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VENDREDI 15 AVRIL 2016 72E ANNÉE – NO 22161 2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO BCE : la colère des épargnants allemands ▶ Mario Draghi devait ▶ Le banquier central est ▶ Dans un pays vieillis- ▶ Pour ses contempteurs, ▶ Dans une tribune au rencontrer jeudi Wolfgang Schäuble, le ministre allemand des finances, très critique de sa politique devenu le bouc émissaire des conservateurs allemands, qui en oublient l’indépendance de la BCE sant, comme l’Allemagne, les taux d’intérêt très bas appauvrissent les épargnants Draghi fragilise les banques allemandes et favorise la montée de l’extrême droite outre-Rhin Monde, sept économistes allemands prennent la défense de la BCE LIR E LE C A HIE R É CO PAGE S 4 ET 7 Politique Manuel Valls, seul et critiqué par les siens LE MONDE DES LIVRES « LES PORTES DU NÉANT », SAMAR YAZBEK DANS L’ENFER SYRIEN ▶ Jean Hatzfeld LIR E PAGE 8 Flamanville L’EPR continue d’accumuler les malfaçons LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3 Science Le bras paralysé, réveillé par des électrodes a lu le terrible récit de Samar Yazbek ▶ « Une allure folle », LIR E PAGE 7 la chronique familiale d’Isabelle Spaak ▶ Bruno Racine : 1 « Le livre a de beaux jours devant lui » ÉD ITO R IAL SUPPLÉMENT UN SOUFFLE D’OPTIMISME EN LIBYE → LI R E P A G E 20 ET N OS I N F OR M A T I ON S P A G ES 2-3 A Paris, le 5 avril. MARCO CASTRO POUR « LE MONDE » CHRONIQUE INTERNATIONAL Obama et le désastre israélo-palestinien par ALAIN FRACHON P assivité, fatalisme, défaitisme ? Entre Israéliens et Palestiniens, l’Amérique n’exerce plus aucune médiation. Elle ne cherche pas même à faire semblant. Dans ce conflit, les Etats-Unis disaient assurer, de- puis vingt-six ans, le rôle d’« honnête intermédiaire ». C’en est fini de cette ambition. La présidence de Barack Obama aura entériné un mouvement amorcé depuis les années 1990 : Washington abandonne, de facto. Pour tenir le rôle avec une chance de succès, il faut tordre le bras des uns et des autres. La Mai- son Blanche ne veut plus le faire. La position de départ de l’Amérique a changé. Elle se refuse a priori à la moindre contrainte sur Israël. L’air attristé, « Barack le fataliste » adopte une posture d’impuissance et dit à ses alliés israéliens : vous allez dans le mur, mais je laisse faire. → LIR E L A S U IT E PAGE 2 0 Groupe Casino Le torpilleur américain et l’épicier L e roi des « shorts » – des spéculateurs – a sauté sur le groupe Casino. L’Américain Carson C. Block, à la tête du bureau d’analyses financières Muddy Waters (« eaux boueuses ») a entrepris de torpiller le propriétaire de Monoprix, qui publiait, jeudi, ses ventes au premier trimestre. « Groupe Casino est l’une des entreprises les plus surévaluées et mal comprises sur laquelle nous soyons jamais tombés », a écrit le spéculateur, relayé par une interview choc sur Bloomberg TV, le canal favori des marchés financiers. Le cours de Bourse de Casino a aussitôt plongé de 20 %. Récit d’une violente tentative de déstabilisation. LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 2 Panama papers Mossack Fonseca, nid d’espions ▶ Des dizaines de sociétés ont été créées par des agents secrets ▶ Vers une commission d’enquête du Parlement européen la francmaçonnerie exposition François-Mitterrand, Paris 13e 12 avril 24 juillet 2016 ▶ Le plaidoyer de la ministre des affaires étrangères du Panama LIR E P. 6 , 1 8 , E T LE C A HIE R É CO P. 5 Société Qui sont les Nuits debout ? Les profs, lycéens, intermittents et intellectuels sont « surreprésentés » place de la République, à Paris Carson C. Block, le patron de Muddy Waters. GETTY LIR E PAGE 1 0 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA 2| INTERNATIONAL 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 L’ E N J E U L I B Y E N Intervention en Libye : la soudaine prudence de l’Occident Pour donner une chance au gouvernement d’« union nationale » de Faïez Sarraj, Paris, Rome, Washington et Londres préfèrent retarder leur projet de guerre contre l’Etat islamique I ntervenir ou pas en Libye ? Après avoir multiplié les déclarations sur la nécessité d’agir avant que le désastre libyen atteigne l’Europe, les Occidentaux font depuis peu assaut de prudence. Contre toute attente, le premier ministre « d’union nationale », Faïez Sarraj, installé le 30 mars à Tripoli, semble pouvoir amorcer un processus politique en Libye. Il s’agit de lui donner sa chance, si minime soit-elle, en retardant toute intervention qui pourrait le déstabiliser. Premier haut responsable politique occidental à se rendre à Tripoli, le 12 avril, le ministre italien des affaires étrangères, qui a rencontré M. Sarraj dans la base navale où il est cantonné, a souligné que la lutte contre le péril djihadiste « est d’abord la mission des Libyens et du gouvernement d’union ». « Si et lorsque les autorités libyennes demanderont une aide internationale pour la sécurité, la question sera étudiée et débattue au Conseil de sécurité », a précisé Paolo Gentiloni. « Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons décider à Rome, Londres ou Washington. » Une position au diapason des autres grandes capitales occidentales. « Il ne faut pas refaire les erreurs du passé. Si vous imaginez des frappes aériennes, des troupes au sol, ce n’est pas d’actualité », a déclaré Jean-Marc Ayrault, le ministre français des affaires étrangères, le 8 avril. « Il faut que les Occidentaux aient le souci de ne pas l’encombrer », disait-il déjà à propos de M. Sarraj, mi-mars. Géographiquement en première ligne face au danger que représente l’implantation de l’organisation Etat islamique (EI) à Syrte où elle compterait 5 000 combattants à quelques centaines de kilomètres de la Sicile, et directement exposée à une reprise des flux migratoires, l’Italie reste très active. « Sur le dossier libyen, notre lea- dership moral, historique, économique et diplomatique est reconnu », assure la diplomatie transalpine, rappelant que « le processus pour l’installation de Sarraj et du gouvernement d’union nationale a été lancé par la conférence de Rome ». Les emballements sur une future intervention n’ont pas cessé depuis 2015. Il y a un an, la ministre de la défense italienne, Roberta Pinotti, avait annoncé que Rome serait prête à déployer des troupes, jusqu’à prendre le commandement d’une intervention. Elle fut recadrée par le premier ministre Matteo Renzi. En février, des plans de l’état-major italien ont fuité dans la presse, évoquant un déploiement de 3 000 à 7 000 hommes. Dans un entretien début mars au Corriere Della Sera, l’ambassadeur américain en Italie, John Phillips, a évoqué explicitement 5 000 hommes. Matteo Renzi a calmé le jeu : « Ce n’est pas le moment pour ces coups de force, il faut du bon sens et de l’équilibre. » Les autorités italiennes sont d’autant plus prudentes que l’opinion reste en grande majorité opposée à toute aventure. En 2011, déjà, les Italiens s’étaient montrés très hostiles à l’intervention aérienne de l’OTAN, craignant qu’elle crée « une grande Somalie au bord de la Méditerranée » selon l’expression de Lucio Caracciolo, le directeur de la revue de géopolitique Limes. OPÉRATIONS DISCRÈTES A Paris, François Hollande a tranché fin 2015 en faveur d’opérations discrètes, voire secrètes, après avoir laissé à son ministre de la défense le soin d’alerter sans relâche les Européens sur la nécessité d’intervenir. La France mène en Libye, avec les Etats-Unis, des opérations ciblées contre les chefs de l’EI et des mouvements liés à Al-Qaida. Depuis Misrata, Tripoli, Benghazi ou Labraq, où ils ont déployé des forces spéciales, les deux alliés travaillent de concert. Paris a aussi envoyé des conseillers militaires à Benghazi pour appuyer les opérations anti-djihadistes du général Khalifa Haftar, considéré comme le seul point d’appui dans l’Est libyen. Les Occidentaux n’excluent plus que cette figure, rejetée par le camp de Tripoli, puisse rejoindre le processus politique. La Libye n’est pas « au cœur des intérêts » des Etats-Unis, a rappelé Barack Obama, et reste un mauvais souvenir. Le président américain a affirmé le 11 avril sur la chaîne Fox News que les suites de l’intervention de 2011 furent « la principale erreur » de sa politique étrangère. Il reproche à ses alliés français et britanniques de ne pas avoir été assez attentifs après la chute du régime de Mouammar Kadhafi. Washington a riposté à la mort de son ambassadeur à Benghazi en 2012, et le Pentagone mène depuis lors des raids réguliers contre les leaders d’Al-Qaida et de l’EI, tout en accroissant son soutien sécuritaire à la Tunisie. « Notre effort continue de porter sur les menaces immédiates contre les intérêts américains, les opérations futures dépendront vraiment de ce que le gouvernement libyen va demander à la communauté internationale », a expliqué le général David Rodriguez, le patron du commandement américain pour l’Afrique, début avril. A Londres, David Cameron doit compter avec la vigilance de la commission des affaires étrangères des Communes, qui exige des précisions sur le projet de déployer 1 000 soldats dans la future mission d’assistance internationale. « Si nous avions des plans pour envoyer des forces conventionnelles dans une mission de soutien en Libye, nous viendrions bien sûr devant la Chambre pour en discuter », répondait le premier ministre le 17 mars. Mais le 12 avril, le président de la commission, Crispin Blunt, est revenu à la charge en accusant le ministre des affaires étran- « IL FAUT QUE LES OCCIDENTAUX AIENT LE SOUCI DE NE PAS ENCOMBRER [LE PREMIER MINISTRE] FAÏEZ SARRAJ » JEAN-MARC AYRAULT ministre des affaires étrangères gères, Phil Hammond, de manquer de transparence. La presse londonienne a relayé ces derniers jours les voix militant contre une nouvelle intervention militaire. Selon une source gouvernementale citée par le Times mercredi 13 avril, « l’idée selon laquelle le premier ministre [Sarraj] est en mesure d’accorder un feu vert à quoi que ce soit est prématurée ». Intervenir alors que M. Sarraj est dans une phase de légitimation politique « aurait pour effet immédiat de le déstabiliser car les Libyens, toutes tendances confondues, restent farouchement opposés à L’Egypte plaide pour un soutien au général Haftar Le Caire, qui craint la menace djihadiste à sa frontière, demande une levée de l’embargo sur les livraisons d’armes à la Libye L a Libye s’annonce comme un dossier phare des échanges que le président François Hollande aura avec son homologue égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, lors de sa visite officielle au Caire, les 17 et 18 avril. Le sentiment d’urgence face à l’expansion de la menace djihadiste en Libye depuis un an a rapproché les positions des deux pays. Mais des divergences d’appréciation demeurent sur la transition politique qui a du mal à se mettre en place depuis l’accord interlibyen obtenu à Skhirat, au Maroc, le 17 décembre 2015. Le Caire entend profiter de cette visite pour plaider la cause de son protégé, le général Khalifa Haftar, qui orchestre la lutte antiterroriste à la tête de l’armée nationale libyenne, et à qui il souhaite donner un rôle central dans les institutions du pays. Mais ce dernier est très contesté. Pour l’Egypte, la domination des islamistes sur le camp de Tripoli, rassemblé dans la coalition Aube de la Libye (Fajr Libya) très hostile au général Haftar, a favorisé l’expansion de groupes djihadistes liés à Al-Qaida et à l’organisation Etat islamique (EI). Le Caire craint les infiltrations djihadistes le long des 1 000 kilomètres de frontières qu’il partage avec la Libye et une jonction avec l’insurrection djihadiste à laquelle il fait face dans le Sinaï. Les autorités élues de Tobrouk et l’armée nationale libyenne menée par le général Haftar, farouche détracteur des islamistes de l’Ouest, sont donc vues par l’Egypte comme un rempart. Le soutien intransigeant du Caire aux autorités de Tobrouk et au général Haftar fait écho à la lutte qu’il mène sur son territoire contre l’islam politique incarné par les Frères musulmans, écartés du pouvoir par l’armée en juillet 2013. L’Egypte accuse son ennemi juré, la Turquie, de soutenir les islamistes d’Aube de la Libye, avec l’aide du Qatar. « La Turquie mise sur des personnalités politiques et des groupes extrémistes pour créer un fait accompli sur le terrain. Bien que les Libyens n’aient pas opté pour les islamistes lors des élections, ces derniers ont obtenu, grâce au soutien militaire turc, un veto sur l’avenir de la Libye », dénonce un diplomate égyptien. L’intransigeance du Caire s’est manifestée au printemps 2015 par des menaces d’intervention contre le camp de Tripoli. Ces menaces n’ont pas été prises au sérieux par les cercles militaires occidentaux, pour qui l’Egypte n’a ni les moyens ni l’intention de mener une intervention militaire d’envergure en Libye. Les Occidentaux ont toutefois fermé les yeux sur les livraisons d’armements du Caire et de son allé émirati au général Haftar – des hélicoptères MI-8 et des avions de chasse MIG-21, selon un rapport d’ex- Le Caire redoute les infiltrations djihadistes le long des 1 000 km de frontières qu’il partage avec la Libye perts des Nations unies publié en mars –, tout comme celles de la Turquie et du Qatar aux milices de l’Ouest, en violation de l’embargo onusien. En lieu et place d’une intervention militaire étrangère, Le Caire plaide désormais pour une levée de cet embargo. « Si nous donnons des armes et un soutien à l’armée nationale libyenne, elle pourra faire ce travail mieux que quiconque, mieux que toute intervention extérieure qui risquerait de provoquer des développements incontrôlables », a répété, le 17 mars, le président Sissi. « L’idée de protéger la sécurité nationale égyptienne est toujours d’actualité. L’objectif est de protéger nos frontières. Que cela suppose d’intervenir pour le faire est une question encore hypothétique », souligne une source égyptienne. L’Egypte aurait répondu favorablement à la demande des Occidentaux de patrouiller dans les eaux territoriales libyennes. Le Caire, qui a compris que les Occidentaux ne consentiraient à une levée de l’embargo qu’une fois un gouvernement d’union nationale installé en Libye, s’est ainsi rallié au processus de paix interlibyen promu par les Occidentaux et piloté par l’ONU. « On a digéré l’idée d’un compromis entre la légitimité électorale de l’Est et le fait accompli créé par des islamistes à l’Ouest par le biais du processus onusien », indique un diplomate égyptien, qui plaide pour un « compromis équilibré qui garantisse que la Libye ne dérive pas vers une politique extrémiste menaçant la Méditerranée et les pays riverains ». L’homme est jugé fiable Le Caire n’est toutefois prêt à exercer des pressions sur l’Assemblée de Tobrouk (Est), la seule reconnue internationalement, pour qu’elle accorde sa confiance au gouvernement d’union nationale qu’à la condition que le général Haftar continue de diriger les opérations militaires sur le terrain. On estime « jouable » son maintien au poste de commandant en chef de l’armée nationale libyenne, malgré l’objection des milices de l’Ouest. La relation avec Haftar a connu des hauts et des bas mais l’homme est jugé fiable par Le Caire, qui souligne son influence dans l’est du pays et le soutien qu’il a exprimé, début avril, à l’accord politique. L’appui que lui ont apporté les forces spéciales françaises sur le terrain est salué par Le Caire. « Ce soutien met en lumière la contradiction qu’il y a à dire que le général Haftar doit sortir de l’équation politique », souligne un diplomate égyptien. Au Caire comme à Tobrouk, on espère que cet appui militaire français se traduise par un soutien politique plus affiché au général Haftar. Certains partenaires européens n’ont pas manqué de critiquer l’effet pervers de cette intervention. « Ce n’est pas un soutien politique mais un soutien à la lutte contre le terrorisme, défend une source diplomatique. Si on veut empêcher l’expansion de l’influence terroriste dans l’Est libyen, il n’y a que l’armée nationale. Et si l’accord politique ne marche pas, il faudra bien que l’on fasse avec quelqu’un. » p hélène sallon international | 3 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Parodie de vote dans une Syrie en ruine Le régime a organisé des élections législatives dans les régions qu’il contrôle beyrouth - correspondance P Manifestation de soutien à Faïez Sarraj, place des Martyrs, à Tripoli, le 8 avril. SAMUEL GRATACAP POUR « LE MONDE » une intervention militaire occidentale », ajoute Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français en poste à Tripoli. En revanche, si M. Sarraj échoue, les plans militaires sont prêts, et une coalition ad hoc, sans mandat explicite mais couverte par la légitime défense, pourrait alors se mettre en branle. Autour des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de l’Italie, elle aurait la double mission de lutter contre l’EI et d’assister les forces libyennes. Une force de 5 000 à 7 000 hommes pourrait être déployée. L’Italie et la France s’en disputent le leadership. « NE PAS JOUER LES UTILITÉS » « Une intervention de dimension moyenne dans le cadre de l’OTAN ou dans un cadre ad hoc pourrait être dirigée par les Italiens mais la vraie question est de savoir si nos alliés l’acceptent », explique Stefano Silvestri, ancien président de l’Istituto Affari Internazionali (IAI) de Rome. Si l’on peut douter de « la réelle volonté italienne de prendre le commandement d’une telle opération, Rome ne veut pas pour autant jouer les utilités ». Sur le terrain, les Italiens effectuent déjà du travail de renseignement et, à croire diverses sources officielles, une cinquantaine d’hommes des forces spéciales seraient à pied d’œuvre. A Paris, l’état-major défend une liberté de manœuvre dans toute coalition, mais sait ses moyens comptés. Impossible d’ajouter une opération extérieure sans renoncer à d’autres engagements, et sans se passer des traditionnels moyens américains – avions de transport stratégique et de ravitaillement et drones notamment. Trois grandes options sont possibles : des opérations lourdes combinant campagne de frappes aériennes, formation de l’armée libyenne et encadrement sécuritaire du régime ; une campagne aérienne seule pour porter un coup décisif à l’EI ; ou, plus vraisemblable, une poursuite des actions en cours, qui seraient assumées de façon plus ouverte et combinées à une mission d’assistance aux forces de sécurité libyennes. « Les Libyens n’ont pas besoin de nous sinon pour de la formation, du matériel et un éventuel appui aérien », estime M. Haimzadeh. p nathalie guibert et marc semo A Tripoli, la pondération de Faïez Sarraj Le premier ministre d’« union nationale » doit tenir compte du nationalisme des Libyens tunis - correspondant F aïez Sarraj, le premier ministre du gouvernement d’« union nationale » en devenir, ne s’est pas encore exprimé sur les modalités précises d’une intervention militaire extérieure. L’exercice, lui, est à ce stade difficile tant qu’il n’est pas légalement investi par l’Assemblée de Tobrouk (Est), la seule reconnue par la communauté internationale. Il lui faudra ensuite prendre le contrôle effectif des ministères à Tripoli, pour le moment aux mains du gouvernement de facto de Tripoli (non reconnu), issu de l’ancien bloc politico-militaire Fajr Libya (Aube de la Libye). Les deux gouvernements rivaux auxquels celui de M. Sarraj est censé se substituer, celui de Tripoli dans l’ouest et celui d’Al-Baïda dans l’est (issu de l’Assemblée de Tobrouk), ont, jusqu’à présent, exprimé leur hostilité à une intervention internationale, estimant que les forces libyennes étaient capables de s’attaquer à l’organisation Etat islamique (EI) pour peu qu’on les aide en termes d’équipements. Ces deux gouvernements sont certes voués à disparaître, mais ils expriment un nationalisme que M. Sarraj ne pourra ignorer. Il n’est d’ailleurs pas acquis que le Conseil présidentiel, l’instance dirigeante du gouvernement d’union nationale, qui comprend neuf membres de sensibilités différentes (des Frères musulmans aux partisans du général Khalifa Haftar, chef de l’armée nationale libyenne), partage la même approche de cette intervention. Les Occidentaux souhaiteraient que ce Conseil, une fois légalisé, lance un appel à l’aide internationale contre l’EI. Mais dans l’équilibre entre frappes aériennes occidentales et opérations terrestres conduites par les forces libyennes, il est à prévoir que M. Sarraj cherchera à maximiser le rôle des unités libyennes afin d’éviter d’apparaître comme le jouet des Occidentaux. Intégration des milices L’affaire requerra deux préalables : la levée de l’embargo sur les livraisons d’armes, en vigueur depuis 2011 ; la refonte de l’armée libyenne. L’intégration des milices, jusqu’ici rivales, est l’un des volets les plus sensibles de cette restructuration. Une autre difficulté risque de surgir autour du sort réservé au général Haftar, qui n’est pas prêt à quitter son commandement alors que les milices de la Tripolitaine, qui assurent aujourd’hui la sécurité de M. Sarraj à Tripoli, réclament son départ. L’ONU et les Occidentaux, après avoir cherché à pousser le général vers la sortie, semblent s’être résignés à lui laisser une « place » dans la future armée, sans préciser laquelle. p frédéric bobin eu importe que les élections législatives syriennes, le 13 avril, ne se soient déroulées que sur un tiers du territoire : « l’enthousiasme » des électeurs, la « vitalité du peuple syrien » et son désir de « décider de son destin » ont été mis en avant par le président Bachar Al-Assad et plusieurs de ses ministres. Le vote, qui devrait maintenir le Parti Baas et ses alliés comme principale force au sein de l’Assemblée du peuple, apparaît avant tout comme un geste de défi à la communauté internationale, alors que des négociations pour une résolution politique au conflit en Syrie sont en cours à Genève. Pour le régime, il s’agit aussi d’affirmer que l’Etat continue de fonctionner. Selon les médias officiels, la « forte » affluence a conduit à prolonger les opérations de vote de plusieurs heures dans le pays en ruine. Des témoins ont vu qu’en réalité les électeurs ne s’étaient pas pressés pour participer. Ceux qui l’ont fait ont voté dans les territoires tenus par l’armée, où vit près de 60 % de la population. Dans les zones du nord du pays sous leur influence, les forces kurdes ont estimé que le scrutin ne les concernait pas. Quant aux gouvernorats ou aux zones qui échappent au contrôle du pouvoir, comme la province de Rakka, aux mains de l’organisation Etat islamique (EI), aucun vote, évidemment, ne s’y est déroulé. A Damas ou à Homs (ouest), les électeurs interrogés par l’AFP ont fait part de leur soutien à l’armée ou de leur espoir que leurs nouveaux représentants, choisis parmi 3 500 candidats, puissent mettre fin à la guerre et à l’inflation. Les noms des 250 élus qui siégeront dans le nouveau Parlement aux pouvoirs limités devaient être annoncés jeudi. « Parmi les candidats figuraient des ex-miliciens ou des personnes qui ont pris les armes aux côtés du régime, des hommes d’affaires qui appuient le pouvoir, des personnes qui lui ont donné un soutien idéologique, note le journaliste syrien Ibrahim Hamidi, collaborateur du quotidien Al-Hayat. Ces gens essaient de se donner une légitimité. Ils ont tiré profit de la guerre et veulent maintenant se poser comme une nouvelle élite. » Un « simulacre » selon Paris Alors que les pourparlers intersyriens reprenaient mercredi, l’émissaire de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, a réaffirmé sa volonté de parvenir à une transition. Le régime, dont la délégation est attendue vendredi à la table des négociations, s’est dit prêt à négocier « sans conditions » il y a quelques jours. Dans les faits, « Bachar Al-Assad montre, avec ces élections législatives, son refus de tout compromis », souligne Maha Yahya, chercheuse au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient à Beyrouth. Le vote de mercredi, s’il est en théorie conforme au calendrier électoral, est une façon de mettre en cause les échéances stipulées par la résolution 2254 de l’ONU sur laquelle s’appuient les échanges de Genève. Paris a qualifié de « simulacre » ce scrutin, également contesté par Washington. Moscou l’a justifié tout en affirmant soutenir le processus de transition. p laure stephan Le président Sissi et les îlots de la discorde P endant les cinq jours qu’a duré la première visite officielle en Egypte du roi Salman d’Arabie saoudite, du 7 au 11 avril, les Cairotes ont accepté sans sourciller les restrictions de circulation au nom des milliards d’investissements annoncés par Riyad et de la promesse extravagante d’un pont reliant les deux pays. Jusqu’à ce que deux petites îles inhabitées du golfe d’Akaba, en mer Rouge, viennent gâcher la fête. L’annonce, faite en catimini le 9 avril au soir, d’un accord reconnaissant la souveraineté de l’Arabie saoudite sur les îles de Tiran et Sanafir a piqué les Egyptiens au vif. Personne ne s’était imaginé que ces deux îlots à la pointe sud de la péninsule du Sinaï, historiquement saoudiens mais placés sous la protection de l’Egypte en 1950, puissent être rétrocédés. Commandant le détroit de Tiran et l’accès au port israélien d’Eilat, ils sont devenus un enjeu de fierté nationale depuis la fermeture du détroit par Gamal Abdel NUL N’IMAGINAIT QUE Nasser, qui avait précipité la guerre israélo-arabe de 1967 et l’occupation TIRAN ET SANAFIR, par Israël du Sinaï et des deux îlots, jusqu’au traité de paix de 1979. HISTORIQUEMENT Les détracteurs du président Abdel SAOUDIENS, PUISSENT Fattah Al-Sissi ont été prompts à dénoncer une « capitulation » face aux ÊTRE RÉTROCÉDÉS pétrodollars saoudiens, d’autant que les militaires avaient accusé le présiPAR L’ÉGYPTE dent islamiste déchu Mohamed Morsi d’avoir voulu vendre le Sinaï au Qatar et céder le triangle contesté d’Halaïb au Soudan pour justifier leur coup d’Etat de juillet 2013. « Approche, approche, mon pacha, l’île est à 1 million, la pyramide à 2 et je t’offre deux statues avec le tout », a moqué sur Twitter le célèbre humoriste égyptien Bassem Youssef depuis son exil américain. Des responsables politiques ont dénoncé le manque de transparence ayant entouré les négociations bilatérales – menées pendant six ans, selon les autorités – sur un sujet relevant de la souveraineté nationale. La Constitution stipule que toute modification des frontières doit être approuvée par référendum avant un vote au Parlement, a rappelé l’avocat de gauche Khaled Ali. Pour faire taire la polémique, le gouvernement a publié des documents et correspondances diplomatiques attestant la souveraineté historiquement saoudienne sur les deux îles. Les députés, divisés sur la question, ont demandé à y avoir accès avant de se prononcer. « Nous n’avons pas renoncé à nos droits, nous avons restauré ceux des autres », a tranché le président Sissi mercredi. p hé. s. 4 | international 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Brésil : Michel Temer voit son heure venue MAC ÉD OI N E Dilma Rousseff accuse le vice-président d’être le « chef des conspirateurs » Plusieurs milliers de personnes ont pris part, mercredi soir, à Skopje à des manifestations émaillées de heurts avec la police, contre l’amnistie de responsables politiques décrétée par le président Ivanov. Ce pardon, qui met de facto un terme aux poursuites liées au scandale des écoutes téléphoniques illégales de milliers de personnes imputées au pouvoir, a été accueilli par une sévère mise en garde de l’Europe et des Etats-unis. Il a suscité la colère d’opposants à Skopje qui ont cassé des vitres et brûlé du mobilier de locaux dépendant de la présidence. – (AFP.) sao paulo - correspondante L es Brésiliens le connaissent à peine. Discret, élégant, un brin glacial, Michel Temer fait partie de ces aristocrates qui s’adossent rarement à leur chaise. C’est cet homme de l’ombre, fils d’immigrés libanais, professionnel de la politique et des intrigues parlementaires qui, demain, pourrait LE PROFIL Michel Temer Avocat et homme politique né à Tietê (Etat de Sao Paulo) en 1940, Michel Temer est viceprésident du Brésil depuis 2011. Président du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre), qui a quitté la coalition de la présidente de gauche Dilma Roussef le 29 mars, il a présidé la chambre basse du Congrès national du Brésil à deux reprises. En tant que vice-président, il accéderait au pouvoir si Dilma Rousseff, membre du Parti des travailleurs (PT, gauche), venait à être destituée. gouverner le Brésil. Presque par accident. « Si le destin m’y conduit, je serai prêt à assumer la fonction », a-t-il assuré au quotidien O Estado de Sao Paulo, mercredi 13 avril. En tant que vice-président, l’ancien chef du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre) qui n’atteint pas 3 % dans les sondages, grimperait sur la première marche du pouvoir si la présidente Dilma Rousseff, membre du Parti des travailleurs (PT, gauche), venait à être destituée. Dimanche, se joue le sort de l’ancienne guerillera : la chambre des députés doit se prononcer lors d’une session plénière sur la procédure de destitution (impeachment) engagée contre elle. On lui reproche d’avoir eu recours à une astuce comptable pour minimiser l’ampleur du déficit public. Si deux tiers des députés, soit 342, estiment que la présidente a bien commis un « crime de responsabilité », le Sénat formera une commission pour analyser la demande de destitution puis décidera à une majorité simple de la poursuite ou de l’arrêt du processus. En cas de vote défavorable, Dilma Rousseff sera écartée du pouvoir pendant 180 jours, jusqu’à un vote final du Sénat à la majorité des deux tiers. Indignation de la présidente Michel Temer croit son heure venue et le fait savoir. Lundi, un discours « d’union nationale » censé être prononcé en cas d’éloignement de la présidente, a fuité opportunément, relayé par les mé- Le sort de la présidente se jouera dimanche à la Chambre des députés dias brésiliens. On y découvre un homme solennel qui se pose en réconciliateur de la nation, prévenant des « sacrifices » à accomplir pour renouer avec la croissance et promettant les réformes nécessaires au pays, tout en garantissant la pérennité des programmes sociaux. Pas une fois n’apparaît le terme de « corruption », fléau du pays, souligne Elio Gaspari dans un éditorial titré « Le discours du trône de Temer », publié mercredi dans la Folha de Sao Paulo. Qualifié d’« éjaculateur précoce » dans les couloirs du Planalto, M. Temer a aussi suscité l’indignation de Dilma Rousseff. Ecœurée, la présidente qui, par deux fois, fit campagne à ses côtés, voit dans son ex-allié le « chef des conspirateurs ». Le rôle de traître adjoint étant, à ses yeux, occupé par Eduardo Cunha (PMDB), président de la chambre des députés, proche des évangéliques, accusé de corruption et blanchiment d’argent. Chef d’orchestre du vote de dimanche, M. Cunha veut transformer le suffrage en un spectacle grand public, diffusé sur la Globo, la chaîne télévision populaire qui a, pour l’occasion, demandé à décaler les matchs de football prévus ce jour-là. Michel Temer n’est pas l’homme que les Brésiliens attendent, mais l’expert en droit constitutionnel croit en son destin. Les uns après les autres, les partis alliés au PT abandonnent le gouvernement, se positionnant en faveur de la destitution. Après le PMDB fin mars, le Parti progressiste (PP, droite), le Parti républicain brésilien (PRB, droite), le Parti socialiste brésilien (PSB, gauche) et le Parti social démocrate (PSD, droite) se sont prononcés en faveur du départ de Dilma Rousseff. Le temps des enchères L’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) a beau batailler en coulisses pour sauver le gouvernement de sa protégée, offrant des ministères en échange de l’appui des parlementaires, l’hémorragie continue. Car, face à lui, le clan Michel Temer fait monter les enchères, promettant une carrière aux députés opportunistes. « Les indécis se positionnent dans le camp qui a le plus de chances de l’emporter. Plus les démissions s’accumulent, plus le gouvernement est fragilisé », observe Marco Antonio Carvalho Teixeira, politologue à la fondation Getulio Vargas de Sao Paulo. Selon le décompte du quotidien O Estado de Sao Paulo, 317 députés seraient désormais favorables à la destitution de la présidente. « L’impeachment est consommé », en conclut Duarte Nogueira, député du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) opposé depuis toujours au gouvernement. « Le Brésil en sera soulagé », pense-t-il, déjà séduit par le discours de Michel Temer. Il est encore tôt, pourtant, pour que les pro-impeachment crient victoire. La politique brésilienne est ponctuée de coups de théâtre et de portes qui claquent. « Dilma Rousseff a déjà été enterrée avant de ressusciter plusieurs fois », souligne-t-on à l’institut Lula, rappelant que les députés ne respectent pas toujours les consignes de vote de leur parti. Et « une absence, c’est un vote en notre faveur », rappelle notre interlocuteur. L’issue du scrutin de dimanche reste imprévisible. Tout comme l’après. En cas de défaite du gouvernement de Dilma Rousseff, Michel Temer pourrait être inquiété par les développements de l’enquête Lava Jato qui a mis au jour le scandale de corruption lié au groupe pétrolier Petrobras. Son nom a été cité et une procédure d’impeachment a été lancée contre lui. Et quel que soit le résultat du vote, la rue devrait à nouveau gronder, opposant défenseurs et adversaires du PT. Devant la crainte d’affrontements, un mur a été érigé sur l’esplanade des ministères, pour séparer les deux camps de manifestants. Le « mur de Brasilia », symbole de la barrière qui divise déjà profondément la société brésilienne. p claire gatinois Violentes manifestations contre l’amnistie de politiciens C HI N E- K EN YA Taïwan furieux du transfert de 45 de ses ressortissants du Kenya vers la Chine Un groupe de 67 personnes originaires de Taïwan et de Chine continentale ont été expulsées du Kenya vers la Chine mercredi 13 avril, 10 autres ayant déjà fait l’objet d’une mesure similaire ce week-end. Sur ce total de 77 suspects, 45 sont des Taïwanais. La Chine les suspecte d’escroquerie par téléphone, même s’ils ont été acquittés à Nairobi. Taipei accuse Pékin d’avoir « enlevé » ses ressortissants. La victoire écrasante en janvier à l’élection présidentielle taïwanaise de Tsai Ing-wen, plus réticente face à la Chine, pourrait amener Pékin à adopter une position plus ferme. – (AFP.) La présidente sud-coréenne Park Geun-hye perd sa majorité Saenuri , le parti conservateur au pouvoir, est devancé aux législatives tokyo - correspondance L +$. 83#2. %$ 5* 1/$..$ 423%8*5$ +$. *)8. %$. 4$855$,/. $&1$/-. 62. $&1:/8$3'$. 9 50:-/*3"$/ 5;16 3;13 4)/;A6 416 >(%,9)36A)3A;=& 6%?;A"=%*$=;14 416 >% 4A3% @ (((7'2,//8$/83-$/3*-823*57'24!$&1*+7.2! 5'00!572. 57-2 <! :78#! es électeurs sud-coréens ont infligé un camouflet à la présidente Park Geun-hye. Le Parti conservateur Saenuri, dont elle est issue, sort minoritaire des législatives du 13 avril. Avec 122 élus – contre 152 auparavant – sur 300, il est devancé par le Parti Minjoo (123 sièges), principale formation d’opposition. Le scrutin marque également l’affirmation du tout jeune Parti du peuple comme troisième force politique du pays. Avec 38 élus, la formation issue fin 2015 d’une scission du Minjoo pourrait jouer les arbitres au cours d’une 20e législature qui retrouve le tripartisme pour la première fois depuis 1996. Le président du Saenuri, Kim Moo-sung, a présenté le 14 avril sa démission, « pour assumer la responsabilité de la défaite ». D’autres dirigeants de la formation conservatrice devraient faire de même. De quoi affaiblir un peu plus la présidente Park Geun-hye à moins de deux ans de la fin de son mandat. Autrefois qualifiée de « reine des élections » pour sa capacité à forcer la décision lors des scrutins serrés, elle semble s’être fourvoyée. Mécontente de l’inertie des débats parlementaires, elle a tenté d’imposer au Saenuri des candidats lui étant entièrement dévoués, provoquant des affrontements entre différentes factions pour s’assurer les nominations. Dans le même temps, Mme Park a toujours joué la confrontation avec l’opposition. Défaite, « sa seule chance de terminer en douceur son mandat est de passer à une logique de coopération », estime Yoon Hee-woong, de l’institut de sondage Opinion Live cité Le scrutin du 13 avril marque le coup d’envoi des préparatifs pour la présidentielle de décembre 2017 par l’agence Yonhap. C’est sans doute désormais l’unique moyen pour faire avancer ses projets, en matière économique principalement. Son gouvernement veut modifier la législation du travail pour instiller plus de flexibilité dans le secteur des services. Le projet, présenté par son gouvernement, fait l’objet d’une vive opposition car il faciliterait les licenciements et toucherait le domaine médical, suscitant la crainte d’une privatisation progressive de la santé. Or, selon la législation sur le fonctionnement de l’Assemblée nationale, un texte est adopté uniquement s’il réunit 60 % des voix des élus. Marge de manœuvre réduite Autre dossier important pour Mme Park, la Corée du Nord. Le scrutin s’est déroulé alors que Pyongyang semble préparer un nouveau tir de missile. Ayant choisi la fermeté contre le Nord, Mme Park pourrait voir sa marge de manœuvre réduite, le Minjoo et le Parti du peuple prônant la reprise du dialogue et la réouverture du complexe industriel de Kaesong. Géré par les deux Corées, ce site a été fermé en février à la suite du quatrième essai nucléaire du Nord en janvier et au lancement d’une fusée interprété comme un test de missile balistique. Idem pour les relations avec le Japon. Une amélioration a été observée, en partie sous pression américaine et motivée par le positionnement de Mm Park contre la Corée du Nord et pour l’économie. Elle s’est traduite par la reprise des échanges, notamment dans le domaine militaire, et par l’adoption, fin décembre 2015, d’un accord sur les femmes dites « de réconfort ». Mais l’opposition reste fermement opposée à cet accord, dont l’adoption finale s’annonce complexe. Le scrutin du 13 avril marque le coup d’envoi des préparatifs pour la présidentielle de décembre 2017. Mme Park ne peut se représenter, la loi limitant à un le mandat présidentiel. La défaite de son camp pourrait l’exclure du choix du candidat conservateur. Le succès du Parti du peuple pourrait conforter son cofondateur, l’ancien entrepreneur Ahn Cheol-soo dans ses ambitions présidentielles. La réussite du Minjoo pourrait favoriser son ex-président Moon Jae-in, élu de Busan (Sud-Est) et candidat malheureux à la présidentielle de 2012. Selon un sondage réalisé début avril par Realmeter, M. Moon est pour l’heure favori, avec 20,7 % des intentions de vote. Il n’en est pas moins contesté, notamment dans les provinces de Jeolla du Nord et du Sud, les bastions traditionnels de l’opposition où le Minjoo a cette fois cédé le leadership au Parti du peuple. L’implantation régionale reste déterminante en politique sud-coréenne. Si cette région devait lui retirer son soutien, M. Moon a déclaré le 8 avril qu’il en tirerait les conséquences : « Je quitterai le devant de la scène politique et renoncerai à me présenter à la présidentielle. » p philippe mesmer international | 5 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Premier oral des candidats à la direction de l’ONU Le processus de désignation du successeur de Ban Ki-moon a été ouvert par l’audition de neuf prétendants new york (nations unies) correspondance P our la première fois de son histoire, l’ONU a décidé que la nomination du futur secrétaire général, décrite par un ancien ambassadeur comme « plus opaque encore que l’élection du pape », serait plus ouverte, plus transparente, en somme, plus démocratique. « Un petit pas pour le Conseil de sécurité, mais un grand pas pour les 193 Etats membres », estime un diplomate africain. Quatre femmes et cinq hommes ont jusqu’à présent présenté leur candidature, avec CV et profession de foi. Ils ont dû aussi se soumettre pour la première fois à un grand oral en guise d’entretien d’embauche pour prétendre à la succession du secrétaire général Ban Ki-moon, qui quittera ses fonctions le 31 décembre. Pendant deux heures, ils ont été questionnés sur des sujets cru- ciaux comme le rôle des Nations unies dans la résolution des conflits, les politiques migratoires ou la réforme de l’organisation. Officiellement, le secrétaire général de l’ONU est désigné par l’Assemblée générale « par acclamation ». Dans les faits, ce sont les cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui choisissent le nom de celui qui occupera le poste « le plus impossible du monde », selon les mots du premier secrétaire général de l’ONU, de 1946 à 1952, le Norvégien Trygve Lie. « Changer le degré d”écoute » Ce nouveau processus de sélection du secrétaire général peut « changer la donne et ouvrir une porte », estime Mogens Lykketoft, le président de l’Assemblée générale, qui a organisé pendant trois jours les auditions des candidats par les Etats membres et des représentants de la société civile. « Nous naviguons dans des eaux inconnues », assure-t-il. Mais il es- père que ces rencontres informelles influenceront le choix du Conseil de sécurité, qui ne pourra plus ignorer l’avis des petits Etats membres. « Cela ne va pas profondément changer les rapports de force entre l’Assemblée et le Conseil de sécurité puisque les pays disposant du droit de veto ont, de fait, plus d’influence, mais cela peut changer l’état d’esprit et le degré d’écoute. Le Conseil devra en tenir compte », estime un diplomate. Le représentant de la France aux Nations unies, François Delattre, estime pour sa part que ce nouveau processus « crée une véritable dynamique » qui va offrir au futur secrétaire général « une très large reconnaissance et crédibilité au sein de la communauté internationale ». Parmi les neuf personnes actuellement en lice, sept viennent des pays de l’est de l’Europe, seule zone géographique à ne jamais avoir été représentée. Six anciens ministres des affaires étrangères « Les candidats finissent par se comporter comme des adolescents maladroits » RICHARD GOWAN expert au Conseil européen des relations étrangères se présentent : Vesna Pusic (Croatie), Natalia Gherman (Moldavie), Srgjan Kerim (Macédoine), Vuk Jeremic (Serbie), Igor Luksic (Monténégro) et l’actuelle directrice de l’Unesco, la Bulgare Irina Bokova. Ainsi que l’ancien président de Slovénie Danilo Türk. La liste est complétée par Antonio Guterres, ancien Haut-Commissaire aux réfugiés présenté par le Portugal, et Helen Clark, expremière ministre de Nouvelle- Zélande. D’autres candidats peuvent se présenter jusqu’à l’été, et le Conseil de sécurité espère commencer ses consultations pour s’accorder sur un candidat à l’automne. Un nom revient fréquemment, celui de Susana Malcorra, ancien bras droit de Ban Kimoon, opportunément nommée ministre des affaires étrangères de l’Argentine en novembre 2015. De nombreuses voix se lèvent pour appeler à la désignation d’une femme à la tête de l’ONU mais les membres du Conseil ont assuré vouloir privilégier les qualifications à la provenance géographique ou au genre du candidat. La Bulgare Irina Bokova, actuelle directrice de l’Unesco et qui fait figure de prétendante sérieuse, a tout de même joué cette carte, assurant qu’il était temps de « donner aux femmes la possibilité de se développer à égalité de chances au sein de la société ». Si l’ONU se choisit un nouveau secrétaire général, l’organisation n’a cependant toujours pas réussi à trancher si elle souhaite un « secrétaire » ou un « général ». « Les membres du Conseil de sécurité préfèrent avoir un bon secrétaire, qui a une bonne capacité de gestion, qui les écoute, très malléable et sans trop d’initiative », estime un diplomate. Les neuf candidats ont donc tenté de convaincre de « leur autorité morale » en prenant garde de ne surtout pas paraître trop indépendant. « Les candidats finissent par se comporter comme des adolescents maladroits qui vont rencontrer les parents de leur dulcinée pour la première fois… Ils essayent de paraître responsables et convaincants devant l’Assemblée générale alors même qu’ils n’attendent qu’une chose : se retrouver seul avec les décideurs à Pékin, Londres, Moscou, Paris et Washington », sourit Richard Gowan, expert au Conseil européen des relations étrangères. p marie bourreau Guerre financière entre partisans du « Brexit » La campagne des conservateurs dissidents a été officialisée au détriment du UKIP B oris Johnson a marqué un point dans la bataille pour la succession du premier ministre David Cameron, qui s’ouvrirait si les Britanniques décidaient de quitter l’Union européenne lors du référendum du 23 juin. Mercredi 13 avril, la commission électorale a désigné « Vote Leave », l’organisation consacrée à la défense du « Brexit », la sortie de l’UE qu’il soutient, comme l’organe officiel du vote « out ». Le maire de Londres, qui achève son second mandat à la tête de la capitale et ne se représente pas aux municipales du 5 mai, parie sur le « Brexit » pour tracer son chemin vers le 10 Downing Street. La commission a préféré « Vote Leave », qui rassemble principalement les conservateurs eurosceptiques, notamment des ministres du gouvernement Cameron, à « Grassroots Out » (GO), l’organisation concurrente dont Nigel Farage, le chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), est la figure de proue. Alors que la campagne retenue est axée sur les prétendus avantages économiques liés au « Brexit », celle de M. Farage met en exergue l’immigration et défend la reprise en main par Westminster d’un « contrôle des frontières » présenté comme phagocyté par Bruxelles. Subvention de 750 000 euros La sélection par la commission électorale offre plusieurs avantages : une subvention publique de 600 000 livres sterling (750 000 euros), la distribution d’une profession de foi à tous les électeurs et l’accès à la campagne télévisée. « Vote Leave » bénéficiera également d’un plafonnement plus élevé des dépenses de campagne (7 millions de livres au lieu de 700 000). Du côté du vote « in » – favorable au maintien dans l’UE –, la désignation sans surprise de « Britain Stronger in Europe », l’organisation de campagne présidée par Stuart Rose, ancien patron de Marks & Spencer, a été saluée par un tweet du premier ministre, David Cameron, reprenant le slogan de sa campagne : « Nous sommes plus forts, plus en sécurité et plus riches dans [l’UE] ». Le milliardaire Arron Banks a fustigé un « coup monté » des conservateurs Pour faire son choix, la commission électorale a pris en compte le degré de soutien et de financement de chaque organisation, mais son arbitrage est contesté par Leave.EU, l’une des organisations composant « Grassroots Out ». Son principal bailleur de fonds, le milliardaire Arron Banks, promet de saisir la justice contre ce « coup monté » des conservateurs. Il met en avant le tweet par lequel un haut responsable des tories a annoncé, dès mardi, la décision de la commission prévue pour jeudi. Habilement, Nigel Farage, souvent présenté comme l’épouvantail du camp du « Brexit », n’a pas choisi le même ton polémique alors qu’il joue dans la même équipe que M. Banks. Il a félicité « Vote Leave » pour son succès en prétendant avoir convaincu ses responsables de mettre comme lui l’immigration au centre de leur message. « C’est la seule manière pour le camp du “out” de gagner ce référendum », a-t-il argué. Avoir été écarté de la campagne officielle n’empêche nullement le UKIP, dont l’objet même est la sortie de l’UE, de dépenser jusqu’à 4 millions de livres. Une organisation de riches donateurs des tories, le Midlands Industrial Council, vient d’autre part d’annoncer un don de « 4 à 5 millions de livres » à « Grassroots Out ». La division de « GO » en plusieurs entités de campagne devrait d’ailleurs lui permettra de contourner les règles de plafonnement des dépenses. Le refus d’une subvention publique pourrait enfin aider M. Farage à souligner le caractère, selon lui, injuste et déséquilibré de la campagne. Le financement par l’argent public d’un prospectus vantant le maintien dans l’UE, diffusé à 27 millions d’exemplaires par le gouvernement, a créé une vive polémique. « C’est de l’argent jeté par les fenêtres pour une mise en garde biaisée et hystérique », a tonné Boris Johnson. p philippe bernard SOIREE MODE HOMME LE JEUDI 14 AVRIL DÈS 17H -20%* DANS LE MAGASIN HOMME WEDNESDAY Agency - 44 GL 552 116 329 RCS PARIS londres - correspondant D U 14 AV R I L 17 H AU 16 AV R I L I N C L U S H O RS P O INTS ROUGES AV EC VOTRE PRO GR A MME D E FID ÉL IT É MES GA LERIES* * * Ofre valable sur l’ensemble des rayons homme : Prêt-à-porter, accessoires et chaussures. Hors beauté, horlogerie et solaire. Du Jeudi 14 avril à partir de 17h jusqu’au samedi 16 avril 2016 inclus. Non cumulable avec toute autre ofre ou avantage en cours. 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Des centaines de « Panama papers » détaillent son réseau de sociétés offshore : au moins deux d’entre elles détenaient des biens immobiliers en Allemagne. Werner Mauss ne possède personnellement aucune société, a indiqué son avocat au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung et à la chaîne publique NDR, partenaires du Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ). Ces sociétés ne servaient qu’à « protéger les intérêts financiers de la famille Mauss », a ajouté l’avocat, précisant qu’elles avaient été déclarées et payaient des impôts. Il a aussi confirmé que certaines d’entre elles avaient été utilisées pour « des opérations humanitaires » lors de négociations, de libérations d’otages, ou « pour l’acheminement d’équipements comme du matériel médical ». Une mission parfois mal comprise : les autorités colombiennes ont brièvement détenu Werner Mauss en 1996, accusé d’avoir organisé avec des guérilleros un enlèvement et conservé une partie de la rançon. Il a été lavé du soupçon, et assure que « toutes les opérations menées de par le monde l’ont toujours été en coopération avec les institutions et autorités allemandes ». GOLDFINGER, GOLDENEYE L’Allemand n’est pas le seul espion à avoir eu des intérêts chez Mossack Fonseca. Le cabinet fiscal s’en amusait. « Je pensais à un nom comme “World Insurance Services Limited” ou peut-être “Universal Exports”, comme la société utilisée dans les anciens “James Bond”, mais je ne sais pas si ça passera ! », écrivait en 2010 un intermédiaire aux avocats-conseils. D’ailleurs, la firme panaméenne a baptisé des sociétés Goldfinger, SkyFall, GoldenEye, Moonraker, Spectre, Blofeld, et a reçu une demande pour Octopussy. Parmi les clients de Mossack Fonseca se trouve également le Grec Sokratis Kokkalis, un milliardaire de 76 ans surnommé « Agent Rocco », jadis accusé d’espionnage pour la Stasi, les services secrets de l’ex-Allemagne de l’Est. Le cabinet panaméen a découvert son passé en février 2015 en faisant de banales vérifications sur l’une de ses sociétés, Upton International Group. L’homme d’affaires « a été accusé par les responsables est-allemands d’espionnage, d’escroquerie et de blanchiment d’argent au début des années 1960, mais il a finalement été mis hors de cause », écrivait un employé du cabinet. Le représentant de M. Kokkalis n’a jamais répondu aux demandes de Mossack Fonseca sur l’objet social de ses entreprises. Le Grec était propriétaire du club de foot Olympiakos jusqu’en 2010, et possède à présent la plus grande société grecque de télécommunications. Dans le hall d’entrée du siège de la CIA, à Langley, en Virginie. JASON REED/REUTERS Autre surprise, en 2005, Mossack Fonseca réalise avec inquiétude que sept sociétés qu’il a montées ont pour administrateur un certain Francisco Paesa Sanchez, un agent secret espagnol tristement célèbre. « L’histoire (…) fait vraiment peur », écrit l’un des employés de la firme. Francisco Paesa Sanchez a fait fortune en traquant les indépendantistes et en débusquant un commissaire de police corrompu, avant de fuir l’Espagne avec quelques millions de dollars en poche. Il passe pour mort en 1998, sa famille signe d’ailleurs un certificat de décès déplorant une crise cardiaque en Thaïlande. Mais un journaliste le retrouve en 2004 au Luxembourg, et l’Espagnol assure aimablement que l’annonce de sa mort était « un malentendu ». Il détient sept sociétés dans îles Vierges britanniques, des hôtels, des casinos et un terrain de golf au Maroc. En octobre 2005, par crainte « d’un éventuel scandale », Mossack Fonseca a pris ses distances avec ces sociétés. Le cabinet conseil comptait encore parmi ses clients le cheikh Kamal Adham, premier chef du renseignement saoudien, considéré par une commission sénatoriale américaine comme « le principal interlocuteur de la CIA pour tout le Moyen-Orient, du milieu des années 1960 à 1979 ». Et le major général Ricardo RubianoGroot, ancien directeur de l’agence de renseignement de l’ar- Parmi les clients de Mossack Fonseca, le Grec Sokratis Kokkalis, un milliardaire surnommé « Agent Rocco » mée de l’air colombienne, ou encore le général Emmanuel Ndahiro, chef des services secrets du président rwandais Paul Kagamé. Kamal Adham est mort en 1999, Emmanuel Ndahiro n’a pas souhaité s’expliquer. Ricardo Rubiano-Groot a confirmé à Consejo de Redacción, partenaire de l’ICIJ, qu’il était un petit actionnaire de West Tech Panama, créée pour l’achat d’une société américaine d’avionique et actuellement en liquidation. Autre personnage haut en couleur lié à la CIA, Loftur Johannesson, surnommé l’Islandais. Ce riche homme d’affaires originaire de Reykjavik, aujourd’hui âgé de 85 ans, aurait collaboré avec la CIA dans les années 1970 et 1980 en fournissant des armes en Afghanistan. Grâce à ces menus services, il a pu faire l’acquisition d’une demeure à La Barbade et d’un vignoble en France. Loftur Johannesson apparaît dans les archives de Mossack Fonseca en septembre 2002, il est lié à au moins quatre sociétés qui détiennent des propriétés dans des quartiers chics de Londres et un complexe à La Barbade. « M. Johannesson était un homme d’affaires international, principalement dans le secteur de l’aviation, et dément catégoriquement avoir travaillé pour une quelconque agence de renseignement comme vous semblez le suggérer », a-t-il fait répondre à l’ICIJ. Farhad Azima est d’un autre calibre. Généreux donateur des campagnes électorales aux EtatsUnis, l’Américain d’origine iranienne avait ses entrées à la Maison Blanche et prenait le café avec Bill Clinton. Il s’était pourtant retrouvé auparavant pris dans la tempête de l’un des plus grands scandales des Etats-Unis, l’affaire des contras. Au milieu des années 1980, l’administration Reagan a en effet secrètement vendu des armes à l’Iran pour faciliter la libération de sept otages américains, Autre personnage: le milliardaire saoudien Adnan Khashoggi a joué « un rôle capital » auprès de la CIA dans la vente d’armes à l’Iran et s’est servie de ces sommes pour financer les contre-révolutionnaires nicaraguayens, la Contra. D’après le New York Times, l’un des avions-cargos de Farhad Azima aurait acheminé 23 tonnes de matériel militaire à Téhéran en 1985. Il a toujours affirmé n’en rien savoir. « Je n’ai aucun lien avec l’affaire Iran-Contra, a déclaré M. Azima à l’ICIJ. Il n’est pas une agence américaine qui n’ait enquêté sur moi, toutes ont conclu qu’il n’y avait absolument rien contre moi » « ERREUR ADMINISTRATIVE » Les « Panama papers » indiquent que Farhad Azima a créé sa première société offshore dans les îles Vierges britanniques en 2000. ALG (Asia & Pacific) Ltd est une filiale de sa compagnie américaine Aviation Leasing Group. Ce n’est qu’en 2013 que Mossack Fonseca tombe sur des articles évoquant les liens de Farhad Azima avec la CIA. Il est accusé d’avoir « fourni un appui aérien et logistique » à une entreprise détenue par d’anciens de la CIA qui livraient des armes en Libye. Un autre article citait un agent du FBI disant avoir été prévenu par la CIA que Farhad Azima était « intouchable ». Le cabinet panaméen a demandé aux représentants de Farhad Azima de confirmer l’identité de leur client, mais n’a jamais eu de réponse. Puis en 2014, le Trésor américain accuse un certain Houshang Hosseinpour, cofondateur de la compagnie aérienne FlyGeorgia, d’avoir participé en 2011 au transfert de dizaines de millions de dollars vers l’Iran, alors sous embargo. Or Farhad Azima et Houshang Hosseinpour figuraient sur les documents d’une société qui prévoyait d’acquérir un hôtel en Géorgie cette même année. Houshang Hosseinpour n’a été que brièvement actionnaire, les administrateurs de la société ont signalé en février 2012 que ses actions avaient été émises à la suite d’une « erreur administrative ». Farhad Azima a affirmé à l’ICIJ que cette société avait été utilisée uniquement pour l’achat d’un avion qui ne pouvait pas être immatriculé aux Etats-Unis : le choix des îles Vierges était dénué de toute considération fiscale. Houshang Hosseinpour a, lui, affirmé en 2013 au Wall Street Journal n’avoir aucun lien avec l’Iran et n’être « aucunement impliqué dans le viol de l’embargo ». Autre personnage baroque : le milliardaire saoudien Adnan Khashoggi. Il a négocié des milliards de dollars de ventes d’armes à l’Arabie saoudite dans les années 1970 et joué « un rôle capital pour le gouvernement américain » auprès de la CIA dans la vente d’armes à l’Iran, d’après un rapport rédigé en 1992 par le Sénat américain, dont l’un des auteurs est John Kerry, l’actuel secrétaire d’Etat des Etats-Unis. M. Khashoggi apparaît dans les archives de Mossack Fonseca dès 1978, date à laquelle il est devenu président au Panama d’ISIS Overseas S.A. Il a détenu au moins quatre autres sociétés dont l’objet social reste mystérieux. Deux d’entre elles ont géré le financement de propriétés en Espagne et aux Canaries. Mossack Fonseca a mis fin à sa collaboration avec le Saoudien aux alentours de 2003. p will fitzgibbon (icij) Ce qu’il faut savoir Coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), 109 rédactions, dont celle du Monde, dans 76 pays, ont eu accès à une masse d’informations inédites qui mettent en lumière le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux. Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias. Les « Panama papers » révèlent que, outre des milliers d’anonymes, de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs. science & planète | 7 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Un tétraplégique peut à nouveau bouger un bras Un Américain paralysé à partir des épaules bénéficie d’une dérivation neurale à base d’électrodes A ujourd’hui, je bouge à nouveau mes doigts, j’ai réussi à prendre une bouteille, à verser son contenu dans un récipient, et même à saisir un bâtonnet pour remuer. Le tout sans bras robotisé, avec mes vraies mains. Je n’aurais jamais cru que ce serait possible. C’est un formidable début vers l’autonomie. Pour moi et pour d’autres », s’exclame Ian Burckhart. En 2010, ce jeune Américain revient tétraplégique de vacances au bord de la mer. Il s’est brisé le cou en plongeant. Totalement paralysé à partir de la cinquième vertèbre cervicale, il a perdu le contrôle de ses membres inférieurs mais aussi de ses avantbras et de ses mains. Il peut juste remuer les épaules et les bras jusqu’au coude. Alors, quand deux équipes – celle du neurologue Ali Rezai, de l’université d’Etat de l’Ohio, et celle de Chad Bouton et Nicholas Annetta, de l’institut de technologie Battelle Memorial, à Columbus (Ohio) – lui proposent de participer à un essai clinique de dérivation neurale, un nouveau système qui pourrait redonner vie à ses mains, il n’hésite pas très longtemps. Certes, il lui faut accepter de se faire placer dans le cerveau un implant composé de 96 électrodes, au contact du cortex moteur. Mais il s’agit d’une toute petite puce avec des électrodes de 1,5 millimètre. Après de longs mois d’entraînement, le jeune homme est convaincu que le jeu en valait la chandelle. N’est-il pas le premier paralysé au monde à contrôler en temps réel les mouvements de ses mains à partir de l’enregistrement des signaux de son cerveau ? D’ordinaire, le cortex moteur pilote les mouvements en envoyant ses commandes aux quatre membres via la moelle épinière. La dérivation neurale consiste à faire la même chose en contournant la moelle épinière lésée lors de l’accident. Certes, le système en est au stade du prototype et M. Burckhart ne peut pas encore en profiter à domicile. Mais, à seulement 24 ans, il est conscient de tester une technologie émergente qui pourrait grandement améliorer sa vie quotidienne. 1 gigaoctet toutes les 3 minutes Les interfaces cerveau-machine se sont beaucoup développées depuis une quinzaine d’années sous l’impulsion notamment de Miguel Nicolelis, de l’université Duke en Caroline du Nord. Ces systèmes, encore en phase de test pour la plupart, parviennent à décoder les signaux du cortex moteur cérébral afin de piloter par la pensée une prothèse : ordinateur, bras robotisé ou encore exosquelette. Ainsi, en 2003, l’équipe de M. Nicolelis parvint à ce que des singes contrôlent un bras robotisé, à travers une électrode implantée dans leur cortex moteur. Et l’Américain John Donoghue, aujourd’hui directeur du centre Des électrodes stimulent les muscles du bras et permettent au patient de se servir à boire. OHIO STATE UNIVERSITY WEXNER MEDICAL CENTER/BATELLE Wyss au Campus Biotech de Genève, fut le premier à implanter des électrodes en 2011 dans le cortex moteur d’une Américaine afin qu’elle pilote un bras robotisé. « Avec la dérivation neurale, l’équipe américaine franchit un pas de plus », reconnaît John Donoghue. Il s’agit cette fois d’une interface cerveau-main : à partir du décodage des signaux cérébraux, le système permet à la personne de piloter en temps réel le mouvement de ses propres doigts, grâce à un stimulateur musculaire apposé sur son avant-bras. La mise en place du prototype a pris presque deux ans. Elle s’est déroulée en plusieurs phases. Tout a commencé par la recherche de la zone du cortex moteur contrôlant les mains, pour savoir où poser l’implant. Une étude en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a permis de le Le procédé consiste à éviter aux signaux du cerveau de passer par la moelle épinière abîmée déterminer. Après l’opération, on a posé un petit boîtier sur le crâne du patient : il relie l’implant par câble à un micro-ordinateur où s’exécutent toutes les opérations de décodage et de recodage des signaux. Un algorithmique complexe fait appel à des logiciels d’apprentissage automatique pour déchiffrer les données – environ 1 gigaoctet envoyé toutes les trois minutes par l’im- plant – et les traduire en un code compréhensible, à l’autre bout, par le stimulateur musculaire. Celui-ci comporte 130 électrodes posées dans un manchon entourant l’avant-bras. Pour « éduquer » le système, le jeune homme suit trois sessions par semaine pendant quinze mois. Il commence par s’entraîner par la pensée, devant un écran vidéo, à exécuter six mouvements simples du poignet et des doigts qu’il ne peut plus réaliser depuis son accident. Le logiciel décode les impulsions électriques envoyées par son cortex moteur quand il se concentre sur un mouvement. Le jeune homme corrige son geste qui s’affiche sur l’écran. A force de répéter, le système affine le code spécifique à chaque mouvement. Ensuite, il le retraduit en un autre code envoyé au stimulateur. Auparavant, de nom- Roundup : les eurodéputés pour une autorisation limitée Le Parlement européen a voté une résolution non contraignante limitant l’usage du pesticide pour sept ans I nterdiction ? Renouvellement sans restriction ? Le Parlement européen a choisi la voie du compromis. Les eurodéputés ont voté, mercredi 13 avril, en séance plénière, une résolution s’opposant au projet de Bruxelles de renouveler pour quinze ans l’autorisation du glyphosate – le principe actif du célèbre Roundup de Monsanto. Ils se prononcent pour une remise en selle du produit pour sept années seulement et restreinte à ses usages agricoles. « Nous demandons que les usages de ce produit par les particuliers et les collectivités soient interdits », explique le député européen Robert Rochefort (Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe), membre de la commission parlementaire qui a porté la résolution. A l’origine, celle-ci prévoyait le non-renouvellement de la substance, mais un amende- ment déposé par la députée Angélique Delahaye (PPE) proposant une réautorisation limitée a été adopté. « Il y a une attente des citoyens mais, à ce jour, il n’y a pas d’alternative économiquement viable et garantissant la santé humaine à proposer aux agriculteurs en termes de désherbage », a justifié Mme Delahaye. Signe de l’importance du dossier, c’est la première fois que les eurodéputés se saisissent de l’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire. Juridiquement non contraignante, leur résolution pèsera néanmoins sur la proposition de la Commission qui devra être votée, dans les prochaines semaines, par des experts représentant les Etats membres. Le temps presse : à la fin du mois de juin, l’autorisation du glyphosate expire sur le territoire des Vingt-Huit. venant de choc Outre les parlementaires, la société civile s’est aussi considérablement mobilisée sur le sujet. Une pétition déposée par Avaaz a ainsi recueilli près d’un million et demi de signatures en faveur de l’interdiction du produit. Un sondage réalisé par YouGov à la demande de l’ONG allemande Campact indique, quant à lui, que les deux tiers des habitants des cinq plus grands pays de l’Union sont opposés au renouvellement de l’autorisation du glyphosate. Ampleur inattendue Le dossier a pris une ampleur inattendue en mars 2015, lorsque le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) – l’agence de l’Organisation mondiale de la santé chargée d’inventorier et d’évaluer les agents cancérogènes – a classé le glyphosate « cancérogène probable ». Six mois plus tard, dans le cadre de sa réévaluation au niveau européen, la substance a au contraire été jugée improbablement cancérogène par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). Ce désaccord a conduit à une vive et inhabituelle polémique entre le CIRC et l’EFSA. Dans leur résolution, les députés ajoutent qu’ils souhaitent que la Commission européenne et l’EFSA divulguent « sans délai toutes les données scientifiques [favorables au] renouvellement de son approbation, car cette divulgation répond à un intérêt public supérieur ». Conduites par les entreprises commercialisant des produits à base de glyphosate, les études réglementaires ayant conduit à l’avis favorable rendu par l’EFSA sont en effet confidentielles. | Vytenis Andriukaitis, le commissaire européen à la santé, avait devancé la demande des députés. Dans une lettre du 4 avril, il a demandé au Glyphosate Task force (GTF), la plate-forme des 23 industriels commercialisant des pesticides à base de glyphosate, de rendre publiques les études en question. Le GTF a refusé. Autre motif de mobilisation pointé par la résolution des parlementaires européens : l’utilisation du glyphosate « a augmenté d’une manière spectaculaire, puisqu’elle a été multipliée par un facteur de 260 au cours des quarante dernières années » au niveau mondial. « La résolution prend également acte du fait que la plupart des OGM qui ont été développés l’ont été pour tolérer le glyphosate, ajoute M. Rochefort. Cela signifie que ces OGM n’ont pas été développés pour aider l’agriculture, mais pour augmenter les ventes de glyphosate. C’est une forme de trahison. » p stéphane foucart nicolas demorand le 18/20 18:15 un jour dans le monde 19 :20 le téléphone sonne breuses séances sont nécessaires pour déterminer par essais et erreurs les séquences précises de stimulation – intensité, localisation – permettant à M. Burckhart de bouger les doigts et la main. Autre intérêt : ces séances renforcent ses muscles atrophiés, les rendant plus sensibles à la stimulation électrique. Mais Grégoire Courtine, de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui a mis au point des implants pour la moelle épinière, tempère : « Ils stimulent les muscles, ce qui induit une fatigue. A l’inverse, nous stimulons directement la moelle épinière, ce qui est plus efficace, surtout pour la marche. » Reste que le patient parvient désormais à exécuter une séquence de mouvements complexes après avoir déjà réussi, au bout d’un an, à bouger les doigts. p marie-laure théodule S AN T É Le lien entre Zika et les microcéphalies confirmé Des chercheurs des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC) ont confirmé que le virus Zika peut provoquer des microcéphalies et d’autres défauts sévères du cerveau chez le fœtus, dans une étude publiée mercredi 13 avril dans le New England Journal of Medicine. Une étude de l’Institut Pasteur, parue en mars, avait déjà apporté cette preuve. – (AFP.) EN VI R ON N EMEN T Le Haut Conseil des biotechnologies en crise Sept organisations environnementales et agricoles ont annoncé, mercredi 13 avril, avoir claqué la porte du Haut Conseil des biotechnologies, chargé de fournir une expertise aux pouvoirs publics. Elles dénoncent un débat « tronqué » sur les nouveaux OGM et une instance « aux mains des lobbyistes de l’agrochimie et des OGM ». – (AFP.) avec les chroniques d’Arnaud Leparmentier, d’Alain Frachon et de Vincent Giret dans Un jour dans le monde de 18:15 à 19:00 8| FRANCE 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Manuel Valls, en déplacement à Vaulx-en-Velin (Rhône), le 13 avril. KONRAD K/SIPA Manuel Valls, l’autorité pour seule stratégie Confronté à des sondages difficiles et à des couacs répétés, le premier ministre divise de plus en plus son camp M anuel Valls a une obsession : ne pas devenir le François Fillon du PS. Le premier ministre veut continuer coûte que coûte à exister dans le tumulte politique à gauche pour ne pas finir comme son prédécesseur à Matignon du temps de Nicolas Sarkozy, et survivre – contrairement à celui-ci en 2012 – à l’élection présidentielle de 2017, quel qu’en soit le résultat pour la majorité. En chute libre dans les sondages, usé par ses deux années passées Rue de Varenne, de plus en plus critiqué au sein même du gouvernement pour sa méthode, et toujours minoritaire dans le Parti socialiste, M. Valls semble désormais condamné à ne plus faire que ce qu’il sait faire : du Valls. C’est-à-dire cliver par (presque) tous les moyens au sein de la gauche, transgresser de nouveau par les mots et les idées, pour frapper les esprits et tenter de conserver une plus-value politique minimale afin de préparer l’après-2017. Mais le chef du gouvernement ne peut plus attaquer tous azimuts comme du temps où il était ministre de l’intérieur. Au contraire, sur les questions économiques et sociales, il doit constamment s’aligner sur les équilibres précaires décidés par François Hollande. Sur le projet de « loi travail », M. Valls a dû reculer dans un premier temps devant la CFDT il y a quelques semaines, et désormais devant les organisations de jeunesse. Après vingt-quatre mois à Matignon, le premier ministre n’a pas réussi à imposer au PS et au pays sa vision sociale-libérale de l’économie. Son discours « probusiness » n’a jamais su convaincre les socialistes et semble même de moins en moins séduire le Medef, désormais attiré par le nouveau héraut du réformisme « en marche », le ministre de l’économie Emmanuel Macron. En échec sur son bilan économique et social, Manuel Valls est donc contraint de revenir sur son terrain privilégié, celui sur lequel il bénéficie encore de marqueurs forts vis-à-vis de l’opinion publique : les valeurs et l’autorité républicaines. En quelques mois, il a ainsi troqué son « j’aime l’entreprise » pour « je n’aime pas les salafistes ». Dans une interview accordée à Libération mercredi 13 avril, la veille de l’émission de François Hollande sur France 2, il a répété ses dires de la semaine précédente contre l’islamisme salafiste. Fidèle à ses convictions, il estime que le voile islamique « identitaire, politique, revendiqué comme tel, en cachant la femme, vise à la nier ». Au nom d’un « langage de vérité », il ajoute qu’il faudrait l’interdire à l’université, même si, concède-t-il, « il y a des règles constitutionnelles qui rendent cette interdiction difficile ». Surtout, il sème le doute sur la capacité générale de l’islam à s’intégrer dans la société démocratique française. « J’aimerais que nous soyons capables de faire la démonstration que l’islam, grande religion dans le monde et deuxième religion de France, est fondamentalement compatible avec la République, la démocratie, nos valeurs, l’égalité entre les hommes et les femmes », déclare-t-il. « Délires identitaires » Signe de son affaiblissement, ses propos ont été aussitôt contredits par deux de ses ministres. « Il n’y a pas besoin de loi sur la voile à l’université. Ce que je vois sur le terrain, ce que me disent tous les présidents d’université, c’est qu’il n’y a pas de problème », a réagi Thierry Mandon, le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur. « Il y a une liberté de conscience, une liberté religieuse qui fait qu’on ne va pas imposer les mêmes contraintes à des mineurs qu’à des étudiants », a ajouté Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’éducation nationale. Les propos de Valls sur le voile à l’université ont été aussitôt contredits par deux de ses ministres Cette double levée de boucliers ministérielle est une nouvelle illustration des couacs qui se multiplient au gouvernement, comme du temps de Jean-Marc Ayrault, alors que M. Valls avait précisément remplacé ce dernier pour les faire cesser. Récemment, le premier ministre s’est publiquement opposé à la ministre de l’écologie, Ségolène Royal, à propos de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Et, en début de semaine, c’était au tour du secrétaire d’Etat chargé des relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen, proche de M. Valls, de créer le trouble en se prononçant pour la dépénalisation du cannabis, position que ne partage pas le premier ministre. Surtout, ces divergences témoignent d’une opposition de plus en plus forte au sein du gouvernement contre la méthode de gouvernance du premier ministre et contre sa primauté accordée aux thèmes identitaires. « Il faut que Valls se calme avec ses délires identitaires », s’énerve un ministre qui reproche au chef du gouvernement d’« agiter en permanence les peurs et de ne jamais parler aux Français des atouts du pays ». « On ne peut plus discuter avec lui, il fait tout tout seul dans son coin, sans jamais prévenir personne », abonde un autre, qui regrette un « recroquevillement ». Coincé institutionnellement par François Hollande, Manuel Valls n’a pas d’autre choix que de soutenir une nouvelle candidature du chef de l’Etat en 2017. « Même si le lien s’est distendu, c’est François Hollande qui a été élu, c’est lui qui a créé une relation avec les Français », rappelle-t-il dans Libération. Certains de ses proches regrettent qu’il n’ait pas quitté Matignon quand cela était encore possible, par exemple pour être candidat aux régionales en Ile-de-France en décembre 2015. « Il aurait été élu dans un fauteuil et aujourd’hui, il serait dans un autre rapport de force avec Hollande », explique un de ses amis. Désormais, le risque pour Manuel Valls est clairement identifié : voir, jour après jour, pâlir son étoile du recours, pour terminer hors-jeu, entraîné dans sa chute par le chef de l’Etat en cas de défaite dans un an. p bastien bonnefous Le voile à l’université, un faux débat relancé par le premier ministre le sujet a décidément le don de provoquer des couacs au sein du gouvernement. Interdire le voile à l’université ? « Il faudrait le faire », a déclaré Manuel Valls dans Libération, mercredi 13 avril, avant que la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, et le secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur ne le contredisent : « Il n’y a pas besoin de ce texte », a rétorqué Thierry Mandon. Il y a un an, c’était Pascale Boistard, secrétaire d’Etat alors chargée des droits des femmes, et Geneviève Fioraso, qui occupait le poste actuel de M. Mandon, qui croisaient le fer sur le même thème. Le sujet déchaîne les passions. A droite, le débat oppose MM. Sarkozy et Ciotti – pour l’interdiction – à MM. Juppé et Fillon. Pourtant, si le sujet est controversé politiquement, ce n’est pas le cas, a priori, d’un point de vue juridique. Le premier ministre le reconnaît d’ailleurs dans l’interview : « Des règles constitutionnelles, dit-il, rendent cette interdiction difficile. » « Il n’y a aucune ambiguïté juridique sur ce point », abonde Christian Mestre, pro- fesseur de droit et « référent laïcité » pour la Conférence des présidents d’université (CPU). « La communauté universitaire est pour la liberté religieuse, politique, syndicale et opposée à l’interdiction du port du voile à l’université », a d’ailleurs tweeté la CPU, mercredi. Les textes garantissant les libertés publiques protègent en effet la liberté de conscience et d’expression des citoyens, donc des étudiants. Seuls les personnes exerçant une mission de service public sont soumises à une obligation de neutralité religieuse (et politique). Mauvaise cible Mais de quelle laïcité parle-t-on ? En janvier, une vive polémique opposant le premier ministre au président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis Bianco, avait rappelé que le camp laïque se déchire entre les tenants d’une laïcité libérale et ceux qui, à l’instar de M. Valls, prônent « une défense intransigeante » de la laïcité. Une laïcité de combat, dénoncent certains. M. Bianco a rappelé mercredi son opposition à l’interdiction du voile à l’uni- versité. Ce qui compte, insiste-t-on à l’observatoire, ce n’est pas le vêtement, mais le comportement. « La vraie menace est ailleurs », indique une motion votée en mai 2015 par le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’instance qui représente la communauté universitaire auprès du ministre. « Elle réside dans le risque d’intrusion des religions et d’idéologies diverses dans la science, le contenu des enseignements ou des champs de recherche », poursuit le texte. Dans un avis de 2015, l’observatoire faisait état de « 130 cas » d’incidents liés à la gestion du fait religieux, pour deux millions d’étudiants : date d’examen dénoncée car tombant le jour d’une fête religieuse, contestations d’enseignements, jeunes femmes refusant d’ôter leur voile lors d’un contrôle de sécurité au moment d’une épreuve, bible posée sur une table d’examen, etc. D’ailleurs, c’est ainsi que la justice voit les choses. Les étudiants sont libres d’exprimer leurs convictions religieuses, énonçait le Conseil d’Etat en 1996. Mais « cette liberté, précisait-il, ne saurait leur permettre d’exercer des pressions sur les autres membres de la communauté universitaire, d’avoir un comportement ostentatoire, prosélyte ou de propagande, ni de perturber les activités d’enseignement et de recherche ou de troubler le bon fonctionnement du service public ». Une limitation d’ailleurs prévue par tous les textes garantissant la liberté d’expression. Quand le voile se transforme en tunique noire enveloppant tout le corps, est-on en présence d’un « comportement ostentatoire » ? « C’est tout le problème avec le voile, a déclaré Nathalie Kosciusko-Morizet, mercredi, il y a des choses très discrètes, mais il y a un moment où cela devient plus un signe politique. » « L’habit en lui-même ne suffira pas » à une sanction, dit-on à l’Observatoire de la laïcité. Mais « s’il y a volonté délibérée de provoquer, en se mettant à plusieurs au premier rang, en contestant ou en protestant, oui il peut y avoir sanction ». Ces cas sont très rares, cependant, dit-on de même source. p benoît floc’h france | 9 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 PS : une Belle Alliance aux airs de déjà-vu L’initiative de Jean-Christophe Cambadélis ne rassemble aucune personnalité nouvelle E t si on la prenait au mot, cette Belle Alliance populaire, qui, selon son promoteur, Jean-Christophe Cambadélis, veut « dépasser le PS » pour fonder une « fédération de la gauche de transformation », avec pour objectif d’« élaborer une alternative au libéralisme ambiant et au nationalisme montant ». Commençons par le milieu, en l’occurrence ce terme d’« alliance ». En politique, il est censé indiquer que des forces distinctes ont choisi de mettre de côté leurs divergences, estimant que ce qui les rassemble est plus important. Ce n’est certainement pas ce qui a été donné à voir, lors du lancement de l’initiative, mercredi 13 avril, à Paris, quelque part entre la place de la République et la quatrième dimension. Serrés autour de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, sur la banquette trop petite du Paname Art Café, se côtoyaient les apparatchiks des groupuscules amis – Jean-Vincent Placé, François de Rugy, Denis Baupin et Yves Piétrasanta pour les écologistes progouvernementaux, Jean-Luc Bennahmias et Christophe Madrolle du Front démocrate – les traditionnels alliés radicaux représentés par l’ex-ministre du logement Sylvia Pinel, ainsi que des anciens syndicalistes proches du PS (CFDT, UNSA, FAGE) et des « acteurs de la société civile », comme l’ancien magistrat Jean-Pierre Rosenczveig. Le retour de Fadela Amara Pas un membre de la gauche du PS n’avait fait le déplacement. Pas un ministre. Pas une personnalité politique emblématique de la gauche, gouvernementale ou pas. Jean-Christophe Cambadélis avait annoncé une surprise. Elle s’est résumée au retour de Fadela Amara, l’ancienne présidente de Ni putes ni soumises, partie faire un tour du côté de chez Nicolas Sarkozy sous le précédent quinquennat. Au bout du compte, il s’agit d’un agrégat d’anciens camarades ou compagnons de route du PS, qui découvrent à quel point leurs rangs sont décimés après quatre ans de pouvoir. Ce qui amène à l’adjectif « belle », censé qualifier cette alliance. Mercredi, l’aspect esthétique de ce rassemblement ne sautait pas aux yeux. Nul besoin de s’attarder sur le logo qui orne les affiches, un copier-coller de celui de la marque de prêt-à-porter Celio. Ce sont les interventions des différents participants qui tranchaient le plus avec ce qualificatif. Aucun souffle. Elles étaient débitées sur un ton auto- Le département de Mayotte sous tension Depuis deux semaines, une grève générale paralyse l’activité économique de l’île D epuis le 30 mars, Mayotte vit au rythme d’une grève générale pour « l’égalité réelle et la justice » déclenchée par une intersyndicale regroupant la CGT, FO, la CFDT, Solidaires, la FAEN et le SNUipp-FSU. Sous ce mot d’ordre fédérateur, les syndicalistes réclament l’application immédiate à Mayotte du code du travail et des conventions collectives ayant cours en métropole, l’alignement des pensions de retraite et des prestations sociales, le rattrapage des carrières et des salaires. Des barrages filtrants ont été érigés sur les axes principaux, paralysant une partie de l’activité économique tandis que des écoles sont fermées et que les transports scolaires ne sont plus assurés. La situation s’est tendue ces derniers jours depuis que, en marge du mouvement social, des bandes de jeunes ont sillonné, par dizaines, les rues de Mamoudzou, le chef-lieu de l’île, située dans l’océan Indien, dans l’archipel des Comores, entre Madagascar et le Mozambique. Ces groupes, cagoulés et masqués, ont caillassé voitures et habitations, menacé des habitants terrorisés. Il a fallu l’intervention de nombreux médiateurs pour ramener un calme précaire dans la nuit de mercredi à jeudi, après l’explosion de violence des nuits précédentes. Mercredi, trois personnes interpellées la veille ont été jugées en comparution immédiate et condamnées à des peines allant de 1 à 8 mois d’emprisonnement. La préfecture a renforcé le dispositif de sécurité et la ministre des outre-mer, George Pau-Langevin, a annoncé l’envoi de renforts de gendarmerie. Quoi qu’il en soit, la situation demeure explosive dans ce territoire cédé à la France en 1841 par le sultan Andriantsouli, longtemps oublié de la République et devenu 101e département français en 2011. Certes, depuis vingt ans, un réel effort de rattrapage a été entre- pris, avec la construction de nombreux collèges et lycées – 217 classes ont été créées en 2015 –, la construction du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), le début de la mise en place de l’assainissement, mais ces efforts sont en grande partie absorbés par une immigration massive, essentiellement en provenance de l’île voisine d’Anjouan. Deux réunions prévues à Paris Les migrants, selon les estimations, représentent 40 % des 220 000 habitants de l’île. Chaque semaine, des « kwassa-kwassas » (petits canots de pêche) chargés de clandestins accostent. La maternité de Mamoudzou, avec 12 000 naissances par an, détient le record d’Europe : 70 % de ces naissances sont le fait de femmes en situation irrégulière. Dans la plupart des communes, les écoles primaires fonctionnent en rotation : un directeur, des enseignants et des élèves le matin, d’autres l’après-midi. Cette immigration clandestine a des impacts dramatiques et l’île est en proie à la violence et à l’insécurité. « On n’a jamais tant fait pour Mayotte, débloqué des crédits importants et prévu des procédures de rattrapage mais on ne peut pas tout faire tout de suite, ce n’est pas réaliste », se défend Mme Pau-Langevin. La ministre, qui s’est rendue sur l’île en novembre 2015, doit recevoir, vendredi à son ministère, les organisations syndicales mahoraises pour faire le point sur l’avancée des revendications qui avaient été répertoriées alors. Une autre réunion est prévue le 26 avril, en présence de Manuel Valls, afin d’évaluer la situation financière des communes. D’ici là, l’émissaire qui avait déjà travaillé sur la question du droit du travail à Mayotte va y retourner. « Mais il ne faut pas se faire d’illusions, prévient Mme Pau-Langevin. Mayotte va demeurer un point sensible. » p patrick roger matique. Rien de la fraîcheur – quoi qu’on en pense sur le fond – d’initiatives politiques comme celle de la Nuit debout ou, dans un autre style, du ministre de l’économie Emmanuel Macron. L’affaire dégage une furieuse impression de déjà-vu, de rafistolage d’un navire sur le point de sombrer. Au micro, Julien Dray, dégoulinant sous la chaleur des projecteurs, a bien tenté d’animer un peu cette mise sur les rails en tutoyant et en rudoyant gentiment les différents interlocuteurs. Mais tout cela a surtout donné la sensation que tout ce petit monde se connaît depuis bien trop longtemps. Ce qui rend d’autant plus insolite ce dernier mot de « populaire ». Pas grand-chose n’évoquait le peuple dans le lancement de cette alliance. A l’heure de l’occupation des places, les socialistes ont choisi d’aller s’enfermer dans un petit café du quartier le plus bobo de Paris. MM. Cambadélis et Dray Pas un membre de la gauche du PS n’avait fait le déplacement, mercredi, pour l’annonce. Pas un ministre avaient beau vanter une démarche « innovante » de « co-construction politique » avec la société civile, ce sont eux qui ont totalement la main sur un processus, qui à peine né, semble déjà si vieux. Initiative hors sol Avec cette initiative, le PS apparaît plus que jamais hors sol, déconnecté des électeurs. Pas un mot sur le chômage qui frappe le pays, lors de la vingtaine d’interventions des différents participants. Rien sur le terrorisme, alors que les assaillants du 13 novembre sont passés dans la rue du café où se déroulait le lancement de l’alliance. Aux oubliettes la loi travail, la déchéance de nationalité, la loi Macron et plus généralement tous les thèmes qui ont amené la gauche à se diviser. Dans le monde parallèle de la Belle Alliance populaire, le bilan de François Hollande et de la gauche au pouvoir n’existe pas, la réalité semble être un concept malléable. Interpellé sur la question, Jean-Luc Bennahmias s’en offusquait à la sortie : « J’ai prononcé le mot de géopolitique dans mon intervention, si ça c’est pas la réalité ! » Partie d’un constat juste – la gauche fragmentée a toutes les chances d’être électoralement balayée –, la Belle Alliance populaire semble conçue pour faire la démonstration que les partis politiques n’ont pas la capacité de se réinventer, mais tout juste d’indéfiniment se répéter. p nicolas chapuis J UST I C E Verdict pour le meurtre d’Aurélie Fouquet Daouda Baba et Olivier Tracoulat (absent du procès) ont été condamnés respectivement à 20 ans et 30 ans de réclusion par la cour d’assises de Paris, jeudi 14 avril, pour le meurtre de la policière municipale Aurélie Fouquet, le 20 mai 2010. A l’issue de cette audience, le braqueur Redoine Faïd a été condamné à 18 ans de prison pour avoir participé au projet de braquage qui a occasionné la fusillade. Cinq autres hommes ont écopé de 1 an à 15 ans de prison, un sixième a été acquitté. GEN DAR MER I E Un général sanctionné pour avoir écrit un livre Le général de gendarmerie Bertrand Soubelet sera privé de son commandement de la gendarmerie de l’outre-mer et affecté ailleurs. Cette décision intervient après que ce général de 56 ans est sorti de son devoir de réserve en publiant Tout ce qu’il ne faut pas dire. Insécurité, justice, un général de gendarmerie ose la vérité (Plon). 10 | france 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Les Nuits debout restent balbutiantes en banlieue Le mouvement citoyen suscite une certaine indifférence des habitants de la région parisienne I REPORTAGE ls sont quelque trois cents à se masser devant les barnums prêtés par la mairie sur la place de la Basilique. Mercredi 13 avril, Saint-Denis organise sa première Nuit debout. Et tout ce que cette ville de Seine-Saint-Denis compte de collectifs militants, de partis et d’associations sont venus pour cette première : syndicalistes de SUD, Coordination des sans-papiers, parents d’élèves des Bonnets d’âne, Mouvement de la jeunesse communiste, écologistes, etc. Le rassemblement compte beaucoup de professeurs, mais aussi des étudiants de l’université Paris-VIII et des organisations qui profitent de la Nuit debout pour faire entendre leur voix. Ceux qui souhaitent s’exprimer sont invités à s’inscrire au niveau de la tribune improvisée, selon le même fonctionnement que sur la place de République à Paris, où le mouvement est né. Emmanuelle et Adrien, respectivement chercheur en histoire et en physique, s’y sont rendus à plusieurs reprises dans le cadre de l’initiative #ScienceDebout, qui invite les passants à les questionner sur leur discipline. Ce soir, ils ont tenu à franchir le périphérique parce qu’ils estiment « nécessaire de créer un lien entre les rassemblements ». S’ils sont nombreux à vouloir prendre la parole, les futurs orateurs ont tous le même profil, regrette Mathieu, 49 ans. « Malgré un métissage social et culturel, la majorité des personnes qui sont mobilisées aujourd’hui sont des militants », constate ce parent d’élève engagé. « On n’arrive pas à faire émerger le mouvement vraiment par le bas », déplore-t-il. « Casser la centralité » Les troupes sont bien plus maigres sur l’esplanade à la sortie du RER Noisy-Champs. Ils sont une trentaine à tester, pour la première fois là aussi, un « Banlieues debout ». Les rangs sont constitués d’étudiants de l’université de Marne-la-Vallée, de militants associatifs et politiques qui ont tenté par un événement Facebook de rassembler les habitants de cette banlieue à cheval entre Noisy-leGrand et Champs-sur-Marne. « Notre idée était de casser la centralité du mouvement en allant en banlieue », explique David Cousy, responsable de l’association Créteil 3.0. Il était revenu de la place de la République assez agacé quand il avait entendu parler de la Le mouvement pâtit d’une image sympathique mais déconnectée des réalités quotidiennes Guevara. Mais nous, cela fait des années qu’on vit l’état d’urgence qu’ils dénoncent », remarque Mohamed Mechmache, responsable de la coordination Pas sans nous. C’est aussi l’avis de Rachid Taxi, militant à Blanc-Mesnil : « C’est trop flou, on ne voit pas quelles sont les revendications. » Il ira quand même au rassemblement prévu dans sa ville vendredi, « pour voir ». A Marne-la-Vallée, mercredi 13 avril. HUGO AYMAR/HAYTAM POUR « LE MONDE » création d’une commission banlieues qui projetait d’envoyer une délégation, par-delà le périphérique, expliquer ce qu’était le mouvement de protestation. Autour de l’AG constituée en cercle, des jeunes restent à distance. Samir, 19 ans, s’interroge : « Je sais même pas c’est quoi. J’habite juste là », dit-il. Sophie, jeune diplômée en congé parental, tente de faire participer le groupe : « On veut lancer le mouvement et conscientiser les banlieusards mais ça va être difficile, reconnaît-elle. Pour eux, ceux de la République sont des bobos parisiens. » L’assemblée démarre doucement son tour de parole. La sono a fini de jouer Bella ciao. On n’entend plus que des discours très militants sur la « mutualisation des luttes ». Autour, les habitants, curieux, regardent le rassemblement mais ne se mêlent pas. Un grand Noir, la quarantaine, qu’on essaie d’attirer, s’énerve : « Mais vous représentez quoi là ? Ouvrez les yeux : y’a pas un Arabe, pas un Asiatique, pas un Antillais ! » La veille, ils étaient une petite cinquantaine à Saint-Ouen pour 15 MARS – 24 AVRIL, 20H30 PAR-DELÀ LES MARRONNIERS REVU(E) TEXTE ET MISE EN SCÈNE JEAN-MICHEL RIBES AVEC MAXIME D’ABOVILLE, MICHEL FAU, HERVÉ LASSÏNCE SOPHIE LENOIR, ALEXIE RIBES, STÉPHANE ROGER, AURORE UGOLIN Par-delà les marronniers est un manifeste, une invitation au voyage, à l’inconnu pour y trouver de quoi transcender l’ordinaire et de quoi rêver encore. Fabienne Pascaud – Télérama Jean-Michel Ribes a vu les choses en grand. Très belle production. Armelle Héliot – Le Figaroscope Jean-Michel Ribes montre son attachement à l’insolence, à la liberté de penser ailleurs, loin de la tyrannie des certitudes. À voir sans hésiter. Thierry Voisin – Télérama Sortir RÉSERVATIONS 01 44 95 98 21 — WWWTHE WWW.THEATREDURONDPOINT.FR Un grand Noir, la quarantaine, qu’on essaie d’attirer, s’énerve : « Ouvrez les yeux : y’a pas un Arabe, pas un Asiatique, pas un Antillais ! » une tentative similaire. Là aussi des étudiants, des militants mais peu de novices. Comme à Montreuil ou à Ivry. Les habitants des quartiers ne se sont pas fait voir. C’est effectivement une gageure pour ces nouveaux « indignés » qui veulent décentraliser la lutte. Ils ont tous entendu François Ruffin, l’un des initiateurs de cette révolte citoyenne, les inviter à « sortir de l’entre-soi ». Tout comme ils ont vibré quand, le 7 avril, Almamy Kanouté, responsable du Mouvement Emergence, a lancé : « Si on réussit à faire la fusion entre les Parisiens et les banlieusards, là les cols blancs auront peur. » Une semaine plus tard, ce militant des quartiers à Fresnes (Valde-Marne) reconnaît que les banlieusards ont mis du temps à identifier ce qu’étaient ces Nuits debout. « Pour beaucoup, ce ne sont que des images télévisées qui montrent une ambiance de fête de L’Huma. Quand ils entendront des discours qui parlent de leur réalité, peut-être viendront-ils ? » « On a le sentiment que ce mouvement est à des kilomètres, que c’est un délire de jeunes à la Che « Résignés » Dans ces quartiers où la crise se fait sentir plus fortement qu’ailleurs, la désillusion a gagné aussi plus vite. Manifester paraît bien loin des urgences. Les Nuits debout pâtissent encore d’une image sympathique mais déconnectée des réalités quotidiennes. « Les habitants des quartiers sont peut-être plus résignés. Ils ne croient pas qu’ils peuvent influer sur le cours des événements. Il n’y a qu’à voir les taux d’abstention de 60 %, 75 % », insiste Nabil Koskossi, responsable de l’association Made in Sarcelles. A ses yeux, pour que la dynamique prenne, il faut que les têtes de réseaux présents dans les banlieues se coordonnent. Ou peut-être que s’organise, comme le veut Almamy Kanouté, une occupation mobile qui se déplace chaque jour dans un quartier. Alors peut-être, espèret-il, que « la Nuit debout cessera de tourner sur elle-même ». p elvire camus et sylvia zappi A Paris, des participants qui se ressemblent Profs, lycéens, intermittents et « intellos précaires » sont surreprésentés place de la République Q REPORTAGE ui sont les participants à la Nuit debout, ce mouvement « citoyen » hors partis, sans chef ni programme, né le 31 mars dans la foulée de la manifestation contre le projet de loi travail ? La question n’agite pas seulement ceux qui les observent, qu’ils soient politiques, journalistes, sociologues ou simples curieux. Elle préoccupe le mouvement lui-même, soucieux de contrer l’image d’un « entresoi » qui pourrait provoquer son extinction. Sur la place de la République, à Paris, mardi 12 avril, le sujet est revenu sur la table lors de l’assemblée générale. Au micro, un jeune homme s’agace que des médias résument le mouvement à celui d’un « groupe de bobos, profs, étudiants et intermittents ». Face à lui, des dizaines de mains s’agitent en l’air en signe d’approbation. Signe de la difficulté du mouvement à drainer un public plus large deux semaines après son éclosion, parmi les militants de longue date ou les simples curieux, professeurs, lycéens, intermittents et « intellos précaires » restent malgré tout surreprésentés place de la République, loin d’une réelle mixité sociale. Si les profils varient un tant soit peu, c’est plutôt au fil des heures, car chacun se mobilise selon son emploi du temps. Ce matin-là, au milieu d’une place encore vide, ils sont ainsi une petite dizaine de militants de Nuit debout à discuter, sous le re- gard des policiers. Parmi eux, François, 28 ans, vendeur dans la joaillerie. Depuis une semaine, il fait des allers-retours sur son temps libre. Un peu plus loin, Gérard vient lui aussi « en pointillé ». A 59 ans, il enchaîne les vacations dans un musée parisien, entrecoupées de chômage. « Ici c’est blanc, bourgeois » Une petite délégation de lycéens, qui viennent de manifester contre le projet de loi travail, arrivent dans les cris en fin de matinée. Les forces de l’ordre sont moins visibles, l’ambiance plus festive. Des petits groupes se forment. Au fil de la journée, riverains et curieux viennent grossir la foule, désireux de « voir ce que ça donne ». Quelques poussettes font leur apparition. Nicole, économiste de 38 ans et sympathisante PS – même si elle a « un peu honte de le dire aujourd’hui » –, est venue avec son bébé. Elle suit l’évolution du mouvement sur TV Debout, et s’est décidée après avoir entendu qu’il n’y avait « pas que des jeunes ». La place se remplit soudainement vers 18 heures, lorsque l’AG commence, brassant les groupes au gré des allées et venues – excepté celui à qui des bénévoles servent la soupe populaire, distribuée en bordure de la place. Medhi, économiste, retrouve sa compagne Marguerite, qui l’a convaincu de « venir voir » après leur travail. Près de la statue, un groupe de lycéens s’installe autour d’un pack de bières. Parmi eux, Larry (un pseudo), 17 ans, vient chaque soir après ses cours. Un peu partout, on croise des professeurs. A l’image d’Anne Puget, professeure retraitée et ancienne militante soixante-huitarde, venue avec son compagnon pour afficher sa « solidarité » et écouter les débats. Ils sont nombreux, sur cette place, ceux qui exercent une profession intellectuelle. Parmi les orateurs de la Nuit debout, ce mardi, il y a aussi Jean-Marc, un chercheur en sciences humaines de 52 ans. C’est la première fois qu’il vient. Sa fille lui a assuré qu’il « se passait quelque chose ». A 21 heures, la place compte environ 1 500 personnes. Partout, des groupes se font et se défont au rythme des conversations avec des inconnus, comme enivrés par cette « libération de la parole » et le souhait de « créer un projet de société ». Une jeune fille, qui s’excuse presque de n’être « pas à plaindre dans la vie », se dit frappée par cette « écoute » et ce « respect, même quand les points de vue divergent ». Divergent-ils souvent, tant cette Les profils varient un tant soit peu au fil des heures, car chacun se mobilise selon son emploi du temps foule semble se ressembler ? « Oui, ça arrive !, assure-t-elle. Une copine ne veut pas venir parce qu’elle me dit qu’ici c’est blanc, bourgeois et qu’il n’y a pas de diversité. Mais c’est hautain de dire ça, et c’est pas vrai. » Le profil de ceux qui peuplent la place vers 23 heures, lorsque la Nuit debout bat son plein, ne vient pas contredire l’image que certains ont du mouvement. On y croise Arthur, un architecte arrivé après le travail et qui compte repartir avec le dernier métro, mais aussi des étudiantes de Sciences Po, qui discutent près d’un cracheur de feu et d’un groupe de percussionnistes. La fin de l’AG, un peu avant minuit, marque une rupture. La place se vide, même si certains continuent de discuter en groupes. Yann, un habitué, est probablement le dernier arrivé à cette Nuit debout. Ce soir, ce danseur professionnel de 31 ans est venu à sa sortie du théâtre pour avoir sa dose d’échanges, avec l’« envie de croire que ce mouvement va prendre ». Au milieu de la nuit, ne restent plus que quelques militants qui se disent « alternatifs » et se déplacent de lutte en lutte, des fêtards, et quelques marginaux. Lola, venue pour la première fois, est encore là. Intermittente, elle a « proposé [s]on aide à la commission logistique ». Elle promet de rester « jusqu’à ce que les flics arrivent », vers 5 h 30, à l’ouverture du métro. p elvire camus, violaine morin, anna villechenon et faustine vincent france | 11 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Un ticket Sarkozy-Baroin contre Juppé Encore dans l’ombre, le sénateur chiraquien devrait s’engager dans la campagne de la primaire en juin A entendre ses partisans, ce serait « la carte maîtresse » de Nicolas Sarkozy. L’atout majeur qui pourrait lui permettre de l’emporter face à Alain Juppé lors de la primaire à droite pour la présidentielle. Au moment où le président du parti Les Républicains (LR) se trouve fragilisé par les affaires judiciaires et les mauvais sondages, sa garde rapprochée nourrit de grands espoirs dans l’alliance nouée pour 2017 entre leur champion et François Baroin, l’influent président de l’Association des maires de France (AMF). D’après nos informations, les deux hommes ont noué un pacte à l’été 2015, dans lequel chacun est censé y trouver son compte : en cas de retour à l’Elysée, M. Sarkozy a promis à son ancien ministre de l’économie de lui confier Matignon. En échange, le sénateur de l’Aube s’est engagé à soutenir l’exchef de l’Etat. Des sarkozystes évoquent même « un ticket », qui verrait leur candidat afficher son intention de nommer M. Baroin premier ministre, lorsqu’il annoncera sa candidature à la primaire aux alentours de l’été. « Cela pourrait être un ticket gagnant, juge Eric Ciotti, soutien de M. Sarkozy. Je ne vois que des avantages à ce scénario car leur attelage est très complémentaire. » Et si l’ex-chef de l’Etat se retrou- vait dans l’impossibilité de se présenter, il pourrait soutenir la candidature de son protégé pour mener bataille contre M. Juppé. Une certitude : leur alliance est « solide », comme le répètent plusieurs dirigeants de LR. Car chacun a intérêt à se servir de l’autre pour défendre ses propres ambitions. A 50 ans, M. Baroin prendrait une longueur d’avance sur les concurrents de sa génération (Bruno Le Maire, Laurent Wauquiez et Nathalie Kosciusko-Morizet) s’il parvenait à devenir chef de gouvernement. M. Sarkozy, lui, entend mettre en avant ce chiraquien de la première heure pour contester à M. Juppé l’héritage de Jacques Chirac. Très discret jusque-là, le maire de Troyes entend s’impliquer plus franchement dans la campagne de la primaire à l’issue du congrès de l’AMF, qui se tiendra du 31 mai au 2 juin. MM. Sarkozy et Baroin ont d’ores et déjà prévu En cas de victoire, Sarkozy a promis à son ancien ministre de l’économie de lui confier Matignon de mettre en scène leur alliance à cette occasion, lors de la réception des maires LR au siège parisien du parti, le 1er juin. Leurs équipes coopèrent déjà : l’attachée de presse de M. Baroin travaille en étroite collaboration avec l’entourage de M. Sarkozy ; son ancien directeur de cabinet à Bercy, Didier Banquy, est le trésorier de l’association de financement du président de LR en vue de sa campagne pour la primaire. Le sénateur de l’Aube s’y voit déjà. « On sent qu’il est dans l’esprit d’être le premier ministre de Nicolas Sarkozy », témoigne un élu. Les deux hommes affichent leur volonté d’associer leurs forces, en tenant des propos élogieux l’un sur l’autre. « Nicolas Sarkozy mérite un match retour avec François Hollande », affirmait M. Baroin en octobre dans Paris Match, avant de louer, trois mois plus tard sur RTL, « le leadership » et « l’énergie » de l’ex-chef de l’Etat. Ce dernier le lui rend bien. « J’ai une grande confiance en François Baroin dont j’apprécie l’originalité du parcours et la personnalité », écrit-il dans son livre La France pour la vie (Plon), paru en janvier. « Un lien fort s’est construit entre eux ces dernières années », atteste l’entourage de M. Sarkozy. Rancune et orgueil Rien ne présageait une telle entente entre deux hommes, qui se sont longtemps détestés après s’être affrontés en 1995, lorsque l’un était porte-parole d’Edouard Balladur et l’autre de Jacques Chirac. Après le passage éclair de M. Baroin au ministère de l’intérieur en mars 2007, le nouveau président de la République avait promis de le laisser à l’écart du gouvernement, lâchant sur un ton moqueur : « Baroin ? Cinq mois à l’intérieur, cinq ans à l’extérieur ! » Ce dernier avait alors mené la vie dure à M. Sarkozy – fustigeant notamment le débat sur l’identité nationale – jusqu’à ce qu’il soit nommé ministre du budget en mars 2010. « Très vite, une relation de travail s’est installée entre eux, se souvient un ex-ministre. Ils avaient des rapports fluides et transparents. » Leur gestion commune de la crise financière, lorsque le chiraquien a dirigé le ministère de l’économie de juin 2011 à mai 2012, a scellé leur rapprochement. Il débouche aujourd’hui sur une alliance contre-nature, sans fondement historique ni idéologique. Car M. Baroin, qui fait figure de modéré à droite, a dénoncé à plusieurs reprises l’influence néfaste qu’a pu avoir Patrick Buisson sur M. Sarkozy, et ne partage pas la ligne à droite toute que l’ex-chef de l’Etat défend. Comment expliquer ce mariage ? Outre leurs ambitions respectives, le ciment de leur alliance repose sur leur volonté commune de barrer la route à M. Juppé. Rancunier et orgueilleux, M. Baroin est déterminé à mener bataille contre l’ex-premier ministre, à qui il n’a jamais pardonné de l’avoir limogé du porte-parolat du gouvernement en 1995, et de ne pas l’avoir soutenu lorsqu’il briguait Bercy en 2011. Cette volonté d’en découdre avec le favori de la primaire en fait un soutien stratégique pour M. Sarkozy. D’autant que les échanges d’amabilités ont déjà démarré. « Je ne travaillerai plus jamais pour lui, même s’il est élu président de la République. Je ne veux plus jamais être sous la tutelle de cet homme-là », assure M. Baroin dans le livre de Gaël Tchakaloff, Lapins et merveilles (Flammarion), sorti le 6 avril, en parlant de M. Juppé. Lequel rend coup pour coup. Présentant M. Baroin comme « un aigri » qui lui « en veut », il assène dans le même ouvrage : « Je n’ai pas soutenu sa candidature pour le ministère de l’économie en 2011, parce que je pensais qu’il n’avait pas la carrure. » p Surveillance de Thierry Solère : une enquête préliminaire est ouverte « Le Monde » avait révélé que des moyens de la DGSE ont été utilisés pour écouter l’élu L alexandre lemarié e parquet de Paris a ouvert, mercredi 13 avril, une enquête préliminaire après la publication, mardi 12 avril dans Le Monde, d’un article révélant l’utilisation des moyens techniques de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), en 2012, pour surveiller les communications de Thierry Solère, alors que celui-ci était candidat dissident de l’UMP, lors de la campagne des législatives dans les Hauts-de-Seine. L’enquête est ouverte des « chefs de collecte frauduleuse de données à caractère personnel et d’atteinte à l’intimité de la vie privée et recel de ce délit ». Elle a été confiée aux gendarmes de la section de recherches de Paris. Mardi, M. Solère, devenu député, vice-président du conseil régional d’Ile-de-France, et chargé d’organiser la primaire à droite pour désigner le candidat LR à l’élection présidentielle de 2017, a indiqué qu’il déposerait « probablement une plainte contre X ». Le parquet a donc rapidement décidé de se saisir de ce dossier qui compte encore de nombreuses inconnues, notamment l’identité du donneur d’ordre, le modus operandi et les raisons de cette surveillance clandestine avec les moyens de l’Etat. Mais la tâche de la justice ne s’annonce pas aisée. Comme souvent dans les enquêtes judiciaires qui touchent au monde du renseignement, deux logiques vont s’opposer, le respect du droit et le secret-défense. Les activités de la DGSE sont couvertes par le secret-défense. Son cœur de métier est par nature illégal et échappe à la loi puisqu’elle travaille avant tout à l’extérieur des frontières nationales. Pour mener à bien sa mission, il lui importe donc de sanctuariser, à l’abri des regards médiatiques ou judiciaires, la nature de ses moyens et son mode de fonctionnement, ce que lui permet le secret-défense. Interceptions ciblées Pour autant, elle doit aussi rendre des comptes dès lors qu’elle pratique des interceptions ciblées de communications ou de données attachées à des identifiants français. Elle doit, en effet, soumettre ses demandes à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui a remplacé, fin 2015, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. La DGSE, qui a assuré ne rien connaître de l’affaire Solère, reste encore profondément marquée par la perquisition menée, en 2010, dans ses locaux par le juge d’instruction Patrick Ramaël dans une enquête sur la disparition en 1965 à Paris de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka. Une première dans son histoire. p jacques follorou Edition n° 2684 du 14 au 20 avril 2016 Que veut vraiment Nuit debout ? P. 32 CHRISTINE ANGOT croque BRUNO LE MAIRE P. 44 Patti Smith P. 84 Confessions d’une icône Master 2 : les étudiants seront sélectionnés dans 40 % des formations Une liste de 1 300 mentions sera prochainement validée par décret supérieur Thierry Mandon s’était engagé à « sécuriser juridiquement » la prochaine rentrée. Autrement dit : à nommer les formations dans lesquelles des « capacités d’accueil » limitées, la non-réussite à un concours ou un mauvais dossier académique peuvent être avancés par les présidents d’université pour justifier le refus d’un étudiant. Sécurisation juridique Mi-mars, la Conférence des présidents d’université (CPU) demandait l’inscription dans cette liste de près de 850 mentions de master. Cinq présidents d’université – Paris-I, Paris-II ou encore Toulouse-I – étaient montés au créneau, accusant le ministère de vouloir « amputer » cette liste. Ils semblent avoir été entendus : le nombre de mentions concernées étant finalement passé à… 1 304, réparties dans quelque 80 établissements. Soit 42 % des 3 040 mentions de M2 qui existent en France. Les présidents d’université ont par ailleurs obtenu, dans ce décret, une sécurisation juridique de la sélection avec les étudiants arrivant d’autres universités, ou encore ceux issus d’une autre mention de master 1. « Cela devrait nous aider à gérer les flux, commente Bruno Sire, président de Toulouse-I, même si cela paraît fragile juridiquement ». Cette surprenante inflation d’une liste que même la ministre Najat Vallaud-Belkacem avait affirmé vouloir « très limitative » ne « satisfait pas complètement la CPU » explique Jean-Loup Salzmann, son président. Si une majorité de formations désignées par la CPU sont présentes dans le projet de décret, plusieurs établissements « n’ont tout de même pas obtenu satisfaction ». Selon lui, « il faut passer très vite à l’étape 2 », soit la réflexion sur « la sélection dans tous les masters », dès la fin de la licence. Une question qui sera sans aucun doute abordée lors d’une « concertation de quatre mois » annoncée par Thierry Mandon mercredi 13 avril. Celle-ci devrait justement permettre d’examiner « une orientation très renforcée après la licence [ou] le recrutement des étudiants dans les masters » a-t-il expliqué sur RTL. Une concertation « pour reformer le master que nous demandons depuis longtemps » salue Alexandre Leroy, du syndicat étudiant FAGE. Dans un autre registre, le président de l’UNEF, William Martinet, évoque les « mauvais signaux » envoyés par le gouvernement. A savoir « une liste de masters 2 sélectifs moins limitative que prévu » et le fait que « le ministère ne répond pas à la question fondamentale du droit, pour les étudiants, d’accéder à un master 2 après un master 1 ». William Martinet menace : « Ce semestre a été particulièrement agité du fait de la loi travail. Le ministère cherche-t-il à réunir les conditions pour une rentrée universitaire tout aussi chaude ? » p séverin graveleau BORIS CYRULNIK Le terrorisme, le mal, les héros, les victimes... P. 73 Le grand psy publie “Ivres paradis, bonheurs héroïques” chez Odile Jacob LEa crESPI/PaSco A partir de la rentrée 2016, la sélection entre la première et la deuxième année de master sera légale dans quelque 1 300 mentions telles que « droit et gestion des finances publiques » ou encore « sciences du médicament ». C’est ce que révèle un projet de décret du ministère de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Le texte, qui doit être soumis, pour un simple avis consultatif, au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) lundi 18 avril, vient combler un vide juridique qui a fait grincer des dents plus d’un président d’université ces derniers mois. Et ce, depuis que le Conseil d’Etat a confirmé, dans un avis rendu début février, que la sélection à l’université entre la première et la seconde année de master ne reposait sur aucune base légale sans un décret listant les formations concernées. Car dans les faits, cette sélection est déjà mise en place, discrètement, par les présidents d’université, notamment dans les filières les plus convoitées comme le droit ou la psychologie. Malgré l’adoption en 2002 du cadre européen Licence-Master-Doctorat (LMD, en trois, cinq et huit ans après le bac), la sélection qui existait à l’issue de l’ancienne maîtrise (bac + 4) a perduré dans certains M1. Les contentieux devant les tribunaux qui opposent des étudiants s’estimant injustement sélectionnés se sont multipliés. Le secrétaire d’Etat à l’enseignement En vEntE chEz votrE marchand dE journaux 12 | SPORTS 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Karim Benzema mis au ban de l’Euro La Fédération a finalement décidé de ne pas retenir l’attaquant des Bleus, pour la « préservation du groupe » F in de partie. C’est par un communiqué laconique que Noël Le Graët a mis un terme, mercredi 13 avril, au feuilleton Benzema. Le président de la Fédération française de football (FFF) a annoncé que l’attaquant des Bleus – mis en examen depuis novembre 2015 pour « complicité de tentative de chantage » et « participation à une association de malfaiteurs » dans le cadre de l’affaire dite du « chantage à la sextape » à l’encontre de son coéquipier tricolore Mathieu Valbuena – ne participera pas à l’Euro 2016, qui se déroulera en France du 10 juin au 10 juillet. Le dirigeant breton ferme ainsi définitivement la porte à un retour du meilleur buteur en activité des Bleus (27 réalisations) d’ici au 12 mai, jour de l’annonce de la liste des vingt-trois joueurs sélectionnés pour la compétition. « Il n’existe aucun obstacle, sur le plan juridique, au fait qu’il soit sélectionné », indique pourtant la FFF dans son communiqué, alors que l’attaquant du Real Madrid avait été constamment convoquée avec les Bleus durant sa mise en examen dans le cadre de l’affaire Zahia, de 2010 à 2014. A l’instar de son partenaire Franck Ribéry, l’ex-pépite de l’Olympique lyonnais avait ensuite été blanchie dans ce dossier. Mais Noël Le Graët et son sélectionneur Didier Deschamps, « tiennent à rappeler que la performance sportive est un critère important mais pas exclusif (…) ». « La capacité des joueurs à œuvrer dans le sens de l’unité, au sein et autour du groupe, l’exemplarité et la préservation du groupe sont également prises en compte par l’ensemble des sélectionneurs de la Fédération », argue la FFF. Prévenu par Didier Deschamps, Karim Benzema, qui n’avait déjà pas été retenu par Raymond Domenech pour le Mondial 2010, avait devancé de quelques minutes la publication du communiqué de la Fédération pour exprimer sur son compte Twitter sa déception de ne pas être retenu pour « notre Euro en France ». « Ce qui m’interpelle, c’est que dans le communiqué, j’entends parler d’exemplarité pour un délit dont il n’est pas avéré qu’il a été commis », s’interroge l’avocat du joueur, Eric Dupond-Moretti. « C’est l’un des dossiers les plus complexes que j’ai eu à gérer à la FFF » NOËL LE GRAËT président de la Fédération française de football Karim Benzema, lors du Mondial 2014, au Brésil. PATRIK STOLLARZ/ AFP Le 10 décembre 2015, Noël Le Graët avait indiqué que l’attaquant n’était « plus sélectionnable » tant que « sa situation » n’évoluait pas. L’horizon en bleu de Karim Benzema s’était éclairci le 11 mars, lorsque son contrôle judiciaire avait été définitivement levé. Le patron de la FFF envisageait alors de réunir dans son bureau Mathieu Valbuena et le canonnier madrilène, absents en sélection depuis octobre, pour parachever la grande opération de réconciliation. Sondages réprobateurs Dans les colonnes de L’Equipe, à la mi-mars, Didier Deschamps assurait vouloir « la meilleure équipe et donc les meilleurs joueurs », tout en défendant la « présomption d’innocence » de Karim Benzema. En verve avec le Real Madrid, son nouvel entraîneur, Zinédine Zidane, a répété plusieurs fois que les Bleus ne pouvaient pas se priver de lui pour l’Euro. Le capitaine des champions du monde en 1998 et d’Europe « J’entends parler d’exemplarité pour un délit dont il n’est pas avéré qu’il a été commis » ÉRIC DUPOND-MORETTI avocat de Karim Benzema en 2000 semblait alors sourd aux sondages réprobateurs. Selon une étude réalisée en décembre 2015 par l’institut Elabe pour RMCBFMTV, 82 % des Français se disaient opposés à un retour en équipe de France de Benzema. A la fin de février, une étude établie par Odoxa pour RTL donnait un résultat quasi similaire avec 70 % de sondés hostiles. « C’est l’un des dossiers les plus complexes que j’ai eu à gérer à la FFF, confiait au Monde Noël Le Graët quelques jours avant de prendre sa décision. Car il y a une contradiction entre l’opinion publique et ce que je ressens pour ce garçon-là. Je l’aime bien sans parler de l’affaire. On peut demander à Laurent Blanc ou à Didier, à tous ses entraîneurs, à Zidane aujourd’hui, il s’est toujours bien conduit au niveau de l’entraînement, du groupe, des sponsors. » Conscient du poids sportif de Karim Benzema, désireux de voir les Bleus atteindre au moins le dernier carré de l’Euro, Noël Le Graët s’était engagé dans une campagne de réhabilitation du joueur dès sa mise en examen. « La vraie question est de savoir si Benzema est l’avant-centre type de l’équipe de France », affirmait-il au Monde en novembre. Un mois plus tard, il était revenu sur les « courriers racistes » reçus à la Fédération depuis l’éclatement de l’affaire du « chantage à la sextape ». « On était dans la période difficile d’après les attentats. Les lettres qu’on recevait, c’était l’horreur. C’était du genre : “L’Arabe, dehors, et comme ça on est tranquille”. Je l’ai donc défendu un peu plus peutêtre, reconnaît aujourd’hui le dirigeant. Il a très certainement commis une faute. Mais balancer quelqu’un sur la place publique à ce point-là, ça ne se fait pas. » Le 17 mars, Libération fait sa « une » sur la « Nouvelle embrouille Benzema » et révèle que le joueur du Real a été entendu en janvier comme témoin dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en septembre 2015, par le parquet de Paris, pour blanchiment en bande organisée et blanchiment de trafic de stupéfiants. Cet élément a-t-il changé la donne alors que le président de la FFF aurait préféré être informé de cette audition par l’intéressé luimême plutôt que par la presse ? Jusqu’ici, Noël Le Graët avait fait abstraction des déclarations du premier ministre, Manuel Valls, et du ministre des sports, Patrick Kanner, hostiles à un retour de Karim Benzema en sélection. L’ex-maire PS de Guingamp (19952008) avait alors reçu le soutien de François Hollande. Soucieux d’éviter toute ingérence dans les affaires de la Fédération, le chef de l’Etat avait demandé aux membres du gouvernement de ne plus commenter l’affaire Benzema. Dans l’optique de conquérir l’Euro, l’absence de Karime Benzema sera-t-elle un handicap pour l’équipe de France ? L’éclosion des prodiges Anthony Martial (20 ans) et Kingsley Coman (19 ans) témoigne du vivier d’attaquants dont dispose Didier Deschamps. Le festival offensif offert par les Bleus, fin mars, contre les Pays-Bas (3-2) et la Russie (4-2), a rassuré le sélectionneur. Si ce dernier a souhaité déminer le terrain avant l’annonce de « sa » liste des 23 et s’éviter en plein tournoi des répliques du séisme provoqué par la désormais célèbre affaire de la « sextape », nul doute que l’ombre du numéro 10 planera sur les Bleus pendant l’Euro et qu’elle ne se dissipera pas en cas d’échec. p rémi dupré Griezmann élimine le Barça Antoine Griezmann a propulsé l’Atlético Madrid en demi-finale de la Ligue des champions. Le doublé de l’attaquant français a permis à son club de battre le FC Barcelone (2-0), mercredi 13 avril, en quarts de finale, et de créer l’exploit en éliminant le tenant du titre. Antoine Griezmann retrouvera en demi-finale le Bayern Munich, Manchester City ou le Real Madrid de Karim Benzema au sujet duquel il a exprimé sa « tristesse » après son éviction de l’équipe de France tout en relativisant : « On a d’autres attaquants. On essaiera de faire de notre mieux et d’aller au bout à l’Euro. » Margarita Louis-Dreyfus lâche officiellement l’OM Vingt ans après l’achat par Robert Louis-Dreyfus, sa veuve annonce la mise en vente d’un club qu’elle n’arrivait plus à gérer marseille – correspondance L es Louis-Dreyfus et l’Olympique de Marseille, c’est – presque – fini. Et l’épilogue annoncé de ce mariage finalement peu heureux entre l’une des plus riches familles d’Europe et le plus populaire des clubs de foot français, a été accueilli avec soulagement par l’immense majorité des supporteurs de l’OM. Un souffle d’espoir dans une ville exaspérée par la saison catastrophe de son équipe, toujours menacée, à cinq journées de la fin du championnat, par une relégation en deuxième division. Margarita Louis-Dreyfus, propriétaire de l’OM depuis le décès de son mari Robert Louis-Dreyfus en 2009, a rendu publique, mercredi 13 avril, sa décision de « céder le club au meilleur investisseur possible pour le long terme ». « Dans le nouveau monde du football (…), je pense que le temps des mécènes est révolu », se justifie-telle dans un communiqué. Présidente du groupe qui porte son nom et 171e fortune mondiale – entre 6 et 7 milliards d’euros, selon le magazine Forbes – la « tsarine », comme la surnomment les Marseillais pour ses origines russes, refuse surtout d’investir encore dans le club acheté par son mari en décembre 1996. Dans son communiqué, Mme Louis-Dreyfus rappelle qu’elle a « dû remettre plusieurs dizaines de millions d’euros à titre personnel » dans l’OM. Sans toutefois préciser que ces investissements forcés découlent de ses choix stratégiques. Et de la gestion financière d’hommes qu’elle a elle-même mis en place, au premier rang desquels son ex-favori, le président Vincent Labrune, tombé en disgrâce cette saison. « Calmer les supporteurs » La mise en vente de l’OM n’est pas une surprise. Depuis quelques mois, l’arrivée d’investisseurs pour compenser les pertes du club est régulièrement évoquée par les dirigeants marseillais. A la mairie, des proches de JeanClaude Gaudin (LR) évoquaient ces dernières semaines « de grands changements à l’OM ». « Cette fois, l’annonce est officielle », pointait, mercredi soir, Luc Laboz, le directeur de la communication du club. Si la cession était attendue, la méthode a surpris. Elle symbolise, encore une fois, la distance entre la propriétaire du club et une ville qu’elle a peu comprise. Insultée lors des derniers matchs de son équipe au Vélodrome, cible de slogans machistes, Margarita Louis-Dreyfus a, une nouvelle fois, agacé les supporteurs. Mercredi, son communiqué est arrivé dans les rédactions parisiennes avant de parvenir à Marseille. Ses destinataires présumés, les présidents des associations de fans, ont appris la vente par les médias. « Je suis devant BFM-TV et j’attends de voir ce communiqué », rageait ainsi Khokha Amsis, la présidente de Marseille trop puissant, un des clubs du virage nord du Vélodrome. Au siège de l’OM, la surprise était la même. Vincent Labrune, président, et son numéro 2, Luc Laboz, reconnaissent ne pas avoir été in- « Si l’OM veut viser le podium de la Ligue 1, il faut au moins 50 millions d’euros par an pendant quatre saisons » PAPE DIOUF ancien président de l’OM formés par l’actionnaire. « Je viens d’avoir Igor Levin, le conseiller de Margarita Louis-Dreyfus, qui m’a confirmé que le communiqué était bien authentique », expliquait, peu avant 20 heures, M. Laboz. Preuve ultime que l’équipe dirigeante de l’OM a perdu toute légitimité aux yeux de sa patronne. « On peut aussi voir dans ce communiqué une façon de calmer les supporteurs, note, lucide, l’ancien président de l’OM Pape Diouf. En parlant de vente, on leur fait oublier la fin de saison. » Alors que les Marseillais n’ont pas gagné depuis le 13 septembre 2015 à domicile, la tension a explosé lors des deux dernières rencontres au Vélodrome – défaite contre Rennes (2-5), nul vierge contre Bordeaux. Le stade marseillais est sous la menace d’une suspension et les supporteurs olympiens ont été interdits du court déplacement à Monaco, le week-end prochain. « Mais la seule vraie question, aujourd’hui, reprend Pape Diouf, c’est : quel investisseur peut reprendre l’OM ? » Dans son communiqué, Margarita Louis-Dreyfus semble ouvrir la porte à des négociations rapides. « Le prix [de vente] n’est pas ma préoccupation première », écrit-elle. « Mais même à 1 euro symbolique, la reprise demandera un très gros investissement, souffle Pape Diouf. Sans même parler de concurrencer le PSG, si l’OM veut viser le podium de la Ligue 1, il faut au moins 50 millions d’euros par an pendant quatre saisons. 200 bâtons, quoi… » Si Bernard Tapie, éternel fantasme local malgré ses déboires financiers, a déjà annoncé qu’il « ne pense pas du tout » à une reprise, les rumeurs courent Marseille. « Nous savons depuis deux semaines qu’il y a deux pistes très sérieuses, assure Luc Laboz. Mais pour avoir des informations, il faut demander à Margarita LouisDreyfus. » « Mme Dreyfus viendra nous trouver quand elle aura son repreneur », glisse, à la mairie, un membre du cabinet Gaudin. A l’OM, les 20 ans des LouisDreyfus laisseront un bilan mitigé. A son arrivée, « RLD » avait promis de faire du club, le « Bayern Munich du Sud ». L’ancien patron d’Adidas n’aura finalement remporté qu’une Coupe Intertoto (2005), défunte compétition européenne de seconde zone. Sa veuve, elle, affiche un titre de champion de France 2010 et trois Coupes de la Ligue (2010, 2011, 2012). D’ici à son départ, elle peut rêver de décrocher une Coupe de France. L’OM joue sa demi-finale contre Sochaux le 21 avril. Ultime rendez-vous avant une nouvelle ère ? p gilles rof CULTURE 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 La fabrique aux étoiles | 13 Répétition de « Conservatoire », de Bournonville, par les élèves de l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris. FRANCETTE LEVIEUX/ OPÉRA NATIONAL DE PARIS Les élèves de l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris se donnent en spectacle du 14 au 18 avril Q REPORTAGE ue vient faire un double décimètre entre les mains d’Elisabeth Platel, étoile et directrice de l’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris ? Dans un studio de répétition de l’école située à Nanterre (Hauts-deSeine), au milieu d’élèves en tutus longs, la voilà en train de mesurer la hauteur entre le bas de leur jupon et le plancher. Aucun n’est au même niveau. Branle-bas de combat chez les couturières pour égaliser à « 34 centimètres au-dessus du sol ». « Je suis très fière de cette production autour du chorégraphe Auguste Bournonville (1805-1879) », s’exclame Elisabeth Platel. Et tout doit être réglé à la virgule de tulle près. Le style se love dans les détails. Celui de la tradition française en particulier. A quelques jours de la première du spectacle de l’Ecole, jeudi 14 avril, Elisabeth Platel court du four au moulin, de Nanterre à Paris. Quelque 76 élèves sur les 156 âgés de 9 à 18 ans sont embarqués dans cette équipée virtuose, plate-forme de l’histoire de la danse classique. Plus de trois cents ans dans les mollets depuis l’ouverture, en 1713 par Louis XIV, de l’Ecole de danse, la plus ancienne institution de ce type au monde, et de l’Académie royale devenue la troupe de l’Opéra – les deux formant une même maison. Le vocabulaire et les règles du style français sont déjà là. « Il est transmis depuis par des danseurs et professeurs qui sont tous passés par cet apprentissage et ce modèle, précise Sylvie Jacq-Mioche, docteure en esthétique, enseignante à l’Ecole. Cela a permis d’assurer la continuité de la tradition. » « Et de la faire évoluer aussi en fonction du vécu des enseignants, ajoute Elisabeth Platel. Nous n’avons pas de méthodes écrites. Si notre technique s’apprend, notre style se transmet de maître à élève. Mais notre enseignement est en constante réflexion. » Quelle est donc la spécificité de cette école française que « l’on doit reconnaître dès qu’un interprète met le pied sur scène », selon Elisabeth Platel ? « C’est d’abord le travail de bas de jambes », précise-telle. « Tout ce qui est sauts, battements et tricotage de pieds avec de la précision et du fini dans la rapidité, ajoute Sylvie Jacq-Mioche. Le pied français, en particulier celui des femmes, a de l’esprit et de la conversation. Celui des hommes doit faire assaut de verticalité. Quant à la tenue du dos, elle est stricte, il doit être droit. Ce sont les épaulements qui, chez nous, donnent du caractère au buste. » Course d’obstacles Les ballets phares de cette haute tradition d’harmonie s’appellent La Sylphide (1832), Giselle (1841), La Source (1866)… Au programme du spectacle de l’Ecole, Conservatoire (1849), du Danois Bournonville, et Les Forains (1945), de Roland Petit, sont aussi emblématiques. « J’ajouterai In the Middle Somewhat Elevated, que William Forsythe a créé en 1987 sur les danseurs de l’Opéra, pointe Sylvie Jacq-Mioche. Un standard du style français jusque dans sa modernité. » Pour pouvoir endosser ces chefs-d’œuvre, l’apprentissage a tout d’une course d’obstacles. « Beaucoup d’appelés, peu d’élus », glisse Elisabeth Platel. A l’inscription, entre 8 et 13 ans, succède la première audition pour intégrer l’Ecole. Au programme, un cours technique croisé avec des critères d’aptitudes physiques et de gabarit. Pour les filles de 8 ans, la taille doit osciller entre 1 m 32 et 1 m 35 pour un poids entre 22 et 25 kilos. Pour les garçons, 1 m 34 pour 25 kg. Après l’audition, un stage de six mois débouche sur un concours. L’enseignement de la danse (clas- sique, baroque, folklorique…), parallèlement à une scolarité assurée jusqu’au bac, dure six ans minimum, les enfants étant répartis dans douze divisions (six de filles et six de garçons). La progression se fait sur examen devant un jury. Le but ultime : le concours d’entrée dans le corps du Ballet de l’Opéra (en fonction du nombre de places disponibles). Au-delà, devenir danseur étoile ! Sur les 156 élèves, seulement cinq en moyenne intégreront la troupe en juin. Cette escalade graduée est typique du fonctionnement de l’Ecole et du Ballet. « L’examen est le seul moyen pour interpréter le style français et les grands spectacles qui vont avec, commente Sylvie Jacq-Mioche. La hiérarchie, que l’on retrouve dans la compagnie, est indispensable. Elle est liée à la solidité mentale et technique nécessaire aux premiers rôles. Pour les troupes néo-classiques, elle s’impose moins car les enjeux esthétiques sont différents et les niveaux entre les solistes et les autres moins marqués. » A l’Ecole, les élèves et les professeurs tissent une relation unique et tracent un cycle de vie. Traditionnellement, les enfants sont parrainés par des « petits pères » et des « petites mères » choisis dans l’institution. Les douze ensei- La Pinacothèque de Singapour baisse à son tour le rideau M oins de deux mois après la fermeture inopinée de la Pinacothèque de Paris, sa filiale de Singapour a tiré le rideau, le 11 avril. Un communiqué des plus concis invoque une fréquentation plus réduite que celle escomptée – à peine 150 visiteurs par jour – ainsi que « d’autres défis commerciaux et financiers ». Inaugurée le 30 mai 2015, l’antenne singapourienne compte quatre actionnaires : Marc Restellini, fondateur de la Pinacothèque de Paris, qui avait pour mission d’organiser deux expositions annuelles et de réunir une collection semi-permanente ; le transitaire suisse Yves Bouvier ; le diamantaire Alain Vandenborre ; et le promoteur immobilier local KOP. D’après nos informations, ces deux derniers auraient cessé d’abonder le musée, qui accuse aujourd’hui un trou d’environ 980 000 euros. Nichée dans une demeure coloniale de Fort Canning, l’institution souffre aussi de malfaçons. Une hygrométrie défectueuse, conduisant à des pics d’humidité de 90 %, a mis en péril la conservation des œuvres. Au point qu’en février, 80 pièces de la collection permanente, dont des Matisse, Picasso, Soutine et Brancusi, ont dû être transférées in extremis au port franc de Singapour, propriété d’Yves Bouvier. Le même mois, les murs du bâtiment ont commencé à se fissurer. Des défauts qui font tache, alors que le gouvernement singapourien a déboursé environ 16 millions d’euros pour les travaux de réhabilitation menés par KOP. La fermeture est surtout corrélée à celle de la maison mère, placée en redressement judiciaire depuis le 3 novembre 2015. Celle-ci a accumulé les ardoises, notamment de 435 000 euros auprès de la société Arthemisia, qui avait coproduit plusieurs événements, dont « Le Mythe Cléopâtre », exposition inaugurale de l’antenne de Singapour. La firme italienne UNE serait toutefois elle aussi débitrice de fortes somHYGROMÉTRIE mes. D’après nos informaDÉFECTUEUSE tions, Marc Restellini, qui lui réclame 1 million DU BÂTIMENT, d’euros d’impayés, a déposé plainte en septemNOTAMMENT, bre 2015 pour escroquerie. A MIS EN PÉRIL Il est aussi possible que la Pinacothèque de SingaLA CONSERVATION pour ait fait les frais des démêlés judiciaires d’Yves DES ŒUVRES Bouvier, dont les avoirs furent un temps gelés par le gouvernement singapourien. Malgré ces déboires, Marc Restellini poursuit les négociations en vue de nouvelles boutures en Chine, en Inde, en Turquie et en Azerbaïdjan. En attendant de trouver de nouveaux locaux à Paris. p roxana azimi gnants du classique y ont été enfants, ados, y sont devenus adultes et sont passés de l’apprentissage au professionnalisme dans le Ballet de l’Opéra, avant de revenir comme pédagogues. Qu’il s’agisse de Fanny Gaïda, Carole Arbo, Véronique Doisneau, Wilfried Romoli, Yann Saïz, Eric Camillo ou Christophe Duquenne, tous ont été les vedettes de Garnier. En plus de ce parcours, qui induit leur pédagogie,, ils sont titu- laires du diplôme d’Etat d’enseignant. Avant de choisir le professorat – l’âge de la retraite est à 42 ans dans le Ballet –, Christophe Duquenne, embauché depuis un an à l’Ecole, a suivi une formation spécifique. « C’est comme un retour en arrière de revenir ici, dit-il. L’Ecole est difficile, mais cette difficulté m’a construit et rendu heureux. Faire comprendre un pas à un enfant n’est pas simple. Je m’appuie sur toutes les couches de sa- voirs pour enseigner, je discute avec mes collègues, je visionne des vidéos de cours d’anciens professeurs. » Chaîne de gestes et de paroles ininterrompue garante de la préservation sensible d’une tradition unique. p rosita boisseau Spectacle de L’Ecole de danse de l’Opéra national de Paris. Du 14 au 18 avril, à 19 h 30. Palais Garnier, Paris 9e. De 10 € à 65 €. 14 | culture 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Le 40e Printemps de Bourges en chansons La soirée anniversaire a donné l’occasion à des artistes de réinterpréter des tubes d’hier MUSIQUE bourges (cher) - envoyé spécial L a première édition du Printemps de Bourges a eu lieu en avril 1977. Festival chansons, comme l’indiquait alors le sous-titre sur une affiche bleue. Ses pères fondateurs, d’une part un collectif de producteurs et d’artistes réunis dans l’agence Ecoute s’il pleut, créée en 1976 par Maurice Frot, écrivain libertaire, ami, secrétaire et régisseur de Léo Ferré et par Daniel Colling, entrepreneur de spectacles, qui prendra la direction du festival ; d’autre part le comédien, chanteur, auteur-compositeur Alain Meilland, responsable alors du secteur chansons à la Maison de la culture de Bourges et son directeur, Jean-Christophe Dechico. Au programme de cette première, Dick Annegarn, Julos Beaucarne, François Béranger, Leny Escudero, Jacques Higelin, Bernard Lavilliers, Colette Magny, Catherine Ribeiro, Charles Trenet, qui faisait là un retour sur scène. Les organisateurs tablaient sur 4 000 spectateurs, il en vint 12 000. Mercredi 13 avril, pour la soirée spéciale 40e édition, Bernard Lavilliers est présent sur la scène du palais d’Auron. Daniel Colling aussi, venu saluer au cours du spectacle. Trois éléments ont été mis en jeu pour cette soirée anniversaire. Des images projetées sur des écrans – affiches du festival, photos d’artistes, du public en foule joyeuse. Des textes, lus entre les prestations des artistes par Vin- cent Dedienne et Mélanie Lemoine, dont on retiendra des lettres envoyées par des spectateurs, souvenirs amoureux, anecdotes. Et des chansons. Une vingtaine, sur le principe de la reprise d’interprètes par d’autres interprètes. De l’hommage au décalage Cela va de l’hommage assez respectueux au décalage, à la réinterprétation inventive. Lavilliers a ainsi repris fidèlement sa propre reprise d’Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, texte d’Aragon mis en musique et chanté par Léo Ferré. Nantes, par Jeanne Cherhal, est resté dans le cadre de Barbara, tout comme La Ballade de Johnny Jane, du duo Gainsbourg-Birkin, par Miossec et Birkin. Le même Miossec apportant plus de vibration à Merci, qu’il a écrit pour Juliette Gréco. Mentionnons encore Dominique A, que l’on n’attendait pas sur Quand j’serai K.O., d’Alain Souchon (paroles et musique). Deux moments forts enfin, intenses : Nosfell et Pierre Guénard, du groupe Radio Elvis, emportent en un tourbillon La nuit je mens, écrite par Alain Bashung et Jean Fauque et composée par Bashung avec Les Valentins ; et Christian Olivier, le chanteur de Têtes raides, offre une belle transformation à Marcia Baila, de Rita Mitsouko, qui en devient presque une nouvelle chanson. p sylvain siclier Festival Le Printemps de Bourges-Crédit mutuel, jusqu’au dimanche 17 avril. De 10 € à 36 €. Printemps-bourges.com MUSI QU E Le Bataclan rouvrira à la mi-novembre Cluedo artistique au Palais de Tokyo Conçue autour d’une nouvelle policière, l’exposition « Double je » met à l’honneur les artisans d’art ART A u concours, qui n’existe pas, de l’exposition la plus incongrue, celle qui se nomme « Double je » et transforme une partie du |Palais de Tokyo en garage aurait de sérieuses chances de l’emporter. Elle répond à une nouvelle policière commandée au romancier Franck Thilliez, spécialiste du genre. Elle commence dans un commissariat par l’annonce d’un assassinat. La seule exigence de © VILLAR+VERA La direction de la salle de concerts parisienne le Bataclan a annoncé, mercredi 13 avril, dans un communiqué, que l’établissement rouvrirait à la mi-novembre, un an après la tuerie du 13 novembre 2015 où 90 personnes ont perdu la vie. Parmi les premiers artis- tes annoncés, Pete Doherty, programmé le 16 novembre, Youssou N’Dour et le Super Etoile de Dakar, le 18, Nada Surf, le 2 décembre, et les rappeurs de MZ, le 3. Le communiqué indique également que les travaux de rénovation, qui consistent à remettre en état les lieux sans changer l’agencement de la salle, ont commencé. Pour l’exposition « Double je » du Palais de Tokyo, un garage a été reconstitué – jusqu’à l’odeur de peinture. AURÈLIEN MOLE À SAINTE HÉLÈNE LA CONQUÊTE DE LA MÉMOIRE EXPOSITION + '-#.* % ") ,/.**$! "&(+ musee-armee.fr MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL MINISTÈRE DE LA DÉFENSE MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION la commande était que le personnage central soit un artisan. Il se nomme Ganel Todanais et affirme en avoir tué un autre, Natan de Galois. Les amateurs d’anagrammes ont déjà compris. L’exposition se présente comme la scène du crime que serait la maison de la victime. Elle se parcourt en commençant par le bureau et la chambre à coucher, en continuant par les nombreux et fort encombrés ateliers de la victime, jusqu’à une pièce obscure. Des taches de sang et des indices variés ont été observés par les enquêteurs qui les ont, comme il se doit, préservés à des fins d’analyse. Des bandes de plastique jaune empêchent par endroits le passage, pour rendre la fiction plus convaincante. Une attention forcenée La reconstitution des différentes pièces est si complète que l’on s’y laisse presque prendre : établis chargés d’une multitude d’instruments et de matériaux les plus divers, documents dispersés dans le plus complet désordre – en apparence –, images de toutes sortes sur les murs dressés pour l’occasion. Sans oublier le garage, avec sa voiture décorée à la bombe, des motos et l’odeur de peinture pour carrosserie si caractéristique. On y découvre une Suzuki GSX-R 1100 au carénage recouvert de plumes noires, de vraies plumes semble-t-il. « C’est glauque », comme dit Hervé à Mélanie – deux des enquêteurs de la nouvelle. Et cela exige surtout du visiteur une attention forcenée en même temps que l’abandon de tout a priori sur ce qui relèverait de l’art et sur ce qui n’en serait pas. Cette scène du crime a des côtés marché aux puces et vide-greniers. Pourquoi ce dispositif ? Parce que le Palais de Tokyo a conclu un partenariat avec la Fondation Bettencourt Schueller, qui œuvre à la promotion des métiers d’art. Après « L’usage des formes » en 2015, « Double je » est leur deuxième manifestation com- Les uns et les autres ont fait assaut d’inventivité et de loufoquerie, et tous ont travaillé ensemble avec une jubilation manifeste mune. Elle associe des femmes et des hommes que l’on considère comme des artistes à des femmes et des hommes que l’on dit – ou qui se disent – artisans d’art. Cette notion inclut des pratiques et des savoirs variés : plumasserie, marqueterie, ferronnerie, reliure, dentelle, broderie, coutellerie même. Cette dernière est ici au premier plan puisque l’arme du crime est « un étrange couteau fait d’un manche aux allures de colonne vertébrale et d’une lame noire en acier damas », poignard de luxe créé par JeanNoël Buatois. Celui qui emplume les motos se nomme Maxime Leroy. Celle qui construit des images en découpant et juxtaposant des matériaux hétéroclites, Marie-Hélène Poisson. Capucine Herveau brode sur à peu près tout ce qui se présente sous ses aiguilles. Si le crime a eu lieu chez un artisan aux nombreux talents, c’est évidemment pour justifier la prolifération des objets et des techniques, afin que chacun de ces spécialistes ait sa place. Fantasmagories macabres Pour l’occasion, ils sont associés à des artistes plasticiens qui pratiquent la photographie, la peinture, le dessin ou l’installation. Il y a Jorge Molder, aux remarquables photographies spectrales, Jean Bedez, dessinateur halluciné, ou Eudes Menichetti, aussi à l’aise sur métal que sur papier et inventeur de prodigieuses fantasmagories macabres. Les uns et les autres ont fait assaut d’inventivité et de loufoquerie, et tous ont travaillé ensemble avec une jubilation manifeste. Elle ne l’est jamais autant que dans l’installation qui réunit les cadres dorés monumentaux conçus par Mathias Kiss et les dessins de fil que Janaina Mello Landini tend dans l’espace en faisant s’effilocher de grosses cordes. Leur création conjointe, présentée dans une biennale, en serait aussitôt l’attraction générale. p philippe dagen Double je, Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris 16e. Palaisdetokyo.com. Du mercredi au lundi, de 12 heures à minuit. Entrée : de 8 € à 10 €. Jusqu’au 16 mai. % & . / ! % , ) * .*13,%+ )0 '0% /("($1.% +(.+ #,- 1H50 I - 11H /1 D E e R D N E u V d e I AU redi d’un journalist Mond D N U L E ue vend ELORM FLORIANADvec la participation chaq partenariat avec En styles | 15 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 à milan, le luxe fait maison Le 55e Salon du meuble a accueilli, ce printemps encore, de nouveaux venus. Le groupe Luxury Living Group, qui développe les lignes de mobilier pour Fendi Casa – dont le nouveau fauteuil Blixen par Toan Nguyen –, a lancé la première collection « maison » du constructeur d’automobiles sportives Bugatti (après celle de Bentley), ainsi que celle de Ritz Home. Du bleu assorti au taupe ou au gris, des formes aérodynamiques et des fibres de carbone : tout est prévu pour faire vibrer l’amateur d’une voiture taillée comme une sculpture et autrefois rêvée pour les rois. Hermès, Armani, Bottega Veneta… Au Salon du meuble, qui se tient jusqu’au 17 avril, les grands noms de la mode s’imposent dans l’univers de la décoration intérieure DESIGN milan P our sa première apparition à Milan, en 2011, Hermès Maison avait réédité des meubles du Français Jean-Michel Frank (18951941), figure de l’Art déco, en plus d’une banquette d’Antonio Citterio et d’un bureau d’Enzo Mari. Cinq ans après, au Salon du meuble, qui se tient en Lombardie jusqu’au 17 avril, la griffe du 24, faubourg Saint-Honoré a frappé fort avec ces chaises en bois de hêtre et cannage de l’Espagnol Rafael Moneo ou ce majestueux Sofa Sellier en noyer, toile et taurillon de Noé Duchaufour-Lawrance, sans compter les boîtes en laque de Pierre Charpin. Pour les admirer, rendez-vous est donné au Teatro Vetra, où l’architecte mexicain Mauricio Rocha a érigé 73 colonnes et murs, avec 17 000 briques de tufo, qui servent d’écrin brutaliste au mobilier raffiné d’Hermès. Un lieu singulier, à peine éclairé, où l’esthétique de la collection ressort avec force. L’idée en revient à l’architecte Charlotte Macaux Perelman et à l’éditeur Alexis Fabry, les nouveaux directeurs artistiques choisis par Pierre-Alexis Dumas pour donner un élan nouveau à l’univers maison d’Hermès. « L’architecture entretient un rapport au temps long qu’il nous semblait utile d’affirmer dans notre première collection, d’où le recours à Rafael Moneo. Dans le domaine du textile, nous avons pensé notamment aux grands coloristes nord-américains », précisent-ils. Une forme d’expression artistique Dans un tout autre cadre – hauts plafonds à caissons et fresques de deux maîtres du XVIIIe siècle, Giambattista Tiepolo et Carlo Carlone –, Bottega Veneta a lancé sa nouvelle collection au Palazzo Gallarati Scotti, qui n’est autre, depuis 2015, que sa boutique pour la maison. Les nouvelles tables de bronze, la commode gainée de cuir, les boîtes en argent ornées de pierres semi-précieu- Le cabinet précieux Club en laiton et bois peint à la main d’un motif océan, d’Armani Casa. DR Fauteuil Cobra de Bugatti. DR Bougeoirs Atelier Swarovski Home. DR ses ou le service de table peint à la main rivalisent par la noblesse des matériaux avec la beauté classique du lieu. L’engagement de Bottega Veneta, dans l’univers domestique, remonte à 2006, avec un simple banc conçu par son directeur artistique, Tomas Maier, inspiré par les lignes de bagages et conçu, comme les collections de mode, dans l’atelier de Vicence, en Vénétie. C’est également là que sont fabriqués la plupart des objets, en collaboration avec les artisans de Murano, la manufacture royale de porcelaine à Berlin ou Poltrona Frau pour les sièges et canapés. « Plus encore que le vêtement, le mobilier nous permet de partager durablement le goût des belles choses, réalisées dans des ma- tières d’exception, comme une forme d’expression artistique », confie Olivier Monteil, directeur de la communication de Bottega Veneta. Les griffes de luxe s’imposent, jour après jour, comme des acteurs de la décoration, à côté des spécialistes traditionnels de l’ameublement. Lundi 11 avril, sur le Corso Venetia, entouré d’une foule d’admirateurs, Giorgio Armani a présenté, dans sa future boutique consacrée à la maison – elle ouvrira officielle- ment à l’automne –, le cabinet précieux Club en laiton et bois peint à la main d’un motif océan (une édition limitée à 50 pièces). La tête de pont d’une collection Armani Casa, plus accessible et dans laquelle rien ne manque : de la cuisine à la salle de bains, des sols aux murs jusqu’aux luminaires ou aux canapés. Le style ? Epuré chic, un tantinet japonisant, comme les costumes masculins bien coupés du maestro, le premier à avoir griffé des hôtels à son nom. Sofa Sellier de Noé DuchaufourLawrance, pour Hermès. DR « Le Festival de Cannes » « Le Salon de Milan, c’est le Festival de Cannes pour la maison !, s’exclame Vincent Grégoire, du cabinet de style NellyRodi. Avant, on se contentait de diffuser l’imprimé d’une robe ou d’un foulard sur une assiette ou du linge. Désormais, chaque marque peut dicter un art de vivre : les clients qui se reconnaissent dans un style peuvent recevoir chez eux et montrer leur intérieur griffé de la cuisine à la salle de bains, sans faute de goût. » D’ordinaire dans l’ombre des grands noms du luxe, le cristallier autrichien Swarovski est entré dans la danse. Il a lancé, à Milan, sa première ligne d’art de la table – Atelier Swarovski Home –, qui met à contribution neuf designers parmi les plus grands, d’Aldo Bakker à Zaha Hadid (morte le 31 mars), en passant par Ron Arad. « Cette collaboration nous a poussés à innover, puisque nous avons mis au point découpe ondulée, effet d’impression ou colorisation par UV du cristal », dit Nadja Swarovski, membre de la troisième génération à la tête de l’empire familial. « L’idée est que ces bougeoirs, centres de table ou ces coupes transforment la maison en un lieu d’inspiration et de joie », dit cette amatrice de design et collectionneuse. Commercialisés en septembre, ces articles de table – dont certains strassés comme la robe de Marilyn Monroe pour l’anniversaire de John F. Kennedy – permettront aussi de briller en société. p véronique lorelle Une Triennale placée sous le signe de la postmodernité Villes du futur, production locale, artisanat… Pendant cinq mois, la capitale lombarde interroge ces thématiques et leur impact sur le design U ne vingtaine d’événements dans dix-neuf lieux : la XXIe Triennale de Milan revient après vingt ans de sommeil, sur le thème « XXIe Siècle, le design après le design ». Pendant cinq mois, du 2 avril au 12 septembre, des experts de tous horizons vont débattre des problématiques attachées aux villes du futur, à la production locale ou à l’artisanat d’art. « On ne peut plus concevoir une ville à l’aune de ses bâtiments ou un appartement comme une simple cellule urbaine », pointe Pierluigi Nicolin, qui dirige un groupe d’expositions phares sur le thème de « La ville après la ville ». « De- puis 2008, on assiste à l’affaiblissement des disciplines que sont l’architecture ou l’urbanisme au profit d’une forme de transversalité. On ne peut plus parler de cité sans parler de paysage, de production agricole, de recyclage des bâtiments… Tout ce que l’on pensait secondaire est devenu primordial. Aujourd’hui, on ajoute des terrasses aux grands ensembles que l’on rénove, on fait pousser des potagers sur les toits. Il faut repenser le design en tant que projet global du nouveau millénaire », martèle cet architecte. La ville de Saint-Etienne, invitée par la Triennale à représenter la France en matière de design, s’est attachée à montrer, sur trois espaces, comment cette discipline peut construire ou reconstruire la ville. Elle s’appuie notamment sur sa propre expérience – c’est la seule cité française à avoir intégré, depuis 2010, un « design manager » pour penser aux projets, de l’aménagement d’un carrefour jusqu’à l’intégration d’un programme immobilier – et sur les propositions d’élèves de l’Esadse, qui ont redessiné paysage et cadre de vie pour les habitants de Fukushima, au Japon, après la catastrophe nucléaire. Parmi la vingtaine de contributeurs, l’architecte et designer italien Andrea Branzi est commis- saire de l’exposition « Nouvelle préhistoire, 100 verbes », un parcours reliant les instruments de la préhistoire ancienne aux nanotechnologies modernes. Le XXIe siècle représente « une nouvelle préhistoire, quand le destin général de l’humanité n’avait pas de direction précise et que les objets possédaient plusieurs sens, de la fonction pratique à la valeur rituelle et magique », analyse Andrea Branzi. Le savoir-faire de la main célébré Le pavillon New Craft (« nouvel artisanat ») réunit plusieurs événements consacrés aux savoirfaire de la main, dont des réalisa- tions des Ateliers de Paris, ainsi que l’exposition phare « Mutations », sur les nouvelles formes et les nouveaux matériaux, présentée en 2015 au Musée des arts décoratifs, à Paris. « Pendant très longtemps, les gens ont jugé ces métiers surannés, nécessaires à la restauration d’un patrimoine ancien que l’on trouve dans les musées. Tout est en train de changer : en France, avec le renouveau, en 2011, des Journées européennes des métiers d’art ; en Grande-Bretagne, avec la deuxième édition, cette année, du London Craft Week ; et, enfin, avec la Triennale de Milan, on voit monter un intérêt grandissant pour l’artisanat d’excellence, souligne Julien Marchenoir, directeur stratégie et patrimoine de l’horloger suisse Vacheron Constantin, mécène de chacune de ces manifestations. Ces métiers offrent des débouchés économiques ; surtout, de par leur authenticité, leur ancrage dans un territoire, la valeur qui les habite est importante pour demain : ils sont porteurs de sens, ce qui est devenu précieux dans un monde globalisé. » p v. l. Triennale de Milan, jusqu’au 12 septembre, au Palazzo dell’Arte et dans dix-huit autres lieux de la ville. 21triennale.org 16 | télévisions 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Les sublimes noirceurs d’« American Crime » VOTRE SOIRÉE TÉLÉ Avec cette série de haut vol, John Ridley a brossé l’un des plus stupéfiants tableaux de l’Amérique d’aujourd’hui CANAL+ SÉRIE A LA DEMANDE E n deux saisons d’« American Crime », le scénariste, romancier et réalisateur John Ridley est parvenu à donner au genre de la série télévisée l’une de ses plus admirables réussites. Brassant de manière frontale, mais profonde et subtile, les thématiques raciales, sociales, sexuelles, mêlant en un récit polyphonique touffu, mais toujours lisible, la vie plus ou moins cabossée d’enfants et de leurs parents, Ridley donne de la société nord-américaine contemporaine une image dévastée et empreinte de noirceur. Un tempo souvent juste L’enquête sur l’assassinat de leur fils, dont réchappe son épouse (saison 1), inflige aux parents de dérangeantes vérités ; le viol présumé d’un ado par l’un de ses camarades de basket-ball (saison 2), dans le cadre d’un lycée huppé fréquenté par des Noirs et des Blancs issus de familles plus ou moins fortunées, révèle un palimpseste de non-dits et de doubles vies qui bouleversent, jusqu’au crime, la vie des protagonistes. Comme « American Horror Story », « American Crime » se fonde sur une « troupe » de quelques acteurs dans des rôles extrê- Trevor Jackson, Regina King et Timothy Hutton, dans la saison 2 d’« American Crime ». RYAN GREEN/ABC/DISNEY mement différents au cours des deux saisons : ceux qui ne connaîtraient Felicity Huffman qu’en Lynette Scavo des « Desperate Housewives » découvriront ici une actrice hors normes. On reste ébahi par la prestation de Caitlin Gerard en junkie (saison 1), par les incarnations type Jekyll et Hyde de Richard Cabral et Elvis Nolasco (saisons 1 et 2), et par le jeu, stupéfiant de finesse naturelle, du jeune Connor Jessup (l’adolescent humilié de la saison 2). Le tempo d’« American Crime » est souvent juste, et la structure narrative en dix épisodes de quelque quarante minutes idéale (d’ailleurs, les onze de la saison 1 en comptent un de trop, l’issue aussi glaçante qu’inattendue met un peu trop de temps à se faire connaître) : elle permet aux ramifications du récit de se dévelop- per, sans pour autant, comme dans ces séries aux saisons multipliées pour cause de succès, se noyer dans le délayage. John Ridley joue aussi beaucoup avec la perception temporelle du téléspectateur, en superposant différents instants d’une même scène. Ce principe menace de confiner au « tic » de réalisation, quand, par exemple, on entend la sonnerie d’appel d’un portable alors qu’un personnage compose encore le numéro et que, la conversation étant engagée au téléphone afin de convenir d’un rendez-vous, l’on voit les deux correspondants déjà face à face. Mais d’autres moments témoignent d’une vraie liberté de réalisation : séquences oniriques « pointillistes » de la saison 1 ou cette longue (4’30) scène chorégraphique de la saison 2, filmée dans le silence. La musique de Mark Isham – entre Philip Glass et Henryk Gorecki – est d’une discrétion et d’une finesse qui participent à la beauté, jamais esthétisante pour autant, d’« American Crime ». La chaîne ABC en avait commandé une deuxième saison, alors que les chiffres d’audience avaient baissé de moitié à la mitemps de la première. Restée à un niveau bas mais stable, « American Crime » est en attente d’une décision d’ABC pour une troisième. Elle ne pourra la prendre qu’au nom d’une, hélas !, bien improbable exception culturelle. p renaud machart American Crime, de John Ridley. Avec Felicity Huffman, Lili Taylor, Caitlin Gerard, Timothy Hutton, Connor Jessup, Richard Cabral, Elvis Nolasco (EU, 11 et 10 x 40 min.). Saison 1, disponible sur iTunes, 19,99 euros la saison ou 2,99 euros l’épisode. Le grand écart identitaire A travers les déchirements d’un jeune lycéen, Eran Riklis aborde une nouvelle fois le conflit au Proche-Orient CANAL+ CINÉMA VENDREDI 15 – 20 H 50 FILM M on fils débute en 1982, au moment de la guerre du Liban. A la télé, des manifestants crient « Begin, Sharon, stop the war ! » « Que Dieu protège Arafat ! », clame Salah, le père d’un garçon prénommé Iyad. Comme 20 % des Israéliens, Iyad et sa famille sont arabes. Des Arabes israéliens vivant dans une ville arabe israélienne. A l’école où se rend Iyad, on chante l’hymne israélien. Mais quand on lui demande la profession de son père, au lieu de répondre « cueilleur de fruits », il répond fièrement : « Terroriste ! » Ne pas croire qu’Iyad est un illuminé. Très bon élève, on lui propose d’intégrer le lycée israélien de sciences et techniques. Le jour de la rentrée, accueilli par la directrice du lycée, Iyad se rend très vite compte qu’il est le seul élève arabe. Bien que parlant couramment hébreu, son intégration sera d’autant plus difficile qu’il est affublé d’un léger trouble de l’élocution. Moqué, ostracisé par une partie de ses camarades, Iyad trouve deux âmes sœurs : la belle Naomi, dont il va tomber amoureux, et Yonathan, un garçon atteint d’une grave maladie dégénérative. Histoires d’amour entremêlées Arabe et Israélien ; Arabe israélien ; Israélien, tout simplement : la vie d’Iyad relève du grand écart identitaire. Même s’il voulait à toute force s’intégrer dans la société israélienne, il y aura toujours quelqu’un comme la mère de Naomi pour préférer avoir une fille les- bienne ou atteinte d’un cancer plutôt qu’amoureuse d’un Arabe. Lorsque Edna, la mère de Yonathan, rencontre Iyad, ses préoccupations sont tout autres. Arabe ou juif, peu importe. Cette avocate séfarade d’origine marocaine comprend que non seulement Iyad lui donne force et courage, mais qu’en plus il est en passe de devenir le « deuxième fils » de la maison. Mon fils est une suite d’histoires d’amour à ce point entremêlées qu’elles en deviennent inextricables. Comment peut-on être à la fois arabe et israélien ? Rêver de « libération » tout en n’aspirant qu’au bonheur ? C’est la force du cinéma de Riklis de donner à voir et à ressentir cette absurdité. Deux peuples pour une même terre, un même Etat. Ni manichéisme ni caricature : ancré au plus profond de la société israélienne, Mon fils est un beau film, remarquablement interprété. p franck nouchi Mon fils, d’Eran Riklis. Avec Yaël Abecassis, Tawfeek Barhom, Michael Moshonov (Israël, 2014, 105 min). VE N D R E D I 15 AVR IL TF1 20.55 Koh-Lanta Télé-réalité animée par Denis Brogniart. 22.55 Vendredi, tout est permis avec Arthur Divertissement animé par Arthur. France 2 20.55 Caïn Série créée par Alexis Le Sec et Bertrand Arthuys. Avec Bruno Debrandt, Julie Delarme, Frédéric Pellegeay (Fr., S4, ép. 5 et 6/10 ; S3, ép. 3/8). 23.40 Ce soir (ou jamais !) Magazine animé par Frédéric Taddeï. France 3 20.55 La Vie secrète des chansons Documentaire de Fabrice Michelin (Fr., 2016, 120 min). 23.35 Tant de belles choses, François Hardy Documentaire de Jean-Pierre Devillers et Olivier Bellamy (Fr., 2003, 85 min). Canal+ 20.30 Football 34e journée de Ligue 1 : Lyon-Nice 22.55 San Andreas Film catastrophe de Brad Peyton. Avec Carla Gugino, Dwayne Johnson (EU, 2015, 110 min). France 5 20.45 La Maison France 5 Magazine animé par Stéphane Thebaut. 21.45 Silence, ça pousse ! Présenté par Stéphane Marie et Caroline Munoz. Arte 20.55 Perpétuité pour deux Téléfilm de Johannes Fabrick. Avec Julia Koschitz, Felix Klare, Maren Kroymann (All., 2015, 90 min). 22.25 Le Monde secret des jumeaux Documentaire de Luke Wiles (GB - All., 2016, 50 min). M6 20.55 Bones Série créée par Hart Hanson d’après les romans de Kathy Reichs. Avec Emily Deschanel, Patricia Belcher (EU, saison 11, ép. 5/22 ; S3, ép. 5/18 ; S9, ép. 17/24 ; S5, ép. 7/9). 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT I. Son efet pousse à l’action. II. Vient GRILLE N° 16 - 090 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 faire la fête au village. Bien équiper. du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤ Courrier des lecteurs blog : http://mediateur.blog.lemonde.fr/ ; Par courrier électronique : [email protected] Médiateur : [email protected] Internet : site d’information : www.lemonde.fr ; Finances : http://inance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/ Immobilier : http://immo.lemonde.fr Documentation : http ://archives.lemonde.fr Collection : Le Monde sur CD-ROM : CEDROM-SNI 01-44-82-66-40 Le Monde sur microilms : 03-88-04-28-60 SUDOKU N°16-090 III. Plongé dans l’huile. Sa reine a su 4 5 6 7 8 9 10 11 12 séduire le roi Salomon. Pris en pitié. IV. Donne de l’intensité au courant. I II Possessif. V. Dans la main du travailleur. Mettent au parfum. VI. Bien dressée. Trois points sur quatre. III IV VII. Sur la portée. Fait entrer très discrètement. VIII. Ouvertures sur les cordes. Assure la liaison. Pour prépa- V VI rer de belles peaux. IX. Lumière en tube. Débitée sans rélexion. X. Manipulassent sans aucune retenue. VII VIII VERTICALEMENT 1. Discrétion ou disparition. 2. Re- La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 nouer de bonnes relations. 3. CombiIX X naison aux courses. Personnel. 4. Sensible aux éclats. Arrive. 5. Paresse sous les tropiques. Les petits ne sont pas négligeables. 6. Sans grands SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 089 HORIZONTALEMENT I. Chorégraphie. II. Rasade. Iléon. III. Ere. Ironiste. IV. Piratage. Tar. V. Icare. Réai. VI. Noie. Se. PACA. VII. Eté. Resel (léser). An. VIII. Té. Eon. Tarit. IX. Tuant. Satire. X. Eradications. VERTICALEMENT 1. Crépinette. 2. Haricoteur. 3. Oseraie. Aa. 4. Ra. Are. End. 5. Edite. Rôti. 6. Géra. Sen. 7. Ogres. SA. 8. Aînée. Etat. 9. Pli. Aplati. 10. Hestia. Rio. 11. Iota. Cairn. 12. Enervantes. intérêts. Au bout du plongeoir. 7. A fait de l’efet. Allemande de Thuringe. 8. Vont mettre des bâtons dans les roues. 9. Changea de registre. Devrait changer de registre. 10. Préposition. Fait bon ménage. 11. Rejetions toute la vérité. Cours du Jura. 12. Ne fera pas d’éclats. 0123 hors-sé ÊTRE FRANÇAIS rie Êtreais franç textes Les grands Edgar Morin uieu à de Montesq uveaux déis Les no 60 auteurs 40 dessins DE LES GRANDS TEXTES MONTESQUIEU À EDGAR MORIN LES NOUVEAUX DÉFIS Un hors-série du « Monde » 164 pages - 8,50 € chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») disparitions & carnet | 17 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Maya Surduts Militante féministe Ng Ectpgv Xqu itcpfu fixfipgogpvu ont la tristesse de faire part du décès de Pckuucpegu. dcrv‒ogu. octkcigu née HENIG, Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu cppkxgtucktgu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. rqtvgu/qwxgtvgu. ukipcvwtgu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Naissance Sarah et Alban DUHAME laissent à Calisto et Léo, la joie d’annoncer la naissance de Timothée, à Mont-Saint-Aignan, le 1er avril 2016. Décès Danielle Sapin, Pierre Auba, Françoise Bresson, Michel Auba (†), Yves Auba, Cécile Slebir, Hélène Auba-Marteau, ses enfants et leurs conjoints, En 2010. Catherine, Marc (†), Philippe, Robin (†), Lucas, Violaine, Rémi, Julien, Samuel, Amandine, Thomas, Lara, Olivier, Arthur, Mathieu, ses petits-enfants et leurs conjoints, THOMAS SAMSON/AFP E lle impressionnait par sa réputation, sa voix grave, son tranchant, son énergie. La militante féministe Maya Surduts, présidente de la Coordination des associations pour le droit à l’avortement et à la contraception (Cadac) et porteparole du Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), est décédée le 13 avril 2016, emportée par une grave maladie. Figure emblématique du mouvement associatif contestataire, femme intransigeante et radicale, elle avait 79 ans. Un âge qui ne l’a pas empêchée de fréquenter les manifestations, ni de rester active dans le mouvement féministe. L’annonce de son décès a immédiatement provoqué des réactions politiques. « Une grande gueule, une grande dame a lâché son drapeau rouge », a commenté Laurence Rossignol, ministre des droits des femmes, sur Twitter. « Elle n’a jamais cédé ni sur la dénonciation de la domination sexiste et patriarcale ni sur celle de l’exploitation », a rappelé Pierre Laurent, secrétaire national du PCF. « Charismatique, elle a imprimé sa marque dans le mouvement féministe de sa grande voix et de sa détermination, a réagi le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle restera une personnalité inspirante pour les plus jeunes militant.e.s. » « Eternelle rebelle » Pour son amie proche Suzy Rojtman, également porte-parole du CNDF, Maya Surduts était dotée à la fois « d’une intelligence politique très fine », « d’une personnalité très forte » et « d’une parole très cash »… qui pouvait agacer ses interlocuteurs. « Elle a toujours essayé de combiner la lutte pour les droits des femmes et pour une autre société », résume Mme Rojtman. En 2001, elle avait refusé la Légion d’honneur que voulait lui remettre la ministre du travail, Martine Aubry, « par indépendance d’esprit », selon Mme Rojtman. Une « éternelle rebelle », se rappelle l’ancien journaliste du Monde Jean-Claude Buhrer, qui l’a connue lors de leurs études en Suisse, au tournant des années 1960. Maya Surduts était née le 17 mars 1937 à Riga, en Lettonie, dans une famille juive, qui émigra vers la France en 1938. Cachée pendant la guerre à Nice, sa famille séjourne par la suite en Afrique du Sud avant de revenir en France. Jeune femme, Maya Surduts étudie à l’école d’interprétariat de Genève, où elle milite en faveur de l’indépendance algérienne. Elle voyage ensuite aux Etats-Unis, au Mexique, puis s’installe à Cuba où 17 MARS 1937 Naissance à Riga, en Lettonie 1938 S’installe en France avec sa famille 1973 Entre au MLAC 1981 Fonde la Maison des femmes de Paris 1990 Création de la Cadac 13 AVRIL 2016 Mort à Paris elle fréquente des dissidents, et dont elle est expulsée en 1971. De retour en France, elle adhère à Révolution, un groupe trotskiste, dans les années 1970, puis à la Ligue communiste révolutionnaire. Elle participe également aux premiers moments du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), créé en avril 1973 dans le but de légaliser l’interruption volontaire de grossesse en France. Elle ne cessera par la suite de s’investir dans de multiples structures associatives pour les droits des femmes. Elle fonde avec Christine Delphy, en 1981, la Maison des femmes de Paris, lieu d’accueil pour les victimes de violences. En 1985, elle crée avec Suzy Rojtman et Nathalie Bourdon le Collectif féministe contre le viol, qui ouvrira un an plus tard une ligne téléphonique d’écoute. En 1990 naît, à son instigation, la Cadac. L’objectif est de mobiliser associations, syndicats et partis contre les commandos anti-IVG qui s’enchaînent aux portes des hôpitaux. Le délit d’entrave à l’IVG est créé en 1993. Elle participe également à la création de Ras l’front, un mouvement antifasciste, animant notamment la réflexion contre les thèses réactionnaires sur les femmes et la famille du Front national. L’année 1995 est pour elle une charnière. Alors que le gouvernement projette d’amnistier les commandos anti-IVG, la Cadac mobilise 40 000 personnes de toutes les générations, lors d’une grande manifestation le 25 novembre, qui entre en conjonction avec le mouvement social contre la réforme des retraites. Le CNDF est créé dans la foulée. C’est toujours un mouvement très actif, qui prend position sur les questions relatives aux droits des femmes, et organise les manifestations des Journées internationales des femmes, le 8 mars, et contre les violences à l’égard des femmes, le 25 novembre. Jusqu’à la fin de sa vie, Maya Surduts est également restée engagée politiquement. Elle était membre d’Ensemble, l’une des composantes du Front de gauche. p rémi barroux et gaëlle dupont Ses enfants, Ses petits-enfants, Ses arrière-petits-enfants, Sa famille, Ethan, son arrière-petit-ils, Toute sa famille Et ses amis, ont la tristesse de faire part du décès de M. Jean AUBA, ancien élève de l’Ecole normale supérieure, ancien directeur fondateur de l’Institut français de Copenhague, ancien directeur du Centre international d’études pédagogiques de Sèvres, inspecteur général honoraire de l’Education nationale, correspondant de l’Institut de France, survenu le 12 avril 2016, dans sa centième année. La cérémonie religieuse sera célébrée le samedi 16 avril, à 10 h 30, en l’église Saint-Rémy de Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines). Elle sera suivie de l’inhumation dans le caveau familial, au cimetière de SaintRémy-lès-Chevreuse. Isabel Azria, Yahne et Jean Coscas, René-Pierre et Alexis Azria, François Azria et Diane, ses enfants, Caroline et Alexis Szabo, Philippe et Lili Duvillard, Valérie Coscas, Bruno et Davina Coscas, Nicolas et Valérie Coscas, Tom et Jennifer Coscas, Ariel Azria, ses petits-enfants Ainsi que ses dix arrière-petitsenfants, ont la profonde tristesse de faire part du décès de Elda AZRIA, née COHEN-TANUGI, survenu le 12 avril 2016, à Paris. Les obsèques auront lieu le vendredi 15 avril, à 11 h 30, au cimetière d’Auteuil, 57, rue Claude-Lorrain, Paris 16e. Didier et Sylvie Caroubi, Thierry Caroubi et Judith Czernichow, Olivier Cozic et Sandra Macedo, ses enfants, Faustine Caroubi et Nicolas Bougrelle, Clémentine Caroubi, Célia Caroubi, Antoine Caroubi, Anna Caroubi, Corentin Cozic, Lilian Cozic, Morgan Cozic, ses petits-enfants, Dany et Lisa Bougrelle, ses arrière-petits-enfants, Sophie Gauthier, Pascale Leroy, Ainsi que toute la famille, Mme Marie BERMAN, survenu le 6 avril 2016, dans sa centième année. Ils rappellent le souvenir de son époux, M. Aron BERMAN, disparu le 11 janvier 1997. Ils remercient les équipes soignantes de l’unité de gériatrie aigüe de l’hôpital Saint-Antoine et de la maison de retraite de la Fondation de Rothschild, à Paris. Les obsèques se sont déroulées dans l’intimité. Mme Myriam Revault d’Allonnes, [email protected] M. André Berman, [email protected] M. David Revault d’Allonnes, [email protected] Lyon. Fanfan, Marie-Claude et Yves, ses enfants, Ses petits-enfants, Ses arrière-petits-enfants, ont la tristesse de faire part du décès de Jeannette COLOMBEL, née PRENANT. Une cérémonie aura lieu le vendredi 15 avril 2016, à 14 h 30, au crématorium de la Guillotière, 19, rue Pierre-Delore, Lyon 8e. Troyes. Les familles Nunes et Thierry, font part du décès de Mme Andrée DENIS, E.N.S de Fontenay-aux-Roses, 1943 - 1946, professeur retraitée de l’université de Reims, survenu le 7 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-quinze ans. Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité familiale, le mercredi 13 avril. Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. Reims. Chantal Dulibine et Bruno Dulibine, ses enfants, Bernard Grosjean, Yaelle Sultan, leurs conjoints, Grégoire, Arthur, Félix, ses petits-ils, font part du décès de M. André DULIBINE, ingénieur X 45, ancien directeur régional de la SNCF à Reims, survenu le 11 avril 2016, à Reims, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. La cérémonie religieuse aura lieu le mardi 19 avril , à 10 h 30 en l’église Saint-Jacques, à Reims (Marne), suivie de la crémation. Nous saluons son affabilité, sa droiture, son endurance, son intelligence, son goût du langage et de l’organisation. Ni plaques ni couronnes. Nous rappelons son engagement de vingt-cinq ans comme visiteur de malades en établissement hospitalier. C.D. 35 Villa d’Alésia, 75014 Paris. B.D. 19, rue des Granges, 25000 Besançon. Ses amies des éditions des femmes-Antoinette Fouque, Et de l’Alliance des Femmes pour la Démocratie, Jacqueline Gaubert, sa sœur, Maria Mucci, sa cousine, Ezekiel Grunstein-Fouque, son petit-ils bien-aimé, Jean-Claude Charbonnier, d’Aix-en-Provence, Jacqueline Pizay, Lionel Pene, de La Motte, Les familles Bonavita, Féraud, Gaubert, Grugnardi, Grunstein, Lévy, Marchini, Mucci, ont la très grande tristesse de faire part de la disparition, le 11 avril 2016, de ont la douleur de faire part du décès de René FOUQUE, M. Armand CAROUBI, homme de lettres et de culture, ami idèle de la lutte des femmes et de leurs créations. survenu le lundi 11 avril 2016, à l’âge de quatre-vingt-douze ans. L’inhumation a eu lieu ce jeudi 14 avril, dans la sépulture de famille, au cimetière du Montparnasse, Paris 14e. Ses obsèques auront lieu ce jour dans l’intimité. [email protected] Mme Anny Héritier, son épouse, Valérie, Nathalie, Pascal, Guillaume et Anne, ses enfants, Sasha, Augustin, Hippolyte et Victor, ses petits-enfants, ont l’immense tristesse de faire part du décès de Michel HÉRITIER, professeur des Universités à Orsay, survenu le 11 avril 2016. La cérémonie religieuse aura lieu le vendredi 15 avril, à 14 heures, en l’église Saint-Clodoald de SaintCloud (Hauts-de-Seine). C’est avec une infinie tristesse que nous avons appris le décès de Anne-Marie LUCCIONI, directrice des Programmes Eurodoc, DOC Med, Produire en Région et Eurodoc Executives, une personnalité irremplaçable dans le documentaire en Europe et dans le monde. Pendant des décennies, elle a nourri notre engagement pour le documentaire et a contribué à son épanouissement international. Avec élégance et persévérance, elle nous a incités à faire vivre un cinéma documentaire humaniste, et à partager notre courage pour des ilms inouïs, engagés, humains. Son regard, son esprit, sa douceur, sa force et son amour pour le documentaire nous manquent déjà. Les produc(teurs)trices indépendants, chargé(e)s de programme des télévisions publiques internationaux qui ont eu la chance de participer à ses programmes et de travailler avec elle, Massimo Arvat (Turin), Erkki Astala (Helsinki), Paolo Benzi (Naples), Matthieu Belghiti, Jacques Bidou, Xavier Carniaux, Juliette Cazanave, Denis Freyd (Paris), Mohammed Belhaj, Jean-Marie Bertineau (Bègles), Alexandre Cornu (Marseille), Melina Chosson (Montpellier), Luis Correa (Lisbonne), Heino Deckert, (Leipzig), Patricia et Thierry Garrel (Vancouver), Alessandro Gropplero, Anita Hugi (Zurich), Doris Hepp, Susanne Mertens, Martin Pieper (Mayence), Serge Lalou (Montpellier), Fleur Knopperts et Denis Vaslin (Rotterdam), Thomas Kufus (Berlin), Anne-Laure Negrin (Strasbourg), Astrid Ohlsen (Stockholm), Carl-Ludwig Rettinger, Sabine Rollberg (Cologne), Isabelle Truc (La Hulpe), Joan Ubeda (Barcelone), Clara Vuillermoz (Nantes), Ralph Wieser (Vienne) Et tous ceux qui se joignent à notre tristesse. Caluire et Cuire (Rhône). Ineuil (Cher). Jacques Martinat, son époux, Yan et Martine Martinat, Philippe et Béatrice Martinat, Nathalie Martinat, ses enfants, Flore, Mathieu, Fanny, Hugo, Virginie, Alice, Adèle et leurs conjoints, ses petits-enfants, Maxime, Matéo, Léana, Lou, Baptiste, Jean, Léa, Victoria, Romane, ses arrière-petits-enfants, Jacqueline et Etienne Mealet, sa belle-sœur et son beau-frère, Françoise Guillot et Véronique Boulanger, ses cousines et leurs conjoints Et toute la famille, ont la profonde tristesse de faire part du décès de M Yannick MARTINAT, me née THORIDENET, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Un moment de souvenir et de recueillement nous rassemblera à la Chambre funéraire de Lyon, 177, avenue Berthelot, Lyon 7e, le vendredi 15 avril 2016, à 11 heures. L’inhumation se fera au cimetière d’Ineuil (Cher), après une cérémonie d’adieu, en l’église du village, le samedi 16 avril, à 10 heures. 3, rue Berthelot, 69300 Caluire. Aline Pujo, Olivier et Michèle Pujo, Violaine et Jean-Pierre Rolland, ses enfants, Dimitri, Benoît, Nicolas, Caroline, Thaïs et Maya, ses petits-enfants, ont la douleur de faire part du rappel à Dieu de Mme Bernard PUJO, née Régine FLANDIN, le 12 avril 2016. La cérémonie religieuse sera célébrée le vendredi 15 avril, à 10 h 30, en l’église Saint-Martin de Louveciennes (Yvelines). L’inhumation aura lieu à Cure(Yonne), dans l’intimité familiale. Ni leurs ni couronnes. Vos dons seront les bienvenus au profit de l’APAESIC, 26, rue d’Ulm, 75005 Paris. Cet avis tient lieu de faire part. Le docteur André Auscher et ses enfants, ont la tristesse d’annoncer le décès de Marie-Emilie REY-AUSCHER, ancienne directrice à l’Assemblée nationale, chevalier de la Légion d’honneur, survenu le 6 avril 2016, à Paris. Les obsèques ont eu lieu dans la plus stricte intimité. Gecel et Gisèle, ses parents, Laure, sa femme, Roman, Hugo, Dimitri, Nils, ses enfants, Laurent et Laetitia, son frère et sa belle-sœur, Sasha, son neveu, Juliette et Thomas, sa sœur et son beau-frère, Constant et Adèle, son neveu et sa nièce, Sa famille, Ses amis Et ses collègues, ont l’immense douleur de faire part du décès de Thierry ZYLBERBERG, X78, survenu le 12 avril 2016, à l’âge de cinquante-sept ans. Des dons peuvent être faits à l’institut Gustave-Roussy. Laure Zylberberg, 4, rue Thiers, 75116 Paris, [email protected] Communication diverse Appel public à candidatures pour la désignation des quatre personnalités extérieures au Conseil d’administration de l’université Paris-Sud. En mai 2016, l’université Paris-Sud, placée au 41e rang mondial du classement de Shanghai (2015) et reconnue internationalement avec plus de 5300 publications scientiiques par an, doit désigner quatre personnalités extérieures pour siéger au sein de son conseil d’administration : Une personne assumant des fonctions de direction générale au sein d’une entreprise, Un représentant des organisations représentatives des salariés, Un représentant d’une entreprise employant moins de 500 salariés, Un représentant d’un établissement d’enseignement secondaire. Les candidatures, comportant un acte de candidature (une page recto) et un curriculum vitae, sont à adresser avant le 3 mai 2016 à Mme la directrice générale des Services de l’université Paris-Sud, bâtiment 300, rue du Château, 91405 Orsay cedex. Les candidats indiqueront s’ils ont ou non la qualité d’ancien diplômé de l’université Paris-Sud. Toutes les informations sont précisées sur le site de l’université : http://www.u-psud.fr # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. 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Cette fuite de documents, relatifs aux sociétés offshore ayant des liens avec des personnalités riches et célèbres, a secoué le monde avec des révélations montrant jusqu’où certains peuvent aller afin de cacher leur fortune. Comme les documents publiés jusqu’ici l’ont montré, l’évasion fiscale est un problème planétaire auquel aucune nation n’échappe, pas même la France. C’est la raison pour laquelle le Panama estime que seule une approche reposant sur la coopération et la diplomatie peut permettre d’établir une transparence judiciaire et financière au niveau mondial. Cela ne veut pas dire que chaque pays ne devrait pas jouer son rôle. Chaque nation – y compris le Panama – peut et doit renforcer son système financier, afin de minimiser le risque de détournement. Mais quand il s’agit de relever les défis systémiques de l’évasion fiscale, qui prive les contribuables de 200 milliards de dollars chaque année, l’unilatéralisme n’est évidemment pas la bonne solution. Les 11 millions de documents contenus dans la fuite montrent que la majorité des sociétés créées par le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca sont en réalité basées dans d’autres pays. Le Panama occupe une meilleure place dans la dernière édition du classement annuel établi par l’ONG Tax Justice Network que de nombreux pays, dont certains membres de l’OCDE, en ce qui concerne la transparence financière. Voilà pourquoi la diplomatie et la communication sont essentielles à ce stade, et non les me- STÉPHANE TRAPIER Une collection APPRENDRE à PHILOSOPHER ÉTHIQUE, LIBERTÉ, JUSTICE « Pensez le monde autrement avec les grands philosophes » visuel non contractuel RCS B 533 671 095 Birnbaum © A di Crollalanza UNE COLLECTION QUI EXPLIQUE CLAIREMENT LES IDÉES DES GRANDS PHILOSOPHES Une collection Le volume 6 KANT Présentée par Jean Birnbaum, essayiste, directeur du « Monde des livres ». 9 € ,99 naces et les sanctions. A cette fin, le gouvernement du Panama a ouvert un dialogue productif avec de hauts responsables français, dont le président Hollande, pour discuter des mesures concrètes à entreprendre dans le but d’assurer une meilleure collaboration, ainsi que la mise en œuvre d’une convention fiscale bilatérale France-Panama plus efficace. Le président du Panama, Juan Carlos Varela, a constitué une commission d’experts indépendants pour évaluer notre système financier, déterminer les meilleures pratiques et recommander des mesures spécifiques visant à renforcer la transparence financière et judiciaire mondiale. Nous attendons leurs conclusions dans les six prochains mois, et nous les communiquerons à d’autres pays. Ces étapes suivent une série de réformes au Panama visant à promouvoir une plus grande transparence financière. Depuis son entrée en fonctions en 2014, le président Varela a mis en place de nouvelles réglementations dites « Connaissez votre client » et a établi un réseau de conventions fiscales solide qui permet l’échange d’informations légales sur les entreprises. De plus, nous nous sommes engagés à la certification obligatoire des identités des actionnaires de chaque société, à conclure de nouveaux accords internationaux de partage de l’information, et à mettre en œuvre des règlements plus stricts pour les fournisseurs de services financiers ainsi que pour les principales entreprises non financières. Ces réformes ont été reconnues et validées par la communauté internationale, y compris par le Groupe intergouvernemental d’action financière sur le blanchiment de capitaux [dont sont membres les principales puissances économiques], qui a cité les « progrès significatifs » du Pa- SEULEMENT! CHAQUE MERCREDI CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX www.CollectionPhiloLeMonde.fr LA DIPLOMATIE ET LA COMMUNICATION SONT ESSENTIELLES À CE STADE, ET NON LES MENACES ET LES SANCTIONS nama dans la lutte contre le blanchiment de capitaux lorsqu’il nous a retirés de sa « liste grise » au cours de l’année. Ce retrait a eu lieu en un temps record. Nous avons également progressé de façon positive dans un examen conduit et commandité par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et pourtant, les « Panama papers » sont plus qu’un abus de langage. L’affaire a été injustement relayée dans les médias comme un scandale impliquant des structures d’entreprises « offshore ». En tant que centre d’affaires international, le Panama traite toutes les sociétés de manière identique. L’idée que le Panama est un « paradis fiscal » pour les sociétés internationales provient du fait que seuls les revenus générés au Panama, sans tenir compte de ceux gagnés à l’étranger, y sont imposés. Cependant, toutes les transactions au Panama sont imposables en vertu des lois des juridictions concernées. Notre gouvernement a renforcé ces lois en imposant de nouvelles réglementations, mais ces politiques peuvent encore être détournées à des fins illicites. UNE LUTTE COLLECTIVE Le Panama est résolu à adopter toutes les réformes de transparence financière nécessaires à la satisfaction de la communauté internationale. Le gouvernement du Panama a annoncé son engagement à l’échange automatique d’informations financières, et nous avons proposé des procédures que nous estimons correspondre aux objectifs de la communauté internationale, y compris l’OCDE. En outre, le Panama poursuivra sa coopération avec la France et les autres juridictions afin d’engager des poursuites en cas d’infraction au code pénal panaméen, tout comme il continuera à respecter les nombreux traités internationaux que nos partenaires du monde entier ont ratifiés avec la République du Panama. Nous réitérons également notre volonté d’engager un dialogue avec l’OCDE et son Forum mondial en ce qui concerne la signature d’accords de transparence financière qui peuvent favoriser le développement écono- L’ÉVASION FISCALE EST UN PROBLÈME PLANÉTAIRE AUQUEL AUCUNE NATION N’ÉCHAPPE, PAS MÊME LA FRANCE mique de nos pays. Bien que nous reconnaissions que ces réformes signifient peu jusqu’à ce qu’elles soient mises en œuvre et appliquées, il ne faut pas oublier qu’après avoir été gouverné par une dictature durant des années, le Panama est aujourd’hui une démocratie stable. Grâce à nos efforts pour transformer notre pays en un pôle économique de premier plan, plus de 100 sociétés transnationales y ont implanté leurs sièges régionaux. Nous espérons que, grâce à nos efforts de réforme et à une coopération internationale accrue, notre pays deviendra encore plus attrayant pour les entreprises multinationales qui cherchent à agir en citoyens du monde responsables. Le président Hollande, dans un discours en 2013, a promis une « lutte acharnée » contre la criminalité financière. Le Panama se présente comme un partenaire prêt à mener ce combat. L’évasion fiscale est un crime commis par des personnes privées et elle dépouille les pays développés comme les pays en développement des ressources nécessaires pour la santé, l’éducation et les infrastructures. La République du Panama, étant elle-même un pays en développement, refuse de laisser une telle activité se poursuivre. Toutefois, nous reconnaissons les limites de ce que nous pouvons faire seuls. La lutte acharnée pour une plus grande transparence financière mondiale doit être collective. p ¶ Isabel de Saint Malo de Alvarado est vice-présidente de la République panaméenne et ministre des affaires étrangères débats & analyses | 19 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 « Le nouvel âge d’or des séries » s’affranchit de la télévision Analyse isabelle regnier Service Culture LA MONTÉE EN PUISSANCE D’AMAZON ET DE NETFLIX ACCENTUE LA BASCULE VERS INTERNET, AMORCÉE DEPUIS QUELQUES ANNÉES DÉJÀ Q ue doivent les séries à la télévision ? Pour incongrue qu’elle paraisse, la question mérite d’être posée à au moins deux titres. D’abord parce que l’extraordinaire moisson de fictions au long cours qui déferle depuis quinze ans s’est largement construite en réaction aux tares traditionnellement associées à la télévision (scénarios calibrés pour le plus grand nombre et avant tout pour les annonceurs, mise en scène et jeu d’acteurs nuls…). Ensuite, parce que les séries sont en train de s’affranchir du médium qui les a vues naître. Tandis que la montée en puissance d’Amazon et de Netflix accentue la bascule vers Internet, amorcée depuis quelques années déjà, avec le téléchargement et le streaming, par les spectateurs, l’infiltration du secteur par les grands noms du cinéma (les frères Coen, Martin Scorsese, Judd Apatow, Robin Wright et Kevin Spacey, Steven Soderbergh…) en modifie la nature. Coup d’envoi de ce que l’on a coutume d’appeler « le nouvel âge d’or des séries », « Les Soprano » a été lancé, en 1999, sur la chaîne câblée américaine HBO dont le slogan dit bien le positionnement paradoxal : « Ce n’est pas la télévision. C’est HBO. » Cet événement, qui a infiltré la culture pop, est l’œuvre d’un cinéphile aguerri, David Chase, qui avait toujours affiché son mépris du médium. « Les Soprano » se donne à voir, de fait, comme une survivance dégradée du grand cinéma de mafia. Pour toute une génération formée dans les écoles de cinéma, ce moment de l’histoire de la télévision fut un appel d’air providentiel : la possibilité de réaliser les rêves dont Hollywood ne voulait plus. Chaque épisode devenait un petit film d’une heure, avec Douglas Sirk à l’horizon pour « Mad Men » ou Se7en, Le Silence des agneaux pour « True Detective » ou « Fargo » des frères Coen pour Fargo… BOULIMIE ET SURENCHÈRE En une quinzaine d’années, les séries sont devenues un art à part entière. Avec ses chefs-d’œuvre – « Les Soprano », « The Wire », « Breaking Bad », « Masters of Sex »… –, ses blockbusters épatants – « Game of Thrones », « Homeland », « The Walking Dead »… –, ses séries B subtiles – « Louie », « Halt and Catch Fire », « The Americans »… –, elles se sont imposées comme une discipline universitaire et une catégorie critique autonome. Célébrées tous les ans à Paris par le festival Séries Mania – du 15 au 24 avril, cette année, au Forum des images –, adoptées comme une jolie cousine par les grands festivals de cinéma, elles s’invitent même au musée, et notamment au Jeu de paume, où le sagace critique Emmanuel Burdeau anime tous les vendredis, jusqu’au 22 avril, un séminaire sur le sujet. Cette reconnaissance a fini par dissiper les complexes. Comme le soulignait Emmanuel Burdeau au début de son séminaire, de plus en plus de séries s’affranchissent de leur surmoi cinématographique pour s’inscrire dans un système référentiel ouvertement télévisuel. Alors que le héros de Love travaille pour une série médiocre, tout en rêvant d’en inventer lui-même une qui soit géniale, on ne compte plus les personnages qui commentent avec enthousiasme les productions du petit écran. Car quoi qu’on en dise, c’est bien la télévision qui a engendré leur âge d’or. Ce sont bien ses contraintes qui en ont dessiné les contours. La longue durée, qui apporte aux séries « une forme d’inscription que n’a pas le cinéma » (Emmanuel Burdeau, encore), comme la récurrence des épisodes et des saisons, qui influe sur leur structure et leur contenu, sont des manières de répondre au besoin de fidéliser les téléspectateurs. Invitée du séminaire du Jeu de paume, la productrice américaine Christina Wayne raconte qu’elle a convaincu Matt Weiner, le showrunner de « Mad Men », dont elle avait initié la production, de changer la fin de sa première saison : « Dans son scénario, Don et Betty Draper se retrouvaient, s’enlaçaient, et partaient en voiture dans le soleil couchant. Mais qui voudrait voir une suite après une fin pareille ? Et puis, ce n’est pas une série où La mort du roi T coup ! Au même moment, le Parti socialiste (PS), unanime, acte le principe d’une primaire de la gauche et des écologistes, qui pourrait se tenir en décembre. Il ne s’agit, certes, que d’une ruse de Jean-Christophe Cambadélis, le patron du PS, pour contenir la contestation à gauche et donner au roi le temps de se refaire. Il n’empêche. S’il ne suffit plus, dans les institutions françaises, d’être le président sortant pour prétendre être le candidat naturel de son camp à sa propre succession, la révolution n’est pas loin. TOUT UN SYSTÈME S’ÉCROULE Pendant ce temps, des jeunes et des moins jeunes se retrouvent, chaque nuit, place de la République, à Paris, pour exprimer leur rejet du système. La contestation reste, pour l’instant, marginale. Elle est, en outre, de type « horizontal », en ce sens qu’elle favorise les palabres et la fraternité, mais interdit l’émergence d’un leader. Ce qui est plutôt rassurant pour le pouvoir en place. Mais le monarque est si affaibli, il redoute tellement la violence qui pourrait découler de cette Avenir bouché | par serguei [email protected] Algérie : mémoire de la « pacification » POLITIQUE | CHRONIQUE DE FRANÇOISE FRESSOZ out ce qui subsistait de monarchique dans la fonction présidentielle a été mis à mal ces derniers jours par la conjonction de quatre initiatives, qui n’ont pas grand-chose à voir entre elles et signent, pourtant, la fin de la domination symbolique qu’exerçait jusqu’à présent l’Elysée sur toute l’activité politique. Il y a l’incroyable initiative prise par Emmanuel Macron « le bienveillant » qui, à la barbe du roi, lance son mouvement En marche ! pour tenter de soulever la société civile contre le conservatisme politique. M. Macron n’est pas seulement le ministre de l’économie qui aura tenté, en vain, comme Turgot, au XVIIIe siècle, de libéraliser l’économie d’Ancien Régime asphyxiée par l’excès de dépenses et d’impôts. Il est aussi le rapporteur général de la commission Attali qui, en 2007, clamait « à bas les rentes et les privilèges ! » pour éviter au pays un nouveau 1789. N’ayant été entendu ni par Nicolas Sarkozy ni par François Hollande, l’ambitieux se met à son compte, en espérant qu’il ne sera pas trop tard. Et tant pis si l’autorité présidentielle en prend un on est heureux ! On s’est disputé, Matt était furieux. Le soir, il m’a rappelée. Il pleurait. Il m’a dit qu’il les aimait trop pour leur faire du mal ! Mais il a admis que j’avais raison. » La télévision est avide de nouveauté. Sa boulimie est à l’origine de cette surenchère d’univers incroyables, de ces drames existentiels inédits, de ces intrigues politiques d’un nouveau genre, de ces corps nouveaux, dont la profusion a fait exploser les frontières établies de la fiction… Elle est aussi une technologie. Comme le suggère le journaliste américain Brett Martin dans son livre Des hommes tourmentés : le nouvel âge d’or des séries (La Martinière, 2014), l’image haute définition, le home cinéma, les écrans géants ont favorisé l’émancipation de la mise en scène et l’abandon de l’alternance plan large - plan serré qu’appelaient les petits postes carrés. Le format feuilleton appelle certaines audaces, comme cette lenteur si frappante dans certaines séries, que permet l’attachement des spectateurs à des personnages qu’ils ne veulent pas quitter. Que leur avenir reste ou non lié à la télévision, les séries du « nouvel âge d’or » auront eu le mérite de rappeler qu’elle peut encore être un lieu d’utopie, et ce n’est pas le moindre. Depuis que ces grands visionnaires qu’étaient Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard ou André Labarthe ont cessé d’y intervenir, on avait cessé d’y croire. p juvénile contestation qu’il a déjà concédé beaucoup, au point de dénaturer le dernier texte réformateur de son quinquennat, le projet de loi sur le travail. Sa capacité à faire est mise en doute. Et, comme si cela ne suffisait pas, des représentants de la société civile appellent à l’organisation d’une primaire citoyenne, qui valoriserait « les faiseux » et bouterait, hors du système, une classe politique jugée endogène et incompétente. Ce n’est, certes, pas la première fois qu’un président affaibli connaît une fin de mandat chaotique – de Gaulle, Pompidou, Mitterrand ou Chirac –, mais, cette fois, ni la maladie, ni l’âge, ni l’usure ne sont en cause. C’est tout un système qui s’écroule et menace d’emporter avec lui la figure du monarque républicain que la Ve République s’employait à faire vivre. La raison en est que, de quinquennat en quinquennat, le régime ne parvient plus à tenir ses promesses en termes d’équilibre démocratique et d’efficacité économique. Le roi est mort, mais vive quoi ? p [email protected] PACIFICATION EN ALGÉRIE de David Galula Les Belles LettresMémoires de guerre 382 pages, 23,90 euros Le livre I l faut d’abord prendre l’ouvrage pour ce qu’il est : un témoignage par nature orienté, celui d’un militaire de son temps, dans une armée coloniale. Publié pour la première fois en français, Pacification en Algérie est le point de vue d’« un officier du camp loyaliste », résume son auteur, présent sur le terrain de la guerre d’indépendance algérienne de 1956 à 1958. Dans le secteur d’Aïssa Mimoun, treize kilomètres carrés au nord-est de Tizi Ouzou, le quotidien du capitaine Galula s’écrit entre les « warriors » français, dont les opérations de ratissage n’aboutissent, selon lui, qu’à renforcer l’insurrection, et les « psychologues » pour qui la manipulation des populations, rebaptisée action psychologique, « était la réponse à tout ». Lui est devenu un analyste de la contre-insurrection dont l’expérience très personnelle a rejoint le corpus doctrinaire des armées modernes. Pour l’officier de la coloniale, « il ne faisait aucun doute que la clé du problème, pour nous comme pour les rebelles, résidait dans le soutien de la population. Par soutien, j’entends une participation active à la lutte ». Aucun aspect de cette lutte n’est occulté. Les guerres d’insurrection « sont extrêmement vicieuses puisqu’elles impliquent personnellement tous les hommes, militaires et civils, des deux camps », écrit le capitaine déployé en Kabylie. « Alors que l’insurgé n’hésite pas à utiliser la terreur, le loyaliste doit faire la police. » Il a accepté, sans l’apprécier, ce rôle de policier. Les passages consacrés aux interrogatoires de prisonniers en témoignent, comme son appréciation des révélations d’alors sur la torture – « selon moi, 90 % d’absurdité ». Le lecteur jugera par luimême la sincérité de la ligne de conduite énoncée : « Ne pas dépasser les limites de la décence, c’est-à-dire éviter de blesser les prisonniers. » David Galula (1919-1967) est aujourd’hui moins connu en France qu’aux Etats-Unis, où il a achevé sa carrière comme enseignant à Harvard. La RAND Corporation, un groupe d’experts proche du Pentagone, avait publié son livre dès 1963 mais a gardé le manuscrit jusqu’en 2006 avant de le rééditer, obéissant à une discrétion réclamée par l’auteur, conscient de la sensibilité du récit. Galula écrira ensuite, en anglais, un manuel de contre-insurrection. Les généraux américains ont décidé de l’enseigner dans leurs écoles de guerre, faisant dans les années 2000 de Galula l’étendard de la stratégie de contre-insurrection qu’ils prétendaient suivre en Afghanistan et en Irak. Pour l’armée française, d’autres officiers comptent. Mais le lecteur de Galula pourra grâce à lui se projeter dans les opérations contemporaines, de l’Afghanistan au Mali, où le contrôle des populations alterne avec les actions « civilo-militaires », les combats avec l’ouverture de dispensaires. Un héritage que l’on a délesté du pire – la torture – mais dont l’efficacité n’est plus aussi franchement questionnée qu’elle le fut par le capitaine Galula. p nathalie guibert 20 | 0123 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 INTERNATIONAL | CHRONIQUE par al ain fr achon Obama et le désastre israélo-palestinien suite de la première page Depuis trop longtemps, Washington tolère la politique de la droite israélienne – l’accroissement continu des colonies en Cisjordanie. Ce n’est pas une approbation, plutôt un acquiescement résigné à l’annexion rampante de ce territoire palestinien. Fin mars, devant la conférence annuelle du lobby israélien américain – l’American Israel Political Affairs Committee (Aipac) –, la plupart des candidats au scrutin présidentiel de novembre ont renchéri sur cette nouvelle ligne. Il ne faut plus rien « imposer » à Israël. L’Aipac se veut un groupe de pression bipartisan, mais il a glissé vers la droite. Il s’est aligné sur la rhétorique de la majorité ultranationaliste de Benyamin Nétanyahou. Dans ses composantes les plus radicales, elle récuse la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. Sa priorité est au contraire de mener une politique active de colonies en Cisjordanie. Outre-Atlantique, le Parti républicain y adhère d’autant plus volontiers qu’il est, depuis vingt-cinq ans, sous l’influence de chrétiens fondamentalistes. Ceux-là pui- BATMAN V SUPERMAN: DAWN OF JUSTICE and all related characters and elements © & ™ DC Comics and Warner Bros. Entertainment Inc. OBAMA QUITTERA LA MAISON BLANCHE SANS AVOIR FAIT PROGRESSER LA PAIX, ET A BAISSÉ LES BRAS DEVANT LA POURSUITE DES COLONIES sent dans la lecture de la Genèse l’une de leurs convictions : le Messie reviendra sur Terre lorsque les juifs auront repeuplé la Judée et la Samarie (appellation biblique de la Cisjordanie, territoire palestinien qu’Israël occupe depuis 1967). Conclusion : vive les colonies ! La droite chrétienne républicaine américaine est devenue l’une des composantes du mouvement des colons israéliens. « La pire chose arrivée à Israël » Devant la conférence annuelle de l’Aipac, fin mars à Washington, les candidats républicains ont collé à la ligne de la majorité au pouvoir à Jérusalem. Ils ont été audelà de la réaffirmation de l’alliance stratégique et affective entre Israël et les Etats-Unis. Ni Ted Cruz ni Donald Trump n’ont dénoncé la poursuite de la colonisation. Ils ont stigmatisé la « rhétorique de haine » entendue chez les Palestiniens. Plus pro-Nétanyahou que « Bibi », ils ont juré qu’ils auraient pour priorité, une fois à la Maison Blanche, de démanteler l’accord sur le nucléaire iranien conclu par l’administration démocrate. La salle a ovationné Donald Trump quand il a lancé que Barack Obama « a été la pire chose qui soit jamais arrivée à Israël ». Le lendemain, la présidente de l’Aipac, Lillian Pinkus, a présenté ses excuses à la Maison Blanche. Mais sur la question palestinienne, la démocrate Hillary Clinton ne s’est guère distinguée de ses concurrents républicains. La paix n’est pas une priorité. A peine signale-t-elle que ladite paix suppose que « chacun fasse un bout de chemin en évitant des actions dommageables, y compris en ce qui concerne les implantations ». L’unique note de discorde est venue de Bernie Sanders, le seul des candidats à être juif. Il dénonce la corruption de la po- litique américaine par les groupes de pression qui financent les campagnes électorales. Il n’est pas allé à la conférence de l’Aipac. Il a dit que sa profonde amitié pour Israël lui imposait de condamner radicalement la politique de Nétanyahou en Cisjordanie. Son geste confirme une prise de distance d’une partie de la communauté juive à l’égard de l’Aipac. Représentant 1,5 % des électeurs environ, les juifs américains votent démocrate – et, deux fois de suite, ils ont majoritairement donné leurs voix à Barack Obama. Première secrétaire d’Etat du président, Hillary Clinton n’a rien fait sur le Proche-Orient. Son successeur, John Kerry, lui, s’est battu. En vain. Barack Obama quittera la Maison Blanche sans avoir fait progresser la paix. Il a musclé la coopération sécuritaire entre Israël et les Etats-Unis, mais baissé les bras devant la poursuite des implantations. Dans le New York Times du 10 avril, l’historienne Lara Friedman pointe cette réalité comptable : les Etats-Unis condamnent de moins en moins la colonisation de la Cisjordanie. A regret, l’Amérique prend son parti d’une politique qu’elle juge tragique, mais qu’elle estime ne pas pouvoir contrer – comme osèrent le faire, en leur temps, Ronald Reagan et George Bush senior. Devant l’Aipac, le vice-président, Joe Biden, a été très franc. En Cisjordanie, « l’extension continue et systématique des colonies, la saisie des terres », a-t-il dit, tout cela « mine la perspective de la solution dite des deux Etats » que prône Washington. « Tel est mon point de vue, a-t-il ajouté. Je sais que ce n’est pas celui de “Bibi”. » Complicité de facto ou impuissance assumée ? p [email protected] UN SOUFFLE D’OPTIMISME EN LIBYE P our ceux qui ont raté les derniers épisodes de la saga libyenne post-Kadhafi, rappelons l’étonnante journée du 30 mars. Après tout, c’est de ce jour-là que date le soupçon d’optimisme que l’on peut aujourd’hui entretenir sur la reconstitution d’un gouvernement d’union nationale en Libye. Et, par conséquent, sur la lutte contre l’organisation dite « Etat islamique » (EI) qui s’est installée sur le littoral de ce pays. C’était un mercredi matin, temps clair, quand une flottille partie du port de Sfax, dans le sud de la Tunisie, a abordé les quais de la base navale installée en plein cœur de Tripoli. La ville était – elle est toujours – aux mains d’un groupe de milices se présentant comme le « gouvernement » de facto (non reconnu) de la capitale, issu d’un bloc politique répondant à l’élégante appellation d’« Aube de la Libye » (Fajr Libya). Ces milices, qui avaient fermé l’aéroport, contrôlent l’espace aérien de Tripoli. Il ne restait que la voie maritime pour permettre à Faïez Sarraj, premier ministre d’un « gouvernement d’union nationale » en devenir, patronné par l’ONU, de gagner enfin la capitale du pays qu’il est censé administrer. La désignation de M. Sarraj est le résultat d’un accord conclu sous l’égide des Nations unies, en décembre 2015 au Maroc, entre l’équipe d’Aube de la Libye et celle d’un deuxième « gouvernement », celui de Tobrouk, dans l’est du pays. En somme, M. Sarraj a pour mission de créer un seul gouvernement, qui se substituera aux deux autres – celui de Tripoli et celui de Tobrouk. Or, s’il n’a toujours pas réussi à quitter la base navale, Faïez Sarraj, avec sa petite équipe de conseillers, a réalisé des progrès politiques. Ils ont obtenu le soutien des milices de la capitale. Il leur faut encore solliciter celui de l’Assemblée de Tobrouk. Ce n’est pas garanti. Mais les affrontements interlibyens ont singulièrement diminué. Une équipe d’assistance internationale a été mise en place. Bref, un début d’apaisement politique se dessine, pour la première fois depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. Cette étape politique est le préalable à une opération militaire contre l’EI. Il s’est implanté le long du golfe de Syrte, où il compterait quelque 3 000 hommes en armes, à quelques encablures de l’Italie. Les observateurs sont unanimes : une intervention aérienne occidentale à ce stade déstabiliserait M. Sarraj. Il faut lui donner du temps. Les mêmes observateurs font valoir que la Libye disposerait du nombre d’hommes suffisant pour démanteler l’EI au sol, sur le terrain, dès lors que les différentes milices du pays seraient regroupées à cette fin. La tâche de M. Sarraj est énorme. La vérité, apparue crûment à la chute de Kadhafi, est qu’il n’y avait pas d’Etat libyen, aucune structure, aucune institution. L’Etat, c’était le régime, c’est-àdire la tribu du Guide, la soldatesque, souvent étrangère, à son service, et un semblant d’administration centrale. Pour Faïez Sarraj, il ne s’agit pas de reconstruire un Etat, mais d’en construire un. p Tirage du Monde daté jeudi 14 avril : 244 475 exemplaires D E S T I N AT I O N M E T R O P O L I S L E 2 3 M A R S A U C I N É M A # F LY T O M E T R O P O L I S EPR : la série noire continue Faurecia : un nouveau DG dans un groupe transformé ▶ Les malfaçons repérées sur la cuve du futur réacteur, à Flamanville, sont plus graves qu’attendu ▶ Une mauvaise nouvelle de plus pour ce chantier qui accumule les déboires depuis son lancement, en 2007 ▶ Le rachat de l’activité réacteurs d’Areva par EDF pourrait être remis en cause C hangement d’époque à la tête de l’équipementier Faurecia. Yann Delabrière, PDG depuis 2007, cédera début juillet les rênes de la direction générale du groupe à Patrick Koller, son numéro deux, a annoncé l’équipementier mercredi 13 avril. Président non exécutif, M. Delabrière devrait rendre son tablier à l’été 2017, dix ans tout juste après son arrivée. Pour l’équipementier automobile, spécialiste des sièges auto, des systèmes de dépollution (pot d’échappement) et des intérieurs, c’est la fin d’une longue étape de consolidation et d’internationalisation à grande vitesse. « C’est un moment charnière, confie au Monde Yann Delabrière. Faurecia sort de l’adolescence et atteint les 18 ans, l’âge de la maturité. » Le tout en pleine forme, avec un chiffre d’affaires de 20,69 milliards d’euros, en hausse de 10 %, et une marge opérationnelle de 4,4 %, sa meilleure performance historique. Quel contraste avec Equipements et composants pour l’industrie automobile (ECIA), du groupe Peugeot ! En 1987, la petite société spécialiste des tubes en acier (pour l’échappement ou les cycles) réalisait un petit milliard de… francs de chiffre d’affaires. → LIR E PAGE 3 La cuve de l’EPR de Flamanville est introduite dans la centrale, en 2014. PHOTOPQR/ OUEST FRANCE/GILLES COLLAS Le torchon brûle entre l’Allemagne et la BCE philippe jacqué → LIR E L A S U IT E PAGE 3 ▶ De plus en plus de voix s’élèvent outre-Rhin pour fustiger la politique monétaire accommodante de la Banque centrale ▶ Les taux bas pratiqués ▶ Jusqu’ici farouche défen- ▶ La France appelle l’Alle- ▶ Sept économistes alle- par la Banque centrale européenne (BCE) sont accusés de ruiner les épargnants allemands et, ce faisant, de favoriser la montée de l’extrême droite outre-Rhin seur de l’indépendance des institutions monétaires, le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, s’oppose désormais ouvertement à Mario Draghi, le président de la BCE magne à respecter « absolument, intégralement, totalement » l’indépendance de la BCE. La banque centrale allemande rappelle que les taux bas favorisent aussi les salariés mands de renom réfutent, dans une tribune, les critiques adressées à la BCE et appellent Berlin à renoncer plutôt au dogme de l’austérité budgétaire « PANAMA PAPERS » PERTES & PROFITS | PÉTROLE LE PARLEMENT EUROPÉEN DEVRAIT CRÉER UNE COMMISSION D’ENQUÊTE → LIR E PAGE 5 PLEIN CADRE CASINO CONTRE MUDDY WATERS, LES DESSOUS D’UNE TENTATIVE DE DÉSTABILISATION → LIR E PAGE 2 J CAC 40 | 4 484 PTS – 0,13 % j DOW JONES | 17 908 PTS + 1,06 % J EURO-DOLLAR | 1,1235 j PÉTROLE | 43,40 $ LE BARIL J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,47 % VALEURS AU 14 AVRIL À 9 H 30 → LIR E PAGE S 4 E T 7 Le printemps rêvé des producteurs P our voir l’avenir, les chamans interprétaient les vestiges d’un feu, la forme d’un os ou la nature de leurs rêves. Les traders font de même avec le flux incessant d’informations qui se bousculent sur leur écran d’ordinateur. En ce moment, ils ont envie de croire à une remontée des cours du pétrole. La possibilité d’un gel de la production, l’anticipation d’une amélioration de la conjoncture chinoise, quelques jours de hausse des cours gonflent leur optimisme. La remontée des prix du pétrole est au coin de la rue. La Russie a joué le rôle de catalyseur. En s’accordant sur un gel de la production avec l’Arabie saoudite en février dernier, puis en participant à la réunion de l’OPEP qui se tiendra le 17 avril à Doha au Qatar, le pays a contribué au changement de discours du royaume saoudien. Résultat, le prix du baril de pétrole, qui avait atteint son plus bas niveau depuis douze ans en janvier à moins de 30 dollars, est remonté franchement près des 45 dollars (40 euros) cette semaine. Menace permanente de surcapacités Mais les oracles sont méfiants. Même les plus étourdis se souviennent des grandes banques et économistes qui annonçaient un pétrole à 200 dollars au temps de la hausse puis à 20 dollars à l’époque de la chute. Ils constatent que la conjoncture mondiale n’est pas flamboyante, comme l’a constaté cette semaine le FMI, et notent que les stocks sont toujours très élevés. Deux tensions se font face dont on ne sait encore trop bien si elles s’annuleront l’une Cahier du « Monde » No 22161 daté Vendredi 15 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément 20,69 l’autre. La première est celle de la situation économique des pays producteurs. Le Venezuela, la Russie, le Brésil, l’Irak, l’Algérie ou le Nigeria sont en grande difficulté. Ils ont un besoin impératif de restaurer leurs comptes en faisant rentrer des devises, et seront les premiers à mettre des quantités supplémentaires sur le marché dès que la possibilité leur sera offerte. Les Etats-Unis, dont seul le marché régule l’offre, ont démontré leur flexibilité en matière de production. Sitôt les cours remontés au-delà de 50 dollars, la myriade de petits producteurs se remettra en marche pour sortir l’huile ou le gaz des terres du Texas ou du Dakota. Sans oublier enfin l’Iran qui ne veut pas entendre parler de réduction de sa production au moment même où il retourne sur le marché. Face à cette menace permanente de surcapacités, il existe néanmoins une force contraire, celle des investissements. Dès 2015, la chute des cours a paralysé tous les grands projets à travers le monde. Il en sera ainsi en 2016 pour restaurer les comptes des compagnies productrices. Viendra forcément un moment où ces dollars non engagés dans l’exploration et la production manqueront face à la demande… et feront remonter les cours, à l’horizon de 2020. Face à ces deux tensions antagonistes qui tireront les prix dans les mois et années qui viennent, les augures balancent. Ils se raccrochent désormais à une seule croyance qui elle aussi ne durera qu’un temps : pour les producteurs, le pire est désormais derrière eux. p philippe escande C’EST, EN MILLIARDS D’EUROS, LE CHIFFRE D’AFFAIRES DE FAURECIA EN 2015 HORS-SÉRIE UNE VIE, UNE ŒUVRE Jean Genet Un écrivain sous haute surveillance Avec Georges Bataille, André Malraux, Jeanne Moreau, Étienne Daho, Leïla Shahid… JEAN GENET UN ÉCRIVAIN SOUS HAUTE SURVEILLANCE Un hors-série du « Monde » 122 pages - 8,50 € Chez votre marchand de journaux et sur Lemonde.fr/boutique 2 | plein cadre 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Carson Block, le dirigeant du cabinet Muddy Waters, en 2012. DAVID PAUL MORRIS/ BLOOMBERG R arement ventes trimestrielles auront été scrutées avec autant d’attention. Le groupe Casino a publié jeudi 14 avril un chiffre d’affaires de 9,7 milliards d’euros au titre du premier trimestre, en baisse de 0,7 % en comparable, mais son activité distribution croît de 1,5 % en France. L’allant des consommateurs à remplir leur chariot chez Géant ou Leader Price s’avère d’autant plus important pour le distributeur que son autre grand marché, le Brésil, a fortement tangué. Or, Casino ne peut se permettre le moindre faux pas. Il doit d’abord préserver ses rentrées de cash pour remonter des dividendes à Rallye, sa holding de contrôle très endettée. Ensuite, il est attendu au tournant par des spéculateurs anglo-saxons qui ont lancé une campagne de déstabilisation contre lui. Dans quel but ? Ces « vendeurs à découvert » empruntent des titres à un tiers, les vendent et comptent bien les racheter moins cher par la suite, en empochant la différence. Dans le jargon, on surnomme ces spéculateurs les « shorts ». Eh bien, le roi des « shorts » a sauté sur Casino, comme la légion sur Kolwezi, le 17 décembre 2015. Ce jour-là, l’Américain Carson C. Block, à la tête du bureau d’analyses financières Muddy Waters (« Eaux boueuses »), torpilleur de son métier, a publié un brûlot de 20 pages sur son site, affirmant que l’action du distributeur stéphanois valait 6,91 euros (contre un cours de 49 euros), et que sa holding de contrôle Rallye, elle, ne valait rien du tout (elle cotait près de 17 euros). Identifier un point de faiblesse « Groupe Casino est l’une des entreprises les plus surévaluées et mal comprises sur laquelle nous soyons jamais tombés », débutait cette note, relayée par une interview choc sur Bloomberg TV, le canal favori des marchés financiers. En pleine séance de Bourse à Paris, ces déclarations ont fait plonger de 20 % le cours de Bourse de Casino en quelques minutes. Le groupe a saisi l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour dénoncer une manipulation de cours. Avec un mépris affiché, le jeune loup de Wall Street s’en prenait à Jean-Charles Naouri, actionnaire de contrôle et bâtisseur de Casino, « un génie (..) qui a eu son BAC à 15 ans », l’accusant de dissimuler, dans les méandres d’une cascade de holdings et de participations, un endettement « dangereux ». M. Block n’a jamais contacté Casino. Du moins officiellement. Il aime approcher ses cibles sous un faux nom, afin de préserver l’effet de surprise. Pour le distributeur, elle a été totale. Aucune entreprise française n’avait été attaquée jusque-là par un activiste « short », cette espèce mutante de « sauterelles », comme Werner Seifert, le président du directoire de Deutsche Börse, désignait les Casino L’épicier, le torpilleur et ses « shorts » Le propriétaire de Monoprix fait face depuis quatre mois à une attaque en règle de la part de Muddy Waters. Ce spéculateur américain parie sur la chute du cours de Casino. Récit d’une tentative de déstabilisation hedge-funds entrés à son capital au début des années 2000. A ceci près que les activistes traditionnels visent à augmenter le cours de Bourse… En soi, le « short » est une pratique courante. L’AMF tient un registre des positions à découvert sur les actions des émetteurs français, dont la déclaration est obligatoire au-delà du seuil de 0,2 % du capital. De quoi s’apercevoir que les grands noms de la finance, BlackRock, JPMorgan ou même BNP Paribas, et pas seulement des cow-boys, recourent à cette technique qui permet le plus souvent de couvrir des positions « acheteuses » sur d’autres titres. Casino n’est d’ailleurs pas très « shorté ». Au 13 avril, selon le site néerlandais Shortsell, un peu plus de 2 % du capital du distributeur étaient vendus à découvert, loin derrière CGG (14,1 %) ou Pernod Ricard (14 %). La grande différence, c’est que personne ne mène de croisade contre le groupe parapétrolier ou le producteur de pastis. Comme les vendeurs à découvert passifs, les artilleurs identifient un point de faiblesse supposé dans une entreprise mais ensuite ils l’exposent avec tambours et trompettes afin de provoquer une panique boursière. Muddy Waters, qui affirme s’appuyer sur des comptables et des enquêteurs qualifiés, a construit sa notoriété en démontant les comptes de sociétés chinoises cotées outre-Atlantique. Son heure de gloire, la faillite de Sino-Forest, après les accusations de fraude portées contre le groupe forestier chinois qui pesait 4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) à la Bourse de Toronto. MUDDY WATERS VEUT CIBLER DES ENTREPRISES EUROPÉENNES, COUPABLES D’ABUSER DE LA DETTE ET D’ÊTRE MAL SURVEILLÉES PAR DES ANALYSTES À LEUR BOTTE Ce fonds de commerce étant épuisé, M. Block a annoncé qu’il allait cibler des entreprises européennes, coupables selon lui d’abuser de la dette et d’être mal surveillées par des analystes financiers à leur botte. Il a commencé par tirer en février 2015 un improbable coup de chapeau à Vincent Bolloré avant de lancer une offensive contre la firme de télécoms nordiques TeliaSonera en octobre 2015. Muddy Waters apparaît ensuite sur le compteur de l’AMF le 15 décembre 2015 avec une position de 0,83 % sur Casino qu’il a réduite dès les jours suivants pour la ramener à 0,31 % le 4 janvier. Sur Rallye, il a d’abord porté sa position à découvert de 0,71 % le 15 décembre, à 1,38 % le 18 décembre, avant de réduire la toile à 0,49 % le 21 janvier. L’AMF ne publiant qu’en cas de franchissement du seuil de 0,5 %, impossible de savoir où se situe Muddy Waters sous cette ligne. Des douzaines de nouveaux torpilleurs Ce retrait partiel n’a pas empêché M. Block de multiplier les escarmouches. Le 8 mars, il révèle ainsi qu’il a soumis le directeur financier de Casino au détecteur de mensonges lors d’une conférence téléphonique d’analystes, affirmant qu’il avait eu des réponses « évasives ou trompeuses ». Lors de son combat contre le groupe de négoce asiatique Noble, Muddy Waters avait déjà fait appel aux services de QVerity, une société experte du comportement fondée par des anciens de la CIA. Cette firme que ne renierait pas le héros de la série TV « Lie to Me » décortique, par exemple, sur son site Internet, les interventions de Ted Cruz, le candidat à la primaire républicaine, afin de savoir s’il a trompé sa femme. Autre particularité des activistes, ils chassent en meute. Si la fragilité de Casino face à la crise brésilienne avait incité de nombreux fonds, comme le britannique Marshall Wace, à se positionner dès l’été 2015, bien avant M. Block, d’autres se sont joints par la suite, comme Emerging Sovereign Group ou Darsana Capital Partners, des petits fonds new-yorkais, désormais les principaux vendeurs à découvert d’actions Casino. Mal leur en a pris. Quatre mois après le début de l’offensive, l’action Casino cote audessus des 49 euros qu’elle valait avant l’offensive, en hausse de 10 % quand le CAC 40 a cédé 3 % dans l’intervalle. Et l’action Rallye a presque renoué avec son niveau d’alors. Cette résistance, le distributeur la doit à la vitesse avec laquelle il a exécuté un plan de cession d’actifs destiné à se désendetter. Cette stratégie avait d’ailleurs été présentée la veille de l’attaque de Muddy Waters. En cédant ses parts dans Big C en Thaïlande pour 3,1 milliards d’euros et avec la vente prochaine de sa filiale au Vietnam – la remise des offres fermes est prévue le 15 avril –, le français va diviser par trois son endettement en 2016, pour le ramener à 2 milliards d’euros. La mauvaise nouvelle, c’est que l’agence de notation S&P n’y a pas vu une amélioration de la structure financière du groupe. Elle avait pourtant confirmé les notes de Casino le 11 décembre 2015, avant de les dégrader le 21 mars, ôtant au distributeur son précieux statut d’« investment grade » pour le placer dans la catégorie des signatures à risque. L’agence a-t-elle été influencée par les critiques virulentes formulées à son encontre par Muddy Waters dans la première note assassine contre Casino ? Dans son rapport du 21 mars, en tout cas, elle a modifié la manière dont elle calculait le ratio d’endettement du distributeur, en reprenant à son compte des remarques de « l’analyste justicier ». C’est dire le climat de suspicion créé par ces raids. Jusque-là, ils étaient réservés aux entreprises nord-américaines ou chinoises. « Les entreprises dont les sièges sont situés en Europe ne représentent que 7 % des campagnes répertoriées dans notre base de données », précise Claire Stovall, analyste chez Activist Shorts Research, qui a recensé plus de 700 campagnes menées par une centaine de ces vendeurs à découvert. Ces experts affirment avoir repéré en 2015 des douzaines de nouveaux torpilleurs. Selon cet expert, la palme du meilleur dynamiteur 2015 revient à Citron Research, la firme d’Andrew Left, qui a mis à genoux le laboratoire canadien Valeant en dénonçant le « Enron de la pharmacie » : le labo a perdu en moins de trois semaines la moitié de sa valeur en Bourse, soit 36 milliards de dollars (32 milliards d’euros), saignant au passage son principal actionnaire, Bill Ackman, célèbre militant de Wall Street. Bizarrement, l’arroseur n’a pas apprécié d’être arrosé. p isabelle chaperon économie & entreprise | 3 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 EPR : nouveau revers pour Areva et EDF Les défauts sur la cuve du futur réacteur nucléaire de la centrale de Flamanville sont plus graves qu’attendu L’ EPR de Flamanville (Manche) fonctionnera-t-il un jour ? L’incertitude s’accroît autour de cette première centrale nucléaire de nouvelle génération que construisent EDF et Areva en Normandie, le plus grand investissement mené actuellement en France, tous secteurs confondus. Les malfaçons repérées sur la cuve du réacteur sont en effet plus graves qu’attendu, ont annoncé les deux groupes, mercredi 13 avril. Une mauvaise nouvelle de plus pour ce chantier qui accumule les déboires depuis son lancement en 2007. EDF assure que ce problème ne remet pas en cause le calendrier annoncé. Le démarrage de la centrale reste prévu au quatrième trimestre 2018. Certains craignent cependant qu’EDF ne soit obligé de renoncer à cet énorme projet, alors qu’il est déjà réalisé à plus de 80 %. D’autres le souhaitent : « Il serait irresponsable de mettre en service un équipement qui présente de telles faiblesses, estime le réseau Sortir du nucléaire. Tout plaide pour abandonner ce réacteur dangereux et inutile. » Audelà de Flamanville, l’affaire risque de faire vaciller toute la stratégie nucléaire d’EDF, son développement en Grande-Bretagne et le sauvetage d’Areva. En Bourse, où l’action EDF est sortie du CAC 40 depuis décembre, le titre reculait de 1 % jeudi en début de matinée. « Extension du phénomène » En cause, la cuve du futur EPR (European Pressurized Reactor) et son couvercle. Des équipements clés, puisque c’est dans cet immense chaudron que se produit la fission des atomes qui permet de produire de l’électricité. Ils constituent aussi la toute première barrière de confinement de la radioactivité, avant la double enceinte de béton du bâtiment. Areva sait, semble-t-il, depuis des années que cette cuve de 425 tonnes, l’une des plus massives jamais forgées dans son usine du Creusot (Saône-et-Loire), présente des anomalies. Lorsque l’acier a été coulé pour fabriquer le bloc dans lequel ont été découpés la cuve et le couvercle, le carbone s’est mal réparti. Certains endroits souffrent d’une teneur excessive en carbone. Cela réduit la résistance de l’acier aux chocs, et facilite la propagation de fissures. Sur le chantier de l’EPR de Flamanville, le 30 mars. CHARLY TRIBALLEAU/AFP Les dirigeants de la filière espèrent que les nouveaux tests montrent que la cuve peut être conservée en dépit des anomalies La cuve peut-elle être utilisée malgré tout ? Pour le savoir, de premières analyses ont été lancées en 2015 sur deux pièces issues du même bloc d’acier que la cuve. EDF et Areva espéraient qu’elles prouveraient la qualité du métal en dépit des anomalies. C’est l’inverse qui s’est passé. Les essais ont montré sur une des pièces « une extension du phénomène » : la trop forte concentration de carbone a été identifiée dans une zone qui dépasse la demi-épaisseur de cette pièce. Plus question de poursuivre la cons- truction du réacteur comme si de rien n’était. Pour sauver le projet, EDF et Areva ont demandé à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) l’autorisation d’effectuer des analyses complémentaires sur une troisième pièce. Cette fois-ci, « les prélèvements de matière et les essais associés seront étendus aux trois quarts de l’épaisseur de la pièce concernée », précisent les deux groupes. Au total, le nombre d’éprouvettes qui seront analysées va doubler. Les dirigeants de la filière croisent les doigts pour que ces nouveaux tests démontrent que la cuve peut être conservée en dépit des anomalies. Si tel n’est pas le cas, la centrale risque de ne jamais être mise en service. Il est en effet possible de remplacer le couvercle, mais ardu de tenter la même opération avec la cuve, qui est déjà posée et soudée à d’autres équipements majeurs. Retirer la cuve actuelle et en fabriquer une nouvelle feraient exploser tant les délais que le coût du réacteur, qui a déjà triplé et dé- passe à présent 10,5 milliards d’euros. Dans l’immédiat, la batterie d’analyses supplémentaires va décaler d’environ six mois la décision de l’ASN sur la conformité de la cuve. Areva ne lui remettra les résultats des tests que fin 2016, au lieu de juillet comme prévu. Répercussions Le chantier de Flamanville avait été lancé pour donner du travail aux équipes d’Areva et fournir une vitrine française à l’EPR, ce réacteur présenté comme le nec plus ultra de la technologie. « Le monde entier regarde ce qui est en train de se passer à Flamanville », soulignait le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, en mai 2015. Aujourd’hui, les difficultés rencontrées dans cette ruche où s’affairent plus de 4 600 personnes risquent donc d’avoir des répercussions bien audelà de la Normandie. En France, l’affaire ne peut que fragiliser davantage encore Areva, le fabricant des équipements défectueux, qui a perdu 6,9 mil- liards d’euros en deux ans. Le plan de sauvetage de l’ex-groupe star du nucléaire prévoit la reprise par EDF de la moitié de ses activités, celles qui concernent la conception et la fabrication des réacteurs. Mais une clause des accords permet à EDF de remettre en cause cette opération si la cuve de Flamanville n’est pas conforme aux normes. Tout le montage prévu pour sortir Areva de l’ornière devrait alors être revu. EDF se retrouve aussi sur la sellette. A Flamanville, la compagnie électrique espérait faire la preuve de sa capacité à piloter un chantier complexe, et s’en sortir mieux qu’Areva en Finlande, où se construit un autre EPR. L’expérience est loin d’être concluante, avec une facture qui a toutes les chances de s’alourdir. Les malheurs de la « vitrine » française compliquent aussi le projet Hinkley Point, en GrandeBretagne. EDF doit décider dans les prochaines semaines d’y bâtir ou non deux EPR, un investissement estimé à 18 milliards de livres (environ 23 milliards d’euros). L’Etat actionnaire pousse EDF à se lancer, une question de « crédibilité » et de « cohérence » pour toute la filière, selon le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Le PDG, M. Lévy, est sur la même ligne. Les syndicats, eux, estiment le projet beaucoup trop risqué. Telle semble aussi la position de l’ex-directeur financier, Thomas Piquemal, qui a démissionné début mars. Le cas Flamanville apporte évidemment de l’eau au moulin des opposants. L’affaire est aussi suivie de près en Chine. A Taishan, non loin de Hongkong, les deux réacteurs EPR en fin de construction sont équipés du même type de cuve que Flamanville, donc susceptibles de connaître les mêmes anomalies. Les autorités chinoises souhaitent que les doutes français soient levés avant de mettre en service leurs propres réacteurs. p denis cosnard Les syndicats d’EDF de plus en plus inquiets La rencontre prévue jeudi 14 avril entre l’intersyndicale d’EDF et Emmanuel Macron s’annonce chaude. Alors que le ministre de l’économie pousse EDF à lancer sans tarder la construction de deux EPR en Grande-Bretagne, les syndicats s’y montrent résolument hostiles compte tenu de la situation critique de l’entreprise. Celle-ci est « au bord de la faillite », affirment-ils dans une lettre à François Hollande rendue publique mercredi. Ils imputent ces difficultés à « l’échec total de la politique énergétique européenne ». Dans leur lettre, les syndicats dénoncent le projet britannique, estimant que « la priorité doit être de consacrer les moyens humains et financiers d’EDF au grand carénage (prolongation du parc nucléaire historique), à la mise au point d’un EPR optimisé (…), aux investissements sur les réseaux et à la préservation de l’intégrité du parc de production historique ». Ils se disent par ailleurs préoccupés par « la mise en demeure » de Bruxelles pour l’ouverture des concessions hydrauliques à la concurrence, et demandent un moratoire sur le sujet. Une nouvelle ère s’ouvre chez l’équipementier automobile Faurecia Patrick Koller, qui devient DG de cette entreprise de taille mondiale, devra accentuer le tournant vers des activités à forte valeur ajoutée suite de la première page « Je suis rentrée à cette date dans l’entreprise. C’était une entreprise nationale. Aujourd’hui, je travaille pour une société présente dans le monde entier avec 330 sites et plus de 100 000 salariés », constate Annick Antoni, déléguée syndicale centrale du groupe. « Faurecia est né de la vision de Pierre Peugeot, qui avait demandé à Jacques Calvet de constituer un équipementier automobile à partir d’ECIA. Il avait une vision qui allait contre la doxa. Les grands constructeurs cédaient alors leur filiale équipementière… », se rappelle JeanMartin Folz. L’ancien patron de PSA a lancé en 1997 l’OPA sur Epeda Bertrand Faure, le spécialiste du siège automobile, pour le marier à ECIA, alors détenu à 70 % par le constructeur. Pour atteindre la taille critique dans ses différents métiers, Faurecia s’engage dans une frénésie d’achats avec une demi-douzaine d’acquisitions dont Sommer Alibert, le spécialiste des intérieurs. Le groupe est alors présent dans quatre grands métiers : échappements, intérieurs et extérieurs (revendus récemment à Plastic Omnium) et les sièges. Dès 2001, l’entreprise dégage 9,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires, mais l’intégration de toutes les acquisitions est difficile à digérer. PSA renfloue régulièrement sa filiale. Importantes turbulences En 2006, la société traverse d’importantes turbulences. Les clients critiquent la piètre qualité de ses produits. L’endettement de l’équipementier se monte à près de 2 milliards d’euros. Il y a enfin la découverte d’un scandale de corruption chez Volkswagen. Comme d’autres, Faurecia, et plus précisément Sommer Alibert, a payé pour obtenir des marchés. Pierre Levi, son PDG d’alors, est débarqué. Et Grégoire Ollivier est installé aux manettes du groupe, avant d’être rapidement remplacé par Yann Delabrière, alors directeur financier de PSA, actionnaire à l’époque à hauteur de 60 % de sa filiale. Yann Delabrière restaure la confiance avec les clients, lance des plans d’économie et poursuit le travail de fond sur la qualité lancé avec le recrutement en 2006 du Japonais Kiichiro Sato. Cet ancien de Nissan prend en main ce chantier crucial. « C’est un peu un extraterrestre, confie un directeur d’usine Faurecia. Mais il a réussi à apporter des principes et des méthodes simples pour résoudre les problèmes rencontrés dans les usines. Grâce à cela, nous sommes revenus dans la bonne moyenne sur la qualité. » Si ces efforts commencent à payer, Faurecia prend de plein fouet la crise financière. « Une catastrophe. En février 2009, notre chiffre d’affaires était 43 % plus bas qu’en février 2008 », se remémore Yann Delabrière. Les anciens du groupe s’en souviennent : en six mois, le groupe se sépare de près Durant la crise financière, Faurecia a profité des défaillances de certains de ses concurrents pour se renforcer de 15 000 personnes, 20 % de ses effectifs. Le chômage technique est même instauré au niveau du siège. Malgré d’importantes pertes début 2009, Faurecia résiste et trouve des opportunités de croissance. Pour gagner la confiance des constructeurs, l’équipementier défend son indépendance par rapport à PSA. Une stratégie payante. Volkswagen représente aujourd’hui 25 % de son chiffre d’affaires, deux fois plus que le constructeur français, qui ne dé- tient plus que 46 % de sa filiale. Et la croissance de l’allemand ces dix dernières années explique en grande partie le décollage de l’équipementier. Faurecia profite des défaillances de certains de ses concurrents pour se renforcer. Coup sur coup, il reprend Emcon aux Etats-Unis, qui le propulse leader mondial des systèmes d’échappements, et certaines activités de Plastal, qui le renforcent auprès de Volkswagen. « Aux Etats-Unis, l’activité quadruple entre 2009 et 2013, tandis qu’en Chine, le marché automobile n’a jamais crû aussi rapidement que pendant les années de crise en Europe, indique Yann Delabrière. En tout, sur ce marché, nous avons connu sept années de croissance à plus de 20 % par an et nous avons triplé nos ventes localement. » Résultat, en quatre ans, le chiffre d’affaires passe de 9 à 18 milliards d’euros, dont la moitié réalisée en Europe, où son rapprochement avec les constructeurs haut de gamme lui assure de la croissance pendant la crise, un tiers aux Amériques et le reste en Asie. « Quand on regarde ses résultats financiers, c’est propre, dit un analyste : il y a de la trésorerie, une dette maîtrisée, une bonne réputation auprès des clients. C’est en ordre de marche. » Aujourd’hui, c’est au franco-allemand Patrick Koller d’imaginer la suite de l’histoire. Il présentera sa stratégie le 19 avril. En interne, il doit consolider encore la cohérence d’une entreprise patchwork par essence. Et chercher sa voie : faut-il s’orienter vers de nouvelles acquisitions ou opter pour la croissance organique de ses métiers ? Alors que Faurecia détient encore une des marges les plus faibles du secteur, il doit accentuer son tournant vers des activités à plus forte valeur ajoutée : le siège et les matériaux intelligents pour la voiture connectée et autonome, l’amélioration des systèmes de dépollution, etc. p philippe jacqué 4 | économie & entreprise 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 L’Allemagne attaque la BCE et brise un tabou Les conservateurs estiment que la politique des taux bas de la Banque centrale ruine les épargnants berlin - correspondant H aro sur Mario Draghi ! A quelques jours de l’ouverture, vendredi 15 avril à Washington, des traditionnelles rencontres du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, auxquelles participe le gotha de la planète financière, le président de la Banque centrale européenne (BCE) est devenu le bouc émissaire préféré des conservateurs allemands, notamment de Wolfgang Schäuble. Le ministre des finances allemand et M. Draghi devaient d’ailleurs se rencontrer dès jeudi dans la capitale américaine, en marge de la réunion du FMI. L’occasion sans doute d’évoquer leurs différends. M. Schäuble avait jusqu’à présent toujours mis la sacro-sainte indépendance de la BCE en avant pour refuser de commenter la politique monétaire. Mais cette époque semble révolue. Intervenant le 8 avril devant la Stiftung Marktwirtschaft, une fondation très conservatrice, le ministre allemand a accusé la banque centrale d’être responsable du succès du nouveau parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD), crédité de plus de 12 % des intentions de vote. « J’ai dit à Mario Draghi : tu peux être fier. Tu peux attribuer à ta politique [de la BCE] la moitié des résultats d’un nouveau parti qui semble couronné de succès en Allemagne », a-t-il raconté. Le 12 avril, il a enfoncé le clou dans une interview à l’agence Reuters : « Il est incontestable que la politique de taux bas pose en ce moment des problèmes extraordinaires aux banques et à l’ensemble du secteur financier en Allemagne. » Depuis plusieurs mois, le ministre met aussi en garde contre l’apparition de bulles spéculatives, notamment dans l’immobilier, que provoquerait cette politique. Dans ce pays vieillissant qu’est M. Schäuble a accusé la BCE d’être responsable du succès du parti d’extrême droite Les principales critiques des mesures non conventionnelles de la BCE Baisse des taux d’intérêt Critiques PRINCIPAUX TAUX D’INTÉRÊT DE LA BCE, EN % 3,75 • Pénalise injustement les épargnants Taux directeur Taux de dépôt 3,25 • Rogne les marges des banques 2,5 l’Allemagne, la baisse des taux est perçue comme une catastrophe par les assurés et par les professionnels de la finance qui leur ont fait miroiter des rendements élevés. A en croire la presse populaire, à chaque baisse des taux, les Allemands s’appauvrissent. « La politique des taux d’intérêt nuls est une attaque contre la fortune de millions d’Allemands qui ont placé leur argent sur des comptes d’épargne ou en assurance vie, a estimé Markus Söder, le ministre des finances (CSU) de Bavière, dans un entretien au Spiegel du 9 avril. Nous devons avoir en Allemagne un débat sur la mauvaise politique de la BCE. Le gouvernement doit exiger un changement de direction de la politique monétaire. Si cela continue comme ça, c’est un boulevard pour l’AfD. » Un soutien inattendu Le parti d’extrême droite allemand, qui avait mis ces derniers mois entre parenthèses sa critique de l’euro et concentrait ses attaques sur la politique d’Angela Merkel à l’égard des réfugiés, remet d’ailleurs la monnaie unique en avant. Dans un entretien à Die Zeit du 14 avril, Alexander Gauland, un de ses vice-présidents, dit : « Nous ne voulons pas sortir de l’Union européenne mais de l’euro, qui est une absurdité économique. » A chaque baisse des taux d’intérêt de la BCE, banquiers et assureurs allemands dénoncent le mauvais coup porté aux épar- La dette des pays riches explose Le niveau moyen de la dette publique dans les économies avancées a atteint 105 % du PIB, selon le rapport semestriel du Fonds monétaire international (FMI) sur la dette, publié mercredi 13 avril. « En moyenne, la dette publique dépasse maintenant le niveau atteint pendant la Grande Dépression (dans les années 1930) et s’approche du niveau qui était le sien au lendemain de la seconde guerre mondiale », note le FMI. Elle devrait atteindre cette année près de 250 % du PIB au Japon, 133 % en Italie, 107 % aux Etats-Unis et un peu plus de 98 % en France. Frappés de plein fouet par la chute des cours du brut, les pays exportateurs de pétrole voient également leur endettement monter en flèche. Le solde budgétaire des pays du Maghreb et du Moyen-Orient devrait se dégrader de 2 000 milliards de dollars (1 800 milliars d’euros) dans les cinq prochaines années. 1,5 1,5 1 • Menace la santé financière des assureurs 0,75 0,25 0 LA BANQUE CENTRALE EUROPÉENNE Ses deux principaux outils 0 – 0,4 Mars 2006 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 Mars 2015 : programme de rachat massif d’actifs Rachat de dettes publiques BILAN CONSOLIDÉ DE L’EUROSYSTÈME, AU 31 DÉCEMBRE 2015, EN MILLIARDS D’EUROS 2 962 1 903 Critiques 2 781 2 733 2 075 Mars 2016 2 273 2 208 2 002 • Menace la stabilité financière 1 508 1 038 • Désincite les gouvernements à réduire dettes et déficits 1 150 • Risque de créer, à terme, trop d’inflation 2005 06 07 08 09 10 11 12 13 14 2015 SOURCE : BCE gnants, oubliant souvent de signaler qu’ils sont eux-mêmes directement concernés. « Les taux d’intérêt négatifs sont difficiles à supporter pour les banques », reconnaît Hans-Walter Peters, nouveau président de l’association des banques allemandes. Les marges sur les taux généreraient environ 70 % des profits des banques allemandes, estiment les professionnels. Les critiques contre Mario Draghi ont été ces derniers temps si virulentes que le président de la BCE vient de recevoir le soutien inattendu de son meilleur ennemi : Jens Weidmann, le président de la Bundesbank. Bien que très critique face à l’autre volet de la politique de la BCE, à savoir le rachat de la dette des Etats européens, M. Weidmann a cherché, mardi 12 avril, à calmer les esprits. Dans un entretien au Financial Times, le banquier central de l’Allemagne a rappelé que la BCE était « indépendante » et que « les gens ne sont pas seulement des épargnants, ce sont aussi des salariés, des contribuables et des débiteurs, qui profitent par conséquent du bas niveau des taux d’intérêt ». D’ores et déjà, une entreprise, la chaîne de magasins de meubles Who’s perfect, propose des financements sur deux ans avec un taux de – 1 %. « Financer maintenant avec un crédit de 0 % et recevoir 1 % du prix d’achat », explique la publicité. Les critiques de M. Schäuble sont parfois perçues comme paradoxales. « Au lieu de se plaindre, M. Schäuble ferait mieux de remercier M.Draghi. L’équilibre des comptes publics de Schäuble est bien plus facile à atteindre avec des taux d’intérêt nuls », note Carsten Brzeski, chef économiste chez ING DiBa. M. Draghi a aussi reçu le soutien du Parti social-démocrate (SPD). « Le débat non contradictoire en Allemagne sur la BCE nuit à la réputation de cette institution, qui est la seule à avoir toujours su agir de façon cohérente durant la crise », note Carsten Schneider, vice-président du groupe social-démocrate au Bundestag. Malgré ses bonnes relations avec M. Schäuble, le ministre français des finances, Mi- M. Dragui vient de recevoir le soutien inattendu de son meilleur ennemi : M. Weidmann, le président de la Bundesbank chel Sapin, ne s’est pas privé non plus mercredi de tacler son homologue allemand. « Lors de la construction de la monnaie unique, les Français ont appris qu’il fallait respecter absolument, intégralement, totalement, l’indépendance de la BCE. Je souhaite que nos amis allemands se souviennent de cette qualité qu’ils ont fait prévaloir dès le départ. Les Français ont pris une bonne habitude, il ne faut pas que les Allemands perdent leurs bonnes habitudes », a estimé M. Sapin. A la BCE, on affiche un certain détachement face à ces critiques. Que les responsables politiques débattent de l’action de la BCE est jugé « naturel ». Surtout, certains se souviennent : « En 2007, durant la campagne électorale en France, tant Nicolas Sarkozy que Ségolène Royal nous critiquaient, soi-disant parce que nous empêchions la croissance. Maintenant, l’Allemagne nous reproche l’inverse. Mais notre mandat est le même et nous agissons dans le cadre de celui-ci », note-t-on à Francfort. A l’époque, Berlin s’était fait le héraut de l’indépendance de la BCE et avait des mots très durs contre la France. Mais les critiques allemandes ont peut-être déjà produit leur effet. Alors que le 10 mars, M. Draghi avait jugé que l’« helicopter money », c’est-à-dire la distribution d’argent par la BCE aux Européens, était une idée « intéressante mais nous ne l’avons pas encore réellement examinée », la banque a entre-temps fait savoir que le sujet n’était pas à l’ordre du jour. Pour les conservateurs, il s’agit sans doute là d’une ligne rouge. p frédéric lemaître Banques, Etats, emprunteurs : les gagnants et perdants des taux bas Depuis le 16 mars, la BCE a ramené son taux directeur à 0 % tandis que son taux de dépôt est tombé à – 0,4 % ANALYSE I l y a quelques années encore, nombre d’économistes assuraient que c’était impossible. Et pourtant : les taux d’intérêt auxquels les Etats, entreprises et ménages empruntent dans les pays industrialisés n’ont jamais été aussi bas. Dans certains cas, ils sont même négatifs. Aujourd’hui, la France s’endette ainsi à − 0,4 % environ entre trois mois et un an. Au total, 42 % des dettes souveraines européennes, soit 2 860 milliards d’euros, s’échangent désormais à des taux inférieurs à zéro. Du jamais-vu ! En zone euro, cela tient en partie aux actions de la Banque centrale européenne (BCE). Pour lutter contre l’inflation basse et soutenir la croissance, outre ses rachats massifs de dettes publiques, l’institut monétaire a ramené son taux directeur à 0 % le 16 mars, tandis que son taux de dépôt est tombé à − 0,4 %. Cela signifie que la BCE taxe les liquidités que les banques laissent dormir dans ses coffres, afin de les inciter à prêter plutôt ces sommes aux ménages et entreprises. Résultat ? Certains financiers, comme François Pérol, le patron du groupe BPCE, jugent que les taux négatifs mettent les banques en danger. D’autres, comme les économistes du Fonds monétaire international (FMI), estiment en revanche qu’ils sont l’un des outils indispensables pour relancer le crédit et l’activité… « En vérité, cela dépend de ce que l’on regarde : les taux bas ou négatifs font des gagnants et des perdants », analyse Grégory Claeys, du think tank Bruegel. De fait, les emprunteurs en profitent largement, puisque le crédit leur coûte moins cher. L’Etat français emprunte aujourd’hui à 0,5 % sur dix ans, contre 3,7 % début 2011. Nos finances publiques s’en trouvent soulagées : le montant des intérêts de la dette a fondu de 1 milliard d’euros l’année dernière par rapport à 2014, tombant à 42,1 milliards. Une économie non négligeable, grâce à laquelle les Etats les plus fragiles, tels que le Portugal ou l’Italie, ont aujourd’hui moins de mal à maîtriser leur dette et déficit. De même, les ménages français n’ont jamais emprunté à aussi bas coût pour leurs achats immobiliers. En mars, le taux moyen d’emprunt, toutes durées confondues et hors assurance, est ainsi tombé à 1,97 %, selon l’Observatoire Cré- Du jamais-vu : 42 % des dettes souveraines européennes s’échangent à des taux inférieurs à zéro dit Logement. Et que dire des grands groupes, comme Nestlé ou Sanofi, qui s’endettent à taux nuls ! De quoi restructurer leur dette à moindre coût. Ou investir. Revers de la médaille : les épargnants, eux, sont pénalisés. Et pour cause : les taux rémunérant les livrets d’épargne et autres comptes d’assurance-vie baissent eux aussi. « Voilà pourquoi les pays vieillissants, où les épargnants sont plus nombreux, se plaignent bien plus des taux bas », résume JeanLouis Mourier, chez Aurel BGC. A l’exemple de l’Allemagne. Effets pervers En outre, le taux de dépôt négatif rogne les marges des banques, puisqu’il taxe les liquidités qu’elles déposent à la BCE. Selon les calculs de Frédérik Ducrozet, économiste chez Pictet, il représente un surcoût de 2 à 3 milliards d’euros par an pour les établissements de la zone euro. Les assureurs tirent également la sonnette d’alarme : l’essentiel de leurs placements sont constitués de titres d’Etat, qui ne rapportent plus grandchose. En particulier outre-Rhin : avec des taux souverains à dix ans à 0,15 %, les compagnies du secteur ont du mal à fournir les taux garantis à 3 % des contrats vendus avant la crise… « Pour conserver leurs marges, nombre d’assureurs vont aujourd’hui acheter des obligations d’entreprises, plus rentables, mais plus risquées », confie un investisseur parisien. Enfin, les taux négatifs ne sont pas dénués d’effets pervers. S’ils s’installent trop longtemps, les banques pourraient en effet reporter ce coût sur leurs clients, par exemple, en augmentant les frais de tenue de compte. Les épargnants, eux, pourraient réduire leur consommation afin de continuer à gonfler, malgré tout, leurs bas de laine, qui ne rapportent plus assez… La BCE, tout comme le FMI, réfute néanmoins la plupart de ses arguments. Sa politique ultraaccommodante, dont les taux bas font partie, soutient le crédit, la croissance et l’emploi : elle profite donc largement aux banques, souligne-t-elle. « Sans son action, la zone euro serait aujourd’hui en déflation : l’ensemble des agents économiques souffrirait terriblement, y compris les épargnants et les assureurs », analyse Christophe Boucher, économiste à ParisX-Nanterre. Surtout, ajoute-t-il, la BCE, comme l’ensemble des grandes banques centrales, n’a en vérité pas tellement le choix. Les taux bas ne résultent en effet pas de sa seule décision. « Ils sont aussi le fruit et l’illustration de l’anémie de la croissance des pays industrialisés et de l’excès d’épargne que l’on y observe », explique M. Boucher. Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que la faible reprise enregistrée après la crise de 2008 n’a rien de classique… p marie charrel économie & entreprise | 5 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Déficit public : un sursis pour Madrid ÉN ER GI E L’américain Peabody Energy en faillite Bruxelles pourrait accorder un délai à l’Espagne pour rester dans les critères de Maastricht bruxelles, madrid correspondantes E n 2015, c’est la France et son déficit public qui étaient dans le collimateur de Bruxelles. Cette année, même si les experts de la Commission européenne n’ont pas baissé la garde, ce sont plutôt les situations des finances publiques du Portugal et surtout de l’Espagne qui inquiètent. Madrid n’est plus du tout dans les clous du pacte de stabilité et de croissance (déficit public de 3 % du produit intérieur brut maximum), alors qu’en 2015, son déficit public a at- LES DATES 21 AVRIL Publication des données macroéconomiques d’Eurostat 22 AVRIL Conseil des ministres espagnols, où devrait être présentée une liste de mesures de correction budgétaire 2 MAI Date limite pour l’investiture d’un chef de gouvernement en Espagne. En cas d’échec, convocation de nouvelles élections législatives le 26 juin teint les 5 % du produit intérieur brut (PIB), selon les statistiques espagnoles, loin de l’objectif de 4,2 % qu’avait fixé Bruxelles. La croissance, de 3,2 % en 2015, n’a pas permis de faire les économies promises, le gouvernement espagnol ayant choisi de mener des baisses d’impôts, en pleine année électorale, tout en imposant aux régions, responsables des dépenses publiques de santé et d’éducation, des coupes budgétaires qu’elles ne sont pas parvenues à appliquer efficacement. La Commission, chargée de la surveillance budgétaire des Etats de la zone euro, devrait, courant mai, prendre une décision délicate : sanctionnera-t-elle Madrid pour non-respect du pacte de stabilité et de croissance au titre de 2015, ou lui accordera-t-elle un délai, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises avec la France (qui a obtenu deux ans de grâce, en 2015) ? L’option de la sanction est très peu probable. Jusqu’à présent, la Commission Juncker a préféré le dialogue au rapport de force et estime que la méthode « dure » est largement contre-productive : elle risque de déstabiliser les gouvernements concernés et ne les aide pas, politiquement, à décider les réformes nécessaires pour revenir dans les « clous » du pacte de stabilité. La question sera donc de savoir si Bruxelles donne un an à Madrid pour se conformer aux règles européennes, comme les médias espagnols l’ont laissé entendre ces Jusqu’à présent, la Commission Juncker a préféré le dialogue au rapport de force derniers jours, ou davantage. Deux ans ? L’idée circule à Bruxelles, selon une source espagnole, mais elle ne serait pas majoritaire. Une chose semble sûre : l’objectif d’un déficit ramené à 2,8 % en 2016 est impossible à tenir pour Madrid. Il faudrait que le pays réalise 23 milliards d’euros d’économies en un an, ce qui, même avec une croissance de 2,8 % attendue, supposerait de nouvelles mesures d’austérité dans une économie qui en a déjà connu beaucoup durant la crise, et qui pâtit encore d’un taux de chômage de plus de 20 % des actifs. En 2011, le déficit public espagnol était de 9 % du PIB et la réduction opérée depuis, même incomplète, a été d’autant plus dure qu’elle s’est faite dans un contexte de récession jusqu’en 2013. Plutôt que de voir l’Espagne déraper de nouveau en 2016, Bruxelles devrait donc répondre positivement à la demande du gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, qui a sollicité un délai d’un an supplémentaire. Quant à accorder deux ans, cela permettrait de mettre toutes les chances du côté de Madrid pour se conformer au pacte. Le pays pourrait alors engager un programme de réduction des déficits lissé dans le temps, moins dur, et moins pénalisant pour la croissance. Mais deux ans de délai, c’est politiquement plus difficile à assumer pour un gouvernement. Les discussions à Bruxelles entreront dans le vif du sujet après la publication des données de l’agence Eurostat concernant les budgets publics 2015 des Etats, attendue le 21 avril. Le gouvernement espagnol, lui, comme les gouvernements des 18 autres pays de la zone euro devra avoir envoyé d’ici début mai un « programme de stabilité », une liste des mesures qu’il veut prendre. Ce n’est qu’après l’examen de ce programme de réformes et à la suite des prévisions mises à jour sur son déficit public que Bruxelles pourra se prononcer sur le délai de grâce pour l’Espagne, courant mai, donc. Situation inédite Avec une question à la clé tout de même : quelles garanties Bruxelles pourrait obtenir de l’Espagne, et quelles mesures de correction structurelles sur les dépenses ou les recettes publiques pourrait appliquer le gouvernement en fonction de M. Rajoy. Madrid et Bruxelles se trouvent dans une situation totalement inédite, alors que l’Espagne n’a toujours pas de gouvernement définitif, celui de Mariano Rajoy gérant seulement les affaires courantes depuis les élections législatives du 20 décembre. En quatre mois, le Parlement espagnol, très fragmenté avec l’irruption des nouveaux partis (Podemos à gauche et Ciudadanos au centre), n’est toujours pas parvenu à dégager une majorité. M. Rajoy a abandonné l’idée de se présenter à l’investiture faute de soutiens, hormis de son propre parti (Parti populaire), et les négociations entre les socialistes et Podemos n’ont pas abouti. Or, si aucun gouvernement n’est investi avant le 2 mai, de nouvelles élections seront convoquées le 26 juin, ce qui repousserait au mois de septembre, au plus tôt, la formation d’un gouvernement susceptible de mener des réformes de correction budgétaire. Bien qu’en sursis, le gouvernement actuel va pourtant devoir, le 22 avril, dresser une liste de mesures engageant le pays pour les mois et des années. Et ce, alors même qu’il n’a pas la confiance du Parlement et ne pourra donc pas faire voter de nouvelles réformes. Surtout que les relations institutionnelles sont très tendues entre la Chambre et l’exécutif depuis que les ministres en fonction refusent de se soumettre au contrôle du Parlement et de répondre aux demandes de comparution des députés, arguant qu’ils n’ont pas été désignés par celle-ci. Ce paysage espagnol particulier dessine un véritable casse-tête en vue pour la Commission européenne, obligée de négocier sur un sujet très délicat avec un partenaire sur la sellette. p cécile ducourtieux et sandrine morel Vers une commission d’enquête européenne « Panama papers » Créée par le Parlement européen, cette commission, dotée d’un budget et de personnel, aurait un mandat d’une durée d’un an bruxelles - bureau européen L e Parlement européen pourrait valider, jeudi 14 avril, la création d’une commission d’enquête sur les « Panama papers ». La décision devrait être prise lors de la réunion hebdomadaire des présidents des groupes politiques de l’hémicycle strasbourgeois. Les Verts, très en pointe sur les sujets liés à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, y sont favorables, ainsi que les sociaux-démocrates, les libéraux et l’extrême gauche. Les conservateurs du Parti populaire européen (PPE), principale force politique du Parlement, ne s’y opposeront pas, selon nos informations. « Difficile de dire non, politiquement, vu le scandale planétaire des “Panama papers” », admet une source au PPE. Si elle voit le jour, la commission d’enquête, d’une durée d’un an (prolongeable de six mois), se verrait attribuer des moyens non négligeables (un budget, du personnel administratif). Elle aurait, en outre, le pouvoir d’exiger des auditions, des documents, d’organiser des visites sur le terrain, etc. Il s’agirait ainsi de la deuxième commission d’enquête depuis que l’hémicycle a été renouvelé, à la mi-2014, après la commission « Dieselgate », née au début de cette année, à la suite des révélations sur la triche aux émissions polluantes du constructeur automobile allemand Volkswagen. La « commission Panama » prendrait par ailleurs le relais, même si leur objet n’est pas vraiment le même, des deux commissions « spéciales » TAXE (dotées de pouvoirs moins étendus), TAXE 1 et TAXE 2, lancées après les révélations LuxLeaks de novembre 2014, concernant un système d’évasion fiscale au profit des multinationales au Luxembourg. TAXE 1 a abouti à un rapport, à la fin de 2015, appelant la Commission européenne à davantage lutter contre l’évasion et la fraude fiscales. TAXE 2, dans son prolongement, tente de faire la lumière sur la responsabilité des Etats européens, dont beaucoup (la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Irlande) se sont fait une spécialité d’offrir des conditions fiscales très avantageuses aux grandes entreprises. Dans les jours qui viennent, la bataille au Parlement va surtout porter sur le mandat de la future commission d’enquête. Les élus ne peuvent s’interroger que sur les manquements à des lois de l’Union, de la part des Etats membres ou des institutions européennes. Le PPE et les Verts ont chacun Le PPE et les Verts ont chacun déjà rédigé une version du mandat, sensiblement différente selon la formation L’américain Peabody Energy, le premier producteur privé de charbon mondial, s’est placé, mercredi 13 avril, sous la protection de la loi américaine sur les faillites (Chapter 11) en tenant à l’écart ses activités en Australie. L’entreprise de 7 100 salariés, supporte une dette de 6,5 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros). – (AFP.) COMMER C E Vente-privee.com poursuit son expansion Le numéro un français de vente événementielle en ligne, Vente-privee.com, poursuit son expansion en Europe en rachetant l’espagnol Privalia, qui opère aussi sur les marchés italien, brésilien et mexicain. Il prend également une participation majoritaire dans le suisse Eboutic.ch, a annoncé le groupe, jeudi 14 avril. CON J ON CT U R E Les prix plus élevés à Paris et dans les DOM En 2015, le niveau général des prix à la consommation en région parisienne dépassait de 8,8 % ceux de la province, selon une étude de l’Insee publiée jeudi 14 avril. Les dépenses relatives aux loyers expliquent un tiers de l’écart, les loyers étant supérieurs de 48,9 % à Paris. Les départements d’outre-mer ont des prix supérieurs à la métropole de 12 % en Martinique, Guadeloupe et Guyane et de 7 % à la Réunion et Mayotte. Un différentiel dû notamment à la forte dépendance à la métropole en termes de production de biens et de services. 16 et 17 avril 2016 Palais des congrès et de la culture du Mans Entrée libre et gratuite OÙ EST LE POUVOIR ? déjà rédigé une version du mandat – sensiblement différente selon la formation dont elle émane. Les deux groupes insistent sur la nécessité de vérifier si les Etats membres ont bien fait respecter la directive antiblanchiment de 2005. Mais les Verts veulent, en outre, s’assurer que les administrations européennes ont suffisamment coopéré entre elles pour, éventuellement, se prévenir mutuellement en cas de blanchiment ou d’évasion avérée (dans le respect d’une directive de 2011 sur la coopération administrative dans le domaine fiscal). Pression sur les Etats Quant à la Commission européenne, très réticente lors des débuts de TAXE, elle serait désormais plutôt en faveur de la « commission Panama ». Cela maintient une pression certaine sur les Etats membres, alors qu’elle déploie, depuis dix-huit mois, un agenda ambitieux pour lutter contre les abus fiscaux. Mardi 12 avril, en réaction aux « Panama papers », elle est ainsi allée plus loin qu’un projet initial demandant la transparence, pays européen par pays européen, sur les profits et les impôts des entreprises, en y incluant les paradis fiscaux. Alain Lamassoure, chef de file du parti Les Républicains à Strasbourg et président des deux commissions TAXE, se « réjouit des révélations Panama qui vont aider à la lutte contre la fraude » et approuve la commission d’enquête. Mais il préférerait une commission permanente du Parlement, « parce que ces sujets de transparence et les révélations vont nous occuper pendant des années ». p c. du. Samedi 16 avril Dimanche 17 avril Le pouvoir, un lieu vide ? 09h30 : Raphaëlle Bacqué, journaliste au Monde 10h00 : Jean-Claude Monod, philosophe 10h30 : Michaël Foessel, philosophe 11h15 : Echange avec le public Pouvoirs ictifs, puissance de la iction 14h30 : Mathieu Potte-Bonneville, philosophe 15h00 : Yann Moix, écrivain 15h30 : Alice Zeniter, écrivaine 16h00 : Emilie de Turckheim, écrivaine 16h45 : Echange avec le public Rencontre Soirée avec le dessinateur Jul, rencontre animée par Frédéric Potet, journaliste au Monde Rien à cacher ? Un soupçon de pouvoir 10h00 : Myriam Revault d’Allonnes, philosophe 10h30 : Monique Canto-Sperber, philosophe 11h00 : Jean-François Kahn, journaliste et écrivain 11h30 : Delphine Dulong, politologue 12h15 : Echange avec le public Séance conclusive : Exercice et limites du pouvoir 15h00 : Grand entretien avec Christiane Taubira 16h15 : Echange avec le public Forum coordonné et animé par Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres Tél : 02 43 47 38 60 - [email protected] - http://forumlemondelemans.univ-lemans.fr Conception : Agnès Stienne - Illustration : Sergueï 6 | économie & entreprise 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Le régulateur tance les banques américaines Cinq des huit banques testées ne pourraient pas se passer d’une intervention de l’Etat en cas de faillite new york - correspondant L a situation se complique pour les banques américaines. Alors qu’elles peinent à maintenir leur niveau de rentabilité, les régulateurs financiers leur demandent de faire de nouveaux efforts pour éviter une intervention publique en cas de faillite. La banque centrale (Fed) et l’instance fédérale chargée de garantir les dépôts bancaires, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), ont en effet exigé, mercredi 13 avril, que cinq établissements – JPMorgan Chase, Wells Fargo, Bank of America, Bank of New York Mellon et State Street – révisent leur copie pour se mettre en conformité avec la loi Dodd Frank d’ici au 1er octobre. Cette nouvelle injonction relance le débat sur le principe du « too big to fail » (« trop grand pour faire faillite »), qui avait poussé l’Etat à renflouer les banques en difficulté au moment de la crise de 2008 de peur que l’ensemble du système financier ne s’effondre. Les pouvoirs publics américains ont depuis décidé d’imposer aux établissements des règles de telle sorte qu’ils puissent affronter une faillite sans faire appel au contribuable. La loi Dodd Frank de 2010 impose ainsi un certain nombre de filets de sécurité pour les établissements dits « systémiques », c’est-àdire susceptibles de faire peser un risque sur l’ensemble du système financier en cas de problèmes. « Nous allons faire tout ce qui est possible pour régler le problème » Le siège de JPMorgan à New York. ERIC THAYER/REUTERS JAMIE DIMON PDG de JPMorgan Chase « C’est une surprise qu’il y ait autant de recalés dans la mesure où il s’agit du troisième examen de passage », note Aurelien Borde, consultant chez Sia Partners à New York. Toutes les banques avaient en effet échoué en 2012, puis en 2014 (à l’exception de Wells Fargo). Appelées à de nouveaux efforts, elles ont donc soumis une nouvelle mouture au cours de l’été 2015. Cette fois, sur les huit grandes banques testées, une seule, Citigroup, a passé le test sans accroc. Une prime à la simplification des structures de cette dernière qui a réduit de 26 % sa taille depuis la crise. Goldman Sachs et Morgan Stanley ont le bénéfice du doute : l’un des deux régulateurs – la Fed pour la première, la FDIC pour la seconde – ayant donné son feu vert. En revanche, les autres sont sous la menace de sanctions si elles ne modifient pas d’ici l’automne leurs plans dans le scénario d’une faillite. « L’incapacité à corriger ces manquements pourrait soumettre ces firmes à des exigences plus strictes en termes de capital, de levier et de liquidités », avertissent la Fed et la FDIC. Si après deux ans les régulateurs estiment que les plans ne sont pas en ligne avec leurs exigences, ils peuvent imposer aux banques de vendre des actifs, voir des pans entiers d’activité dans le but de simplifier leur structure. La menace n’est pas à prendre à la lé- gère car les régulateurs ne vont pas accorder des délais ad vitam æternam. Question de crédibilité. « Nous allons faire tout ce qui est possible pour régler le problème », a obtempéré Jamie Dimon, le PDG de JPMorgan Chase, lors d’une conférence téléphonique à l’occasion de la présentation des résultats du premier trimestre. La première banque américaine en termes d’actifs doit améliorer quatre points : le pilotage de ses besoins de liquidité, sa gouvernance, son portefeuille de trading et sa structure juridique. De son côté, Bank of America doit progresser sur la gestion de ses besoins de liquidité et ses modèles de simulation de faillite, tandis que les niveaux de fonds propres de State Street posent question aux régulateurs. La surprise est venue de Wells Fargo, qui avait pourtant réussi le dernier test, mais visiblement le groupe californien n’a pas suffisamment suivi la feuille de route qu’il s’était fixée en 2014. « C’est clairement une mauvaise nouvelle au moment où la pression semblait s’être relâchée dans la mesure où le gros des amendes est maintenant derrière nous », souligne M. Borde. A la clé, « des coûts significatifs à court terme pour la mise en forme des plans de résolution, mais aussi à plus long terme car cela va nécessiter des changements d’organisation. C’est une transformation de fond pour les banques qui demande du temps, ce qui donne l’impression qu’on n’en voit pas le bout », ajoute-t-il. Conjoncture difficile Le moment est d’autant plus délicat que la conjoncture est difficile. Même si elles restent encore très rentables, les banques américaines ne parviennent à limiter la baisse de leurs résultats qu’au prix de réductions de coûts drastiques. JPMorgan Chase, qui était la première à publier ses résultats, a donné le ton mercredi en annonçant une baisse de 6,7 % de son bénéfice, à 5,52 milliards de dollars (4,9 milliards d’euros), et de 3 % de son chiffre d’affaires, à 24,08 milliards de dollars. Même si les analystes s’attendaient à pire, ces chiffres montrent que les banques américaines ont du mal à affronter les vents contraires : l’exposition au secteur pétrolier, qui est plombé par la chute du prix du baril, les turbulences sur les Bourses, qui pèsent sur les revenus dans le courtage, et enfin la faiblesse des taux d’intérêt qui laminent les marges dans les activités de prêts. Le tout alors que, sous la pression des régulateurs, elles ont dû replier la voilure dans les activités spéculatives, qui étaient les plus rentables. p stéphane lauer Les Blancs-Manteaux, monument d’humour en péril P eu d’anciennes pizzerias peuvent prétendre au statut de monument historique. Le café-théâtre des Blancs-Manteaux, à Paris, en fait partie. Il y a une quarantaine d’années, alors que le lieu était encore une pizzeria, c’est dans cette cave qu’une génération d’artistes a fait ses premières armes. Renaud y chantait souvent, et servait parfois les pizzas. Jacques Higelin et Bernard Lavilliers y réunissaient 80 spectateurs EN CESSATION les bons soirs. Jacques VilDE PAIEMENT, leret, Font et Val, Marianne Sergent et bien d’autres LE THÉÂTRE ont participé à l’aventure. Sans oublier Les 3 Jeanne, A ÉTÉ PLACÉ dont le spectacle féministe EN REDRESSEest resté des années à l’affiche. La mode du café-théâMENT JUDICIAIRE tre explosait. Aujourd’hui, le monument historique est en péril. Les spectacles se succèdent toujours dans les deux petites salles. Quatre chaque jour, six le samedi. Mais l’ex-Pizza du Marais n’a plus d’argent dans ses caisses. En cessation de paiement, le théâtre a été placé en redressement judiciaire le 25 janvier. « Je suis amoureux de ce théâtre, et je me battrai pour qu’il survive », promet Frédéric Cagnache, son directeur et unique actionnaire. Il compte présenter aux juges un plan pour relancer lui-même l’affaire, qui vivote depuis des années. Une histoire symptomatique de la fragilité des petits lieux culturels en période de crise. Quand M. Cagnache a racheté les BlancsManteaux en 2008, la situation était déjà ten- due. Pour redresser le cap, l’ancien producteur de spectacles a légèrement repositionné le café-théâtre : au lieu d’être un découvreur de débutants, il présente aussi des artistes déjà un peu connus. « Nous pouvons nous le permettre, car nous avons une enseigne forte. » Il a également diversifié la programmation. En plus des one-man-show, les Blancs-Manteaux veulent offrir de l’humour sous toutes ses formes : des duos, des musiciens ou encore des comédies comme Les parents viennent de mars, les enfants du McDo !, un succès depuis trois ans. L’après-midi, l’endroit accueille même des cours de sophrologie. « Charme parfaitement non fonctionnel » Ces efforts n’ont pas suffi. La crise économique est passée par là. Une hausse du loyer et la concurrence de lieux plus modernes aussi, comme le Point-virgule, qui dispose depuis 2012 de deux grandes salles supplémentaires à Montparnasse. A cela se sont ajoutés les attentats terroristes. « Je n’ai jamais connu un mois de décembre aussi mauvais », commente M. Cagnache. Il faudrait lancer des travaux pour l’accès des handicapés et rénover les salles au « charme parfaitement non fonctionnel », selon la formule du directeur. Dans les loges, le marbre sur lequel étaient préparées les pizzas fait office de bureau ! Mais, pour l’heure, les recettes ne permettent même pas au directeur de se payer. « Toujours vivant, rassurez-vous/Toujours la banane, toujours debout », chante Renaud dans son nouvel album. L’équipe des Blancs-Manteaux aimerait pouvoir célébrer la renaissance du café-théâtre avec autant de vigueur. p denis cosnard idées | 7 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 #MUTATIONS | CHRONIQUE par vince nt gir e t L’argent, la promesse et la sagesse L e grand déballage des « Panama papers » a mis à nu la double réalité vertigineuse de ce début de siècle : les riches d’antan ont prospéré, ils sont devenus ultra-riches, plusieurs zéros se sont ajoutés à leurs revenus et patrimoines, désormais sans limites ; dans le même temps et au même rythme, leur propension à s’échapper de la société s’est décuplée : ces paradis fiscaux, ces montages offshore, ces imbrications sophistiquées de sociétés-écrans racontent d’abord l’histoire d’un puissant mouvement de sécession, la sécession des ultra-riches, déjà brillamment exploré par Thierry Pech (Le Temps des riches, Seuil, 2011). Installés en apesanteur audessus des pays qui les ont faits rois, ils se meuvent avec une aisance de caméléon dans les dédales climatisés de la mondialisation. Nul doute, c’est la grave crise financière de 2008 qui, peu à peu, a permis de lever une partie du voile. Ces révélations ont mis au jour une autre réalité : la sociologie des plus fortunés s’est transformée. Aux figures classiques des capitaines d’industrie et des dictateurs se sont ajoutés des sportifs, des avocats, des traders, des artistes, des médecins, autant de nouveaux profils… Dans le millier de noms français figurant dans les documents du cabinet panaméen Mossack Fonseca figuraient ainsi des grands-parents soucieux de doter en toute discrétion leurs héritiers, ou l’une des parties de couples en instance de divorce… L’argent, ou plutôt notre rapport à l’argent, dit tout de nous et de notre intimité, analyse Pascal Bruckner dans un essai stimulant qui tombe à pic. L’auteur retourne le projecteur pour éclairer nos représentations collectives. L’arme de la morale, si souvent réversible, n’y suffit pas pour y voir clair. « L’argent est une promesse qui cherche une sagesse », dit joliment le philosophe : il est sage d’avoir de l’argent comme il est sage de s’interroger sur lui. L’argent et la monnaie sont d’abord l’émanation d’une culture. On croyait les Français sinon réconciliés, du moins apaisés dans leur relation à l’argent. Il n’en est rien, selon Bruckner. Le tabou reste intact. « Une sorte de catholicisme fantôme continue d’imprégner le rapport des Français avec l’argent, ils le vénèrent comme les autres peuples, mais sur le mode du déni. » L’argent est le principal concurrent de Dieu sur terre, il faut choisir entre Dieu et Mammon. Le christianisme s’est présenté d’emblée comme une condamnation du gain, du veau d’or comme de l’usure. FASCINATION COUPABLE De Rousseau à Bernanos, nombre de grands écrivains français ont enraciné cette méfiance, voire cette « haine envieuse » du vil métal dans la culture nationale. L’idéal égalitaire républicain n’a pas changé la donne, en considérant chaque privilège ou inégalité comme une survivance de l’Ancien Régime. Sous la Ve République, presque chaque chef d’Etat a ajouté sa pierre au grand tabou : « Mon seul adversaire, celui de la France, n’a en aucune façon cessé d’être l’argent », dira le général de Gaulle en 1969. Les mêmes mots ou presque seront repris par François Hollande, stigmatisant la finance, après avoir, quelques années auparavant, affirmé tout de go : « Oui, je n’aime pas les riches. » « Hollande a peut-être menti, écrit Bruckner, mais en parlant à la France comme elle voulait l’entendre, il a montré une parfaite connaissance de l’âme hexagonale. » A l’inverse, Nicolas Sarkozy a payé très cher son goût ostentatoire et sans gêne du bling-bling : de ce jour-là, le président a perdu le contact avec les Français. Dès lors, le secret est toujours de mise. Et il ne faut pas s’étonner de cet incroyable aveu de Françoise Bettencourt Meyers au procès sur l’éventuelle spoliation de sa mère, à la tête de la plus riche fortune de France : « En famille, nous ne parlions pas d’argent. Jamais. » Mais cette diabolisation de l’argent va l’amble avec « une passion honteuse », si ce n’est avec une fascination coupable. « L’allergie française cache mal un magnétisme pour l’idole financière que révèlent les multiples affaires de corruption », relève l’auteur. La France demeure d’ailleurs en queue de peloton des grands pays industrialisés dans les classements internationaux sur la probité des affaires. Entre culpabilité et fascination, les Français développent donc une propension à la schizophrénie qui handi- cape aujourd’hui l’économie : méfiants à l’égard de l’argent comme à l’égard du marché, de la libre entreprise, les Français voudraient bénéficier de tous les avantages d’une économie capitaliste développée sans compromission avec le « libéralisme » honni. « Lénine pour la doctrine, Adam Smith pour les fruits », s’amuse Bruckner, ou « le capitalisme, avec sa création de richesse, mais sans le capital »… Quelle attitude adopter avec l’argent ? « Ne nourrissons pas l’espoir d’une réconciliation, acceptons le déchirement d’un combat sans issue, philosophe prudemment l’auteur. La sagesse consiste à désacraliser l’argent, à ne pas l’aimer ou le détester plus que de raison. » Cet adage brucknérien s’adresse d’abord aux ultrariches, pris la main dans le sac des « Panama papers ». Mais aussi à chacun de nous. p [email protected] ¶ La Sagesse de l’argent, Pascal Bruckner, Grasset, 320 pages, 20 euros Les critiques allemandes contre la BCE sont contre-productives Sept économistes allemands rejettent les accusations portées dans leur pays contre la politique de la Banque centrale européenne. Ils appellent Berlin à une attitude moins restrictive sur les règles budgétaires et l’investissement collectif L a zone euro reste empêtrée dans une crise profonde, surtout macroéconomique, à laquelle elle ne pourra se soustraire qu’au moyen d’actions plus décisives. Une réponse a été le récent assouplissement de la politique monétaire par la Banque centrale européenne (BCE). Mais elle a été fortement critiquée en Allemagne, où l’inaction au niveau de la politique monétaire semble être l’option préférée. Pourtant, nombre des détracteurs de la BCE ont laissé des questions importantes sans réponse. Que se passerait-il si la BCE n’était pas en mesure de réagir face à une inflation excessivement basse et à une économie en difficulté ? Et quelle politique économique serait adaptée aux circonstances actuelles, sinon la politique monétaire ? On ne peut se contenter de critiquer et de dire non. L’Allemagne a un rôle important à jouer dans la formulation de réponses constructives à la crise européenne, telles qu’un débat macroéconomique ouvert et constructif, abordant l’union monétaire dans son ensemble. La crise de la zone euro compte quatre facettes différentes : une crise de la croissance combinée à un taux de chômage élevé et à une inflation basse, ce qui indique un problème en matière d’offre et de demande ; une crise de la dette qui concerne non seulement les gouvernements, mais aussi les entreprises et les ménages dans certaines parties de l’Europe ; une crise bancaire avec des prêts non rémunérateurs de plusieurs centaines de milliards, une surcapacité et une capitalisation en partie insuffisante ; enfin, une crise de la confiance des individus et des entreprises dans la politique et l’avenir. Ces quatre crises, étroitement liées et dont chacune amplifie les effets des autres, ne se résoudront pas toutes seules. La BCE est une des rares institutions qui peuvent contribuer à la solution. Elle agit conformément au mandat LES MESURES DE LA BCE SONT ADAPTÉES ET NÉCESSAIRES, MAIS INSUFFISANTES POUR TIRER L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE HORS DE LA CRISE qu’elle a reçu pour maintenir la stabilité des prix, définie par une inflation à moyen terme au-dessous mais proche de 2 %, sans y parvenir ni aujourd’hui ni dans l’avenir proche. Les prévisions d’inflation restent, en effet, largement en deçà de la cible. Or, la stabilité des prix est importante pour que l’économie fonctionne à plein régime et pour que les entreprises et les partenaires sociaux puissent effectuer une planification avec certitude. Si la BCE ne faisait pas usage de tous les instruments à sa disposition, elle abandonnerait purement et simplement son mandat et risquerait sa propre crédibilité. Toutefois, la politique monétaire n’est pas sans effets secondaires. Elle a toujours des conséquences en matière de distribution. En outre, certains risques menacent la stabilité financière : la faiblesse des taux d’intérêt met la pression sur les résultats nets des banques, les incitant à prendre des risques plus élevés. Elle peut aussi mener à des bulles dans les prix des actifs. Tous ces points sont vrais, mais ils soulèvent la question de ce qui se passerait si la BCE ne faisait rien, ce que certains détracteurs allemands préféreraient. La Sveriges Riksbank (Banque de Suède), par exemple, a longtemps argumenté contre la baisse des taux au cours des dernières années, par souci d’assurer une stabilité financière. Résultat, l’inflation a continué de baisser, et la Riksbank a ensuite été obligée de baisser ses taux d’autant plus drastiquement. Ils sont maintenant au-dessous de ceux de la BCE. UN EFFET SUR LES EXPORTATIONS Certains indicateurs tendent à montrer que les taux d’intérêt bas et les programmes d’acquisition de la BCE ont eu un effet sur les derniers dixhuit mois, notamment en renforçant légèrement l’octroi de crédits dans le sud de l’Europe et en permettant la dévaluation de l’euro, ce qui encourage les exportations (particulièrement de l’Allemagne). Par ailleurs, une inaction de la BCE aurait probablement entraîné des taux d’inflation et de croissance encore plus bas, ainsi qu’un taux de chômage encore plus élevé. Une action rapide et décisive est cruciale pour le succès de la politique monétaire. Nous croyons que les mesures de la BCE sont adaptées et nécessaires, mais non suffisantes pour tirer l’économie européenne hors de la crise ; tous les acteurs, dont la BCE, ont répondu de façon trop hésitante pour que cela soit possible. En plus d’une politique monétaire proactive, une action politique décisive est nécessaire pour s’attaquer aux trois autres facettes de la quadruple crise évoquée plus haut. Le premier domaine est la politique budgétaire. Elle est désormais cycliquement neutre en Europe, après des années de réductions anticycliques, souvent menées au mauvais endroit (aux dépens des investissements par exemple). L’Europe a besoin en urgence d’une refonte en trois étapes de la politique budgétaire. D’abord, l’investissement doit être renforcé, et la consommation des gouvernements doit reposer sur un socle durable. Des pays comme l’Allemagne investissent bien trop peu dans les infrastructures et l’éducation. Ils épargnent aujourd’hui aux dépens de l’avenir, en négligeant, par exemple, les dépenses de mainte- L’ALLEMAGNE INVESTIT BIEN TROP PEU DANS LES INFRASTRUCTURES ET L’ÉDUCATION. ELLE ÉPARGNE AUJOURD’HUI AUX DÉPENS DE L’AVENIR nance. En parallèle, ils sont également nombreux, dont l’Allemagne, à devoir réformer leur système de sécurité sociale. Cela devrait inclure des mesures à long terme, afin de ne pas exacerber la faiblesse actuelle de la demande. De surcroît, la marge de manœuvre du Pacte budgétaire devrait être utilisée à son plein potentiel. La situation économique en Europe est trop critique pour que la consolidation budgétaire et la réduction de la dette soient la priorité. Cela vaut d’autant plus pour les pays puissants, telle l’Allemagne, qui ne devraient pas donner la priorité à un déficit zéro, compte tenu de la crise des réfugiés et des nombreuses années d’investissement public net négatif. Ni le plafond de la dette allemande ni l’analyse économique n’exigent du pays qu’il ait un déficit zéro. La zone euro a aussi besoin d’une politique budgétaire crédible et durable dans tous les pays, afin de rendre la dette publique soutenable à long terme. La consolidation et le respect des règles sur la dette sont toutefois difficiles à imposer de l’extérieur. Les règles budgétaires doivent être élaborées et acceptées au moyen d’un large dialogue européen. Celui-ci doit inclure l’impact général de la politique budgétaire de tous les pays sur la zone euro lorsque la politique monétaire atteint ses limites, les conditions d’une consolidation budgétaire socialement acceptable, le maintien de l’investissement public pendant les phases de consolidation. Le deuxième domaine concerne les réformes structurelles. Il est vital pour l’Europe d’identifier et de rapidement mettre en œuvre de telles réformes, qui aideront à stimuler la demande et la productivité. En plus des problèmes spécifiques aux différents pays, actuellement urgents pour l’Italie et la France, l’Europe devrait se focaliser sur l’ouverture des marchés et le développement du marché interne des services. En particulier pour les services privés, la croissance de la productivité européenne est largement audessous du niveau mondial, en raison de la taille insuffisante des marchés et de la protection des barrières non tarifaires. En revanche, un grand marché européen encouragerait plus d’investissements, notamment dans les technologies innovantes. Cependant, un agenda focalisé sur la productivité du marché des services européens nécessite que l’Allemagne, qui agit comme l’un de ses principaux freins, mène le mouvement. Le troisième domaine est le secteur bancaire. La zone euro connaîtra une restructuration considérable de ce secteur dans les années à venir. L’établissement d’une union bancaire a constitué un pas vers l’assainissement de ce secteur en Europe, mais l’objectif est encore loin d’être atteint. Une solution plus rapide à l’accumulation des prêts non rémunérateurs éliminerait l’insécurité, offrirait de nouvelles perspectives aux foyers et sociétés endettés, et mettrait à disposition un capital bancaire pour de nouveaux prêts à des entreprises productives. Les détracteurs allemands de la BCE commettent deux grandes erreurs. D’abord, ils négligent le fait que, malgré tous les effets secondaires de la politique monétaire de la BCE, les conséquences de l’inaction seraient encore pires. Deuxièmement, ils n’offrent aucune alternative constructive à la politique monétaire et leurs critiques risquent de nuire à la crédibilité de la BCE. Il est peu probable que la BCE arrive à remplir son mandat de stabilité des prix uniquement grâce à des mesures de politique monétaire, mais des réformes structurelles ne résoudront pas non plus la crise européenne à elles seules. AUX DÉCIDEURS POLITIQUES DE FAIRE PLUS Le secteur bancaire, encore dysfonctionnel dans la zone euro, empêche le financement d’investissements significatifs et productifs. La politique budgétaire est encore trop peu focalisée sur l’investissement et la croissance, et elle est trop restrictive en ce qui concerne la marge de manœuvre budgétaire des Etats. Les critiques de la BCE en Allemagne sont contre-productives. La politique monétaire doit rester expansive pour pouvoir au moins commencer à remplir le mandat de la BCE. La préservation de sa crédibilité le demande aussi. Ce n’est pas à la BCE de faire moins, mais aux décideurs politiques européens de faire plus. Les décideurs politiques, y compris en Allemagne, ne peuvent plus nier leur responsabilité concernant la situation économique actuelle dans de grandes parties de l’Europe. Cela requiert une politique budgétaire encourageante pour la croissance, des réformes structurelles pour ouvrir de nouveaux marchés, ainsi que la restructuration du secteur financier. En Allemagne, nous devons surtout nous regarder dans le miroir, car nous avons besoin de la majorité de ces réformes aussi urgemment que nos voisins européens. p La version intégrale de ce texte a été publiée en allemand le 10 avril par le quotidien « Frankfurter Allgemeine Zeitung » ¶ Marcel Fratzscher est président du Deutsches Institut für Wirtschaftsforschnug (DIW) à Berlin et professeur à l’université Humboldt de Berlin. Reint E. Gropp est président du Halle Institute for Economic Research et professeur à l’université Otto-von-Guericke à Magdebourg. Hans-Helmut Kotz est professeur invité à l’université Harvard et directeur du centre de recherche Sustainable Architecture for Finance in Europe (SAFE). Jan Krahnen est professeur à l’université Goethe à Francfort et directeur du SAFE. Christian Odendahl est chef économiste du Centre for European Reform. Beatrice Weder di Mauro est professeure à l’université Johannes-Gutenberg à Mayence. Guntram Wolff est directeur du think tank Bruegel. 8 | MÉDIAS&PIXELS 0123 VENDREDI 15 AVRIL 2016 Données personnelles : encore des efforts à faire Les CNIL européennes ont donné un avis assez favorable au « bouclier de protection » américano-européen L e G29, groupe rassemblant les autorités de protection des données personnelles des pays membres de l’Union européenne, voit dans l’accord américano-européen dit « bouclier de protection » ou « Privacy shield » un « progrès majeur » pour la protection des données personnelles des citoyens européens transférées aux Etats-Unis. Cet accord politique, rendu public en février après deux ans de négociations, doit remplacer le « Safe harbor », un autre accord invalidé à l’automne par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Plus de 4 000 entreprises s’appuyaient sur ce texte pour transférer des données personnelles depuis l’Europe vers les Etats-Unis. Le Privacy shield constitue un « un grand pas en avant » par rapport au Safe harbor, a expliqué Isabelle Falque-Pierrotin, présidente du G29, mercredi 13 avril, lors d’une conférence de presse à Bruxelles. Sur le volet commercial de l’accord, « des efforts ont été faits pour mieux définir les droits et encadrer le transfert des données personnelles », s’est félicitée celle qui est aussi la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Le G29 a cependant relevé plusieurs « sujets d’inquiétude » dans cet accord politique et réclame des « clarifications sur plusieurs points, où il y a encore du travail à faire » de la part de la Commis- La Cour de justice de l’UE doit encore clarifier le cadre légal de la collecte de données aux fins de lutte contre le terrorisme sion européenne et du département américain du commerce, qui ont négocié l’accord. Mme Falque-Pierrotin a d’abord déploré la « complexité » du texte. « Il est difficile de comprendre tous les documents et les annexes. Il n’y a pas un seul document, mais plusieurs, ainsi que des annexes et des courriers. Certains se contredisent », a-t-elle expliqué. Sur le fond, elle a aussi regretté que « certains principes fondamentaux de la protection des données personnelles » prévus dans la loi européenne ne soient pas pris en compte par le Privacy shield. Elle a notamment évoqué le nombre « très important » de recours offerts aux citoyens européens pour contrôler l’utilisation de leurs données aux Etats-Unis. « Nous considérons que ce système est trop complexe, qu’il est difficile pour l’individu de trouver le bon interlocuteur », a précisé Mme Falque-Pierrotin, appelant à ce que les autorités de protection des données personnelles deviennent « le point de contact naturel » auprès duquel les citoyens pourront faire valoir leurs droits. Mme Falque-Pierrotin a aussi alerté sur le fait que le Privacy shield prend en compte la directive sur les données personnelles de 1995. Or, cette dernière va être remplacée par un règlement, plus strict, dont l’adoption est imminente et qui sera appliqué d’ici deux ans. Le G29 réclame donc « que soit intégrée au Privacy shield une clause de révision pour prendre en compte le nouveau cadre légal ». Avis moins radical que prévu Les autorités de protection des données européennes se sont également penchées sur le volet « sécurité nationale » du Privacy shield, à savoir la manière dont le texte tente d’encadrer l’accès par les agences de renseignement américaines aux données des Européens. Un point fondamental : c’est notamment en évoquant la grande latitude dont disposent ces agences pour puiser dans les données européennes hébergées aux Etats-Unis que la CJUE avait invalidé le Safe harbor. Tout en se félicitant que le sujet de la surveillance soit désormais « sur la table », le G29 déplore que la « collecte de données, qui est inacceptable lorsqu’elle est massive et indiscriminée » reste possible dans le cadre du Privacy shield. Mme Falque-Pierrotin a renvoyé vers une décision que doit rendre d’ici à la fin de l’année la Cour de justice de l’Union européenne et qui clarifiera le cadre légal de la collecte de données aux fins de lutte contre le terrorisme. Le G29 estime aussi ne pas avoir obtenu suffisamment de garanties sur le statut, les pouvoirs et l’indépendance de l’« ombudsman », entité vers laquelle pourront se tourner les citoyens européens pour contrôler l’utilisation faite par les autorités américaines de leurs données. L’avis des CNIL européennes se révèle bien L’accord constitue « un grand pas en avant », a expliqué Isabelle Falque-Pierrotin, présidente du G29 moins radical qu’anticipé par certains observateurs et opte pour une position de compromis entre les géants des nouvelles technologies, qui militent en faveur du Privacy shield, et les défenseurs de la vie privée. De quoi expliquer des réactions satisfaites des deux côtés. Pour Max Schrems, le premier plaignant dans les actions en justice contre le Safe harbor, il s’agit d’une première victoire. Selon lui, derrière le consensus du G29, se dessinent des opinions bien plus tranchées, opposées au texte. Pour lui, le Privacy shield est « un échec total, maintenu en vie par la pression exercée par le gouvernement américain et certains acteurs de l’industrie », a-t-il réagi peu après la conférence de presse du G29. Du côté de l’industrie, où l’on craignait un avis beaucoup plus tranché de la part des autorités de protection des données, l’optimisme domine aussi. Pour la Computer and Communications Industry Association, un lobby défendant notamment les intérêts d’Amazon, Facebook ou Google, la décision du G29 constitue « un pas vers l’adoption » du texte. Son directeur, Christian Borggreen, voit la décision du groupe comme « plutôt positive », « équilibrée sur la question de la surveillance » et « encourageant les Etats membres à adopter le Privacy shield sans délai pour clarifier la situation légale de milliers d’entreprises européennes et américaines ». p martin untersinger Apple : le FBI a bénéficié de l’aide de hackers Selon le « Washington Post », les pirates ont trouvé une faille dans le logiciel de l’iPhone Q ui a aidé le FBI à « craquer » l’iPhone du tueur de San Bernardino (Californie) ? Alors que tous les regards étaient braqués sur Cellebrite, une start-up israélienne spécialisée dans l’extraction de données, le Washington Post a révélé, mardi 12 avril, que l’agence fédérale américaine aurait bénéficié de l’aide de hackers professionnels, citant une source proche du dossier. Selon le quotidien américain, les pirates informatiques auraient découvert une faille dans le logiciel du téléphone portable. Le 28 mars, le FBI avait abandonné une procédure judiciaire entamée à l’encontre d’Apple pour forcer la firme de Cupertino à débloquer le téléphone de Syed Farook, l’un des auteurs de l’attentat de San Bernardino. « Notre décision de mettre fin à la procédure est basée seulement sur le fait qu’avec l’assistance récente d’un tiers nous sommes maintenant capables de débloquer cet iPhone sans compromettre les informations dans le téléphone », avait alors précisé la procureure fédérale du centre de la Californie, Eileen Decker, dans un communiqué. La firme exige des détails Avec la révélation de ce mystérieux « tiers », le quotidien outreAtlantique met fin à cette partie de Cluedo, débutée il y a une quinzaine de jours. Les hackers professionnels, dont l’éthique est parfois discutable, chassent les failles des logiciels pour les revendre aux sociétés concernées ou aux gouvernements. Grâce aux informations fournies par ces pirates informatiques, le FBI aurait ainsi mis au point un outil informati- que capable de neutraliser l’effacement automatique de toutes les données du téléphone après dix essais infructueux lorsqu’on tape un code PIN. Une fois cette difficulté levée, le FBI serait en mesure de craquer sans problème ce code en 26 minutes. James Comey, directeur du FBI, a toutefois précisé mercredi 6 avril lors d’une intervention au Kenyon College, dans l’Ohio, que la méthode pour y parvenir ne fonctionnait pas sur les modèles les plus récents de la marque à la pomme tels que l’iPhone 5S ou l’iPhone 6S. De son côté, Apple, qui s’était opposé à l’agence arguant du droit à la vie privée de ses utilisateurs, a fait savoir qu’il ne poursuivrait pas le FBI pour qu’il révèle la méthode employée pour déverrouiller le téléphone mais qu’il exigeait néanmoins des détails. Le débat sur l’accès aux données des téléphones cryptées n’est pas près de s’arrêter. Mercredi 13 avril, deux parlementaires américains, Richard Burr (Républicains) et Dianne Feinstein (Démocrates), responsables de la Commission du renseignement au Sénat ont dévoilé un projet de loi, encore à l’état de brouillon, pour forcer les entreprises technologiques à collaborer contre le cryptage. « Nous avons besoin d’un cryptage solide pour protéger les données personnelles, mais nous avons également besoin de savoir quand des terroristes projettent de tuer des Américains », s’est justifiée Mme Feinstein. Un tel projet, qui reviendrait à encourager la création de portes dérobées dans les logiciels, devrait de nouveau se heurter aux géants du high-tech, Apple en tête. p zeliha chaffin LE MONDE VOIT GRAND POUR VOTRE WEEK-END AVEC DEUX ÉDITIONS Le vendredi : Le Monde + Éco & entreprise + M le Magazine + Sports + Idées Ce nouveau supplément est le lieu de l’enquête intellectuelle, de l’approfondissement des débats, autour de sujets de fond en résonance avec l’actualité. 4,20 € Le samedi : Le Monde + Éco & entreprise + L’époque Ce nouveau supplément raconte les petits c h a n ge m e n t s e t l es g ra n d es m u t a t i o n s de notre vie quotidienne, pour mieux profiter de notre époque. 2,40 € Découvrez notre offre spéciale d’abonnement sur LeMonde.fr/offrewe 2 LA « UNE », SUITE v RENCONTRE avec Samar Yazbek, entre colère et larmes 3 v ENTRETIEN avec Bruno Racine, ancien président de la BNF 4 Samar Yazbek contre le chaos De la guerre qui ravage son pays, l’écrivaine syrienne rapporte un récit terrible LITTÉRATURE FRANÇAISE Pierre Bergounioux, Marc Dugain 5 LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE Judith Hermann, T. C. Boyle jean hatzfeld écrivain 6 HISTOIRE D’UN LIVRE « Une allure folle », d’Isabelle Spaak L es Portes du néant, à la frontière turque, s’ouvrent une première fois sur la route qui mène à la région d’Idlib, dans le nord-ouest de la Syrie. Samar Yazbek les franchit en août 2012, en se faufilant dans un trou creusé sous des barbelés. Une voiture l’attend, qui traverse la nuit sur un fond sonore de bombardements, avec à l’intérieur Maysara et Mohammed, deux frères d’armes rebelles : ses anges gardiens. A Saraqeb, le véhicule stoppe devant une vaste demeure envahie de familles, qui sera désormais le sweet home de Samar Yazbek où, de retour de ses chaotiques expéditions, elle retrouve une douceur complice auprès de gens un peu en vrac, notamment deux gamines, Rouha et Aala, dont elle écrit, une nuit de frappes aériennes : « Une nouvelle famille se joignit à nous dans l’abri. Aala, qui insistait toujours pour raconter une histoire chaque soir (...), me les montra du doigt : “Leur mère est de notre côté, mais le père soutient Bachar. (...) Mais ça fait rien. Elles doivent se cacher ici avec nous pour ne pas mourir.” Ma petite Schéhérazade 7 ESSAIS Florian Mazel dévoile comment l’Eglise a façonné l’espace civil 8 CHRONIQUES v LE FEUILLETON Eté 2013, revenue à Paris, on imagine l’auteure à sa table, écrivant ses mois de guerre, le désespoir d’un pays perdu, le déracinement. Mais elle repart en Syrie avait les plus beaux yeux noirs que j’ai jamais vus. (…) Elle observait attentivement le monde autour d’elle mais paraissait toujours plus fragile chaque fois que nous descendions dans l’abri. Elle s’occupait de sa petite sœur Tala qui souffrait d’un déséquilibre hormonal causé par la peur et l’angoisse. (…) Peu de temps avant que les frappes ne s’interrompent, elle saisit le morceau d’obus que tenait Tala en lui disant d’un ton calme : “Ça, ce n’est pas pour les enfants.” Elle avait à peine sept ans. » Pas de néant à l’horizon, mais une guerre, soudaine, contre Bachar Al-Assad, que les rebelles mènent à la kalachnikov tandis que l’armée attaque du ciel en hélicoptère. Samar Yazbek la rejoint pour vivre l’après-Bachar : aider les femmes à monter des ateliers, distribuer des journaux, discuter à longueur de nuits, écrire. Samar Yazbek est née dans une grande famille alaouite, à Lattaquié, dans la Syrie d’Hafez Al-Assad, le chef alaouite. Elle a vécu une enfance insouciante sur les bords de l’Euphrate. Caractère trempé, elle quitte les siens à 16 ans pour Damas, pour se vouer à la littérature. Aussi, naturellement, chaque vendredi du printemps 2011, elle a marché Eric Chevillard met les barbouilleurs à l’amende avec « La Littérature sans idéal », de Philippe Vilain 9 C’EST D’ACTUALITÉ v Casterman lance « Pandora », nouvelle revue de bande dessinée v Des inédits de Jack Kerouac en français A Mari (Syrie), en juillet 2012. C.STORMER/ZEITENSP./FOCUS/COSMOS dans la foule pacifiste, qui après celle de Tunis, du Caire, a célébré les révolutions arabes. Elle a publié des articles sur le vent de la liberté, dénoncé les violences de la répression. Les policiers l’ont tabassée en prison. Sous la menace des moukhabarat [services de renseignements], elle s’est réfugiée à Paris. L’espoir d’une Syrie libre l’attire donc dans les bras de la guerre un an plus tard. Elle écrit un hymne à la dignité des Syriens, note les graffitis des murs : « O Temps que tu es traître ! » Elle accompagne les combattants en expédition. Puis la guerre sombre dans un chaos radical qui imprègne son écriture. Février 2013, deuxième porte : cette fois, Samar franchit la frontière à travers un village bédouin. Elle décrit magnifiquement les zones frontalières. Elle repart dans les villages. Les barils de poudre Cahier du « Monde » No 22161 daté Vendredi 15 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément jetés d’hélicoptères remplacent les obus, les cadavres sentent fort sous les décombres. Les gamines Aala et Rouha sont parties. L’auteure observe les nouveaux visages : « Une fille de seize ans était assise à l’entrée, coiffée d’un hijab. Elle était amputée des deux jambes, l’une coupée à la cuisse, l’autre au genou. Son regard était serein cependant. Elle me dit qu’elle apprenait à dessiner à ses frères et à ses sœurs, mais qu’elle manquait de matériel. (…) Après nous avoir regardés descendre vers le caveau où vivaient les siens, la tête penchée, elle continua à tracer des lignes dans la terre humide. » Le temps presse terriblement. Samar Yazbek choisit un style qu’elle veut efficace, parfois rude. Elle rapporte ainsi les mots d’un déserteur de l’armée : « On entre dans un appartement et on casse tout sous les ordres de l’officier qui vocifère et jure. Il décrète qu’on doit violer une fille. La famille s’est réfugiée dans la chambre à côté. Il nous passe en revue le doigt pointé avant de s’arrêter sur mon ami Mohammed. Il lui donne une tape dans le dos (…). Mohammed tombe à genoux, baise les godasses du type : “Pitié, commandant ! Ya sidi ! Je ne peux pas. S’il vous plaît.”(…) L’officier lui a saisi les couilles en criant : “Tu veux que je t’apprenne comment faire ?” Alors mon ami s’est redressé et s’est rué sur lui, et c’était un costaud, je vous le jure. (...) L’officier a tiré sur Mohammed, il l’a tué. Vous voulez savoir où il a visé ? » Samar Yazbek s’impose sur scène : « Je poussai un hurlement en croyant avoir touché une main douce et délicate sous les débris. Mon cri me trahit. (...) lire la suite page 2 10 RENCONTRE Lydia Flem, sur son trente et un 2 | .. à la « une » | Rencontre suite de la page 1 Un garçon de vingt ans à peine qui portait au front un bandeau noir sur lequel était écrit “Il n’y a de Dieu qu’Allah !” s’exclama : “Eloignez cette femme ! Sa place n’est pas avec les hommes. Dieu nous pardonne !” Je lui aurais obéi si je n’avais pas su qu’il n’était pas syrien. Je le défiai du regard. C’était l’un des combattants étrangers de Daech. Je ne reculai pas d’un pouce comme il s’avançait vers moi. Au même instant, la voiture de mes amis s’arrêta devant nous (… ). » L’écrivaine défie le lecteur ; à travers lui, elle maltraite la communauté internationale. Les brigades de combattants se multiplient ; Ahrar Al-Sham, Jabhat AlNosra, Daech. Le lecteur souffre par moments, il perd un peu le fil sous l’emphase, sans oser le lâcher. Peut-être pressent-il que ce vocabulaire de l’atrocité, qui martèle à l’excès les pages comme les bombes au dehors, le prépare au passage d’une dernière porte. Eté 2013, revenue à Paris, on imagine Samar Yazbek à sa table, écrivant ses mois de guerre, le désespoir d’un pays perdu, le déracinement. Mais elle repart làbas, à « la frontière où m’attendaient Abdallah et son frère Ali, qui venait de perdre un œil à cause d’une balle. (…) Chaque fois que je les quittais, j’avais le sentiment que je ne les reverrais plus, puis je revenais, et là, c’était comme si j’allais passer le reste de ma vie avec eux. » L’adrénaline at-elle « accroché » la romancière ? Non. Elle ne se prend pas non plus pour la nouvelle égérie du grand reportage, ni pour Justine de Sade, ou Jeanne d’Arc. Dans la Syrie en guerre, les journalistes ne voyagent plus comme au Liban ou en Bosnie. Leur tête, mise à prix, repose sur un cou fragile. Ils arpentent la frontière, parfois s’aventurent en de rapides incursions. Les réseaux sociaux pervertissent l’information qu’ils ne ramènent plus. En Syrie, les villes sont écrasées, les champs dévastés ; la guerre détraque les esprits. Elle dérobe la révolution. Alors, Samar Yazbek fonce en voiture se colleter aux rafales, à la sueur de la peur, dont elle se protège en théâtralisant le chaos. « Je m’assis au pied du cyprès. “Comment vais-je pouvoir écrire toute cette dévastation ?” marmonnai-je alors que l’odeur était insoutenable. Un jeune homme derrière moi m’avait entendue, il se pencha et me dit d’une voix douce : “Madame, je vous assure que vous n’avez pas besoin de voir ces horreurs. Venez, rentrons.” » Elle recommence à interroger les combattants – une centaine, dit-elle – avec une mystérieuse patience, entre autres pour entendre ce qu’une petite voix intérieure lui souffle ; pour qu’elle, l’alaouite, entende des lèvres d’un ancien rebelle laïque : « Il faut que vous disiez au monde entier que nous sommes en train de mourir seuls. Que les alaouites nous ont tués et que le jour viendra où ils seront tués à leur tour (…), ces chiites mécréants et leurs putains de femmes. » Elle recueille les déchets d’illusions, croise des « humains errant dans les entrailles de la terre », ramasse les bribes d’une histoire qui ne raconte plus le Bien contre le Mal, mais ce que l’on pourrait nommer la satanisation du Mal. Samar Yazbek se remet en jeu pour qu’au moins le récit de sa guerre résiste à la dislocation. Il en sort formidable. p les portes du néant (Bawabât ard al-adâm), de Samar Yazbek, traduit de l’arabe par Rania Samara, Stock, « La cosmopolite », préface de Christophe Boltanski, 306 p., 21 €. 0123 Vendredi 15 avril 2016 Exilée à Paris depuis 2011, l’auteure des « Portes du néant » puise dans les mots « la force de ne pas oublier » Porte-parole de l’enfer syrien RENCONTRE florence noiville N e vous inquiétez pas. – Pardon ? – Si je pleure pendant l’entretien… Cela m’arrive tout le temps, en ce moment. Je suis fragile… et forte. A moins que ce ne soit l’inverse. » On avait été frappé par cette tension en lisant Samar Yazbek. En traversant le jardin du Luxembourg pour aller la rejoindre, en ce jour divin d’avril – soleil, joie des enfants, magnolias triomphants… –, on se demandait comment cette jeune Syrienne faisait pour conjuguer tout ça au plus profond d’elle-même. Le printemps à Paris et la mort à Damas. La nécessité d’avancer tout en restant fidèle. La mémoire et l’oubli. La vie comme un (bref) sourire aux lèvres de la mort. « Pas facile », soupire-t-elle. « Au fait… vous n’êtes pas gênée par le soleil ? » On baisse les stores et, dans la pénombre qui enveloppe la pièce, la confession commence. En arabe, à la deuxième personne. « Imagine… C’est comme si tu portais l’enfer en toi. L’enfer, le dernier jour, l’apocalypse. Et en même temps, tu es à Paris, une ville magique, tu es en train de marcher au paradis… Tu ressens une douleur ininterrompue qui devient une partie de toi. De même que les voix des victimes, leurs visages, leurs corps démembrés, font désormais partie de toi… » C’est pour ça qu’elle a écrit Les Portes du néant. D’un côté, elle voulait faire entendre toutes ces victimes qui « criaient » en elle, qui « criaient pour être racontées ». De l’autre, elle voulait… non, pas l’apaisement. Au contraire. Elle voulait puiser dans les mots « la force de ne pas oublier ». Ne pas être dupe de la jolie lumière. Comme si elle était gênée par le soleil, justement. « Il y a ceux qui pensent que la littérature libère de la douleur. Moi, je pense au contraire qu’elle la grave en nous. » Ecrire, c’était se promener dans les jardins du paradis avec ce memento tatoué sur le bras : « N’oublie pas l’enfer. » Née en 1970 à Lattaquié, Samar Yazbek vient d’une famille aisée alaouite, cette branche minoritaire du chiisme dont le clan Assad – qui gouverne la Syrie depuis 1970 – est lui-même issu. Elle aurait pu jouer cette carte, être propulsée parmi les privilégiés du régime. Elle a préféré décider elle-même de son destin. A 16 ans, elle fait ce qu’elle appelle une « révolte familiale » et part vivre seule. Amoureuse de Virginia Woolf, de Baudelaire et Naguib Mahfouz, elle étudie la littérature à Damas, où elle élèvera seule sa petite fille. Elle écrit aussi et publie au Liban des romans dévoilant la face cachée de la bonne société damascène (Un parfum de cannelle, Buchet-Chastel, 2013). Une femme seule, laïque, une rebelle fréquentant les cercles littéraires, une activiste engagée en faveur des droits de l’homme – « et de la femme », insiste-t-elle… : tout la désigne comme « dangereuse ». Lorsque, en 2011, elle descend dans la rue pour manifester contre le régime d’Assad, elle est arrêtée, jetée en prison, puis relâchée. MARCO CASTRO POUR « LE MONDE » Mais sa situation est intenable. En juin de la même année, elle quitte la Syrie. Exilée en France, elle publie en 2012 Feux croisés. Journal de la révolution syrienne (Buchet-Chastel), qui lui vaut plusieurs prix. Mais rester douillettement à Paris n’est pas le genre de Samar Yazbek. La Syrie l’appelle, la démange. Elle veut continuer de témoigner de l’intérieur. En 2012 et 2013, elle retourne trois fois, clandestinement, dans la région d’Idlib. A chaque fois, elle passe par un fossé « juste assez grand pour une personne » sous les barbelés turcs. A chaque fois, elle constate combien le pays s’enfonce dans la destruction. « D’où le titre du livre en arabe, Les Portes de la terre du néant ». Des portes qu’elle ouvre les unes après les autres, comme dans un conte. La première est celle de la trahison. « Quand j’y pense, en 2011, nous étions des jeunes pacifiques, qui demandions quoi ? EXTRAIT « Derrière nous, on pouvait entendre des coups de feu, et les roulements des blindés du côté turc, mais nous avions réussi : nous étions passés. Comme si le sort l’avait décidé depuis longtemps. Je portais pour la circonstance un foulard, une veste longue et un pantalon ample. Nous devions gravir une colline pentue avant de retrouver sur l’autre flanc la voiture qui nous attendait. Cette fois, mes guides et moi ne faisions pas partie d’un convoi d’étrangers. A ce moment, je ne me posais pas la question de savoir si je pourrais jamais écrire un jour là-dessus. J’étais certaine, j’ignore pourquoi, qu’en retournant dans ma patrie j’allais mourir comme tant d’autres. La nuit tombait et tout paraissait normal (…). Enfin, nous parvînmes jusqu’à la voiture (…). Je montai à l’arrière avec les deux hommes qui allaient me servir de guides, Maysara et Mohammed. Ils étaient des combattants d’un genre particulier, appartenant à la même famille, celle qui allait m’accueillir. Maysara était un rebelle qui avait commencé par faire campagne de manière pacifique contre le régime d’Assad puis avait pris les armes. Mohammed avait une vingtaine d’années et faisait des études de commerce (…). » les portes du néant, pages 18-19 Pas grand-chose. Une plus grande liberté d’expression, des réformes législatives, la libération de certains prisonniers politiques… C’est fou qu’on ait pu être réprimés avec une telle violence. » En 2013, Daech fait irruption par la porte numéro deux. « Jusque-là, il y avait des milices djihadistes, mais on pouvait encore circuler. Avec Daech, tous les activistes locaux ont disparu… Pourtant, dire que la guerre se joue entre Assad et Daech est faux. Bachar est lui-même un artisan du terrorisme. » La dernière porte, enfin, ouvre sur un sentiment lancinant de colère. Yazbek évoque les intérêts iraniens, russes, américains… et la position stratégique de la Syrie. « Les Etats sont devenus des outils aux mains de groupes d’intérêt qui les dépassent », dit-elle. A l’entendre, aucune des forces en présence ne souhaite vraiment l’avènement d’une révolution démocratique. Nul ne lutte vraiment, non plus, ni contre Bachar Al-Assad ni contre Daech. « Le monde est obsédé par l’Etat islamique, mais les avions d’Assad continuent à larguer des bombes sur les civils dans les provinces d’Idlib, de Damas, d’Homs, d’Alep… » Chacun suit les informations, regarde les photos, mais « l’odeur de la terre après l’explosion d’une bombe à fragmentation ne se transmet pas par le biais des photos ». Samar Yazbek raconte les enfants morts qu’elle a serrés contre elle, les débris de corps retrouvés dans les décombres, les petits doigts… Que faire ? « Continuer. Continuer à demander justice. S’engager sans relâche. » Avec son ONG Women Now for Development, elle aide « les femmes qui portent la société pendant que les hommes se battent ». « Nous sommes dans une guerre entre le Beau et le Laid. Il faut lutter contre l’effondrement moral. » Que fait-elle, maintenant que les portes de la Syrie lui sont vraiment fermées ? Parcours 1970 Samar Yazbek naît à Lattaquié (Syrie). 1986 Elle part vivre seule. 2011 Elle manifeste à Damas. Elle est jetée en prison et battue. Elle s’enfuit à Paris. Premier retour clandestin en Syrie via la Turquie. 2012 Feux croisés (Buchet-Chastel). 2013 Un parfum de cannelle (Buchet-Chastel). 2016 Les Portes du néant (Stock). « Je viens de terminer un nouveau roman. Je voyage dans le monde pour parler de la question syrienne. Et j’apprends le français. J’ai fini par me convaincre qu’il fallait le faire, alors je m’y suis mise. Vous qui parliez d’arrachement… En voici un autre. L’arabe est ma patrie. Je sais que lorsque je parlerai français, je perdrai encore une partie de moi-même… » Nous revenons à l’exil. « L’exil est l’exil, rien d’autre. Cela veut dire marcher dans une rue et savoir que vous n’êtes pas à votre place. » Cela veut dire continuer à « rêver de la Syrie sans que rien jamais puisse vous empêcher de le faire. Sauf la mort… » Elle essuie une larme. « Je vous avais prévenue. » p Traduit de l’arabe par Hana Jaber Entretien | 3 0123 Vendredi 15 avril 2016 propos recueillis par michel guerrin P résident de la Bibliothèque nationale de France (BNF) pendant neuf ans, de 2007 à 2016, Bruno Racine a quitté son poste, le 2 avril, remplacé par Laurence Engel. Il expose les enjeux de cet établissement. Quelles furent les missions que vous pensez avoir accomplies avec succès à la tête de la BNF ? La BNF repose sur deux grands piliers, et on tend à en oublier un, le site historique, rue de Richelieu, à moitié fermé pour rénovation depuis cinq ans. Il devrait rouvrir entièrement en 2020, devenant le premier pôle mondial pour l’histoire des arts et des images. Lancer ce projet était un premier objectif. Le deuxième était de changer d’échelle dans la numérisation. Nous avons multiplié le chiffre par dix sur Gallica – de 300 000 à 3,5 millions de documents en libre accès. Le troisième objectif, ce sont les acquisitions majeures, là encore, qui ont changé d’échelle, puisque nous sommes passés à 7 ou 8 millions d’euros par an contre 1 million avant mon arrivée. La BNF a pu acheter les manuscrits de Casanova, le bréviaire de Saint-Louis de Poissy, le manuscrit des Troyens de Berlioz… J’ai mis un accent particulier sur les archives contemporaines – celles de Michel Foucault, Edouard Glissant, Guy Debord, Roland Barthes… Pourquoi acheter quand on conserve déjà tant de livres ? Pour rester vivante, une bibliothèque doit acquérir et elle ne peut s’arrêter à l’époque de Victor Hugo. Non pas tout acheter, mais le faire avec discernement. Renforcer les points forts, en particulier pour les manuscrits, avec l’aide de son cercle de mécènes. La BNF, qui est une des trois plus importantes bibliothèques au monde avec celle du Congrès, à Washington, et la British Library, à Londres, doit être en première ligne sur le marché. Les archives de Guy Debord étaient convoitées par une université américaine mais il ne me paraissait pas possible qu’elles sortent de France. De même pour le manuscrit de Nadja, d’André Breton, que Pierre Bergé [actionnaire à titre personnel du Monde] a bien voulu nous réserver en le retirant de la vente de sa bibliothèque. J’ai souhaité aussi encourager les dons, et pour cela créé une galerie des donateurs. Notre politique d’enrichissement des collections nous rapproche des grands musées du monde. Tout comme nos expositions d’artistes vivants comme Sophie Calle, Raymond Depardon, Richard Prince, Anselm Kiefer et maintenant Miquel Barcelo. Un musée ? A vous écouter, on a l’impression que la BNF n’est plus un endroit où le public vient pour consulter et emprunter des livres… J’y viens ! Une grande bibliothèque se doit d’offrir une multitude d’activités – expositions, conférences, débats. Mais la question que vous soulevez sera le défi de l’avenir. Car il y a un problème. La BNF offre sur son site François-Mitterrand deux espaces aux lecteurs. Un pour le grand public de 1 700 places, l’autre pour les chercheurs, de dimension comparable. Or, depuis plusieurs années, nous constatons une baisse de fréquentation. Pour les chercheurs, c’est plus récent et cela s’explique. Nous observons en particulier qu’ils utilisent mieux les ressources numériques, ce qui leur permet de passer moins de temps dans nos murs. Nombre de bibliothèques universitaires parisiennes, qui étaient vétustes, ont été rénovées, et en conséquence nous ont pris des lecteurs. Toutefois, les chiffres de fréquentation se sont stabilisés en 2015 mais sans revenir aux niveaux d’il y a quelques années. Ce qui interroge, c’est la moindre fréquentation du grand public, qui se vérifie dans toutes les bibliothèques, en France comme à l’étranger. A la BNF, sur le site François-Mitterrand, le 1er avril. DAVID BALICKI POUR « LE MONDE » Bruno Racine : « Le livre a de beaux jours devant lui » L’ancien président de la BNF fait le bilan de ses neuf ans à la tête de l’institution et analyse les perspectives propres aux bibliothèques à l’heure de la numérisation Comment enrayer cette baisse ? Les bibliothèques se sont longtemps préoccupées essentiellement de l’offre. Désormais, le défi, c’est de mieux répondre à la demande. Nous ne pouvons pas nous reposer seulement sur la quantité et la qualité de nos collections. Il faut prendre la mesure du nouvel utilisateur des bibliothèques, comprendre ses attentes. Il lit autrement, consulte moins les ouvrages et souvent vient, avant tout, pour travailler sur ses propres documents, par exemple pour préparer un examen, parce qu’il ne peut le faire dans de bonnes conditions chez lui. La bibliothèque lui offre un service de qualité, un lieu d’étude individuel mais aussi de confort et de convivialité. Nous avons modernisé l’accueil, nous allons améliorer l’hospitalité numérique, par exemple grâce au lien entre notre offre et l’ordinateur portable du lecteur. Nous avons surtout repensé les salles de lecture, qui sont traditionnellement monacales, multiplié les stations de travail individuelles, en dehors des salles, dans les couloirs, les halls, les foyers, le café… Les usagers travaillent autant dans ces nouveaux espaces que dans la salle de lec- ture classique. Ils enrichissent la fonction sociale de la bibliothèque, ce que certains appellent « le troisième lieu », intermédiaire entre la maison et le lieu de travail. Nous avons pu ainsi enrayer la baisse en 2015. Est-ce suffisant pour garder vos lecteurs ? Ma conviction est qu’il faudrait instaurer la gratuité pour le grand public. Nous demandons un abonnement de 38 euros par an, ramené à 20 pour les moins de 25 ans, ce qui peut paraître modique, mais reste un frein. La Bibliothèque publique d’information [BPI, Centre Pompidou] est gratuite, par exemple. Pour la BNF, ce serait un geste symbolique fort, un signe d’ouverture qui me paraîtrait bienvenu aujourd’hui. J’ai fait cette proposition au ministère de la culture mais il reste à résoudre le problème du manque à gagner, de l’ordre de 400 000 euros par an. Est-ce que la bibliothèque, à terme, sera rendue caduque à cause de la numérisation ? Je crois tout le contraire. La baisse de la consultation n’est pas liée uniquement à la numérisation des livres. Et puis la numérisation intégrale est une utopie, elle ne se réalisera sans doute jamais, ni chez nous ni ailleurs, et elle n’est pas nécessaire. Nous avons 3,5 millions de documents numérisés, mais des dizaines de millions ne le sont pas. Nous avons 5 millions de pages de presse numérisées, et 110 millions ne le sont pas. De plus, on n’a jamais autant publié de livres papier en France qu’en 2015 – même si la lecture baisse ou se concentre sur quelques ouvrages, ce qui est un autre problème. Et puis l’offre numérique consultable à distance est limitée aux livres tombés dans le domaine public. Or, les chercheurs ont besoin de travailler sur des publications récentes, que nous pouvons avoir en version numérique, mais qui ne sont consultables que depuis nos sites. Qu’en déduisez-vous pour l’avenir ? Plusieurs choses. La numérisation va devenir plus qualitative que quantitative. Ensuite, si la consultation à distance – dont 37 % venant de l’étranger – se développe, la demande sur place ne va pas disparaître. Je n’exclus pas que la Dans le sillage des chercheurs de voix LA LANGUE maternelle n’appartient à personne, pas même à la mère. Cette vérité explorée par les écrivains et les philosophes, Bruno Racine en a très tôt fait l’expérience. Ainsi les plus belles pages du récit qu’il consacre à sa mère, La Voix de ma mère, évoquent-elles des scènes de lecture à deux, au cours desquelles s’impose l’indépendance bravache de la langue, son caractère fondamentalement inappropriable. Un jour, Bruno Racine et sa mère, qui a grandi aux Etats-Unis, se penchent ensemble sur le roman d’Henry James, The Bostonians. Cherchant les équivalents français de certains termes, sa mère se trouve soudain à la peine : « Ces hésitations l’attristaient, car elle les attribuait, non à des difficultés objectives de traduction, mais à une sorte de déclin personnel, à une déprise irréversible de sa langue maternelle. » De Boston à Odessa Ce souvenir d’enfance, confie Bruno Racine, est l’un des rares qui lui permettent d’entendre encore la voix de sa mère, ses inflexions elles aussi impossibles à saisir vraiment, et qu’il tente ici de retrouver en se mettant dans le sillage des grands chercheurs de voix, de Proust à Barthes. Cette quête le conduit sur les traces de ses aïeux, en Amérique, mais aussi en Ukraine, à Boston comme à Odessa, et cette investigation autobiographique nourrit une réflexion sensible sur la fragilité des êtres et la force des textes. p jean birnbaum la voix de ma mère, de Bruno Racine, Gallimard, 136 p., 12,50 €. distinction que nous opérons entre nos lieux « grand public » et « chercheurs » ne finisse d’ailleurs par s’effacer au profit d’espaces fédérateurs. Enfin, je constate que le livre est dans son genre un objet parfait : petit, pas cher, maniable, utile, solide. Il a de beaux jours devant lui. Le livre numérique, au contraire, n’est pas parfait, il n’a pas la volupté du papier, on ne peut le feuilleter, et il est en fait plus périssable. Du reste, hormis aux Etats-Unis, à cause de la mort des librairies, et au Japon, pour des raisons liées au phénomène manga, la part du livre numérique reste limitée. Les deux supports resteront complémentaires. Dans « La Voix de ma mère », le livre que vous consacrez à votre mère, vous notez que, de sa jeunesse américaine, elle n’avait conservé que très peu d’objets, essentiellement des livres. Votre confiance dans l’avenir du livre est-elle liée à cet héritage maternel ? Ma mère a été en effet une grande lectrice tout au long de sa vie. C’est en se passionnant très jeune pour Les Trois Mousquetaires, lu en anglais, qu’elle disait avoir adopté la culture de notre pays, avant d’en apprendre puis d’en maîtriser la langue, tout en conservant un léger accent qui m’est resté longtemps imperceptible. Tel est le pouvoir du livre : changer le cours d’une vie. Je ne suis pas sûr qu’une lecture sur écran aurait eu le même effet décisif… Le souvenir le plus précieux que je conserve d’elle, ce sont des livres qui lui avaient été offerts dans sa jeunesse, des romans de Stevenson aux poèmes de Keats que nous avons lus ensemble, en particulier cette Eve of Saint Agnes, qui était son préféré. En m’efforçant sans succès, dans mon livre, de faire revivre sa voix, c’est la littérature que j’ai retrouvée. Quand on a lu Proust, Lamartine ou Guyotat, on sait que cette voix est inséparable des lectures maternelles, que ce soit l’histoire sainte ou George Sand. Toute lecture n’est-elle pas un partage ? p 4 | Littérature | Critiques 0123 Vendredi 15 avril 2016 Pierre Bergounioux poursuit son journal. Toujours aussi fascinant SANS OUBLIER Tel père, quel fils ? La force de l’habitus bertrand leclair F ort de ses mille deux cents pages, le quatrième volume du Carnet de notes que Pierre Bergounioux tient depuis 1980 couvre les années 2011 à 2015 et se clôt sur sa préparation à l’édition, provoquant un étonnant télescopage des temps de l’écriture et de la lecture. « Au courrier, les épreuves des années 2011 et 2012 du Carnet de notes. Je constate, à la relecture, combien 2011 a été assombrie », lit-on à la date du mercredi 16 décembre 2015. Neuf jours après, ce travailleur inlassable « attrape tout de suite les épreuves des trois dernières années du Carnet », dont il lui reste pourtant dix pages à écrire. Quelques semaines plus tard, le lecteur a déjà le livre en main, se souvenant non seulement de ce qu’il faisait lui-même, ce 25 décembre qui est le dernier, mais aussi de l’actualité tragique qui l’a précédé (ce qui, d’ailleurs, ne va pas sans provoquer une attente déçue à la date des attentats de novembre, à peine signalés – il est vrai que la mère de l’auteur vient de mourir). Les temps se rapprochent. Il n’y a pourtant pas si longtemps que l’on découvrait le premier volume de ce Carnet de notes, journal d’une naissance à la littérature entamé quatre ans avant la publication du premier livre de l’auteur (Catherine, Gallimard, 1984), mais paru en 2006 seulement. Depuis dix ans, la publication régulière du Carnet nous aura donc fait parcourir trente-cinq années d’existence : le jeune homme qui se croyait surnuméraire dans les hautes sphères de la pensée pour avoir grandi dans la Corrèze des années 1950 atteint désormais cet âge de la retraite où le monde semble compter plus de fantômes que de vivants. La mort est d’autant plus présente que l’accident cardiaque qui avait bousculé le précédent volume fait peser une menace permanente, au point qu’elle en devient fantasmatique : confronté à une tension qui s’affole régulièrement, l’auteur se projette déjà mort, anticipe le désarroi de ses proches, s’effraie des PV qu’il imagine s’accumulant sur le pare-brise de sa voiture. La fascination du lecteur s’accentue quand apparaît avec une netteté nouvelle l’adéquation parfaite entre le geste d’écriture et les convictions esthétiques qui le soustendent. Cette fascination n’est jamais réductible aux qualités du prosateur magistral qu’est Bergounioux, pas davantage à une mécanique de pensée aux rouages impressionnants, huilée par d’incessantes lectures. Elle provient avant tout d’une obstination à consigner les faits en s’en tenant au plus matériel, à rebours d’une pratique de diariste valorisant l’illusion de EXTRAIT « Me 11.6.2014 Levé à sept heures. Le beau temps nous revient. Colette Olive téléphone en tout début de matinée et nous parlons un long moment. Comme la publication du Carnet va devenir quinquennale, j’expédierai le texte à Verdier, année après année, pour que le quatrième tome paraisse dès le printemps 2016, si je dure jusque-là. Le travail préparatoire ayant été fait, l’impression suivra de plus près. Après avoir raccroché, j’expédie à Colette, par courriel, les notes de 2011, 2012 et 2013. Elles sont parties lorsqu’un scrupule me vient. Et si j’avais laissé traîner des fautes ! Je relis les premiers mois de 2011, n’y trouve rien à reprendre, et c’est ainsi qu’il est midi. En début d’après-midi, avec Mam. Les marronniers commencent déjà à roussir, sous l’effet de la maladie qui les touche. Sur nos têtes, un beau ciel où sont accrochés de blancs petits nuages d’été. » carnet de notes, pages 810- 811 Qui devient-on quand, abandonné dès l’enfance, on apprend que son père a participé à l’extermination des juifs aux côtés des Allemands ? Quand on découvre qu’il a été transféré dans la Waffen-SS après avoir appartenu à la Légion des volontaires français ? A travers le Journal d’un autre (sous-titre de ce Carré des Allemands), le fils trace un portrait croisé de lui et de cet homme qui lui ressemble, par bribes ou pans de conscience successifs. La fascination de la mort, le poids de la faute hantent le fils comme ils ont habité le père. Une silhouette sur une vieille photo, des témoignages difficilement recueillis, une fosse commune dans un cimetière, près du « carré des Allemands », ces indices du passé dessinent un itinéraire brisé. Y répond le présent du fils, marqué par la solitude et un rapport à l’autre éminemment problématique. A travers deux destins singuliers, Jacques Richard explore avec intelligence nos territoires obscurs. p stéphanie de saint marc a Le Carré des Allemands. Journal d’un autre, de Jacques Richard, La Différence, 144 p., 17 €. L’Eventreur mis à nu l’extraordinaire. Bergounioux ne vise pas à s’illustrer ou à se sauver en littérature, mais à noter ses actes et ses gestes. Cela implique de rendre toute leur importance aux habitudes et, à travers elles, de restituer une manière d’habiter le monde, affirmant dès lors une présence, tout comme on peut éprouver l’empreinte de l’autre dans la vie commune et ses routines. Le Carnet se révèle ainsi une mise à l’épreuve quotidienne d’un socle de convictions marxistes : quoi de mieux que l’habitus d’un individu pour révéler les conditions d’existence qui lui auront été faites ? Malgré les menus agacements inhérents au genre (jugement à l’emporte-pièce sur un auteur, dénonciations épidermiques d’une jeunesse écervelée), la lecture du Carnet rend au verbe « habiter » et à ses dérivés leur richesse inépuisable – un livre aussi peut être habité, ou non, et si l’habit ne fait pas le moine, le style dont nous parons nos habitudes n’a d’autre enjeu que de contribuer à élargir l’expérience de vivre, pour qui n’est pas né dans l’aisance et la langue soyeuse des héritiers. Qui plus est, et du fait même que l’auteur transcrive son carnet en vue de la publication au fil de son écriture, ce phénomène s’opère désormais en conscience, dans une transpa- carnet rence effective qui impli- de notes. que l’auteur, ses proches – 2011-2015, et le lecteur, en miroir. D’où de Pierre le renversement auquel on Bergounioux, assiste, ou comment le de- Verdier, dans devient dehors. Le 1 216 p., 38 €. Carnet a longtemps été la doublure de l’œuvre en cours, une doublure destinée à rester invisible, aussi nécessaire qu’elle ait pu être à la parution de La Mort de Brune (Gallimard, 1996) ou du foudroyant B-17 G (Flohic, 2001). Ces dernières années, alors que sont parus de courts traités, un recueil d’entretiens et de nombreux livres d’artistes, voilà que l’habit du styliste se révèle réversible. Il se pourrait, en tout cas, que son grand œuvre soit cette doublure tramée dans le temps, sa matière même. p Bréviaire du désenchantement Avec un talent visionnaire, Marc Dugain achève sa fresque sur la politique et le monde des affaires macha séry V oici donc, paru quelques jours avant le scandale planétaire déclenché par les « Panama papers », l’Ultime partie de la Trilogie de L’Emprise, la saga d’espionnage de Marc Dugain débutée en 2014. L’an passé, le deuxième tome, Quinquennat, était paru au plus vif du débat provoqué par la loi sur le renseignement. Chaque fois, sans qu’il s’agisse de romans à clés, ces thrillers éminemment réalistes entrent en résonance aiguë avec l’actualité, qu’ils éclairent d’une lumière intime. Ils mettent de la psychologie derrière des événements familiers et donnent à voir des coulisses politiques rappelant les Atrides. Après La Malédiction d’Edgar (Gallimard, 2005), consacré à John Edgar Hoover, patron indéboulonnable du FBI entre 1924 et 1972 – seul livre de Marc Dugain inédit aux Etats-Unis –, et Une exécution ordinaire (Gallimard, 2007) retraçant le naufrage du sous-marin Koursk, – non publié en Russie –, la Trilogie de L’Emprise confirme Dugain dans son rôle d’effeuilleur d’opacité. Assassinats ciblés, familles brisées. Disons-le d’emblée, Ultime partie tient de l’entreprise de mise à mort, qu’elle soit symbolique ou réelle. Dans la galerie des personnages surgis il y a deux ans – agents des services secrets, journalistes, grands dirigeants –, quelques-uns vont se consumer. A trop s’approcher des hautes sphères du pouvoir, à le convoiter ou à le menacer, ils seront vaincus ou ils périront. Y compris des colosses, comme Corti, le patron corse de la DGSI. Marc Dugain anime cette pantomime tragicomique d’une main souple et ferme, efficace et sagace ; comédie humaine où il s’agit de faire bonne figure et d’accomplir sa vengeance en temps et en heure, tandis que les citoyens sont distraits par « le marché de l’impatience » : se connecter à toute heure du jour et de la nuit, « se créer un maximum d’addictions à des choses qui n’en valent pas la peine ». Petit rappel des faits : rompant le pacte jadis passé avec Lubiak, son ministre des finances honni, le président Launay brigue un second mandat. Mieux, il espère ruiner les rêves de destin national de son ennemi intime, en faisant approuver par référendum son projet de VIe République. La refonte de la Constitution privilégiera les alliances au centre et mettra la fonction présidentielle au-dessus la mêlée. Vertueuse ambition ? En apparence, uniquement. Teintes crépusculaires Car la Trilogie de L’Emprise (bientôt adaptée en série pour Arte) est un bréviaire du désenchantement. Comptabilités occultes, rétrocommissions liées à des contrats d’armement, blanchiment d’argent par des comptes offshore, transactions juteuses avec des princes émiratis soupçonnés de financer le terrorisme islamique, duplicité généralisée… La fresque de la politique et du monde des affaires qu’achève Marc Dugain prend des teintes crépusculaires. « Après le 11-Septembre, [les Américains] ont permis à la NSA de poser un couvercle sur le monde et déclaré la fin du secret et de l’intimité en toute chose. Le terrorisme a été le bon prétexte. C’est une menace. Je suis bien placé pour le savoir. Mais il en existe une autre, celle de l’ascension des réseaux mafieux dans les démo- craties », fait dire l’auteur au président Launay. Pour Dugain, les gouvernants, n’ayant plus de marge de manœuvre, se lancent dans une fuite en avant afin de sauvegarder leurs intérêts. « Nos représentants connaissent le passé, pour les plus cultivés, appréhendent mal le présent, et quant au futur, il dépasse leur entendement. Ils ne feront pas partie des décideurs de demain et ils jouent la dernière représentation théâtrale du quartier des conultime partie. damnés à mort. » trilogie de Seuls, toujours l’emprise, t. iii, seuls, affreusement de Marc Dugain, seuls. Comme si les Gallimard, 262 p., sentiments, pareils 19,50 €. à l’oxygène, se raréfiaient en altitude. Tout est brutal dans Ultime partie, et tout est feutré, aussi discret qu’un drone au profil d’oiseau dans le ciel bleu d’Islande où s’est réfugié un ancien dirigeant syndical qui en savait trop. On n’y crie pas. On n’y pleure pas. On n’y supplie pas non plus. En somme, on a le sang froid et le cynisme chevillé au corps. Qu’importe, un écrivain de talent est mille fois plus utile qu’un marchand d’optimisme. p C’est l’histoire d’un ogre qui parsème son chemin de Petits Poucet étripés et mutilés. C’est l’histoire de Joseph Vacher (1869-1898), dit le « Tueur de bergers », serial-killer rural qui commit, entre 1890 et 1897, au fil d’une marche forcée de la Bretagne à l’Ardèche, au moins vingt crimes barbares. Cette figure, cette geste criminelle, définitivement campées par Galabru dans le film de Tavernier Le Juge et l’Assassin (1976), Régis Descott nous les rend urgentes et palpitantes par le recours aux seuls documents d’époque, par l’assemblage d’un grand puzzle juridicojournalistique, qu’émaillent quelques lettres hallucinantes de Vacher lui-même. A l’issue de la lecture, c’est Vacher tout nu, avec son désespoir et sa roublardise, sa folie fauve et sa misère noire, qui nous regarde et nous redit : « Quand cela me prend, il faut que je tue et j’éprouve un grand soulagement. » Glaçant. p françois angelier a Vacher l’Éventreur, de Régis Descott, Grasset, « Ceci n’est pas un fait divers », 274 p., 19 €. Les pays de Durrell Intrépide voyageuse et lectrice subtile, Béatrice Commengé est une enquêtrice minutieuse, qui cherche à découvrir sur le terrain le secret des œuvres qu’elle a aimées. « Jamais je ne me lasse de parcourir des paysages que d’autres vies ont traversés avant moi, laissant parfois la trace de quelques phrases, parfois rien. Peu importe. » Son « voyage à l’envers », sur les pas de Lawrence Durrell, est vertigineux. De l’Inde natale à l’Angleterre abhorrée, de Corfou à Alexandrie, de la « maudite pampa » argentine à Chypre, elle retrace le parcours de l’écrivain cosmopolite : l’amitié avec Henry Miller, les mariages, l’élaboration d’une œuvre qu’il voulait « hors du temps ». L’éblouissante lumière méditerranéenne, l’« alliance de formes, de pierres, de couleurs » et de parfums ont fait naître un chef-d’œuvre, Le Quatuor d’Alexandrie : ce bel essai, infiniment sensible, révèle comment les lieux habités par Durrell recomposent le tableau de sa vie. p monique petillon a Une vie de paysages, de Béatrice Commengé, Verdier, 144 p., 14 €. Critiques | Littérature | 5 0123 Vendredi 15 avril 2016 Stella mène une vie réglée. Un jour, un homme cherche à la rencontrer. De cette trame un peu convenue, la romancière allemande Judith Hermann tire le meilleur Des nouvelles du Caire Les éditions Sindbad/Actes Sud poursuivent la publication de l’œuvre tentaculaire de l’écrivain égyptien Naguib Mahfouz (19112006), Prix Nobel de littérature 1988. La Chambre n° 12 et autres nouvelles a le goût du fabuleux désordre du Caire, l’humour de ses habitants – qui confine souvent à l’absurde – et l’autodérision jubilatoire de l’auteur. On y retrouve la puissance romanesque des portraits de ces Egyptiens, hommes et femmes, maîtres et serviteurs, humbles ou orgueilleux, dont Mahfouz brosse le destin en quelques traits lapidaires, avec le réalisme sans concession qui a fait sa gloire. « Il n’y a pas de héros dans mes livres, seulement des personnages », disait-il. Les lecteurs de Mahfouz s’immergeront aussi dans l’exploration de la folie et dans la veine surréaliste qu’il aimait tant. Ces nouvelles sont en quelque sorte des pages arrachées à son œuvre. Une œuvre à l’énergie inouïe, d’une humanité généreuse, désespérante, parfois cruelle, à l’instar de la ville qui en est le terreau. p Quand l’inconnu frappe à la porte pierre deshusses A u commencement était la peur. Stella a peur. Elle a besoin d’une main qui la rassure. Elle demande à un inconnu, assis à côté d’elle dans l’avion, si elle peut prendre sa main. « C’est ainsi – Stella et Jason se rencontrent dans un avion. » Plusieurs années passent. Stella et Jason habitent ensemble avec leur fille Ava dans un lotissement où s’alignent des maisons presque toutes identiques, avec un jardin entouré d’une haie ou d’une clôture. On pourrait être en Allemagne, en France ou aux Etats-Unis. Après plusieurs volumes de nouvelles, Judith Hermann s’est lancée pour la première fois dans l’écriture d’un roman : « Ce n’est pas l’auteur qui décide de la longueur d’un texte, mais l’histoire », dit-elle au « Monde des livres ». Au début de l’amour est une réussite : virtuosité des demi-teintes et phrases qui éblouissent comme un éclat de soleil renvoyé par une fenêtre claquée par le vent. Stella, infirmière, est employée par un centre social qui la charge de s’occuper à domicile de personnes âgées, irritantes ou attachantes, certaines ayant perdu le sens du temps, d’autres se rappelant chaque instant de leur vie. Jason, lui, travaille sur des chantiers. Il est souvent absent. Cela ne gêne pas outre mesure Stella. Un jour où son mari n’est pas là, un homme sonne au portail du jardin : « Vous ne me connaissez pas. Je vous connais de vue et j’aimerais bien m’entretenir avec vous. Si vous avez le temps », dit-il à au début l’interphone. de l’amour Un inconnu qui veut entrer dans la vie d’une femme ap(Aller Liebe paremment seule : beaucoup Anfang), n’auraient pas résisté à la tende Judith tation d’une intrigue structuHermann, rée par les phases de la séductraduit tion, scandée par les interdits, de l’allemand les transgressions, les jouispar Dominique sances et les folies. Judith Autrand, Hermann donne d’emblée Albin Michel, une tout autre couleur à son « Grandes récit. « Je n’ai pas le temps. Pas traductions », 224 p., 18 €. possible. Vous comprenez ce que je dis ? Nous ne pouvons pas nous entretenir, je n’ai absolument pas le temps, vraiment pas », répond Stella à l’interphone. La force de ce roman, c’est aussi de ne pas introduire par cette dénégation un simple retardement dans la narration pour mieux faire ensuite jaillir la passion. L’héroïne va s’en tenir à cette ligne de conduite, qui va réserver bien plus de surprises qu’une histoire d’adultère. SANS OUBLIER eglal errera a La Chambre n° 12 et CAROLINE CUTAIA/HANS LUCAS Stella n’est ni l’Emma Bovary de Flaubert, ni l’Effi Briest de Theodor Fontane ; les temps ont changé et l’aventure est plus dans la sincérité que dans le mensonge. Entre réel et fantasmes Au fil des jours l’homme revient, toujours avec la même demande, inquiétante. Et Stella fait toujours la même réponse : elle ne veut pas. Loin d’abandonner, l’homme commence alors à déposer dans sa boîte aux lettres des petits mots, des photos, des bouts de ficelle, une clef USB, des CD, jusqu’au jour où il inscrit son nom sur la boîte aux lettres de Stella et Jason, auquel sa femme a depuis longtemps tout révélé ; alors, ce qui unit le couple semble moins relever de la complicité que de la distance. Restreindre cette histoire à un problème de harcèlement reviendrait à réduire la lumière d’une étoile à un phénomène de combustion. « Je n’ai pas ouvert la porte, j’ai reculé, j’ai eu peur. De quoi ? », dira plus tard Stella à Clara, sa meilleure amie. Peur de quoi ? De la liberté que dégage cet inconnu ? De son propre enfermement dans une vie bien réglée, où l’ennui a sa place attitrée ? Comment tout cela a-t-il commencé ? Et pourquoi ? Un jour, Stella rencontre l’inconnu dans un supermarché. Il est là, tout proche. Leurs regards se croisent. Cette scène est la clef du roman, lieu de métamorphose des peurs qui entravent l’amour, à la frontière entre réel et fantasmes où se logent toutes les formes d’amour. Bien des années plus tard, alors que Stella, Jason et Ava ont déménagé, « elle se rappelle ces années dans le lotissement. (…) Elle n’éprouve aucune nostalgie. Ce qui signifie qu’elle pourrait s’en aller de nouveau. Le changement n’est pas une trahison. Et si c’en est une, alors elle n’est pas punie. » Il n’est pas de définition plus nuancée de la liberté sur le chemin de la fidélité à soi-même. p autres nouvelles, de Naguib Mahfouz, traduit de l’arabe (Egypte) par Martine Houssay, Sindbad/Actes Sud, 216 p., 21 €. Grandes puissances EXTRAIT « L’homme au coin se roule à présent une cigarette. Tiens, voilà une chose qu’il a sur lui – du tabac. Il a du tabac et des petites feuilles de papier, qu’il sort de la poche de sa veste. Il roule lentement, avec soin, mais peut-être aussi maladresse, peut-être aussi qu’il tremble, impossible à voir, en tout cas Stella, elle, tremble un peu. Il allume sa cigarette avec un briquet et fume. Cela dure un moment. Stella le regarde fumer. Entre eux le temps s’étire. Elle pense, je devrais détourner les yeux, mais elle est incapable de détourner les yeux. Elle regarde, elle observe, comment il respire. Balance la cigarette sur le trottoir, enfonce les mains dans les poches de son pantalon, s’en va, descend le chemin forestier en direction de la rue principale. Jusqu’à ce qu’il ait disparu : plus tard, elle pensera, c’était déjà trop. » au début de l’amour, page 26 Ce n’est pas Dieu qui régit le monde, ni le diable, mais les services secrets russes et américains. Pourtant, les uns et les autres empruntent parfois la voix du Seigneur ou celle de Satan, et la font résonner dans la tête des dirigeants des deux superpuissances grâce à des émetteurs dissimulés dans des implants dentaires… Dans Dieux et mécanismes, Viktor Pelevine entend montrer comment les Américains ont orchestré la chute de l’URSS ; et les Russes, dicté la désastreuse politique du président Bush, l’invasion de l’Irak, etc. A force d’infiltration réciproque, les agents doubles, triples, quadruples, ne savent plus quel maître ils servent. Fasciné par le bouddhisme, Pelevine ne voit dans le réel qu’une suite d’apparences trompeuses. Pourtant, malgré le brio stylistique du romancier russe, les fantasmes complotistes, manichéens et paranoïaques restent ici d’une gratuité peu convaincante. p elena balzamo a Dieux et mécanismes (Bogi i mehanizmy), de Viktor Pelevine, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain, Alma, 322 p., 19 €. Il était encore une fois en Amérique Le romancier américain T. C. Boyle incarne la violence de son pays à travers trois personnages, marqués par l’aliénation et la culpabilité frédéric potet I l n’est pas fréquent de lire en exergue d’un ouvrage une citation qui résume celui-ci aussi parfaitement : « L’âme américaine est dure, solitaire, stoïque : c’est une tueuse. Elle n’a pas encore été délayée. » On pourrait quasiment arrêter là la lecture des Vrais Durs, le nouveau roman de T. C. Boyle, tant cette phrase de D. H. Lawrence, tirée des Etudes sur la littérature classique américaine, annonce avec précision le propos de l’écrivain californien âgé de 67 ans : plonger dans les racines de la violence, érigée comme principe fondateur des Etats-Unis. Fidèle à son savoir-faire mêlant action et sujets de société (l’écologie, l’immigration…), T. C. Boyle a choisi d’incarner cette thématique à travers trois personnages qui représentent trois visages des aliénations de l’Amérique d’aujourd’hui. Le premier « vrai dur » s’appelle Sten, il a 70 ans, est retraité de l’enseignement et a combattu au Vietnam dans sa jeunesse. Le roman s’ouvre avec le récit d’un voyage d’agrément au Costa Rica où, confronté à l’attaque d’un gang armé, il sauve un groupe de touristes en étranglant mortellement l’un des assaillants. De retour en Californie, l’ancien marine est hissé au rang de héros, ce qui ne va pas sans le perturber. « Du jour au lendemain, il était devenu une célébrité, son histoire puisait dans quelque profond recoin régressif de la psyché américaine (…) On le célébrait non pour une quelconque vertu mais pour un acte de violence qui le tourmentait chaque fois qu’il fermait les yeux. » Mais une autre culpabilité hante le retraité : a-t-il été un bon père avec son fils Adam, les vrais durs 25 ans, dont (The Harder les frasques They Come), répétées n’en T. C. Boyle, finissent pas traduit de l’inquiéde l’anglais ter ? Un autre (Etats-Unis) « dur » que par Bernard cet Adam, Turle, Grasset, ex-camé, ex448 p., 22 €. geek, examateur de rap et de death metal, ex-rasta à dreadlocks ayant rasé son crâne pour se donner un look militaire. Quand il ne dort pas dans la maison de sa défunte grand-mère, Adam vit dans les bois environnants où il s’est construit un « bunker ». Atteint de démence paranoïaque, persuadé d’être la réincarnation de John Colter, un célèbre trappeur qui s’illustra au tournant du XIXe siècle, le jeune marginal voit des « hostiles » et des « aliens » partout. Un fusil d’assaut semi-automatique de fabrication chinoise ne quitte jamais son sac à dos. Repli sur soi Les vertiges de l’amour et du sexe l’arracheront-ils au destin de serial killer auquel T. C. Boyle semble le destiner chapitre après chapitre ? C’est là qu’intervient le troisième personnage : Sara, une femme divorcée sans enfant, de quinze ans plus âgée, vivant seule avec son chien et ayant en haine tout ce qui représente l’Etat fédéral : ses lois, ses flics, son administration… Anarcho-libertaire sans le savoir, Sara a mis le grappin sur Adam. Ces deux-là se neutralisent, mais pour combien de temps ? Adoptant le point de vue de chacun de ses personnages à tour de rôle, T. C. Boyle pénètre au plus profond de leurs angoisses et de leurs contradictions. Tous souffrent de la même incapacité à comprendre l’autre et à maîtriser leurs propres instincts. Sten le premier, lorsque, hésitant à pourchasser en voiture des Mexicains qu’il soupçonne de trafic de drogue, il se décide à y aller : « On était en Amérique, sur son terrain, c’est là qu’il était né et avait grandi, pas un trou du cul du monde dans la jungle Dieu sait où. » Tenu en haleine par des scènes d’action d’anthologie (notamment la course-poursuite d’Indiens Pieds-Noirs assoiffés de sang aux basques de John Colter au cours d’une évocation de la vie mouvementée du trappeur), le lecteur voit se dessiner le portrait d’une Amérique tentée par l’autodéfense individuelle et le repli sur soi. Une Amérique sûre de son fait, qui n’est pas sans rappeler celle dont Donald Trump flatte les pulsions dans sa campagne pour les primaires républicaines. Et que T. C. Boyle parvient à capter, en grand écrivain du réel qu’il est. p 6 | Histoire d’un livre 0123 Vendredi 15 avril 2016 De mère en fille SANS OUBLIER Afin de poursuivre sa chronique familiale tragique, l’auteure belge Isabelle Spaak a enquêté en journaliste et écrit « Une allure folle » en romancière xavier houssin Q uand on a touché le fond, on peut toujours creuser. » L’ironie désabusée de ce proverbe (polonais, paraît-il) correspond bien à Isabelle Spaak. Et à son travail d’écriture. A cette manière de fouiller dans les souvenirs, toujours plus profond. De remuer une histoire familiale dont elle ne se serait peut-être jamais préoccupée si, un samedi de juillet 1981, sa jeunesse n’avait été fracassée. Ce matin-là, à Bruxelles, sa mère, dévorée de jalousie, abattait son père d’un coup de fusil de chasse, avant de se donner la mort en s’électrocutant dans la baignoire avec un fer à repasser. Le fait divers, tragique, avait d’autant plus bouleversé la Belgique que la victime, Fernand Spaak, diplomate, était le chef de cabinet de Gaston Thorn, le président de la Commission européenne, et le fils de Paul-Henri Spaak, grand homme d’Etat belge, considéré comme un des pères de l’Europe. Isabelle avait 20 ans. « Quel étrange fardeau que de porter les actes de sa mère », écrirat-elle vingt ans plus tard, justement, dans un premier livre au titre un rien insolent Ça ne se fait pas (Les Equateurs, 2004). Elle y reprenait les événements de ce lointain été, partait à rebroussetemps, s’arrêtait sur un moment, un sentiment. Le passé s’invitait au présent. Et ces allers-retours, insensiblement, emportaient son récit vers le roman vrai. Peut-être Dans ce nouveau roman, chaque fait énoncé est véritable, les noms le sont aussi, pourtant les protagonistes et leur destin s’évadent de la seule exactitude déjà parce que la réalité de son aventure personnelle ressemblait à une folle fiction, mais aussi que le temps lui offrait enfin un peu de mise à distance et la laissait libre d’une certaine invention. Deux ans après, elle publiait Pas du tout mon genre (Les Equateurs, 2006), où elle déroulait la comédie douce-amère de ses amours, mêlée à ses émotions et à ses découvertes retrouvées d’enfant. Broderie secrète. Lèvres cousues. « Je ne pensais pas y retourner, ditelle. Tout cela était clos pour moi. Je m’étais entièrement consacrée à mon métier de journaliste. J’avais bouclé un livre-enquête sur les pri- En 2017 paraîtra le deuxième opus de la grande saga du XXe siècle commencée par Pierre Lemaitre avec Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013. Peut-être pour faire patienter ses admirateurs – ce roman, bientôt adapté au cinéma, s’est, en effet, vendu à 600 000 exemplaires –, l’écrivain publie Trois jours et une vie, une manière de thriller dans un village de campagne. L’histoire d’Antoine, 12 ans, qui tue d’un violent coup de bâton son ami et voisin âgé de 6 ans et enterre son corps en forêt. Un coup de sang aux effets dévastateurs produisant chez son auteur des remords tenaces. Le crime demeurera impuni et la disparition du garçonnet, inexpliquée. Disons-le, au-delà de la chronique réussie d’une communauté, ce roman déçoit quelque peu par son classicisme et son style, un brin grandiloquent. Celui-ci souligne les émotions, à grand renfort d’épithètes, plutôt que de s’employer à les faire ressentir. Pas déplaisant, pas capital non plus. p macha séry a Trois jours et une vie, de Pierre Lemaitre, Albin Michel, 284 p., 19,80 €. Un grand bol d’air Isabelle Spaak. ÉRIC DESSONS/ « JDD »/SIPA maires socialistes de 2011 [Militants, Stock]. Je ne voulais plus écrire. J’avais très mal vécu ces parutions, entendu des choses terribles de la part de gens qui m’étaient proches. Je n’avais pas compris, parce que, pour moi, ces livres s’inscrivaient dans une démarche d’apaisement et, surtout, je considérais qu’il s’agissait de romans avec des personnages. » Elle revient pourtant aujourd’hui à cette « biofiction » construite en associations, en réminiscences. Nouveau chapitre de sa chronique familiale enchevêtrée, Une allure folle s’attache à la personnalité de sa grand-mère maternelle, Mathilde. Une « cocotte », comme on disait à l’époque, qui, après avoir collectionné les amants fortunés, avait attaché son destin à un millionnaire italien, Armando Farina. Avec lui, elle avait eu une fille, Annie, qu’elle allait élever dans le luxe, mais également dans la solitude et le silence de ses origines, car Armando était marié. Se raconte ainsi l’enfance particulière et la jeunesse de la mère d’Isabelle Spaak, pauvre petite fille riche, que la mauvaise réputation va éclabousser à l’adolescence. « Ce dernier livre a été porté par une urgence absolue. La grande maison à la campagne où se trouvaient presque tous les souvenirs de Mathilde et d’Armando, et ceux de ma mère, allait être mise en vente. Je ne pouvais pas laisser disparaître cela. » La journaliste met EXTRAIT « Maman a seize ans. Elle est trop futile, trop libre. Elle ne devrait pas accepter d’aller boire un verre avec n’importe qui, surtout avec un Monsieur de deux fois son âge. Maman boit du vin rouge et du cognac. Elle est pompette, dévore un demi-homard en tête à tête avec l’animal dans la cuisine carrelée de blanc. Maman a repris ses gammes. Elle annote de ses petits doigts agiles un poème de Verlaine mis en musique par Debussy. Maman échoue à ses examens. Elle promet de s’inscrire en philo, bûche Platon et Aristote. Elle révise son allemand avec un professeur qui met tant de rouge à lèvres qu’elle ressemble à un polichinelle. Elle parle couramment l’anglais et l’italien, fréquente des dandies, danse et rit. Maman aime le foin dans ses cheveux et l’odeur de la pluie sur son manteau de fourrure. » une allure folle, page 117 alors au jour toute une masse d’archives. Elle épluche les lettres, scrute les photos, ouvre les agendas, découvre intacts, sous le papier de soie, le col en renard argenté de Mathilde, ses tenues brodées de strass et de sequins. La layette d’Annie, ses habits d’écolière. Dans une hâte et une émotion fébriles, elle progresse dans la friche des années. « J’ai retrouvé les lieux, le décor de leur histoire. » Une affaire de susception. Un patient travail d’investigation. Mené pas à pas. Les pas dans les pas. « J’ai besoin d’enquêter. Cela correspond à ma façon d’écrire. Mais l’enquête romanesque est faussée. L’aventure de femmes libres et décidées L’ÉLECTROPHONE beugle Rain and Tears, le tube des Aphrodite’s Child. Dans son petit appartement de l’avenue Louise à Bruxelles, Mathilde écoute Demis Roussos en suçotant des pastilles Vichy. C’est une fan. Nous sommes en 1970 et c’est maintenant une vieille dame. Une vieille dame indigne, car on ne se refait pas. Dans la bien-pensante capitale belge du début du XXe siècle, elle avait mené la vie faste et fort peu convenable d’une demi-mondaine que ses amants richissimes couvraient de cadeaux. Puis elle s’était rangée, en quelque sorte, devenant la maîtresse exclusive d’un Crime sans châtiment bel Italien (cousu d’or, bien sûr). Isabelle Spaak est partie à la recherche du destin tapageur de sa grand-mère et du couple fusionnel et tourmenté qu’elle formait avec sa fille, Annie, fruit de ses amours avec son adorateur transalpin. Lourd secret On mène grand train. Elégantes demeures, automobiles de luxe, croisières, palaces. Et, pour Annie, éducation raffinée, car Armando Farina veut le meilleur pour sa fille. Seule ombre au tableau, qui ne cessera de s’étendre, sa naissance illégitime. Un lourd secret caché dans la désinvolture des jours et qui empoisonnera toute l’existence d’Annie. En attendant de lointains dénouements dont on sait qu’ils seront tragiques, chacun joue son rôle. Dans le théâtre de son histoire familiale, Isabelle Spaak s’implique aussi. C’est son regard qui emporte cette aventure de femmes, de courage, d’élégance. Avec Mathilde, qui tient la dragée haute à toute une bonne société bruxelloise qui la jalouse et la déteste. Avec Annie, qui ne fait ni une ni deux pour précipiter sa jeunesse dans la Résistance. Avec leur façon à toutes deux de faire des choix. D’être libres et décidées. Dans Une allure folle, on passe du cocasse au douloureux, de la désinvolture à l’inquiétude. Le livre est touchant à l’extrême. Petit roman des origines, fidèle, sincère et inventé. p x. h. une allure folle, d’Isabelle Spaak, Les Equateurs, 220 p., 17 €. Je m’efforce au fur et à mesure de reconstituer un puzzle, sachant que je me fais quand même une idée de ce à quoi je voudrais qu’il ressemble. Est-ce que, finalement, je ne trouve pas ce que j’ai envie de trouver ? » Sauf que la réalité quelquefois bouscule l’édifice narratif. Comme ce courrier reçu d’Israël qui annonce que sa mère va être honorée à titre posthume du titre de Juste pour avoir caché des enfants juifs pendant l’Occupation. « Qu’avait fait maman précisément ? Je savais qu’elle s’était engagée dans la Résistance. Mais c’était très vague, nous n’en avions jamais parlé. » Dans Une allure folle, chaque fait énoncé est véritable, les noms le sont aussi, pourtant les protagonistes et leur destin s’évadent de la seule exactitude. « Je dois cette approche à Pierre Mertens. Il m’a montré que l’on peut écrire un roman avec des personnages réels en les appelant par leur nom. Ses livres où tout était vrai étaient bien plus des romans pour moi que les autres. Moi qui, enfant, me réfugiais dans la lecture et qui croyais que la fiction était la vie, j’ai réalisé que c’était la vie qui était de la fiction. » Compte-t-elle continuer à creuser ? « Je fouille dans le passé, mais j’aime mon présent. Mes enfants, ma petite-fille. Tous ces personnages romanesques de ma famille sont morts. Je leur ai rendu peutêtre de la dignité. De la légèreté, de la fantaisie aussi. Après… heureusement qu’il ne reste plus rien. » p « Les mots appartiennent à l’homme qui marche », écrit René Frégni, flâneur invétéré arpentant les alentours de Manosque sur les traces estompées de Giono. Ce récit tramé d’anecdotes est porté par le formidable bol d’air qui l’ouvre : le tribunal a relaxé Frégni après « dix ans de harcèlement, d’humiliations, d’interrogatoires, de perquisitions », à la suite d’une affaire de blanchiment à laquelle il était malencontreusement mêlé et qu’il a racontée dans Tu tomberas avec la nuit (Gallimard, 2008). L’auteur goûte la vie à pleines phrases, avançant d’un bon pas, jonglant avec les souvenirs à écrire, sans dédaigner les plaisirs éphémères : les silences d’une femme aimée, les odeurs de l’automne… On le suit sans effort, et l’on respire, au rythme de rencontres pleines d’empathie avec des marginaux de tout poil ; on lira ainsi un beau portrait de Joël Gattefossé, le créateur de la mythique librairie de Banon, Le Bleuet : un homme volant de ses propres rêves qu’ont terrassé les créanciers. p bertrand leclair a Je me souviens de tous vos rêves, de René Frégni, Gallimard, 150 p., 14 €. Dossier rouge Plus de vingt-cinq ans après La Chanteuse russe (1988, Gaïa, 1999), Leif Davidsen revient à ses amours soviétiques. Ce pseudo-thriller se déroule moitié dans le présent, moitié dans les années 1970, en pleine torpeur brejnévienne. Le héros, M. Météo de la télévision danoise, devenu enquêteur malgré lui, cherche à élucider le meurtre de son frère, proche du patriarche russe, ainsi que la mort de celui-ci à Moscou. On assiste à la lente progression de l’enquête et surtout on découvre que, malgré la rupture constituée par la désagrégation de l’URSS, les vraies causes de la situation actuelle se trouvent dans un passé plus lointain, et que les anciennes forces sont toujours à l’œuvre… Une peinture sans complaisance des ceux qui se déchirent pour se répartir le « gâteau-Russie », des deux côtés de l’ancien rideau de fer. p elena balzamo a La Mort accidentelle du patriarche (Patriarkens hændelige død), de Leif Davidsen, traduit du danois par Monique Christiansen, Gaïa, 508 p., 24 €. Critiques | Essais | 7 0123 Vendredi 15 avril 2016 La table de Peutinger (XIIIe siècle). DEA/R. BAZZANO/DE SANS OUBLIER AGOSTINI/GETTY IMAGES Un « pacifiste actif » Parce qu’il ne porte pas une auréole de « radicalité », Norberto Bobbio (1910-2004) est moins connu en France que d’autres philosophes italiens, tel Giorgio Agamben. Il s’agit pourtant d’un des intellectuels européens majeurs du XXe siècle. Venu de l’antifascisme, protagoniste d’une gauche non communiste, Bobbio a accordé dans son œuvre protéiforme une place centrale aux relations internationales. Comme le montre cette excellente étude, son apport y reste éclairant, même s’il s’inscrit dans le contexte de la guerre froide. Marqué par les carnages de deux guerres mondiales et l’avènement de l’âge atomique, il considère que la philosophie des relations internationales est à repenser face au risque d’une autodestruction de l’humanité. Aussi refuse-t-il la théorie dite « réaliste » de l’équilibre de la terreur. Partisan d’un « pacifisme actif », il prône une sortie de l’état de nature entre Etats-nations, par la construction d’un « super-Etat » fédéral mondial. Ce projet suppose une philosophie de l’histoire, inspirée de Kant, fondée sur les progrès de la liberté, de l’égalité et des droits de l’homme. p serge audier étienne anheim S i les récents débats à propos de la dénomination des nouvelles régions françaises ont bien mis en valeur le caractère arbitraire de la loi de 2015, il faut mesurer la profondeur de la mutation spatiale dont elle participe, même avec maladresse. Le fameux « millefeuille administratif français », souvent dénoncé, est le résultat non seulement d’une géographie historique, mais aussi d’une historicité de la perception et des pratiques de l’espace. Cette question, longtemps restée un angle mort de la recherche des historiens, est justement mise au centre du nouveau livre du médiéviste Florian Mazel. Il montre à la fois comment le rapport des sociétés médiévales à l’espace diffère profondément du nôtre et comment ce dernier en est tout de même le fruit paradoxal. Consacré à la figure de l’évêque et à son territoire, le diocèse, il s’inscrit dans une chronologie longue, du Ve au XIIIe siècle. L’échelle d’analyse varie, l’ouvrage tentant de saisir l’évolution globale de l’Europe occidentale tout en étudiant plus précisément deux ensembles régionaux, la Provence et la région de l’Anjou et du Maine. Il débute avec la conversion au christianisme du monde romain, lorsque les évêques prennent en main le réseau urbain issu de la romanité. La civitas devient le lieu d’exercice du pouvoir épiscopal, ce qui a créé un malentendu historiographique de longue durée, laissant penser que l’Eglise se substituait à la puissance publique antique et reprenait à son compte l’administration territoriale organisée autour des cités. Florian Mazel montre qu’il n’en est rien. Un nouveau rapport de la société à l’espace se construit sur les décombres de l’Empire romain, alors que l’Eglise abandonne le cadre fiscal propre à l’espace antique. Entre le Ve et le Xe siècle, le pouvoir de l’évêque ne s’exerce pas sur un « territoire » continu, homogène et délimité, mais sur un assemblage de lieux, de personnes et de reliques. Puis, au tournant des XIe et XIIe siècles, avec la réforme dite « grégorienne », l’Eglise, qui commence à se penser comme une administration centralisée, se transforme profondément. Elle Au cœur du Moyen Age, l’Eglise invente une nouvelle forme de souveraineté, fondée sur l’emprise spatiale des fidèles. Elle inspirera durablement les Etats monarchiques La charte et le territoire donne alors naissance à une organisation spatiale en des circonscriptions territoriales emboîtées les unes dans les autres. Le diocèse, comme la paroisse, qui étaient d’abord des communautés, deviennent des territoires au sens moderne, c’est-à-dire Cette histoire des diocèses médiévaux dévoile la généalogie de nos passions contemporaines pour les frontières et les identités des espaces sur lesquels se projette une institution, selon la définition de Max Weber. Ce façonnage, dont Florian Mazel reconstitue le processus avec une netteté admirable, est un phénomène majeur dans l’histoire de l’Europe au Moyen Age. L’essor du pouvoir juridictionnel de l’Eglise, le développement des pratiques de délimitation et de subdivision du territoire, l’usage d’écritures administratives et la naissance d’une mémoire locale qui s’invente une emprise spatiale contribuent à la genèse de cette institution imaginaire qu’est le diocèse. La fiscalité – en particulier la dîme – et la justice constituent des leviers puissants de l’action ecclésiale, qui préfigure celle des Etats monarchiques et seigneuriaux de la fin du Moyen Age en modelant les communautés à l’échelle locale. Le diocèse se révèle être ainsi, comme le cimetière et l’église, récemment étudiés par Michel Lauwers et Dominique IognaPrat, l’un des lieux de l’écriture d’une nouvelle histoire de l’Eglise médiévale qui n’a plus rien de « religieux », au sens que le terme a pris depuis le XVIIIe siècle, mais concerne l’ensemble de l’ordre social. Parvenue à maturité, cette historiographie propose désormais une relecture globale du Moyen Age par une nouvelle périodisation, dont la ligne de partage est l’événement central de la réforme grégorienne. Elle pose aussi de nouvelles questions, comme celle de la place des laïcs et de leurs institutions territoriales dans ce récit. Elle of- l’évêque fre, enfin, une pers- et le territoire. pective de longue l’invention durée sur les rap- médiévale ports entre espace et de l’espace société. Les formes (ve-xiiie siècle), étatiques de l’Europe de Florian Mazel, moderne reposent Seuil, « L’univers sur l’articulation en- historique », tre une commu- 544 p., 27 €. nauté et un territoire. Ce qui nous paraît aujourd’hui naturel se révèle en réalité une construction, née en partie de ces diocèses médiévaux et, plus largement, de l’espace ecclésial. Se dévoile ainsi la généalogie de nos passions contemporaines pour les frontières et les identités, qu’il s’agisse de réforme territoriale ou d’union européenne : c’est une belle leçon d’histoire et de géographie. p a Norberto Bobbio et la question internationale, par Jean-Baptiste Le Bohec, Presses universitaires de Rennes, 402 p., 22 €. Précis d’humanisme « Se désenvoûter du savoir, se désenvoûter du besoin et se présenter nu : c’est également cela que nous enseigne la philosophie. » Pareille volonté de réfléchir sans artifice préside à ce livre bref et dépouillé, dont l’apparente simplicité ne doit pas masquer l’acuité. Valérie Charolles plaide pour une prise en compte renouvelée des passions, dans la pensée comme dans l’éthique, en distinguant passions désormais libérées (amour, sexualité), récemment apparues (consommation, par exemple), en mutation (tel l’honneur). Elle confronte ces affects aux acquis récents, souvent mal compris, des sciences cognitives et s’oppose à leur « réductionnisme ». Le parcours débouche sur cinq « règles pour la direction de la vie », qui impliquent un « désenchantement du politique » et l’élaboration d’un « nouvel humanisme ». Souvent bien vu et finement formulé, ce manifeste pâtit de la disparité entre l’ampleur de son propos et la concision de ses analyses. p roger-pol droit a Les Qualités de l’homme. Manifeste, de Valérie Charolles, Fayard, 160 p., 15 €. Les historiens aux trousses de la police Un ouvrage collectif éclaire l’histoire, la sociologie, la formation et les méthodes des forces de l’ordre depuis la Révolution pierre karila-cohen B ien avant que les Français se mettent à embrasser des policiers dans la rue dans l’émotion consécutive aux attentats de janvier 2015, les historiens ont saisi les forces de l’ordre comme objet d’étude au point qu’il s’agit actuellement de l’un des champs historiographiques les plus dynamiques en France et même en Europe. On revient pourtant de loin : jusqu’à la fin des années 1990, à l’exception de rares études pionnières comme celles de Jean-Marc Berlière, la police et la gendarmerie suscitaient au mieux l’indifférence et constituaient bien souvent aux yeux des universitaires des objets « sales » associés à l’idée d’une répression sans visage et d’une éternelle violence d’État. Depuis, les études d’histoire sociale et culturelle des forces de l’ordre se sont multipliées, produisant à propos d’un temps long qui démarre au minimum au XVIIIe siècle de très nombreuses connaissances sur la sociologie des professionnel (le)s de police, leurs pratiques, leurs relations aux populations et leurs représentations, aussi bien en Europe qu’ailleurs dans le monde et notamment dans les colonies, une des sous-branches les plus en vogue actuellement de cette féconde historiographie. L’ouvrage que dirigent Jean-Noël Luc et Arnaud-Dominique Houte sur les gendarmeries dans le monde de la Révolution à nos jours constitue l’une des illustrations de ce tournant policier de l’historiographie française, si l’on peut dire. Il se place surtout dans la continuité de deux autres ouvrages, parus aux Presses de l’université Paris-Sorbonne en 2002 (Gendarmerie, Etat et société au XIXe siècle) et en 2009 (Soldats de la loi. La Gendarmerie au XXe siècle), sous la direction du seul JeanNoël Luc, infatigable maître d’œuvre depuis une quinzaine d’années des premières études véritablement scientifiques sur l’histoire de la gendarmerie. Un métier pluriel Dans le monde très divers des polices, où se côtoient depuis plus de trois siècles amateurs et professionnels, hauts fonctionnaires et petites mains, la gendarmerie, force de statut militaire mais aux missions essentiellement civiles en temps de paix, occupe une place originale. Voici que l’on doit en outre désormais évoquer les gendarmeries au pluriel, puisqu’elles sont présentes dans une centaine de pays : cet ouvrage collectif, encore une fois pionnier, nous transporte du Mexi- que à la Syrie, du Cameroun au Brésil, de l’Iran à la Belgique, et bien d’autres pays encore, en couvrant un large spectre chronologique, énoncé dans le titre, de la fin du XVIIIe siècle à nos jours. A travers ces études, il est essentiellement question de la construction des Etats-nations, aussi bien en Europe au XIXe siècle que dans les jeunes nations décolonisées de la seconde moitié du XXe siècle qui récupèrent l’une des structures de l’ordre du colonisateur. Il est largement question de circulations internationales de « modèles » de gendarmerie, dans laquelle la France joue depuis deux siècles un rôle central, même si, scène improbable, ce sont des instructeurs danois qui formèrent les premiers gendarmes du Siam (l’actuelle Thaïlande), à la fin du XIXe siècle. Mais on croise aussi des déserteurs, des braconniers et des voleurs, et l’on voit la gendarmerie tantôt épouser l’ordre démocratique, tantôt devenir la milice pré- torienne de grands propriétaires terriens évinçant les paysans les plus pauvres. Pluriel dans chaque cadre national, le métier de gendarme qu’Arnaud-Dominique Houte avait étudié dans le cas de la France du XIXe siècle apparaît également bien divers à l’échelle internationale. Les gendarmes qui vous surveillent au bord des routes ont une histoire, assurément, et cet ouvrage peut déjà être rangé parmi les études de référence sur le sujet. p les gendarmeries dans le monde de la révolution française à nos jours, dirigé par Arnaud-Dominique Houte et Jean-Noël Luc, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 414 p., 28 €. Signalons aussi la parution en poche de La Police des mœurs, de Jean-Marc Berlière, Perrin, « Tempus », 288 p., 8,50 €. 8 | Chroniques 0123 Vendredi 15 avril 2016 Impostures ON REPREND PIERRE MICHON écrivain sans goût, ni bien ni mal écrite, même pas écrite du tout, désécrite, rédigée plutôt » ? Par inculture ou par lâcheté, le romancier renonce désormais à se confronter aux grands textes classiques, il prétend faire table rase et tout réinventer : d’abord, donc, l’eau tiède et le lieu commun. La littérature, nous dit l’auteur, « s’est moins proustisée que célinisée » (ces malencontreux néologismes, attention, pourraient lui donner raison à ses dépens), l’oralité, le lâcher-prise émotif ont pris l’avantage sur une écriture travaillée par la mémoire et le génie de la langue qui offrait « une vision du monde par sa forme ». C’est aussi que le roman ne croit plus en sa propre force de pénétration et se contente souvent d’enregistrer les histoires que la vie nous raconte, comme en LE FEUILLETON D’ÉRIC CHEVILLARD écrivain POUR RÉGLER les litiges, veiller à la bonne application du code de déontologie, sanctionner les contrevenants et éliminer les brebis galeuses, les médecins ont leur conseil de l’ordre, les avocats le barreau, la plupart des corps de métier s’en remettent ainsi à des instances créées en leur sein pour garantir la qualité des services, mais les littérateurs ? Quelle sourcilleuse délégation d’écrivains se chargera de rappeler à l’ordre le confrère plagiaire, de mettre à l’amende le gâcheur de papier, d’exclure le faiseur mercantile et d’interdire de tout exercice scriptural et autres activités manuscrites afférentes les innombrables barbouilleurs d’inepties, les abrutisseurs de masses et les cyniques crapules qui nous enjôlent avec leur sourire télégénique et nous vendent cette pâte dentifrice pour de la littérature ? Un tel organe de régulation interne reste à inventer. Quelquefois, pourtant, un écrivain sort des rangs et livre son analyse de la situation. Il convient avant tout de saluer son courage. Car il s’avance seul en terrain découvert, s’exposant aux représailles et aux vindictes. Il adopte de surcroît la posture du juge et assume ce faisant le risque de passer pour un cuistre arrogant, amer et jaloux. On connaît la rengaine, elle nous endort plus vite qu’une berceuse. Philippe Vilain ne manque donc pas de cran, qui publie aujourd’hui La Littérature sans idéal, un état des lieux du roman alliant la rigueur de l’essai à la vigueur du pamphlet. Cependant, pour se couvrir peut-être malgré tout, Philippe Vilain cite peu de noms et presque toujours alors au sein d’énumérations où ils se dissolvent. On peut le regretter, car si nous voyons bien l’arme, la cible se dérobe parfois. Cette réserve faite, nous ferons profit des analyses sagaces et solidement argumentées de l’auteur, lequel a d’ailleurs l’honnêteté de porter aussi son regard critique sur les limites de l’autofiction, genre dont il est l’un des représentants. Très vite, Philippe Vilain veille à prendre ses distances avec ce « pessimisme antimoderne » qui anime la plupart des contempteurs de la littérature contemporaine. Difficile de lui donner tort, pourtant, quand il déplore, d’une part, le discrédit touchant la notion de style et, d’autre part, la soumission du roman à l’ordre du réel au détriment d’une expérience de conscience plus radicale, Philippe Vilain ne manque pas de cran, qui publie un état des lieux alliant la rigueur de l’essai à la vigueur du pamphlet JEAN-FRANÇOIS MARTIN poétique, abrupte, désaliénante, laquelle, pour être un effet d’art, n’en puise pas moins dans les forces vives de la langue. Le style, d’abord, défini ici comme la « forme d’expression accomplie qui permet la synthèse de la maîtrise technique et de l’expression d’une personnalité », doit être, selon Philippe Vilain, l’idéal de la littérature, son « aspiration immanente ». Or à quoi assistons-nous, en dépit de quelques contre-exemples (notre propre liste ne recouperait pas exactement celle de l’auteur, mais qu’importe), sinon au « bavardage d’une littérature sans nécessité, la littérature sans idéal, de Philippe Vilain, Grasset, 162 p., 16 €. témoigne le succès de l’autofiction et de la biofiction. Dans la première, Philippe Vilain voit une « selfication des esprits » typique de notre « époque narcissique ». La biofiction, quant à elle, finit par ressembler à « une pige de magazine people », demeure soumise comme le docufiction aux « discours périphériques » et semble naître moins d’un impérieux besoin d’écrire que des injonctions, non moins fermes il est vrai, de la paresse et de la vénalité. La rapidité avec laquelle les romanciers fondent sur les faits divers (les vautours devancés n’auront plus rien à becqueter) est édifiante. Voici « une matrice revisitable où chaque auteur peut faire un reportage de circonstance », avec « des héros prêts à l’emploi, déjà écrits par la vie ». Puis il faut satisfaire le lecteur avide de divertissement et de romans qui le bercent comme des feuilletons télévisés. Philippe Vilain n’hésite pas à secouer ce dernier. Si les écrivains lui servent de la soupe, c’est aussi parce qu’il leur tend son bol. Ce qu’il veut, « ce n’est pas connaître, mais reconnaître ». Un livre intéressant n’est-il pas pourtant celui qui suscite d’abord le désarroi ? C’est une météorite qui ne trouvera sa place dans le monde qu’en y faisant son trou : un cratère. Mais cet écrivain fauteur de troubles, plus personne ne veut de lui, aussi disparaît-il dans les marges. Il délaisse le roman pour des écritures moins assujetties au système marchand. Il abandonne la place aux imposteurs. p Oncle Picsou rencontre Sénèque FIGURES LIBRES ROGER-POL DROIT L’ARGENT est bien plus que la monnaie. Celle-ci mobilise les économistes, analysant ses fluctuations, son statut, ses ajustements techniques. L’argent, au contraire, concerne tout le monde, engage une multitude de registres. Chacun l’aime, le déteste, ou prétend le détester. Chacun, surtout, le juge, raisonne et déraisonne à son sujet. C’est donc une notion superbement hybride, à la fois omniprésente et opaque, combinant affects et calculs, imaginaire collectif et choix personnels, jugements moraux et pragmatisme. On lui attribue tous les pouvoirs, de manière souvent excessive. On le rend responsable de tous les maux, de façon fréquemment dé- mesurée. Au lieu de dire, à son propos, tout et son contraire, mieux vaudrait porter un regard équilibré sur ses pièges et ses bienfaits. Tel est le projet de Pascal Bruckner dans son nouvel essai, La Sagesse de l’argent, titre volontairement provocateur. Car, en un temps où domine la dénonciation continue des dérives et la sagesse de l’argent, délires du système de Pascal Bruckner, financier mondial, Grasset, 320 p., 20 €. il faut vouloir être à contre-courant pour rappeler que l’argent n’est pas forcément sale, et qu’il peut même être sage, sécurisant et avisé. Brave canard bling-bling Il est vrai que l’essayiste s’est fait une spécialité des contre-pieds, en combattant par exemple les effets pervers de la culpabilité occidentale (Les Sanglots de l’homme blanc, Seuil, 1983) ou ceux de l’obsession du bonheur (L’Euphorie perpétuelle, Grasset, 2000). Malgré tout, en plein raz-de-marée des « Panama papers », il peut sembler culotté de lancer une bouée de secours à Oncle Picsou. Ce n’est pas exactement le projet de Bruckner. Si Oncle Picsou lui est plutôt sympathique, c’est au contraire parce qu’il ne dissimule rien et jouit, sans vergogne ni paravent, de sa piscine de gros sous, en brave canard bling-bling et candide. En fait, il s’agirait – je construis ce raccourci pour faire image – de faire se rencontrer Oncle Picsou et Sénèque. Le stoïcien envisageait en effet que le philosophe puisse être riche, à condition qu’il ne soit pas attaché à sa fortune. Il faut donc comprendre comment l’argent contient, mais aussi exige, une forme de sagesse pratique. Elaborer une théorie, une « philosophie de l’argent », dans le sillage ouvert en 1900 par le livre de Georg Simmel, n’est pas le but. Le parcours proposé, cultivé et plaisant, d’Aristophane à nos jours, n’ignore rien des conceptions de l’argent de Platon, d’Aristote ou de Bossuet. Il revisite les approches opposées des catholiques et des protestants, confronte Voltaire et Rousseau, compare franchise américaine et duplicité française. Il débouche sur des évidences que l’air du temps a oubliées : être riche n’est pas un certificat d’immoralité, être pauvre n’est pas une garantie de vertueux mérite. La sagesse se tiendrait alors dans le bon usage de l’argent, fait de juste distance et de régulation bien tempérée. Pascal Bruckner peut donc jouer sur deux tableaux. Aux grincheux, ascètes envieux, contempteurs de toute aisance matérielle et de tout appât du gain, il rappelle que l’appétit de lucre est sain et qu’avoir un peu de bien ne fait pas de mal. Aux goinfres insatiables et truqueurs, il oppose un retour aux fondamentaux du capitalisme : investissements productifs, bel ouvrage, articulation de la réussite et du bien commun. Admettons qu’il y ait là du simple bon sens. Reste à savoir s’il est efficace quand l’argent, mondialement, est devenu fou. p Simple comme un piège C’EST À VÉRONE, dans la perfide Italie de Machiavel et du pape. En été. Il y a une alouette le jour et un rossignol la nuit ; des bals, des mises en terre ; des épées prestes aux mains de jeunes emportés, car la noblesse est excès ; le ciel, ici bas, sous forme d’une toute jeune fille ; l’immensité de nos désirs et la nullité de nos moyens ; et tout le branle-bas de l’imagerie du monde, saisons, étoiles et lunes, leur diversité sans fin dans le même : on les surcharge de sens, mais elles ne signifient rien. Une précipitation des hommes, des actes, des hasards. Une grande hâte à aller au pire. Pour l’histoire, tout le monde la connaît. C’est dans Shakespeare, qui a pour tâche de divertir le peuple et la reine. « Le jour est-il si jeune ? » Mais oui. C’est le premier coup de foudre de l’Occident, avec libre choix de part et d’autre, sans philtre ni magie. Réciproque, consenti, consommé. Le choix d’objet instantané et foudroyant – pas même un choix, puisqu’il n’y a pas d’alternative. L’amour fou vient à l’Occident dans un bal chez les Capulet de Vérone, vu des brumes de la Tamise. Cette scène du bal, que chacun se croit depuis tenu de rejouer au moins une fois dans sa vie, est réglée comme une Annonciation italienne. Il la voit. Elle pend à l’oreille de la nuit. C’est la beauté en personne, et incarnata est. Il marche vers elle. « Bon pèlerin », dit-elle. A peine lui fait-on la cour, tout est donné. Elle veut. L’amour leur souffle les mots justes et beaux. Ils sont ange l’un à l’autre, ils voient l’autre tel que Dieu le voit. L’autre existe absolument, il n’y en a qu’un et c’est celui-là. Le souverain bien est de ce monde. Bons pèlerins ! Un regard, un pas, des mots en accord parfait, deux mains, deux bouches. C’est tout simple. Comme cette simplicité est reposante. Juvénilité de la douleur Simple comme un piège : on épouse, on déflore, et déjà chante l’alouette. Ils ont eu ce qu’ils voulaient, on n’a plus qu’à marcher au pire, car ce qu’on veut est par nature interdit. La loi est sénile. On a vu et touché la seule chose qui vaille en ce monde, et puis on ne voit plus rien. Adieu. « Ces plaisirs violents ont des fins violentes. » L’amour est un dit obscène qui fait s’attendrir les vieilles, un rentrededans à l’usage des valets. Le bon partenaire, c’est la mort. Il n’y a plus qu’à se ruer d’un imbroglio dans un malentendu, louer des chevaux, acheter à un gueux une mixture noire, galoper de nuit et sortir de cette chair lasse du monde. « Come death, and welcome. » « Mais ces vieilles gens ! Beaucoup font semblant d’être morts, inertes, lents, lourds et pâles comme le plomb. » Ce n’est pas à eux qu’est dédiée cette jolie édition en Folioplus, ornée d’un petit tableau de Delacroix où ce qui frappe, c’est la juvénilité de la douleur, du deuil, de la mort. Le lecteur jeune l’entendra. Mais être lecteur de Shakespeare, comme nous le sommes tous, est une sorte d’hérésie ou de déchéance. Car cela n’a pas été écrit pour qu’on s’en délecte dans le silence, la solitude ; mais pour qu’une foule mélangée y communie dans les mêmes rires, les mêmes larmes : dans un théâtre populaire. On relève la tête du livre, on entend comme des larmes. Des fantômes de larmes. Les vraies furent versées à Londres, vers 1595. p roméo et juliette (Romeo and Juliet), de William Shakespeare, Folioplus, « Classiques », traduit de l’anglais par Jean- Michel Déprats, dossier par Mériam Korichi, lecture d’image par Juliette Bertron, 272 p., 3,50 €. Les écrivains Sabri Louatah, Pierre Michon, Véronique Ovaldé et l’écrivain et cinéaste Christophe Honoré tiennent ici à tour de rôle une chronique. C'est d'actualité | 9 0123 Vendredi 15 avril 2016 L’Ecole des loisirs en crise L’Ecole des loisirs, maison de littérature jeunesse qui a fêté, en 2015, son cinquantième anniversaire, traverse une grave crise interne. En cause, la politique menée depuis plusieurs mois par Arthur Hubschmid, le directeur éditorial. « Livres déprogrammés, refus brutaux de manuscrits, manque de dialogue avec la direction éditoriale », tels sont les reproches adressés par Alice de Poncheville, dans le blog collectif La Ficelle, qu’elle a lancé le 5 avril, avec d’autres auteures maison, telles Claire Castillon et Fanny Chiarello. Alice de Poncheville, qui a publié 14 romans en quinze ans à l’Ecole des loisirs, s’est vu signifier en onze minutes l’arrêt de toute collaboration. Les mots des salauds arment les bras des imbéciles” charles dantzig, écrivain Le numéro 2 de la revue annuelle Le Courage (Grasset, 448 p., 28 €), que dirige Charles Dantzig, s’ouvre sur une intéressante « typologie des salauds ». Dans cet « essai à plusieurs » (Lucien Bodard, Sandrine Treiner, Karl Ove Knausgard, Clémentine Mélois, etc.), on lira des textes sur des figures aussi diverses que Patrice de Mac-Mahon, Mehmet Talaat Pacha, Anders Breivik, George W. Bush ou Vladimir Poutine. Bulles coincées Shakespeare exhumé La ministre de la culture a confié à Jacques Renard, énarque de 67 ans, le rôle de médiateur entre les professionnels impliqués dans le Festival de la bande dessinée d’Angoulême. Auteurs et éditeurs menaçaient, en effet, de boycotter l’édition 2017 après la polémique soulevée par l’absence de femmes parmi les auteurs en lice pour le grand prix, tandis que le maire Xavier Bonnefont (LR), projetait, en cas de statu quo, de diminuer les subventions accordées à la manifestation phare du 9e art. Jusqu’au 30 octobre, le Mount Stuart, manoir néogothique situé dans l’île de Bute, en Ecosse, expose au public le « First Folio » de Shakespeare, une collection comprenant 36 pièces publiées en 1623 et récemment découverte. Authentifié, ce très rare exemplaire appartenait à Isaac Reed, qui exerça la profession d’éditeur à Londres au XVIIIe siècle. Cette exhumation exceptionnelle intervient alors que le Royaume-Uni célèbre cette année les 400 ans de la mort de l’écrivain. COLLECTION Près de vingt ans après la disparition du mensuel culte «(A suivre)», Casterman lance un semestriel associant grands noms et auteurs en devenir et privilégiant les formats courts Pandora sort de sa boîte REVUE Le mariage, ça émancipe frédéric potet U ne ville du Texas, un film d’Albert Lewin avec Ava Gardner, une nouvelle de Gérard de Nerval, un épisode de la série américaine « Smallville » ou encore un navire britannique ayant coulé au large de l’Australie au XVIIIe siècle portent le nom de « Pandora ». On n’attribuera pas forcément la palme de l’originalité à la maison d’édition Casterman pour avoir baptisé ainsi sa nouvelle revue de bande dessinée. A deux petites nuances près. Primo, Pandora est aussi le nom d’un personnage d’Hugo Pratt, apparu dans la première histoire de Corto Maltese (La Ballade de la mer salée, 1975), série phare de Casterman. Secundo, Pandora est un dérivé de Pandore, la première femme dans la mythologie grecque : trois mois après l’affaire des soupçons de sexisme autour du Festival d’Angoulême, le choix de ce titre a valeur de symbole, même s’il fut décidé en amont de la polémique. Presque vingt ans après la disparition d’(A suivre), revue culte de l’histoire de la bande dessinée créée en 1978 par Casterman, qui dynamita les codes de la narration graphique, cette nouvelle publication n’a pas grand-chose à voir avec sa glorieuse aînée. « C’est même plutôt l’anti-(A suivre) », souligne Benoît Mouchart, le directeur éditorial BD de Casterman. Autant (A suivre) faisait la part belle aux récits longs, autant Pandora n’est composée que d’histoires courtes – de 1 à 20 pages. Son rythme de publication interdit par ailleurs toute comparaison : deux numéros de Pandora sortiront chaque année, alors qu’(A suivre) était un mensuel. Cette prédilection pour les récits courts répond en tout cas à un besoin palpable : diversifier les formats alors que le succès du roman graphique a généralisé, ces dernières années, les histoires au long cours. « J’ai entendu beaucoup d’auteurs, et notamment de kant. que pouvonsnous savoir et que devons-nous faire ? de la morale et la connaissance « Apprendre à philosopher » (une collection « Le Monde »), vol. 6, 156 p., 9, 99 €, en kiosque depuis le 13 avril. Extrait de « Dans notre Eden », d’Eleanor Davis, in « Pandora », 1. CASTERMAN “grands” auteurs comme Tardi ou Bilal, dire qu’ils avaient des idées d’histoires de 5 ou 6 pages mais qu’ils n’avaient pas d’endroit pour les publier, raconte Benoît Mouchart. Une rencontre avec Art Spiegelman [le créateur de Maus] à New Art Spiegelman figure au sommaire de ce numéro 1, tout comme Katsuhiro Otomo, autre star planétaire du 9e art, récemment célébré à Angoulême York a fini de me convaincre lorsqu’il m’a expliqué que le roman graphique était devenu le nouvel académisme, et que les formats courts étaient tombés dans l’oubli. » Spiegelman figure au sommaire du numéro 1 de Pandora, tout comme Katsuhiro Otomo (le père d’Akira), autre star planétaire du 9e art récemment célébrée à Angoulême. Si leurs contributions ont déjà été publiées dans leurs pays respectifs, les autres histoires de la revue ont été créées spécialement pour elle. Blutch, Jean-Claude Götting, Lorenzo Mattotti, Loustal, Brecht Evens, Bastien Vivès, Christian Rossi, Florence Dupré la Tour, Johan De Moor ou encore Michel Pirus composent également un casting qui se veut à la fois éclectique et international. « L’idée est de mêler des auteurs confirmés et des auteurs en devenir, poursuit le rédacteur en chef. Pandora ne sera pas un laboratoire mais un espace donnant la possibilité à des auteurs de prendre un risque thématique ou graphique, en marge de ce qu’ils font habituellement. » Tirée à 14 000 exemplaires, vendue 18 euros et proposant 27 récits, Pandora entend également surfer sur la vague des MOOC, ces trimestriels hybrides (mi-magazine, mi-book) vendus uniquement en librairie (sur le modèle de la revue pionnière XXI). Placée sous l’égide d’un des principaux éditeurs de bande dessinée francophone, Pandora n’est toutefois pas la seule à occuper ce terrain. Plusieurs éditeurs indépendants ont devancé le mouvement, comme L’Association avec Lapin et 6 Pieds sous terre avec Jade, ou plus récemment Cornélius et Les Requins Marteaux avec Nicole et Franky, deux revues publiées en alternance. Pour Benoît Mouchart, ce regain d’intérêt pour les histoires courtes signe également le retour en force des fondamentaux de la bande dessinée : « Camper des personnages, planter une atmosphère, pousser l’ellipse à son maximum, tout cela en quelques pages. » Tout un art. p POUR CHACUN ET POUR TOUS, le mariage continue d’être désirable. Afin d’expliquer cela, on peut se tourner vers Kant, qui donne du mariage une définition inattendue. Le mariage, affirme-t-il, c’est l’acte par lequel deux personnes s’accordent la propriété réciproque de leurs organes sexuels. Aussi prosaïque soit-elle, cette définition souligne en réalité la dimension émancipatrice du mariage : là où il y avait domination unilatérale, cet acte rétablit de l’égalité et de la réciprocité. Parce qu’il instaure entre les époux un « rapport d’égalité dans la possession », le mariage transforme la jouissance charnelle en expérience morale. En effet, ce qui caractérise l’acte moral, selon Kant, c’est qu’il traite autrui non pas comme un moyen mais comme une fin. Un outil de dignité Dans notre monde rongé par les inégalités, on comprend que le mariage redevienne un outil de dignité pour les plus vulnérables. Aux femmes, aux hommes qui vivent la relation sexuelle comme un rapport de force, il donne cet espoir : face à ceux qui traitent leur semblable comme un moyen parce qu’ils en ont, eux, les moyens, le contrat matrimonial permet de se faire respecter, au moins un minimum. Par la grâce du mariage, les dominés peuvent posséder les dominants à l’instant même de s’offrir à eux. Quand les puissants tentent de leur mettre la main dessus, ils leur passent la bague au doigt. p Jean Birnbaum Le chemin québécois de Jack Kerouac Le Boréal publie des inédits francophones de l’auteur de «Sur la route». S’y révèle un attachement profond pour le Québec et pour sa langue V ERSION ORIGINALE marc-olivier bherer L’ événement était attendu depuis près de dix ans, depuis la redécouverte en 2007 de manuscrits de Jack Kerouac écrits en français. Les voici enfin réunis par un éditeur québécois, les éditions du Boréal, après un patient travail de recomposition. Cette parution (La vie est d’hommage, 352 p., 29,95 dollars) était attendue dans la province canadienne tant on pressentait que l’auteur de Sur la route y révélerait son attachement au Québec, mais aussi à la France et à la Bretagne dont étaient originaires ses ancêtres. Né en 1922 à Lowell, dans le Massachusetts, Jack Kerouac, de son vrai nom Jean-Louis Lebris de Kérouac, est en effet d’origine canadienne-française. Ses parents voient le jour sur les rives du Saint-Laurent et émigrent aux Etats-Unis au cours d’un exode dans lequel on vit près d’un million de Québécois partir chercher fortune aux EtatsUnis, entre 1840 et 1930. Dans le « little Canada » de Lowell, Kerouac grandit en parlant français ; l’anglais viendra plus tard, vers l’âge de 6 ans. Et c’est justement cette dualité, ce trouble dans l’identité, que fait revivre ce livre mystérieux, qui relève de l’archéologie littéraire. Le jeu de pistes commence après l’ouverture en 2006 du fonds d’archives Kerouac conservé à la New York Public Library. Au cours des deux années suivantes, l’écrivain Gabriel Anctil souligne, dans le quotidien québécois Le Devoir, l’importance des écrits français de Jack Kerouac. Et c’est maintenant Jean-Christophe Cloutier, professeur de littérature anglaise à l’université de Pennsylvanie, qui a établi ce recueil, rassemblant des nouvelles, des extraits de carnets et des lettres. Hélas, des questions de droits empêchent la distribution de ce livre en France. Phonétique canadienne-française La reconstitution des textes s’est faite au prix d’une quête dans le système de classification si particulier qu’avait établi Kerouac. A force de parcourir ces papiers, Jean-Christophe Cloutier a pu rassembler des fragments épars et recomposer deux nouvelles, Sur le chemin et La nuit est ma femme, dont l’existence était déjà connue, mais qui sont pour la première fois livrées au public dans leur intégralité. Jean-Christophe Cloutier confie également avoir dû lire à voix haute certains de ces documents, tant ils s’éloignent du français et n’obéissent qu’à la phonétique canadienne-française. Les phrases retranscrivent un patois, proche parfois du franglais, riche et pauvre à la fois de toute l’insécurité culturelle ressentie par les francophones d’Amérique du Nord. Le lecteur qui ne serait pas familier du québécois et de l’américain risque de s’y perdre. Comme lorsque Kerouac s’adresse à « loome laute bord », l’homme de l’autre côté, celui qui a choisi la voie assimilationniste, celle de la soumission à l’anglais et du succès littéraire. Dans un jeu de miroirs dont il est familier, Jack fait face à Jean-Louis. « Ben, jeecri sistoir icit en Franca la seul maniere que-j-se. Sa voite interressant ee pas peur. Loome laute bord va changee sa en Angla pour mue et toul monde von comprende. » (« Eh bien, j’écris cette histoire en français, de la seule manière que je connaisse. Ce sera intéressant, ne t’en fais pas. L’homme de l’autre côté va l’adapter en anglais pour moi, et tout le monde va comprendre. ») Contrairement à nous, Cloutier n’en propose pas une adaptation en français plus soutenu, il laisse au texte son étrangeté. On trouve également dans ce recueil un « commentaire sur Louis-Ferdinand Céline » écrit en bon français, et dans lequel Kerouac dit toute son admiration pour son « maître », qu’il lisait en version originale. Déroutants et touchants à la fois, ces manuscrits montrent comment l’œuvre de Kerouac « continente », selon sa propre expression, comment elle dépasse les frontières pour explorer une terre polyphonique. p la vie est d’hommage, de Jack Kerouac, textes établis et présentés par Jean Christophe Cloutier, Les éditions du Boréal, 352 p., 29,95 $ CAD (non distribué en France, disponible à la Librairie du Québec, 30, rue Gay-Lussac, Paris 5e). 10 | Rencontre 0123 Vendredi 15 avril 2016 Lydia Flem De ce côté du miroir Pour atteindre l’universel, l’écrivaine et psychanalyste belge tresse les fils de son parcours. Grandie entre les chutes de tissu, elle évoque des souvenirs liés aux atours dans son nouveau livre, élégant et lumineux raphaëlle leyris J e me souviens des bottes cavalières, du pantalon et de la veste noirs que portait Lydia Flem le jour de mars où nous nous sommes rencontrées ; de son écharpe terre de Sienne et de son rouge à lèvres de l’exacte même couleur ; des boucles d’oreille en argent assorties à son collier. De la simplicité apparente de sa silhouette et du souci accordé aux détails qu’un rapide examen laissait transparaître. Des vétilles, ces précisions ? Dans Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans, évident hommage à Georges Perec et délicieux exercice de remémoration centré sur les atours, Lydia Flem prouve au contraire l’importance de ceux-ci – les pans de mémoire qu’ils charrient, ce qu’ils racontent de nous… L’écrivaine et psychanalyste à l’accent belge très doux explique : « Le vêtement, c’est sur notre peau, ça dit nos sensations, ça dit le temps et les âges de la vie. C’est très puissant. » Elle a construit son livre autour de la phrase du photographe Nobuyoshi Araki, qu’elle cite : « Les plis de la mémoire sont comme les plis de nos vête- « Le vêtement, c’est sur notre peau, ça dit nos sensations, ça dit le temps et les âges de la vie. C’est très puissant » ments. Nos souvenirs se cachent dans les plissés. » C’est probablement d’autant plus vrai pour celle qui a grandi dans les tissus et les patrons, entre une mère « merveilleuse couturière », adepte du langage propre à cette activité (« grosgrain », « échancrure », « pattemouille », « guipure », « passepoil »…), dont sa fille régale le lecteur de Je me souviens…, et Parcours 1952 Lydia Flem naît à Bruxelles. 1970 Etudes de sciences politiques puis de sociologie. 1974-1975 Assistante de Ménie Grégoire sur RTL, pour « Responsabilité sexuelle » 1986 La Vie quotidienne de Freud et de ses patients (Hachette). 2004 Comment j’ai vidé la maison de mes parents (Seuil). 2008 Débuts en photographie. 2011 La Reine Alice (Seuil). A Paris, en avril. VASANTHA YOGANANTHAN POUR « LE MONDE » un père qui tenait à Bruxelles des magasins de vêtements pour femmes revendus quand, à 18 ans, sa fille unique a refusé d’y travailler. Ainsi, elle compare ses souvenirs à des « bulles » qui contiennent les lieux, les moments, « mais aussi la couleur des vêtements portés dans telle ou telle situation ». Parce que ses livres récents (Comment j’ai vidé la maison de mes parents, Lettres d’amour en héritage, Comment je me suis séparée de ma fille et de mon quasi-fils, Seuil, 2004, 2006, 2009) relèvent de l’autobiographie, elle raconte garder, à la fin de chaque manuscrit, plusieurs de ces « bulles », comme autant de chutes de tissu dont elle n’a longtemps su que faire. « Un jour, j’ai voulu voir comment je pouvais compléter cette liste, et où elle allait m’emmener. » Avec l’idée « assez transgressive », s’amuse-t-elle dans un grand sourire, de Etoffe de soi LE PREMIER de ces 479 fragments donne son titre à Je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans. Le dernier revient à ce manteau de gabardine rouge, et raconte un jour d’été, à Paris : Lydia Flem le portait au-dessus d’un pantalon et d’un pull blancs, alors qu’elle accompagnait un ami violoniste chez le célèbre luthier Etienne Vatelot. Quand elle partit, le maître lui dit : « Soyez toujours vous-même, jeune fille. » Instants de bonheur De quoi est fait ce « soimême » ? C’est au fond la question au cœur de ce petit livre lumineux, dans lequel l’auteure égrène des souvenirs liés aux vêtements – du chandail préféré de l’enfance aux bas noirs « très sexys » de l’âge adulte ; des mots qui désignent les onze nuances du gris aux expressions comme « tu es habillée un peu olé olé, non ? » ou « être fagoté comme l’as de pique » ; du fait que l’étoile jaune imposée aux juifs était constituée de tissu jusqu’à la tenue des héroïnes du feuilleton « Dallas », en passant par des souvenirs liés aux lectures de Casanova, Proust ou Barthes… Mémoires sensuelle, intellectuelle et collective se mêlent au fil de cet ouvrage au montage très réussi, qui privilégie la restitution des instants de bonheur mais trouve le rythme et le ton justes pour laisser la place à l’évocation de sujets graves. Il y a dans cet hommage à Georges Perec une grâce merveilleuse. p r. l. je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans, de Lydia Flem, Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 256 p., 17 €. passer par ce prisme pour parler, en tout premier lieu, du bonheur – fil rouge, déjà, de son Casanova ou l’Exercice du bonheur (Seuil, 1995), et état pour lequel on soupçonne à cette femme d’un abord si chaleureux de sérieuses dispositions. Manière bravache et élégante de « passer à autre chose » après La Reine Alice (Seuil, 2011), magnifique évocation de son cancer et des traitements subis ; on se souvient d’ailleurs – les histoires de « chiffon » ne sont jamais loin – qu’elle s’était découvert une boule suspecte au sein en essayant ses robes d’été. La Reine Alice, dit-elle, a été « une sacrée aventure de l’écriture et du corps, très forte », y compris au moment d’accompagner le texte auprès des lecteurs, mais elle estime qu’il l’a « tenue un peu prisonnière ». Comme sa couverture d’un rouge coquelicot tirant sur le corail l’annonce, Je me souviens… éclate de couleurs. Même si quelques-uns des 479 fragments (un de moins que le Je me souviens de Perec) contiennent de souvenirs plus graves, qui ont trait à l’histoire familiale de Lydia Flem, fille d’une femme juive, née en Allemagne, engagée dans la Résistance en Touraine, qui fut déportée à Auschwitz, et d’un père russe apatride rescapé des persécutions. Ces touches sombres sur le patchwork chatoyant de ce livre, elle ne les avait pas forcément préméditées : « Ça s’est infiltré comme ça. Ce livre, c’est moi, je me sens habitée par tout ça en même temps – dire “tissée” serait trop facile. Le frivole et le grave coexistent en nous, c’est artificiel de vouloir les séparer. » Du reste, elle confie avoir écrit ce livre, qu’elle voulait ludique et du côté de la lumière, l’été dernier, alors que « l’on commençait à parler beaucoup des réfugiés » : « Immanquablement, ces images de gens sur les routes m’ont renvoyée à mes parents, qui, eux aussi, ont changé de pays et de langue, et se sont retrouvés sur les routes avec une chemise sur la peau et rien d’autre. » Si Lydia Flem a refusé d’entrer dans l’affaire familiale, et si elle s’interroge sur ce qu’hériter veut dire – ainsi que le montrait, aussi concrètement que subtilement, Comment j’ai vidé la maison de mes parents –, sa manière de prendre la suite de ces deux êtres qu’elle a tant aimés tient dans son choix d’écrire. D’abord parce qu’elle leur doit, à sa mère en particulier, l’attention aux mots précis, son goût pour eux (« je peux me bagarrer des heures avec quelqu’un autour de l’emploi d’un terme »). Ensuite, parce que, explique-t-elle, « il y avait beaucoup de mots qui manquaient dans ma famille, à cause du passé. Et c’est comme si mon rôle, à moi, l’enfant unique, avait toujours été de mettre des mots, justement, de dire ce qui est tu dans les familles. » Ou de faire dire ; et c’est là qu’intervient la psychanalyse. Une voie qu’elle a choisie après une expérience « extraordinaire » auprès de la fameuse animatrice radio Ménie Grégoire, dont elle a été l’assistante sur RTL le temps d’une année scolaire, alors qu’elle était venue initialement pour écrire un mémoire de sociologie sur l’émission « Responsabilité sexuelle » – on n’imagine pas, aujourd’hui, l’importance qu’elle avait à l’époque. « Chaque jour, Ménie recevait des dizaines de sacs de courrier, et tellement d’appels… Il fallait choisir les questions qui seraient prises à l’antenne, et j’étais déchirée en pensant à tous ceux qui n’auraient pas de réponse. » Elle a quitté la radio pour étudier, entre Nice et Bruxelles, afin de devenir psychanalyste, « ce métier fabuleux, qui permet d’entrer en relation avec quelqu’un d’une manière intense et intime qui serait socialement impossible autrement ». Il y a de cela aussi, évidemment, dans la relation entre les lecteurs et une auteure comme Lydia Flem, qui fouille, de livre en livre, son expérience singulière, afin de restituer quelque chose d’universel. Qui travaille à mettre au jour, dit-elle « des choses assez ténues, ou éphémères, qui nous habitent et dont on se demande si les autres les connaissent » – la difficulté de trier les affaires de ses parents après leur mort, le mélange de plein et de vide que l’on ressent alors (Comment j’ai vidé…), l’effet produit par le départ des enfants devenus grands, la tristesse et la joie (Comment je me suis séparée…). Elle excelle à restituer ce qu’elle appelle ces « orages émotionnels », à cueillir le mouvement même de la vie ; ainsi, pour ce Je me souviens…, de ces instants de bonheur, EXTRAIT « Je me souviens de la liste sans fin des couvre-chefs : canotier, capeline, chapeau de paille d’Italie, béguin des béguines, huit-reflets, bonnet d’âne, panama, cône de feutre blanc de clown, chapeau melon, casquette, calot, calotte, hennin, bicorne, képi, kippa, chapeau tyrolien, bonnet à poil, capuchon, bombe d’équitation, bonnet de natation, bob, chapeau de sorcière, tiare, chapeau claque, chapeau chinois, charlotte des chirurgiens, faluche, penne, coiffe de Binche, coiffe bretonne, casque, gibus, bolivar, keffieh, mitre, mantille, quatre-bosses de Baden Powell, sombrero, schtreimel, turban, couronne… » je me souviens de l’imperméable rouge que je portais l’été de mes vingt ans, page 120 qu’ils aient trait à l’enfance, à l’amour ou à l’écriture. Quand les mots lui manquent, elle recourt à la photographie, qu’elle pratique depuis 2008 ; son travail lui a déjà valu, notamment, une exposition à la Maison européenne de la photographie à Paris, en 2015, « Journal implicite », qui pouvait se regarder comme le pendant en images de La Reine Alice. Littérature et photographie se croisent ainsi, s’épaulent l’une l’autre. Mais pour ce qui est le plus difficile et lui tient le plus à cœur, « raconter la mémoire intérieure », la première reste « indépassable ». Alors, de nouveau, sur le métier, la fille de tailleur remet son ouvrage. p