur ajoutée et qui touche le plus notre lectorat. Une
information qui pointe du doigt
un dysfonctionnement ou une
problématique économique. Un sujet faisable qui éclaire et qui donne
plus de connaissances au citoyen et qui doit lui être utile. » ;
-
« On choisit un sujet d’actualité qui s’impose puis on décide de l’angle ;
enquête sur une entreprise, un sujet relayant plusieurs aspects
économiques…. ».
-
« Il faut que ce soit une question d’actualité, il y a aussi des sujets qui
reviennent toujours à des moments de l’année (rentrée scolaire, loi de
finances….). Parfois on crée nous-mêmes l’évènement grâce à des études
réalisées par l’Economiste, des sondages (par ex étude sur les jeunes.) »
Ci-après quelques extraits de récits tels que racontés par nos interviewés à
propos de la manière avec laquelle ce travail de sélection s’opère :
-
-
« Les journalistes sont d’abord une force de propositions, les sujets et les
infos sont discutés et validés en réunion de rédaction quotidienne. Les
dossiers et analyses et enquêtes sont décidés en réunion de rédaction
hebdo » ;
« Nous procédons à plusieurs méthodes plus au moins organisées :
L’analyse de l’actualité et de la conjoncture, permet d’identifier le sujet
pouvant apporter une plus-value aux lecteurs, suit discussions avec la
rédaction ou le rédacteur en chef. … » ; durée de traitement d’un
dossier : « de trois jours à deux semaines en fonction de la complexité du
sujet et la disponibilité de l’information, parfois on sort un sujet
longtemps en instance pour avoir réussi à trouver les éléments
manquants … »
D’autres récits mettent nettement en valeur l’aspect traitement de
l’information. Comme ce journaliste qui relate ainsi sa pratique : « Ca
commence par une idée que je discute avec les collaborateurs. Je cherche
l’information (les chiffres, les études et les rapports…). Je prends contact avec
les professionnels concernés pour tester leur état d’esprit puis je constitue une
idée globale. Puis j’interviens en ajoutant ma valeur ajoutée. Je fais aussi
parler des gens qui ne parlent pas à n’importe qui ».
Un autre patron parle ainsi de sa pratique : « J’essaye de partir d’une
information officielle, incontestable, puis de chercher à comprendre comment et
par quel biais le chiffre est produit. Donc si les hypothèses sont fiables et
surtout, mon intérêt principal, si elle n’occulte pas une mauvaise nouvelle pour
57
la collectivité. A partir de là, je recoupe avec des intervenants du secteur qui
avancent une vision décalée, j’essaye de regrouper de la documentation, des
témoignages puis je regarde « the Global Picture » pour voir si vraiment
l’information traduit la réalité ».
Un autre journaliste raconte : « Je cherche la pertinence dans l’actualité. Je
filtre la cible. Je cherche à apporter un effet sur la communauté. Je mesure les
conséquences des décisions sur la région et la population en termes de
chiffres. En parlant de chiffres je décrypte les messages et les informations
brutes ».
A la question d’identifier les usages de nos interviewés par rapport aux
communiqués des ministères et du HCP, les réponses sont variées.
D’abord une réponse sans équivoque « La poubelle », dit un directeur de
publication.
La réponse d’un rédacteur en chef est plus nuancée : « Une partie : à jeter
dans la poubelle ; Une partie : quelques informations qui méritent de sortir en
tant que brèves ; Une partie : des informations qui méritent de réaliser une
enquête et qui exigent le développement ».
Les avis sont cependant partagés, un patron et ancien journaliste répond :
« Ces données constituent un appui dans le traitement de l’information ».
D’autres journalistes répondent ainsi :
-
-
« C’est une matière pour l’analyse pour y déceler l’opportunité
d’investigations éventuelles » ;
« Une base pour nos dossiers et nos articles » ;
« une matière qui nécessite le décryptage » ;
« on s’en sert pour étayer l’info… » ;
« C’est une base pour notre travail » ;
« Le point de départ d’un papier, jamais une finalité » ;
«On prend les articles et les rapports, on contrebalance l’information tout
en restant objectif » ; « On les interprète et on fait appel au savoir faire de
experts »
« Ce sont des chiffres nécessaires pour expliquer d’autres sujets. C’est
une information supplémentaire » ;
« On travaille sur cette base et réécrit ces données dans un langage plus
simple pour le rendre plus fluide ».
b- Multiplication et recoupement des sources.
A notre question : « Dans le traitement d’une info économique, tenez-vous à
multiplier vos sources ? », fondamentale pour aborder la prise en compte de
la pluralité des sources possibles, la quasi totalité de notre échantillon
affirme multiplier ses sources (93,3% en total). Plusieurs abordent cela en
évidence (« automatiquement »), « C’est le ba.ba du journalisme » selon un
responsable de publication. C’est même « une obligation » disent d’autres.
58
Pour un rédacteur en chef : « « Oui c’est la condition sine qua none de tout
travail journalistique ».
En ce qui concerne le nombre de sources, les résultats montrent que la
réponse en général est l’usage de 2 à 3 sources. C’est ce que confirment les
propos suivants : Un journaliste répond : « Bien sûr, jamais moins de deux
sources pour recouper » ; une rédactrice en chef va dans le même sens en
déclarant : « au moins 3 sources dans un papier ». Et un autre journaliste
d’expliciter encore : « oui trois ou quatre sources pour un article et dix sources
pour un dossier ; critères recoupement : Ca dépend du secteur. Ca peut être
des sources officiels (ministères-fédérations…) même si ceux là ne donnent
pas beaucoup d’informations, ou des gens qui connaissent le sujet et qui
peuvent donner des informations beaucoup plus intéressantes, plus de teneur
dans l’analyse et plus de valeur ajoutée à l’article ».
Mais malgré cette tendance, la réponse d’un autre journaliste semble
nuancer la pratique consacrée, ou même la remettre en cause. Il dit : « On a
un problème de temps. Une seule source suffit. Mais parfois tu es obligé de
faire appel à plusieurs sources ». Est-ce que faute de temps, les journalistes
pourraient sacrifier la pluralité des sources ? Est-ce un justificatif valable ?
Les critères de recoupement sont variés selon les différents profils de nos
répondants ; voici quelques exemples de réponses qui sont autant
d’éclairages sur la mise en pratique de ce principe :
-
-
-
-
-
« Multiplier les sources, aller vers les personnes ou institutions
concernées, avis des observateurs du domaine et proches des personnes
concernées. » ;
« Validation à la source minimum une ou deux fois » ;
« Avoir l’avis de tous les intervenants en les mettant face à face en
s’aidant de l’avis d’experts et des enquêtes de terrain » ;
« En dehors d’un document officiel, toute information doit être recoupée ; toute situation opposant deux parties ou plus doit donner l’opportunité à
chaque partie de s’exprimer ».
« Avis contre avis, benchmark, réactions, interviews » ; aspects
intéressant le public : « valeur ajoutée éditoriale, la prise de position
l’analyse »
« Le sérieux de la source » ;
« Fiabilité des sources. Est-ce qu’elles ont un vécu, un accès à
l’information, bref s’ils ont « autorité » en la matière » ;
« La véracité de l’information – la pertinence – l’apport de l’information »
« Il y a plusieurs sources : différents experts externes. Quand une
institution ne répond pas on essaye de chercher ses partenaires, on fait
appel à plusieurs sources. ».
« En général on essaye d’avoir des réseaux dans chacun organisme
c’est ce qu’on appelle les relations de confiance ».
Quel est l’apport des experts dans le traitement d’une information
économique ?
59
Au niveau des résultats, l’apport des experts est d’abord nécessaire (avec
en total, 77,7%) et ensuite « utile » (avec en total seulement de 20%).
Au niveau des déclarations, les réponses donnent une idée sur les
arguments et les perceptions de cet apport : éclairage, vulgarisation,
expertise et savoir faire comblant le manque chez le journaliste,
objectivité, réalisme, crédibilité, etc.
Voici des extraits explicitant ces perceptions relatives au rôle des experts :
-
« Analyser et donner un avis réaliste » ;
« Aider à éclairer et vulgariser l’information grâce à la maîtrise des
sujets» ;
« Apporte du crédit à l’information et un éclairage pertinent ».
« Nécessaire pour combler l’absence d’expertise du journaliste dans
certains domaines» ;
« Il nous aide à décrypter l’information et à donner plus de poids à nos
travaux, il apporte le côté scientifique qui manque au journaliste »
« la [l’info économique] décrypter et l’analyser »
« lecture objective de l’info et analyses pertinentes »
« nous aide dans l’analyse, »
« pour nous aider à comprendre les tenants et les aboutissants, en clair
pour nous aider à vulgariser sans perdre en précision. »
« Faire les commentaires des données chiffrées, les
analyser et
décrypter les informations ».
« Le journaliste même économique est un généraliste. Il n’y a que l’expert
qui peut apporter des précisions dans son domaine » ;
« Clarifier davantage certaines informations – donné plus de profondeur
et de crédibilité à l’article ».
« Un regard indépendant et professionnellement objectif »
« Ils nous éclairent un peu plus en détails, ils nous donnent leurs avis
autant que professionnels du marché. »
Conclusion de la partie
-
La préoccupation de mettre en confiance les donneurs d’ordre de la
publicité, patrons de grandes boites publiques et privées, est
prépondérante.
-
Une tendance à prédéfinir le public cible pour lui proposer un produit
sans même se soucier de ce qu’il en pense !
-
Classement en dernier du débat public comme objectif dans l’ordre
hiérarchique des motivations des patrons et des journalistes.
60
IV- Pressions et problématique
d’indépendance des supports
économiques
Dans le contexte marocain, l’information économique requiert
une
importance politique parce qu’il est difficile d’ailleurs de penser à un
schéma aseptisé de l’économie. Le fait est que l’économie souterraine ou
parallèle, l’économie des passe-droits et privilèges, la corruption et la fraude
qui dominent le comportement de L’Etat dans le domaine économique sont
des facteurs majeurs
composant le champ économique et font que
l’information économique n’est pas neutre mais constitue d’abord un enjeu
politique et un facteur de réforme et de nécessaire transparence pour le
développement socio économique , pour la modernisation du tissu
économique et pour le changement politique dont l’une de ses illustrations
majeures est le changement du comportement de l’Etat dans le domaine
économique.
L’information économique se trouve ainsi au cœur des facteurs de
changements devant intervenir dans les prochaines années et sa non
accessibilité pour la majorité des citoyens est finalement un lieu de conflit à
caractère politique évident.
Il y a des frontières intéressantes dans notre questionnaire qui illustrent
l’état de l’information au Maroc. Trois questions successives en témoignent :
IV-1. Pressions externes
a- Votre publication a-t-elle été interdite, censurée ou poursuivie à
cause d’une information ?
Sur la quinzaine de support sur la place avec la régularité de parution et
l’existence d’une structure aussi symbolique et modeste qu’elle soit ; et sur
l’échantillon global des journalistes, on apprend que trois publications
seulement de ces supports ont été victimes de poursuites et tracasseries
judiciaires, deux d’entre elles font partie de la tête du peloton de la presse
nationale d’expression française, la troisième est moins bien placée sur le
marché. Est-ce un indicateur de liberté ou faut-il interpréter cette situation
par d’autres considérations ? La réponse ne peut être reconnue qu’en
examinant les réponses aux autres questions du formulaire. Cela indique
globalement l’existence de limites qui sont imposées à la presse et à
l’information économique que nous devons à travers ce travail pouvoir mieux
expliciter. Sur la liste des patrons et responsables de rédaction interrogés,
deux seulement ont exprimé que les poursuites relèvent du risque qu’ils
encourent souvent, l’un d’eux a dit qu’ayant encouru des tracasseries il s’est
61
résigné à une relative autocensure pour ne pas faire perdre des revenus aux
familles qui vivent de l’activité de ses publications. L’autre a dit considérer
ce risque comme un corollaire à une profession qui connait des difficultés au
Maroc, il est plutôt satisfait de l’attitude de ses patrons et associés et
déclare : « j’ai eu la chance de travailler dans des supports authentiquement
indépendants ».
Les propos des journalistes mettent en avant un aspect plus grave dans leur
vie professionnelle, à savoir l’autocensure : « Au Maroc personne ne t’empêche
de paraitre car tu pratiques déjà une autocensure et tu ne proposes jamais
une info qui sera refusée. »
Un autre journaliste évoque une autre variable liée à la taille de la
rédaction : « Très souvent on te dit non sans t’expliquer pourquoi. Parfois
aussi ce sont les intérêts commerciaux et c’est plus fréquent dans les «
petites » rédactions ». Mais quand celui-ci dit petites rédactions entendant
par là le nombre réduit des journalistes les composant, il décrit
pratiquement la quasi-totalité des rédactions à l’exception de deux supports
qui ne se démarquent pas tellement d’ailleurs en termes de taille.
Un ancien journaliste nous relate ainsi son expérience et avance une
explication relativement à la situation du journalisme économique au
Maroc : « Je travaillais dans un journal qui disposait d’une réelle capacité
d’enquête et de décryptage des événements économiques ayant marqué le
Maroc. Le support a été interdit, ensuite toléré mais asphyxié économiquement,
après un déluge de procès, il a été fermé pour causes « fiscales ». Il est
nécessaire de rappeler, que de par mon expérience, l’incapacité des politiques
et des entrepreneurs à défendre leurs stratégies, leurs décisions économiques
sont renforcées par la facilité de réprimer économiquement ou judiciairement
les supports. ».
b- Y a-t –il une information économique qui aurait affecté vos
relations avec vos financiers ?
Aucun patron n’a confirmé l’existence de tels événements, c’est à croire que
c’est une éternelle lune de miel ou état de grâce entre bailleurs de fonds ou
investisseurs d’un côté et les responsables des publications de l’autre,
d’ailleurs tous les responsables interrogés déclarent que leurs financiers ne
mettent aucunement leur nez dans les affaires des rédactions.
En ce qui concerne la version des journalistes ou d’anciens journalistes,
rédacteurs en chefs, elle est plus riche en chiffres. Ainsi :
-
15 ,2% affirment que des informations en relation avec les propriétaires
du support ne peuvent être publiées
Le tiers des interrogés reconnaissent que les considérations politiques
peuvent empêcher la publication d’une info,
42 % disent que les intérêts des annonceurs ne doivent pas souffrir de
préjudice !
62
Une fois, invités à préciser leur pensée, ils sont diserts en mots. « Oui,
l’affaire Addoha. Le groupe a tenté de censurer un dossier le concernant
essayant de nous intimider par différents moyens sans y arriver, allant
même jusqu’à menacer d’intenter un procès, chose qu’il allait effectivement
faire si ce n’est le déclenchement du mouvement du 20 février qui l’en a
dissuadé de se mettre en avant de la sorte. Quoiqu’il en soit nous étions sûr
de nos informations avec preuves et justificatifs. Cela nous a valu le
désistement de plusieurs annonceurs qui reviennent aujourd’hui petit à
petit ».
Un autre journaliste explique également :
« Pour l’enquête Addoha, c’est un des plus grands coups de notre
publication, nous avions des informations de première main incriminant le
groupe Sefrioui. Nous avons demandé à plusieurs reprises de les rencontrer
pour avoir leur version des faits avec des preuves et justificatifs de notre
enquête et une date butoir de publication. Personne n’a voulu nous recevoir,
ils ont essayé de stopper la publication par diverses actions et pressions,
après la sortie du dossier il était même question d’un procès, chose qui ne
nous faisait pas peur. Les pressions se sont intensifiées, certains de nos
annonceurs se sont désistés, mais avec l’avènement du Mouvement du 20
février les choses se sont calmées et Addoha a même fait marche arrière
concernant le procès ».
Un autre journaliste va plus loin en décryptant le journalisme au Maroc en
lien avec le monde économique et politique. Il dit que les ingérences sont la
règle. « L’investigation est assimilée à la révolte, à une vision
systématiquement négative » « le support qui choisit une telle démarche est
donc un support pas patriote et ne mérite pas de rentrées publicitaires.
L’économie marocaine étant organisée en quasi « oligopole », et l’autorité
politique très centralisée, il est très aisé d’asphyxier les supports qui font de
l’investigation leur crédo, surtout économique».
c- Avez-vous été empêché de diffuser une information ?
Plusieurs patrons affirment avoir subi des pressions de la part de lobbies
puissants pour entraver la publication d’informations, la plupart affirment
avoir résisté et qu’ils sont passés outre ces menaces. Un patron le déclare
directement : « Oui, nous avons été poursuivis par des tiers et subis
plusieurs fois des menaces de certains lobbies pour empêcher la publication
d’informations. » affirme- t- il. Un responsable d’une rédaction dit : « non
pas directement, on m’a parfois demandé de changer la façon de traiter le
sujet pour éviter de tomber dans la partialité. », un autre déclare « pas
directement ». Et lorsqu’on passe aux journalistes sur les mêmes questions,
on se trouve dans un dilemme, la plupart de ceux-ci affirment avoir subi,
pressions et été amenés à faire leur propre autocensure de la part de leurs
patrons et ce, pour de multiples raisons. Sur le plan statistique, 50 % des
interrogés dans leur ensemble reconnaissent avoir été empêchés de publier
63
une information ; alors que 50% se disent avoir ne pas être dans cette
situation.
Avez-vous été empêché de publier
une info ?
Pourcentage
57,6
39,4
3
Pas de réponse
oui
non
Au niveau des raisons de l’empêchement, nos répondants avancent d’abord,
le lien de l’information avec un annonceur ; ensuite le lien avec un problème
politique et en troisième lieu la divergence d’évaluation dans la conférence
de rédaction.
L’analyse de ces réponses démontre que l’information économique telle
qu’elle est dispensée aujourd’hui aux lecteurs
subit des contraintes
majeures et que les publications sont la plupart victimes de l’autocensure
provoquées par les pressions politiques et financières. Un journaliste
exprime cela d’une manière très éloquente, il dit : « parfois on renonce au
sujet conflictuel, parfois on change d’angle … ». Un autre journaliste est plus
explicite en répondant ne pas subir de pressions « parce qu’on connait les
lignes rouges ».
d- Les pressions des annonceurs : qu’en est-il ?
On note que sur l’ensemble des pressions exercées effectivement ou
potentiellement sur les patrons et les journalistes, c’est la pression des
annonceurs qui est la plus présente dans les réponses.
« Oui. Des annonceurs retirent les commandes d’espaces pub à cause de la
publication d’une information qui ne leur est pas favorable » ;
« « Oui, dans le cas des annonceurs fâchés d’une information publiée sur le
journal et qui retirent leur pub. »
« Avec les annonceurs, Oui. Ils veulent toujours que le traitement des sujets
soit à leur faveur.»
64
Pourquoi une telle convergence ? Pourquoi les patrons et patrons des
rédactions hésitent à mentionner d’autres pressions et concèdent à dénoncer
celle-ci ?
Dans les entretiens que nous avons faits, ci-dessous un extrait qui illustre
la situation :
- Ressentez-vous une pression de la part des annonceurs ?
- OUI
- Quel genre de pression ?
- La menace de couper la Pub
–En quoi cela influe sur votre travail ?
- Nous n’avons jamais passé une information pour plaire à un annonceur. ».
Une autre version de cette réponse est celle d’un chef de rédaction :
-Ressentez-vous une pression de la part des annonceurs ?
- Oui mais cela ne m’a pas empêché de faire mon travail
- Quel genre de pression ?
- Toutes sortes de pression mais essentiellement celle de priver le support des
commandes publicitaires.
– En quoi cela influe-t- il sur votre travail ?
« Pas grand-chose, cela me favorise pour obtenir des informations dans la boîte
concernée puisque d’autres intervenants estiment alors souvent que je suis
crédible pour me livrer des choses qu’ils refusent de divulguer aux autres de
peur d’être démasqués, mais finalement certains annonceurs en utilisant la
menace de leur carnet de commandes publicitaires démontrent qu’ils sont de
mauvais communicants ».
Une autre variante de réponse se présente ainsi :
-Ressentez-vous une pression de la part des annonceurs ?
- OUI
-Quel genre de pression ?
- La menace de suspendre les commandes de publicité
–En quoi cela influe-t- il sur votre travail ?
- Pas grand-chose, les principaux annonceurs qui traitent avec notre
publication sont ceux liés au secteur financier, ils sont fidèles et nos relations
sont très professionnelles
65
Ou encore :
-Ressentez-vous une pression de la part des annonceurs ?
-Oui ce fut le cas très souvent mais sans suite, j’ai toujours refusé ce type de
rapport.
- Quel
genre de pression ? Menaces de suspendre les commandes
publicitaires.
–En quoi cela influe-t- il sur votre travail ? Aucunement, j’ai été toujours
conforté par les responsables de la publication
Dans l’ensemble, les patrons reconnaissent formellement l’existence de
pressions des annonceurs sur les publications et les rédactions, mais
déclarent l’inefficacité de ces pressions ou l’échec de leur effet sur la
diffusion des informations !
Dans cette logique il est important de revenir à certaines évidences, tout
d’abord la plupart des entreprises de presse déclarent que le principal
facteur de leur survie économique repose sur le carnet de commandes
publicitaires, lequel constitue pour la plupart plus de 70 % de leur revenu
ou recette. En conséquence, les annonceurs sont finalement les principaux
partenaires d’une publication ; comment se fait-il alors qu’un patron de
presse au Maroc dénonce la pression de son principal partenaire ?
Cette situation marquée par le poids influent des annonceurs sur
l’information n’est pas le propre du Maroc, elle existe partout ailleurs avec
des manifestations propres à chacune des situations.
Dans toutes les rédactions du monde, la solution à ce conflit d’intérêt est
prévue par l’installation de clôtures hermétiques entre le monde du
commercial et celui de l’information. Son efficacité reste à démontrer
ailleurs, mais chez nous le clivage initial ne semble que de façade. Les
entretiens avec les journalistes et leurs réponses au questionnaire nous ont
édifiés sur cet aspect. 48% d’interrogés affirment avoir fait l’objet de
pressions des annonceurs. Mais la majorité de ceux qui dénoncent ces
pressions sont des responsables dans les rédactions, ç.a.d des patrons ou
exerçant d’autres fonctions dans l’entreprise de presse. Par contre les autres
simples journalistes constituent 15,2% de l’échantillon des journalistes et
9% de l’échantillon global.
Ainsi selon les réponses à notre questionnaire dans la hiérarchie des
pressions les journalistes se disent plutôt victimes d’autres pressions que
celles des annonceurs.
L’interprétation encore de cette situation nous amène à des interrogations
fortes, les patrons de presse interrogés ont été catégoriques à jurer qu’ils ne
subissent aucune contrainte au niveau de leur travail d’information exercée
par leurs bailleurs de fonds, la majorité des journalistes affirment ne pas
subir de contraintes de la part des annonceurs ; Est-ce possible ? Ces
aspects paradoxaux initient sur une réalité beaucoup moins claire, et où les
66
publications économiques subissent le diktat des détenteurs des pouvoirs
économiques et politiques.
e- Acceptez-vous des cadeaux offerts par les entreprises ?
Tous nos répondants disent accepter des cadeaux. Et juste après, ils
tiennent à préciser la nature symbolique du cadeau (agenda, stylo,
calendrier, etc.) et le refus catégorique
d’ « enveloppes ».
Voici quelques exemples de réponses de journalistes :
« oui s’il s’agit de cadeaux symboliques »
« Oui. Si c’est un stylo, un calendrier. ; Non. Si c’est une enveloppe ».
« Oui : En fin d’année on a l’habitude de recevoir des boites de chocolat, des
stylos ; Non :
Quand ca dépasse cette valeur je n’accepte pas ».
« Lors des conférences ont reçoit des gifts (des clés USB – un GSM…) »
« chocolat-agenda-usb : oui »
« Ben, les petits cadeaux, genre clé USB, gadgets etc. » « Nous acceptons
aussi les voyages payés par les grosses entreprises »
« Lors des conférences de presse, on nous offre tout le temps des cadeaux
(stylos, agendas…) mais parfois c’est excessif. Genre en sortant de la
conférence, on nous donne des sachets remplis de cadeaux exagérés
(portable, montre…) un jour, j’ai même reçu un chèque cadeau de 3000dhs
pour carburant disait-on. Et ça, ça me gène. Je l’ai rendu immédiatement ».
« Oui, du chocolat enfin d’année, un pot, des vases, des agendas. A un
certain moment par exemple, Nokia distribuait des portables pendant les
conférences de presse. Les gens faisaient la queue pour avoir les GSM ».
f- Quel rapport avec les attachés de presse ?
En deuxième place des mal aimés des patrons de la presse figurent les
conseillers en communication ou attachés de presse des différentes
institutions. Ils sont dénoncés partiellement ou dans un langage «
diplomatique », l’un des interrogés patrons déclare :
« certains font
leur travail convenablement d’autres moins bien, mais je préfère traiter avec
les patrons directement sans intermédiaire »
Le déchiffrage de cette phrase est nécessaire, c’est que les conseillers et
attachés sont également bien introduits chez leurs propres chefs qui,
souvent sont directement ou indirectement commanditaires également de
publicité. Ces assistants des patrons sont placés là où ils sont pour leur
habilité à détourner l’attention des médias vers des choses que les
67
responsables voudraient mettre en valeur, plutôt que des aspects qui
pourraient gêner l’entreprise ou le ministère …
Les interrogés préfèrent les ménager mais ne veulent pas être tributaire de
leur apport, le contexte marocain même économique reste très personnalisé
et individualisé , la logique des demandeurs de pub ou d’info , journalistes ,
commerciaux ou patrons , reste de solliciter directement le patron sans
passer par un intermédiaire fut- il son principal assistant. Les relations
institutionnelles ne semblent pas inspirer confiance aux patrons de la presse
économique au Maroc.
Sur le plan statistique, 22% des interrogés estiment que les attachés de
presse tentent d’influencer les journalistes, 6 % estiment que ceux-ci les
censurent et 4% jugent qu’ils n’ont aucun rôle. Par contre, 60% sont
d’accord pour dire qu’ils facilitent et communiquent convenablement !
g- Quel traitement réserve-t-on aux réactions du public ?
Dans ce rayon on peut estimer que le droit de réponse constitue un
indicateur relatif, notre question était formulée ainsi : « Recevez-vous parfois
des démentis ou mises au point ? » La réponse était prévisible et affirmative
chez quasiment tous les interrogés.
« Quelle était l’identité des auteurs des mises au point, rectificatifs et
demandes de droit de réponse ? »
Ce fut la question suivante ; les réponses se présentent ainsi : « Certains
annonceurs et des multinationales », « Des entreprises et des
administrations » « surtout des sociétés étrangères qui ont l’habitude de
communiquer » « oui, mais pas beaucoup » « Divers milieux d’affaires et de
l’administration ». « Des personnes et des institutions privées, mais aussi
publiques. » et…
Il s’avère donc que les mises au point sont le fruit de sociétés étrangères
d’abord puis de toutes sortes d’entités publiques, privées, individus ou
collectivités.
Les sociétés étrangères sont ainsi plus réactives que le tissu économique
marocain aux médias, ce qui s’explique naturellement par le fait que celles-ci
baignent dans des environnements originaux plus rodés aux mécanismes
de communications et de médias. Mais l’un des journalistes interrogés
explique également le phénomène par les obligations que ces groupes
internationaux ont vis-à-vis de leurs actionnaires et qui leur imposent de
réagir à toute information pouvant constituer une menace à leurs intérêts.
68
Les précisions, rectifications, droits de réponses. qui atterrissent dans les
rédactions de ces publications ont cependant une destinée ; à la question de
« Qu’en faites-vous ? »Voici une série des réponses recueillies :
« Nous les examinons » « attentivement » pour certains, « nous les publions
quant il s’agit d’errata », pour d’autres « On les examine ; certaines sont
utilisables d’autres pas vraiment. » ou encore « ils sont systématiquement
publiés s’ils ne sont pas hors sujet. » il y a aussi des réponses du genre
« Nous les examinons, certains manquent de crédibilité, d’autres se
justifient »
Puis à la question « Vous arrive- t- il de les publier ? » La réponse devient
formelle pour la plupart des interrogés et se présente comme suit : « Oui,
quand elles sont conformes aux critères d’un droit de réponse. »
Sur le plan statistique, tous les patrons et tous les responsables de rédaction
assurent qu’ils n’hésitent pas à publier les droits de réponse légitimes, par
contre les journalistes sont moins unanimes, 81 % des journalistes
expriment leur adhésion à cette pratique alors que le reste rejette cette idée
d’une manière étonnante ; c’est que le droit de réponse relève à la fois des
principes fondamentaux de la pratique journalistique sur les plans éthique
et juridique. Par ailleurs, il est intéressant de noter qu’un journaliste
marocain a répondu en expliquant que les sociétés internationales qui
réagissent à la presse marocaine sont souvent cotées sur les grandes places
boursières
internationales, et se trouvent obligées de respecter leurs
législations nationales en matière d’accès à l’information et surtout de
respecter les normes de transparence et de communication leur permettant
d’être sur le marché boursier .
On voudrait souligner enfin à ce propos, que malgré les réponses formulées
sur le respect du droit de réponse, celui-ci est souvent mal appréhendé par
les professionnels marocains qui le perçoivent comme ingérence dans leur
travail ou une manière de démontrer son imperfection. Dans la pratique ce
droit est mal utilisé par les uns et les autres, les publications y compris
économiques essaient de ne pas s’y plier. En tout cas, une publication
cherche souvent le moyen d’absorber ou d’atténuer la colère des victimes des
écrits publiés sans se conformer aux dispositions légales relativement
strictes.
En tout cas, cette relation là avec le public ne semble pas refléter une grande
conscience de la logique participative et citoyenne et ne traduit finalement
pas une relation ouverte et fluide entre public et support ; les médias
économiques autant que les autres supports restent ainsi dominés par une
relation verticale de haut vers le bas, ou l’adhésion aux valeurs éthiques et
démocratiques des médias sont encore à construire.
69
h- Degré de satisfaction sociale
Au niveau des résultats, au total, 66,6% se disent satisfaits au niveau du
salaire, des avantages sociaux et des conditions matérielles de travail, et
71,1% se disent satisfaits au niveau des conditions morales de travail.
En réponse à la question : « Est-il valorisant de faire carrière en tant que
journaliste économique ? », ils ont répondu, en général, par l’affirmative.
La raison avancée en premier lieu est l’opportunité d’ouverture sur d’autres
champs (« « Oui car vous pouvez avoir un plan de carrière au sein des groupes
d’éditions, aussi parce qu’on est indépendant » ; « Oui parce qu’on évolue vite.
On a une signature. Il est plus facile de trouver un nouveau poste ».) Et
ensuite l’amélioration du statut.
Malgré toutes les argumentations, le journaliste économique reconnu est un
privilégié, son niveau de rémunération dans un support économique est
chaque fois plus intéressant que celui de ses collègues généralistes ou
spécialisés dans d’autres domaines (culture, sport). Même s’il est difficile de
généraliser et que certaines publications continuent de payer difficilement et
mal leurs salariés, ce type de journaliste se situe en général dans la gamme
des salaires de plus de 10.000 dh net alors que les autres se trouvent au
dessous du seuil fixé par la convention collective du SNPM fixé à 6000 DH.
D’autres réponses par l’affirmative mettent en avant l’aspect relationnel du
métier ainsi que la vocation d’avoir une mission dans la société, voici
quelques exemples :
-
« Oui on rencontre des gens intéressants, on a plus de liberté- on gère
nous même nos emploi du temps, on est indépendant ».
« Oui, on apprends tout le temps, on a beaucoup de liberté, on rencontre
des décideurs et des professionnels ».
Le journaliste économique a le privilège d’être en contact avec les milieux
d’affaires les institutions financières et les décideurs publics en matière
économique et financière. C’est un avantage relationnel certain ; cet espace
ouvre des horizons autres pour celui qui y travaille, l’expérience montre que
le passage est souvent établi entre cette catégorie et le monde des
professionnels, de la communication et du marketing, voire toute la sphère
des relations publiques. Cette position privilégiée dans le secteur de la
presse est un générateur de paradoxes, il s’agit d’une « fraternisation » avec
le diable à cause de la proximité obligée avec le monde des affaires, mais
aussi par ce que les ambitions de promotion sociale des intervenants
deviennent plus appuyées et constituent une forte tentation .
Des journalistes de l’échantillon mettent en avant à ce propos le
caractère « passionnant » du métier :
-
« Oui ça vaut la peine. C’est un métier qui répond à ce que je cherche
dans ma vie. On apprend toujours. Il n’y a pas de routine. On est tout le
temps en contact avec les gens ».
70
-
« Oui on touche a tout, on apprend on se forge. C’est un métier
passionnant. On ne s’ennuie pas. Il y a toujours du nouveau ».
La réponse majoritairement affirmative est aussi bien suivie d’un « mais » qui
la nuance et apporte des éclaircissements au niveau de la réalité du métier
ou de son idéal, voici des exemples :
-
-
-
« oui à condition que la pratique se professionnalise ce qui n’est pas le
cas actuellement, on reste tributaire des annonceurs pour faire du
chiffre et parfois ça influe sur le travail et la mission du journaliste »
« oui, à condition de ne pas se laisser corrompre et de ne pas céder aux
sirènes »
« tout à fait à condition qu’on respecte l’éthique ».
« oui si on a les avantages cités précédemment (salaire, avantages
sociaux, conditions de travail matériel et morales) et si le climat de
travail est sain ce qui n’est pas le cas »
« oui à condition de faire son travail le plus honnêtement possible et
d’être très professionnel »
Les forces centrifuges s’exerçant sur le journaliste économique contestent
et négocient à la fois sa vertu et son identité professionnelle, surtout par
rapport à un contexte ou la corruption, les blanchiments, les privilèges indus
et les ascensions éclairs sont la règle. Il y a une insatisfaction morale très
claire dans les réponses des journalistes.
Les réponses par la négative mettent l’accent sur les aspects manquant au
métier, des exemples :
-
-
-
« Les journalistes vivent dans une grande précarité. Ils sont
constamment frustrés, C’est ce qui m’a d’ailleurs poussé à me tourner
vers le monde de l’entreprise, mais je garde toujours un sentiment de
nostalgie envers la profession que j’aime beaucoup, si les choses
s’améliorent ce n’est pas exclu que j’y revienne » ;
« Non, c’est pourquoi l’essentiel des journalistes basculent en « chargé de
presse » ;
« En général le journaliste marocain n’a pas le statut qu’il mérite.
Normalement à l’étranger les médias représentent le 4ème pouvoir. Au
Maroc on ne respecte pas le journaliste. On a encore des journalistes qui
partent en prison ».
« Non. Le marché ne connait pas les vertus de la presse économique ».
« Je pense que c’est un métier qui n’est pas assez développé au Maroc.
Les gens sous-estiment le travail que nous fournissons. Tout le monde
pense que notre job est hyper facile alors que ce n’est pas le cas. Il faut
être dévoué pour être un bon journaliste. »
71
i- Problèmes de distribution
La distribution des journaux et revues au Maroc est un problème très
sérieux, l’étroitesse du marché du livre et de tous les périodiques, dans ses
dimensions directes ou dans ses versions indirectes, fait que l’équilibre des
sociétés de distribution est assez précaire, les sociétés concernées elles
mêmes recourent aux pratiques monopolistiques pour survivre ,d’où la
nécessité pour relancer la lecture des journaux et magazines par le grand
public marocain
d’une politique publique dans ce domaine, celle-ci fait
encore défaut d’où les permanentes plaintes des professionnels.
Dans nos entretiens, plusieurs problèmes ont été identifiés par les patrons,
des problèmes généraux relatifs à la presse en général (monopole de deux
opérateurs) et d’autres plus spécifiques :
-
-
« Oui, pas seulement la presse économique pour la presse en générale,
le quasi monopole de deux opérateurs »
« oui, la presse marocaine est tributaire de deux distributeurs qui font
la pluie et le beau temps ».
« Nos journaux ne sont même pas protégés de la pluie ! Quelques
points peuvent fermer pendant la période de pluie. Des points qui ne
seront pas joignables à cause des routes bloquées (les montagnes).
Problème de location de journaux. On ne sait jamais le nombre réel de
lecteurs. Un seul exemplaire est lu par plusieurs individus ».
« Oui, Mal suivi. On n’est jamais au courant des ruptures de stock. ;
Manque de réactivité » ;
« Oui, la distribution pompe entre 10 et 40% du chiffre d’affaires d’un
quotidien. Dans le cas de mensuel ou d’hebdomadaire c’est
économiquement intenable. Le schéma retenu au Maroc reposait sur
un système mutualiste ou les supports qui vendent sont associés à la
société de distribution. Cette originalité a été cassée brutalement avec
la cession des entreprises de presse de leur participation dans le
principal distributeur national. »
Conclusion de la partie
-
Les pressions exercées sur les professionnels révèlent, aux yeux de la
plupart des interviewés, le diktat quelque part prévisible des
annonceurs, mais aussi des bailleurs de fonds, actionnaires, patrons de
presse sur les journalistes.
72
-
La liberté est parfois possible dans le traitement d’informations non liées
aux bailleurs de fonds et actionnaires de la boîte, mais exige une dose
de recherche et de talent peu répandue.
-
Les interdictions et tracasseries judiciaires sont rares, à cause du fait
que cette presse est souvent choyée par l’Etat, les opérateurs et les
annonceurs, et fait preuve, en retour, d’une « discipline exemplaire ».
73
V- Les publics des médias (économiques) au Maroc
La seconde phase de l’étude « Médias économiques et construction de la
citoyenneté au Maroc » est consacrée à la problématique du public, l’autre
principal acteur des médias. Elle a procédé en deux temps : d’abord à
réaliser des Focus Groups avec plusieurs catégories de publics1. En
l’absence d’études systématiques sur le lectorat des médias économiques au
Maroc, nous avons pris en compte plusieurs catégories sociologiques que
nous supposons être des potentiels publics. Et le choix de chaque public est
justifié par une hypothèse d’utilité du média : la catégorie des étudiants
(usage de l’info économique dans leur cursus) ; la société civile (usage de
l’info économique dans le plaidoyer) ; cadres et décideurs (usage de l’info
économique dans la prise de décision).
Le guide du FG est structuré autour de trois grands axes. Un premier axe est
consacré aux pratiques et le rapport aux médias. L’objectif étant de nommer,
décrire et justifier les supports utilisés par nos interlocuteurs dans leur
recherche de l’information économique. Un second axe concerne les relations
entre l’information économique et son contexte. Enfin un troisième axe, plus
pragmatique, est centré sur les solutions que proposent nos interlocuteurs
pour l’amélioration du contenu des supports économiques et, plus
largement, sur leurs attentes et perceptions quant à l’avenir des médias
économiques au Maroc.
Afin d’avoir un échantillon assez large, les focus group ont été réalisés dans
plusieurs villes : Casablanca, Rabat, Tanger, Marrakech et Fès. Et ils ont
regroupé plusieurs profils sociologiques (société civile, étudiants,
entrepreneurs, cadres/professions libérales). Chaque focus group a regroupé
entre 5 et 20 personnes. Le déroulement des Focus Groups a eu lieu entre
avril et mai 2012 ( ?).2
Tableau récapitulatif :
Casablanca
1
2
10
7
Etudiants (HEM)
Etudiants (Faculté des
Sciences
Juridiques
Un Focus Group, ou entretien de groupe (groupe de discussion), est une technique d’étude qualitative
consistant à rassembler un groupe de personnes (une dizaine en général), cibles de la problématique de
l’étude (ici il s’agit de publics des médias), et à partir des discussions, de dégager les réponses, les attitudes
et les perceptions de ce groupe à l’égard de la question étudiée.
Le recrutement des personnes ayant participé aux focus groups a été réalisé par les étudiants de HEM, que
nous remercions vivement ici.
74
16
Tanger
Rabat
Economiques
et
Sociales Ain Sebaâ
Casablanca)
Etudiants/Société
civile
7
Cadres /entrepreneurs
5
8
5
Société civile
Etudiants
Société civile, Cadres,
professions libérales
Cadres
Etudiants/Société
civile
4
20
Marrakech
6
Cadres /entrepreneurs
Cette partie de l’étude ne prétend pas préciser les publics des médias
économiques au Maroc. Son ambition est plus modeste et se veut une
description des pratiques et attentes de publics (au pluriel) aux contours
flous, avec des usages différents, aux attentes aussi diversifiées. Il en ressort
deux grandes conclusions. D’abord que ces publics ne sont pas amorphes,
ce sont des récepteurs actifs et très critiques : ils comparent les différents
supports, évaluent et choisissent leurs lieux d’information en fonction de
plusieurs critères Et ensuite que l’internet est promu au lieu premier de
l’information économique.
Ce dernier résultat nous a amené, et c’est là le second moment de cette
étude qualitative, à créer une page facebook (khbarkom)3 afin d’interagir
avec les publics virtuels et de tenter de décrire leurs nouveaux usages sur
internet.
Nous allons présenter ici dans les détails les résultats des Focus Groups et
de la page Facebook.
3 Descriptif de la page : https://www.facebook.com/Khbarkom/info (consultée le 18 octobre 2012 ;
604 « like »).
75
V-1. Les lieux de l’information économique :
En pratique, l’usage de l’information économique est multiple. Elle est
utilisée dans un but de formation (c’est le cas des étudiants, études,
recherches…). Elle est utilisée dans un but professionnel, chacun y puise
selon les besoins de sa profession. Certains l’utilisent pour la culture
générale, pour se faire un avis et pouvoir discuter. Certains disent par
curiosité, d’autre pour passer le temps. Les usages sont multiples eu égard à
la multiplicité des profils des différents publics.
Nos interlocuteurs de la société civile notamment définissent l’information
comme « une arme de militantisme » et par conséquent ils recherchent l’info
dans un but social, qui est de défendre l’intérêt public.
Pour d’autres encore, la recherche de l’information économique reste isolée
(en cas d'événement important, ou de buzz). D’autres profils avancent qu’on
« On commence de plus en plus à chercher l'information économique pour ellemême ».
Dans tous les cas, cet objectif « avoir son propre avis » nous renseigne les
récepteurs des médias se perçoivent comme des acteurs. Cette information
économique est recherchée dans plusieurs supports.
a. L’internet :
L’internet constitue le support privilégié des personnes à la recherche
d'information économique.
« C’est une nouvelle ère qui commence aujourd’hui ; la tendance est vraiment
pour l’internet »
C’est la conclusion de cette étude. Les vertus du support digital sont saluées
par tous nos interlocuteurs quel que soit leur catégorie sociologique. Les
réponses des internautes à la page Khbarkom confirment ce résultat.
Les raisons avancées pour expliquer un tel engouement peuvent être ainsi
résumées :
- D’abord pragmatisme, commodité et rapidité de l’internet : les adjectifs
avancés par nos interlocuteurs pour l’exprimer sont : pratique, simple
d’accès, commode, rapide.
« Sur internet : C’est mieux car c’est plus pratique et simple d’accès et l’on peut
disposer de beaucoup de pistes de recherche avec un large choix d’articles de
presse dans tous les volets et dans plusieurs langues ».
76
« On est souvent devant son pc , Commode , Fiable , Langage relativement
simple, pratique »
« J’utilise internet plutôt que la presse écrite. Je tends plutôt vers la facilité
parce que l’info est disponible à tout temps… »
- Ensuite, c’est la caractéristique de fiabilité du web qui est mise en avant.
Elle est manifeste dans les adjectifs de « fiable » et « crédible » qu’on accole
au support digital opposé à la presse écrite notamment.
« Pour le volet économie, les supports écrits ne sont pas très pratiques en ne
permettent pas d’avoir un avis neutre sur l’actualité. Préférence pour le média
internet car il comprend des articles neutres sans appartenance politique
comme le site de l’HCP. Sur internet on peut faire une comparaison rapide
entre plusieurs articles, l’information y est gratuite et les articles y sont plus
pertinents ».
Cette fiabilité de l’internet est mesurée par nos interlocuteurs à partir de
deux critères : la redondance des articles et la renommée et la réputation du
journaliste/blogueur.
- Par la suite, c’est la simplicité du langage qui est avancée :
« Les sites traitent des sujets de manière simplifiée »
- la gratuité de l’info sur internet est aussi une raison décisive dans le choix
du support digital. Le prix étant un élément important dans le choix d’un
support. Par ailleurs, nos interlocuteurs ont signalé l’usage progressif des
applications d’actualité payantes (ou encore gratuites) sur Smartphones « qui
sont plus pratique d’accès et consultables à tout moment de la journée »
- Enfin c’est la pluralité de choix qu’offre le web avec sa nébuleuse
informationnelle :
« Le net ouvre les porte sur les recherches et informations mondiales »
« Sur internet on trouve un large choix »
« Le net ouvre les portes sur les recherches et informations mondiales »
Plusieurs de ces raisons avancés dans le cadre des FG se retrouvent aussi
dans les réponses récoltées à la page facebookKhbarkom.
Par support internet, certains désignent « les sites spécialisés, Journaux
électroniques, Hespress, recherches, blogs, réseaux sociaux ». Tandis que
d’autres utilisent le label comme allant de soi, sans précision.
77
Les quelques personnes de nos FG qui ne vont pas chercher l’information
sur internet sont des personnes habituées à l’usage de la presse écrite et
considèrent problématique la subjectivité du « journalisme virtuel ».
b. La presse écrite :
Les
autres
lieux
de
l’information
économique
sont
utilisés
occasionnellement. Il s’agit d’abord de la presse écrite (nationale et/ou
internationale). Nos interlocuteurs ont explicitement cité des journaux et
magazines suivants : L’économiste, La Vie Eco, le Nouvel Observateur, Jeune
Afrique, Le Monde, Finance News,
Telquel, …
« L’Economiste et le Monde sont considérés comme des journaux de référence
pour le volet économique, c’est les plus connus et cette notoriété leur confère le
statut de journaux crédibles et de confiance ».
Notons que seuls nos interlocuteurs de la société civile ont cité des journaux
arabophones.
Les raisons avancées pour le choix du support écrit comme lieu de
l’information économique sont de deux catégories : soit d’ordre objectif
(fiabilité de l’information, professionnalisme de l’analyse, ressource
temporelle pour traiter l’info), soit d’ordre subjectif (charme et habitude de la
lecture de l’écrit ; renommée du journaliste).
« Les informations sont de sources connues et donc fiables ; l'information est
plus personnalisée et adaptée au citoyen marocain »
Notons enfin que plusieurs lecteurs de la presse écrite, la lisent en fait via
ses supports internet (sites des journaux).
c. La télé et la radio : nos interlocuteurs ont cité d’abord les « chaines
internationales » (BFM TV, Aljazeera, France 24,LCI…) et ensuite les chaines
nationales, qu’ils consultent occasionnellement. L’occasion peut être soit une
émission, soit un reportage ou encore une enquête (en lien avec des sujets
économiques). Certains ont nommé des émissions comme « Eclairage,
Capital, Eco news… », et d’autres encore ont cité le journal info de 20h.
Notons que ceux qui ne recherchent pas l’information à la télé avancent
l’argument que « les médias mélangent l’économie et la politique ».
La radio : nos interlocuteurs affirment que c’est la radio qui gagne
progressivement
en
influence.
Ils
écoutent
les
radios
privées
78
(nominativement Luxe, Atlantic…) occasionnellement ou selon le rythme de
leur quotidienneté (le matin en allant à l’école/travail).
En gros, il ressort de ces usages que la presse écrite est reléguée au « moyen
classique » d’information économique au profit du support digital.
L’instantanéité de l’information en plus du langage des réseaux sociaux du
support internet sont largement salués par nos interlocuteurs comme de
nouvelles pratiques :
« j’aime la page sur facebook et au fil de l’actualité, je reçois s’il y a des news
ou si jamais il y a des nouveautés, je peux le voir sur mon fil d’actualité et je
me réfère directement au lien et je lis l’article, si jamais ceci m’intéresse, alors
je le met en favoris pour le relire une autre fois, ou bien je l’enregistre sur word
ou sur un autre format, et je le garde pour l’utiliser dans mes recherches ou
bien autre chose »
V-2. L’information économique ne renseigne pas sur la réalité
économique au Maroc
De l’avis général de nos interlocuteurs et des internautes, l’information
économique, indépendamment du support utilisé, ne renseigne pas sur la
réalité économique du pays. Pourquoi ?
Les débats autour de cet axe ont révélé des profils d’acteurs fort déçus, voire
suspicieux sur la qualité, la crédibilité et l’autonomie de l’information qui
leur est offerte. C’est ainsi qu’ils pointent du doigt la problématique de
l’autonomie des médias par rapport à la sphère économico-politique qui se
traduit par une « perte de confiance » dans les médias notamment écrits
justement à cause de leur dépendance. Le manque de fiabilité est avancé
dans ce sens.
« La presse est devenue marchande »
« Les journalistes sont influencés »
« Existence de lobbies » « intérêts économiques (business)
« Les supports ne sont pas tous fiables »
« L’info éco n’est pas toujours crédible »
Cette problématique de l’autonomie engendre des perceptions de
l’information économique comme « biaisée » et superficielle : « les données
mêmes officielles sont biaisées ce sont des informations pour attirer les
79
lecteurs et non pas la réalité ». D’autres encore avancent l’absence de mise à
jour des données, ce qui biaise également l’information.
Pour certains, c’est le manque de liberté d’expression qui est avancé.
« Il y a des journaux qui ont été censuré au Maroc pour avoir voulu exprimer un
point de vue en toute liberté d’expression comme TELQUEL quand il a traité
d’un sujet sensible relatif à la monarchie.
Les articles publiés sur internet contrairement à la presse écrite ne sont pas
sujet à la censure ».
Par ailleurs, l’absence de pluralité des points de vue est notée par nos
interlocuteurs « on ne retrouve pas toutes les visions dans les articles ». On
déplore également le manque d’audace des journalistes marocains à traiter
de certains sujets dits « tabous » (à entendre surtout l’institution
monarchique). Le journaliste est aussi interpelé dans sa pratique dans la
mesure où on lui reproche de ne pas aller au fond des choses et de « s’arrêter
aux constats ». Le manque d’intérêt de la part du citoyen est aussi décrié
dans ce cadre.
Bref, c’est notamment la suspicion vis-à-vis des médias qui prévaut dans les
perceptions de nos interlocuteurs. Cette vision manipulatoire des médias est
avancée dans les exemples suivants:
« Toute l'information économique est modelée de façon à ce que le citoyen
consomme ce qu'on veut lui faire consommer »
« Info biaisée pour calmer la population » ;
« L'info est utilisée par l'Etat pour se promouvoir » ;
« La presse quotidienne est superficielle et leurre l'opinion publique »
V-3. L’information économique est inaccessible sauf pour les « initiés »
En plus de la question de la langue (usage du français), c’est surtout le
langage jugé trop spécialisé qui est pointé par nos interlocuteurs. Ces
derniers ont dans leur majorité affirmé que le langage des médias
économiques au Maroc est « trop spécialisé », exigeant un background pour
sa compréhension et par conséquent il est « inaccessible à la majorité du
peuple ».
« Il faut un background pour comprendre »
« On a toujours besoin de bagage économique pour pouvoir comprendre »
« On n'est pas tous des économistes (profs mathématiciens, ingénieurs) »
80
« Pour les gens qui n’ont pas de formation managériale polyvalente et
économique c’est difficile de comprendre les termes techniques utilisés »
Certains de nos interlocuteurs trouvent que cet usage intensif du langage
spécialisé par les médias marocains est dû au fait qu’ils ciblent uniquement
les classes supérieures :
« Le fait d’employer des termes techniques/soutenus pour les journalistes était
prémédité pour que ce soit plus vendeur pour leurs journaux respectifs mais
que cela permettait de mieux cibler les CSP comme A+ et B +. Exemple de luxe
radio : utilisation de mots savants pour se positionner dans la catégorie des
radios de référence et de haut niveau en terme d’information ».
« Un system qui ne s'adresse qu'aux élites » ;
« Absence de presse qui cible les classes les moins instruite »
Ceci dit, certains internautes fans de la page Khbarkom trouvent que le
langage n’est pas très « spécialisé », sauf pour la bourse.
Soulignons enfin que ces critiques du langage trop sophistiqué concernent
uniquement les médias « traditionnels ». L’internet, lui, est perçu comme
synonyme de simplicité pour certains de nos interlocuteurs.
V-4. Les médias, pas encore des relais de débats démocratiques
En grande majorité, nos interlocuteurs considèrent que les médias, et
spécialement économiques, sont loin de constituer des relais de débats
démocratiques. Plusieurs raisons sont avancées pour expliquer cette idée.
D’abord, l’épineuse question de l’autonomie des médias vis-à-vis du monde
marchand : « La presse caresse au sens du poil ses sponsors ». Cette idée est
également largement citée par les internautes à la page Khbarkom, par
exemple : « Peut-on parler d'une démocratisation des médias pour pouvoir
aborder leur contribution au débat démocratique ? » ; « « les médias éco
s'intéressent aux chiffres, aux prévisions; et le débat démocratique nécessite
des médias indépendants non idéologiques !!! »
Ensuite le fait que les médias ciblent certaines catégories les privent même
du qualificatif de « démocratie » : « La presse est réservée aux élites et ne
participe donc pas vraiment à la démocratique »
Toujours en lien avec la cible de ces médias, certains interlocuteurs ont
avancé le taux élevé d’analphabétisme des Marocains comme frein à ce rôle
qu’on voudrait assigner aux médias : « Vu que la plus grande partie des
marocains est analphabète, et un petit pourcentage du reste comprend le
81
français, veut dire que la presse écrite ou électronique ne contribue pas
vraiment au débat ».
De même, on avance que l’implication du citoyen dans l’activation du débat
est « nulle » dans la mesure où « Le marocain cherche les informations sur le
panier et le salaire ».
D’autres interlocuteurs nuancent le tableau en précisant que la presse joue
un rôle même si ces initiatives restent très limitées : elle contribue à éclairer
les « grand axes » et à la « moralisation du public ».
D’autres plus optimistes contextualisent la question en la plaçant dans les
événements récents pour saluer l’activation des débats en général dans les
sociétés du monde arabe :
« Le printemps arabe a ouvert les yeux au peuple »
« Le printemps arabe a boosté le débat »
En vue de situer les pratiques des publics en lien justement avec leur
participation au débat, nous avons posé la question suivante : « Comment
réagissez-vous à la production des médias économiques (lettres, requêtes,
discussions de café, commentaires sur internet) ?
Nos interlocuteurs disent interagir en discutant d’abord dans leur réseau
primaire (famille, amis, collègues), et dans des lieux multiples (famille, rue,
cafés, partis politiques, et de plus en plus via les réseaux sociaux).
Les réactions sur le net et notamment les réseaux sociaux sont les plus
citées lors des FG. Résultat corroboré par les réponses récoltées via la page
Khbarkom
« Internet est un média beaucoup plus adapté pour critiquer les articles et les
informations ou les décisions qui ne plaisent pas aux citoyens par
l’intermédiaire des commentaires sur les réseaux sociaux »
« Utilisation d’internet dans les débats démocratiques car cela offre plus
d’anonymat et plus de liberté au gens pour exprimer leur opinion. Exemple :
Utilisation de Facebook à travers les groupes et les fans pages pour parler et
discuter de la nouvelle constitution et des modifications qui y ont été opérées » ;
« Il y a des réactions sur le net sur des chiffres et des publications »
« Sur les réseaux sociaux les professionnels peuvent réagir/ sur les réseaux
sociaux on trouve des débats multilatéraux biens fondés »
« Je viens de créer mon compte facebook et il me permet de réagir face à des
informations »
82
« Réaction sur des publications sur le net »
« Activité sur les réseaux sociaux : réponse et commentaire dans les limites »
Cette interaction est cependant qualifiée d’insuffisante et de superficielle,
non structurée, « à tort et à travers ». notons enfin, les autolimitations que
les publics se font : « Je prends toujours mes distances face à la critique de
peur d'être sanctionné » ; « On veut mais à qui cela importe » ; « persistance
d'inhibitions ».
L’avenir des médias économiques au Maroc est dans le net. C’est la
conclusion qui ressort de nos FG. Pour nos interlocuteurs, l’avenir est dans
le net : la presse électronique, les applications et les tablettes :
« Le digital prendra surement et inévitablement leur place a travers les
tablettes qui seront bientôt démocratisées. Les applications sur Smartphones
sont devenues très utilisées et à des prix accessibles fournissant les mêmes
informations qu’un journal normal ».
Quelques-uns ont aussi mis en avant le potentiel des radios
communautaires et la libéralisation des voix car d’après eux, « Les radios
serons le facteur qui va ouvrir le débat ; La télé et la radio serons le " plus "
dans le débat économique ».
V-5. L’avenir des médias économiques au Maroc est dans le net
C’est la conclusion qui ressort de nos FG. Pour nos interlocuteurs, l’avenir
est dans le net : la presse électronique, les applications et les tablettes :
« Le digital prendra surement et inévitablement leur place a travers les
tablettes qui seront bientôt démocratisées. Les applications sur Smartphones
sont devenues très utilisées et à des prix accessibles fournissant les mêmes
informations qu’un journal normal ».
Quelques-uns ont aussi mis en avant le potentiel des radios
communautaires et la libéralisation des voix car d’après eux, « Les radios
serons le facteur qui va ouvrir le débat ; La télé et la radio serons le " plus "
dans le débat économique ».
V-6. Les pratiques autour de la page Facebook khbarkoum
La page a été lancée en juin 2012, elle compte actuellement 604 personnes.
Lancée dans le cadre de ce projet d’étude, elle « se veut un moyen de
83
discussion ouvert aux internautes pour commenter la capacité des médias
économiques marocains de faire connaître la réalité complexe du Maroc à
l'opinion publique ». L’usage du titre en darija se veut une ouverture envers
les internautes. L’idée étant de reposer les mêmes questions du guide des FG
aux internautes et récolter leurs réponses. Ces dernières corroborent les
résultats des discussions des FG.
Nous n’allons pas revenir ici sur le détail des réponses des internautes. Nous
allons plutôt considérer l’évolution de la page et tenter d’en déduire quelques
conclusions à relier avec les nouveaux usages d’internet comme lieu
d’information.
La quasi-totalité des publications sur la page sont des informations
économiques diversifiées (investissements nationaux/étrangers ; politiques
publiques ; tourisme et finances etc.). Leur publication est passée par deux
phases. Une première phase sans images, ceci n’a pas généra de réactions.
La deuxième étape a consisté en la publication des informations en se
basant sur des images significatives voire provocantes de temps à autre.
Cette méthode a démontré son efficacité car, les fans commencent à aimer
de plus en plus les publications sans pour autant commenter.
Progressivement, une grande partie des fans sont au courant des
publications, ils les lisent mais réagissent uniquement par aimer le lien, ou
par un petit commentaire unique.
Cela justement pose trois questions de réflexions, soit les gens ont du mal à
commenter l’information économique et donner leurs avis du fait de sa
technicité. Ou bien les fans s’intéressent moins au champ économique et
restent attachés aux informations qui traitent les actions du gouvernement
qui sont d’ordre purement politique. Ou bien la manière dont l’information
est posée par le « gestionnaire » de Khbarkom n’attire pas les fans à réagir.
Partant de cette dernière hypothèse, l’équipe de gestion s’est étoffé par 3
nouvelles personnes (Master Economie) dans le but de commenter les
publications afin d’encourager les fans de la page à en faire de même.
Une autre évolution a été de remarquer que les fans de la page ne se limitent
plus à cocher les réponses proposées par l’administrateur mais également à
argumenter leurs choix par des commentaires.
En l’absence d’informations sur le profil sociologique des fans de la page, on
peut dire que leur nombre assez moyen (604) renseigne de la problématique
de la visibilité de l’information (en général) sur la nébuleuse virtuelle.
Indépendamment du partage de la page par les différents réseaux de l’équipe
du projet, on peut supposer que seules les personnes intéressées par
l’information économique et les débats proposés iront à la recherche d’une
84
telle page, noyée dans les réseaux et régie par les modes d’apparition sur le
fil d’actualité de facebook.
Même si nos interlocuteurs des FG assignent une légitimité informationnelle
sans bornes à l’internet, il convient de remarquer que le web est le lieu du
« trop
plein
d’information ».
L’actuelle
surinformation
engendre
paradoxalement beaucoup d’opacité et par conséquent, seuls les initiés s’y
retrouvent. Et les publics virtuels ont besoin de relais pour s’y retrouver :
c’est ce que nos interlocuteurs semblent dire lorsqu’ils évoquent la fiabilité
de l’information sur internet parce qu’elle est portée par des
journalistes/blogueurs de renommée. C’est aussi à ces journalistes-relais
que nos interviewés font référence lorsqu’ils disent, à propos de
l’interactivité, que « Les réactions des " non-journalistes " ne sont pas
pertinentes ».
Loin donc de penser en termes de discontinuité entre les médias dits
« traditionnels » et les médias sociaux, il convient d’en souligner la continuité
et la complémentarité.
85
VI- L’avis des formateurs
Le focus organisé à l’ISIC avec quelques enseignants et responsables de la
formation et de la formation continue au niveau de celui-ci, lequel est
l’unique institution de l’Enseignement du journalisme relevant du secteur
public. Elle a vu en avril 1969 le jour sur une initiative de la fondation
allemande Friedrich Neumann
et en collaboration étroite avec le
gouvernement marocain, elle s’appelait alors Centre de Formation des
Journalistes (CFJ). La mission de cet ancêtre de l’ISIC était en effet de
recycler les journalistes en exercice dans les organes de presse, de radio, de
télévision et à l’agence Maghreb Arabe Presse .En septembre 1977,
changement de vocation et le CFJ devient officiellement l’Institut Supérieur
de Journalisme : un établissement public de l’enseignement supérieur
spécialisé dans la formation aux métiers du journalisme.
La formation durait quatre années et était sanctionnée par des examens et
un mémoire de fin d’études. Deux spécialités s’offraient aux étudiants journalistes : la presse écrite et l’audiovisuel (radio et TV). En 1989, l''ISJ
connaît sa première réforme : instauration d''un cycle supérieur ouvert aux
titulaires d’une licence, étudiants ou fonctionnaires en lieu et place du cycle
normal destiné aux bacheliers.
Le 26 Octobre 1996, l''Institut Supérieur de l’Information et de la
Communication (ISIC)xiii est né avec un objectif principal : s’ouvrir aux
métiers de la communication d’entreprise et consolider la formation au
journalisme. Pour mieux moduler la formation en fonction des besoins du
marché, le cycle normal : bac + 4 a été réintroduit.
Le Focus Group avec les enseignants a été l’occasion de faire une
présentation succincte des résultats des différentes étapes de l’étude et de
tester certaines pistes de recommandations éventuelles.
Qu’est la presse économique ? Le problème de définition se pose face à tous
les publics, des enseignants de l’ISIC se posent également la question, ils ont
insisté sur la difficulté des clivages. Pour eux, il n’y a pas de frontières
étanches entre le politique et l’économique, la collusion entre pouvoir et
argent serait un problème universel ! l’un d’eux déclare que « l’Economiste
est plutôt un journal généraliste à dominante économique », d’autres
s’expriment sur le public considérant qu’une partie de l’information
économique n’intéresse pas tout le monde et concerne surtout les patrons ou
actionnaires des entreprises, soit une minorité , une élite ; et là la
communication financière assure une disponibilité de l’info par obligation
légale.
86
Les participants parfaitement informés sur le parcours de la presse
marocaine ont pourtant mis en doute partiellement la nature de la presse
économique. Elles ont expliqué qu’il y a besoin d’une étude spécifique
analysant le contenu de la presse dite économique existante, soulignant que
cet aspect fait encore défaut et pourrait permettre d’installer les nuances
entre les produits aujourd’hui proposé au public.
La presse dite économique, étant destinée à une élite et un lectorat
particulier se trouve plus exposée aux pressions des lobbies et des pouvoirs
économiques et a défaut de cette étude de contenu , les participants au
focus ont estimé qu’en fin de compte les problèmes de la presse économique
sont ceux-là mêmes que vit la presse écrite en général , tant au niveau du
modèle économique, que du marché , du produit et des ressources
humaines.
L’identification des profils des journalistes exerçant dans le domaine a
permis de constater plusieurs versions confortées par l’enquête effectuée
dans le cadre de l’étude, on y trouve les autodidactes qui se sont spécialisés
en cours de carrière, on y trouve aussi les lauréats de l’économie qui se sont
adonnés au journalisme sur le tas, parmi lesquels on trouve une catégorie
des lauréats des écoles de commerce. Quelle formation pourrait être offerte
pour approvisionner ce secteur de la presse par des compétences capables
de développer le contenu et le secteur de la presse économiques ?
Les enseignants ont plaidé pour l’unicité de la mission des journalistes,
estimant que la formation en journalisme est un tronc commun que tous les
journalistes doivent avoir sans distinction, ils ne voient pas l’opportunité de
mettre en place une formation de base en journalisme économique, ou une
quelconque filière de cette nature même en cycle universitaire supérieur. Par
contre ils ont admis l’idée de programmes de formation continue ayant pour
objet de perfectionner la formation de journalistes exerçant dans les desks
économiques des publications généralistes ou d’information économique.
Réagissant à la question de développement des pratiques d’investigation des
médias économiques, Ils ont relevé que le journalisme en général et la presse
économique en particulier ont de plus en plus besoin de dimensions
graphiques évoluées qui pourraient être un domaine de formation continue
pour les professionnels.
87
Conclusions générales
Le travail effectué dans le cadre de l’étude a permis d’identifier en premier
selon les locuteurs ce qui suit :
Niveaux identifiés par les journalistes :
1-
la pression des patrons
2-
la pression des annonceurs
3-
le contexte global institutionnel insuffisamment libéral.
Niveaux identifiés par les patrons de presse
1-
Un rôle important à jouer mais difficulté d’accès à l’information
2-
marché exigu et restrictions politiques
3pression des annonceurs y compris les donneurs des commandes
publiques
Niveaux évoqués par les opérateurs
1-
informations tardives
2-
faible qualification en matière éco
3-
faible degré éthique
Des niveaux évoqués par la société civile et le grand public
1-l’info éco est puisée ailleurs à travers d’autres supports que l’écrit.
2-Faible participation aux débats publics même ayant relation avec les
questions économiques.
3-Faiblesse de la dimension enquête dans les médias économiques.
A la suite de l’enquête de terrain ainsi que des focus groupes réunis à Rabat,
Casablanca, Marrakech ; Tanger puis les réunions tenues avec le CJD et la
CGEM, ci-dessous quelques premières conclusions ;
1-Les médias économiques sont essentiellement en français alors que la
majorité du patronat, en particulier les PME ne maitrisent pas cette langue,
mais plutôt le tamazight ou l’arabe. C’est le premier paradoxe, il n’est pas le
seul !
88
2- La confusion entre communication institutionnelle et information doublée
par l’inflation de la première et l’indisponibilité de l’autre. Ce qui pose des
problèmes politiques, professionnels et éthiques. L’une des questions qui
semblent interpeller les différentes parties réside dans la crédibilité de l’info
diffusée par les médias économiques, il existe un déficit de confiance qui
porte énormément préjudice à cette presse.
3- L’accès à l’information mentionné par différents niveaux d’interlocuteurs
dans notre étude est un problème majeur dans la vie publique au Maroc. Il y
a aujourd’hui un fait nouveau à ce propos grâce à l’intégration du DAI dans
le texte de la constitution marocaine adoptée en juillet 2011.Le projet de loi
sur ce droit est en cours de débat public.
4 -L’ambigüité de la demande surtout en matière citoyenne (demande grand
public) d’où la nécessité d’une étude plus affinée sur cet aspect. Les médias
et les journalistes s’accordent à dire qu’il est faible ou inexistant.
5- La presse écrite malgré ses niches se trouve face à des défis imposés par
les NTIC, de quoi est fait son avenir au Maroc ? Jeunes et moins jeunes dans
nos focus ne lui concèdent pas un rôle prioritaire par rapport à d’autres
types de médias, surtout les medias sociaux et l’internet. Une des questions
pourrait être : Quel support serait le plus adapté à l’information économique
au Maroc aujourd’hui ?
6- L’enquête a été effectuée au cours d’une époque de transition à la fois
universelle et relativement nationale. Il y a aussi une ambigüité qui concerne
le marché des médias économiques au Maroc. La presse économique est
inscrite dans un schéma statique en relation économiquement avec des
segments finalement très réduits. En cas de réhabilitation des équilibres «
fondamentaux », entre pub et info, avec l’éradication des situations de
monopole etc… Pourrions-nous identifier un modèle économique capable
d’illustrer ce rapport citoyen entre info et médias économiques d’un côté et
celui du rôle des acteurs dans leur dimension citoyenne de l’autre ?
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Recommandations
Les conclusions de ce travail ouvrent sur des pistes de recommandations
allant dans diverses directions. La direction qui concerne le volet strictement
propre à la qualité du produit journalistique pose des problèmes en relation
avec les niveaux suivants :
I-Au niveau de la viabilité du produit, la presse économique affiche des
carences structurelles qui accentuent sa fragilité éthique et sa stabilité sur le
marché.
La fragilité de son modèle économique et sa dépendance financière sont le
résultat d’abord de propriétaires qui gèrent dans une perspective
économique d’investissement au minimum pour la rentabilité, sinon pour
certains, en vue de la maîtrise de l’opinion (souvent pour les deux ensemble).
C’est ce qui explique clairement la docilité dont elle fait preuve en général,
support pour l’élite économique d’une société rentière, elle ne peut survivre
dans cet environnement sans payer le prix ! La mise à niveau de la presse
économique pourrait être un des paramètres de la réforme des processus de
gouvernance au niveau économique dans son ensemble. Parmi les outils
susceptibles de donner à ces médias l’occasion d’assurer un rôle citoyen se
trouve la question de l’accès à l’information en général,
Une législation conforme aux standards internationaux en matière de droit
d’accès à l’information doit voir le jour dans le pays pour permettre un
environnement favorable à la circulation de l’information économique.
En outre, le volet information renvoie à des aspects de l’information
financière et économique qui posent problème et entravent l’évolution du
Maroc vers une économie ouverte et transparente. Les appels d’offres des
marchés publics et les informations relatives aux activités des marchés
financiers et de la Bourse au niveau national, sont des sphères qui
nécessitent un meilleur encadrement législatif et règlementaire, en vue de
permettre à une presse spécialisée de jouer son rôle de veille et de vigilance
par rapport aux mauvaises pratiques éventuelles.
D’autre part la faiblesse des moyens et des ressources engagées dans ces
médias économiques produisent immanquablement une influence manifeste
et puissante de la publicité laquelle est un financeur qui n’est pas neutre,
90
donc a une incidence inévitablement sur la qualité et le contenu de
l’information.
Ainsi, l’une des plus vitales recommandations de cette étude sur la presse
économique serait celle de pouvoir gérer les contraintes structurelles à
travers un modèle économique assurant plus d’autonomie, de liberté et de
souplesse. Une telle perspective ne peut avoir lieu que si l’articulation avec
les NTIC arrive à proposer une diversité dans la forme alliant les espaces
virtuels aux versions classiques des médias. Cette évolution ou contrainte
semble irréversible.
L’Etat a des responsabilités dans ce domaine, car les médias du service
public n’assurent pas leur rôle fondamental dans la garantie du droit des
citoyens à l’information publique en général dont l’économique aussi.
L’Etat pourrait avoir également un rôle dans le renforcement de la dimension
citoyenne des médias économiques par l’organisation équitable des
commandes publicitaires des institutions publiques qui constituent une part
non négligeable des donneurs d’ordre dans la presse et qui relèvent des
deniers publics répartis sans critères sérieux concernant les produits et les
supports ; d’où des privilèges indus et des médias médiocres, économiques
ou autres.
L’Etat aussi a une responsabilité par rapport à la presse économique dite
indépendante ou privée. Le Maroc qui voudrait s’engager dans une économie
moderne aura besoin, à la fois, d’une communication institutionnelle en
matière économique et financière, une presse économique de qualité veillant
sur la bonne gouvernance et la transparence dans ce domaine et renforçant
les conditions d’ouverture et de compétitivité au niveau de l’économie
nationale. Sous condition d’instaurer et de respecter les normes de
transparence, plusieurs formules sont en usage dans d’autres cieux et
peuvent également être déployés chez nous, dont des incitations fiscales, des
subventions spécifiques ou autres.
2-le manque d’une formation spécialisée en journalisme éco est un constat
corollaire à d’autres faiblesses majeures de la situation marocaine. Dans un
pays de près de 35 millions d’ha entièrement ouvert au monde et
économiquement très dynamique, la place du secteur média dans son
ensemble et le nombre des professionnels y exerçant sont très faibles (près
de 3500 journalistes avec ou sans carte professionnelle). Parmi les
recommandations , il y a forcément celle qui insiste sur la nécessité de
renforcer et contribuer au développement du secteur dans son ensemble en
offrant les conditions valables à l’essor de médias professionnels , assurant
le service public et le droit d’être informé par le biais de médias libres et
indépendants ,
relevant du secteur privé illustrant la diversité et le
91
pluralisme de la société de ce pays . Il serait en effet inapproprié de plaider la
cause de développement d’une presse économique en particulier, dans le
contexte d’une situation globale où l’ensemble des médias souffrent.
-Pour réussir une telle perspective la formation journalistique dans l’état
actuel connait une certaine anarchie et laisse beaucoup à désirer. Toutes les
rédactions au Maroc sont en sous effectifs et reflètent un déficit très fréquent
de formation. Les journalistes qui y travaillent, ne sont que partiellement le
produit des circuits de formation au journalisme en général. Au niveau
public comme dans le secteur privé les instituts de formation ne répondent
pas toujours aux critères de qualité nécessaires, il existe pourtant une
ambition de la part des jeunes, attestée par le nombre important des
bacheliers qui postulent pour des études au sein de l’ISIC et se présentent
aux concours d’entrée. Elle est également attestée par la multiplication des
cycles master en journalisme et communication au niveau des universités
nationales. A cela s’ajoute le nombre des institutions privées qui proposent
des formations universitaires ou équivalentes pour le métier. Il est supposé
en tout cas qu’une formation généraliste dans ce domaine comporte une
première initiation aux notions de l’économie et de gestion dans la
perspective d’’ouvrir aux étudiants les possibilités de comprendre et
éventuellement de développer plus tard la capacité de saisir à la fois les
fondements de l’économie des médias et du journalisme économique.
Normalement, les cycles génériques peuvent aujourd’hui améliorer leur
formation en matière économique pour renforcer le cursus de base
nécessaire à tous les journalistes. L’information économique étant
aujourd’hui une donnée de la vie publique et partie intégrante du débat
public.
3-Au Maroc, l’option de médias forts nourrissant les pratiques
démocratiques au sein des institutions et de la société est encore à renforcer.
Malgré l’existence de clauses et articles dans la nouvelle constitution
consacrant les libertés de presse et d’information, l’environnement y compris
législatif demeure peu propice à de telle s perspectives. Notre enquête a
prouvé que les journalistes économiques ayant des atouts sérieux en
formation ou en performances professionnelles sont relativement bien
rémunérés ; mais beaucoup d’entre eux ne supportent pas le rythme de
travail épuisant dans les rédactions –spécialisées ou pas- dans lequel ils ne
peuvent faire que rarement leur métier convenablement. Ils sont nombreux à
quitter le domaine pour rallier les secteurs de communication, au profit des
organisations internationales, des grands groupes économiques ou des
agences de communication les plus réputées. Il s’agit finalement pour cette
étude de recommander à l’Etat marocain de confirmer d’abord l’intérêt qu’il
consacre à l’existence de médias professionnels en général et économiques
en particuliers au Maroc. Avant d’être une dimension économique et
92
commerciale, ces médias représentent en effet un choix de modernité
institutionnelle et de société ainsi qu’un outil de promotion de la citoyenneté
dans le pays.
-La question de la formation en journalisme économique subit la controverse
entre diverses expériences et contextes au niveau international. On a vu que
la formation du journaliste en matière économique dans le modèle anglosaxon et américain est une composante fondamentale qui se présente à
l’intérieur du parcours universitaire et se situe à tous les niveaux de la
formation et des études. Contrairement à l’expérience française où la
formation initiale en journalisme d’affaires est quasi absente et où la
formation continue semble légère à ce propos et présente de relais différents.
Il n’y a pas forcément nécessité d’établir un modèle défini optant pour l’une
ou l’autre de ces alternatives. Toujours est-il que la possibilité de créer des
cycles Master pour lauréats des écoles du journalisme désireux de se
spécialiser particulièrement en journalisme économique serait une option à
la fois pionnière et prometteuse, tant pour l’ISIC que pour les universités
marocaines.
-la formation de base doit être reliée par des programmes de formation
continue pour les professionnels exerçant dans les rédactions. Il devrait
exister -comme c’est le cas dans les pays ayant une grande expérience en
matière de médias, publics et privés, libres et indépendants-, des ponts
stables établissant des relations de concertations sur les modules de
formation et les valeurs professionnelles. Or un engagement contracté avec
le syndicat historique du secteur (Syndicat national de la presse marocaine)
et la fédération des éditeurs de journaux au Maroc(Fmej) en 2012 n’a pas eu
de suite opérationnelle à ce jour. La formation continue est aujourd’hui
sporadique et aléatoire. Un partie de l’aide publique à la presse devrait être
consacrée d’une manière concertée entre les trois partenaires (journalistespatrons de médias-pouvoirs publics) à la formation continue, quitte à aller
jusqu’à créer des ponts de passage entre la formation académique et la
formation professionnelle enrichissant par là ensemble, la qualité des médias
en termes de contenus et la qualité du savoir et de la recherche
universitaires. Dans un tel contexte, la formation continue en matière de
journalisme économique est une des possibilités les plus nécessaires .Elle
permettrait aussi aux journalistes performants dans le domaine de proposer
les leçons de leur propre expérience aux plus jeunes en participant aux
formations pratiques dispensées.
4-la faiblesse de la dimension enquête et investigation comme genre
journalistique fondamentale dans l’identité du journalisme économique est
également reconnue unanimement par le public aussi bien que par les
médias et les professionnels concerné. Or partout dans le monde le
93
journalisme d’investigation est un domaine majeur de la pratique
professionnelle aujourd’hui. Les évolutions des nouvelles technologies
d’information mènent à des situations où l’enquête s’est énormément
développée dans diverses directions. Outre les domaines traditionnels de
l’enquête et ses pratiques le travail du journaliste repose parfois sur la
possibilité de déchiffrage de données, tableaux statistiques détaillés et
exhaustifs et de multiples données brutes et l’usage de procédés nécessitant
une certaine maitrise des outils et des agrégats et normes utilisées. D’où une
capacité et une expertise nouvelles désormais exigibles
au-delà d’une
formation usuelle. On assiste aujourd’hui à l’émergence d’un journalisme
de données (data journalism en anglais), qui tente de renouveler le
journalisme par l'exploitation et la mise à la disposition du public de
données statistiques. Il est également lié à la libre disponibilité des données :
de plus en plus de données statistiques sont diffusées par les institutions et
les gouvernements, et un journaliste d'investigation sachant les analyser
peut révéler des faits importants.La question de la visualisation de données
est également un aspect important de ce travail.
La presse américaine a été pionnière en ce domaine en créant des unités
spécialisées dans les rédactions capables de collecter et traiter d’énormes
quantités de données pour faire aboutir des enquêtes souvent en rapport
avec les finances. Pour le Maroc, la faiblesse de la dimension enquête en
général s’explique par les handicaps multiples dont le problème d’accès
notamment à l’information, la gestion en sous effectifs des équipes
rédactionnelles et bien d’autres aspects révélés par notre propre enquête de
terrain dans le cadre de l’étude. Mais en termes d’approche des médias
économiques comme support du développement de la citoyenneté, la
question ne peut être éludée. Il est ainsi à recommander d’abord une
formation de base et une formation continue dédiée au journalisme
d’investigation et de données d’une manière appuyée.
Cependant il est aussi à recommander aux médias économiques marocains
en particulier de faire un effort important pour privilégier le journalisme
d’investigation et de données dans leur domaine. Ce choix pourrait aider à
améliorer le contenu des publications et leur perception par le public,
facilitant une meilleure audience et un lectorat plus large .Une telle option a
été explorée relativement par l’expérience du Journal dans le domaine de
94
l’information économique, elle a été de courte durée. La presse économique
se focalisant sur les enquêtes journalistiques a assurément sa place légitime
et même commercialement compétitive sur l’échiquier des médias au Maroc.
5-L’organisation professionnelle de production journalistique de l’information
économique pose également problème. L’enquête a démontré la précarité et
l’absence de normes professionnelles de fonctionnement des rédactions,
lesquelles se limitent dans la plupart des cas à des réunions de la rédaction
et à la référence à la charte déontologique universelle des journalistes tous
domaines confondus .Il ne semble pas par ailleurs que la hiérarchie
professionnelle soit réellement en respect, partout d’autres considérations
s’immiscent pour justifier la présence d’une hiérarchie plus vague et moins
professionnelle. L’aspect également étonnant c’est que tout le monde ou
presque prétend avoir une charte éditoriale pour sa publication, en réalité
peu de gens peuvent la revendiquer sérieusement .Cette analyse nous
amène à constater que la presse économique, « la plus riche » dans le secteur
de la presse marocaine, ne s’intègre pas dans le modèle classique du
journalisme, c.à.d à travers l’observation d’ une charte éditoriale définie ,
une hiérarchie authentiquement professionnelle, une charte rédactionnelle
et une déontologie spécifiquement formalisée dans le cadre éditorial. Certes,
la situation n’est pas parfaite ailleurs, mais la vraie question est de
s’interroger sur la possibilité d’exercer une presse citoyenne en économie
dans un cadre ou le déficit institutionnel des normes de la pratique de la
presse et du journalisme sont médiocres. Nous recommandons à travers
cette étude la nécessité d’organiser en interne les entreprises de la presse
économique selon les normes professionnelles et de les faire respecter pour
assurer aux journalistes la possibilité d’exercer réellement leurs
compétences et ce, dans un cadre exclusivement et authentiquement
professionnel.
Cette recommandation se justifie par le fait que la citoyenneté ne peut être
développée par des outils qui ne conçoivent pas à l’intérieur de leurs
structures une pratique démocratique et professionnelle. L’un des premiers
thèmes de la citoyenneté des médias est d’abord, la qualité de l’information
produite dans les rédactions ; l’enquête de notre étude prouve que sur ce
plan la presse économique ou dite telle, est surtout le transmetteur
principal de la communication institutionnelle et de la communication des
entreprises .L’amélioration de la qualité de son information dépend ainsi des
conditions de sa production au sein des médias économiques. Ce débat là,
certainement plus large et concernant tout le monde est cependant aussi un
débat interne aux entreprises de presse, spécifiquement au niveau des
rédactions. Cela pourrait être renforcé
par l’adoption de chartes
rédactionnelles débattues dans ce cadre et par ce qu’on pourrait qualifier
d’une certaine« démocratie rédactionnelle » permettant aux journalistes de
95
mieux s’identifier à leurs supports et aux publications d’avoir des identités
qui favorisent la diversité et le pluralisme au lieu du « More of the same » !
6-Soumettre les médias économiques à la logique du marché en termes
d’entreprises obéissant aux conditions économiques, commerciales et
financières signifie que le service public d’information est initialement
fortement diminué ou tout au moins n’est pas authentiquement à sa
charge. Historiquement, les médias économiques au Maroc sont nés de la
volonté de drainer les avantages financiers de la publicité et de faire de
bonnes affaires. Les projets éditoriaux étaient déjà confectionnés à la mesure
de cet horizon. Le processus de marchandisation de l’information et de son
marché étant en cours, se traduit surtout par des négociations et des
compromis en permanence et à tous les niveaux.
Les questions d’éthique et de déontologie sont également pertinentes,
l’enquête et les FG ont ensemble mis en valeur le déficit éthique et la carence
déontologique marquant le secteur malgré quelques normes que certaines
publications affichent et malgré quelques tentatives de maitrise de ces
questions par quelques responsables de rédactions. Là encore ,la tendance
aujourd’hui dans la presse en général et dans la presse économique, sportive
ou autre
est en particulier de développer le coté des engagements
déontologiques pour éviter toute situation de conflit d’intérêt pour les
professionnels et par là même entacher la qualité de l’information qu’ils
proposent au public ainsi que la crédibilité des publications dans lesquelles
les journalistes exercent .Mais qui et comment veillera –t-on au respect de
cette déontologie et quels seront les moyens de son déploiement ? Tous les
professionnels s’accordent à reconnaitre la nécessité de l’autorégulation
dans ce domaine ; en particulier au sein des publications il ya aujourd’hui
besoin de médiateurs (aussi appelés selon les pays, ombudsman, défenseur
du public, représentant ou avocat du public, etc.).
Cependant, la déontologie professionnelle n’est pas t une affaire de
conscience individuelle ou de chaque entreprise, l’activité collective et sociale
qu’est l’information se trouve en opposition avec la volonté de faire de celle
ci une affaire personnelle. D’ou la nécessité d’associer la société civile aux
tâches d’autorégulation. Dès que les responsabilités d’un métier sont
ouvertement exercées dans l’espace public, la réflexion, les normes
dépassent le cadre individuel ou corporatiste. Le journalisme ne peut
concevoir une déontologie professionnelle qui ne ferait pas l’objet d’un
contrat moral avec son public.
7- Les relations entre différentes sphères concernées par le produit du média
économique sont très sensibles, mais le plus étonnant dans la situation
96
marocaine est l’extrême cloisonnement des structures et des domaines et la
rigidité de leurs rapports. La fluidité et le dialogue entre les différentes
parties de l’entreprise media n’est pas mis à profit à l’intérieur de la
structure , ni entre des entreprises ayant le même domaine , ou les
différentes parties intéressées par l’information économique .Ceci est
d’autant moins le cas avec la société civile souvent perçue comme un trouble
fête ; un lieu où les institutions du patronat et les associations défendant la
transparence, le droit à l’info du grand public etc…
La
question transversale qui concerne l’articulation des différents
partenaires de la production de l’info ou de son usage révèle un déficit de
débats et de communication entre eux pour une meilleure prestation du
média, ainsi que le besoin d’espaces de dialogue avec les opérateurs
économiques et la société dans son ensemble.
En fin la qualité de l’information s’ancre dans la responsabilité de ses
producteurs et de ses diffuseurs comme dans la vigilance du citoyen
.Développer la citoyenneté dans et par les médias économiques pourrait se
faire effectivement par une dynamique appropriée non encore en marche
chez nous , celle de mettre en place des observatoires de médias qui
s’approprient la responsabilité d’être des « chiens de garde » du droit des
citoyens à une information de qualité, diversifiée, plurielle et accessible.
Dans le contexte marocain le développement de l’éducation aux médias pour
tous est un aspect important à mettre en place dans l’option d’une réforme
du système éducatif
en préparation actuellement. Le renforcement des
médias de service public en matière d’information économique
et
l’éducation et la formation des éducateurs des jeunes et des adultes, à
développer des politiques de la citoyenneté, de la communication et de la
culture qui prennent en compte les nouveaux enjeux de l’information
économique auront un impact certain sur les transformations économiques
en cours au profit de la vie démocratique et de la diversité culturelle.
Certes les mutations rapides et surtout les incertitudes sur l’avenir de la
presse écrite sont des facteurs perturbateurs, mais Il faut naturellement ne
pas tomber dans des schémas holistes et apocalyptiques pour l’avenir des
médias économiques ou autres, écrits ou autres ; l’évolution actuelle dans le
monde démontre le maintien avec une redistribution des parts et la
cohabitation intelligente entre différents formats. La dynamique médiatique
a pour centre de gravité le journaliste et pour raison d’être la circulation de
l’information dont la société a et aura toujours besoin. Les journalistes des
médias classiques sont nécessaires dans un pays, ils ne sont remplacés ni
par les experts, ni par le journalisme citoyen, ni par les témoins. L’exemple le
plus éloquent est cette affaire de Wikileaks ; il était facile à son auteur de
97
mettre ses 250 000 p. d’information à la disposition du public sur la toile. Il
a choisi quand même et lui-même de passer par des médias traditionnels
pour donner de la crédibilité à sa démarche.
S’informer et se tenir bien informé requiert dorénavant l’exercice d’une
responsabilité individuelle et citoyenne exigeante ne se confondant pas avec
liberté de choisir parmi la variété des produits offerts sur le marché des
informations
Le public est également responsable d’exiger en permanence la protection de
son droit à l’information et à une information de qualité .C’est cela qui
seulement interpelle les médias. Pour ce faire, le citoyen doit s’informer,
analyser, critiquer et prendre la parole à propos du travail des médias.
Serge Halimi, « La pensée de marché », mai 2001 in www.acrimed.org
Manuel Castells, Communication power, Oxford University Press, 2009
iiiE. Izraelewicz, La revue des Sciences humaines, 1998
iiiLes correspondants non permanents, collaborateurs externes et conseillers ne sont pas
inclus. L’effectif global comprend le commercial, l’administratif, la distribution et la
fabrication. L’effectif des journalistes comprend le rédacteur en chef, mais pas le directeur de
publication
ivhttp://www.challenges.fr/media/20131029.CHA6257/reuters-supprime-4-500emplois.html
i
iiD’après
viMédias
et démocratie entre affinités électives et mutuelles suspicions. Textes réunis par
Frédéric Rognon, Presses universitaires de Strasbourg, 2010, p.6.
viiAlain Degrémont, « La crédibilité des médias dans le traitement de l’information
économique » in Médias et démocratie entre affinités électives et mutuelles suspicions. Textes
réunis par Frédéric Rognon, Presses universitaires de Strasbourg, 2010, pp. 111-129.
viiiPour le volet couvrant, par ailleurs, l’analyse des perceptions de consommateurs (lecteurs
en papier, spectateurs / auditeurs, internautes) , lire le document annexe.
ix Jamal Berraoui, Ali Amar, Ahmed RedaBenchemsi, pour ne citer que ceux-là
x Entretien avec AboubakrJamai, l’un des fondateurs du « Le Journal » et son directeur de
publication.
Initialement édité par New Publicity, le groupe lui sert dorénavant de régie publicitaire,
alors que l’hebdomadaire est édité par une filiale, Les éditions de La Gazette
xiii
La mission de l’ISIC est :
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- d’assurer la formation théorique et pratique des cadres supérieurs dans les domaines des médias et de la
communication des organisations, destinés à servir dans les institutions médiatiques, les administrations et les
établissements publics, les collectivités locales et le secteur privé ;
- d’organiser des cycles de perfectionnement et de formation continue dans les domaines de sa spécialisation
à travers des séminaires, des colloques et des stages de formation ;
- de contribue au développement de la pratique professionnelle dans les domaines des médias et de la
communication ;
- de promouvoir la recherche scientifique et académique dans ces domaines ;
- de réaliser des études au profit des administrations, des établissements publics, des collectivités locales et du
secteur privé, ainsi que des sondages d’opinion et des campagnes médiatiques dans les divers domaines en
collaboration avec des organismes nationaux ou étrangers.
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