Télescopage ou torpillage ? Lettre de Galilée n° 176

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Télescopage ou torpillage ? Lettre de Galilée n° 176
Chaque
semaine,
l'analyse
politique de
Jean-Pol
Durand et
Rémy
Fromentin
sur
l'actualité
de la santé
Lettre n° 176 (juin 2011) : Télescopage ou torpillage ?
Posted: 28 Jun 2011 12:01 AM PDT
Télescopage
ou
torpillage
?
Lettre de Galilée n° 176
L’actualité recèle, parfois, des télescopages plus intéressants que la chronique
linéaire des évènements ! Ainsi jeudi après-midi. La scène se passe en séance
plénière des parties signataires de la Convention médicale qui n’a qu’un seul point à
son ordre du jour : la reconfiguration du secteur "optionnel" et donc la possibilité de
dépassement "plafonnés/remboursés" offerte sous conditions à certains spécialistes
du bloc opératoire. Ce qui explique la présence de l’UNOCAM. Soudain patatras,
après 3 heures de discussion sans avancée notable, nous rapporte la gazette de la
CSMF, la délégation de l’UNOCAM quitte la salle au motif que la commission du
Sénat vient, simultanément, de refuser aux mutuelles le droit d’organiser leurs
propres réseaux de professionnels.
Pour avoir correctement rapporté l’incident, la presse est néanmoins restée peu
prolixe sur cette autre aspect du conflit qui s’est donc noué en commission des
affaires sociales du Sénat (le compte-rendu n’en était pas encore en ligne au
moment de "boucler" cette lettre mais devrait l’être ici sous quelques heures). Les
sénateurs étaient donc appelés à plancher sur la Loi de "Lifting" de la HPST,
proposée par Jean-Pierre Fourcade, et notamment ses articles 22 et 22bis
"rewrités" en première lecture par l’Assemblée nationale. Ce doublet traite de la
capacité d’initiative des mutuelles à organiser des "réseaux" de prestataires, agréés
par elles, comme il en existe au demeurant déjà, et de longue date, en matière
d’hospitalisation, de soins dentaires ou optiques.
Le remboursement "différencié" par les complémentaires selon que l’acte (ou la
prestation) a été fourni par un professionnel (ou un prestataire) "agréé" ou non, est
un principe presqu’aussi vieux que la Mutualité. Et cet agrément individuel s’est
d’ailleurs révélé depuis un siècle le meilleur aiguillon au conventionnement collectif
par la sécurité sociale. Au milieu des années 90, on pensait même que ce type
d’organisation* avait fini d’imposer sa logique : aujourd’hui, près d’un français sur
10 est, par exemple, client du réseau Santéclair*. 2 800 chirurgiens-dentistes et 1
700 opticiens y ont été "agréés" pour avoir répondu à un cahier des charges avec
clause
tarifaire
évidemment
contractuelle.
Rien d’exceptionnel dans la démarche sinon une volonté de réinventer la vieille
notion de "gestion du risque" dans un contexte politique contemporain. Le
mouvement fut pourtant enrayé l’an dernier lorsque la Cour de Cassation fit droit
au recours d’un adhérent de la MGEN se plaignant du moindre remboursement que
lui avait valu la consultation d’un praticien "hors-réseau". La juridiction avait,
comme souvent, tiré argument d’une faille du droit - en l’occurrence du Code de la
Mutualité - qui n’avait pas expressément prévu l’hypothèse de ces réseaux agréés.
Paradoxalement, la Mutualité se retrouvait seule pénalisée dans cette affaire et la
FNMF sollicitait donc de l’État l’alignement de son Code particulier sur la
jurisprudence opposable à ses concurrents.
Ce qui lui avait été consenti sans l’ombre d’un problème par l’Assemblée, le 19 mai
dernier en première lecture de la Loi Fourcade, selon divers amendements de la
députée
Valérie
Boyer.
Et c’est ce même dispositif qui revenait donc le 23 mai au Palais du Luxembourg. Ce
fut un festival de poujadisme emmené par un rassemblement hétéroclite d’opticiens
réfractaires réunis à l’enseigne des opticiens Afflelou et de l’association Hemera
Santé … Rien que de très normal assurément venant d’une profession qui n’a
jamais manifesté beaucoup de zèle à négocier le prix des lunettes avec quiconque.
Mais plus surprenant est le fait de trouver, à l’origine de cette coalition, Martial
Olivier-Koehret, l���ancien président de MG-France, et un véritable cartel
de professionnels : ophtalmologues de la FNOF, cliniques privées, sages-femmes et
même
un
authentique
cabinet
de
"lobbying".
Tout ce beau monde aura donc eu raison de l’article légitimant les réseaux
mutualistes … et accessoirement du secteur optionnel puisque la délégation de
l’UNOCAM, tenue au courant en direct, avait choisi de déserter la négociation,
s’exposant aux foudres du SML, le premier à évoquer, sans rire, une "prise d’otage".
Il faut évidemment, dans cette affaire, se garder de tout manichéisme et lire les
arguments des procureurs de la Mutualité : « Cette disposition crée des marchés
captifs », lit-on dans la pétition qui a tellement impressionné les Sénateurs, qui
poursuit : « concept rétrograde qui n’aura comme conséquence directe que
l’augmentation des prix et la dégradation qualitative des prestations. La
concentration de l’activité de soin dans des réseaux privatifs mutualistes crée une
distorsion de concurrence avec les professionnels de santé de ville, et vide les
territoires
de
proximité
au
profit
de
regroupements.
»
Un argumentaire qui a déjà beaucoup servi : contre les centres de santé dans les
années 30, contre la convention dans les années 50, contre la médecine de groupe
dans les années 60, contre le numerus clausus aux études dans les années 70, contre
les CSI dans les année 80, contre le médecin référent dans les années 90, et contre
les
réseaux
de
santé
au
tournant
des
années
2000
!
Le sujet est récurrent mais reste passionnant. Il devrait rebondir jeudi prochain, 30
juin, quand le Sénat retrouvera, cette fois en séance publique, les articles 22 et 22
bis … tandis que les parties à la convention médicale se retrouveront également en
plénière.
On n’en a donc pas fini des télescopages de calendrier ! Mais peut-être serait-il bon
d’en finir avec ces bafouillages idéologiques : la coordination et la qualité des soins
méritent mieux que ces torpillages.
* L’initiative de Santéclair et de Marianne Binst avait été largement précédée par celle de Claire
Bodin pour le compte de la CNP ou, plus tard, de Groupama

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