L`ACP se livre à un excès de pouvoir
Transcription
L`ACP se livre à un excès de pouvoir
DROIT & TECHNIqUE Par arrêt du 23 décembre 2011, le Conseil d’Etat annule la décision de placement sous administration provisoire de Landes mutualité pour excès de pouvoir. En cause une erreur de droit de l’ACP (ex-Acam) dont il semble difficile pour la mutuelle de se relever. L e Conseil d’Etat a sèchement censuré la décision de l’Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ex-Acam, ci-après dénommée ACP (1)) de mise sous administration provisoire de la mutuelle Landes mutualité (voir LTA 167, mars 2012, p. 48). Plus globalement, c’est le montage imaginé par l’ACP pour sauver Vittavi mutualité, la mutuelle étudiante de Toulouse, associée à Landes mutualité au sein de l’Union de Groupe Vittavi mutualité (GVM) et en proie à de graves difficultés financières depuis 2009, qui est aujourd’hui condamné. La réunion de l’intégralité des pouvoirs des deux mutuelles et de l’Union GVM entre les mains d’un administrateur provisoire unique, pierre angulaire du sauvetage planifié, est remise en question par l’annulation rétroactive et irrévocable du placement sous administration provisoire de l’Union GVM et de Landes mutualité (2). Trop tard ? Aujourd’hui, l’activité de Vittavi est, grâce à la coopération forcée de Landes mutualité, préservée lorsque cette dernière, jadis prospère, se bat pour ne pas disparaître. Retour sur les motifs et les perspectives de l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 décembre 2011. LA DÉCISION DE MISE SOUS ADMINISTRATION PROVISOIRE ADMINISTRATION PROVISOIRE L’ACP se livre à un excès de pouvoir LIONEL LEFEBVRE avocat à la Cour, associé du cabinet Bichot avocats Le 12 novembre 2009, l’ACP plaçait la mutuelle Landes mutualité sous administration provisoire. Cette décision reposait sur l’article L. 510-9 du code de la mutualité en vigueur à cette date disposant notamment que : « Lorsque la situation financière d’une mutuelle ou d’une union ou ses conditions de fonctionnement sont telles que les intérêts des membres participants et des bénéficiaires et de leurs ayants droit sont compromis ou susceptibles de l’être, l’Autorité de contrôle prend les mesures d’urgence nécessaires à la sauvegarde de ces intérêts. Elle peut, à ce titre, […] désigner un ou plusieurs administrateurs provisoires à qui sont transférés les pouvoirs nécessaires à l’administration et à la direction de la mutuelle ou de l’union. » Deux séries d’arguments, si l’on se fie à la décision de l’ACP (3), expliqueraient cette décision. D’une part « le risque de blocage opérationnel » de Landes mutualité qui, ayant délégué sa gestion à l’Union GVM, mise elle-même sous administration provisoire (4), serait en risque du fait de la situation financière dégradée pouvant conduire à un état de cessation des paiements de l’autre des deux membres de l’Union GVM, à savoir Vittavi mutualité. Etait soi-disant redouté un risque de contagion des difficultés financières de cette dernière à l’Union GVM, puis à Landes mutualité. D’autre part, des irrégularités tenant au fait que « le président et le vice-président ne semblent pas maîtriser la stratégie de la mutuelle et de ses filiales », à la détermination des indemnités allouées aux administrateurs qui, même modiques, ne respecteraient pas les plafonds réglementaires (5), à « une certaine confusion [qui] semble régner entre GVM et Landes mutualité », à des conventions de courtage qui, pour certaines, ne seraient pas signées, peu important que l’écrit ne soit pas requis et, enfin, à la concentration des placements pour 15 M€ sur un produit présentant des risques quant à la couverture des engagements réglementés. Cette décision était confirmée le 27 janvier 2010 (6), conformément aux articles R. 510-6 et R. 510-7 du code de la mutualité précisant que la décision de mise sous administration provisoire doit être Aujourd’hui, l’activité de Vittavi est, grâce à la coopération forcée de Landes mutualité, préservée lorsque cette dernière, jadis prospère, se bat pour ne pas disparaître. 2 La Tribune de l’assurance // avril 2012 // n°168 confirmée ou levée dans le délai de trois mois après audition des responsables de la mutuelle. Curieusement, le délai de trois mois n’a pas seulement été mis à profit pour entendre les dirigeants de Landes mutualité, mais encore pour identifier de nouveaux griefs susceptibles de justifier a posteriori la décision de mise sous administration provisoire. Ainsi, deux nouveaux griefs étaient formulés, à savoir : l’insuffisance d’identification comptable de la provision mathématique relative à des garanties d’assurance vie proposées par Landes mutualité et un engagement financier de rachat des parts d’une société partenaire pour un prix jugé surévalué. Estimant la décision initiale et la décision de confirmation fondées sur des faits manifestement non avérés et des raisonnements erronés sur le plan juridique, le président de Landes mutualité décidait, après rejet de sa requête en référé de suspension de la mesure d’administration provisoire (7), de saisir, au nom de sa mutuelle, le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir. pas uniquement sur le plan du droit. Le placement sous administration provisoire, censé préserver Landes mutualité des difficultés financières de Vittavi mutualité, n’avait, in fine, d’autre objectif que de faire supporter à la première la situation de la seconde, en atteste la situation actuelle respective des deux mutuelles. ABSENCE DE REMISE EN CAUSE DES CONDITIONS DE GESTION Le Conseil d’Etat retient de façon quelque peu ambiguë, s’agissant des autres motifs invoqués par l’ACP, « qu’il ne ressort pas de l’instruction que l’Acam aurait estimé que la gestion de Landes mutualité ne pouvait plus être assurée dans des conditions normales et, ainsi, pris la même décision si elle n’avait retenu que les autres motifs ayant fondé la décision attaquée ». En clair, selon le Conseil d’Etat, la décision restait entachée d’erreur de droit dans la mesure où l’ACP n’expliquait pas en quoi les griefs formulés à l’encontre de Landes mutualité étaient susceptibles de démontrer, comme le requiert la réglementation, que la gestion de l’organisme ne pouvait plus être UNE DÉCISION ENTACHÉE D’ERREUR DE DROIT effectuée « dans des conditions normales ». La mise en œuvre des procédures d’urgence prévues par l’article Cette position a le mérite de rappeler que les griefs, irrégularités L. 510-9 du code de la mutualité est subordonnée à la réunion de ou dysfonctionnements constatés doivent, pour constituer un deux conditions. La première implique la démonstration soit d’une motif de la décision de placement sous administration provisoire, situation financière dégradée, soit de risques sur le fonctionnement remettre en cause, quelle que soit leur gravité, la gestion normale de l’organisme. La seconde, une atteinte de l’organisme. Elle présente néanmoins potentielle à l’intérêt des assurés, adhérents l’inconvénient en l’espèce d’écarter sans et bénéficiaires. Parmi les mesures d’urgence analyse toute prise de position du Conseil Les griefs formulés susceptibles d’être prononcées, la mise sous d’Etat sur la réalité et le bien-fondé des motifs étaient soit infondés, soit administration provisoire implique, en outre, invoqués par l’ACP. On ne s’y trompera touparfaitement accessoires, que l’ACP soit en mesure de démontrer que tefois pas. En adoptant une telle position en tout cas nullement la gestion de l’organisme ne peut plus être qui répond à une objection développée par susceptibles de justifier assurée « dans des conditions normales ». Ces Landes mutualité, le Conseil d’Etat ne fait pas le placement sous conditions n’ont pas, selon le Conseil d’Etat, l’économie de l’analyse des motifs invoqués administration provisoire été respectées par l’ACP. par l’ACP. Il retient implicitement, mais sans de Landes mutualité. ambiguïté, qu’aucun d’entre eux ne justifiait la mesure de mise sous administration proABSENCE DE RISQUE DE BLOCAGE Le Conseil d’Etat reproche à l’ACP d’avoir placé Landes mutualité visoire et valide ainsi l’analyse du rapporteur de la république ayant sous administration provisoire « sans rechercher si sa situation propre notamment retenu qu’ « un placement sous administration provisoire le justifiait ». Ce n’est pas tant l’analyse de la situation de Landes n’apparaissait, au vu des éléments révélés, pas légalement justifié ». mutualité, mais l’absence de toute analyse ayant précédé la mise Les griefs formulés étaient soit infondés, soit parfaitement accessous administration provisoire qui est stigmatisée. Le Conseil d’Etat soires, en tout cas nullement susceptibles de justifier le placement retient ainsi que le « risque de blocage opérationnel » résultant des sous administration provisoire de Landes mutualité. En effet, aucun difficultés rencontrées par Vittavi mutualité susceptibles de rejaillir élément ne traduisait « une carence de gouvernance ». Par ailleurs, la sur l’Union GVM et, par voie de conséquence, sur Landes mutualité, situation financière de Landes mutualité était préservée du fait de argument central de l’ACP pour justifier sa décision, demeurait la trésorerie disponible (10,5 M€) et par ses placements, qui même totalement étranger à la « situation propre » de Landes mutualité concentrés sur un produit, ne présentaient pas de risque en raison de la garantie par laquelle l’émetteur s’était engagé à rembourser ou à ses conditions de fonctionnement. En droit, la censure sur ce point semblait inévitable. C’est d’ailleurs intégralement à terme du capital investi. Ce constat rendait inutile purement incidemment que le Conseil d’Etat rappelle que ce risque l’analyse du risque d’atteinte aux droits des adhérents et bénéficiaires de blocage était en pratique totalement inexistant tant au niveau de Landes mutualité, lequel était, dans ces conditions, inexistant. de l’Union GVM que, par conséquent, à celui de Landes mutualité. Les vices affectant les motifs de la décision du 12 novembre 2009 D’une part, comme le relève le Conseil d’Etat, le placement de emportent ainsi, selon l’arrêt rapporté, sa nullité ainsi que la nullité l’Union GVM sous administration provisoire par l’ACP avait (ou par voie de conséquence de la décision confirmative du 27 janvier n’aurait dû avoir) pour seul objet de remédier à ce risque en pré- 2010. servant les intérêts des membres de l’Union, dont, en premier lieu, Landes mutualité. D’autre part, la situation financière dégradée de UNE DÉCISION NULLE RÉTROACTIVEMENT Vittavi mutualité aurait pu, conformément aux statuts, entraîner L’annulation fait disparaître rétroactivement la décision entachée son éviction de l’Union. Elle aurait également pu justifier un retrait d’erreur de droit, laquelle est réputée n’avoir jamais existé (9). En de Landes mutualité avec reconstitution d’une équipe dédiée à son résulte la nullité des actes de l’administrateur provisoire qui n’aurait activité. Ces derniers points, soulignés par le rapporteur public dans pas dû être désigné et la responsabilité de l’ACP au titre des préjuses conclusions (8), condamnaient le raisonnement de l’ACP, et ce, dices imputables à la décision entachée de nullité. >> La Tribune de l’assurance // avril 2012 // n°168 3 Droit & technique >> NULLITÉ DES ACTES DE L’ADMINISTRATEUR PROVISOIRE L’effet rétroactif de l’annulation emporte la nullité de l’intégralité des actes de l’administrateur provisoire, lequel doit être considéré comme n’ayant jamais eu la capacité pour engager la mutuelle. Seul tempérament à ce principe, cette nullité ne pourrait pas être opposée au tiers de bonne foi ayant légitimement pu croire dans la capacité de l’administrateur à engager la mutuelle. Cette inopposabilité couvre en principe les décisions de gestion courante. En revanche, une analyse au cas par cas est nécessaire pour les décisions excédant ce cadre, au premier rang desquels le transfert d’actifs et du portefeuille (comprenant les actifs admis en représentation des engagements) décidés par l’administrateur provisoire de Landes mutualité par actes des 9 juin, 1er juillet et 4 juillet 2011. De sérieux arguments militent en faveur de l’opposabilité de la nullité affectant l’acte de transfert à la mutuelle cessionnaire. En premier lieu, cette décision portant sur un transfert définitif excède la décision de transfert de l’ACP du 4 mai 2011 (10) qui, fondée sur l’article L. 612-33 du code monétaire et financier (11) visant des mesures « conservatoires » (par opposition avec des mesures définitives), devait rester provisoire et ne pouvait porter sur les actifs de Landes mutualité autres que les portefeuilles d’assurés. En deuxième lieu, en vertu de l’article L. 510-9 du code de la mutualité applicable au cas d’espèce, l’administrateur ne se voyait transférer que « les pouvoirs nécessaires à l’administration et à la direction de Il est souhaitable qu’une juridiction indépendante, et non le Collège de l’ACP, puisse être saisie par les contrôleurs en ce qui concerne les mesures les plus graves. la mutuelle » à l’exclusion de tout pouvoir de disposition. En troisième lieu enfin, le transfert ne prévoyait pas de contrepartie, ou une contrepartie dérisoire (12). Dans ce cas, la bonne foi du tiers cessionnaire, ne pouvant pas légitimement ignorer l’absence de pouvoir de l’administrateur provisoire pour céder l’intégralité des actifs et du portefeuille de la mutuelle, pourrait être remise en question et obliger celui-ci à restitution. Une action en annulation est d’ailleurs en cours sur cette question. En outre, du fait de l’annulation de sa désignation, la RC de l’administrateur provisoire pourrait être recherchée pour tout acte préjudiciable aux intérêts de Landes mutualité. RESPONSABILITÉ DE L’ACP Toute illégalité vaut faute de service (13), de sorte que l’excès de pouvoir caractérisé par le Conseil d’Etat aux termes de l’arrêt rapporté devrait engager la responsabilité de l’ACP, ou plus exactement celle de l’Etat sur le budget de l’ACP, cette dernière étant dépourvue de personnalité morale, pour tous les préjudices résultant de la mise sous administration provisoire. Le Conseil d’Etat a en effet rappelé qu’il appartient à l’ACP « d’assumer les conséquences des actions en responsabilité qui pourraient être engagées contre elle à l’occasion des fautes commises dans l’exercice de [ses] missions » (14). Il en résulte que cette responsabilité n’est pas subordonnée à la démonstration d’une "faute lourde". A noter que cette responsabilité pourrait également être engagée si l’ACP refusait de tirer les conséquences de la décision du Conseil d’Etat dont l’exécution est actuellement confiée à la section du rapport et des études du Conseil d’État. A ce titre, l’ACP est tenue de mettre en œuvre toutes les mesures permettant de remédier à la nullité de la décision de mise sous administration 4 provisoire et de s’efforcer de replacer Landes mutualité dans la situation qui aurait été la sienne sans cette décision, en assurant notamment la réintégration du portefeuille et des actifs dans le patrimoine de Landes mutualité. UNE DÉCISION ARBITRAIRE L’arrêt du Conseil d’Etat du 23 décembre 2011 met en lumière les limites et dangers du pouvoir conféré à l’ACP de placer les entreprises relevant de son contrôle sous administration provisoire. D’un intérêt théorique indéniable, cette mesure semble en pratique être utilisée comme un moyen d’ingérence incompatible avec les droits et libertés fondamentales protégés par notre système juridique. Il est notable que la décision de placement sous administration provisoire de Landes mutualité soi-disant justifiée par un risque de blocage se solde, en à peine deux ans, par le démantèlement pur et simple de cet organisme. La lenteur de la procédure de recours pour excès de pouvoir laisse, en pratique, trop de latitude à l’ACP pour s’affranchir des règles de droit ou de procédure (15). Le rappel à la loi intervient trop tard, la procédure de référé-suspension ne permettant pas de remédier à cette situation du fait de la condition d’urgence requise. Dans le sens de la décision du Conseil Constitutionnel du 2 décembre 2011, ayant mis en exergue l’importance de la séparation des fonctions de poursuite et de jugement (16), il est souhaitable qu’une juridiction indépendante et non le Collège de l’ACP puisse être saisie par les contrôleurs en ce qui concerne les mesures les plus graves. Le sauvetage d’une autre mutuelle n’aurait pas constitué dans ce cadre un intérêt supérieur justifiant l’atteinte aux droits, libertés et patrimoine de Landes mutualité par l’administrateur provisoire dont la désignation, aux termes de l’arrêt rapporté, ne s’imposait pas. n (1) L’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) a remplacé l’Acam à la suite de l’ordonnance n° 2010-76 du 21 janvier 2010 (article 22). (2) Arrêt du Conseil d’Etat n° 335511 annulant pour excès de pouvoir la désignation d’un administrateur provisoire au sein de l’Union GVM. (3) Décision n° 2009/64 du 12 novembre 2009. (4) Décision n° 2009/63 du 12 novembre 2009. (5) Article R. 114-5 du code de la mutualité. (6) Décision n° 2010/03 du 27 janvier 2010 (n° 335512). (7) Ordonnance du Conseil d’Etat du 19 février 2010. (8) Conclusions de M. Frédéric Alajidi, rapporteur public au Conseil d’Etat, séance du 14 novembre 2011. (9) Principe constant. CE 26 décembre 1925 – Arrêt : « Rodière » - Rec. Lebon p. 1065. (10) Journal officiel du 10 mai 2011. (11) « […] l’Autorité de contrôle prudentiel prend les mesures conservatoires nécessaires ». (12) Engagement du cessionnaire éventuel de contribution au passif en cas de liquidation de Landes mutualité (cf. protocole d’application portant transfert du portefeuille des engagements d’assurance résultant de contrats et bulletins d’adhésion à des contrats et règlements de Landes mutualité des 9 juin, 1er juillet et 4 juillet 2011 conclu entre Landes mutualité et Myriade). (13) CE sect. 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Driancourt. (14) Conseil d’Etat, Ass., avis n° 371558 du 8 septembre 2005. (15) Conseil d’Etat, 30 mars 2007, Union départementale des mutuelles de Guadeloupe, n° 269102. Annulation d’une décision de mise sous administration provisoire pour absence de caractère contradictoire de la procédure. (16) Conseil Constitutionnel, QPC n° 2011-200. La Tribune de l’assurance // avril 2012 // n°168