Le Monde

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Le Monde
VENDREDI 15 AVRIL 2016
72E ANNÉE – NO 22161
2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
BCE : la colère des épargnants allemands
▶ Mario Draghi devait
▶ Le banquier central est
▶ Dans un pays vieillis-
▶ Pour ses contempteurs,
▶ Dans une tribune au
rencontrer jeudi Wolfgang
Schäuble, le ministre
allemand des finances,
très critique de sa politique
devenu le bouc émissaire
des conservateurs allemands, qui en oublient
l’indépendance de la BCE
sant, comme l’Allemagne,
les taux d’intérêt
très bas appauvrissent
les épargnants
Draghi fragilise les
banques allemandes et
favorise la montée de l’extrême droite outre-Rhin
Monde, sept économistes
allemands prennent
la défense de la BCE
LIR E LE C A HIE R É CO PAGE S 4 ET 7
Politique
Manuel Valls,
seul et critiqué
par les siens
LE MONDE
DES LIVRES
« LES PORTES
DU NÉANT »,
SAMAR YAZBEK
DANS L’ENFER
SYRIEN
▶ Jean Hatzfeld
LIR E PAGE 8
Flamanville
L’EPR continue
d’accumuler
les malfaçons
LIR E LE C A HIE R É CO PAGE 3
Science
Le bras paralysé,
réveillé par
des électrodes
a lu le terrible récit
de Samar Yazbek
▶ « Une allure folle »,
LIR E PAGE 7
la chronique familiale
d’Isabelle Spaak
▶ Bruno Racine :
1
« Le livre a de beaux
jours devant lui »
ÉD ITO R IAL
SUPPLÉMENT
UN SOUFFLE
D’OPTIMISME
EN LIBYE
→ LI R E P A G E 20 ET N OS
I N F OR M A T I ON S P A G ES 2-3
A Paris, le 5 avril.
MARCO CASTRO POUR « LE MONDE »
CHRONIQUE INTERNATIONAL
Obama et le désastre israélo-palestinien
par ALAIN FRACHON
P
assivité, fatalisme, défaitisme ? Entre Israéliens et
Palestiniens, l’Amérique
n’exerce plus aucune médiation.
Elle ne cherche pas même à faire
semblant. Dans ce conflit, les
Etats-Unis disaient assurer, de-
puis vingt-six ans, le rôle d’« honnête intermédiaire ». C’en est fini
de cette ambition. La présidence
de Barack Obama aura entériné
un mouvement amorcé depuis
les années 1990 : Washington
abandonne, de facto.
Pour tenir le rôle avec une
chance de succès, il faut tordre le
bras des uns et des autres. La Mai-
son Blanche ne veut plus le faire.
La position de départ de l’Amérique a changé. Elle se refuse a
priori à la moindre contrainte sur
Israël. L’air attristé, « Barack le fataliste » adopte une posture d’impuissance et dit à ses alliés israéliens : vous allez dans le mur,
mais je laisse faire.
→ LIR E
L A S U IT E PAGE 2 0
Groupe Casino Le torpilleur américain et l’épicier
L
e roi des « shorts » – des spéculateurs – a sauté sur le
groupe Casino. L’Américain
Carson C. Block, à la tête du bureau
d’analyses financières Muddy Waters (« eaux boueuses ») a entrepris
de torpiller le propriétaire de Monoprix, qui publiait, jeudi, ses ventes au premier trimestre. « Groupe
Casino est l’une des entreprises les
plus surévaluées et mal comprises
sur laquelle nous soyons jamais
tombés », a écrit le spéculateur, relayé par une interview choc sur
Bloomberg TV, le canal favori des
marchés financiers. Le cours de
Bourse de Casino a aussitôt plongé
de 20 %. Récit d’une violente tentative de déstabilisation.
LIRE LE CAHIER ÉCO PAGE 2
Panama papers
Mossack
Fonseca,
nid d’espions
▶ Des dizaines de
sociétés ont été créées
par des agents secrets
▶ Vers une commission
d’enquête du Parlement
européen
la
francmaçonnerie
exposition
François-Mitterrand, Paris 13e
12 avril 24 juillet 2016
▶ Le plaidoyer de la
ministre des affaires
étrangères du Panama
LIR E P. 6 , 1 8 ,
E T LE C A HIE R É CO P. 5
Société
Qui sont les
Nuits debout ?
Les profs, lycéens, intermittents et intellectuels sont
« surreprésentés » place
de la République, à Paris
Carson C. Block, le patron de Muddy Waters. GETTY
LIR E PAGE 1 0
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
2|
INTERNATIONAL
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
L’ E N J E U L I B Y E N
Intervention en Libye :
la soudaine prudence
de l’Occident
Pour donner une chance au gouvernement d’« union
nationale » de Faïez Sarraj, Paris, Rome, Washington et Londres
préfèrent retarder leur projet de guerre contre l’Etat islamique
I
ntervenir ou pas en Libye ? Après
avoir multiplié les déclarations
sur la nécessité d’agir avant que le
désastre libyen atteigne l’Europe,
les Occidentaux font depuis peu
assaut de prudence. Contre toute
attente, le premier ministre « d’union nationale », Faïez Sarraj, installé le 30 mars à
Tripoli, semble pouvoir amorcer un processus politique en Libye. Il s’agit de lui
donner sa chance, si minime soit-elle, en
retardant toute intervention qui pourrait
le déstabiliser.
Premier haut responsable politique occidental à se rendre à Tripoli, le 12 avril, le
ministre italien des affaires étrangères,
qui a rencontré M. Sarraj dans la base navale où il est cantonné, a souligné que la
lutte contre le péril djihadiste « est d’abord
la mission des Libyens et du gouvernement
d’union ». « Si et lorsque les autorités libyennes demanderont une aide internationale pour la sécurité, la question sera étudiée et débattue au Conseil de sécurité », a
précisé Paolo Gentiloni. « Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons décider à
Rome, Londres ou Washington. »
Une position au diapason des autres
grandes capitales occidentales. « Il ne faut
pas refaire les erreurs du passé. Si vous
imaginez des frappes aériennes, des troupes au sol, ce n’est pas d’actualité », a déclaré Jean-Marc Ayrault, le ministre français des affaires étrangères, le 8 avril. « Il
faut que les Occidentaux aient le souci de
ne pas l’encombrer », disait-il déjà à propos de M. Sarraj, mi-mars.
Géographiquement en première ligne
face au danger que représente l’implantation de l’organisation Etat islamique (EI) à
Syrte où elle compterait 5 000 combattants à quelques centaines de kilomètres
de la Sicile, et directement exposée à une
reprise des flux migratoires, l’Italie reste
très active. « Sur le dossier libyen, notre lea-
dership moral, historique, économique et
diplomatique est reconnu », assure la diplomatie transalpine, rappelant que « le
processus pour l’installation de Sarraj et du
gouvernement d’union nationale a été
lancé par la conférence de Rome ».
Les emballements sur une future intervention n’ont pas cessé depuis 2015. Il y a
un an, la ministre de la défense italienne,
Roberta Pinotti, avait annoncé que Rome
serait prête à déployer des troupes, jusqu’à prendre le commandement d’une
intervention. Elle fut recadrée par le premier ministre Matteo Renzi. En février,
des plans de l’état-major italien ont fuité
dans la presse, évoquant un déploiement
de 3 000 à 7 000 hommes. Dans un entretien début mars au Corriere Della Sera,
l’ambassadeur américain en Italie, John
Phillips, a évoqué explicitement 5 000
hommes. Matteo Renzi a calmé le jeu :
« Ce n’est pas le moment pour ces coups de
force, il faut du bon sens et de l’équilibre. »
Les autorités italiennes sont d’autant
plus prudentes que l’opinion reste en
grande majorité opposée à toute aventure.
En 2011, déjà, les Italiens s’étaient montrés
très hostiles à l’intervention aérienne de
l’OTAN, craignant qu’elle crée « une grande
Somalie au bord de la Méditerranée » selon
l’expression de Lucio Caracciolo, le directeur de la revue de géopolitique Limes.
OPÉRATIONS DISCRÈTES
A Paris, François Hollande a tranché fin
2015 en faveur d’opérations discrètes,
voire secrètes, après avoir laissé à son ministre de la défense le soin d’alerter sans
relâche les Européens sur la nécessité d’intervenir. La France mène en Libye, avec les
Etats-Unis, des opérations ciblées contre
les chefs de l’EI et des mouvements liés à
Al-Qaida. Depuis Misrata, Tripoli, Benghazi ou Labraq, où ils ont déployé des forces spéciales, les deux alliés travaillent de
concert. Paris a aussi envoyé des conseillers militaires à Benghazi pour appuyer les opérations anti-djihadistes du
général Khalifa Haftar, considéré comme
le seul point d’appui dans l’Est libyen. Les
Occidentaux n’excluent plus que cette figure, rejetée par le camp de Tripoli, puisse
rejoindre le processus politique.
La Libye n’est pas « au cœur des intérêts »
des Etats-Unis, a rappelé Barack Obama, et
reste un mauvais souvenir. Le président
américain a affirmé le 11 avril sur la chaîne
Fox News que les suites de l’intervention
de 2011 furent « la principale erreur » de sa
politique étrangère. Il reproche à ses alliés
français et britanniques de ne pas avoir
été assez attentifs après la chute du régime
de Mouammar Kadhafi. Washington a riposté à la mort de son ambassadeur à Benghazi en 2012, et le Pentagone mène depuis lors des raids réguliers contre les leaders d’Al-Qaida et de l’EI, tout en accroissant son soutien sécuritaire à la Tunisie.
« Notre effort continue de porter sur les menaces immédiates contre les intérêts américains, les opérations futures dépendront
vraiment de ce que le gouvernement libyen
va demander à la communauté internationale », a expliqué le général David Rodriguez, le patron du commandement américain pour l’Afrique, début avril.
A Londres, David Cameron doit compter avec la vigilance de la commission des
affaires étrangères des Communes, qui
exige des précisions sur le projet de déployer 1 000 soldats dans la future mission d’assistance internationale. « Si nous
avions des plans pour envoyer des forces
conventionnelles dans une mission de
soutien en Libye, nous viendrions bien sûr
devant la Chambre pour en discuter », répondait le premier ministre le 17 mars.
Mais le 12 avril, le président de la commission, Crispin Blunt, est revenu à la charge
en accusant le ministre des affaires étran-
« IL FAUT QUE LES
OCCIDENTAUX AIENT
LE SOUCI DE NE PAS
ENCOMBRER
[LE PREMIER MINISTRE]
FAÏEZ SARRAJ »
JEAN-MARC AYRAULT
ministre des affaires étrangères
gères, Phil Hammond, de manquer de
transparence. La presse londonienne a
relayé ces derniers jours les voix militant
contre une nouvelle intervention militaire. Selon une source gouvernementale
citée par le Times mercredi 13 avril, « l’idée
selon laquelle le premier ministre [Sarraj]
est en mesure d’accorder un feu vert à quoi
que ce soit est prématurée ».
Intervenir alors que M. Sarraj est dans
une phase de légitimation politique
« aurait pour effet immédiat de le déstabiliser car les Libyens, toutes tendances confondues, restent farouchement opposés à
L’Egypte plaide pour un soutien au général Haftar
Le Caire, qui craint la menace djihadiste à sa frontière, demande une levée de l’embargo sur les livraisons d’armes à la Libye
L
a Libye s’annonce comme
un dossier phare des échanges que le président François Hollande aura avec son homologue égyptien, Abdel Fattah
Al-Sissi, lors de sa visite officielle
au Caire, les 17 et 18 avril. Le sentiment d’urgence face à l’expansion
de la menace djihadiste en Libye
depuis un an a rapproché les positions des deux pays. Mais des divergences d’appréciation demeurent sur la transition politique qui
a du mal à se mettre en place depuis l’accord interlibyen obtenu à
Skhirat, au Maroc, le 17 décembre 2015. Le Caire entend profiter
de cette visite pour plaider la
cause de son protégé, le général
Khalifa Haftar, qui orchestre la
lutte antiterroriste à la tête de l’armée nationale libyenne, et à qui il
souhaite donner un rôle central
dans les institutions du pays. Mais
ce dernier est très contesté.
Pour l’Egypte, la domination des
islamistes sur le camp de Tripoli,
rassemblé dans la coalition Aube
de la Libye (Fajr Libya) très hostile
au général Haftar, a favorisé l’expansion de groupes djihadistes
liés à Al-Qaida et à l’organisation
Etat islamique (EI). Le Caire craint
les infiltrations djihadistes le long
des 1 000 kilomètres de frontières
qu’il partage avec la Libye et une
jonction avec l’insurrection djihadiste à laquelle il fait face dans le
Sinaï. Les autorités élues de Tobrouk et l’armée nationale libyenne menée par le général Haftar, farouche détracteur des islamistes de l’Ouest, sont donc vues
par l’Egypte comme un rempart.
Le
soutien
intransigeant
du Caire aux autorités de Tobrouk
et au général Haftar fait écho à la
lutte qu’il mène sur son territoire
contre l’islam politique incarné
par les Frères musulmans, écartés
du pouvoir par l’armée en
juillet 2013. L’Egypte accuse son
ennemi juré, la Turquie, de soutenir les islamistes d’Aube de la Libye, avec l’aide du Qatar. « La Turquie mise sur des personnalités politiques et des groupes extrémistes
pour créer un fait accompli sur le
terrain. Bien que les Libyens n’aient
pas opté pour les islamistes lors des
élections, ces derniers ont obtenu,
grâce au soutien militaire turc, un
veto sur l’avenir de la Libye », dénonce un diplomate égyptien.
L’intransigeance du Caire s’est
manifestée au printemps 2015 par
des menaces d’intervention contre le camp de Tripoli. Ces menaces n’ont pas été prises au sérieux
par les cercles militaires occidentaux, pour qui l’Egypte n’a ni les
moyens ni l’intention de mener
une intervention militaire d’envergure en Libye. Les Occidentaux ont toutefois fermé les yeux
sur les livraisons d’armements
du Caire et de son allé émirati au
général Haftar – des hélicoptères
MI-8 et des avions de chasse
MIG-21, selon un rapport d’ex-
Le Caire redoute
les infiltrations
djihadistes le long
des 1 000 km
de frontières
qu’il partage
avec la Libye
perts des Nations unies publié en
mars –, tout comme celles de la
Turquie et du Qatar aux milices
de l’Ouest, en violation de l’embargo onusien.
En lieu et place d’une intervention militaire étrangère, Le Caire
plaide désormais pour une levée
de cet embargo. « Si nous donnons
des armes et un soutien à l’armée
nationale libyenne, elle pourra
faire ce travail mieux que quiconque, mieux que toute intervention
extérieure qui risquerait de provoquer des développements incontrôlables », a répété, le 17 mars, le président Sissi. « L’idée de protéger la
sécurité nationale égyptienne est
toujours d’actualité. L’objectif est
de protéger nos frontières. Que cela
suppose d’intervenir pour le faire
est une question encore hypothétique », souligne une source égyptienne. L’Egypte aurait répondu
favorablement à la demande des
Occidentaux de patrouiller dans
les eaux territoriales libyennes.
Le Caire, qui a compris que les
Occidentaux ne consentiraient à
une levée de l’embargo qu’une
fois un gouvernement d’union
nationale installé en Libye, s’est
ainsi rallié au processus de paix
interlibyen promu par les Occidentaux et piloté par l’ONU. « On
a digéré l’idée d’un compromis entre la légitimité électorale de l’Est
et le fait accompli créé par des islamistes à l’Ouest par le biais du processus onusien », indique un diplomate égyptien, qui plaide
pour un « compromis équilibré
qui garantisse que la Libye ne dérive pas vers une politique extrémiste menaçant la Méditerranée
et les pays riverains ».
L’homme est jugé fiable
Le Caire n’est toutefois prêt à exercer des pressions sur l’Assemblée
de Tobrouk (Est), la seule reconnue internationalement, pour
qu’elle accorde sa confiance au
gouvernement d’union nationale
qu’à la condition que le général
Haftar continue de diriger les opérations militaires sur le terrain.
On estime « jouable » son maintien au poste de commandant en
chef de l’armée nationale libyenne, malgré l’objection des
milices de l’Ouest. La relation avec
Haftar a connu des hauts et des
bas mais l’homme est jugé fiable
par Le Caire, qui souligne son influence dans l’est du pays et le
soutien qu’il a exprimé, début
avril, à l’accord politique.
L’appui que lui ont apporté les
forces spéciales françaises sur le
terrain est salué par Le Caire. « Ce
soutien met en lumière la contradiction qu’il y a à dire que le général Haftar doit sortir de l’équation
politique », souligne un diplomate
égyptien. Au Caire comme à Tobrouk, on espère que cet appui
militaire français se traduise par
un soutien politique plus affiché
au général Haftar. Certains partenaires européens n’ont pas manqué de critiquer l’effet pervers de
cette intervention. « Ce n’est pas
un soutien politique mais un soutien à la lutte contre le terrorisme,
défend une source diplomatique.
Si on veut empêcher l’expansion de
l’influence terroriste dans l’Est libyen, il n’y a que l’armée nationale.
Et si l’accord politique ne marche
pas, il faudra bien que l’on fasse
avec quelqu’un. » p
hélène sallon
international | 3
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VENDREDI 15 AVRIL 2016
Parodie de vote dans
une Syrie en ruine
Le régime a organisé des élections législatives
dans les régions qu’il contrôle
beyrouth - correspondance
P
Manifestation
de soutien
à Faïez Sarraj,
place
des Martyrs,
à Tripoli,
le 8 avril.
SAMUEL GRATACAP
POUR « LE MONDE »
une intervention militaire occidentale »,
ajoute Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français en poste à Tripoli.
En revanche, si M. Sarraj échoue, les
plans militaires sont prêts, et une coalition ad hoc, sans mandat explicite mais
couverte par la légitime défense, pourrait
alors se mettre en branle. Autour des
Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la France
et de l’Italie, elle aurait la double mission
de lutter contre l’EI et d’assister les forces
libyennes. Une force de 5 000 à 7 000
hommes pourrait être déployée. L’Italie
et la France s’en disputent le leadership.
« NE PAS JOUER LES UTILITÉS »
« Une intervention de dimension moyenne
dans le cadre de l’OTAN ou dans un cadre
ad hoc pourrait être dirigée par les Italiens
mais la vraie question est de savoir si nos
alliés l’acceptent », explique Stefano Silvestri, ancien président de l’Istituto Affari Internazionali (IAI) de Rome. Si l’on peut
douter de « la réelle volonté italienne de
prendre le commandement d’une telle opération, Rome ne veut pas pour autant jouer
les utilités ». Sur le terrain, les Italiens effectuent déjà du travail de renseignement et,
à croire diverses sources officielles, une
cinquantaine d’hommes des forces spéciales seraient à pied d’œuvre.
A Paris, l’état-major défend une liberté
de manœuvre dans toute coalition, mais
sait ses moyens comptés. Impossible
d’ajouter une opération extérieure sans
renoncer à d’autres engagements, et sans
se passer des traditionnels moyens américains – avions de transport stratégique et
de ravitaillement et drones notamment.
Trois grandes options sont possibles :
des opérations lourdes combinant campagne de frappes aériennes, formation
de l’armée libyenne et encadrement sécuritaire du régime ; une campagne aérienne seule pour porter un coup décisif
à l’EI ; ou, plus vraisemblable, une poursuite des actions en cours, qui seraient assumées de façon plus ouverte et combinées à une mission d’assistance aux forces de sécurité libyennes. « Les Libyens
n’ont pas besoin de nous sinon pour de la
formation, du matériel et un éventuel appui aérien », estime M. Haimzadeh. p
nathalie guibert et marc semo
A Tripoli, la pondération
de Faïez Sarraj
Le premier ministre d’« union nationale » doit
tenir compte du nationalisme des Libyens
tunis - correspondant
F
aïez Sarraj, le premier ministre du gouvernement
d’« union nationale » en devenir, ne s’est pas encore exprimé
sur les modalités précises d’une
intervention militaire extérieure.
L’exercice, lui, est à ce stade difficile tant qu’il n’est pas légalement
investi par l’Assemblée de Tobrouk (Est), la seule reconnue par
la communauté internationale. Il
lui faudra ensuite prendre le contrôle effectif des ministères à Tripoli, pour le moment aux mains
du gouvernement de facto de Tripoli (non reconnu), issu de l’ancien bloc politico-militaire Fajr
Libya (Aube de la Libye).
Les deux gouvernements rivaux
auxquels celui de M. Sarraj est
censé se substituer, celui de Tripoli dans l’ouest et celui d’Al-Baïda
dans l’est (issu de l’Assemblée de
Tobrouk), ont, jusqu’à présent, exprimé leur hostilité à une intervention internationale, estimant
que les forces libyennes étaient
capables de s’attaquer à l’organisation Etat islamique (EI) pour
peu qu’on les aide en termes
d’équipements. Ces deux gouvernements sont certes voués à disparaître, mais ils expriment un
nationalisme que M. Sarraj ne
pourra ignorer.
Il n’est d’ailleurs pas acquis que
le Conseil présidentiel, l’instance
dirigeante du gouvernement
d’union nationale, qui comprend
neuf membres de sensibilités différentes (des Frères musulmans
aux partisans du général Khalifa
Haftar, chef de l’armée nationale
libyenne), partage la même approche de cette intervention. Les Occidentaux souhaiteraient que ce
Conseil, une fois légalisé, lance un
appel à l’aide internationale contre l’EI. Mais dans l’équilibre entre
frappes aériennes occidentales et
opérations terrestres conduites
par les forces libyennes, il est à
prévoir que M. Sarraj cherchera à
maximiser le rôle des unités libyennes afin d’éviter d’apparaître
comme le jouet des Occidentaux.
Intégration des milices
L’affaire requerra deux préalables : la levée de l’embargo sur les
livraisons d’armes, en vigueur depuis 2011 ; la refonte de l’armée libyenne. L’intégration des milices,
jusqu’ici rivales, est l’un des volets
les plus sensibles de cette restructuration. Une autre difficulté risque de surgir autour du sort réservé au général Haftar, qui n’est
pas prêt à quitter son commandement alors que les milices de la
Tripolitaine,
qui
assurent
aujourd’hui la sécurité de M. Sarraj à Tripoli, réclament son départ. L’ONU et les Occidentaux,
après avoir cherché à pousser le
général vers la sortie, semblent
s’être résignés à lui laisser une
« place » dans la future armée,
sans préciser laquelle. p
frédéric bobin
eu importe que les élections législatives syriennes,
le 13 avril, ne se soient déroulées que sur un tiers du territoire : « l’enthousiasme » des électeurs, la « vitalité du peuple syrien »
et son désir de « décider de son destin » ont été mis en avant par le président Bachar Al-Assad et plusieurs de ses ministres. Le vote, qui
devrait maintenir le Parti Baas et
ses alliés comme principale force
au sein de l’Assemblée du peuple,
apparaît avant tout comme un
geste de défi à la communauté internationale, alors que des négociations pour une résolution politique au conflit en Syrie sont en
cours à Genève. Pour le régime, il
s’agit aussi d’affirmer que l’Etat
continue de fonctionner.
Selon les médias officiels, la
« forte » affluence a conduit à prolonger les opérations de vote de
plusieurs heures dans le pays en
ruine. Des témoins ont vu qu’en
réalité les électeurs ne s’étaient pas
pressés pour participer. Ceux qui
l’ont fait ont voté dans les territoires tenus par l’armée, où vit près
de 60 % de la population. Dans les
zones du nord du pays sous leur influence, les forces kurdes ont estimé que le scrutin ne les concernait pas. Quant aux gouvernorats
ou aux zones qui échappent au
contrôle du pouvoir, comme la
province de Rakka, aux mains de
l’organisation Etat islamique (EI),
aucun vote, évidemment, ne s’y
est déroulé.
A Damas ou à Homs (ouest), les
électeurs interrogés par l’AFP ont
fait part de leur soutien à l’armée
ou de leur espoir que leurs nouveaux représentants, choisis
parmi 3 500 candidats, puissent
mettre fin à la guerre et à l’inflation. Les noms des 250 élus qui
siégeront dans le nouveau Parlement aux pouvoirs limités devaient être annoncés jeudi.
« Parmi les candidats figuraient
des ex-miliciens ou des personnes
qui ont pris les armes aux côtés du
régime, des hommes d’affaires qui
appuient le pouvoir, des personnes qui lui ont donné un soutien
idéologique, note le journaliste
syrien Ibrahim Hamidi, collaborateur du quotidien Al-Hayat. Ces
gens essaient de se donner une légitimité. Ils ont tiré profit de la
guerre et veulent maintenant se
poser comme une nouvelle élite. »
Un « simulacre » selon Paris
Alors que les pourparlers intersyriens reprenaient mercredi,
l’émissaire de l’ONU pour la Syrie,
Staffan de Mistura, a réaffirmé sa
volonté de parvenir à une transition. Le régime, dont la délégation
est attendue vendredi à la table des
négociations, s’est dit prêt à négocier « sans conditions » il y a quelques jours. Dans les faits, « Bachar
Al-Assad montre, avec ces élections
législatives, son refus de tout compromis », souligne Maha Yahya,
chercheuse au Centre Carnegie
pour le Moyen-Orient à Beyrouth.
Le vote de mercredi, s’il est en
théorie conforme au calendrier
électoral, est une façon de mettre
en cause les échéances stipulées
par la résolution 2254 de l’ONU sur
laquelle s’appuient les échanges
de Genève. Paris a qualifié de « simulacre » ce scrutin, également
contesté par Washington. Moscou
l’a justifié tout en affirmant soutenir le processus de transition. p
laure stephan
Le président Sissi
et les îlots de la discorde
P
endant les cinq jours qu’a duré la première visite officielle en Egypte du roi Salman d’Arabie saoudite, du 7 au
11 avril, les Cairotes ont accepté sans sourciller les restrictions de circulation au nom des milliards d’investissements annoncés par Riyad et de la promesse extravagante d’un pont reliant les deux pays. Jusqu’à ce que deux petites îles inhabitées
du golfe d’Akaba, en mer Rouge, viennent gâcher la fête.
L’annonce, faite en catimini le 9 avril au soir, d’un accord reconnaissant la souveraineté de l’Arabie saoudite sur les îles de
Tiran et Sanafir a piqué les Egyptiens au vif. Personne ne s’était
imaginé que ces deux îlots à la pointe sud de la péninsule du Sinaï, historiquement saoudiens mais placés sous la protection de
l’Egypte en 1950, puissent être rétrocédés. Commandant le détroit de Tiran et l’accès au port israélien d’Eilat, ils sont devenus
un enjeu de fierté nationale depuis la
fermeture du détroit par Gamal Abdel
NUL N’IMAGINAIT QUE Nasser, qui avait précipité la guerre
israélo-arabe de 1967 et l’occupation
TIRAN ET SANAFIR,
par Israël du Sinaï et des deux îlots,
jusqu’au traité de paix de 1979.
HISTORIQUEMENT
Les détracteurs du président Abdel
SAOUDIENS, PUISSENT Fattah Al-Sissi ont été prompts à dénoncer une « capitulation » face aux
ÊTRE RÉTROCÉDÉS
pétrodollars saoudiens, d’autant que
les militaires avaient accusé le présiPAR L’ÉGYPTE
dent islamiste déchu Mohamed
Morsi d’avoir voulu vendre le Sinaï
au Qatar et céder le triangle contesté d’Halaïb au Soudan pour
justifier leur coup d’Etat de juillet 2013. « Approche, approche,
mon pacha, l’île est à 1 million, la pyramide à 2 et je t’offre deux
statues avec le tout », a moqué sur Twitter le célèbre humoriste
égyptien Bassem Youssef depuis son exil américain.
Des responsables politiques ont dénoncé le manque de transparence ayant entouré les négociations bilatérales – menées pendant six ans, selon les autorités – sur un sujet relevant de la souveraineté nationale. La Constitution stipule que toute modification des frontières doit être approuvée par référendum avant un
vote au Parlement, a rappelé l’avocat de gauche Khaled Ali. Pour
faire taire la polémique, le gouvernement a publié des documents et correspondances diplomatiques attestant la souveraineté historiquement saoudienne sur les deux îles. Les députés,
divisés sur la question, ont demandé à y avoir accès avant de se
prononcer. « Nous n’avons pas renoncé à nos droits, nous avons
restauré ceux des autres », a tranché le président Sissi mercredi. p
hé. s.
4 | international
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VENDREDI 15 AVRIL 2016
Brésil : Michel Temer voit son heure venue
MAC ÉD OI N E
Dilma Rousseff accuse le vice-président d’être le « chef des conspirateurs »
Plusieurs milliers de personnes ont pris part, mercredi
soir, à Skopje à des manifestations émaillées de heurts
avec la police, contre l’amnistie de responsables politiques décrétée par le président Ivanov. Ce pardon, qui
met de facto un terme aux
poursuites liées au scandale
des écoutes téléphoniques illégales de milliers de personnes imputées au pouvoir, a
été accueilli par une sévère
mise en garde de l’Europe et
des Etats-unis. Il a suscité la
colère d’opposants à Skopje
qui ont cassé des vitres et
brûlé du mobilier de locaux
dépendant de la présidence.
– (AFP.)
sao paulo - correspondante
L
es Brésiliens le connaissent à peine. Discret, élégant, un brin glacial, Michel Temer fait partie de
ces aristocrates qui s’adossent rarement à leur chaise. C’est cet
homme de l’ombre, fils d’immigrés libanais, professionnel de la
politique et des intrigues parlementaires qui, demain, pourrait
LE PROFIL
Michel Temer
Avocat et homme politique né à
Tietê (Etat de Sao Paulo)
en 1940, Michel Temer est viceprésident du Brésil depuis 2011.
Président du Parti du mouvement démocratique brésilien
(PMDB, centre), qui a quitté la
coalition de la présidente de
gauche Dilma Roussef le
29 mars, il a présidé la chambre
basse du Congrès national du
Brésil à deux reprises. En tant
que vice-président, il accéderait
au pouvoir si Dilma Rousseff,
membre du Parti des
travailleurs (PT, gauche), venait
à être destituée.
gouverner le Brésil. Presque par
accident. « Si le destin m’y conduit,
je serai prêt à assumer la fonction »,
a-t-il assuré au quotidien O Estado
de Sao Paulo, mercredi 13 avril.
En tant que vice-président, l’ancien chef du Parti du mouvement
démocratique brésilien (PMDB,
centre) qui n’atteint pas 3 % dans
les sondages, grimperait sur la
première marche du pouvoir si la
présidente Dilma Rousseff, membre du Parti des travailleurs (PT,
gauche), venait à être destituée.
Dimanche, se joue le sort de l’ancienne guerillera : la chambre des
députés doit se prononcer lors
d’une session plénière sur la procédure de destitution (impeachment) engagée contre elle.
On lui reproche d’avoir eu recours à une astuce comptable
pour minimiser l’ampleur du déficit public. Si deux tiers des députés, soit 342, estiment que la présidente a bien commis un « crime
de responsabilité », le Sénat formera une commission pour analyser la demande de destitution
puis décidera à une majorité simple de la poursuite ou de l’arrêt du
processus. En cas de vote défavorable, Dilma Rousseff sera écartée
du pouvoir pendant 180 jours,
jusqu’à un vote final du Sénat à la
majorité des deux tiers.
Indignation de la présidente
Michel Temer croit son heure venue et le fait savoir. Lundi, un discours « d’union nationale » censé
être prononcé en cas d’éloignement de la présidente, a fuité opportunément, relayé par les mé-
Le sort de
la présidente
se jouera
dimanche
à la Chambre
des députés
dias brésiliens. On y découvre un
homme solennel qui se pose en
réconciliateur de la nation, prévenant des « sacrifices » à accomplir pour renouer avec la croissance et promettant les réformes
nécessaires au pays, tout en garantissant la pérennité des programmes sociaux. Pas une fois
n’apparaît le terme de « corruption », fléau du pays, souligne Elio
Gaspari dans un éditorial titré
« Le discours du trône de Temer »,
publié mercredi dans la Folha de
Sao Paulo.
Qualifié d’« éjaculateur précoce » dans les couloirs du Planalto, M. Temer a aussi suscité
l’indignation de Dilma Rousseff.
Ecœurée, la présidente qui, par
deux fois, fit campagne à ses côtés, voit dans son ex-allié le « chef
des conspirateurs ». Le rôle de
traître adjoint étant, à ses yeux,
occupé par Eduardo Cunha
(PMDB), président de la chambre
des députés, proche des évangéliques, accusé de corruption et
blanchiment d’argent. Chef d’orchestre du vote de dimanche,
M. Cunha veut transformer le
suffrage en un spectacle grand
public, diffusé sur la Globo, la
chaîne télévision populaire qui a,
pour l’occasion, demandé à décaler les matchs de football prévus
ce jour-là.
Michel Temer n’est pas
l’homme que les Brésiliens attendent, mais l’expert en droit constitutionnel croit en son destin.
Les uns après les autres, les partis
alliés au PT abandonnent le gouvernement, se positionnant en faveur de la destitution. Après le
PMDB fin mars, le Parti progressiste (PP, droite), le Parti républicain brésilien (PRB, droite), le
Parti socialiste brésilien (PSB,
gauche) et le Parti social démocrate (PSD, droite) se sont prononcés en faveur du départ de Dilma
Rousseff.
Le temps des enchères
L’ancien président Luiz Inacio
Lula da Silva (2003-2010) a beau
batailler en coulisses pour sauver
le gouvernement de sa protégée,
offrant des ministères en échange
de l’appui des parlementaires,
l’hémorragie continue. Car, face à
lui, le clan Michel Temer fait monter les enchères, promettant une
carrière aux députés opportunistes. « Les indécis se positionnent
dans le camp qui a le plus de chances de l’emporter. Plus les démissions s’accumulent, plus le gouvernement est fragilisé », observe
Marco Antonio Carvalho Teixeira,
politologue à la fondation Getulio
Vargas de Sao Paulo.
Selon le décompte du quotidien
O Estado de Sao Paulo, 317 députés
seraient désormais favorables à la
destitution de la présidente.
« L’impeachment est consommé »,
en conclut Duarte Nogueira, député du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) opposé
depuis toujours au gouvernement. « Le Brésil en sera soulagé »,
pense-t-il, déjà séduit par le discours de Michel Temer.
Il est encore tôt, pourtant, pour
que les pro-impeachment crient
victoire. La politique brésilienne
est ponctuée de coups de théâtre
et de portes qui claquent. « Dilma
Rousseff a déjà été enterrée avant
de ressusciter plusieurs fois », souligne-t-on à l’institut Lula, rappelant que les députés ne respectent
pas toujours les consignes de vote
de leur parti. Et « une absence, c’est
un vote en notre faveur », rappelle
notre interlocuteur.
L’issue du scrutin de dimanche
reste imprévisible. Tout comme
l’après. En cas de défaite du gouvernement de Dilma Rousseff,
Michel Temer pourrait être inquiété par les développements de
l’enquête Lava Jato qui a mis au
jour le scandale de corruption lié
au groupe pétrolier Petrobras.
Son nom a été cité et une procédure d’impeachment a été lancée
contre lui. Et quel que soit le résultat du vote, la rue devrait à nouveau gronder, opposant défenseurs et adversaires du PT. Devant
la crainte d’affrontements, un
mur a été érigé sur l’esplanade des
ministères, pour séparer les deux
camps de manifestants. Le « mur
de Brasilia », symbole de la barrière qui divise déjà profondément la société brésilienne. p
claire gatinois
Violentes manifestations
contre l’amnistie
de politiciens
C HI N E- K EN YA
Taïwan furieux
du transfert de
45 de ses ressortissants
du Kenya vers la Chine
Un groupe de 67 personnes
originaires de Taïwan et
de Chine continentale ont
été expulsées du Kenya vers
la Chine mercredi 13 avril,
10 autres ayant déjà fait l’objet d’une mesure similaire ce
week-end. Sur ce total de
77 suspects, 45 sont des
Taïwanais. La Chine les suspecte d’escroquerie par téléphone, même s’ils ont été acquittés à Nairobi. Taipei
accuse Pékin d’avoir « enlevé » ses ressortissants. La
victoire écrasante en janvier
à l’élection présidentielle
taïwanaise de Tsai Ing-wen,
plus réticente face à la Chine,
pourrait amener Pékin à
adopter une position plus
ferme. – (AFP.)
La présidente sud-coréenne
Park Geun-hye perd sa majorité
Saenuri , le parti conservateur au pouvoir, est devancé aux législatives
tokyo - correspondance
L
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es électeurs sud-coréens ont
infligé un camouflet à la
présidente Park Geun-hye.
Le Parti conservateur Saenuri,
dont elle est issue, sort minoritaire
des législatives du 13 avril. Avec
122 élus – contre 152 auparavant –
sur 300, il est devancé par le Parti
Minjoo (123 sièges), principale
formation d’opposition.
Le scrutin marque également
l’affirmation du tout jeune Parti
du peuple comme troisième force
politique du pays. Avec 38 élus, la
formation issue fin 2015 d’une
scission du Minjoo pourrait jouer
les arbitres au cours d’une 20e législature qui retrouve le tripartisme pour la première fois
depuis 1996.
Le président du Saenuri, Kim
Moo-sung, a présenté le 14 avril sa
démission, « pour assumer la responsabilité de la défaite ».
D’autres dirigeants de la formation conservatrice devraient faire
de même. De quoi affaiblir un peu
plus la présidente Park Geun-hye
à moins de deux ans de la fin de
son mandat. Autrefois qualifiée
de « reine des élections » pour sa
capacité à forcer la décision lors
des scrutins serrés, elle semble
s’être fourvoyée. Mécontente de
l’inertie des débats parlementaires, elle a tenté d’imposer au
Saenuri des candidats lui étant
entièrement dévoués, provoquant des affrontements entre
différentes factions pour s’assurer les nominations.
Dans le même temps, Mme Park a
toujours joué la confrontation
avec l’opposition. Défaite, « sa
seule chance de terminer en douceur son mandat est de passer à
une logique de coopération », estime Yoon Hee-woong, de l’institut de sondage Opinion Live cité
Le scrutin du
13 avril marque
le coup d’envoi
des préparatifs
pour la
présidentielle de
décembre 2017
par l’agence Yonhap. C’est sans
doute désormais l’unique moyen
pour faire avancer ses projets, en
matière économique principalement. Son gouvernement veut
modifier la législation du travail
pour instiller plus de flexibilité
dans le secteur des services. Le
projet, présenté par son gouvernement, fait l’objet d’une vive opposition car il faciliterait les licenciements et toucherait le domaine médical, suscitant la
crainte d’une privatisation progressive de la santé. Or, selon la législation sur le fonctionnement
de l’Assemblée nationale, un texte
est adopté uniquement s’il réunit
60 % des voix des élus.
Marge de manœuvre réduite
Autre dossier important pour
Mme Park, la Corée du Nord. Le
scrutin s’est déroulé alors que
Pyongyang semble préparer un
nouveau tir de missile. Ayant
choisi la fermeté contre le Nord,
Mme Park pourrait voir sa marge de
manœuvre réduite, le Minjoo et le
Parti du peuple prônant la reprise
du dialogue et la réouverture du
complexe industriel de Kaesong.
Géré par les deux Corées, ce site a
été fermé en février à la suite du
quatrième essai nucléaire du Nord
en janvier et au lancement d’une
fusée interprété comme un test de
missile balistique. Idem pour les
relations avec le Japon. Une amélioration a été observée, en partie
sous pression américaine et motivée par le positionnement de
Mm Park contre la Corée du Nord et
pour l’économie. Elle s’est traduite
par la reprise des échanges, notamment dans le domaine militaire, et par l’adoption, fin décembre 2015, d’un accord sur les femmes dites « de réconfort ». Mais
l’opposition reste fermement opposée à cet accord, dont l’adoption
finale s’annonce complexe.
Le scrutin du 13 avril marque le
coup d’envoi des préparatifs pour
la présidentielle de décembre 2017.
Mme Park ne peut se représenter, la
loi limitant à un le mandat présidentiel. La défaite de son camp
pourrait l’exclure du choix du
candidat conservateur.
Le succès du Parti du peuple
pourrait conforter son cofondateur, l’ancien entrepreneur Ahn
Cheol-soo dans ses ambitions présidentielles. La réussite du Minjoo
pourrait favoriser son ex-président Moon Jae-in, élu de Busan
(Sud-Est) et candidat malheureux
à la présidentielle de 2012. Selon
un sondage réalisé début avril par
Realmeter, M. Moon est pour
l’heure favori, avec 20,7 % des
intentions de vote.
Il n’en est pas moins contesté,
notamment dans les provinces de
Jeolla du Nord et du Sud, les bastions traditionnels de l’opposition
où le Minjoo a cette fois cédé le leadership au Parti du peuple. L’implantation régionale reste déterminante en politique sud-coréenne. Si cette région devait lui retirer son soutien, M. Moon a
déclaré le 8 avril qu’il en tirerait les
conséquences : « Je quitterai le
devant de la scène politique et
renoncerai à me présenter à la
présidentielle. » p
philippe mesmer
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VENDREDI 15 AVRIL 2016
Premier oral des candidats à la direction de l’ONU
Le processus de désignation du successeur de Ban Ki-moon a été ouvert par l’audition de neuf prétendants
new york (nations unies) correspondance
P
our la première fois de
son histoire, l’ONU a décidé que la nomination
du futur secrétaire général, décrite par un ancien ambassadeur comme « plus opaque
encore que l’élection du pape », serait plus ouverte, plus transparente, en somme, plus démocratique. « Un petit pas pour le Conseil
de sécurité, mais un grand pas
pour les 193 Etats membres », estime un diplomate africain.
Quatre femmes et cinq hommes ont jusqu’à présent présenté
leur candidature, avec CV et profession de foi. Ils ont dû aussi se
soumettre pour la première fois à
un grand oral en guise d’entretien
d’embauche pour prétendre à la
succession du secrétaire général
Ban Ki-moon, qui quittera ses
fonctions le 31 décembre.
Pendant deux heures, ils ont été
questionnés sur des sujets cru-
ciaux comme le rôle des Nations
unies dans la résolution des conflits, les politiques migratoires ou
la réforme de l’organisation. Officiellement, le secrétaire général
de l’ONU est désigné par l’Assemblée générale « par acclamation ».
Dans les faits, ce sont les cinq
membres permanents du Conseil
de sécurité qui choisissent le nom
de celui qui occupera le poste « le
plus impossible du monde », selon
les mots du premier secrétaire
général de l’ONU, de 1946 à 1952,
le Norvégien Trygve Lie.
« Changer le degré d”écoute »
Ce nouveau processus de sélection du secrétaire général peut
« changer la donne et ouvrir une
porte », estime Mogens Lykketoft,
le président de l’Assemblée générale, qui a organisé pendant trois
jours les auditions des candidats
par les Etats membres et des représentants de la société civile.
« Nous naviguons dans des eaux
inconnues », assure-t-il. Mais il es-
père que ces rencontres informelles influenceront le choix du
Conseil de sécurité, qui ne pourra
plus ignorer l’avis des petits Etats
membres. « Cela ne va pas profondément changer les rapports de
force entre l’Assemblée et le Conseil
de sécurité puisque les pays disposant du droit de veto ont, de fait,
plus d’influence, mais cela peut
changer l’état d’esprit et le degré
d’écoute. Le Conseil devra en tenir
compte », estime un diplomate.
Le représentant de la France
aux Nations unies, François Delattre, estime pour sa part que ce
nouveau processus « crée une véritable dynamique » qui va offrir
au futur secrétaire général « une
très large reconnaissance et crédibilité au sein de la communauté
internationale ».
Parmi les neuf personnes actuellement en lice, sept viennent
des pays de l’est de l’Europe, seule
zone géographique à ne jamais
avoir été représentée. Six anciens
ministres des affaires étrangères
« Les candidats
finissent
par se comporter
comme
des adolescents
maladroits »
RICHARD GOWAN
expert au Conseil européen
des relations étrangères
se présentent : Vesna Pusic (Croatie), Natalia Gherman (Moldavie),
Srgjan Kerim (Macédoine), Vuk
Jeremic (Serbie), Igor Luksic
(Monténégro) et l’actuelle directrice de l’Unesco, la Bulgare Irina
Bokova. Ainsi que l’ancien président de Slovénie Danilo Türk.
La liste est complétée par Antonio Guterres, ancien Haut-Commissaire aux réfugiés présenté
par le Portugal, et Helen Clark, expremière ministre de Nouvelle-
Zélande. D’autres candidats peuvent se présenter jusqu’à l’été, et
le Conseil de sécurité espère commencer ses consultations pour
s’accorder sur un candidat à
l’automne. Un nom revient fréquemment, celui de Susana Malcorra, ancien bras droit de Ban Kimoon, opportunément nommée
ministre des affaires étrangères
de l’Argentine en novembre 2015.
De nombreuses voix se lèvent
pour appeler à la désignation
d’une femme à la tête de l’ONU
mais les membres du Conseil ont
assuré vouloir privilégier les qualifications à la provenance géographique ou au genre du candidat. La Bulgare Irina Bokova, actuelle directrice de l’Unesco et qui
fait figure de prétendante sérieuse, a tout de même joué cette
carte, assurant qu’il était temps
de « donner aux femmes la possibilité de se développer à égalité de
chances au sein de la société ».
Si l’ONU se choisit un nouveau
secrétaire général, l’organisation
n’a cependant toujours pas réussi
à trancher si elle souhaite un « secrétaire » ou un « général ». « Les
membres du Conseil de sécurité
préfèrent avoir un bon secrétaire,
qui a une bonne capacité de gestion, qui les écoute, très malléable
et sans trop d’initiative », estime
un diplomate.
Les neuf candidats ont donc
tenté de convaincre de « leur
autorité morale » en prenant
garde de ne surtout pas paraître
trop indépendant. « Les candidats
finissent par se comporter comme
des adolescents maladroits qui
vont rencontrer les parents de leur
dulcinée pour la première fois… Ils
essayent de paraître responsables
et convaincants devant l’Assemblée générale alors même qu’ils
n’attendent qu’une chose : se retrouver seul avec les décideurs à
Pékin, Londres, Moscou, Paris et
Washington », sourit Richard Gowan, expert au Conseil européen
des relations étrangères. p
marie bourreau
Guerre financière entre
partisans du « Brexit »
La campagne des conservateurs dissidents
a été officialisée au détriment du UKIP
B
oris Johnson a marqué un
point dans la bataille pour
la succession du premier
ministre David Cameron, qui
s’ouvrirait si les Britanniques décidaient de quitter l’Union européenne lors du référendum du
23 juin. Mercredi 13 avril, la commission électorale a désigné « Vote
Leave », l’organisation consacrée à
la défense du « Brexit », la sortie de
l’UE qu’il soutient, comme l’organe officiel du vote « out ». Le
maire de Londres, qui achève son
second mandat à la tête de la capitale et ne se représente pas aux
municipales du 5 mai, parie sur le
« Brexit » pour tracer son chemin
vers le 10 Downing Street.
La commission a préféré « Vote
Leave », qui rassemble principalement les conservateurs eurosceptiques, notamment des ministres
du gouvernement Cameron, à
« Grassroots Out » (GO), l’organisation concurrente dont Nigel Farage, le chef du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni
(UKIP), est la figure de proue. Alors
que la campagne retenue est axée
sur les prétendus avantages économiques liés au « Brexit », celle de
M. Farage met en exergue l’immigration et défend la reprise en
main par Westminster d’un « contrôle des frontières » présenté
comme phagocyté par Bruxelles.
Subvention de 750 000 euros
La sélection par la commission
électorale offre plusieurs avantages : une subvention publique de
600 000
livres
sterling
(750 000 euros), la distribution
d’une profession de foi à tous les
électeurs et l’accès à la campagne
télévisée. « Vote Leave » bénéficiera également d’un plafonnement plus élevé des dépenses de
campagne (7 millions de livres au
lieu de 700 000). Du côté du vote
« in » – favorable au maintien
dans l’UE –, la désignation sans
surprise de « Britain Stronger in
Europe », l’organisation de campagne présidée par Stuart Rose,
ancien patron de Marks & Spencer, a été saluée par un tweet du
premier ministre, David Cameron, reprenant le slogan de sa
campagne : « Nous sommes plus
forts, plus en sécurité et plus riches
dans [l’UE] ».
Le milliardaire
Arron Banks a
fustigé un « coup
monté » des
conservateurs
Pour faire son choix, la commission électorale a pris en compte le
degré de soutien et de financement de chaque organisation,
mais son arbitrage est contesté par
Leave.EU, l’une des organisations
composant « Grassroots Out ».
Son principal bailleur de fonds, le
milliardaire Arron Banks, promet
de saisir la justice contre ce « coup
monté » des conservateurs. Il met
en avant le tweet par lequel un
haut responsable des tories a annoncé, dès mardi, la décision de la
commission prévue pour jeudi.
Habilement, Nigel Farage, souvent présenté comme l’épouvantail du camp du « Brexit », n’a pas
choisi le même ton polémique
alors qu’il joue dans la même
équipe que M. Banks. Il a félicité
« Vote Leave » pour son succès en
prétendant avoir convaincu ses
responsables de mettre comme
lui l’immigration au centre de
leur message. « C’est la seule manière pour le camp du “out” de gagner ce référendum », a-t-il argué.
Avoir été écarté de la campagne
officielle n’empêche nullement le
UKIP, dont l’objet même est la sortie de l’UE, de dépenser jusqu’à
4 millions de livres. Une organisation de riches donateurs des tories,
le Midlands Industrial Council,
vient d’autre part d’annoncer un
don de « 4 à 5 millions de livres » à
« Grassroots Out ». La division de
« GO » en plusieurs entités de campagne devrait d’ailleurs lui permettra de contourner les règles de
plafonnement des dépenses.
Le refus d’une subvention publique pourrait enfin aider M. Farage
à souligner le caractère, selon lui,
injuste et déséquilibré de la campagne. Le financement par l’argent public d’un prospectus vantant le maintien dans l’UE, diffusé
à 27 millions d’exemplaires par le
gouvernement, a créé une vive
polémique. « C’est de l’argent jeté
par les fenêtres pour une mise en
garde biaisée et hystérique », a
tonné Boris Johnson. p
philippe bernard
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VENDREDI 15 AVRIL 2016
Panama, nid d’espions
Le cabinet Mossack Fonseca, parfois sans le savoir, a créé des dizaines de sociétés offshore pour des agents secrets
O
n
l’appelait
« l’homme aux
neuf doigts »,
parce qu’il avait
un jour perdu
une phalange en
mettant le doigt où il ne fallait
pas. Werner Mauss était aussi
« l’Agent 008 » et était présenté
comme « le premier agent secret
d’Allemagne » dans un article de
l’université du Delaware, aux
Etats-Unis. Le cabinet panaméen
Mossack Fonseca, spécialisé dans
les montages offshore, a sursauté
en tombant sur l’article, en
mars 2015. Parce qu’il révélait en
passant que le vrai nom de Werner Mauss était Claus Möllner. Un
aimable retraité et bon client du
cabinet depuis trente ans.
Des centaines de « Panama papers » détaillent son réseau de sociétés offshore : au moins deux
d’entre elles détenaient des biens
immobiliers en Allemagne. Werner Mauss ne possède personnellement aucune société, a indiqué
son avocat au quotidien allemand
Süddeutsche Zeitung et à la chaîne
publique NDR, partenaires du
Consortium international de
journalistes d’investigation (ICIJ).
Ces sociétés ne servaient qu’à
« protéger les intérêts financiers de
la famille Mauss », a ajouté l’avocat, précisant qu’elles avaient été
déclarées et payaient des impôts.
Il a aussi confirmé que certaines
d’entre elles avaient été utilisées
pour « des opérations humanitaires » lors de négociations, de
libérations d’otages, ou « pour
l’acheminement d’équipements
comme du matériel médical ». Une
mission parfois mal comprise : les
autorités colombiennes ont brièvement détenu Werner Mauss
en 1996, accusé d’avoir organisé
avec des guérilleros un enlèvement et conservé une partie de la
rançon. Il a été lavé du soupçon, et
assure que « toutes les opérations
menées de par le monde l’ont
toujours été en coopération avec
les institutions et autorités
allemandes ».
GOLDFINGER, GOLDENEYE
L’Allemand n’est pas le seul espion à avoir eu des intérêts chez
Mossack Fonseca. Le cabinet fiscal
s’en amusait. « Je pensais à un
nom comme “World Insurance
Services Limited” ou peut-être
“Universal Exports”, comme la société utilisée dans les anciens “James Bond”, mais je ne sais pas si ça
passera ! », écrivait en 2010 un intermédiaire aux avocats-conseils.
D’ailleurs, la firme panaméenne a
baptisé des sociétés Goldfinger,
SkyFall, GoldenEye, Moonraker,
Spectre, Blofeld, et a reçu une
demande pour Octopussy.
Parmi les clients de Mossack
Fonseca se trouve également le
Grec Sokratis Kokkalis, un milliardaire de 76 ans surnommé
« Agent Rocco », jadis accusé d’espionnage pour la Stasi, les services secrets de l’ex-Allemagne de
l’Est. Le cabinet panaméen a découvert son passé en février 2015
en faisant de banales vérifications
sur l’une de ses sociétés, Upton International Group. L’homme d’affaires « a été accusé par les responsables est-allemands d’espionnage, d’escroquerie et de blanchiment d’argent au début des années
1960, mais il a finalement été mis
hors de cause », écrivait un employé du cabinet. Le représentant
de M. Kokkalis n’a jamais répondu aux demandes de Mossack
Fonseca sur l’objet social de ses
entreprises. Le Grec était propriétaire du club de foot Olympiakos
jusqu’en 2010, et possède à présent la plus grande société grecque de télécommunications.
Dans le hall
d’entrée du siège
de la CIA, à Langley,
en Virginie.
JASON REED/REUTERS
Autre surprise, en 2005, Mossack Fonseca réalise avec inquiétude que sept sociétés qu’il a
montées ont pour administrateur
un certain Francisco Paesa Sanchez, un agent secret espagnol
tristement célèbre. « L’histoire (…)
fait vraiment peur », écrit l’un des
employés de la firme. Francisco
Paesa Sanchez a fait fortune en
traquant les indépendantistes et
en débusquant un commissaire
de police corrompu, avant de fuir
l’Espagne avec quelques millions
de dollars en poche.
Il passe pour mort en 1998, sa famille signe d’ailleurs un certificat
de décès déplorant une crise cardiaque en Thaïlande. Mais un
journaliste le retrouve en 2004 au
Luxembourg, et l’Espagnol assure
aimablement que l’annonce de sa
mort était « un malentendu ». Il
détient sept sociétés dans îles
Vierges britanniques, des hôtels,
des casinos et un terrain de golf
au Maroc. En octobre 2005, par
crainte « d’un éventuel scandale »,
Mossack Fonseca a pris ses distances avec ces sociétés.
Le cabinet conseil comptait encore parmi ses clients le cheikh
Kamal Adham, premier chef du
renseignement saoudien, considéré par une commission sénatoriale américaine comme « le principal interlocuteur de la CIA pour
tout le Moyen-Orient, du milieu
des années 1960 à 1979 ». Et le major général Ricardo RubianoGroot, ancien directeur de
l’agence de renseignement de l’ar-
Parmi les clients
de Mossack
Fonseca, le Grec
Sokratis Kokkalis,
un milliardaire
surnommé
« Agent Rocco »
mée de l’air colombienne, ou encore le général Emmanuel Ndahiro, chef des services secrets du
président rwandais Paul Kagamé.
Kamal Adham est mort en 1999,
Emmanuel Ndahiro n’a pas souhaité s’expliquer. Ricardo Rubiano-Groot a confirmé à Consejo de
Redacción, partenaire de l’ICIJ,
qu’il était un petit actionnaire de
West Tech Panama, créée pour
l’achat d’une société américaine
d’avionique et actuellement en
liquidation.
Autre personnage haut en couleur lié à la CIA, Loftur Johannesson, surnommé l’Islandais. Ce
riche homme d’affaires originaire
de Reykjavik, aujourd’hui âgé de
85 ans, aurait collaboré avec la CIA
dans les années 1970 et 1980 en
fournissant des armes en Afghanistan. Grâce à ces menus services, il a pu faire l’acquisition d’une
demeure à La Barbade et d’un vignoble en France. Loftur Johannesson apparaît dans les archives
de Mossack Fonseca en septembre 2002, il est lié à au moins quatre sociétés qui détiennent des
propriétés dans des quartiers
chics de Londres et un complexe à
La Barbade. « M. Johannesson était
un homme d’affaires international, principalement dans le secteur
de l’aviation, et dément catégoriquement avoir travaillé pour une
quelconque agence de renseignement comme vous semblez le suggérer », a-t-il fait répondre à l’ICIJ.
Farhad Azima est d’un autre calibre. Généreux donateur des
campagnes électorales aux EtatsUnis, l’Américain d’origine iranienne avait ses entrées à la Maison Blanche et prenait le café avec
Bill Clinton. Il s’était pourtant retrouvé auparavant pris dans la
tempête de l’un des plus grands
scandales des Etats-Unis, l’affaire
des contras. Au milieu des années
1980, l’administration Reagan a
en effet secrètement vendu des
armes à l’Iran pour faciliter la libération de sept otages américains,
Autre personnage:
le milliardaire
saoudien Adnan
Khashoggi a joué
« un rôle capital »
auprès de la CIA
dans la vente
d’armes à l’Iran
et s’est servie de ces sommes pour
financer les contre-révolutionnaires nicaraguayens, la Contra.
D’après le New York Times, l’un
des avions-cargos de Farhad
Azima aurait acheminé 23 tonnes
de matériel militaire à Téhéran
en 1985. Il a toujours affirmé n’en
rien savoir. « Je n’ai aucun lien avec
l’affaire Iran-Contra, a déclaré
M. Azima à l’ICIJ. Il n’est pas une
agence américaine qui n’ait enquêté sur moi, toutes ont conclu
qu’il n’y avait absolument rien
contre moi »
« ERREUR ADMINISTRATIVE »
Les « Panama papers » indiquent
que Farhad Azima a créé sa première société offshore dans les
îles Vierges britanniques en 2000.
ALG (Asia & Pacific) Ltd est une filiale de sa compagnie américaine
Aviation Leasing Group. Ce n’est
qu’en 2013 que Mossack Fonseca
tombe sur des articles évoquant
les liens de Farhad Azima avec la
CIA. Il est accusé d’avoir « fourni
un appui aérien et logistique » à
une entreprise détenue par d’anciens de la CIA qui livraient des armes en Libye. Un autre article citait un agent du FBI disant avoir
été prévenu par la CIA que Farhad
Azima était « intouchable ».
Le cabinet panaméen a demandé aux représentants de Farhad Azima de confirmer l’identité de leur client, mais n’a jamais
eu de réponse. Puis en 2014, le Trésor américain accuse un certain
Houshang Hosseinpour, cofondateur de la compagnie aérienne
FlyGeorgia, d’avoir participé
en 2011 au transfert de dizaines de
millions de dollars vers l’Iran,
alors sous embargo. Or Farhad
Azima et Houshang Hosseinpour
figuraient sur les documents
d’une société qui prévoyait d’acquérir un hôtel en Géorgie cette
même année. Houshang Hosseinpour n’a été que brièvement
actionnaire, les administrateurs
de la société ont signalé en février 2012 que ses actions avaient
été émises à la suite d’une « erreur
administrative ».
Farhad Azima a affirmé à l’ICIJ
que cette société avait été utilisée
uniquement pour l’achat d’un
avion qui ne pouvait pas être immatriculé aux Etats-Unis : le choix
des îles Vierges était dénué de
toute considération fiscale. Houshang Hosseinpour a, lui, affirmé
en 2013 au Wall Street Journal
n’avoir aucun lien avec l’Iran et
n’être « aucunement impliqué
dans le viol de l’embargo ».
Autre personnage baroque : le
milliardaire saoudien Adnan
Khashoggi. Il a négocié des milliards de dollars de ventes d’armes à l’Arabie saoudite dans les
années 1970 et joué « un rôle capital pour le gouvernement américain » auprès de la CIA dans la
vente d’armes à l’Iran, d’après un
rapport rédigé en 1992 par le
Sénat américain, dont l’un des
auteurs est John Kerry, l’actuel
secrétaire d’Etat des Etats-Unis.
M. Khashoggi apparaît dans les
archives de Mossack Fonseca dès
1978, date à laquelle il est devenu
président au Panama d’ISIS Overseas S.A. Il a détenu au moins quatre autres sociétés dont l’objet social reste mystérieux. Deux d’entre elles ont géré le financement
de propriétés en Espagne et aux
Canaries. Mossack Fonseca a mis
fin à sa collaboration avec le Saoudien aux alentours de 2003. p
will fitzgibbon (icij)
Ce qu’il faut
savoir
Coordonnées par le Consortium international des
journalistes d’investigation (ICIJ), 109 rédactions,
dont celle du Monde, dans
76 pays, ont eu accès à une
masse d’informations inédites qui mettent en lumière le
monde opaque de la finance
offshore et des paradis
fiscaux.
Les 11,5 millions de fichiers
proviennent des archives du
cabinet panaméen Mossack
Fonseca, spécialiste de la
domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015.
Il s’agit de la plus grosse
fuite d’informations jamais
exploitée par des médias.
Les « Panama papers » révèlent que, outre des milliers
d’anonymes, de nombreux
chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du
sport, des célébrités ou des
personnalités sous le coup
de sanctions internationales
ont recouru à des montages
offshore pour dissimuler
leurs actifs.
science & planète | 7
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Un tétraplégique
peut à nouveau
bouger un bras
Un Américain paralysé à partir des
épaules bénéficie d’une dérivation
neurale à base d’électrodes
A
ujourd’hui, je bouge à
nouveau mes doigts, j’ai
réussi à prendre une
bouteille, à verser son
contenu dans un récipient, et même
à saisir un bâtonnet pour remuer.
Le tout sans bras robotisé, avec mes
vraies mains. Je n’aurais jamais cru
que ce serait possible. C’est un formidable début vers l’autonomie.
Pour moi et pour d’autres », s’exclame Ian Burckhart.
En 2010, ce jeune Américain revient tétraplégique de vacances
au bord de la mer. Il s’est brisé le
cou en plongeant. Totalement paralysé à partir de la cinquième
vertèbre cervicale, il a perdu le
contrôle de ses membres inférieurs mais aussi de ses avantbras et de ses mains. Il peut juste
remuer les épaules et les bras jusqu’au coude. Alors, quand deux
équipes – celle du neurologue Ali
Rezai, de l’université d’Etat de
l’Ohio, et celle de Chad Bouton et
Nicholas Annetta, de l’institut de
technologie Battelle Memorial, à
Columbus (Ohio) – lui proposent
de participer à un essai clinique
de dérivation neurale, un nouveau système qui pourrait redonner vie à ses mains, il n’hésite pas
très longtemps. Certes, il lui faut
accepter de se faire placer dans le
cerveau un implant composé de
96 électrodes, au contact du cortex moteur. Mais il s’agit d’une
toute petite puce avec des électrodes de 1,5 millimètre.
Après de longs mois d’entraînement, le jeune homme est
convaincu que le jeu en valait la
chandelle. N’est-il pas le premier
paralysé au monde à contrôler en
temps réel les mouvements de ses
mains à partir de l’enregistrement des signaux de son cerveau ? D’ordinaire, le cortex moteur pilote les mouvements en
envoyant ses commandes aux
quatre membres via la moelle épinière. La dérivation neurale consiste à faire la même chose en contournant la moelle épinière lésée
lors de l’accident. Certes, le système en est au stade du prototype
et M. Burckhart ne peut pas encore en profiter à domicile. Mais, à
seulement 24 ans, il est conscient
de tester une technologie émergente qui pourrait grandement
améliorer sa vie quotidienne.
1 gigaoctet toutes les 3 minutes
Les interfaces cerveau-machine se
sont beaucoup développées depuis une quinzaine d’années sous
l’impulsion notamment de
Miguel Nicolelis, de l’université
Duke en Caroline du Nord. Ces systèmes, encore en phase de test
pour la plupart, parviennent à décoder les signaux du cortex moteur cérébral afin de piloter par la
pensée une prothèse : ordinateur,
bras robotisé ou encore exosquelette. Ainsi, en 2003, l’équipe de
M. Nicolelis parvint à ce que des
singes contrôlent un bras robotisé, à travers une électrode implantée dans leur cortex moteur.
Et l’Américain John Donoghue,
aujourd’hui directeur du centre
Des électrodes stimulent les muscles du bras et permettent au patient de se servir à boire. OHIO STATE UNIVERSITY WEXNER MEDICAL CENTER/BATELLE
Wyss au Campus Biotech de
Genève, fut le premier à implanter
des électrodes en 2011 dans le cortex moteur d’une Américaine afin
qu’elle pilote un bras robotisé.
« Avec la dérivation neurale,
l’équipe américaine franchit un pas
de plus », reconnaît John Donoghue. Il s’agit cette fois d’une interface cerveau-main : à partir du
décodage des signaux cérébraux,
le système permet à la personne
de piloter en temps réel le mouvement de ses propres doigts, grâce
à un stimulateur musculaire apposé sur son avant-bras.
La mise en place du prototype a
pris presque deux ans. Elle s’est
déroulée en plusieurs phases.
Tout a commencé par la recherche de la zone du cortex moteur
contrôlant les mains, pour savoir
où poser l’implant. Une étude en
imagerie par résonance magnétique fonctionnelle a permis de le
Le procédé
consiste à éviter
aux signaux
du cerveau
de passer
par la moelle
épinière abîmée
déterminer. Après l’opération, on
a posé un petit boîtier sur le
crâne du patient : il relie l’implant par câble à un micro-ordinateur où s’exécutent toutes les
opérations de décodage et de recodage des signaux. Un algorithmique complexe fait appel à des
logiciels d’apprentissage automatique pour déchiffrer les données – environ 1 gigaoctet envoyé
toutes les trois minutes par l’im-
plant – et les traduire en un code
compréhensible, à l’autre bout,
par le stimulateur musculaire.
Celui-ci comporte 130 électrodes
posées dans un manchon entourant l’avant-bras.
Pour « éduquer » le système, le
jeune homme suit trois sessions
par semaine pendant quinze
mois. Il commence par s’entraîner par la pensée, devant un écran
vidéo, à exécuter six mouvements simples du poignet et des
doigts qu’il ne peut plus réaliser
depuis son accident. Le logiciel
décode les impulsions électriques
envoyées par son cortex moteur
quand il se concentre sur un mouvement. Le jeune homme corrige
son geste qui s’affiche sur l’écran.
A force de répéter, le système affine le code spécifique à chaque
mouvement. Ensuite, il le retraduit en un autre code envoyé au
stimulateur. Auparavant, de nom-
Roundup : les eurodéputés pour une autorisation limitée
Le Parlement européen a voté une résolution non contraignante limitant l’usage du pesticide pour sept ans
I
nterdiction ? Renouvellement
sans restriction ? Le Parlement européen a choisi la
voie du compromis. Les eurodéputés ont voté, mercredi 13 avril,
en séance plénière, une résolution
s’opposant au projet de Bruxelles
de renouveler pour quinze ans
l’autorisation du glyphosate – le
principe actif du célèbre Roundup
de Monsanto. Ils se prononcent
pour une remise en selle du produit pour sept années seulement
et restreinte à ses usages agricoles.
« Nous demandons que les usages
de ce produit par les particuliers et
les collectivités soient interdits »,
explique le député européen
Robert Rochefort (Alliance des démocrates et libéraux pour l’Europe), membre de la commission
parlementaire qui a porté la résolution. A l’origine, celle-ci prévoyait le non-renouvellement de
la substance, mais un amende-
ment déposé par la députée Angélique Delahaye (PPE) proposant
une réautorisation limitée a été
adopté. « Il y a une attente des citoyens mais, à ce jour, il n’y a pas
d’alternative économiquement viable et garantissant la santé humaine à proposer aux agriculteurs
en termes de désherbage », a justifié Mme Delahaye.
Signe de l’importance du dossier, c’est la première fois que les
eurodéputés se saisissent de
l’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytosanitaire.
Juridiquement non contraignante, leur résolution pèsera
néanmoins sur la proposition de
la Commission qui devra être votée, dans les prochaines semaines,
par des experts représentant les
Etats membres. Le temps presse : à
la fin du mois de juin, l’autorisation du glyphosate expire sur le
territoire des Vingt-Huit.
venant
de choc
Outre les parlementaires, la société civile s’est aussi considérablement mobilisée sur le sujet.
Une pétition déposée par Avaaz a
ainsi recueilli près d’un million et
demi de signatures en faveur de
l’interdiction du produit. Un sondage réalisé par YouGov à la demande de l’ONG allemande Campact indique, quant à lui, que les
deux tiers des habitants des cinq
plus grands pays de l’Union sont
opposés au renouvellement de
l’autorisation du glyphosate.
Ampleur inattendue
Le dossier a pris une ampleur inattendue en mars 2015, lorsque le
Centre international de recherche
sur le cancer (CIRC) – l’agence de
l’Organisation mondiale de la
santé chargée d’inventorier et
d’évaluer les agents cancérogènes
– a classé le glyphosate « cancérogène probable ». Six mois plus
tard, dans le cadre de sa réévaluation au niveau européen, la substance a au contraire été jugée improbablement cancérogène par
l’Autorité européenne de sécurité
des aliments (EFSA). Ce désaccord a
conduit à une vive et inhabituelle
polémique entre le CIRC et l’EFSA.
Dans leur résolution, les députés ajoutent qu’ils souhaitent que
la Commission européenne et
l’EFSA divulguent « sans délai toutes les données scientifiques [favorables au] renouvellement de son
approbation, car cette divulgation
répond à un intérêt public supérieur ». Conduites par les entreprises commercialisant des produits
à base de glyphosate, les études
réglementaires ayant conduit à
l’avis favorable rendu par l’EFSA
sont en effet confidentielles. |
Vytenis Andriukaitis, le commissaire européen à la santé, avait devancé la demande des députés.
Dans une lettre du 4 avril, il a demandé au Glyphosate Task force
(GTF), la plate-forme des 23 industriels commercialisant des pesticides à base de glyphosate, de rendre publiques les études en question. Le GTF a refusé.
Autre motif de mobilisation
pointé par la résolution des parlementaires européens : l’utilisation
du glyphosate « a augmenté d’une
manière spectaculaire, puisqu’elle
a été multipliée par un facteur de
260 au cours des quarante dernières années » au niveau mondial.
« La résolution prend également
acte du fait que la plupart des OGM
qui ont été développés l’ont été
pour tolérer le glyphosate, ajoute
M. Rochefort. Cela signifie que ces
OGM n’ont pas été développés pour
aider l’agriculture, mais pour augmenter les ventes de glyphosate.
C’est une forme de trahison. » p
stéphane foucart
nicolas demorand
le 18/20
18:15 un jour dans le monde
19 :20 le téléphone sonne
breuses séances sont nécessaires
pour déterminer par essais et erreurs les séquences précises de
stimulation – intensité, localisation – permettant à M. Burckhart
de bouger les doigts et la main.
Autre intérêt : ces séances renforcent ses muscles atrophiés, les
rendant plus sensibles à la stimulation électrique. Mais Grégoire
Courtine, de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, qui a
mis au point des implants pour la
moelle épinière, tempère : « Ils stimulent les muscles, ce qui induit
une fatigue. A l’inverse, nous stimulons directement la moelle épinière, ce qui est plus efficace, surtout pour la marche. » Reste que le
patient parvient désormais à exécuter une séquence de mouvements complexes après avoir
déjà réussi, au bout d’un an, à
bouger les doigts. p
marie-laure théodule
S AN T É
Le lien entre Zika et les
microcéphalies confirmé
Des chercheurs des Centres
américains de contrôle et
de prévention des maladies
(CDC) ont confirmé que
le virus Zika peut provoquer
des microcéphalies
et d’autres défauts sévères du
cerveau chez le fœtus, dans
une étude publiée mercredi
13 avril dans le New England
Journal of Medicine. Une
étude de l’Institut Pasteur,
parue en mars, avait déjà
apporté cette preuve. – (AFP.)
EN VI R ON N EMEN T
Le Haut Conseil des
biotechnologies en crise
Sept organisations environnementales et agricoles ont
annoncé, mercredi 13 avril,
avoir claqué la porte du Haut
Conseil des biotechnologies,
chargé de fournir une expertise aux pouvoirs publics.
Elles dénoncent un débat
« tronqué » sur les nouveaux
OGM et une instance « aux
mains des lobbyistes de l’agrochimie et des OGM ». – (AFP.)
avec les chroniques
d’Arnaud Leparmentier,
d’Alain Frachon
et de Vincent Giret
dans Un jour dans le monde
de 18:15 à 19:00
8|
FRANCE
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Manuel Valls,
en déplacement
à Vaulx-en-Velin
(Rhône), le 13 avril.
KONRAD K/SIPA
Manuel Valls, l’autorité pour seule stratégie
Confronté à des sondages difficiles et à des couacs répétés, le premier ministre divise de plus en plus son camp
M
anuel Valls a une
obsession : ne pas
devenir le François
Fillon du PS. Le premier ministre veut continuer
coûte que coûte à exister dans le
tumulte politique à gauche pour
ne pas finir comme son prédécesseur à Matignon du temps de Nicolas Sarkozy, et survivre – contrairement à celui-ci en 2012 – à
l’élection présidentielle de 2017,
quel qu’en soit le résultat pour la
majorité. En chute libre dans les
sondages, usé par ses deux années
passées Rue de Varenne, de plus
en plus critiqué au sein même du
gouvernement pour sa méthode,
et toujours minoritaire dans le
Parti socialiste, M. Valls semble désormais condamné à ne plus faire
que ce qu’il sait faire : du Valls.
C’est-à-dire cliver par (presque)
tous les moyens au sein de la gauche, transgresser de nouveau par
les mots et les idées, pour frapper
les esprits et tenter de conserver
une plus-value politique minimale afin de préparer l’après-2017.
Mais le chef du gouvernement ne
peut plus attaquer tous azimuts
comme du temps où il était ministre de l’intérieur. Au contraire, sur
les questions économiques et sociales, il doit constamment s’aligner sur les équilibres précaires
décidés par François Hollande. Sur
le projet de « loi travail », M. Valls a
dû reculer dans un premier temps
devant la CFDT il y a quelques semaines, et désormais devant les
organisations de jeunesse.
Après vingt-quatre mois à Matignon, le premier ministre n’a pas
réussi à imposer au PS et au pays
sa vision sociale-libérale de l’économie. Son discours « probusiness » n’a jamais su convaincre les
socialistes et semble même de
moins en moins séduire le Medef,
désormais attiré par le nouveau
héraut du réformisme « en marche », le ministre de l’économie
Emmanuel Macron.
En échec sur son bilan économique et social, Manuel Valls est
donc contraint de revenir sur son
terrain privilégié, celui sur lequel
il bénéficie encore de marqueurs
forts vis-à-vis de l’opinion publique : les valeurs et l’autorité républicaines. En quelques mois, il
a ainsi troqué son « j’aime l’entreprise » pour « je n’aime pas les
salafistes ». Dans une interview
accordée à Libération mercredi
13 avril, la veille de l’émission de
François Hollande sur France 2,
il a répété ses dires de la semaine
précédente contre l’islamisme
salafiste.
Fidèle à ses convictions, il estime
que le voile islamique « identitaire,
politique, revendiqué comme tel, en
cachant la femme, vise à la nier ».
Au nom d’un « langage de vérité »,
il ajoute qu’il faudrait l’interdire à
l’université, même si, concède-t-il,
« il y a des règles constitutionnelles
qui rendent cette interdiction difficile ». Surtout, il sème le doute sur
la capacité générale de l’islam à
s’intégrer dans la société démocratique française. « J’aimerais que
nous soyons capables de faire la démonstration que l’islam, grande religion dans le monde et deuxième
religion de France, est fondamentalement compatible avec la République, la démocratie, nos valeurs,
l’égalité entre les hommes et les
femmes », déclare-t-il.
« Délires identitaires »
Signe de son affaiblissement, ses
propos ont été aussitôt contredits
par deux de ses ministres. « Il n’y a
pas besoin de loi sur la voile à l’université. Ce que je vois sur le terrain,
ce que me disent tous les présidents d’université, c’est qu’il n’y a
pas de problème », a réagi Thierry
Mandon, le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur. « Il y a une
liberté de conscience, une liberté
religieuse qui fait qu’on ne va pas
imposer les mêmes contraintes à
des mineurs qu’à des étudiants », a
ajouté Najat Vallaud-Belkacem, la
ministre de l’éducation nationale.
Les propos de
Valls sur le voile
à l’université
ont été aussitôt
contredits
par deux de
ses ministres
Cette double levée de boucliers
ministérielle est une nouvelle illustration des couacs qui se multiplient au gouvernement, comme
du temps de Jean-Marc Ayrault,
alors que M. Valls avait précisément remplacé ce dernier pour les
faire cesser. Récemment, le premier ministre s’est publiquement
opposé à la ministre de l’écologie,
Ségolène Royal, à propos de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.
Et, en début de semaine, c’était au
tour du secrétaire d’Etat chargé
des relations avec le Parlement,
Jean-Marie Le Guen, proche de
M. Valls, de créer le trouble en se
prononçant pour la dépénalisation du cannabis, position que ne
partage pas le premier ministre.
Surtout, ces divergences témoignent d’une opposition de plus
en plus forte au sein du gouvernement contre la méthode de gouvernance du premier ministre et
contre sa primauté accordée aux
thèmes identitaires. « Il faut que
Valls se calme avec ses délires identitaires », s’énerve un ministre qui
reproche au chef du gouvernement d’« agiter en permanence les
peurs et de ne jamais parler aux
Français des atouts du pays ». « On
ne peut plus discuter avec lui, il fait
tout tout seul dans son coin, sans
jamais prévenir personne »,
abonde un autre, qui regrette un
« recroquevillement ».
Coincé institutionnellement
par François Hollande, Manuel
Valls n’a pas d’autre choix que de
soutenir une nouvelle candidature du chef de l’Etat en 2017.
« Même si le lien s’est distendu,
c’est François Hollande qui a été
élu, c’est lui qui a créé une relation
avec les Français », rappelle-t-il
dans Libération. Certains de ses
proches regrettent qu’il n’ait pas
quitté Matignon quand cela était
encore possible, par exemple
pour être candidat aux régionales
en Ile-de-France en décembre 2015. « Il aurait été élu dans un
fauteuil et aujourd’hui, il serait
dans un autre rapport de force
avec Hollande », explique un de
ses amis. Désormais, le risque
pour Manuel Valls est clairement
identifié : voir, jour après jour, pâlir son étoile du recours, pour terminer hors-jeu, entraîné dans sa
chute par le chef de l’Etat en cas de
défaite dans un an. p
bastien bonnefous
Le voile à l’université, un faux débat relancé par le premier ministre
le sujet a décidément le don de provoquer des couacs au sein du gouvernement. Interdire le voile à l’université ? « Il
faudrait le faire », a déclaré Manuel Valls
dans Libération, mercredi 13 avril, avant
que la ministre de l’éducation nationale,
Najat Vallaud-Belkacem, et le secrétaire
d’Etat chargé de l’enseignement supérieur ne le contredisent : « Il n’y a pas besoin de ce texte », a rétorqué Thierry Mandon. Il y a un an, c’était Pascale Boistard,
secrétaire d’Etat alors chargée des droits
des femmes, et Geneviève Fioraso, qui
occupait le poste actuel de M. Mandon,
qui croisaient le fer sur le même thème.
Le sujet déchaîne les passions. A droite,
le débat oppose MM. Sarkozy et Ciotti –
pour l’interdiction – à MM. Juppé et
Fillon. Pourtant, si le sujet est controversé politiquement, ce n’est pas le cas, a
priori, d’un point de vue juridique. Le
premier ministre le reconnaît d’ailleurs
dans l’interview : « Des règles constitutionnelles, dit-il, rendent cette interdiction difficile. »
« Il n’y a aucune ambiguïté juridique sur
ce point », abonde Christian Mestre, pro-
fesseur de droit et « référent laïcité » pour
la Conférence des présidents d’université
(CPU). « La communauté universitaire est
pour la liberté religieuse, politique, syndicale et opposée à l’interdiction du port du
voile à l’université », a d’ailleurs tweeté la
CPU, mercredi. Les textes garantissant les
libertés publiques protègent en effet la liberté de conscience et d’expression des
citoyens, donc des étudiants. Seuls les
personnes exerçant une mission de service public sont soumises à une obligation de neutralité religieuse (et politique).
Mauvaise cible
Mais de quelle laïcité parle-t-on ? En janvier, une vive polémique opposant le
premier ministre au président de l’Observatoire de la laïcité, Jean-Louis
Bianco, avait rappelé que le camp laïque
se déchire entre les tenants d’une laïcité
libérale et ceux qui, à l’instar de M. Valls,
prônent « une défense intransigeante »
de la laïcité. Une laïcité de combat, dénoncent certains.
M. Bianco a rappelé mercredi son opposition à l’interdiction du voile à l’uni-
versité. Ce qui compte, insiste-t-on à
l’observatoire, ce n’est pas le vêtement,
mais le comportement. « La vraie menace est ailleurs », indique une motion
votée en mai 2015 par le Conseil national
de l’enseignement supérieur et de la recherche, l’instance qui représente la
communauté universitaire auprès du
ministre. « Elle réside dans le risque d’intrusion des religions et d’idéologies diverses dans la science, le contenu des enseignements ou des champs de recherche »,
poursuit le texte.
Dans un avis de 2015, l’observatoire faisait état de « 130 cas » d’incidents liés à la
gestion du fait religieux, pour deux millions d’étudiants : date d’examen dénoncée car tombant le jour d’une fête religieuse, contestations d’enseignements,
jeunes femmes refusant d’ôter leur voile
lors d’un contrôle de sécurité au moment d’une épreuve, bible posée sur une
table d’examen, etc.
D’ailleurs, c’est ainsi que la justice voit
les choses. Les étudiants sont libres d’exprimer leurs convictions religieuses,
énonçait le Conseil d’Etat en 1996. Mais
« cette liberté, précisait-il, ne saurait leur
permettre d’exercer des pressions sur les
autres membres de la communauté universitaire, d’avoir un comportement ostentatoire, prosélyte ou de propagande, ni
de perturber les activités d’enseignement
et de recherche ou de troubler le bon fonctionnement du service public ». Une limitation d’ailleurs prévue par tous les textes garantissant la liberté d’expression.
Quand le voile se transforme en tunique noire enveloppant tout le corps,
est-on en présence d’un « comportement
ostentatoire » ? « C’est tout le problème
avec le voile, a déclaré Nathalie Kosciusko-Morizet, mercredi, il y a des choses
très discrètes, mais il y a un moment où
cela devient plus un signe politique. »
« L’habit en lui-même ne suffira pas » à
une sanction, dit-on à l’Observatoire de
la laïcité. Mais « s’il y a volonté délibérée
de provoquer, en se mettant à plusieurs
au premier rang, en contestant ou en protestant, oui il peut y avoir sanction ». Ces
cas sont très rares, cependant, dit-on de
même source. p
benoît floc’h
france | 9
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
PS : une Belle Alliance aux airs de déjà-vu
L’initiative de Jean-Christophe Cambadélis ne rassemble aucune personnalité nouvelle
E
t si on la prenait au mot,
cette Belle Alliance populaire, qui, selon son promoteur, Jean-Christophe
Cambadélis, veut « dépasser le PS »
pour fonder une « fédération de la
gauche de transformation », avec
pour objectif d’« élaborer une alternative au libéralisme ambiant et au
nationalisme montant ».
Commençons par le milieu, en
l’occurrence ce terme d’« alliance ». En politique, il est censé
indiquer que des forces distinctes
ont choisi de mettre de côté leurs
divergences, estimant que ce qui
les rassemble est plus important.
Ce n’est certainement pas ce qui a
été donné à voir, lors du lancement de l’initiative, mercredi
13 avril, à Paris, quelque part entre
la place de la République et la quatrième dimension.
Serrés autour de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, sur la banquette trop
petite du Paname Art Café, se côtoyaient les apparatchiks des
groupuscules amis – Jean-Vincent
Placé, François de Rugy, Denis
Baupin et Yves Piétrasanta pour
les écologistes progouvernementaux, Jean-Luc Bennahmias et
Christophe Madrolle du Front démocrate – les traditionnels alliés
radicaux représentés par l’ex-ministre du logement Sylvia Pinel,
ainsi que des anciens syndicalistes
proches du PS (CFDT, UNSA, FAGE)
et des « acteurs de la société civile », comme l’ancien magistrat
Jean-Pierre Rosenczveig.
Le retour de Fadela Amara
Pas un membre de la gauche du PS
n’avait fait le déplacement. Pas un
ministre. Pas une personnalité
politique emblématique de la gauche, gouvernementale ou pas.
Jean-Christophe Cambadélis avait
annoncé une surprise. Elle s’est résumée au retour de Fadela Amara,
l’ancienne présidente de Ni putes
ni soumises, partie faire un tour
du côté de chez Nicolas Sarkozy
sous le précédent quinquennat.
Au bout du compte, il s’agit d’un
agrégat d’anciens camarades ou
compagnons de route du PS, qui
découvrent à quel point leurs
rangs sont décimés après quatre
ans de pouvoir.
Ce qui amène à l’adjectif « belle »,
censé qualifier cette alliance. Mercredi, l’aspect esthétique de ce rassemblement ne sautait pas aux
yeux. Nul besoin de s’attarder sur
le logo qui orne les affiches, un copier-coller de celui de la marque de
prêt-à-porter Celio. Ce sont les interventions des différents participants qui tranchaient le plus avec
ce qualificatif. Aucun souffle. Elles
étaient débitées sur un ton auto-
Le département
de Mayotte sous tension
Depuis deux semaines, une grève générale
paralyse l’activité économique de l’île
D
epuis le 30 mars, Mayotte
vit au rythme d’une
grève générale pour
« l’égalité réelle et la justice » déclenchée par une intersyndicale
regroupant la CGT, FO, la CFDT, Solidaires, la FAEN et le SNUipp-FSU.
Sous ce mot d’ordre fédérateur, les
syndicalistes réclament l’application immédiate à Mayotte du
code du travail et des conventions
collectives ayant cours en métropole, l’alignement des pensions
de retraite et des prestations sociales, le rattrapage des carrières
et des salaires. Des barrages filtrants ont été érigés sur les axes
principaux, paralysant une partie de l’activité économique tandis que des écoles sont fermées et
que les transports scolaires ne
sont plus assurés.
La situation s’est tendue ces derniers jours depuis que, en marge
du mouvement social, des bandes
de jeunes ont sillonné, par dizaines, les rues de Mamoudzou, le
chef-lieu de l’île, située dans
l’océan Indien, dans l’archipel des
Comores, entre Madagascar et le
Mozambique. Ces groupes, cagoulés et masqués, ont caillassé voitures et habitations, menacé des habitants terrorisés. Il a fallu l’intervention de nombreux médiateurs
pour ramener un calme précaire
dans la nuit de mercredi à jeudi,
après l’explosion de violence des
nuits précédentes. Mercredi, trois
personnes interpellées la veille
ont été jugées en comparution
immédiate et condamnées à des
peines allant de 1 à 8 mois d’emprisonnement. La préfecture a
renforcé le dispositif de sécurité et
la ministre des outre-mer, George
Pau-Langevin, a annoncé l’envoi
de renforts de gendarmerie.
Quoi qu’il en soit, la situation
demeure explosive dans ce territoire cédé à la France en 1841 par le
sultan Andriantsouli, longtemps
oublié de la République et devenu
101e département français en 2011.
Certes, depuis vingt ans, un réel
effort de rattrapage a été entre-
pris, avec la construction de nombreux collèges et lycées – 217 classes ont été créées en 2015 –, la
construction du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), le début de
la mise en place de l’assainissement, mais ces efforts sont en
grande partie absorbés par une
immigration massive, essentiellement en provenance de l’île voisine d’Anjouan.
Deux réunions prévues à Paris
Les migrants, selon les estimations, représentent 40 % des
220 000 habitants de l’île. Chaque
semaine, des « kwassa-kwassas »
(petits canots de pêche) chargés
de clandestins accostent. La maternité de Mamoudzou, avec
12 000 naissances par an, détient
le record d’Europe : 70 % de ces
naissances sont le fait de femmes
en situation irrégulière. Dans la
plupart des communes, les écoles
primaires fonctionnent en rotation : un directeur, des enseignants et des élèves le matin,
d’autres l’après-midi. Cette immigration clandestine a des impacts
dramatiques et l’île est en proie à
la violence et à l’insécurité.
« On n’a jamais tant fait pour
Mayotte, débloqué des crédits importants et prévu des procédures
de rattrapage mais on ne peut pas
tout faire tout de suite, ce n’est pas
réaliste », se défend Mme Pau-Langevin. La ministre, qui s’est rendue sur l’île en novembre 2015,
doit recevoir, vendredi à son ministère, les organisations syndicales mahoraises pour faire le point
sur l’avancée des revendications
qui avaient été répertoriées alors.
Une autre réunion est prévue le
26 avril, en présence de Manuel
Valls, afin d’évaluer la situation financière des communes. D’ici là,
l’émissaire qui avait déjà travaillé
sur la question du droit du travail
à Mayotte va y retourner. « Mais il
ne faut pas se faire d’illusions, prévient Mme Pau-Langevin. Mayotte
va demeurer un point sensible. » p
patrick roger
matique. Rien de la fraîcheur –
quoi qu’on en pense sur le fond –
d’initiatives politiques comme
celle de la Nuit debout ou, dans un
autre style, du ministre de l’économie Emmanuel Macron. L’affaire
dégage une furieuse impression
de déjà-vu, de rafistolage d’un navire sur le point de sombrer.
Au micro, Julien Dray, dégoulinant sous la chaleur des projecteurs, a bien tenté d’animer un
peu cette mise sur les rails en tutoyant et en rudoyant gentiment
les différents interlocuteurs.
Mais tout cela a surtout donné la
sensation que tout ce petit
monde se connaît depuis bien
trop longtemps.
Ce qui rend d’autant plus insolite
ce dernier mot de « populaire ».
Pas grand-chose n’évoquait le peuple dans le lancement de cette alliance. A l’heure de l’occupation
des places, les socialistes ont choisi
d’aller s’enfermer dans un petit
café du quartier le plus bobo de Paris. MM. Cambadélis et Dray
Pas un membre
de la gauche
du PS n’avait fait
le déplacement,
mercredi,
pour l’annonce.
Pas un ministre
avaient beau vanter une démarche
« innovante » de « co-construction
politique » avec la société civile, ce
sont eux qui ont totalement la
main sur un processus, qui à peine
né, semble déjà si vieux.
Initiative hors sol
Avec cette initiative, le PS apparaît
plus que jamais hors sol, déconnecté des électeurs. Pas un mot
sur le chômage qui frappe le pays,
lors de la vingtaine d’interventions des différents participants.
Rien sur le terrorisme, alors que
les assaillants du 13 novembre
sont passés dans la rue du café où
se déroulait le lancement de l’alliance. Aux oubliettes la loi travail,
la déchéance de nationalité, la loi
Macron et plus généralement
tous les thèmes qui ont amené la
gauche à se diviser.
Dans le monde parallèle de la
Belle Alliance populaire, le bilan de
François Hollande et de la gauche
au pouvoir n’existe pas, la réalité
semble être un concept malléable.
Interpellé sur la question, Jean-Luc
Bennahmias s’en offusquait à la
sortie : « J’ai prononcé le mot de
géopolitique dans mon intervention, si ça c’est pas la réalité ! »
Partie d’un constat juste – la gauche fragmentée a toutes les chances d’être électoralement balayée
–, la Belle Alliance populaire semble conçue pour faire la démonstration que les partis politiques
n’ont pas la capacité de se réinventer, mais tout juste d’indéfiniment se répéter. p
nicolas chapuis
J UST I C E
Verdict pour le meurtre
d’Aurélie Fouquet
Daouda Baba et Olivier Tracoulat (absent du procès) ont
été condamnés respectivement à 20 ans et 30 ans de réclusion par la cour d’assises
de Paris, jeudi 14 avril, pour le
meurtre de la policière municipale Aurélie Fouquet, le
20 mai 2010. A l’issue de cette
audience, le braqueur Redoine Faïd a été condamné
à 18 ans de prison pour
avoir participé au projet
de braquage qui a occasionné
la fusillade. Cinq autres
hommes ont écopé de 1 an à
15 ans de prison, un sixième
a été acquitté.
GEN DAR MER I E
Un général sanctionné
pour avoir écrit un livre
Le général de gendarmerie
Bertrand Soubelet sera privé
de son commandement de la
gendarmerie de l’outre-mer
et affecté ailleurs. Cette décision intervient après que ce
général de 56 ans est sorti de
son devoir de réserve en publiant Tout ce qu’il ne faut pas
dire. Insécurité, justice, un général de gendarmerie ose la
vérité (Plon).
10 | france
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Les Nuits debout restent balbutiantes en banlieue
Le mouvement citoyen suscite une certaine indifférence des habitants de la région parisienne
I
REPORTAGE
ls sont quelque trois cents à
se masser devant les barnums prêtés par la mairie sur
la place de la Basilique. Mercredi 13 avril, Saint-Denis organise
sa première Nuit debout. Et tout ce
que cette ville de Seine-Saint-Denis compte de collectifs militants,
de partis et d’associations sont venus pour cette première : syndicalistes de SUD, Coordination des
sans-papiers, parents d’élèves des
Bonnets d’âne, Mouvement de la
jeunesse communiste, écologistes, etc. Le rassemblement compte
beaucoup de professeurs, mais
aussi des étudiants de l’université
Paris-VIII et des organisations qui
profitent de la Nuit debout pour
faire entendre leur voix. Ceux qui
souhaitent s’exprimer sont invités à s’inscrire au niveau de la tribune improvisée, selon le même
fonctionnement que sur la place
de République à Paris, où le mouvement est né.
Emmanuelle et Adrien, respectivement chercheur en histoire et
en physique, s’y sont rendus à plusieurs reprises dans le cadre de
l’initiative #ScienceDebout, qui
invite les passants à les questionner sur leur discipline. Ce soir, ils
ont tenu à franchir le périphérique
parce qu’ils estiment « nécessaire
de créer un lien entre les rassemblements ». S’ils sont nombreux à
vouloir prendre la parole, les futurs orateurs ont tous le même
profil, regrette Mathieu, 49 ans.
« Malgré un métissage social et culturel, la majorité des personnes qui
sont mobilisées aujourd’hui sont
des militants », constate ce parent
d’élève engagé. « On n’arrive pas à
faire émerger le mouvement vraiment par le bas », déplore-t-il.
« Casser la centralité »
Les troupes sont bien plus maigres sur l’esplanade à la sortie du
RER Noisy-Champs. Ils sont une
trentaine à tester, pour la première fois là aussi, un « Banlieues
debout ». Les rangs sont constitués d’étudiants de l’université de
Marne-la-Vallée, de militants associatifs et politiques qui ont tenté
par un événement Facebook de
rassembler les habitants de cette
banlieue à cheval entre Noisy-leGrand et Champs-sur-Marne.
« Notre idée était de casser la centralité du mouvement en allant en
banlieue », explique David Cousy,
responsable de l’association Créteil 3.0. Il était revenu de la place
de la République assez agacé
quand il avait entendu parler de la
Le mouvement
pâtit d’une image
sympathique
mais
déconnectée
des réalités
quotidiennes
Guevara. Mais nous, cela fait des
années qu’on vit l’état d’urgence
qu’ils dénoncent », remarque Mohamed Mechmache, responsable
de la coordination Pas sans nous.
C’est aussi l’avis de Rachid Taxi,
militant à Blanc-Mesnil : « C’est
trop flou, on ne voit pas quelles
sont les revendications. » Il ira
quand même au rassemblement
prévu dans sa ville vendredi,
« pour voir ».
A Marne-la-Vallée, mercredi 13 avril. HUGO AYMAR/HAYTAM POUR « LE MONDE »
création d’une commission banlieues qui projetait d’envoyer une
délégation, par-delà le périphérique, expliquer ce qu’était le mouvement de protestation.
Autour de l’AG constituée en cercle, des jeunes restent à distance.
Samir, 19 ans, s’interroge : « Je sais
même pas c’est quoi. J’habite juste
là », dit-il. Sophie, jeune diplômée
en congé parental, tente de faire
participer le groupe : « On veut lancer le mouvement et conscientiser
les banlieusards mais ça va être difficile, reconnaît-elle. Pour eux,
ceux de la République sont des bobos parisiens. »
L’assemblée démarre doucement son tour de parole. La sono a
fini de jouer Bella ciao. On n’entend plus que des discours très militants sur la « mutualisation des
luttes ». Autour, les habitants, curieux, regardent le rassemblement mais ne se mêlent pas. Un
grand Noir, la quarantaine, qu’on
essaie d’attirer, s’énerve : « Mais
vous représentez quoi là ? Ouvrez
les yeux : y’a pas un Arabe, pas un
Asiatique, pas un Antillais ! »
La veille, ils étaient une petite
cinquantaine à Saint-Ouen pour
15 MARS – 24 AVRIL, 20H30
PAR-DELÀ LES MARRONNIERS
REVU(E)
TEXTE ET MISE EN SCÈNE JEAN-MICHEL RIBES
AVEC MAXIME D’ABOVILLE, MICHEL FAU, HERVÉ LASSÏNCE
SOPHIE LENOIR, ALEXIE RIBES, STÉPHANE ROGER, AURORE UGOLIN
Par-delà les marronniers
est un manifeste, une invitation
au voyage, à l’inconnu pour y
trouver de quoi transcender
l’ordinaire et de quoi rêver encore.
Fabienne Pascaud – Télérama
Jean-Michel Ribes a vu
les choses en grand.
Très belle production.
Armelle Héliot – Le Figaroscope
Jean-Michel Ribes montre son
attachement à l’insolence, à la
liberté de penser ailleurs, loin
de la tyrannie des certitudes.
À voir sans hésiter.
Thierry Voisin – Télérama Sortir
RÉSERVATIONS 01 44 95 98 21 — WWWTHE
WWW.THEATREDURONDPOINT.FR
Un grand Noir,
la quarantaine,
qu’on essaie
d’attirer, s’énerve :
« Ouvrez les yeux :
y’a pas un Arabe,
pas un Asiatique,
pas un Antillais ! »
une tentative similaire. Là aussi
des étudiants, des militants mais
peu de novices. Comme à Montreuil ou à Ivry. Les habitants des
quartiers ne se sont pas fait voir.
C’est effectivement une gageure
pour ces nouveaux « indignés »
qui veulent décentraliser la lutte.
Ils ont tous entendu François Ruffin, l’un des initiateurs de cette révolte citoyenne, les inviter à « sortir de l’entre-soi ». Tout comme ils
ont vibré quand, le 7 avril, Almamy Kanouté, responsable du
Mouvement Emergence, a lancé :
« Si on réussit à faire la fusion entre
les Parisiens et les banlieusards, là
les cols blancs auront peur. »
Une semaine plus tard, ce militant des quartiers à Fresnes (Valde-Marne) reconnaît que les banlieusards ont mis du temps à
identifier ce qu’étaient ces Nuits
debout. « Pour beaucoup, ce ne
sont que des images télévisées qui
montrent une ambiance de fête de
L’Huma. Quand ils entendront des
discours qui parlent de leur réalité,
peut-être viendront-ils ? »
« On a le sentiment que ce mouvement est à des kilomètres, que
c’est un délire de jeunes à la Che
« Résignés »
Dans ces quartiers où la crise se
fait sentir plus fortement
qu’ailleurs, la désillusion a gagné
aussi plus vite. Manifester paraît
bien loin des urgences. Les Nuits
debout pâtissent encore d’une
image sympathique mais déconnectée des réalités quotidiennes.
« Les habitants des quartiers sont
peut-être plus résignés. Ils ne
croient pas qu’ils peuvent influer
sur le cours des événements. Il n’y a
qu’à voir les taux d’abstention de
60 %, 75 % », insiste Nabil Koskossi, responsable de l’association Made in Sarcelles. A ses yeux,
pour que la dynamique prenne, il
faut que les têtes de réseaux présents dans les banlieues se coordonnent. Ou peut-être que s’organise, comme le veut Almamy Kanouté, une occupation mobile qui
se déplace chaque jour dans un
quartier. Alors peut-être, espèret-il, que « la Nuit debout cessera de
tourner sur elle-même ». p
elvire camus
et sylvia zappi
A Paris, des participants qui se ressemblent
Profs, lycéens, intermittents et « intellos précaires » sont surreprésentés place de la République
Q
REPORTAGE
ui sont les participants à
la Nuit debout, ce mouvement « citoyen » hors
partis, sans chef ni programme, né le 31 mars dans la foulée de la manifestation contre le
projet de loi travail ? La question
n’agite pas seulement ceux qui les
observent, qu’ils soient politiques,
journalistes, sociologues ou simples curieux. Elle préoccupe le
mouvement lui-même, soucieux
de contrer l’image d’un « entresoi » qui pourrait provoquer son
extinction. Sur la place de la République, à Paris, mardi 12 avril, le sujet est revenu sur la table lors de
l’assemblée générale. Au micro, un
jeune homme s’agace que des médias résument le mouvement à celui d’un « groupe de bobos, profs,
étudiants et intermittents ». Face à
lui, des dizaines de mains s’agitent
en l’air en signe d’approbation.
Signe de la difficulté du mouvement à drainer un public plus large
deux semaines après son éclosion,
parmi les militants de longue date
ou les simples curieux, professeurs, lycéens, intermittents et
« intellos précaires » restent malgré tout surreprésentés place de la
République, loin d’une réelle
mixité sociale. Si les profils varient
un tant soit peu, c’est plutôt au fil
des heures, car chacun se mobilise
selon son emploi du temps.
Ce matin-là, au milieu d’une
place encore vide, ils sont ainsi
une petite dizaine de militants de
Nuit debout à discuter, sous le re-
gard des policiers. Parmi eux,
François, 28 ans, vendeur dans la
joaillerie. Depuis une semaine, il
fait des allers-retours sur son
temps libre. Un peu plus loin, Gérard vient lui aussi « en pointillé ».
A 59 ans, il enchaîne les vacations
dans un musée parisien, entrecoupées de chômage.
« Ici c’est blanc, bourgeois »
Une petite délégation de lycéens,
qui viennent de manifester contre
le projet de loi travail, arrivent
dans les cris en fin de matinée. Les
forces de l’ordre sont moins visibles, l’ambiance plus festive. Des
petits groupes se forment. Au fil de
la journée, riverains et curieux
viennent grossir la foule, désireux
de « voir ce que ça donne ». Quelques poussettes font leur apparition. Nicole, économiste de 38 ans
et sympathisante PS – même si elle
a « un peu honte de le dire
aujourd’hui » –, est venue avec son
bébé. Elle suit l’évolution du mouvement sur TV Debout, et s’est décidée après avoir entendu qu’il n’y
avait « pas que des jeunes ».
La place se remplit soudainement vers 18 heures, lorsque l’AG
commence, brassant les groupes
au gré des allées et venues – excepté celui à qui des bénévoles servent la soupe populaire, distribuée
en bordure de la place. Medhi, économiste, retrouve sa compagne
Marguerite, qui l’a convaincu de
« venir voir » après leur travail. Près
de la statue, un groupe de lycéens
s’installe autour d’un pack de bières. Parmi eux, Larry (un pseudo),
17 ans, vient chaque soir après ses
cours. Un peu partout, on croise
des professeurs. A l’image d’Anne
Puget, professeure retraitée et ancienne militante soixante-huitarde, venue avec son compagnon
pour afficher sa « solidarité » et
écouter les débats.
Ils sont nombreux, sur cette
place, ceux qui exercent une profession intellectuelle. Parmi les
orateurs de la Nuit debout, ce
mardi, il y a aussi Jean-Marc, un
chercheur en sciences humaines
de 52 ans. C’est la première fois
qu’il vient. Sa fille lui a assuré qu’il
« se passait quelque chose ».
A 21 heures, la place compte environ 1 500 personnes. Partout, des
groupes se font et se défont au
rythme des conversations avec des
inconnus, comme enivrés par
cette « libération de la parole » et le
souhait de « créer un projet de société ». Une jeune fille, qui s’excuse
presque de n’être « pas à plaindre
dans la vie », se dit frappée par cette
« écoute » et ce « respect, même
quand les points de vue divergent ».
Divergent-ils souvent, tant cette
Les profils varient
un tant soit peu
au fil des heures,
car chacun
se mobilise selon
son emploi
du temps
foule semble se ressembler ? « Oui,
ça arrive !, assure-t-elle. Une copine
ne veut pas venir parce qu’elle me
dit qu’ici c’est blanc, bourgeois et
qu’il n’y a pas de diversité. Mais c’est
hautain de dire ça, et c’est pas vrai. »
Le profil de ceux qui peuplent la
place vers 23 heures, lorsque la
Nuit debout bat son plein, ne vient
pas contredire l’image que certains ont du mouvement. On y
croise Arthur, un architecte arrivé
après le travail et qui compte repartir avec le dernier métro, mais
aussi des étudiantes de Sciences Po, qui discutent près d’un cracheur de feu et d’un groupe de percussionnistes.
La fin de l’AG, un peu avant minuit, marque une rupture. La place
se vide, même si certains continuent de discuter en groupes.
Yann, un habitué, est probablement le dernier arrivé à cette Nuit
debout. Ce soir, ce danseur professionnel de 31 ans est venu à sa sortie du théâtre pour avoir sa dose
d’échanges, avec l’« envie de croire
que ce mouvement va prendre ».
Au milieu de la nuit, ne restent
plus que quelques militants qui se
disent « alternatifs » et se déplacent de lutte en lutte, des fêtards, et
quelques marginaux. Lola, venue
pour la première fois, est encore là.
Intermittente, elle a « proposé
[s]on aide à la commission logistique ». Elle promet de rester « jusqu’à ce que les flics arrivent », vers
5 h 30, à l’ouverture du métro. p
elvire camus, violaine morin,
anna villechenon
et faustine vincent
france | 11
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Un ticket
Sarkozy-Baroin
contre Juppé
Encore dans l’ombre, le sénateur
chiraquien devrait s’engager dans
la campagne de la primaire en juin
A
entendre ses partisans, ce serait « la carte
maîtresse » de Nicolas
Sarkozy. L’atout majeur qui pourrait lui permettre de
l’emporter face à Alain Juppé lors
de la primaire à droite pour la
présidentielle. Au moment où le
président du parti Les Républicains (LR) se trouve fragilisé par
les affaires judiciaires et les mauvais sondages, sa garde rapprochée nourrit de grands espoirs
dans l’alliance nouée pour
2017 entre leur champion et
François Baroin, l’influent président de l’Association des maires
de France (AMF).
D’après nos informations, les
deux hommes ont noué un pacte
à l’été 2015, dans lequel chacun est
censé y trouver son compte : en
cas de retour à l’Elysée, M. Sarkozy
a promis à son ancien ministre de
l’économie de lui confier Matignon. En échange, le sénateur de
l’Aube s’est engagé à soutenir l’exchef de l’Etat. Des sarkozystes évoquent même « un ticket », qui verrait leur candidat afficher son intention de nommer M. Baroin
premier ministre, lorsqu’il annoncera sa candidature à la primaire aux alentours de l’été.
« Cela pourrait être un ticket gagnant, juge Eric Ciotti, soutien de
M. Sarkozy. Je ne vois que des avantages à ce scénario car leur attelage est très complémentaire. »
Et si l’ex-chef de l’Etat se retrou-
vait dans l’impossibilité de se présenter, il pourrait soutenir la candidature de son protégé pour mener bataille contre M. Juppé. Une
certitude : leur alliance est « solide », comme le répètent plusieurs dirigeants de LR. Car chacun a intérêt à se servir de l’autre
pour défendre ses propres ambitions. A 50 ans, M. Baroin prendrait une longueur d’avance sur
les concurrents de sa génération
(Bruno Le Maire, Laurent Wauquiez et Nathalie Kosciusko-Morizet) s’il parvenait à devenir chef
de gouvernement. M. Sarkozy, lui,
entend mettre en avant ce chiraquien de la première heure pour
contester à M. Juppé l’héritage
de Jacques Chirac.
Très discret jusque-là, le maire
de Troyes entend s’impliquer
plus franchement dans la campagne de la primaire à l’issue du
congrès de l’AMF, qui se tiendra
du 31 mai au 2 juin. MM. Sarkozy
et Baroin ont d’ores et déjà prévu
En cas de
victoire, Sarkozy
a promis à son
ancien ministre
de l’économie
de lui confier
Matignon
de mettre en scène leur alliance à
cette occasion, lors de la réception des maires LR au siège parisien du parti, le 1er juin. Leurs
équipes coopèrent déjà : l’attachée de presse de M. Baroin travaille en étroite collaboration
avec l’entourage de M. Sarkozy ;
son ancien directeur de cabinet à
Bercy, Didier Banquy, est le trésorier de l’association de financement du président de LR en vue
de sa campagne pour la primaire.
Le sénateur de l’Aube s’y voit déjà.
« On sent qu’il est dans l’esprit
d’être le premier ministre de Nicolas Sarkozy », témoigne un élu.
Les deux hommes affichent leur
volonté d’associer leurs forces, en
tenant des propos élogieux l’un
sur l’autre. « Nicolas Sarkozy mérite un match retour avec François
Hollande », affirmait M. Baroin en
octobre dans Paris Match, avant
de louer, trois mois plus tard sur
RTL, « le leadership » et « l’énergie »
de l’ex-chef de l’Etat. Ce dernier le
lui rend bien. « J’ai une grande
confiance en François Baroin dont
j’apprécie l’originalité du parcours
et la personnalité », écrit-il dans
son livre La France pour la vie
(Plon), paru en janvier. « Un lien
fort s’est construit entre eux ces
dernières années », atteste l’entourage de M. Sarkozy.
Rancune et orgueil
Rien ne présageait une telle entente entre deux hommes, qui se
sont longtemps détestés après
s’être affrontés en 1995, lorsque
l’un était porte-parole d’Edouard
Balladur et l’autre de Jacques Chirac. Après le passage éclair de
M. Baroin au ministère de l’intérieur en mars 2007, le nouveau
président de la République avait
promis de le laisser à l’écart du
gouvernement, lâchant sur un
ton moqueur : « Baroin ? Cinq mois
à l’intérieur, cinq ans à l’extérieur ! »
Ce dernier avait alors mené la
vie dure à M. Sarkozy – fustigeant
notamment le débat sur l’identité nationale – jusqu’à ce qu’il
soit nommé ministre du budget
en mars 2010. « Très vite, une relation de travail s’est installée entre
eux, se souvient un ex-ministre.
Ils avaient des rapports fluides et
transparents. » Leur gestion commune de la crise financière,
lorsque le chiraquien a dirigé le
ministère de l’économie de
juin 2011 à mai 2012, a scellé leur
rapprochement. Il débouche
aujourd’hui sur une alliance contre-nature, sans fondement historique ni idéologique. Car M. Baroin, qui fait figure de modéré à
droite, a dénoncé à plusieurs reprises l’influence néfaste qu’a pu
avoir Patrick Buisson sur
M. Sarkozy, et ne partage pas la ligne à droite toute que l’ex-chef de
l’Etat défend.
Comment expliquer ce mariage ? Outre leurs ambitions respectives, le ciment de leur alliance
repose sur leur volonté commune
de barrer la route à M. Juppé. Rancunier et orgueilleux, M. Baroin
est déterminé à mener bataille
contre l’ex-premier ministre, à qui
il n’a jamais pardonné de l’avoir limogé du porte-parolat du gouvernement en 1995, et de ne pas
l’avoir soutenu lorsqu’il briguait
Bercy en 2011. Cette volonté d’en
découdre avec le favori de la primaire en fait un soutien stratégique pour M. Sarkozy.
D’autant que les échanges
d’amabilités ont déjà démarré.
« Je ne travaillerai plus jamais pour
lui, même s’il est élu président de la
République. Je ne veux plus jamais
être sous la tutelle de cet homme-là », assure M. Baroin dans le
livre de Gaël Tchakaloff, Lapins et
merveilles (Flammarion), sorti le
6 avril, en parlant de M. Juppé. Lequel rend coup pour coup. Présentant M. Baroin comme « un
aigri » qui lui « en veut », il assène
dans le même ouvrage : « Je n’ai
pas soutenu sa candidature pour
le ministère de l’économie en 2011,
parce que je pensais qu’il n’avait
pas la carrure. » p
Surveillance de Thierry
Solère : une enquête
préliminaire est ouverte
« Le Monde » avait révélé que des moyens
de la DGSE ont été utilisés pour écouter l’élu
L
alexandre lemarié
e parquet de Paris a ouvert,
mercredi 13 avril, une enquête préliminaire après la
publication, mardi 12 avril dans Le
Monde, d’un article révélant l’utilisation des moyens techniques de
la Direction générale de la sécurité
extérieure (DGSE), en 2012, pour
surveiller les communications de
Thierry Solère, alors que celui-ci
était candidat dissident de l’UMP,
lors de la campagne des législatives dans les Hauts-de-Seine.
L’enquête est ouverte des « chefs
de collecte frauduleuse de données à caractère personnel et d’atteinte à l’intimité de la vie privée et
recel de ce délit ». Elle a été confiée
aux gendarmes de la section de recherches de Paris. Mardi, M. Solère,
devenu député, vice-président du
conseil régional d’Ile-de-France, et
chargé d’organiser la primaire à
droite pour désigner le candidat LR
à l’élection présidentielle de 2017, a
indiqué qu’il déposerait « probablement une plainte contre X ».
Le parquet a donc rapidement
décidé de se saisir de ce dossier qui
compte encore de nombreuses inconnues, notamment l’identité du
donneur d’ordre, le modus operandi et les raisons de cette surveillance clandestine avec les
moyens de l’Etat. Mais la tâche de
la justice ne s’annonce pas aisée.
Comme souvent dans les enquêtes judiciaires qui touchent au
monde du renseignement, deux
logiques vont s’opposer, le respect
du droit et le secret-défense.
Les activités de la DGSE sont couvertes par le secret-défense. Son
cœur de métier est par nature illégal et échappe à la loi puisqu’elle
travaille avant tout à l’extérieur
des frontières nationales. Pour
mener à bien sa mission, il lui importe donc de sanctuariser, à l’abri
des regards médiatiques ou judiciaires, la nature de ses moyens et
son mode de fonctionnement, ce
que lui permet le secret-défense.
Interceptions ciblées
Pour autant, elle doit aussi rendre
des comptes dès lors qu’elle pratique des interceptions ciblées de
communications ou de données
attachées à des identifiants français. Elle doit, en effet, soumettre
ses demandes à la Commission
nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui a remplacé, fin 2015, la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité.
La DGSE, qui a assuré ne rien connaître de l’affaire Solère, reste encore profondément marquée par
la perquisition menée, en 2010,
dans ses locaux par le juge d’instruction Patrick Ramaël dans une
enquête sur la disparition en 1965
à Paris de l’opposant marocain
Mehdi Ben Barka. Une première
dans son histoire. p
jacques follorou
Edition n° 2684 du 14 au 20 avril 2016
Que veut vraiment
Nuit debout ? P. 32
CHRISTINE ANGOT
croque
BRUNO LE MAIRE
P. 44
Patti Smith
P. 84
Confessions d’une icône
Master 2 : les étudiants seront
sélectionnés dans 40 % des formations
Une liste de 1 300 mentions sera prochainement validée par décret
supérieur Thierry Mandon s’était
engagé à « sécuriser juridiquement » la prochaine rentrée.
Autrement dit : à nommer les
formations dans lesquelles des
« capacités d’accueil » limitées, la
non-réussite à un concours ou un
mauvais dossier académique peuvent être avancés par les présidents d’université pour justifier le
refus d’un étudiant.
Sécurisation juridique
Mi-mars, la Conférence des présidents d’université (CPU) demandait l’inscription dans cette liste de
près de 850 mentions de master.
Cinq présidents d’université – Paris-I, Paris-II ou encore Toulouse-I
– étaient montés au créneau, accusant le ministère de vouloir « amputer » cette liste. Ils semblent
avoir été entendus : le nombre de
mentions concernées étant finalement passé à… 1 304, réparties
dans quelque 80 établissements.
Soit 42 % des 3 040 mentions de
M2 qui existent en France.
Les présidents d’université ont
par ailleurs obtenu, dans ce décret,
une sécurisation juridique de la
sélection avec les étudiants arrivant d’autres universités, ou encore ceux issus d’une autre mention de master 1. « Cela devrait
nous aider à gérer les flux, commente Bruno Sire, président de
Toulouse-I, même si cela paraît fragile juridiquement ».
Cette surprenante inflation
d’une liste que même la ministre
Najat Vallaud-Belkacem avait affirmé vouloir « très limitative » ne
« satisfait pas complètement la
CPU » explique Jean-Loup Salzmann, son président. Si une majorité de formations désignées par la
CPU sont présentes dans le projet
de décret, plusieurs établissements « n’ont tout de même pas
obtenu satisfaction ». Selon lui, « il
faut passer très vite à l’étape 2 »,
soit la réflexion sur « la sélection
dans tous les masters », dès la fin
de la licence.
Une question qui sera sans
aucun doute abordée lors d’une
« concertation de quatre mois » annoncée par Thierry Mandon mercredi 13 avril. Celle-ci devrait justement permettre d’examiner « une
orientation très renforcée après la
licence [ou] le recrutement des étudiants dans les masters » a-t-il expliqué sur RTL. Une concertation
« pour reformer le master que nous
demandons depuis longtemps » salue Alexandre Leroy, du syndicat
étudiant FAGE.
Dans un autre registre, le président de l’UNEF, William Martinet,
évoque les « mauvais signaux » envoyés par le gouvernement. A savoir « une liste de masters 2 sélectifs
moins limitative que prévu » et le
fait que « le ministère ne répond pas
à la question fondamentale du
droit, pour les étudiants, d’accéder
à un master 2 après un master 1 ».
William Martinet menace : « Ce semestre a été particulièrement agité
du fait de la loi travail. Le ministère
cherche-t-il à réunir les conditions
pour une rentrée universitaire tout
aussi chaude ? » p
séverin graveleau
BORIS
CYRULNIK
Le terrorisme,
le mal, les héros,
les victimes...
P. 73
Le grand psy publie
“Ivres paradis, bonheurs héroïques”
chez Odile Jacob
LEa crESPI/PaSco
A
partir de la rentrée 2016,
la sélection entre la première et la deuxième année de master sera légale dans
quelque 1 300 mentions telles que
« droit et gestion des finances publiques » ou encore « sciences du
médicament ». C’est ce que révèle
un projet de décret du ministère de
l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Le texte, qui
doit être soumis, pour un simple
avis consultatif, au Conseil national de l’enseignement supérieur et
de la recherche (Cneser) lundi
18 avril, vient combler un vide juridique qui a fait grincer des dents
plus d’un président d’université
ces derniers mois. Et ce, depuis que
le Conseil d’Etat a confirmé, dans
un avis rendu début février, que la
sélection à l’université entre la première et la seconde année de master ne reposait sur aucune base légale sans un décret listant les formations concernées.
Car dans les faits, cette sélection
est déjà mise en place, discrètement, par les présidents d’université, notamment dans les filières
les plus convoitées comme le
droit ou la psychologie. Malgré
l’adoption en 2002 du cadre européen Licence-Master-Doctorat
(LMD, en trois, cinq et huit ans
après le bac), la sélection qui existait à l’issue de l’ancienne maîtrise
(bac + 4) a perduré dans certains
M1. Les contentieux devant les tribunaux qui opposent des étudiants s’estimant injustement sélectionnés se sont multipliés. Le
secrétaire d’Etat à l’enseignement
En vEntE chEz
votrE marchand
dE journaux
12 |
SPORTS
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Karim Benzema mis au ban de l’Euro
La Fédération a finalement décidé de ne pas retenir l’attaquant des Bleus, pour la « préservation du groupe »
F
in de partie. C’est par un
communiqué laconique
que Noël Le Graët a mis
un terme, mercredi
13 avril, au feuilleton Benzema. Le
président de la Fédération française de football (FFF) a annoncé
que l’attaquant des Bleus – mis en
examen depuis novembre 2015
pour « complicité de tentative de
chantage » et « participation à une
association de malfaiteurs » dans
le cadre de l’affaire dite du « chantage à la sextape » à l’encontre de
son coéquipier tricolore Mathieu
Valbuena – ne participera pas à
l’Euro 2016, qui se déroulera en
France du 10 juin au 10 juillet. Le
dirigeant breton ferme ainsi définitivement la porte à un retour du
meilleur buteur en activité des
Bleus (27 réalisations) d’ici au
12 mai, jour de l’annonce de la liste
des vingt-trois joueurs sélectionnés pour la compétition.
« Il n’existe aucun obstacle, sur le
plan juridique, au fait qu’il soit sélectionné », indique pourtant la
FFF dans son communiqué, alors
que l’attaquant du Real Madrid
avait été constamment convoquée avec les Bleus durant sa
mise en examen dans le cadre de
l’affaire Zahia, de 2010 à 2014. A
l’instar de son partenaire Franck
Ribéry, l’ex-pépite de l’Olympique
lyonnais avait ensuite été blanchie dans ce dossier. Mais Noël Le
Graët et son sélectionneur Didier
Deschamps, « tiennent à rappeler
que la performance sportive est
un critère important mais pas exclusif (…) ». « La capacité des
joueurs à œuvrer dans le sens de
l’unité, au sein et autour du
groupe, l’exemplarité et la préservation du groupe sont également
prises en compte par l’ensemble
des sélectionneurs de la Fédération », argue la FFF.
Prévenu par Didier Deschamps,
Karim Benzema, qui n’avait déjà
pas été retenu par Raymond Domenech pour le Mondial 2010,
avait devancé de quelques minutes la publication du communiqué de la Fédération pour exprimer sur son compte Twitter sa déception de ne pas être retenu pour
« notre Euro en France ». « Ce qui
m’interpelle, c’est que dans le communiqué, j’entends parler d’exemplarité pour un délit dont il n’est
pas avéré qu’il a été commis », s’interroge l’avocat du joueur, Eric
Dupond-Moretti.
« C’est l’un
des dossiers les
plus complexes
que j’ai eu à gérer
à la FFF »
NOËL LE GRAËT
président de la Fédération
française de football
Karim
Benzema,
lors du
Mondial
2014,
au Brésil.
PATRIK STOLLARZ/
AFP
Le 10 décembre 2015, Noël Le
Graët avait indiqué que l’attaquant n’était « plus sélectionnable » tant que « sa situation »
n’évoluait pas. L’horizon en bleu
de Karim Benzema s’était éclairci
le 11 mars, lorsque son contrôle judiciaire avait été définitivement
levé. Le patron de la FFF envisageait alors de réunir dans son bureau Mathieu Valbuena et le canonnier madrilène, absents en sélection depuis octobre, pour parachever la grande opération de
réconciliation.
Sondages réprobateurs
Dans les colonnes de L’Equipe, à la
mi-mars, Didier Deschamps assurait vouloir « la meilleure équipe et
donc les meilleurs joueurs », tout
en défendant la « présomption
d’innocence » de Karim Benzema.
En verve avec le Real Madrid, son
nouvel entraîneur, Zinédine Zidane, a répété plusieurs fois que
les Bleus ne pouvaient pas se priver de lui pour l’Euro.
Le capitaine des champions du
monde en 1998 et d’Europe
« J’entends parler
d’exemplarité
pour un délit
dont il n’est pas
avéré qu’il a
été commis »
ÉRIC DUPOND-MORETTI
avocat de Karim Benzema
en 2000 semblait alors sourd aux
sondages réprobateurs. Selon une
étude réalisée en décembre 2015
par l’institut Elabe pour RMCBFMTV, 82 % des Français se disaient opposés à un retour en
équipe de France de Benzema. A la
fin de février, une étude établie
par Odoxa pour RTL donnait un
résultat quasi similaire avec 70 %
de sondés hostiles.
« C’est l’un des dossiers les plus
complexes que j’ai eu à gérer à la
FFF, confiait au Monde Noël Le
Graët quelques jours avant de
prendre sa décision. Car il y a une
contradiction entre l’opinion publique et ce que je ressens pour ce
garçon-là. Je l’aime bien sans parler de l’affaire. On peut demander à
Laurent Blanc ou à Didier, à tous
ses entraîneurs, à Zidane
aujourd’hui, il s’est toujours bien
conduit au niveau de l’entraînement, du groupe, des sponsors. »
Conscient du poids sportif de
Karim Benzema, désireux de voir
les Bleus atteindre au moins le
dernier carré de l’Euro, Noël Le
Graët s’était engagé dans une
campagne de réhabilitation du
joueur dès sa mise en examen.
« La vraie question est de savoir si
Benzema est l’avant-centre type de
l’équipe de France », affirmait-il au
Monde en novembre. Un mois
plus tard, il était revenu sur les
« courriers racistes » reçus à la Fédération depuis l’éclatement de
l’affaire du « chantage à la sextape ».
« On était dans la période difficile
d’après les attentats. Les lettres
qu’on recevait, c’était l’horreur.
C’était du genre : “L’Arabe, dehors,
et comme ça on est tranquille”. Je
l’ai donc défendu un peu plus peutêtre, reconnaît aujourd’hui le dirigeant. Il a très certainement commis une faute. Mais balancer quelqu’un sur la place publique à ce
point-là, ça ne se fait pas. »
Le 17 mars, Libération fait sa
« une » sur la « Nouvelle embrouille Benzema » et révèle que le
joueur du Real a été entendu en
janvier comme témoin dans le cadre d’une information judiciaire
ouverte en septembre 2015, par le
parquet de Paris, pour blanchiment en bande organisée et blanchiment de trafic de stupéfiants.
Cet élément a-t-il changé la donne
alors que le président de la FFF
aurait préféré être informé de
cette audition par l’intéressé luimême plutôt que par la presse ?
Jusqu’ici, Noël Le Graët avait fait
abstraction des déclarations du
premier ministre, Manuel Valls, et
du ministre des sports, Patrick
Kanner, hostiles à un retour de
Karim Benzema en sélection.
L’ex-maire PS de Guingamp (19952008) avait alors reçu le soutien
de François Hollande. Soucieux
d’éviter toute ingérence dans les
affaires de la Fédération, le chef de
l’Etat avait demandé aux membres du gouvernement de ne plus
commenter l’affaire Benzema.
Dans l’optique de conquérir
l’Euro, l’absence de Karime Benzema sera-t-elle un handicap
pour l’équipe de France ? L’éclosion des prodiges Anthony Martial (20 ans) et Kingsley Coman
(19 ans) témoigne du vivier d’attaquants dont dispose Didier Deschamps. Le festival offensif offert
par les Bleus, fin mars, contre les
Pays-Bas (3-2) et la Russie (4-2), a
rassuré le sélectionneur. Si ce dernier a souhaité déminer le terrain
avant l’annonce de « sa » liste des
23 et s’éviter en plein tournoi des
répliques du séisme provoqué par
la désormais célèbre affaire de la
« sextape », nul doute que l’ombre
du numéro 10 planera sur les
Bleus pendant l’Euro et qu’elle ne
se dissipera pas en cas d’échec. p
rémi dupré
Griezmann élimine le Barça
Antoine Griezmann a propulsé l’Atlético Madrid en demi-finale de
la Ligue des champions. Le doublé de l’attaquant français a permis à son club de battre le FC Barcelone (2-0), mercredi 13 avril, en
quarts de finale, et de créer l’exploit en éliminant le tenant du titre. Antoine Griezmann retrouvera en demi-finale le Bayern Munich, Manchester City ou le Real Madrid de Karim Benzema au sujet duquel il a exprimé sa « tristesse » après son éviction de l’équipe
de France tout en relativisant : « On a d’autres attaquants. On essaiera de faire de notre mieux et d’aller au bout à l’Euro. »
Margarita Louis-Dreyfus lâche officiellement l’OM
Vingt ans après l’achat par Robert Louis-Dreyfus, sa veuve annonce la mise en vente d’un club qu’elle n’arrivait plus à gérer
marseille – correspondance
L
es Louis-Dreyfus et l’Olympique de Marseille, c’est –
presque – fini. Et l’épilogue
annoncé de ce mariage finalement peu heureux entre l’une des
plus riches familles d’Europe et le
plus populaire des clubs de foot
français, a été accueilli avec soulagement par l’immense majorité
des supporteurs de l’OM. Un souffle d’espoir dans une ville exaspérée par la saison catastrophe de
son équipe, toujours menacée, à
cinq journées de la fin du championnat, par une relégation en
deuxième division.
Margarita Louis-Dreyfus, propriétaire de l’OM depuis le décès
de son mari Robert Louis-Dreyfus
en 2009, a rendu publique, mercredi 13 avril, sa décision de « céder
le club au meilleur investisseur
possible pour le long terme ».
« Dans le nouveau monde du football (…), je pense que le temps des
mécènes est révolu », se justifie-telle dans un communiqué. Présidente du groupe qui porte son
nom et 171e fortune mondiale –
entre 6 et 7 milliards d’euros, selon le magazine Forbes – la « tsarine », comme la surnomment les
Marseillais pour ses origines russes, refuse surtout d’investir encore dans le club acheté par son
mari en décembre 1996.
Dans
son
communiqué,
Mme Louis-Dreyfus
rappelle
qu’elle a « dû remettre plusieurs dizaines de millions d’euros à titre
personnel » dans l’OM. Sans toutefois préciser que ces investissements forcés découlent de ses
choix stratégiques. Et de la gestion financière d’hommes qu’elle
a elle-même mis en place, au premier rang desquels son ex-favori,
le président Vincent Labrune,
tombé en disgrâce cette saison.
« Calmer les supporteurs »
La mise en vente de l’OM n’est pas
une surprise. Depuis quelques
mois, l’arrivée d’investisseurs
pour compenser les pertes du
club est régulièrement évoquée
par les dirigeants marseillais. A la
mairie, des proches de JeanClaude Gaudin (LR) évoquaient
ces dernières semaines « de
grands changements à l’OM ».
« Cette fois, l’annonce est officielle », pointait, mercredi soir,
Luc Laboz, le directeur de la communication du club.
Si la cession était attendue, la
méthode a surpris. Elle symbolise, encore une fois, la distance
entre la propriétaire du club et
une ville qu’elle a peu comprise.
Insultée lors des derniers matchs
de son équipe au Vélodrome, cible de slogans machistes, Margarita Louis-Dreyfus a, une nouvelle
fois, agacé les supporteurs. Mercredi, son communiqué est arrivé
dans les rédactions parisiennes
avant de parvenir à Marseille. Ses
destinataires présumés, les présidents des associations de fans,
ont appris la vente par les médias.
« Je suis devant BFM-TV et j’attends de voir ce communiqué », rageait ainsi Khokha Amsis, la présidente de Marseille trop puissant, un des clubs du virage nord
du Vélodrome.
Au siège de l’OM, la surprise était
la même. Vincent Labrune, président, et son numéro 2, Luc Laboz,
reconnaissent ne pas avoir été in-
« Si l’OM veut
viser le podium
de la Ligue 1,
il faut au moins
50 millions
d’euros par an
pendant quatre
saisons »
PAPE DIOUF
ancien président de l’OM
formés par l’actionnaire. « Je viens
d’avoir Igor Levin, le conseiller de
Margarita Louis-Dreyfus, qui m’a
confirmé que le communiqué était
bien authentique », expliquait,
peu avant 20 heures, M. Laboz.
Preuve ultime que l’équipe dirigeante de l’OM a perdu toute légitimité aux yeux de sa patronne.
« On peut aussi voir dans ce communiqué une façon de calmer les
supporteurs, note, lucide, l’ancien
président de l’OM Pape Diouf. En
parlant de vente, on leur fait
oublier la fin de saison. » Alors que
les Marseillais n’ont pas gagné depuis le 13 septembre 2015 à domicile, la tension a explosé lors des
deux dernières rencontres au Vélodrome – défaite contre Rennes
(2-5), nul vierge contre Bordeaux.
Le stade marseillais est sous la
menace d’une suspension et les
supporteurs olympiens ont été
interdits du court déplacement à
Monaco, le week-end prochain.
« Mais la seule vraie question,
aujourd’hui, reprend Pape Diouf,
c’est : quel investisseur peut reprendre l’OM ? » Dans son communiqué, Margarita Louis-Dreyfus
semble ouvrir la porte à des négociations rapides. « Le prix [de
vente] n’est pas ma préoccupation
première », écrit-elle. « Mais même
à 1 euro symbolique, la reprise demandera un très gros investissement, souffle Pape Diouf. Sans
même parler de concurrencer le
PSG, si l’OM veut viser le podium de
la Ligue 1, il faut au moins 50 millions d’euros par an pendant quatre saisons. 200 bâtons, quoi… »
Si Bernard Tapie, éternel fantasme local malgré ses déboires
financiers, a déjà annoncé qu’il
« ne pense pas du tout » à une reprise, les rumeurs courent Marseille. « Nous savons depuis deux
semaines qu’il y a deux pistes très
sérieuses, assure Luc Laboz. Mais
pour avoir des informations, il faut
demander à Margarita LouisDreyfus. » « Mme Dreyfus viendra
nous trouver quand elle aura son
repreneur », glisse, à la mairie, un
membre du cabinet Gaudin.
A l’OM, les 20 ans des LouisDreyfus laisseront un bilan mitigé. A son arrivée, « RLD » avait
promis de faire du club, le
« Bayern Munich du Sud ». L’ancien patron d’Adidas n’aura finalement remporté qu’une Coupe
Intertoto (2005), défunte compétition européenne de seconde
zone. Sa veuve, elle, affiche un titre de champion de France 2010 et
trois Coupes de la Ligue (2010,
2011, 2012). D’ici à son départ, elle
peut rêver de décrocher une
Coupe de France. L’OM joue sa demi-finale contre Sochaux le
21 avril. Ultime rendez-vous avant
une nouvelle ère ? p
gilles rof
CULTURE
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
La fabrique
aux étoiles
| 13
Répétition de
« Conservatoire »,
de Bournonville,
par les élèves de
l’Ecole de danse
de l’Opéra de Paris.
FRANCETTE LEVIEUX/
OPÉRA NATIONAL DE PARIS
Les élèves de l’Ecole de danse
de l’Opéra de Paris se donnent
en spectacle du 14 au 18 avril
Q
REPORTAGE
ue vient faire un double décimètre entre
les mains d’Elisabeth
Platel, étoile et directrice de l’Ecole de
danse de l’Opéra national de Paris ?
Dans un studio de répétition de
l’école située à Nanterre (Hauts-deSeine), au milieu d’élèves en tutus
longs, la voilà en train de mesurer
la hauteur entre le bas de leur
jupon et le plancher. Aucun n’est
au même niveau. Branle-bas de
combat chez les couturières pour
égaliser à « 34 centimètres au-dessus du sol ». « Je suis très fière de
cette production autour du chorégraphe Auguste Bournonville
(1805-1879) », s’exclame Elisabeth
Platel. Et tout doit être réglé à la virgule de tulle près.
Le style se love dans les détails.
Celui de la tradition française en
particulier. A quelques jours de la
première du spectacle de l’Ecole,
jeudi 14 avril, Elisabeth Platel court
du four au moulin, de Nanterre à
Paris. Quelque 76 élèves sur les
156 âgés de 9 à 18 ans sont embarqués dans cette équipée virtuose,
plate-forme de l’histoire de la
danse classique. Plus de trois cents
ans dans les mollets depuis
l’ouverture, en 1713 par Louis XIV,
de l’Ecole de danse, la plus ancienne institution de ce type au
monde, et de l’Académie royale
devenue la troupe de l’Opéra – les
deux formant une même maison.
Le vocabulaire et les règles du
style français sont déjà là. « Il est
transmis depuis par des danseurs et
professeurs qui sont tous passés
par cet apprentissage et ce modèle,
précise Sylvie Jacq-Mioche, docteure en esthétique, enseignante
à l’Ecole. Cela a permis d’assurer
la continuité de la tradition. »
« Et de la faire évoluer aussi en fonction du vécu des enseignants,
ajoute Elisabeth Platel. Nous
n’avons pas de méthodes écrites. Si
notre technique s’apprend, notre
style se transmet de maître à élève.
Mais notre enseignement est en
constante réflexion. »
Quelle est donc la spécificité de
cette école française que « l’on doit
reconnaître dès qu’un interprète
met le pied sur scène », selon Elisabeth Platel ? « C’est d’abord le travail de bas de jambes », précise-telle. « Tout ce qui est sauts, battements et tricotage de pieds avec de
la précision et du fini dans la rapidité, ajoute Sylvie Jacq-Mioche. Le
pied français, en particulier celui
des femmes, a de l’esprit et de la
conversation. Celui des hommes
doit faire assaut de verticalité.
Quant à la tenue du dos, elle est
stricte, il doit être droit. Ce sont les
épaulements qui, chez nous, donnent du caractère au buste. »
Course d’obstacles
Les ballets phares de cette haute
tradition d’harmonie s’appellent
La Sylphide (1832), Giselle (1841),
La Source (1866)… Au programme
du spectacle de l’Ecole, Conservatoire (1849), du Danois Bournonville, et Les Forains (1945), de
Roland Petit, sont aussi emblématiques. « J’ajouterai In the Middle Somewhat Elevated, que
William Forsythe a créé en 1987 sur
les danseurs de l’Opéra, pointe
Sylvie Jacq-Mioche. Un standard
du style français jusque dans sa
modernité. »
Pour pouvoir endosser ces
chefs-d’œuvre, l’apprentissage a
tout d’une course d’obstacles.
« Beaucoup d’appelés, peu d’élus »,
glisse Elisabeth Platel. A l’inscription, entre 8 et 13 ans, succède la
première audition pour intégrer
l’Ecole. Au programme, un cours
technique croisé avec des critères
d’aptitudes physiques et de gabarit. Pour les filles de 8 ans, la taille
doit osciller entre 1 m 32 et 1 m 35
pour un poids entre 22 et 25 kilos.
Pour les garçons, 1 m 34 pour 25 kg.
Après l’audition, un stage de six
mois débouche sur un concours.
L’enseignement de la danse (clas-
sique, baroque, folklorique…), parallèlement à une scolarité assurée
jusqu’au bac, dure six ans minimum, les enfants étant répartis
dans douze divisions (six de filles
et six de garçons). La progression
se fait sur examen devant un jury.
Le but ultime : le concours d’entrée
dans le corps du Ballet de l’Opéra
(en fonction du nombre de places
disponibles). Au-delà, devenir danseur étoile ! Sur les 156 élèves, seulement cinq en moyenne intégreront la troupe en juin.
Cette escalade graduée est typique du fonctionnement de l’Ecole
et du Ballet. « L’examen est le seul
moyen pour interpréter le style
français et les grands spectacles
qui vont avec, commente Sylvie
Jacq-Mioche. La hiérarchie, que l’on
retrouve dans la compagnie, est indispensable. Elle est liée à la solidité
mentale et technique nécessaire
aux premiers rôles. Pour les troupes
néo-classiques, elle s’impose moins
car les enjeux esthétiques sont différents et les niveaux entre les solistes
et les autres moins marqués. »
A l’Ecole, les élèves et les professeurs tissent une relation unique
et tracent un cycle de vie. Traditionnellement, les enfants sont
parrainés par des « petits pères »
et des « petites mères » choisis
dans l’institution. Les douze ensei-
La Pinacothèque de Singapour
baisse à son tour le rideau
M
oins de deux mois après la fermeture inopinée de la Pinacothèque
de Paris, sa filiale de Singapour a
tiré le rideau, le 11 avril. Un communiqué des
plus concis invoque une fréquentation plus
réduite que celle escomptée – à peine 150 visiteurs par jour – ainsi que « d’autres défis commerciaux et financiers ».
Inaugurée le 30 mai 2015, l’antenne singapourienne compte quatre actionnaires : Marc
Restellini, fondateur de la Pinacothèque de
Paris, qui avait pour mission d’organiser deux
expositions annuelles et de réunir une collection semi-permanente ; le transitaire suisse
Yves Bouvier ; le diamantaire Alain Vandenborre ; et le promoteur immobilier local KOP.
D’après nos informations, ces deux derniers
auraient cessé d’abonder le musée, qui accuse
aujourd’hui un trou d’environ 980 000 euros.
Nichée dans une demeure coloniale de Fort
Canning, l’institution souffre aussi de malfaçons. Une hygrométrie défectueuse, conduisant à des pics d’humidité de 90 %, a mis en
péril la conservation des œuvres. Au point
qu’en février, 80 pièces de la collection permanente, dont des Matisse, Picasso, Soutine
et Brancusi, ont dû être transférées in extremis au port franc de Singapour, propriété
d’Yves Bouvier. Le même mois, les murs du
bâtiment ont commencé à se fissurer. Des défauts qui font tache, alors que le gouvernement singapourien a déboursé environ
16 millions d’euros pour les travaux de réhabilitation menés par KOP.
La fermeture est surtout corrélée à celle de
la maison mère, placée en redressement judiciaire depuis le 3 novembre 2015. Celle-ci a
accumulé les ardoises, notamment de
435 000 euros auprès de la société Arthemisia, qui avait coproduit plusieurs événements,
dont « Le Mythe Cléopâtre », exposition inaugurale de l’antenne de Singapour. La firme italienne
UNE
serait toutefois elle aussi
débitrice de fortes somHYGROMÉTRIE
mes. D’après nos informaDÉFECTUEUSE
tions, Marc Restellini, qui
lui réclame 1 million
DU BÂTIMENT,
d’euros d’impayés, a déposé plainte en septemNOTAMMENT,
bre 2015 pour escroquerie.
A MIS EN PÉRIL
Il est aussi possible que la
Pinacothèque de SingaLA CONSERVATION
pour ait fait les frais des
démêlés judiciaires d’Yves
DES ŒUVRES
Bouvier, dont les avoirs furent un temps gelés par le
gouvernement singapourien.
Malgré ces déboires, Marc Restellini poursuit les négociations en vue de nouvelles boutures en Chine, en Inde, en Turquie et en Azerbaïdjan. En attendant de trouver de nouveaux
locaux à Paris. p
roxana azimi
gnants du classique y ont été enfants, ados, y sont devenus adultes
et sont passés de l’apprentissage
au professionnalisme dans le Ballet de l’Opéra, avant de revenir
comme pédagogues. Qu’il s’agisse
de Fanny Gaïda, Carole Arbo, Véronique Doisneau, Wilfried Romoli,
Yann Saïz, Eric Camillo ou Christophe Duquenne, tous ont été les vedettes de Garnier.
En plus de ce parcours, qui induit leur pédagogie,, ils sont titu-
laires du diplôme d’Etat d’enseignant. Avant de choisir le professorat – l’âge de la retraite est à
42 ans dans le Ballet –, Christophe
Duquenne, embauché depuis un
an à l’Ecole, a suivi une formation
spécifique. « C’est comme un retour en arrière de revenir ici, dit-il.
L’Ecole est difficile, mais cette difficulté m’a construit et rendu heureux. Faire comprendre un pas à
un enfant n’est pas simple. Je m’appuie sur toutes les couches de sa-
voirs pour enseigner, je discute
avec mes collègues, je visionne des
vidéos de cours d’anciens professeurs. » Chaîne de gestes et de
paroles ininterrompue garante
de la préservation sensible d’une
tradition unique. p
rosita boisseau
Spectacle de L’Ecole de danse
de l’Opéra national de Paris.
Du 14 au 18 avril, à 19 h 30. Palais
Garnier, Paris 9e. De 10 € à 65 €.
14 | culture
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Le 40e Printemps de
Bourges en chansons
La soirée anniversaire a donné l’occasion à
des artistes de réinterpréter des tubes d’hier
MUSIQUE
bourges (cher) - envoyé spécial
L
a première édition du Printemps de Bourges a eu lieu
en avril 1977. Festival chansons, comme l’indiquait alors le
sous-titre sur une affiche bleue.
Ses pères fondateurs, d’une part
un collectif de producteurs et
d’artistes réunis dans l’agence
Ecoute s’il pleut, créée en 1976 par
Maurice Frot, écrivain libertaire,
ami, secrétaire et régisseur de Léo
Ferré et par Daniel Colling, entrepreneur de spectacles, qui prendra la direction du festival ;
d’autre part le comédien, chanteur, auteur-compositeur Alain
Meilland, responsable alors du
secteur chansons à la Maison de la
culture de Bourges et son directeur, Jean-Christophe Dechico.
Au programme de cette première, Dick Annegarn, Julos Beaucarne, François Béranger, Leny Escudero, Jacques Higelin, Bernard
Lavilliers, Colette Magny, Catherine Ribeiro, Charles Trenet, qui
faisait là un retour sur scène. Les
organisateurs tablaient sur 4 000
spectateurs, il en vint 12 000.
Mercredi 13 avril, pour la soirée
spéciale 40e édition, Bernard Lavilliers est présent sur la scène du
palais d’Auron. Daniel Colling
aussi, venu saluer au cours du
spectacle.
Trois éléments ont été mis en
jeu pour cette soirée anniversaire.
Des images projetées sur des
écrans – affiches du festival, photos d’artistes, du public en foule
joyeuse. Des textes, lus entre les
prestations des artistes par Vin-
cent Dedienne et Mélanie Lemoine, dont on retiendra des lettres envoyées par des spectateurs,
souvenirs amoureux, anecdotes.
Et des chansons. Une vingtaine,
sur le principe de la reprise d’interprètes par d’autres interprètes.
De l’hommage au décalage
Cela va de l’hommage assez respectueux au décalage, à la réinterprétation inventive. Lavilliers a
ainsi repris fidèlement sa propre
reprise d’Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, texte d’Aragon mis
en musique et chanté par Léo
Ferré. Nantes, par Jeanne Cherhal,
est resté dans le cadre de Barbara,
tout comme La Ballade de Johnny
Jane, du duo Gainsbourg-Birkin,
par Miossec et Birkin. Le même
Miossec apportant plus de vibration à Merci, qu’il a écrit pour Juliette Gréco. Mentionnons encore
Dominique A, que l’on n’attendait
pas sur Quand j’serai K.O., d’Alain
Souchon (paroles et musique).
Deux moments forts enfin, intenses : Nosfell et Pierre Guénard, du
groupe Radio Elvis, emportent en
un tourbillon La nuit je mens,
écrite par Alain Bashung et Jean
Fauque et composée par Bashung
avec Les Valentins ; et Christian
Olivier, le chanteur de Têtes raides, offre une belle transformation à Marcia Baila, de Rita Mitsouko, qui en devient presque
une nouvelle chanson. p
sylvain siclier
Festival Le Printemps de
Bourges-Crédit mutuel, jusqu’au
dimanche 17 avril. De 10 € à 36 €.
Printemps-bourges.com
MUSI QU E
Le Bataclan rouvrira
à la mi-novembre
Cluedo artistique
au Palais de Tokyo
Conçue autour d’une nouvelle policière, l’exposition « Double je »
met à l’honneur les artisans d’art
ART
A
u concours, qui n’existe
pas, de l’exposition la
plus incongrue, celle
qui se nomme « Double
je » et transforme une partie du
|Palais de Tokyo en garage aurait
de sérieuses chances de l’emporter. Elle répond à une nouvelle
policière commandée au romancier Franck Thilliez, spécialiste du
genre. Elle commence dans un
commissariat par l’annonce d’un
assassinat. La seule exigence de
© VILLAR+VERA
La direction de la salle de concerts parisienne le Bataclan a
annoncé, mercredi 13 avril,
dans un communiqué, que
l’établissement rouvrirait à la
mi-novembre, un an après la
tuerie du 13 novembre 2015 où
90 personnes ont perdu la
vie. Parmi les premiers artis-
tes annoncés, Pete Doherty,
programmé le 16 novembre,
Youssou N’Dour et le Super
Etoile de Dakar, le 18, Nada
Surf, le 2 décembre, et les rappeurs de MZ, le 3. Le communiqué indique également que
les travaux de rénovation, qui
consistent à remettre en état
les lieux sans changer l’agencement de la salle, ont commencé.
Pour l’exposition « Double je » du Palais de Tokyo, un garage a été reconstitué – jusqu’à l’odeur de peinture. AURÈLIEN MOLE
À
SAINTE
HÉLÈNE
LA CONQUÊTE
DE LA
MÉMOIRE
EXPOSITION
+ '-#.* % ") ,/.**$!
"&(+
musee-armee.fr
MINISTÈRE
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
ET DU DÉVELOPPEMENT
INTERNATIONAL
MINISTÈRE
DE LA DÉFENSE
MINISTÈRE
DE LA CULTURE
ET DE LA COMMUNICATION
la commande était que le personnage central soit un artisan.
Il se nomme Ganel Todanais et
affirme en avoir tué un autre,
Natan de Galois. Les amateurs
d’anagrammes ont déjà compris.
L’exposition se présente
comme la scène du crime que
serait la maison de la victime.
Elle se parcourt en commençant
par le bureau et la chambre à
coucher, en continuant par les
nombreux et fort encombrés
ateliers de la victime, jusqu’à
une pièce obscure. Des taches de
sang et des indices variés ont été
observés par les enquêteurs qui
les ont, comme il se doit, préservés à des fins d’analyse. Des bandes de plastique jaune empêchent par endroits le passage,
pour rendre la fiction plus convaincante.
Une attention forcenée
La reconstitution des différentes
pièces est si complète que l’on s’y
laisse presque prendre : établis
chargés d’une multitude d’instruments et de matériaux les plus
divers, documents dispersés
dans le plus complet désordre –
en apparence –, images de toutes
sortes sur les murs dressés pour
l’occasion. Sans oublier le garage,
avec sa voiture décorée à la
bombe, des motos et l’odeur de
peinture pour carrosserie si caractéristique. On y découvre une
Suzuki GSX-R 1100 au carénage
recouvert de plumes noires, de
vraies plumes semble-t-il.
« C’est glauque », comme dit
Hervé à Mélanie – deux des enquêteurs de la nouvelle. Et cela
exige surtout du visiteur une attention forcenée en même temps
que l’abandon de tout a priori sur
ce qui relèverait de l’art et sur ce
qui n’en serait pas. Cette scène du
crime a des côtés marché aux puces et vide-greniers. Pourquoi ce
dispositif ? Parce que le Palais de
Tokyo a conclu un partenariat
avec la Fondation Bettencourt
Schueller, qui œuvre à la promotion des métiers d’art.
Après « L’usage des formes »
en 2015, « Double je » est leur
deuxième manifestation com-
Les uns
et les autres
ont fait assaut
d’inventivité
et de loufoquerie,
et tous
ont travaillé
ensemble avec
une jubilation
manifeste
mune. Elle associe des femmes et
des hommes que l’on considère
comme des artistes à des femmes
et des hommes que l’on dit – ou
qui se disent – artisans d’art.
Cette notion inclut des pratiques et des savoirs variés : plumasserie, marqueterie, ferronnerie, reliure, dentelle, broderie,
coutellerie même. Cette dernière
est ici au premier plan puisque
l’arme du crime est « un étrange
couteau fait d’un manche aux allures de colonne vertébrale et
d’une lame noire en acier damas »,
poignard de luxe créé par JeanNoël Buatois.
Celui qui emplume les motos se
nomme Maxime Leroy. Celle qui
construit des images en découpant et juxtaposant des matériaux hétéroclites, Marie-Hélène
Poisson. Capucine Herveau brode
sur à peu près tout ce qui se
présente sous ses aiguilles. Si le
crime a eu lieu chez un artisan
aux nombreux talents, c’est évidemment pour justifier la prolifération des objets et des techniques, afin que chacun de ces spécialistes ait sa place.
Fantasmagories macabres
Pour l’occasion, ils sont associés
à des artistes plasticiens qui pratiquent la photographie, la peinture, le dessin ou l’installation.
Il y a Jorge Molder, aux remarquables photographies spectrales, Jean Bedez, dessinateur halluciné, ou Eudes Menichetti,
aussi à l’aise sur métal que sur
papier et inventeur de prodigieuses fantasmagories macabres.
Les uns et les autres ont fait assaut d’inventivité et de loufoquerie, et tous ont travaillé ensemble
avec une jubilation manifeste.
Elle ne l’est jamais autant que
dans l’installation qui réunit les
cadres dorés monumentaux conçus par Mathias Kiss et les dessins
de fil que Janaina Mello Landini
tend dans l’espace en faisant s’effilocher de grosses cordes. Leur
création conjointe, présentée
dans une biennale, en serait aussitôt l’attraction générale. p
philippe dagen
Double je, Palais de Tokyo,
13, avenue du Président-Wilson,
Paris 16e. Palaisdetokyo.com.
Du mercredi au lundi,
de 12 heures à minuit.
Entrée : de 8 € à 10 €.
Jusqu’au 16 mai.
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VENDREDI 15 AVRIL 2016
à milan, le luxe
fait maison
Le 55e Salon du meuble a accueilli, ce printemps encore, de
nouveaux venus. Le groupe
Luxury Living Group, qui développe les lignes de mobilier pour
Fendi Casa – dont le nouveau fauteuil Blixen par Toan Nguyen –, a
lancé la première collection « maison » du constructeur d’automobiles sportives Bugatti (après celle
de Bentley), ainsi que celle de Ritz
Home. Du bleu assorti au taupe
ou au gris, des formes aérodynamiques et des fibres de carbone :
tout est prévu pour faire vibrer
l’amateur d’une voiture taillée
comme une sculpture et autrefois
rêvée pour les rois.
Hermès, Armani, Bottega Veneta…
Au Salon du meuble, qui se tient
jusqu’au 17 avril, les grands noms
de la mode s’imposent dans l’univers
de la décoration intérieure
DESIGN
milan
P
our sa première apparition à Milan, en 2011,
Hermès Maison avait
réédité des meubles du
Français Jean-Michel Frank (18951941), figure de l’Art déco, en plus
d’une banquette d’Antonio Citterio et d’un bureau d’Enzo Mari.
Cinq ans après, au Salon du meuble, qui se tient en Lombardie jusqu’au 17 avril, la griffe du 24, faubourg Saint-Honoré a frappé fort
avec ces chaises en bois de hêtre et
cannage de l’Espagnol Rafael Moneo ou ce majestueux Sofa Sellier
en noyer, toile et taurillon de
Noé Duchaufour-Lawrance, sans
compter les boîtes en laque de
Pierre Charpin.
Pour les admirer, rendez-vous
est donné au Teatro Vetra, où l’architecte mexicain Mauricio Rocha
a érigé 73 colonnes et murs, avec
17 000 briques de tufo, qui servent
d’écrin brutaliste au mobilier raffiné d’Hermès. Un lieu singulier, à
peine éclairé, où l’esthétique de
la collection ressort avec force.
L’idée en revient à l’architecte
Charlotte Macaux Perelman et à
l’éditeur Alexis Fabry, les nouveaux directeurs artistiques choisis par Pierre-Alexis Dumas pour
donner un élan nouveau à l’univers maison d’Hermès. « L’architecture entretient un rapport au
temps long qu’il nous semblait
utile d’affirmer dans notre première collection, d’où le recours à
Rafael Moneo. Dans le domaine
du textile, nous avons pensé notamment aux grands coloristes
nord-américains », précisent-ils.
Une forme d’expression artistique
Dans un tout autre cadre – hauts
plafonds à caissons et fresques
de deux maîtres du XVIIIe siècle,
Giambattista Tiepolo et Carlo
Carlone –, Bottega Veneta a lancé
sa nouvelle collection au Palazzo
Gallarati Scotti, qui n’est autre,
depuis 2015, que sa boutique
pour la maison. Les nouvelles tables de bronze, la commode gainée de cuir, les boîtes en argent
ornées de pierres semi-précieu-
Le cabinet
précieux Club
en laiton et bois
peint à la main
d’un motif océan,
d’Armani Casa. DR
Fauteuil Cobra
de Bugatti. DR
Bougeoirs Atelier Swarovski
Home. DR
ses ou le service de table peint à la
main rivalisent par la noblesse
des matériaux avec la beauté
classique du lieu.
L’engagement de Bottega Veneta, dans l’univers domestique,
remonte à 2006, avec un simple
banc conçu par son directeur artistique, Tomas Maier, inspiré
par les lignes de bagages et
conçu, comme les collections de
mode, dans l’atelier de Vicence,
en Vénétie. C’est également là
que sont fabriqués la plupart des
objets, en collaboration avec les
artisans de Murano, la manufacture royale de porcelaine à Berlin ou Poltrona Frau
pour les sièges
et canapés.
« Plus encore
que le vêtement, le mobilier nous permet de partager durablement le goût
des belles choses, réalisées
dans des ma-
tières d’exception, comme une
forme d’expression artistique »,
confie Olivier Monteil, directeur
de la communication de Bottega
Veneta.
Les griffes de luxe s’imposent,
jour après jour, comme des acteurs de la décoration, à côté des
spécialistes traditionnels de
l’ameublement. Lundi 11 avril,
sur le Corso Venetia, entouré
d’une foule d’admirateurs, Giorgio Armani a présenté, dans sa
future boutique consacrée à la
maison – elle ouvrira officielle-
ment à l’automne –, le cabinet
précieux Club en laiton et bois
peint à la main d’un motif océan
(une édition limitée à 50 pièces).
La tête de pont d’une collection
Armani Casa, plus accessible et
dans laquelle rien ne manque : de
la cuisine à la salle de bains, des
sols aux murs jusqu’aux luminaires ou aux canapés. Le style ?
Epuré chic, un tantinet japonisant, comme les costumes masculins bien coupés du maestro,
le premier à avoir griffé des hôtels à son nom.
Sofa Sellier
de Noé
DuchaufourLawrance,
pour Hermès. DR
« Le Festival de Cannes »
« Le Salon de Milan, c’est le Festival
de Cannes pour la maison !, s’exclame Vincent Grégoire, du cabinet de style NellyRodi. Avant, on
se contentait de diffuser l’imprimé
d’une robe ou d’un foulard sur une
assiette ou du linge. Désormais,
chaque marque peut dicter un art
de vivre : les clients qui se reconnaissent dans un style peuvent recevoir chez eux et montrer leur intérieur griffé de la cuisine à la salle
de bains, sans faute de goût. »
D’ordinaire dans l’ombre des
grands noms du luxe, le cristallier
autrichien Swarovski est entré
dans la danse. Il a lancé, à Milan, sa
première ligne d’art de la table –
Atelier Swarovski Home –, qui met
à contribution neuf designers
parmi les plus grands, d’Aldo Bakker à Zaha Hadid (morte le 31
mars), en passant par Ron Arad.
« Cette collaboration nous a poussés à innover, puisque nous avons
mis au point découpe ondulée, effet
d’impression ou colorisation par
UV du cristal », dit Nadja Swarovski,
membre de la troisième génération à la tête de l’empire familial.
« L’idée est que ces bougeoirs, centres de table ou ces coupes transforment la maison en un lieu d’inspiration et de joie », dit cette amatrice
de design et collectionneuse. Commercialisés en septembre, ces articles de table – dont certains strassés comme la robe de Marilyn
Monroe pour l’anniversaire de
John F. Kennedy – permettront
aussi de briller en société. p
véronique lorelle
Une Triennale placée sous le signe de la postmodernité
Villes du futur, production locale, artisanat… Pendant cinq mois, la capitale lombarde interroge ces thématiques et leur impact sur le design
U
ne vingtaine d’événements dans dix-neuf
lieux : la XXIe Triennale
de Milan revient après vingt ans
de sommeil, sur le thème
« XXIe Siècle, le design après le design ». Pendant cinq mois, du
2 avril au 12 septembre, des experts de tous horizons vont débattre des problématiques attachées
aux villes du futur, à la production locale ou à l’artisanat d’art.
« On ne peut plus concevoir une
ville à l’aune de ses bâtiments ou
un appartement comme une simple cellule urbaine », pointe Pierluigi Nicolin, qui dirige un groupe
d’expositions phares sur le thème
de « La ville après la ville ». « De-
puis 2008, on assiste à l’affaiblissement des disciplines que sont l’architecture ou l’urbanisme au profit
d’une forme de transversalité.
On ne peut plus parler de cité sans
parler de paysage, de production
agricole, de recyclage des bâtiments… Tout ce que l’on pensait secondaire est devenu primordial.
Aujourd’hui, on ajoute des terrasses aux grands ensembles que l’on
rénove, on fait pousser des potagers sur les toits. Il faut repenser
le design en tant que projet global
du nouveau millénaire », martèle
cet architecte.
La ville de Saint-Etienne, invitée
par la Triennale à représenter la
France en matière de design, s’est
attachée à montrer, sur trois espaces, comment cette discipline
peut construire ou reconstruire la
ville. Elle s’appuie notamment
sur sa propre expérience – c’est la
seule cité française à avoir intégré,
depuis 2010, un « design manager » pour penser aux projets, de
l’aménagement d’un carrefour
jusqu’à l’intégration d’un programme immobilier – et sur les
propositions d’élèves de l’Esadse,
qui ont redessiné paysage et cadre
de vie pour les habitants de
Fukushima, au Japon, après la catastrophe nucléaire.
Parmi la vingtaine de contributeurs, l’architecte et designer italien Andrea Branzi est commis-
saire de l’exposition « Nouvelle
préhistoire, 100 verbes », un parcours reliant les instruments de
la préhistoire ancienne aux nanotechnologies modernes. Le
XXIe siècle représente « une nouvelle préhistoire, quand le destin
général de l’humanité n’avait
pas de direction précise et que
les objets possédaient plusieurs
sens, de la fonction pratique à la
valeur rituelle et magique », analyse Andrea Branzi.
Le savoir-faire de la main célébré
Le pavillon New Craft (« nouvel
artisanat ») réunit plusieurs événements consacrés aux savoirfaire de la main, dont des réalisa-
tions des Ateliers de Paris, ainsi
que l’exposition phare « Mutations », sur les nouvelles formes
et les nouveaux matériaux, présentée en 2015 au Musée des arts
décoratifs, à Paris.
« Pendant très longtemps, les
gens ont jugé ces métiers surannés, nécessaires à la restauration
d’un patrimoine ancien que l’on
trouve dans les musées. Tout est en
train de changer : en France, avec
le renouveau, en 2011, des Journées
européennes des métiers d’art ;
en Grande-Bretagne, avec la
deuxième édition, cette année, du
London Craft Week ; et, enfin, avec
la Triennale de Milan, on voit monter un intérêt grandissant pour
l’artisanat d’excellence, souligne
Julien Marchenoir, directeur stratégie et patrimoine de l’horloger
suisse Vacheron Constantin, mécène de chacune de ces manifestations. Ces métiers offrent des débouchés économiques ; surtout, de
par leur authenticité, leur ancrage
dans un territoire, la valeur qui les
habite est importante pour demain : ils sont porteurs de sens, ce
qui est devenu précieux dans un
monde globalisé. » p
v. l.
Triennale de Milan, jusqu’au
12 septembre, au Palazzo dell’Arte
et dans dix-huit autres lieux de la
ville. 21triennale.org
16 | télévisions
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Les sublimes noirceurs d’« American Crime »
VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
Avec cette série de haut vol, John Ridley a brossé l’un des plus stupéfiants tableaux de l’Amérique d’aujourd’hui
CANAL+
SÉRIE
A LA DEMANDE
E
n deux saisons d’« American Crime », le scénariste,
romancier et réalisateur
John Ridley est parvenu à
donner au genre de la série télévisée l’une de ses plus admirables
réussites. Brassant de manière
frontale, mais profonde et subtile,
les thématiques raciales, sociales,
sexuelles, mêlant en un récit polyphonique touffu, mais toujours lisible, la vie plus ou moins cabossée
d’enfants et de leurs parents, Ridley donne de la société nord-américaine contemporaine une image
dévastée et empreinte de noirceur.
Un tempo souvent juste
L’enquête sur l’assassinat de leur
fils, dont réchappe son épouse
(saison 1), inflige aux parents de
dérangeantes vérités ; le viol présumé d’un ado par l’un de ses camarades de basket-ball (saison 2),
dans le cadre d’un lycée huppé fréquenté par des Noirs et des Blancs
issus de familles plus ou moins
fortunées, révèle un palimpseste
de non-dits et de doubles vies qui
bouleversent, jusqu’au crime, la
vie des protagonistes.
Comme « American Horror
Story », « American Crime » se
fonde sur une « troupe » de quelques acteurs dans des rôles extrê-
Trevor Jackson, Regina King et Timothy Hutton, dans la saison 2 d’« American Crime ».
RYAN GREEN/ABC/DISNEY
mement différents au cours des
deux saisons : ceux qui ne connaîtraient Felicity Huffman qu’en Lynette Scavo des « Desperate Housewives » découvriront ici une actrice hors normes. On reste ébahi
par la prestation de Caitlin Gerard
en junkie (saison 1), par les incarnations type Jekyll et Hyde de Richard Cabral et Elvis Nolasco (saisons 1 et 2), et par le jeu, stupéfiant
de finesse naturelle, du jeune
Connor Jessup (l’adolescent humilié de la saison 2).
Le tempo d’« American Crime »
est souvent juste, et la structure
narrative en dix épisodes de quelque quarante minutes idéale
(d’ailleurs, les onze de la saison 1
en comptent un de trop, l’issue
aussi glaçante qu’inattendue met
un peu trop de temps à se faire
connaître) : elle permet aux ramifications du récit de se dévelop-
per, sans pour autant, comme
dans ces séries aux saisons multipliées pour cause de succès, se
noyer dans le délayage.
John Ridley joue aussi beaucoup
avec la perception temporelle du
téléspectateur, en superposant
différents instants d’une même
scène. Ce principe menace de confiner au « tic » de réalisation,
quand, par exemple, on entend la
sonnerie d’appel d’un portable
alors qu’un personnage compose
encore le numéro et que, la conversation étant engagée au téléphone afin de convenir d’un rendez-vous, l’on voit les deux correspondants déjà face à face. Mais
d’autres moments témoignent
d’une vraie liberté de réalisation :
séquences oniriques « pointillistes » de la saison 1 ou cette longue
(4’30) scène chorégraphique de la
saison 2, filmée dans le silence.
La musique de Mark Isham – entre Philip Glass et Henryk Gorecki – est d’une discrétion et
d’une finesse qui participent à la
beauté, jamais esthétisante pour
autant, d’« American Crime ».
La chaîne ABC en avait commandé une deuxième saison,
alors que les chiffres d’audience
avaient baissé de moitié à la mitemps de la première. Restée à un
niveau bas mais stable, « American Crime » est en attente d’une
décision d’ABC pour une troisième. Elle ne pourra la prendre
qu’au nom d’une, hélas !, bien improbable exception culturelle. p
renaud machart
American Crime, de John Ridley.
Avec Felicity Huffman, Lili Taylor,
Caitlin Gerard, Timothy Hutton,
Connor Jessup, Richard Cabral,
Elvis Nolasco (EU, 11 et 10 x 40 min.).
Saison 1, disponible sur iTunes,
19,99 euros la saison
ou 2,99 euros l’épisode.
Le grand écart identitaire
A travers les déchirements d’un jeune lycéen, Eran Riklis aborde une nouvelle fois le conflit au Proche-Orient
CANAL+ CINÉMA
VENDREDI 15 – 20 H 50
FILM
M
on fils débute en 1982,
au moment de la
guerre du Liban. A la
télé, des manifestants crient « Begin, Sharon, stop the war ! » « Que
Dieu protège Arafat ! », clame Salah, le père d’un garçon prénommé Iyad. Comme 20 % des Israéliens, Iyad et sa famille sont arabes. Des Arabes israéliens vivant
dans une ville arabe israélienne. A
l’école où se rend Iyad, on chante
l’hymne israélien. Mais quand on
lui demande la profession de son
père, au lieu de répondre
« cueilleur de fruits », il répond fièrement : « Terroriste ! »
Ne pas croire qu’Iyad est un illuminé. Très bon élève, on lui propose d’intégrer le lycée israélien de
sciences et techniques. Le jour de
la rentrée, accueilli par la directrice
du lycée, Iyad se rend très vite
compte qu’il est le seul élève arabe.
Bien que parlant couramment hébreu, son intégration sera d’autant
plus difficile qu’il est affublé d’un
léger trouble de l’élocution.
Moqué, ostracisé par une partie
de ses camarades, Iyad trouve
deux âmes sœurs : la belle Naomi,
dont il va tomber amoureux, et Yonathan, un garçon atteint d’une
grave maladie dégénérative.
Histoires d’amour entremêlées
Arabe et Israélien ; Arabe israélien ;
Israélien, tout simplement : la vie
d’Iyad relève du grand écart identitaire. Même s’il voulait à toute
force s’intégrer dans la société israélienne, il y aura toujours quelqu’un comme la mère de Naomi
pour préférer avoir une fille les-
bienne ou atteinte d’un cancer
plutôt qu’amoureuse d’un Arabe.
Lorsque Edna, la mère de Yonathan, rencontre Iyad, ses préoccupations sont tout autres. Arabe ou
juif, peu importe. Cette avocate séfarade d’origine marocaine comprend que non seulement Iyad lui
donne force et courage, mais qu’en
plus il est en passe de devenir le
« deuxième fils » de la maison.
Mon fils est une suite d’histoires
d’amour à ce point entremêlées
qu’elles en deviennent inextricables. Comment peut-on être à la
fois arabe et israélien ? Rêver de
« libération » tout en n’aspirant
qu’au bonheur ?
C’est la force du cinéma de Riklis
de donner à voir et à ressentir cette
absurdité. Deux peuples pour une
même terre, un même Etat. Ni manichéisme ni caricature : ancré au
plus profond de la société israélienne, Mon fils est un beau film,
remarquablement interprété. p
franck nouchi
Mon fils, d’Eran Riklis.
Avec Yaël Abecassis, Tawfeek
Barhom, Michael Moshonov
(Israël, 2014, 105 min).
VE N D R E D I 15 AVR IL
TF1
20.55 Koh-Lanta
Télé-réalité animée par Denis
Brogniart.
22.55 Vendredi, tout est permis
avec Arthur
Divertissement animé par Arthur.
France 2
20.55 Caïn
Série créée par Alexis Le Sec
et Bertrand Arthuys. Avec Bruno
Debrandt, Julie Delarme,
Frédéric Pellegeay (Fr., S4, ép. 5
et 6/10 ; S3, ép. 3/8).
23.40 Ce soir (ou jamais !)
Magazine animé par Frédéric Taddeï.
France 3
20.55 La Vie secrète
des chansons
Documentaire de Fabrice Michelin
(Fr., 2016, 120 min).
23.35 Tant de belles choses,
François Hardy
Documentaire de Jean-Pierre
Devillers et Olivier Bellamy
(Fr., 2003, 85 min).
Canal+
20.30 Football
34e journée de Ligue 1 : Lyon-Nice
22.55 San Andreas
Film catastrophe de Brad Peyton.
Avec Carla Gugino, Dwayne Johnson
(EU, 2015, 110 min).
France 5
20.45 La Maison France 5
Magazine animé par Stéphane
Thebaut.
21.45 Silence, ça pousse !
Présenté par Stéphane Marie
et Caroline Munoz.
Arte
20.55 Perpétuité pour deux
Téléfilm de Johannes Fabrick.
Avec Julia Koschitz, Felix Klare,
Maren Kroymann (All., 2015, 90 min).
22.25 Le Monde secret
des jumeaux
Documentaire de Luke Wiles
(GB - All., 2016, 50 min).
M6
20.55 Bones
Série créée par Hart Hanson
d’après les romans de Kathy Reichs.
Avec Emily Deschanel, Patricia
Belcher (EU, saison 11, ép. 5/22 ; S3,
ép. 5/18 ; S9, ép. 17/24 ; S5, ép. 7/9).
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
I. Son efet pousse à l’action. II. Vient
GRILLE N° 16 - 090
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
faire la fête au village. Bien équiper.
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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SUDOKU
N°16-090
III. Plongé dans l’huile. Sa reine a su
4
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séduire le roi Salomon. Pris en pitié.
IV. Donne de l’intensité au courant.
I
II
Possessif. V. Dans la main du travailleur. Mettent au parfum. VI. Bien
dressée. Trois points sur quatre.
III
IV
VII. Sur la portée. Fait entrer très discrètement. VIII. Ouvertures sur les
cordes. Assure la liaison. Pour prépa-
V
VI
rer de belles peaux. IX. Lumière en
tube. Débitée sans rélexion. X. Manipulassent sans aucune retenue.
VII
VIII
VERTICALEMENT
1. Discrétion ou disparition. 2. Re-
La reproduction de tout article est interdite
sans l’accord de l’administration. Commission
paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
nouer de bonnes relations. 3. CombiIX
X
naison aux courses. Personnel.
4. Sensible aux éclats. Arrive. 5. Paresse sous les tropiques. Les petits ne
sont pas négligeables. 6. Sans grands
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 089
HORIZONTALEMENT I. Chorégraphie. II. Rasade. Iléon. III. Ere. Ironiste.
IV. Piratage. Tar. V. Icare. Réai. VI. Noie. Se. PACA. VII. Eté. Resel (léser). An.
VIII. Té. Eon. Tarit. IX. Tuant. Satire. X. Eradications.
VERTICALEMENT 1. Crépinette. 2. Haricoteur. 3. Oseraie. Aa. 4. Ra. Are.
End. 5. Edite. Rôti. 6. Géra. Sen. 7. Ogres. SA. 8. Aînée. Etat. 9. Pli. Aplati.
10. Hestia. Rio. 11. Iota. Cairn. 12. Enervantes.
intérêts. Au bout du plongeoir. 7. A
fait de l’efet. Allemande de Thuringe.
8. Vont mettre des bâtons dans les
roues. 9. Changea de registre. Devrait
changer de registre. 10. Préposition.
Fait bon ménage. 11. Rejetions toute
la vérité. Cours du Jura. 12. Ne fera
pas d’éclats.
0123
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Montpellier (« Midi Libre »)
disparitions & carnet | 17
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Maya Surduts
Militante féministe
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ont la tristesse de faire part du décès de
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née HENIG,
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Sarah et Alban DUHAME
laissent à
Calisto et Léo,
la joie d’annoncer la naissance de
Timothée,
à Mont-Saint-Aignan, le 1er avril 2016.
Décès
Danielle Sapin,
Pierre Auba,
Françoise Bresson,
Michel Auba (†),
Yves Auba,
Cécile Slebir,
Hélène Auba-Marteau,
ses enfants et leurs conjoints,
En 2010.
Catherine, Marc (†), Philippe, Robin (†),
Lucas, Violaine, Rémi, Julien, Samuel,
Amandine, Thomas, Lara, Olivier, Arthur,
Mathieu,
ses petits-enfants et leurs conjoints,
THOMAS SAMSON/AFP
E
lle impressionnait par sa
réputation, sa voix grave,
son tranchant, son énergie. La militante féministe Maya Surduts, présidente de
la Coordination des associations
pour le droit à l’avortement et à la
contraception (Cadac) et porteparole du Collectif national pour
les droits des femmes (CNDF), est
décédée le 13 avril 2016, emportée
par une grave maladie. Figure emblématique du mouvement associatif contestataire, femme intransigeante et radicale, elle avait
79 ans. Un âge qui ne l’a pas empêchée de fréquenter les manifestations, ni de rester active dans le
mouvement féministe.
L’annonce de son décès a immédiatement provoqué des réactions politiques. « Une grande
gueule, une grande dame a lâché
son drapeau rouge », a commenté
Laurence Rossignol, ministre des
droits des femmes, sur Twitter.
« Elle n’a jamais cédé ni sur la dénonciation de la domination
sexiste et patriarcale ni sur celle de
l’exploitation », a rappelé Pierre
Laurent, secrétaire national du
PCF. « Charismatique, elle a imprimé sa marque dans le mouvement féministe de sa grande voix
et de sa détermination, a réagi le
Haut Conseil à l’égalité entre les
femmes et les hommes. Elle restera une personnalité inspirante
pour les plus jeunes militant.e.s. »
« Eternelle rebelle »
Pour son amie proche Suzy Rojtman, également porte-parole du
CNDF, Maya Surduts était dotée à
la fois « d’une intelligence politique
très fine », « d’une personnalité très
forte » et « d’une parole très cash »…
qui pouvait agacer ses interlocuteurs. « Elle a toujours essayé de
combiner la lutte pour les droits des
femmes et pour une autre société »,
résume Mme Rojtman. En 2001, elle
avait refusé la Légion d’honneur
que voulait lui remettre la ministre du travail, Martine Aubry, « par
indépendance d’esprit », selon
Mme Rojtman. Une « éternelle rebelle », se rappelle l’ancien journaliste du Monde Jean-Claude Buhrer, qui l’a connue lors de leurs
études en Suisse, au tournant des
années 1960.
Maya Surduts était née le
17 mars 1937 à Riga, en Lettonie,
dans une famille juive, qui émigra
vers la France en 1938. Cachée pendant la guerre à Nice, sa famille séjourne par la suite en Afrique du
Sud avant de revenir en France.
Jeune femme, Maya Surduts étudie à l’école d’interprétariat de Genève, où elle milite en faveur de
l’indépendance algérienne. Elle
voyage ensuite aux Etats-Unis, au
Mexique, puis s’installe à Cuba où
17 MARS 1937 Naissance
à Riga, en Lettonie
1938 S’installe en France
avec sa famille
1973 Entre au MLAC
1981 Fonde la Maison
des femmes de Paris
1990 Création de la Cadac
13 AVRIL 2016 Mort à Paris
elle fréquente des dissidents, et
dont elle est expulsée en 1971. De
retour en France, elle adhère à Révolution, un groupe trotskiste,
dans les années 1970, puis à la Ligue communiste révolutionnaire.
Elle participe également aux
premiers moments du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception
(MLAC), créé en avril 1973 dans le
but de légaliser l’interruption volontaire de grossesse en France.
Elle ne cessera par la suite de
s’investir dans de multiples structures associatives pour les droits
des femmes. Elle fonde avec Christine Delphy, en 1981, la Maison des
femmes de Paris, lieu d’accueil
pour les victimes de violences.
En 1985, elle crée avec Suzy Rojtman et Nathalie Bourdon le Collectif féministe contre le viol, qui
ouvrira un an plus tard une ligne
téléphonique d’écoute. En 1990
naît, à son instigation, la Cadac.
L’objectif est de mobiliser associations, syndicats et partis contre
les commandos anti-IVG qui s’enchaînent aux portes des hôpitaux. Le délit d’entrave à l’IVG est
créé en 1993. Elle participe également à la création de Ras l’front,
un mouvement antifasciste, animant notamment la réflexion
contre les thèses réactionnaires
sur les femmes et la famille du
Front national.
L’année 1995 est pour elle une
charnière. Alors que le gouvernement projette d’amnistier les
commandos anti-IVG, la Cadac
mobilise 40 000 personnes de
toutes les générations, lors d’une
grande manifestation le 25 novembre, qui entre en conjonction
avec le mouvement social contre
la réforme des retraites. Le CNDF
est créé dans la foulée. C’est toujours un mouvement très actif,
qui prend position sur les questions relatives aux droits des femmes, et organise les manifestations des Journées internationales des femmes, le 8 mars, et contre les violences à l’égard des
femmes, le 25 novembre. Jusqu’à
la fin de sa vie, Maya Surduts est
également restée engagée politiquement. Elle était membre d’Ensemble, l’une des composantes
du Front de gauche. p
rémi barroux
et gaëlle dupont
Ses enfants,
Ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants,
Sa famille,
Ethan,
son arrière-petit-ils,
Toute sa famille
Et ses amis,
ont la tristesse de faire part du décès de
M. Jean AUBA,
ancien élève
de l’Ecole normale supérieure,
ancien directeur fondateur
de l’Institut français de Copenhague,
ancien directeur
du Centre international
d’études pédagogiques de Sèvres,
inspecteur général honoraire
de l’Education nationale,
correspondant de l’Institut de France,
survenu le 12 avril 2016,
dans sa centième année.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le samedi 16 avril, à 10 h 30, en l’église
Saint-Rémy de Saint-Rémy-lès-Chevreuse
(Yvelines).
Elle sera suivie de l’inhumation dans
le caveau familial, au cimetière de SaintRémy-lès-Chevreuse.
Isabel Azria,
Yahne et Jean Coscas,
René-Pierre et Alexis Azria,
François Azria et Diane,
ses enfants,
Caroline et Alexis Szabo,
Philippe et Lili Duvillard,
Valérie Coscas,
Bruno et Davina Coscas,
Nicolas et Valérie Coscas,
Tom et Jennifer Coscas,
Ariel Azria,
ses petits-enfants
Ainsi que ses dix arrière-petitsenfants,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
Elda AZRIA,
née COHEN-TANUGI,
survenu le 12 avril 2016, à Paris.
Les obsèques auront lieu le vendredi
15 avril, à 11 h 30, au cimetière
d’Auteuil, 57, rue Claude-Lorrain,
Paris 16e.
Didier et Sylvie Caroubi,
Thierry Caroubi et Judith Czernichow,
Olivier Cozic et Sandra Macedo,
ses enfants,
Faustine Caroubi et Nicolas Bougrelle,
Clémentine Caroubi,
Célia Caroubi,
Antoine Caroubi,
Anna Caroubi,
Corentin Cozic,
Lilian Cozic,
Morgan Cozic,
ses petits-enfants,
Dany et Lisa Bougrelle,
ses arrière-petits-enfants,
Sophie Gauthier,
Pascale Leroy,
Ainsi que toute la famille,
Mme Marie BERMAN,
survenu le 6 avril 2016,
dans sa centième année.
Ils rappellent le souvenir
de son époux,
M. Aron BERMAN,
disparu le 11 janvier 1997.
Ils remercient les équipes soignantes
de l’unité de gériatrie aigüe de l’hôpital
Saint-Antoine et de la maison de retraite
de la Fondation de Rothschild, à Paris.
Les obsèques se sont déroulées dans
l’intimité.
Mme Myriam Revault d’Allonnes,
[email protected]
M. André Berman,
[email protected]
M. David Revault d’Allonnes,
[email protected]
Lyon.
Fanfan, Marie-Claude et Yves,
ses enfants,
Ses petits-enfants,
Ses arrière-petits-enfants,
ont la tristesse de faire part du décès de
Jeannette COLOMBEL,
née PRENANT.
Une cérémonie aura lieu le vendredi
15 avril 2016, à 14 h 30, au crématorium
de la Guillotière, 19, rue Pierre-Delore,
Lyon 8e.
Troyes.
Les familles Nunes et Thierry,
font part du décès de
Mme Andrée DENIS,
E.N.S de Fontenay-aux-Roses,
1943 - 1946,
professeur
retraitée de l’université de Reims,
survenu le 7 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-quinze ans.
Les obsèques ont eu lieu dans l’intimité
familiale, le mercredi 13 avril.
Cet avis tient lieu de faire-part et de
remerciements.
Reims.
Chantal Dulibine et Bruno Dulibine,
ses enfants,
Bernard Grosjean, Yaelle Sultan,
leurs conjoints,
Grégoire, Arthur, Félix,
ses petits-ils,
font part du décès de
M. André DULIBINE,
ingénieur X 45,
ancien directeur régional
de la SNCF à Reims,
survenu le 11 avril 2016, à Reims,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mardi 19 avril , à 10 h 30 en l’église
Saint-Jacques, à Reims (Marne), suivie
de la crémation.
Nous saluons son affabilité, sa droiture,
son endurance, son intelligence, son goût
du langage et de l’organisation.
Ni plaques ni couronnes.
Nous rappelons son engagement
de vingt-cinq ans comme visiteur de
malades en établissement hospitalier.
C.D. 35 Villa d’Alésia,
75014 Paris.
B.D. 19, rue des Granges,
25000 Besançon.
Ses amies des éditions
des femmes-Antoinette Fouque,
Et de l’Alliance
des Femmes pour la Démocratie,
Jacqueline Gaubert,
sa sœur,
Maria Mucci,
sa cousine,
Ezekiel Grunstein-Fouque,
son petit-ils bien-aimé,
Jean-Claude Charbonnier,
d’Aix-en-Provence,
Jacqueline Pizay, Lionel Pene,
de La Motte,
Les familles Bonavita, Féraud, Gaubert,
Grugnardi, Grunstein, Lévy, Marchini,
Mucci,
ont la très grande tristesse de faire part
de la disparition, le 11 avril 2016, de
ont la douleur de faire part du décès de
René FOUQUE,
M. Armand CAROUBI,
homme de lettres et de culture,
ami idèle de la lutte des femmes
et de leurs créations.
survenu le lundi 11 avril 2016,
à l’âge de quatre-vingt-douze ans.
L’inhumation a eu lieu ce jeudi
14 avril, dans la sépulture de famille,
au cimetière du Montparnasse, Paris 14e.
Ses obsèques auront lieu ce jour dans
l’intimité.
[email protected]
Mme Anny Héritier,
son épouse,
Valérie, Nathalie, Pascal, Guillaume
et Anne,
ses enfants,
Sasha, Augustin, Hippolyte et Victor,
ses petits-enfants,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès de
Michel HÉRITIER,
professeur des Universités à Orsay,
survenu le 11 avril 2016.
La cérémonie religieuse aura lieu
le vendredi 15 avril, à 14 heures,
en l’église Saint-Clodoald de SaintCloud (Hauts-de-Seine).
C’est avec une infinie tristesse que
nous avons appris le décès de
Anne-Marie LUCCIONI,
directrice des Programmes Eurodoc,
DOC Med, Produire en Région
et Eurodoc Executives,
une personnalité irremplaçable dans
le documentaire en Europe et dans
le monde.
Pendant des décennies, elle a nourri
notre engagement pour le documentaire
et a contribué à son épanouissement
international. Avec élégance et
persévérance, elle nous a incités à faire
vivre un cinéma documentaire humaniste,
et à partager notre courage pour des ilms
inouïs, engagés, humains.
Son regard, son esprit, sa douceur,
sa force et son amour pour le documentaire
nous manquent déjà.
Les produc(teurs)trices indépendants,
chargé(e)s de programme des télévisions
publiques internationaux qui ont eu la
chance de participer à ses programmes
et de travailler avec elle,
Massimo Arvat (Turin),
Erkki Astala (Helsinki),
Paolo Benzi (Naples),
Matthieu Belghiti, Jacques Bidou,
Xavier Carniaux, Juliette Cazanave,
Denis Freyd (Paris),
Mohammed Belhaj,
Jean-Marie Bertineau (Bègles),
Alexandre Cornu (Marseille),
Melina Chosson (Montpellier),
Luis Correa (Lisbonne),
Heino Deckert, (Leipzig),
Patricia et Thierry Garrel (Vancouver),
Alessandro Gropplero,
Anita Hugi (Zurich),
Doris Hepp, Susanne Mertens,
Martin Pieper (Mayence),
Serge Lalou (Montpellier),
Fleur Knopperts
et Denis Vaslin (Rotterdam),
Thomas Kufus (Berlin),
Anne-Laure Negrin (Strasbourg),
Astrid Ohlsen (Stockholm),
Carl-Ludwig Rettinger,
Sabine Rollberg (Cologne),
Isabelle Truc (La Hulpe),
Joan Ubeda (Barcelone),
Clara Vuillermoz (Nantes),
Ralph Wieser (Vienne)
Et tous ceux qui se joignent à notre
tristesse.
Caluire et Cuire (Rhône).
Ineuil (Cher).
Jacques Martinat,
son époux,
Yan et Martine Martinat,
Philippe et Béatrice Martinat,
Nathalie Martinat,
ses enfants,
Flore, Mathieu, Fanny, Hugo, Virginie,
Alice, Adèle
et leurs conjoints,
ses petits-enfants,
Maxime, Matéo, Léana, Lou, Baptiste,
Jean, Léa, Victoria, Romane,
ses arrière-petits-enfants,
Jacqueline et Etienne Mealet,
sa belle-sœur et son beau-frère,
Françoise Guillot et Véronique
Boulanger,
ses cousines
et leurs conjoints
Et toute la famille,
ont la profonde tristesse de faire part
du décès de
M Yannick MARTINAT,
me
née THORIDENET,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Un moment de souvenir et de
recueillement nous rassemblera à la
Chambre funéraire de Lyon, 177, avenue
Berthelot, Lyon 7e, le vendredi 15 avril
2016, à 11 heures.
L’inhumation se fera au cimetière
d’Ineuil (Cher), après une cérémonie
d’adieu, en l’église du village, le samedi
16 avril, à 10 heures.
3, rue Berthelot,
69300 Caluire.
Aline Pujo,
Olivier et Michèle Pujo,
Violaine et Jean-Pierre Rolland,
ses enfants,
Dimitri, Benoît, Nicolas, Caroline,
Thaïs et Maya,
ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du rappel
à Dieu de
Mme Bernard PUJO,
née Régine FLANDIN,
le 12 avril 2016.
La cérémonie religieuse sera célébrée
le vendredi 15 avril, à 10 h 30, en l’église
Saint-Martin de Louveciennes (Yvelines).
L’inhumation aura lieu à Cure(Yonne),
dans l’intimité familiale.
Ni leurs ni couronnes.
Vos dons seront les bienvenus au
profit de l’APAESIC, 26, rue d’Ulm,
75005 Paris.
Cet avis tient lieu de faire part.
Le docteur André Auscher
et ses enfants,
ont la tristesse d’annoncer le décès de
Marie-Emilie REY-AUSCHER,
ancienne directrice
à l’Assemblée nationale,
chevalier de la Légion d’honneur,
survenu le 6 avril 2016, à Paris.
Les obsèques ont eu lieu dans la plus
stricte intimité.
Gecel et Gisèle,
ses parents,
Laure,
sa femme,
Roman, Hugo, Dimitri, Nils,
ses enfants,
Laurent et Laetitia,
son frère et sa belle-sœur,
Sasha,
son neveu,
Juliette et Thomas,
sa sœur et son beau-frère,
Constant et Adèle,
son neveu et sa nièce,
Sa famille,
Ses amis
Et ses collègues,
ont l’immense douleur de faire part
du décès de
Thierry ZYLBERBERG,
X78,
survenu le 12 avril 2016,
à l’âge de cinquante-sept ans.
Des dons peuvent être faits à l’institut
Gustave-Roussy.
Laure Zylberberg,
4, rue Thiers,
75116 Paris,
[email protected]
Communication diverse
Appel public à candidatures
pour la désignation
des quatre personnalités extérieures
au Conseil d’administration
de l’université Paris-Sud.
En mai 2016, l’université Paris-Sud,
placée au 41e rang mondial
du classement de Shanghai (2015)
et reconnue internationalement
avec plus de 5300 publications
scientiiques par an, doit désigner
quatre personnalités extérieures
pour siéger au sein de son conseil
d’administration :
Une personne assumant
des fonctions de direction générale
au sein d’une entreprise,
Un représentant des organisations
représentatives des salariés,
Un représentant d’une entreprise
employant moins de 500 salariés,
Un représentant d’un établissement
d’enseignement secondaire.
Les candidatures, comportant
un acte de candidature (une page recto)
et un curriculum vitae, sont à adresser
avant le 3 mai 2016
à Mme la directrice générale
des Services de l’université Paris-Sud,
bâtiment 300, rue du Château,
91405 Orsay cedex.
Les candidats indiqueront s’ils ont ou non
la qualité d’ancien diplômé
de l’université Paris-Sud.
Toutes les informations sont précisées
sur le site de l’université :
http://www.u-psud.fr
# # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+
#$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# &
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18 |
DÉBATS & ANALYSES
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Le Panama combat l’évasion fiscale
Contrairement à ce que laissent
croire les récentes révélations
des « Panama papers », le pays
est engagé dans la lutte contre
la fraude fiscale et le blanchiment
d’argent, affirme sa ministre
des affaires étrangères
Par ISABEL DE SAINT MALO
DE ALVARADO
L
e scandale, injustement
connu sous le nom de « Panama papers », a éclaté sur
la scène internationale le 3 avril,
braquant les projecteurs sur les
méandres de la cupidité des riches de ce monde. Cette fuite de
documents, relatifs aux sociétés
offshore ayant des liens avec des
personnalités riches et célèbres,
a secoué le monde avec des révélations montrant jusqu’où certains peuvent aller afin de cacher
leur fortune.
Comme les documents publiés
jusqu’ici l’ont montré, l’évasion
fiscale est un problème planétaire auquel aucune nation
n’échappe, pas même la France.
C’est la raison pour laquelle le Panama estime que seule une approche reposant sur la coopération et la diplomatie peut permettre d’établir une transparence judiciaire et financière au
niveau mondial.
Cela ne veut pas dire que chaque pays ne devrait pas jouer son
rôle. Chaque nation – y compris
le Panama – peut et doit renforcer son système financier, afin de
minimiser le risque de détournement. Mais quand il s’agit de relever les défis systémiques de
l’évasion fiscale, qui prive les
contribuables de 200 milliards
de dollars chaque année, l’unilatéralisme n’est évidemment pas
la bonne solution.
Les 11 millions de documents
contenus dans la fuite montrent
que la majorité des sociétés
créées par le cabinet d’avocats
panaméen Mossack Fonseca
sont en réalité basées dans
d’autres pays. Le Panama occupe
une meilleure place dans la dernière édition du classement annuel établi par l’ONG Tax Justice
Network que de nombreux pays,
dont certains membres de
l’OCDE, en ce qui concerne la
transparence financière.
Voilà pourquoi la diplomatie et
la communication sont essentielles à ce stade, et non les me-
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naces et les sanctions. A cette fin,
le gouvernement du Panama a
ouvert un dialogue productif
avec de hauts responsables français, dont le président Hollande,
pour discuter des mesures concrètes à entreprendre dans le but
d’assurer une meilleure collaboration, ainsi que la mise en
œuvre d’une convention fiscale
bilatérale France-Panama plus
efficace.
Le président du Panama, Juan
Carlos Varela, a constitué une
commission d’experts indépendants pour évaluer notre système financier, déterminer les
meilleures pratiques et recommander des mesures spécifiques
visant à renforcer la transparence financière et judiciaire
mondiale. Nous attendons leurs
conclusions dans les six prochains mois, et nous les communiquerons à d’autres pays.
Ces étapes suivent une série de
réformes au Panama visant à
promouvoir une plus grande
transparence financière. Depuis
son entrée en fonctions en 2014,
le président Varela a mis en place
de nouvelles réglementations dites « Connaissez votre client » et
a établi un réseau de conventions fiscales solide qui permet
l’échange d’informations légales
sur les entreprises. De plus, nous
nous sommes engagés à la certification obligatoire des identités
des actionnaires de chaque société, à conclure de nouveaux accords internationaux de partage
de l’information, et à mettre en
œuvre des règlements plus
stricts pour les fournisseurs de
services financiers ainsi que
pour les principales entreprises
non financières.
Ces réformes ont été reconnues
et validées par la communauté
internationale, y compris par le
Groupe intergouvernemental
d’action financière sur le blanchiment de capitaux [dont sont
membres les principales puissances économiques], qui a cité les
« progrès significatifs » du Pa-
SEULEMENT!
CHAQUE MERCREDI CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
www.CollectionPhiloLeMonde.fr
LA DIPLOMATIE ET
LA COMMUNICATION
SONT ESSENTIELLES
À CE STADE,
ET NON LES MENACES
ET LES SANCTIONS
nama dans la lutte contre le blanchiment de capitaux lorsqu’il
nous a retirés de sa « liste grise »
au cours de l’année. Ce retrait a
eu lieu en un temps record. Nous
avons également progressé de façon positive dans un examen
conduit et commandité par le Forum mondial sur la transparence
et l’échange de renseignements
de l’Organisation de coopération
et de développement économiques (OCDE).
Et pourtant, les « Panama papers » sont plus qu’un abus de
langage. L’affaire a été injustement relayée dans les médias
comme un scandale impliquant
des structures d’entreprises
« offshore ». En tant que centre
d’affaires international, le Panama traite toutes les sociétés de
manière identique. L’idée que le
Panama est un « paradis fiscal »
pour les sociétés internationales
provient du fait que seuls les revenus générés au Panama, sans
tenir compte de ceux gagnés à
l’étranger, y sont imposés. Cependant, toutes les transactions
au Panama sont imposables en
vertu des lois des juridictions
concernées. Notre gouvernement a renforcé ces lois en imposant de nouvelles réglementations, mais ces politiques peuvent encore être détournées à
des fins illicites.
UNE LUTTE COLLECTIVE
Le Panama est résolu à adopter
toutes les réformes de transparence financière nécessaires à la
satisfaction de la communauté
internationale. Le gouvernement du Panama a annoncé son
engagement à l’échange automatique d’informations financières, et nous avons proposé des
procédures que nous estimons
correspondre aux objectifs de la
communauté internationale, y
compris l’OCDE.
En outre, le Panama poursuivra
sa coopération avec la France et
les autres juridictions afin d’engager des poursuites en cas d’infraction au code pénal panaméen, tout comme il continuera
à respecter les nombreux traités
internationaux que nos partenaires du monde entier ont ratifiés avec la République du Panama. Nous réitérons également
notre volonté d’engager un dialogue avec l’OCDE et son Forum
mondial en ce qui concerne la signature d’accords de transparence financière qui peuvent favoriser le développement écono-
L’ÉVASION FISCALE
EST UN PROBLÈME
PLANÉTAIRE AUQUEL
AUCUNE NATION
N’ÉCHAPPE,
PAS MÊME LA FRANCE
mique de nos pays.
Bien que nous reconnaissions
que ces réformes signifient peu
jusqu’à ce qu’elles soient mises
en œuvre et appliquées, il ne faut
pas oublier qu’après avoir été
gouverné par une dictature durant des années, le Panama est
aujourd’hui une démocratie stable. Grâce à nos efforts pour
transformer notre pays en un
pôle économique de premier
plan, plus de 100 sociétés transnationales y ont implanté leurs
sièges régionaux. Nous espérons
que, grâce à nos efforts de réforme et à une coopération internationale accrue, notre pays deviendra encore plus attrayant
pour les entreprises multinationales qui cherchent à agir en citoyens du monde responsables.
Le président Hollande, dans un
discours en 2013, a promis une
« lutte acharnée » contre la criminalité financière. Le Panama se
présente comme un partenaire
prêt à mener ce combat. L’évasion fiscale est un crime commis
par des personnes privées et elle
dépouille les pays développés
comme les pays en développement des ressources nécessaires
pour la santé, l’éducation et les
infrastructures.
La République du Panama,
étant elle-même un pays en développement, refuse de laisser
une telle activité se poursuivre.
Toutefois, nous reconnaissons
les limites de ce que nous pouvons faire seuls. La lutte acharnée pour une plus grande transparence financière mondiale
doit être collective. p
¶
Isabel de Saint Malo
de Alvarado
est vice-présidente de la
République panaméenne
et ministre des affaires
étrangères
débats & analyses | 19
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
« Le nouvel âge d’or des séries » s’affranchit de la télévision
Analyse
isabelle regnier
Service Culture
LA MONTÉE
EN PUISSANCE
D’AMAZON
ET DE NETFLIX
ACCENTUE
LA BASCULE VERS
INTERNET, AMORCÉE
DEPUIS QUELQUES
ANNÉES DÉJÀ
Q
ue doivent les séries à la télévision ? Pour incongrue
qu’elle paraisse, la question
mérite d’être posée à au
moins deux titres. D’abord
parce que l’extraordinaire
moisson de fictions au
long cours qui déferle depuis quinze ans s’est
largement construite en réaction aux tares
traditionnellement associées à la télévision
(scénarios calibrés pour le plus grand nombre
et avant tout pour les annonceurs, mise en
scène et jeu d’acteurs nuls…). Ensuite, parce
que les séries sont en train de s’affranchir du
médium qui les a vues naître. Tandis que la
montée en puissance d’Amazon et de Netflix
accentue la bascule vers Internet, amorcée depuis quelques années déjà, avec le téléchargement et le streaming, par les spectateurs, l’infiltration du secteur par les grands noms du cinéma (les frères Coen, Martin Scorsese, Judd
Apatow, Robin Wright et Kevin Spacey, Steven
Soderbergh…) en modifie la nature.
Coup d’envoi de ce que l’on a coutume d’appeler « le nouvel âge d’or des séries », « Les Soprano » a été lancé, en 1999, sur la chaîne câblée américaine HBO dont le slogan dit bien le
positionnement paradoxal : « Ce n’est pas la télévision. C’est HBO. » Cet événement, qui a infiltré la culture pop, est l’œuvre d’un cinéphile
aguerri, David Chase, qui avait toujours affiché
son mépris du médium. « Les Soprano » se
donne à voir, de fait, comme une survivance
dégradée du grand cinéma de mafia. Pour
toute une génération formée dans les écoles
de cinéma, ce moment de l’histoire de la télévision fut un appel d’air providentiel : la possibilité de réaliser les rêves dont Hollywood ne
voulait plus. Chaque épisode devenait un petit
film d’une heure, avec Douglas Sirk à l’horizon
pour « Mad Men » ou Se7en, Le Silence des
agneaux pour « True Detective » ou « Fargo »
des frères Coen pour Fargo…
BOULIMIE ET SURENCHÈRE
En une quinzaine d’années, les séries sont devenues un art à part entière. Avec ses
chefs-d’œuvre – « Les Soprano », « The Wire »,
« Breaking Bad », « Masters of Sex »… –, ses
blockbusters épatants – « Game of Thrones »,
« Homeland », « The Walking Dead »… –, ses séries B subtiles – « Louie », « Halt and Catch
Fire », « The Americans »… –, elles se sont imposées comme une discipline universitaire et
une catégorie critique autonome. Célébrées
tous les ans à Paris par le festival Séries Mania
– du 15 au 24 avril, cette année, au Forum des
images –, adoptées comme une jolie cousine
par les grands festivals de cinéma, elles s’invitent même au musée, et notamment au Jeu de
paume, où le sagace critique Emmanuel Burdeau anime tous les vendredis, jusqu’au
22 avril, un séminaire sur le sujet.
Cette reconnaissance a fini par dissiper les
complexes. Comme le soulignait Emmanuel
Burdeau au début de son séminaire, de plus en
plus de séries s’affranchissent de leur surmoi
cinématographique pour s’inscrire dans un
système référentiel ouvertement télévisuel.
Alors que le héros de Love travaille pour une
série médiocre, tout en rêvant d’en inventer
lui-même une qui soit géniale, on ne compte
plus les personnages qui commentent avec
enthousiasme les productions du petit écran.
Car quoi qu’on en dise, c’est bien la télévision
qui a engendré leur âge d’or. Ce sont bien ses
contraintes qui en ont dessiné les contours. La
longue durée, qui apporte aux séries « une
forme d’inscription que n’a pas le cinéma » (Emmanuel Burdeau, encore), comme la récurrence des épisodes et des saisons, qui influe
sur leur structure et leur contenu, sont des
manières de répondre au besoin de fidéliser
les téléspectateurs. Invitée du séminaire du
Jeu de paume, la productrice américaine
Christina Wayne raconte qu’elle a convaincu
Matt Weiner, le showrunner de « Mad Men »,
dont elle avait initié la production, de changer
la fin de sa première saison : « Dans son scénario, Don et Betty Draper se retrouvaient, s’enlaçaient, et partaient en voiture dans le soleil couchant. Mais qui voudrait voir une suite après
une fin pareille ? Et puis, ce n’est pas une série où
La mort du roi
T
coup ! Au même moment, le Parti socialiste (PS),
unanime, acte le principe d’une primaire de la
gauche et des écologistes, qui pourrait se tenir en
décembre. Il ne s’agit, certes, que d’une ruse de
Jean-Christophe Cambadélis, le patron du PS,
pour contenir la contestation à gauche et donner
au roi le temps de se refaire. Il n’empêche. S’il ne
suffit plus, dans les institutions françaises, d’être
le président sortant pour prétendre être le candidat naturel de son camp à sa propre succession,
la révolution n’est pas loin.
TOUT UN SYSTÈME S’ÉCROULE
Pendant ce temps, des jeunes et des moins jeunes se retrouvent, chaque nuit, place de la République, à Paris, pour exprimer leur rejet du système. La contestation reste, pour l’instant, marginale. Elle est, en outre, de type « horizontal », en
ce sens qu’elle favorise les palabres et la fraternité, mais interdit l’émergence d’un leader. Ce
qui est plutôt rassurant pour le pouvoir en place.
Mais le monarque est si affaibli, il redoute tellement la violence qui pourrait découler de cette
Avenir bouché | par serguei
[email protected]
Algérie : mémoire
de la « pacification »
POLITIQUE | CHRONIQUE DE FRANÇOISE FRESSOZ
out ce qui subsistait de monarchique
dans la fonction présidentielle a été mis à
mal ces derniers jours par la conjonction
de quatre initiatives, qui n’ont pas grand-chose à
voir entre elles et signent, pourtant, la fin de la
domination symbolique qu’exerçait jusqu’à présent l’Elysée sur toute l’activité politique.
Il y a l’incroyable initiative prise par Emmanuel
Macron « le bienveillant » qui, à la barbe du roi,
lance son mouvement En marche ! pour tenter
de soulever la société civile contre le conservatisme politique. M. Macron n’est pas seulement
le ministre de l’économie qui aura tenté, en vain,
comme Turgot, au XVIIIe siècle, de libéraliser
l’économie d’Ancien Régime asphyxiée par l’excès de dépenses et d’impôts. Il est aussi le rapporteur général de la commission Attali qui,
en 2007, clamait « à bas les rentes et les privilèges ! » pour éviter au pays un nouveau 1789.
N’ayant été entendu ni par Nicolas Sarkozy ni
par François Hollande, l’ambitieux se met à son
compte, en espérant qu’il ne sera pas trop tard. Et
tant pis si l’autorité présidentielle en prend un
on est heureux ! On s’est disputé, Matt était furieux. Le soir, il m’a rappelée. Il pleurait. Il m’a dit
qu’il les aimait trop pour leur faire du mal ! Mais
il a admis que j’avais raison. »
La télévision est avide de nouveauté. Sa boulimie est à l’origine de cette surenchère d’univers incroyables, de ces drames existentiels
inédits, de ces intrigues politiques d’un nouveau genre, de ces corps nouveaux, dont la
profusion a fait exploser les frontières établies
de la fiction… Elle est aussi une technologie.
Comme le suggère le journaliste américain
Brett Martin dans son livre Des hommes tourmentés : le nouvel âge d’or des séries (La Martinière, 2014), l’image haute définition, le home
cinéma, les écrans géants ont favorisé l’émancipation de la mise en scène et l’abandon de
l’alternance plan large - plan serré qu’appelaient les petits postes carrés. Le format feuilleton appelle certaines audaces, comme cette
lenteur si frappante dans certaines séries, que
permet l’attachement des spectateurs à des
personnages qu’ils ne veulent pas quitter.
Que leur avenir reste ou non lié à la télévision, les séries du « nouvel âge d’or » auront eu
le mérite de rappeler qu’elle peut encore être
un lieu d’utopie, et ce n’est pas le moindre. Depuis que ces grands visionnaires qu’étaient
Roberto Rossellini, Jean-Luc Godard ou André
Labarthe ont cessé d’y intervenir, on avait
cessé d’y croire. p
juvénile contestation qu’il a déjà concédé beaucoup, au point de dénaturer le dernier texte réformateur de son quinquennat, le projet de loi
sur le travail. Sa capacité à faire est mise en doute.
Et, comme si cela ne suffisait pas, des représentants de la société civile appellent à l’organisation
d’une primaire citoyenne, qui valoriserait « les
faiseux » et bouterait, hors du système, une classe
politique jugée endogène et incompétente.
Ce n’est, certes, pas la première fois qu’un président affaibli connaît une fin de mandat chaotique – de Gaulle, Pompidou, Mitterrand ou Chirac –, mais, cette fois, ni la maladie, ni l’âge, ni
l’usure ne sont en cause. C’est tout un système
qui s’écroule et menace d’emporter avec lui la figure du monarque républicain que la Ve République s’employait à faire vivre. La raison en est que,
de quinquennat en quinquennat, le régime ne
parvient plus à tenir ses promesses en termes
d’équilibre démocratique et d’efficacité économique. Le roi est mort, mais vive quoi ? p
[email protected]
PACIFICATION EN ALGÉRIE
de David Galula
Les Belles LettresMémoires de guerre
382 pages, 23,90 euros
Le livre
I
l faut d’abord prendre l’ouvrage pour ce qu’il est : un
témoignage par nature orienté, celui d’un militaire
de son temps, dans une armée coloniale. Publié
pour la première fois en français, Pacification en Algérie est le point de vue d’« un officier du camp loyaliste »,
résume son auteur, présent sur le terrain de la guerre
d’indépendance algérienne de 1956 à 1958.
Dans le secteur d’Aïssa Mimoun, treize kilomètres carrés au nord-est de Tizi Ouzou, le quotidien du capitaine
Galula s’écrit entre les « warriors » français, dont les opérations de ratissage n’aboutissent, selon lui, qu’à renforcer l’insurrection, et les « psychologues » pour qui la manipulation des populations, rebaptisée action psychologique, « était la réponse à tout ». Lui est devenu un analyste de la contre-insurrection dont l’expérience très
personnelle a rejoint le corpus doctrinaire des armées
modernes. Pour l’officier de la coloniale, « il ne faisait
aucun doute que la clé du problème, pour nous comme
pour les rebelles, résidait dans le soutien de la population.
Par soutien, j’entends une participation active à la lutte ».
Aucun aspect de cette lutte n’est occulté. Les guerres
d’insurrection « sont extrêmement vicieuses puisqu’elles
impliquent personnellement tous les hommes, militaires
et civils, des deux camps », écrit le capitaine déployé en
Kabylie. « Alors que l’insurgé n’hésite pas à utiliser la terreur, le loyaliste doit faire la police. » Il a accepté, sans l’apprécier, ce rôle de policier. Les passages consacrés aux interrogatoires de prisonniers en témoignent, comme son
appréciation des révélations d’alors sur la torture – « selon moi, 90 % d’absurdité ». Le lecteur jugera par luimême la sincérité de la ligne de conduite énoncée : « Ne
pas dépasser les limites de la décence, c’est-à-dire éviter de
blesser les prisonniers. »
David Galula (1919-1967) est aujourd’hui moins connu
en France qu’aux Etats-Unis, où il a achevé sa carrière
comme enseignant à Harvard. La RAND Corporation, un
groupe d’experts proche du Pentagone, avait publié son
livre dès 1963 mais a gardé le manuscrit jusqu’en 2006
avant de le rééditer, obéissant à une discrétion réclamée
par l’auteur, conscient de la sensibilité du récit. Galula
écrira ensuite, en anglais, un manuel de contre-insurrection. Les généraux américains ont décidé de l’enseigner
dans leurs écoles de guerre, faisant dans les années 2000
de Galula l’étendard de la stratégie de contre-insurrection qu’ils prétendaient suivre en Afghanistan et en Irak.
Pour l’armée française, d’autres officiers comptent.
Mais le lecteur de Galula pourra grâce à lui se projeter
dans les opérations contemporaines, de l’Afghanistan au
Mali, où le contrôle des populations alterne avec les actions « civilo-militaires », les combats avec l’ouverture de
dispensaires. Un héritage que l’on a délesté du pire – la
torture – mais dont l’efficacité n’est plus aussi franchement questionnée qu’elle le fut par le capitaine Galula. p
nathalie guibert
20 | 0123
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
INTERNATIONAL | CHRONIQUE
par al ain fr achon
Obama et le désastre israélo-palestinien
suite de la première page
Depuis trop longtemps, Washington tolère la politique de la droite israélienne –
l’accroissement continu des colonies en
Cisjordanie. Ce n’est pas une approbation, plutôt un acquiescement résigné à
l’annexion rampante de ce territoire palestinien.
Fin mars, devant la conférence annuelle
du lobby israélien américain – l’American
Israel Political Affairs Committee
(Aipac) –, la plupart des candidats au
scrutin présidentiel de novembre ont
renchéri sur cette nouvelle ligne. Il ne
faut plus rien « imposer » à Israël. L’Aipac
se veut un groupe de pression bipartisan,
mais il a glissé vers la droite. Il s’est aligné
sur la rhétorique de la majorité ultranationaliste de Benyamin Nétanyahou.
Dans ses composantes les plus radicales,
elle récuse la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël. Sa priorité est au
contraire de mener une politique active
de colonies en Cisjordanie.
Outre-Atlantique, le Parti républicain y
adhère d’autant plus volontiers qu’il est,
depuis vingt-cinq ans, sous l’influence de
chrétiens fondamentalistes. Ceux-là pui-
BATMAN V SUPERMAN: DAWN OF JUSTICE and all related characters and elements © & ™ DC Comics and Warner Bros. Entertainment Inc.
OBAMA QUITTERA
LA MAISON BLANCHE
SANS AVOIR FAIT
PROGRESSER
LA PAIX, ET A BAISSÉ
LES BRAS DEVANT
LA POURSUITE
DES COLONIES
sent dans la lecture de la Genèse l’une de
leurs convictions : le Messie reviendra
sur Terre lorsque les juifs auront repeuplé
la Judée et la Samarie (appellation biblique de la Cisjordanie, territoire palestinien qu’Israël occupe depuis 1967). Conclusion : vive les colonies ! La droite chrétienne républicaine américaine est devenue l’une des composantes du
mouvement des colons israéliens.
« La pire chose arrivée à Israël »
Devant la conférence annuelle de l’Aipac,
fin mars à Washington, les candidats républicains ont collé à la ligne de la majorité au pouvoir à Jérusalem. Ils ont été audelà de la réaffirmation de l’alliance stratégique et affective entre Israël et les
Etats-Unis. Ni Ted Cruz ni Donald Trump
n’ont dénoncé la poursuite de la colonisation. Ils ont stigmatisé la « rhétorique
de haine » entendue chez les Palestiniens.
Plus pro-Nétanyahou que « Bibi », ils
ont juré qu’ils auraient pour priorité, une
fois à la Maison Blanche, de démanteler
l’accord sur le nucléaire iranien conclu
par l’administration démocrate. La salle a
ovationné Donald Trump quand il a
lancé que Barack Obama « a été la pire
chose qui soit jamais arrivée à Israël ». Le
lendemain, la présidente de l’Aipac,
Lillian Pinkus, a présenté ses excuses à la
Maison Blanche. Mais sur la question palestinienne, la démocrate Hillary Clinton
ne s’est guère distinguée de ses concurrents républicains. La paix n’est pas une
priorité. A peine signale-t-elle que ladite
paix suppose que « chacun fasse un bout
de chemin en évitant des actions dommageables, y compris en ce qui concerne les
implantations ».
L’unique note de discorde est venue de
Bernie Sanders, le seul des candidats à
être juif. Il dénonce la corruption de la po-
litique américaine par les groupes de
pression qui financent les campagnes
électorales. Il n’est pas allé à la conférence
de l’Aipac. Il a dit que sa profonde amitié
pour Israël lui imposait de condamner
radicalement la politique de Nétanyahou
en Cisjordanie. Son geste confirme une
prise de distance d’une partie de la communauté juive à l’égard de l’Aipac. Représentant 1,5 % des électeurs environ, les
juifs américains votent démocrate – et,
deux fois de suite, ils ont majoritairement donné leurs voix à Barack Obama.
Première secrétaire d’Etat du président, Hillary Clinton n’a rien fait sur le
Proche-Orient. Son successeur, John
Kerry, lui, s’est battu. En vain. Barack
Obama quittera la Maison Blanche sans
avoir fait progresser la paix. Il a musclé
la coopération sécuritaire entre Israël et
les Etats-Unis, mais baissé les bras devant la poursuite des implantations.
Dans le New York Times du 10 avril, l’historienne Lara Friedman pointe cette réalité comptable : les Etats-Unis condamnent de moins en moins la colonisation
de la Cisjordanie. A regret, l’Amérique
prend son parti d’une politique qu’elle
juge tragique, mais qu’elle estime ne pas
pouvoir contrer – comme osèrent le
faire, en leur temps, Ronald Reagan et
George Bush senior.
Devant l’Aipac, le vice-président, Joe Biden, a été très franc. En Cisjordanie, « l’extension continue et systématique des colonies, la saisie des terres », a-t-il dit, tout
cela « mine la perspective de la solution
dite des deux Etats » que prône Washington. « Tel est mon point de vue, a-t-il
ajouté. Je sais que ce n’est pas celui de
“Bibi”. » Complicité de facto ou impuissance assumée ? p
[email protected]
UN SOUFFLE
D’OPTIMISME
EN LIBYE
P
our ceux qui ont raté les derniers épisodes de la saga libyenne post-Kadhafi, rappelons l’étonnante journée du 30 mars.
Après tout, c’est de ce jour-là que date
le soupçon d’optimisme que l’on peut
aujourd’hui entretenir sur la reconstitution d’un gouvernement d’union
nationale en Libye. Et, par conséquent, sur la lutte contre l’organisation dite « Etat islamique » (EI) qui
s’est installée sur le littoral de ce pays.
C’était un mercredi matin, temps
clair, quand une flottille partie du
port de Sfax, dans le sud de la Tunisie,
a abordé les quais de la base navale
installée en plein cœur de Tripoli. La
ville était – elle est toujours – aux
mains d’un groupe de milices se présentant comme le « gouvernement »
de facto (non reconnu) de la capitale,
issu d’un bloc politique répondant à
l’élégante appellation d’« Aube de la
Libye » (Fajr Libya). Ces milices, qui
avaient fermé l’aéroport, contrôlent
l’espace aérien de Tripoli.
Il ne restait que la voie maritime
pour permettre à Faïez Sarraj, premier
ministre
d’un
« gouvernement
d’union nationale » en devenir, patronné par l’ONU, de gagner enfin la
capitale du pays qu’il est censé administrer. La désignation de M. Sarraj est
le résultat d’un accord conclu sous
l’égide des Nations unies, en décembre 2015 au Maroc, entre l’équipe
d’Aube de la Libye et celle d’un
deuxième « gouvernement », celui de
Tobrouk, dans l’est du pays.
En somme, M. Sarraj a pour mission
de créer un seul gouvernement, qui se
substituera aux deux autres – celui de
Tripoli et celui de Tobrouk. Or, s’il n’a
toujours pas réussi à quitter la base
navale, Faïez Sarraj, avec sa petite
équipe de conseillers, a réalisé des
progrès politiques. Ils ont obtenu le
soutien des milices de la capitale. Il
leur faut encore solliciter celui de l’Assemblée de Tobrouk. Ce n’est pas garanti. Mais les affrontements interlibyens ont singulièrement diminué.
Une équipe d’assistance internationale a été mise en place. Bref, un début d’apaisement politique se dessine, pour la première fois depuis la
chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.
Cette étape politique est le préalable
à une opération militaire contre l’EI. Il
s’est implanté le long du golfe de
Syrte, où il compterait quelque 3 000
hommes en armes, à quelques encablures de l’Italie. Les observateurs
sont unanimes : une intervention aérienne occidentale à ce stade déstabiliserait M. Sarraj. Il faut lui donner du
temps. Les mêmes observateurs font
valoir que la Libye disposerait du
nombre d’hommes suffisant pour démanteler l’EI au sol, sur le terrain, dès
lors que les différentes milices du pays
seraient regroupées à cette fin.
La tâche de M. Sarraj est énorme. La
vérité, apparue crûment à la chute de
Kadhafi, est qu’il n’y avait pas d’Etat libyen, aucune structure, aucune institution. L’Etat, c’était le régime, c’est-àdire la tribu du Guide, la soldatesque,
souvent étrangère, à son service, et un
semblant d’administration centrale.
Pour Faïez Sarraj, il ne s’agit pas de reconstruire un Etat, mais d’en construire un. p
Tirage du Monde daté jeudi 14 avril : 244 475 exemplaires
D E S T I N AT I O N M E T R O P O L I S
L E
2 3
M A R S
A U
C I N É M A
# F LY T O M E T R O P O L I S
EPR : la série noire continue
Faurecia :
un nouveau DG
dans un groupe
transformé
▶ Les malfaçons
repérées sur la
cuve du futur
réacteur,
à Flamanville,
sont plus graves
qu’attendu
▶ Une mauvaise
nouvelle de plus
pour ce chantier
qui accumule
les déboires
depuis son lancement, en 2007
▶ Le rachat
de l’activité
réacteurs
d’Areva par EDF
pourrait être
remis en cause
C
hangement d’époque à la
tête de l’équipementier
Faurecia. Yann Delabrière, PDG depuis 2007, cédera
début juillet les rênes de la direction générale du groupe à Patrick
Koller, son numéro deux, a annoncé l’équipementier mercredi
13 avril. Président non exécutif,
M. Delabrière devrait rendre son
tablier à l’été 2017, dix ans tout
juste après son arrivée.
Pour l’équipementier automobile, spécialiste des sièges auto,
des systèmes de dépollution (pot
d’échappement) et des intérieurs, c’est la fin d’une longue
étape de consolidation et d’internationalisation à grande vitesse.
« C’est un moment charnière,
confie au Monde Yann Delabrière. Faurecia sort de l’adolescence et atteint les 18 ans, l’âge de
la maturité. »
Le tout en pleine forme, avec un
chiffre d’affaires de 20,69 milliards d’euros, en hausse de 10 %,
et une marge opérationnelle de
4,4 %, sa meilleure performance
historique.
Quel contraste avec Equipements et composants pour l’industrie automobile (ECIA), du
groupe Peugeot ! En 1987, la petite
société spécialiste des tubes en
acier (pour l’échappement ou les
cycles) réalisait un petit milliard
de… francs de chiffre d’affaires.
→ LIR E PAGE 3
La cuve de l’EPR
de Flamanville
est introduite
dans la centrale,
en 2014. PHOTOPQR/
OUEST FRANCE/GILLES COLLAS
Le torchon brûle entre l’Allemagne et la BCE
philippe jacqué
→ LIR E L A S U IT E PAGE 3
▶ De plus en plus de voix s’élèvent outre-Rhin pour fustiger la politique monétaire accommodante de la Banque centrale
▶ Les taux bas pratiqués
▶ Jusqu’ici farouche défen-
▶ La France appelle l’Alle-
▶ Sept économistes alle-
par la Banque centrale
européenne (BCE)
sont accusés de ruiner
les épargnants allemands
et, ce faisant, de favoriser
la montée de l’extrême
droite outre-Rhin
seur de l’indépendance des
institutions monétaires,
le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, s’oppose désormais
ouvertement à Mario Draghi, le président de la BCE
magne à respecter « absolument, intégralement, totalement » l’indépendance
de la BCE. La banque centrale allemande rappelle
que les taux bas favorisent
aussi les salariés
mands de renom réfutent,
dans une tribune, les critiques adressées à la BCE
et appellent Berlin à renoncer plutôt au dogme
de l’austérité budgétaire
« PANAMA PAPERS »
PERTES & PROFITS | PÉTROLE
LE PARLEMENT EUROPÉEN
DEVRAIT CRÉER UNE
COMMISSION D’ENQUÊTE
→ LIR E PAGE 5
PLEIN CADRE
CASINO CONTRE MUDDY
WATERS, LES DESSOUS
D’UNE TENTATIVE
DE DÉSTABILISATION
→ LIR E PAGE 2
J CAC 40 | 4 484 PTS – 0,13 %
j DOW JONES | 17 908 PTS + 1,06 %
J EURO-DOLLAR | 1,1235
j PÉTROLE | 43,40 $ LE BARIL
J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,47 %
VALEURS AU 14 AVRIL À 9 H 30
→ LIR E PAGE S 4 E T 7
Le printemps rêvé des producteurs
P
our voir l’avenir, les chamans interprétaient les vestiges d’un feu, la
forme d’un os ou la nature de leurs rêves. Les traders font de même avec le
flux incessant d’informations qui se bousculent sur leur écran d’ordinateur. En ce moment,
ils ont envie de croire à une remontée des cours
du pétrole. La possibilité d’un gel de la production, l’anticipation d’une amélioration de la
conjoncture chinoise, quelques jours de hausse
des cours gonflent leur optimisme. La remontée des prix du pétrole est au coin de la rue.
La Russie a joué le rôle de catalyseur. En s’accordant sur un gel de la production avec l’Arabie
saoudite en février dernier, puis en participant à
la réunion de l’OPEP qui se tiendra le 17 avril à
Doha au Qatar, le pays a contribué au changement de discours du royaume saoudien. Résultat, le prix du baril de pétrole, qui avait atteint
son plus bas niveau depuis douze ans en janvier
à moins de 30 dollars, est remonté franchement
près des 45 dollars (40 euros) cette semaine.
Menace permanente de surcapacités
Mais les oracles sont méfiants. Même les plus
étourdis se souviennent des grandes banques et
économistes qui annonçaient un pétrole à
200 dollars au temps de la hausse puis à 20 dollars à l’époque de la chute. Ils constatent que la
conjoncture mondiale n’est pas flamboyante,
comme l’a constaté cette semaine le FMI, et notent que les stocks sont toujours très élevés.
Deux tensions se font face dont on ne sait encore trop bien si elles s’annuleront l’une
Cahier du « Monde » No 22161 daté Vendredi 15 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
20,69
l’autre. La première est celle de la situation économique des pays producteurs. Le Venezuela,
la Russie, le Brésil, l’Irak, l’Algérie ou le Nigeria
sont en grande difficulté. Ils ont un besoin impératif de restaurer leurs comptes en faisant
rentrer des devises, et seront les premiers à
mettre des quantités supplémentaires sur le
marché dès que la possibilité leur sera offerte.
Les Etats-Unis, dont seul le marché régule l’offre, ont démontré leur flexibilité en matière de
production. Sitôt les cours remontés au-delà
de 50 dollars, la myriade de petits producteurs
se remettra en marche pour sortir l’huile ou le
gaz des terres du Texas ou du Dakota. Sans
oublier enfin l’Iran qui ne veut pas entendre
parler de réduction de sa production au moment même où il retourne sur le marché.
Face à cette menace permanente de surcapacités, il existe néanmoins une force contraire,
celle des investissements. Dès 2015, la chute
des cours a paralysé tous les grands projets à
travers le monde. Il en sera ainsi en 2016 pour
restaurer les comptes des compagnies productrices. Viendra forcément un moment où ces
dollars non engagés dans l’exploration et la
production manqueront face à la demande…
et feront remonter les cours, à l’horizon de
2020. Face à ces deux tensions antagonistes
qui tireront les prix dans les mois et années
qui viennent, les augures balancent. Ils se raccrochent désormais à une seule croyance qui
elle aussi ne durera qu’un temps : pour les producteurs, le pire est désormais derrière eux. p
philippe escande
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0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Carson Block,
le dirigeant
du cabinet
Muddy Waters,
en 2012.
DAVID PAUL MORRIS/
BLOOMBERG
R
arement ventes trimestrielles
auront été scrutées avec autant
d’attention. Le groupe Casino a
publié jeudi 14 avril un chiffre
d’affaires de 9,7 milliards
d’euros au titre du premier trimestre, en baisse de 0,7 % en comparable,
mais son activité distribution croît de 1,5 % en
France. L’allant des consommateurs à remplir leur chariot chez Géant ou Leader Price
s’avère d’autant plus important pour le distributeur que son autre grand marché, le Brésil, a fortement tangué. Or, Casino ne peut se
permettre le moindre faux pas. Il doit
d’abord préserver ses rentrées de cash pour
remonter des dividendes à Rallye, sa holding
de contrôle très endettée.
Ensuite, il est attendu au tournant par des
spéculateurs anglo-saxons qui ont lancé une
campagne de déstabilisation contre lui. Dans
quel but ? Ces « vendeurs à découvert » empruntent des titres à un tiers, les vendent et
comptent bien les racheter moins cher par la
suite, en empochant la différence.
Dans le jargon, on surnomme ces spéculateurs les « shorts ». Eh bien, le roi des
« shorts » a sauté sur Casino, comme la légion sur Kolwezi, le 17 décembre 2015. Ce
jour-là, l’Américain Carson C. Block, à la tête
du bureau d’analyses financières Muddy Waters (« Eaux boueuses »), torpilleur de son
métier, a publié un brûlot de 20 pages sur
son site, affirmant que l’action du distributeur stéphanois valait 6,91 euros (contre un
cours de 49 euros), et que sa holding de contrôle Rallye, elle, ne valait rien du tout (elle
cotait près de 17 euros).
Identifier un point de faiblesse
« Groupe Casino est l’une des entreprises les
plus surévaluées et mal comprises sur laquelle
nous soyons jamais tombés », débutait cette
note, relayée par une interview choc sur
Bloomberg TV, le canal favori des marchés financiers. En pleine séance de Bourse à Paris,
ces déclarations ont fait plonger de 20 % le
cours de Bourse de Casino en quelques minutes. Le groupe a saisi l’Autorité des marchés financiers (AMF) pour dénoncer une
manipulation de cours.
Avec un mépris affiché, le jeune loup de
Wall Street s’en prenait à Jean-Charles Naouri,
actionnaire de contrôle et bâtisseur de Casino, « un génie (..) qui a eu son BAC à 15 ans »,
l’accusant de dissimuler, dans les méandres
d’une cascade de holdings et de participations, un endettement « dangereux ».
M. Block n’a jamais contacté Casino. Du
moins officiellement. Il aime approcher ses
cibles sous un faux nom, afin de préserver
l’effet de surprise. Pour le distributeur, elle a
été totale. Aucune entreprise française
n’avait été attaquée jusque-là par un activiste
« short », cette espèce mutante de « sauterelles », comme Werner Seifert, le président du
directoire de Deutsche Börse, désignait les
Casino L’épicier, le torpilleur
et ses « shorts »
Le propriétaire de Monoprix
fait face depuis quatre mois
à une attaque en règle
de la part de Muddy Waters.
Ce spéculateur américain
parie sur la chute du cours
de Casino. Récit d’une
tentative de déstabilisation
hedge-funds entrés à son capital au début
des années 2000. A ceci près que les activistes traditionnels visent à augmenter le cours
de Bourse…
En soi, le « short » est une pratique courante.
L’AMF tient un registre des positions à découvert sur les actions des émetteurs français,
dont la déclaration est obligatoire au-delà du
seuil de 0,2 % du capital. De quoi s’apercevoir
que les grands noms de la finance, BlackRock,
JPMorgan ou même BNP Paribas, et pas seulement des cow-boys, recourent à cette technique qui permet le plus souvent de couvrir des
positions « acheteuses » sur d’autres titres.
Casino n’est d’ailleurs pas très « shorté ».
Au 13 avril, selon le site néerlandais Shortsell,
un peu plus de 2 % du capital du distributeur
étaient vendus à découvert, loin derrière
CGG (14,1 %) ou Pernod Ricard (14 %). La
grande différence, c’est que personne ne
mène de croisade contre le groupe parapétrolier ou le producteur de pastis.
Comme les vendeurs à découvert passifs,
les artilleurs identifient un point de faiblesse
supposé dans une entreprise mais ensuite ils
l’exposent avec tambours et trompettes afin
de provoquer une panique boursière. Muddy
Waters, qui affirme s’appuyer sur des comptables et des enquêteurs qualifiés, a construit
sa notoriété en démontant les comptes de
sociétés chinoises cotées outre-Atlantique.
Son heure de gloire, la faillite de Sino-Forest,
après les accusations de fraude portées contre le groupe forestier chinois qui pesait
4 milliards de dollars (3,5 milliards d’euros) à
la Bourse de Toronto.
MUDDY WATERS
VEUT CIBLER
DES ENTREPRISES
EUROPÉENNES,
COUPABLES D’ABUSER
DE LA DETTE
ET D’ÊTRE MAL
SURVEILLÉES
PAR DES ANALYSTES
À LEUR BOTTE
Ce fonds de commerce étant épuisé,
M. Block a annoncé qu’il allait cibler des entreprises européennes, coupables selon lui
d’abuser de la dette et d’être mal surveillées
par des analystes financiers à leur botte. Il a
commencé par tirer en février 2015 un improbable coup de chapeau à Vincent Bolloré
avant de lancer une offensive contre la
firme de télécoms nordiques TeliaSonera en
octobre 2015.
Muddy Waters apparaît ensuite sur le
compteur de l’AMF le 15 décembre 2015 avec
une position de 0,83 % sur Casino qu’il a réduite dès les jours suivants pour la ramener
à 0,31 % le 4 janvier. Sur Rallye, il a d’abord
porté sa position à découvert de 0,71 % le
15 décembre, à 1,38 % le 18 décembre, avant
de réduire la toile à 0,49 % le 21 janvier.
L’AMF ne publiant qu’en cas de franchissement du seuil de 0,5 %, impossible de savoir
où se situe Muddy Waters sous cette ligne.
Des douzaines de nouveaux torpilleurs
Ce retrait partiel n’a pas empêché M. Block
de multiplier les escarmouches. Le 8 mars, il
révèle ainsi qu’il a soumis le directeur financier de Casino au détecteur de mensonges
lors d’une conférence téléphonique d’analystes, affirmant qu’il avait eu des réponses
« évasives ou trompeuses ».
Lors de son combat contre le groupe de négoce asiatique Noble, Muddy Waters avait
déjà fait appel aux services de QVerity, une
société experte du comportement fondée
par des anciens de la CIA. Cette firme que ne
renierait pas le héros de la série TV « Lie to
Me » décortique, par exemple, sur son site
Internet, les interventions de Ted Cruz, le
candidat à la primaire républicaine, afin de
savoir s’il a trompé sa femme.
Autre particularité des activistes, ils chassent en meute. Si la fragilité de Casino face à
la crise brésilienne avait incité de nombreux fonds, comme le britannique Marshall Wace, à se positionner dès l’été 2015,
bien avant M. Block, d’autres se sont joints
par la suite, comme Emerging Sovereign
Group ou Darsana Capital Partners, des petits fonds new-yorkais, désormais les principaux vendeurs à découvert d’actions Casino.
Mal leur en a pris. Quatre mois après le début de l’offensive, l’action Casino cote audessus des 49 euros qu’elle valait avant l’offensive, en hausse de 10 % quand le CAC 40 a
cédé 3 % dans l’intervalle. Et l’action Rallye a
presque renoué avec son niveau d’alors.
Cette résistance, le distributeur la doit à la
vitesse avec laquelle il a exécuté un plan de
cession d’actifs destiné à se désendetter.
Cette stratégie avait d’ailleurs été présentée
la veille de l’attaque de Muddy Waters.
En cédant ses parts dans Big C en
Thaïlande pour 3,1 milliards d’euros et avec
la vente prochaine de sa filiale au Vietnam
– la remise des offres fermes est prévue le
15 avril –, le français va diviser par trois son
endettement en 2016, pour le ramener à
2 milliards d’euros. La mauvaise nouvelle,
c’est que l’agence de notation S&P n’y a pas
vu une amélioration de la structure financière du groupe.
Elle avait pourtant confirmé les notes de
Casino le 11 décembre 2015, avant de les
dégrader le 21 mars, ôtant au distributeur
son précieux statut d’« investment grade »
pour le placer dans la catégorie des signatures à risque. L’agence a-t-elle été influencée
par les critiques virulentes formulées à son
encontre par Muddy Waters dans la première note assassine contre Casino ? Dans
son rapport du 21 mars, en tout cas, elle a
modifié la manière dont elle calculait le ratio d’endettement du distributeur, en reprenant à son compte des remarques de « l’analyste justicier ».
C’est dire le climat de suspicion créé par
ces raids. Jusque-là, ils étaient réservés aux
entreprises nord-américaines ou chinoises.
« Les entreprises dont les sièges sont situés en
Europe ne représentent que 7 % des campagnes répertoriées dans notre base de données », précise Claire Stovall, analyste chez
Activist Shorts Research, qui a recensé plus
de 700 campagnes menées par une centaine de ces vendeurs à découvert.
Ces experts affirment avoir repéré en 2015
des douzaines de nouveaux torpilleurs. Selon cet expert, la palme du meilleur dynamiteur 2015 revient à Citron Research, la
firme d’Andrew Left, qui a mis à genoux le
laboratoire canadien Valeant en dénonçant
le « Enron de la pharmacie » : le labo a perdu
en moins de trois semaines la moitié de sa
valeur en Bourse, soit 36 milliards de dollars
(32 milliards d’euros), saignant au passage
son principal actionnaire, Bill Ackman, célèbre militant de Wall Street. Bizarrement,
l’arroseur n’a pas apprécié d’être arrosé. p
isabelle chaperon
économie & entreprise | 3
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
EPR : nouveau revers pour Areva et EDF
Les défauts sur la cuve du futur réacteur nucléaire de la centrale de Flamanville sont plus graves qu’attendu
L’
EPR de Flamanville
(Manche) fonctionnera-t-il un jour ? L’incertitude s’accroît autour
de cette première centrale nucléaire de nouvelle génération
que construisent EDF et Areva en
Normandie, le plus grand investissement mené actuellement en
France, tous secteurs confondus.
Les malfaçons repérées sur la
cuve du réacteur sont en effet plus
graves qu’attendu, ont annoncé
les deux groupes, mercredi
13 avril. Une mauvaise nouvelle de
plus pour ce chantier qui accumule les déboires depuis son lancement en 2007.
EDF assure que ce problème ne
remet pas en cause le calendrier
annoncé. Le démarrage de la centrale reste prévu au quatrième trimestre 2018. Certains craignent
cependant qu’EDF ne soit obligé
de renoncer à cet énorme projet,
alors qu’il est déjà réalisé à plus de
80 %. D’autres le souhaitent : « Il
serait irresponsable de mettre en
service un équipement qui présente de telles faiblesses, estime le
réseau Sortir du nucléaire. Tout
plaide pour abandonner ce réacteur dangereux et inutile. » Audelà de Flamanville, l’affaire risque de faire vaciller toute la stratégie nucléaire d’EDF, son développement en Grande-Bretagne et le
sauvetage d’Areva.
En Bourse, où l’action EDF est
sortie du CAC 40 depuis décembre, le titre reculait de 1 % jeudi en
début de matinée.
« Extension du phénomène »
En cause, la cuve du futur EPR (European Pressurized Reactor) et
son couvercle. Des équipements
clés, puisque c’est dans cet immense chaudron que se produit la
fission des atomes qui permet de
produire de l’électricité. Ils constituent aussi la toute première barrière de confinement de la radioactivité, avant la double enceinte de béton du bâtiment.
Areva sait, semble-t-il, depuis
des années que cette cuve de
425 tonnes, l’une des plus massives jamais forgées dans son usine
du Creusot (Saône-et-Loire), présente des anomalies. Lorsque
l’acier a été coulé pour fabriquer le
bloc dans lequel ont été découpés
la cuve et le couvercle, le carbone
s’est mal réparti. Certains endroits
souffrent d’une teneur excessive
en carbone. Cela réduit la résistance de l’acier aux chocs, et facilite la propagation de fissures.
Sur le chantier
de l’EPR
de Flamanville,
le 30 mars.
CHARLY TRIBALLEAU/AFP
Les dirigeants de
la filière espèrent
que les nouveaux
tests montrent
que la cuve peut
être conservée
en dépit
des anomalies
La cuve peut-elle être utilisée
malgré tout ? Pour le savoir, de
premières analyses ont été lancées en 2015 sur deux pièces issues du même bloc d’acier que la
cuve. EDF et Areva espéraient
qu’elles prouveraient la qualité du
métal en dépit des anomalies.
C’est l’inverse qui s’est passé. Les
essais ont montré sur une des pièces « une extension du phénomène » : la trop forte concentration de carbone a été identifiée
dans une zone qui dépasse la demi-épaisseur de cette pièce. Plus
question de poursuivre la cons-
truction du réacteur comme si de
rien n’était.
Pour sauver le projet, EDF et
Areva ont demandé à l’Autorité de
sûreté nucléaire (ASN) l’autorisation d’effectuer des analyses complémentaires sur une troisième pièce. Cette fois-ci, « les prélèvements de matière et les essais
associés seront étendus aux trois
quarts de l’épaisseur de la pièce
concernée », précisent les deux
groupes. Au total, le nombre
d’éprouvettes qui seront analysées va doubler. Les dirigeants de
la filière croisent les doigts pour
que ces nouveaux tests démontrent que la cuve peut être conservée en dépit des anomalies.
Si tel n’est pas le cas, la centrale
risque de ne jamais être mise en
service. Il est en effet possible de
remplacer le couvercle, mais ardu
de tenter la même opération avec
la cuve, qui est déjà posée et soudée à d’autres équipements majeurs. Retirer la cuve actuelle et en
fabriquer une nouvelle feraient
exploser tant les délais que le coût
du réacteur, qui a déjà triplé et dé-
passe à présent 10,5 milliards
d’euros.
Dans l’immédiat, la batterie
d’analyses supplémentaires va
décaler d’environ six mois la décision de l’ASN sur la conformité de
la cuve. Areva ne lui remettra les
résultats des tests que fin 2016, au
lieu de juillet comme prévu.
Répercussions
Le chantier de Flamanville avait
été lancé pour donner du travail
aux équipes d’Areva et fournir une
vitrine française à l’EPR, ce réacteur présenté comme le nec plus
ultra de la technologie. « Le monde
entier regarde ce qui est en train de
se passer à Flamanville », soulignait le PDG d’EDF, Jean-Bernard
Lévy, en mai 2015. Aujourd’hui, les
difficultés rencontrées dans cette
ruche où s’affairent plus de
4 600 personnes risquent donc
d’avoir des répercussions bien audelà de la Normandie.
En France, l’affaire ne peut que
fragiliser davantage encore Areva,
le fabricant des équipements défectueux, qui a perdu 6,9 mil-
liards d’euros en deux ans. Le plan
de sauvetage de l’ex-groupe star
du nucléaire prévoit la reprise par
EDF de la moitié de ses activités,
celles qui concernent la conception et la fabrication des réacteurs. Mais une clause des accords
permet à EDF de remettre en
cause cette opération si la cuve de
Flamanville n’est pas conforme
aux normes. Tout le montage
prévu pour sortir Areva de l’ornière devrait alors être revu.
EDF se retrouve aussi sur la sellette. A Flamanville, la compagnie
électrique espérait faire la preuve
de sa capacité à piloter un chantier complexe, et s’en sortir
mieux qu’Areva en Finlande, où se
construit un autre EPR. L’expérience est loin d’être concluante,
avec une facture qui a toutes les
chances de s’alourdir.
Les malheurs de la « vitrine »
française compliquent aussi le
projet Hinkley Point, en GrandeBretagne. EDF doit décider dans
les prochaines semaines d’y bâtir
ou non deux EPR, un investissement estimé à 18 milliards de livres (environ 23 milliards
d’euros). L’Etat actionnaire
pousse EDF à se lancer, une question de « crédibilité » et de « cohérence » pour toute la filière, selon
le ministre de l’économie, Emmanuel Macron. Le PDG, M. Lévy, est
sur la même ligne. Les syndicats,
eux, estiment le projet beaucoup
trop risqué. Telle semble aussi la
position de l’ex-directeur financier, Thomas Piquemal, qui a démissionné début mars. Le cas Flamanville apporte évidemment de
l’eau au moulin des opposants.
L’affaire est aussi suivie de près
en Chine. A Taishan, non loin de
Hongkong, les deux réacteurs EPR
en fin de construction sont équipés du même type de cuve que Flamanville, donc susceptibles de
connaître les mêmes anomalies.
Les autorités chinoises souhaitent
que les doutes français soient levés avant de mettre en service
leurs propres réacteurs. p
denis cosnard
Les syndicats d’EDF de plus en plus inquiets
La rencontre prévue jeudi 14 avril entre l’intersyndicale d’EDF et
Emmanuel Macron s’annonce chaude. Alors que le ministre de
l’économie pousse EDF à lancer sans tarder la construction de
deux EPR en Grande-Bretagne, les syndicats s’y montrent résolument hostiles compte tenu de la situation critique de l’entreprise.
Celle-ci est « au bord de la faillite », affirment-ils dans une lettre à
François Hollande rendue publique mercredi. Ils imputent ces difficultés à « l’échec total de la politique énergétique européenne ».
Dans leur lettre, les syndicats dénoncent le projet britannique,
estimant que « la priorité doit être de consacrer les moyens humains et financiers d’EDF au grand carénage (prolongation du
parc nucléaire historique), à la mise au point d’un EPR optimisé
(…), aux investissements sur les réseaux et à la préservation de
l’intégrité du parc de production historique ». Ils se disent par
ailleurs préoccupés par « la mise en demeure » de Bruxelles pour
l’ouverture des concessions hydrauliques à la concurrence, et demandent un moratoire sur le sujet.
Une nouvelle ère s’ouvre chez l’équipementier automobile Faurecia
Patrick Koller, qui devient DG de cette entreprise de taille mondiale, devra accentuer le tournant vers des activités à forte valeur ajoutée
suite de la première page
« Je suis rentrée à cette date dans
l’entreprise. C’était une entreprise
nationale. Aujourd’hui, je travaille
pour une société présente dans le
monde entier avec 330 sites et plus
de 100 000 salariés », constate Annick Antoni, déléguée syndicale
centrale du groupe.
« Faurecia est né de la vision de
Pierre Peugeot, qui avait demandé
à Jacques Calvet de constituer un
équipementier automobile à partir
d’ECIA. Il avait une vision qui allait
contre la doxa. Les grands constructeurs cédaient alors leur filiale équipementière… », se rappelle JeanMartin Folz. L’ancien patron de
PSA a lancé en 1997 l’OPA sur Epeda
Bertrand Faure, le spécialiste du
siège automobile, pour le marier à
ECIA, alors détenu à 70 % par le
constructeur.
Pour atteindre la taille critique
dans ses différents métiers, Faurecia s’engage dans une frénésie
d’achats avec une demi-douzaine
d’acquisitions dont Sommer Alibert, le spécialiste des intérieurs.
Le groupe est alors présent dans
quatre grands métiers : échappements, intérieurs et extérieurs (revendus récemment à Plastic Omnium) et les sièges. Dès 2001, l’entreprise dégage 9,6 milliards
d’euros de chiffre d’affaires, mais
l’intégration de toutes les acquisitions est difficile à digérer. PSA
renfloue régulièrement sa filiale.
Importantes turbulences
En 2006, la société traverse d’importantes turbulences. Les clients
critiquent la piètre qualité de ses
produits. L’endettement de l’équipementier se monte à près de
2 milliards d’euros. Il y a enfin la
découverte d’un scandale de corruption chez Volkswagen. Comme
d’autres, Faurecia, et plus précisément Sommer Alibert, a payé pour
obtenir des marchés. Pierre Levi,
son PDG d’alors, est débarqué. Et
Grégoire Ollivier est installé aux
manettes du groupe, avant d’être
rapidement remplacé par Yann
Delabrière, alors directeur financier de PSA, actionnaire à l’époque
à hauteur de 60 % de sa filiale.
Yann Delabrière restaure la confiance avec les clients, lance des
plans d’économie et poursuit le
travail de fond sur la qualité lancé
avec le recrutement en 2006 du Japonais Kiichiro Sato. Cet ancien de
Nissan prend en main ce chantier
crucial. « C’est un peu un extraterrestre, confie un directeur d’usine
Faurecia. Mais il a réussi à apporter
des principes et des méthodes simples pour résoudre les problèmes
rencontrés dans les usines. Grâce à
cela, nous sommes revenus dans la
bonne moyenne sur la qualité. »
Si ces efforts commencent à
payer, Faurecia prend de plein
fouet la crise financière. « Une catastrophe. En février 2009, notre
chiffre d’affaires était 43 % plus bas
qu’en février 2008 », se remémore
Yann Delabrière. Les anciens du
groupe s’en souviennent : en six
mois, le groupe se sépare de près
Durant la crise
financière,
Faurecia a profité
des défaillances
de certains de ses
concurrents pour
se renforcer
de 15 000 personnes, 20 % de ses
effectifs. Le chômage technique
est même instauré au niveau du
siège.
Malgré d’importantes pertes début 2009, Faurecia résiste et
trouve des opportunités de croissance. Pour gagner la confiance
des constructeurs, l’équipementier défend son indépendance par
rapport à PSA. Une stratégie
payante. Volkswagen représente
aujourd’hui 25 % de son chiffre
d’affaires, deux fois plus que le
constructeur français, qui ne dé-
tient plus que 46 % de sa filiale. Et
la croissance de l’allemand ces dix
dernières années explique en
grande partie le décollage de
l’équipementier.
Faurecia profite des défaillances
de certains de ses concurrents
pour se renforcer. Coup sur coup,
il reprend Emcon aux Etats-Unis,
qui le propulse leader mondial des
systèmes d’échappements, et certaines activités de Plastal, qui le
renforcent auprès de Volkswagen.
« Aux Etats-Unis, l’activité quadruple entre 2009 et 2013, tandis qu’en
Chine, le marché automobile n’a jamais crû aussi rapidement que
pendant les années de crise en Europe, indique Yann Delabrière. En
tout, sur ce marché, nous avons
connu sept années de croissance à
plus de 20 % par an et nous avons
triplé nos ventes localement. »
Résultat, en quatre ans, le chiffre
d’affaires passe de 9 à 18 milliards
d’euros, dont la moitié réalisée en
Europe, où son rapprochement
avec les constructeurs haut de
gamme lui assure de la croissance
pendant la crise, un tiers aux Amériques et le reste en Asie. « Quand
on regarde ses résultats financiers,
c’est propre, dit un analyste : il y a
de la trésorerie, une dette maîtrisée,
une bonne réputation auprès des
clients. C’est en ordre de marche. »
Aujourd’hui, c’est au franco-allemand Patrick Koller d’imaginer la
suite de l’histoire. Il présentera sa
stratégie le 19 avril. En interne, il
doit consolider encore la cohérence d’une entreprise patchwork
par essence. Et chercher sa voie :
faut-il s’orienter vers de nouvelles
acquisitions ou opter pour la croissance organique de ses métiers ?
Alors que Faurecia détient encore
une des marges les plus faibles du
secteur, il doit accentuer son tournant vers des activités à plus forte
valeur ajoutée : le siège et les matériaux intelligents pour la voiture
connectée et autonome, l’amélioration des systèmes de dépollution, etc. p
philippe jacqué
4 | économie & entreprise
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
L’Allemagne attaque la BCE et brise un tabou
Les conservateurs estiment que la politique des taux bas de la Banque centrale ruine les épargnants
berlin - correspondant
H
aro sur Mario Draghi !
A quelques jours de
l’ouverture, vendredi
15 avril à Washington,
des traditionnelles rencontres du
Fonds monétaire international
(FMI) et de la Banque mondiale,
auxquelles participe le gotha de la
planète financière, le président de
la Banque centrale européenne
(BCE) est devenu le bouc émissaire préféré des conservateurs allemands, notamment de Wolfgang Schäuble. Le ministre des finances allemand et M. Draghi devaient d’ailleurs se rencontrer dès
jeudi dans la capitale américaine,
en marge de la réunion du FMI.
L’occasion sans doute d’évoquer
leurs différends.
M. Schäuble avait jusqu’à présent toujours mis la sacro-sainte
indépendance de la BCE en avant
pour refuser de commenter la politique monétaire. Mais cette époque semble révolue. Intervenant le
8 avril devant la Stiftung
Marktwirtschaft, une fondation
très conservatrice, le ministre allemand a accusé la banque centrale
d’être responsable du succès du
nouveau parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD),
crédité de plus de 12 % des intentions de vote.
« J’ai dit à Mario Draghi : tu peux
être fier. Tu peux attribuer à ta politique [de la BCE] la moitié des résultats d’un nouveau parti qui semble
couronné de succès en Allemagne »,
a-t-il raconté. Le 12 avril, il a enfoncé le clou dans une interview à
l’agence Reuters : « Il est incontestable que la politique de taux bas pose
en ce moment des problèmes extraordinaires aux banques et à l’ensemble du secteur financier en Allemagne. » Depuis plusieurs mois, le
ministre met aussi en garde contre
l’apparition de bulles spéculatives,
notamment dans l’immobilier,
que provoquerait cette politique.
Dans ce pays vieillissant qu’est
M. Schäuble
a accusé
la BCE d’être
responsable du
succès du parti
d’extrême droite
Les principales critiques des mesures non conventionnelles de la BCE
Baisse des taux d’intérêt
Critiques
PRINCIPAUX TAUX D’INTÉRÊT DE LA BCE, EN %
3,75
• Pénalise injustement
les épargnants
Taux directeur
Taux de dépôt
3,25
• Rogne les marges
des banques
2,5
l’Allemagne, la baisse des taux est
perçue comme une catastrophe
par les assurés et par les professionnels de la finance qui leur ont
fait miroiter des rendements élevés. A en croire la presse populaire,
à chaque baisse des taux, les Allemands s’appauvrissent. « La politique des taux d’intérêt nuls est une
attaque contre la fortune de millions d’Allemands qui ont placé leur
argent sur des comptes d’épargne
ou en assurance vie, a estimé
Markus Söder, le ministre des finances (CSU) de Bavière, dans un
entretien au Spiegel du 9 avril.
Nous devons avoir en Allemagne
un débat sur la mauvaise politique
de la BCE. Le gouvernement doit
exiger un changement de direction
de la politique monétaire. Si cela
continue comme ça, c’est un boulevard pour l’AfD. »
Un soutien inattendu
Le parti d’extrême droite allemand, qui avait mis ces derniers
mois entre parenthèses sa critique
de l’euro et concentrait ses attaques sur la politique d’Angela Merkel à l’égard des réfugiés, remet
d’ailleurs la monnaie unique en
avant. Dans un entretien à Die Zeit
du 14 avril, Alexander Gauland, un
de ses vice-présidents, dit : « Nous
ne voulons pas sortir de l’Union
européenne mais de l’euro, qui est
une absurdité économique. »
A chaque baisse des taux d’intérêt de la BCE, banquiers et assureurs allemands dénoncent le
mauvais coup porté aux épar-
La dette des pays riches explose
Le niveau moyen de la dette publique dans les économies avancées a atteint 105 % du PIB, selon le rapport semestriel du Fonds
monétaire international (FMI) sur la dette, publié mercredi
13 avril. « En moyenne, la dette publique dépasse maintenant le niveau atteint pendant la Grande Dépression (dans les années 1930)
et s’approche du niveau qui était le sien au lendemain de la seconde guerre mondiale », note le FMI. Elle devrait atteindre cette
année près de 250 % du PIB au Japon, 133 % en Italie, 107 % aux
Etats-Unis et un peu plus de 98 % en France. Frappés de plein
fouet par la chute des cours du brut, les pays exportateurs de pétrole voient également leur endettement monter en flèche. Le
solde budgétaire des pays du Maghreb et du Moyen-Orient devrait
se dégrader de 2 000 milliards de dollars (1 800 milliars d’euros)
dans les cinq prochaines années.
1,5
1,5
1
• Menace la santé
financière
des assureurs
0,75
0,25
0
LA BANQUE
CENTRALE
EUROPÉENNE
Ses deux
principaux
outils
0
– 0,4
Mars 2006
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
Mars 2015 :
programme
de rachat
massif d’actifs
Rachat de dettes publiques
BILAN CONSOLIDÉ DE L’EUROSYSTÈME,
AU 31 DÉCEMBRE 2015, EN MILLIARDS D’EUROS
2 962
1 903
Critiques
2 781
2 733
2 075
Mars 2016
2 273 2 208
2 002
• Menace la stabilité
financière
1 508
1 038
• Désincite
les gouvernements
à réduire dettes et déficits
1 150
• Risque de créer, à terme,
trop d’inflation
2005
06
07
08
09
10
11
12
13
14
2015
SOURCE : BCE
gnants, oubliant souvent de signaler qu’ils sont eux-mêmes directement concernés. « Les taux d’intérêt négatifs sont difficiles à supporter pour les banques », reconnaît
Hans-Walter Peters, nouveau président de l’association des banques allemandes. Les marges sur
les taux généreraient environ 70 %
des profits des banques allemandes, estiment les professionnels.
Les critiques contre Mario Draghi ont été ces derniers temps si virulentes que le président de la BCE
vient de recevoir le soutien inattendu de son meilleur ennemi :
Jens Weidmann, le président de la
Bundesbank. Bien que très critique face à l’autre volet de la politique de la BCE, à savoir le rachat de
la dette des Etats européens,
M. Weidmann a cherché, mardi
12 avril, à calmer les esprits.
Dans un entretien au Financial
Times, le banquier central de l’Allemagne a rappelé que la BCE était
« indépendante » et que « les gens
ne sont pas seulement des épargnants, ce sont aussi des salariés,
des contribuables et des débiteurs,
qui profitent par conséquent du bas
niveau des taux d’intérêt ». D’ores
et déjà, une entreprise, la chaîne de
magasins de meubles Who’s perfect, propose des financements
sur deux ans avec un taux de – 1 %.
« Financer maintenant avec un
crédit de 0 % et recevoir 1 % du prix
d’achat », explique la publicité.
Les critiques de M. Schäuble sont
parfois perçues comme paradoxales. « Au lieu de se plaindre,
M. Schäuble ferait mieux de remercier M.Draghi. L’équilibre des comptes publics de Schäuble est bien plus
facile à atteindre avec des taux d’intérêt nuls », note Carsten Brzeski,
chef économiste chez ING DiBa.
M. Draghi a aussi reçu le soutien
du Parti social-démocrate (SPD).
« Le débat non contradictoire en Allemagne sur la BCE nuit à la réputation de cette institution, qui est la
seule à avoir toujours su agir de façon cohérente durant la crise »,
note Carsten Schneider, vice-président du groupe social-démocrate
au Bundestag. Malgré ses bonnes
relations avec M. Schäuble, le ministre français des finances, Mi-
M. Dragui vient
de recevoir le
soutien inattendu
de son meilleur
ennemi :
M. Weidmann,
le président de
la Bundesbank
chel Sapin, ne s’est pas privé non
plus mercredi de tacler son homologue allemand. « Lors de la construction de la monnaie unique, les
Français ont appris qu’il fallait respecter absolument, intégralement,
totalement, l’indépendance de la
BCE. Je souhaite que nos amis allemands se souviennent de cette qualité qu’ils ont fait prévaloir dès le départ. Les Français ont pris une
bonne habitude, il ne faut pas que
les Allemands perdent leurs bonnes
habitudes », a estimé M. Sapin.
A la BCE, on affiche un certain détachement face à ces critiques.
Que les responsables politiques
débattent de l’action de la BCE est
jugé « naturel ». Surtout, certains
se souviennent : « En 2007, durant
la campagne électorale en France,
tant Nicolas Sarkozy que Ségolène
Royal nous critiquaient, soi-disant
parce que nous empêchions la
croissance. Maintenant, l’Allemagne nous reproche l’inverse. Mais
notre mandat est le même et nous
agissons dans le cadre de celui-ci »,
note-t-on à Francfort. A l’époque,
Berlin s’était fait le héraut de l’indépendance de la BCE et avait des
mots très durs contre la France.
Mais les critiques allemandes
ont peut-être déjà produit leur effet. Alors que le 10 mars, M. Draghi
avait jugé que l’« helicopter money », c’est-à-dire la distribution
d’argent par la BCE aux Européens,
était une idée « intéressante mais
nous ne l’avons pas encore réellement examinée », la banque a entre-temps fait savoir que le sujet
n’était pas à l’ordre du jour. Pour
les conservateurs, il s’agit sans
doute là d’une ligne rouge. p
frédéric lemaître
Banques, Etats, emprunteurs : les gagnants et perdants des taux bas
Depuis le 16 mars, la BCE a ramené son taux directeur à 0 % tandis que son taux de dépôt est tombé à – 0,4 %
ANALYSE
I
l y a quelques années encore,
nombre d’économistes assuraient que c’était impossible.
Et pourtant : les taux d’intérêt auxquels les Etats, entreprises et ménages empruntent dans les pays
industrialisés n’ont jamais été
aussi bas. Dans certains cas, ils
sont même négatifs. Aujourd’hui,
la France s’endette ainsi à − 0,4 %
environ entre trois mois et un an.
Au total, 42 % des dettes souveraines européennes, soit 2 860 milliards d’euros, s’échangent désormais à des taux inférieurs à zéro.
Du jamais-vu !
En zone euro, cela tient en partie
aux actions de la Banque centrale
européenne (BCE). Pour lutter
contre l’inflation basse et soutenir
la croissance, outre ses rachats
massifs de dettes publiques, l’institut monétaire a ramené son
taux directeur à 0 % le 16 mars,
tandis que son taux de dépôt est
tombé à − 0,4 %. Cela signifie que
la BCE taxe les liquidités que les
banques laissent dormir dans ses
coffres, afin de les inciter à prêter
plutôt ces sommes aux ménages
et entreprises.
Résultat ? Certains financiers,
comme François Pérol, le patron
du groupe BPCE, jugent que les
taux négatifs mettent les banques
en danger. D’autres, comme les
économistes du Fonds monétaire
international (FMI), estiment en
revanche qu’ils sont l’un des
outils indispensables pour relancer le crédit et l’activité… « En vérité, cela dépend de ce que l’on regarde : les taux bas ou négatifs font
des gagnants et des perdants »,
analyse Grégory Claeys, du think
tank Bruegel.
De fait, les emprunteurs en profitent largement, puisque le crédit
leur coûte moins cher. L’Etat français emprunte aujourd’hui à 0,5 %
sur dix ans, contre 3,7 % début
2011. Nos finances publiques s’en
trouvent soulagées : le montant
des intérêts de la dette a fondu de
1 milliard d’euros l’année dernière
par rapport à 2014, tombant à
42,1 milliards. Une économie
non négligeable, grâce à laquelle
les Etats les plus fragiles, tels
que le Portugal ou l’Italie, ont
aujourd’hui moins de mal à maîtriser leur dette et déficit.
De même, les ménages français
n’ont jamais emprunté à aussi bas
coût pour leurs achats immobiliers. En mars, le taux moyen d’emprunt, toutes durées confondues
et hors assurance, est ainsi tombé
à 1,97 %, selon l’Observatoire Cré-
Du jamais-vu :
42 % des dettes
souveraines
européennes
s’échangent
à des taux
inférieurs à zéro
dit Logement. Et que dire des
grands groupes, comme Nestlé ou
Sanofi, qui s’endettent à taux nuls !
De quoi restructurer leur dette à
moindre coût. Ou investir.
Revers de la médaille : les épargnants, eux, sont pénalisés. Et
pour cause : les taux rémunérant
les livrets d’épargne et autres
comptes d’assurance-vie baissent
eux aussi. « Voilà pourquoi les pays
vieillissants, où les épargnants sont
plus nombreux, se plaignent bien
plus des taux bas », résume JeanLouis Mourier, chez Aurel BGC. A
l’exemple de l’Allemagne.
Effets pervers
En outre, le taux de dépôt négatif
rogne les marges des banques,
puisqu’il taxe les liquidités qu’elles déposent à la BCE. Selon les calculs de Frédérik Ducrozet, économiste chez Pictet, il représente un
surcoût de 2 à 3 milliards d’euros
par an pour les établissements de
la zone euro. Les assureurs tirent
également la sonnette d’alarme :
l’essentiel de leurs placements
sont constitués de titres d’Etat,
qui ne rapportent plus grandchose. En particulier outre-Rhin :
avec des taux souverains à dix ans
à 0,15 %, les compagnies du secteur ont du mal à fournir les taux
garantis à 3 % des contrats vendus
avant la crise… « Pour conserver
leurs marges, nombre d’assureurs
vont aujourd’hui acheter des obligations d’entreprises, plus rentables, mais plus risquées », confie
un investisseur parisien.
Enfin, les taux négatifs ne sont
pas dénués d’effets pervers. S’ils
s’installent trop longtemps, les
banques pourraient en effet reporter ce coût sur leurs clients,
par exemple, en augmentant les
frais de tenue de compte. Les
épargnants, eux, pourraient réduire leur consommation afin de
continuer à gonfler, malgré tout,
leurs bas de laine, qui ne rapportent plus assez…
La BCE, tout comme le FMI, réfute néanmoins la plupart de
ses arguments. Sa politique ultraaccommodante, dont les taux bas
font partie, soutient le crédit,
la croissance et l’emploi : elle profite donc largement aux banques,
souligne-t-elle. « Sans son action,
la zone euro serait aujourd’hui en
déflation : l’ensemble des agents
économiques souffrirait terriblement, y compris les épargnants
et les assureurs », analyse Christophe Boucher, économiste à ParisX-Nanterre.
Surtout, ajoute-t-il, la BCE,
comme l’ensemble des grandes
banques centrales, n’a en vérité
pas tellement le choix. Les taux
bas ne résultent en effet pas de sa
seule décision. « Ils sont aussi le
fruit et l’illustration de l’anémie de
la croissance des pays industrialisés
et de l’excès d’épargne que l’on y observe », explique M. Boucher.
Preuve supplémentaire, s’il en fallait, que la faible reprise enregistrée après la crise de 2008 n’a rien
de classique… p
marie charrel
économie & entreprise | 5
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Déficit public : un sursis pour Madrid
ÉN ER GI E
L’américain Peabody
Energy en faillite
Bruxelles pourrait accorder un délai à l’Espagne pour rester dans les critères de Maastricht
bruxelles, madrid correspondantes
E
n 2015, c’est la France et
son déficit public qui
étaient dans le collimateur de Bruxelles. Cette
année, même si les experts de la
Commission européenne n’ont
pas baissé la garde, ce sont plutôt
les situations des finances publiques du Portugal et surtout de l’Espagne qui inquiètent. Madrid n’est
plus du tout dans les clous du
pacte de stabilité et de croissance
(déficit public de 3 % du produit intérieur brut maximum), alors
qu’en 2015, son déficit public a at-
LES DATES
21 AVRIL
Publication des données
macroéconomiques d’Eurostat
22 AVRIL
Conseil des ministres espagnols,
où devrait être présentée une
liste de mesures de correction
budgétaire
2 MAI
Date limite pour l’investiture
d’un chef de gouvernement en
Espagne. En cas d’échec, convocation de nouvelles élections
législatives le 26 juin
teint les 5 % du produit intérieur
brut (PIB), selon les statistiques espagnoles, loin de l’objectif de 4,2 %
qu’avait fixé Bruxelles.
La croissance, de 3,2 % en 2015,
n’a pas permis de faire les économies promises, le gouvernement
espagnol ayant choisi de mener
des baisses d’impôts, en pleine année électorale, tout en imposant
aux régions, responsables des dépenses publiques de santé et
d’éducation, des coupes budgétaires qu’elles ne sont pas parvenues
à appliquer efficacement.
La Commission, chargée de la
surveillance budgétaire des Etats
de la zone euro, devrait, courant
mai, prendre une décision délicate : sanctionnera-t-elle Madrid
pour non-respect du pacte de stabilité et de croissance au titre de
2015, ou lui accordera-t-elle un délai, comme elle l’a déjà fait à plusieurs reprises avec la France (qui a
obtenu deux ans de grâce,
en 2015) ?
L’option de la sanction est très
peu probable. Jusqu’à présent, la
Commission Juncker a préféré le
dialogue au rapport de force et estime que la méthode « dure » est
largement contre-productive :
elle risque de déstabiliser les gouvernements concernés et ne les
aide pas, politiquement, à décider
les réformes nécessaires pour revenir dans les « clous » du pacte
de stabilité.
La question sera donc de savoir si
Bruxelles donne un an à Madrid
pour se conformer aux règles
européennes, comme les médias
espagnols l’ont laissé entendre ces
Jusqu’à présent,
la Commission
Juncker a préféré
le dialogue au
rapport de force
derniers jours, ou davantage.
Deux ans ? L’idée circule à Bruxelles, selon une source espagnole,
mais elle ne serait pas majoritaire.
Une chose semble sûre : l’objectif
d’un déficit ramené à 2,8 % en 2016
est impossible à tenir pour Madrid. Il faudrait que le pays réalise
23 milliards d’euros d’économies
en un an, ce qui, même avec une
croissance de 2,8 % attendue, supposerait de nouvelles mesures
d’austérité dans une économie qui
en a déjà connu beaucoup durant
la crise, et qui pâtit encore d’un
taux de chômage de plus de 20 %
des actifs. En 2011, le déficit public
espagnol était de 9 % du PIB et la
réduction opérée depuis, même
incomplète, a été d’autant plus
dure qu’elle s’est faite dans un contexte de récession jusqu’en 2013.
Plutôt que de voir l’Espagne déraper de nouveau en 2016, Bruxelles
devrait donc répondre positivement à la demande du gouvernement conservateur de Mariano
Rajoy, qui a sollicité un délai d’un
an supplémentaire.
Quant à accorder deux ans, cela
permettrait de mettre toutes les
chances du côté de Madrid pour se
conformer au pacte. Le pays pourrait alors engager un programme
de réduction des déficits lissé dans
le temps, moins dur, et moins pénalisant pour la croissance. Mais
deux ans de délai, c’est politiquement plus difficile à assumer pour
un gouvernement.
Les discussions à Bruxelles entreront dans le vif du sujet après la
publication des données de
l’agence Eurostat concernant les
budgets publics 2015 des Etats, attendue le 21 avril. Le gouvernement espagnol, lui, comme les
gouvernements des 18 autres pays
de la zone euro devra avoir envoyé
d’ici début mai un « programme de
stabilité », une liste des mesures
qu’il veut prendre. Ce n’est
qu’après l’examen de ce programme de réformes et à la suite
des prévisions mises à jour sur son
déficit public que Bruxelles pourra
se prononcer sur le délai de grâce
pour l’Espagne, courant mai, donc.
Situation inédite
Avec une question à la clé tout de
même : quelles garanties Bruxelles pourrait obtenir de l’Espagne,
et quelles mesures de correction
structurelles sur les dépenses ou
les recettes publiques pourrait appliquer le gouvernement en fonction de M. Rajoy.
Madrid et Bruxelles se trouvent
dans une situation totalement
inédite, alors que l’Espagne n’a
toujours pas de gouvernement
définitif, celui de Mariano Rajoy
gérant seulement les affaires courantes depuis les élections législatives du 20 décembre. En quatre
mois, le Parlement espagnol, très
fragmenté avec l’irruption des
nouveaux partis (Podemos à gauche et Ciudadanos au centre),
n’est toujours pas parvenu à dégager une majorité. M. Rajoy a abandonné l’idée de se présenter à l’investiture faute de soutiens, hormis de son propre parti (Parti populaire), et les négociations entre
les socialistes et Podemos n’ont
pas abouti.
Or, si aucun gouvernement
n’est investi avant le 2 mai, de
nouvelles élections seront
convoquées le 26 juin, ce qui repousserait au mois de septembre, au plus tôt, la formation d’un
gouvernement susceptible de
mener des réformes de correction budgétaire.
Bien qu’en sursis, le gouvernement actuel va pourtant devoir, le
22 avril, dresser une liste de mesures engageant le pays pour les
mois et des années. Et ce, alors
même qu’il n’a pas la confiance
du Parlement et ne pourra donc
pas faire voter de nouvelles réformes. Surtout que les relations institutionnelles sont très tendues
entre la Chambre et l’exécutif depuis que les ministres en fonction
refusent de se soumettre au contrôle du Parlement et de répondre
aux demandes de comparution
des députés, arguant qu’ils n’ont
pas été désignés par celle-ci.
Ce paysage espagnol particulier
dessine un véritable casse-tête en
vue pour la Commission européenne, obligée de négocier sur
un sujet très délicat avec un partenaire sur la sellette. p
cécile ducourtieux
et sandrine morel
Vers une commission d’enquête
européenne « Panama papers »
Créée par le Parlement européen, cette commission, dotée
d’un budget et de personnel, aurait un mandat d’une durée d’un an
bruxelles - bureau européen
L
e Parlement européen
pourrait valider, jeudi
14 avril, la création d’une
commission d’enquête sur les
« Panama papers ». La décision devrait être prise lors de la réunion
hebdomadaire des présidents des
groupes politiques de l’hémicycle
strasbourgeois. Les Verts, très en
pointe sur les sujets liés à la lutte
contre l’évasion et la fraude fiscales, y sont favorables, ainsi que les
sociaux-démocrates, les libéraux
et l’extrême gauche. Les conservateurs du Parti populaire européen
(PPE), principale force politique du
Parlement, ne s’y opposeront pas,
selon nos informations.
« Difficile de dire non, politiquement, vu le scandale planétaire des
“Panama papers” », admet une
source au PPE. Si elle voit le jour, la
commission d’enquête, d’une durée d’un an (prolongeable de six
mois), se verrait attribuer des
moyens non négligeables (un budget, du personnel administratif).
Elle aurait, en outre, le pouvoir
d’exiger des auditions, des documents, d’organiser des visites sur
le terrain, etc.
Il s’agirait ainsi de la deuxième
commission d’enquête depuis que
l’hémicycle a été renouvelé, à la
mi-2014, après la commission
« Dieselgate », née au début de
cette année, à la suite des révélations sur la triche aux émissions
polluantes du constructeur automobile allemand Volkswagen.
La « commission Panama » prendrait par ailleurs le relais, même si
leur objet n’est pas vraiment le
même, des deux commissions
« spéciales » TAXE (dotées de pouvoirs moins étendus), TAXE 1 et
TAXE 2, lancées après les révélations LuxLeaks de novembre 2014,
concernant un système d’évasion
fiscale au profit des multinationales au Luxembourg.
TAXE 1 a abouti à un rapport, à la
fin de 2015, appelant la Commission européenne à davantage lutter contre l’évasion et la fraude fiscales. TAXE 2, dans son prolongement, tente de faire la lumière sur
la responsabilité des Etats européens, dont beaucoup (la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas,
l’Irlande) se sont fait une spécialité d’offrir des conditions fiscales
très avantageuses aux grandes
entreprises.
Dans les jours qui viennent, la
bataille au Parlement va surtout
porter sur le mandat de la future
commission d’enquête. Les élus
ne peuvent s’interroger que sur
les manquements à des lois de
l’Union, de la part des Etats
membres ou des institutions
européennes.
Le PPE et les Verts ont chacun
Le PPE et les
Verts ont chacun
déjà rédigé
une version
du mandat,
sensiblement
différente selon
la formation
L’américain Peabody Energy,
le premier producteur privé
de charbon mondial, s’est
placé, mercredi 13 avril, sous la
protection de la loi américaine
sur les faillites (Chapter 11) en
tenant à l’écart ses activités en
Australie. L’entreprise de
7 100 salariés, supporte une
dette de 6,5 milliards de dollars (5,8 milliards d’euros).
– (AFP.)
COMMER C E
Vente-privee.com
poursuit son expansion
Le numéro un français de
vente événementielle en ligne, Vente-privee.com, poursuit son expansion en Europe
en rachetant l’espagnol Privalia, qui opère aussi sur les
marchés italien, brésilien et
mexicain. Il prend également
une participation majoritaire
dans le suisse Eboutic.ch, a annoncé le groupe, jeudi 14 avril.
CON J ON CT U R E
Les prix plus élevés
à Paris et dans les DOM
En 2015, le niveau général des
prix à la consommation en région parisienne dépassait de
8,8 % ceux de la province, selon une étude de l’Insee publiée jeudi 14 avril. Les dépenses relatives aux loyers
expliquent un tiers de l’écart,
les loyers étant supérieurs de
48,9 % à Paris. Les départements d’outre-mer ont des
prix supérieurs à la métropole
de 12 % en Martinique, Guadeloupe et Guyane et de 7 % à la
Réunion et Mayotte. Un différentiel dû notamment à la
forte dépendance à la métropole en termes de production
de biens et de services.
16 et 17 avril 2016
Palais des congrès et
de la culture du Mans
Entrée libre et gratuite
OÙ EST LE POUVOIR ?
déjà rédigé une version du mandat
– sensiblement différente selon la
formation dont elle émane. Les
deux groupes insistent sur la nécessité de vérifier si les Etats membres ont bien fait respecter la directive antiblanchiment de 2005.
Mais les Verts veulent, en outre,
s’assurer que les administrations
européennes ont suffisamment
coopéré entre elles pour, éventuellement, se prévenir mutuellement en cas de blanchiment ou
d’évasion avérée (dans le respect
d’une directive de 2011 sur la coopération administrative dans le
domaine fiscal).
Pression sur les Etats
Quant à la Commission européenne, très réticente lors des débuts de TAXE, elle serait désormais plutôt en faveur de la « commission Panama ». Cela maintient une pression certaine sur les
Etats membres, alors qu’elle déploie, depuis dix-huit mois, un
agenda ambitieux pour lutter
contre les abus fiscaux.
Mardi 12 avril, en réaction aux
« Panama papers », elle est ainsi allée plus loin qu’un projet initial demandant la transparence, pays
européen par pays européen, sur
les profits et les impôts des entreprises, en y incluant les paradis fiscaux. Alain Lamassoure, chef de
file du parti Les Républicains à
Strasbourg et président des deux
commissions TAXE, se « réjouit des
révélations Panama qui vont aider
à la lutte contre la fraude » et approuve la commission d’enquête.
Mais il préférerait une commission permanente du Parlement,
« parce que ces sujets de transparence et les révélations vont nous
occuper pendant des années ». p
c. du.
Samedi 16 avril
Dimanche 17 avril
Le pouvoir, un lieu vide ?
09h30 : Raphaëlle Bacqué, journaliste au Monde
10h00 : Jean-Claude Monod, philosophe
10h30 : Michaël Foessel, philosophe
11h15 : Echange avec le public
Pouvoirs ictifs, puissance de la iction
14h30 : Mathieu Potte-Bonneville, philosophe
15h00 : Yann Moix, écrivain
15h30 : Alice Zeniter, écrivaine
16h00 : Emilie de Turckheim, écrivaine
16h45 : Echange avec le public
Rencontre
Soirée avec le dessinateur Jul, rencontre animée
par Frédéric Potet, journaliste au Monde
Rien à cacher ? Un soupçon de pouvoir
10h00 : Myriam Revault d’Allonnes, philosophe
10h30 : Monique Canto-Sperber, philosophe
11h00 : Jean-François Kahn, journaliste et écrivain
11h30 : Delphine Dulong, politologue
12h15 : Echange avec le public
Séance conclusive : Exercice et limites du pouvoir
15h00 : Grand entretien avec Christiane Taubira
16h15 : Echange avec le public
Forum coordonné et animé par Jean Birnbaum, responsable du Monde des livres
Tél : 02 43 47 38 60 - [email protected] - http://forumlemondelemans.univ-lemans.fr
Conception : Agnès Stienne - Illustration : Sergueï
6 | économie & entreprise
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Le régulateur tance les banques américaines
Cinq des huit banques testées ne pourraient pas se passer d’une intervention de l’Etat en cas de faillite
new york - correspondant
L
a situation se complique
pour les banques américaines. Alors qu’elles peinent à maintenir leur niveau de rentabilité, les régulateurs financiers leur demandent
de faire de nouveaux efforts pour
éviter une intervention publique
en cas de faillite. La banque centrale (Fed) et l’instance fédérale
chargée de garantir les dépôts
bancaires, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), ont en
effet exigé, mercredi 13 avril, que
cinq établissements – JPMorgan
Chase, Wells Fargo, Bank of America, Bank of New York Mellon et
State Street – révisent leur copie
pour se mettre en conformité
avec la loi Dodd Frank d’ici au
1er octobre.
Cette nouvelle injonction relance le débat sur le principe du
« too big to fail » (« trop grand
pour faire faillite »), qui avait
poussé l’Etat à renflouer les banques en difficulté au moment de
la crise de 2008 de peur que l’ensemble du système financier ne
s’effondre. Les pouvoirs publics
américains ont depuis décidé
d’imposer aux établissements
des règles de telle sorte qu’ils
puissent affronter une faillite
sans faire appel au contribuable.
La loi Dodd Frank de 2010 impose
ainsi un certain nombre de filets
de sécurité pour les établissements dits « systémiques », c’est-àdire susceptibles de faire peser un
risque sur l’ensemble du système
financier en cas de problèmes.
« Nous allons
faire tout ce qui
est possible
pour régler
le problème »
Le siège de JPMorgan
à New York.
ERIC THAYER/REUTERS
JAMIE DIMON
PDG de JPMorgan Chase
« C’est une surprise qu’il y ait
autant de recalés dans la mesure
où il s’agit du troisième examen de
passage », note Aurelien Borde,
consultant chez Sia Partners à
New York. Toutes les banques
avaient en effet échoué en 2012,
puis en 2014 (à l’exception de
Wells Fargo). Appelées à de nouveaux efforts, elles ont donc soumis une nouvelle mouture au
cours de l’été 2015.
Cette fois, sur les huit grandes
banques testées, une seule, Citigroup, a passé le test sans accroc.
Une prime à la simplification des
structures de cette dernière qui a
réduit de 26 % sa taille depuis la
crise. Goldman Sachs et Morgan
Stanley ont le bénéfice du doute :
l’un des deux régulateurs – la Fed
pour la première, la FDIC pour la
seconde – ayant donné son feu
vert. En revanche, les autres sont
sous la menace de sanctions si elles ne modifient pas d’ici
l’automne leurs plans dans le scénario d’une faillite.
« L’incapacité à corriger ces manquements pourrait soumettre ces
firmes à des exigences plus strictes
en termes de capital, de levier et de
liquidités », avertissent la Fed et la
FDIC. Si après deux ans les régulateurs estiment que les plans ne
sont pas en ligne avec leurs exigences, ils peuvent imposer aux
banques de vendre des actifs, voir
des pans entiers d’activité dans le
but de simplifier leur structure. La
menace n’est pas à prendre à la lé-
gère car les régulateurs ne vont
pas accorder des délais ad vitam
æternam. Question de crédibilité.
« Nous allons faire tout ce qui est
possible pour régler le problème »,
a obtempéré Jamie Dimon, le PDG
de JPMorgan Chase, lors d’une
conférence téléphonique à l’occasion de la présentation des résultats du premier trimestre. La première banque américaine en termes d’actifs doit améliorer quatre
points : le pilotage de ses besoins
de liquidité, sa gouvernance, son
portefeuille de trading et sa structure juridique.
De son côté, Bank of America
doit progresser sur la gestion de
ses besoins de liquidité et ses modèles de simulation de faillite,
tandis que les niveaux de fonds
propres de State Street posent
question aux régulateurs. La surprise est venue de Wells Fargo, qui
avait pourtant réussi le dernier
test, mais visiblement le groupe
californien n’a pas suffisamment
suivi la feuille de route qu’il s’était
fixée en 2014. « C’est clairement
une mauvaise nouvelle au moment où la pression semblait s’être
relâchée dans la mesure où le gros
des amendes est maintenant derrière nous », souligne M. Borde. A
la clé, « des coûts significatifs à
court terme pour la mise en forme
des plans de résolution, mais aussi
à plus long terme car cela va nécessiter des changements d’organisation. C’est une transformation de
fond pour les banques qui demande du temps, ce qui donne
l’impression qu’on n’en voit pas le
bout », ajoute-t-il.
Conjoncture difficile
Le moment est d’autant plus délicat que la conjoncture est difficile.
Même si elles restent encore très
rentables, les banques américaines ne parviennent à limiter la
baisse de leurs résultats qu’au
prix de réductions de coûts drastiques. JPMorgan Chase, qui était la
première à publier ses résultats, a
donné le ton mercredi en annonçant une baisse de 6,7 % de son bénéfice, à 5,52 milliards de dollars
(4,9 milliards d’euros), et de 3 % de
son chiffre d’affaires, à 24,08 milliards de dollars.
Même si les analystes s’attendaient à pire, ces chiffres montrent que les banques américaines
ont du mal à affronter les vents
contraires : l’exposition au secteur
pétrolier, qui est plombé par la
chute du prix du baril, les turbulences sur les Bourses, qui pèsent
sur les revenus dans le courtage, et
enfin la faiblesse des taux d’intérêt qui laminent les marges dans
les activités de prêts. Le tout alors
que, sous la pression des régulateurs, elles ont dû replier la voilure
dans les activités spéculatives, qui
étaient les plus rentables. p
stéphane lauer
Les Blancs-Manteaux,
monument d’humour en péril
P
eu d’anciennes pizzerias peuvent prétendre au statut de monument historique. Le café-théâtre des Blancs-Manteaux, à Paris, en fait partie. Il y a une quarantaine d’années, alors que le lieu était encore
une pizzeria, c’est dans cette cave qu’une génération d’artistes a fait ses premières armes.
Renaud y chantait souvent, et servait parfois
les pizzas. Jacques Higelin
et Bernard Lavilliers y réunissaient 80 spectateurs
EN CESSATION
les bons soirs. Jacques VilDE PAIEMENT,
leret, Font et Val, Marianne
Sergent et bien d’autres
LE THÉÂTRE
ont participé à l’aventure.
Sans oublier Les 3 Jeanne,
A ÉTÉ PLACÉ
dont le spectacle féministe
EN REDRESSEest resté des années à l’affiche. La mode du café-théâMENT JUDICIAIRE tre explosait.
Aujourd’hui, le monument historique est en péril. Les spectacles
se succèdent toujours dans les deux petites
salles. Quatre chaque jour, six le samedi.
Mais l’ex-Pizza du Marais n’a plus d’argent
dans ses caisses. En cessation de paiement, le
théâtre a été placé en redressement judiciaire le 25 janvier.
« Je suis amoureux de ce théâtre, et je me battrai pour qu’il survive », promet Frédéric Cagnache, son directeur et unique actionnaire. Il
compte présenter aux juges un plan pour relancer lui-même l’affaire, qui vivote depuis
des années. Une histoire symptomatique de
la fragilité des petits lieux culturels en période de crise.
Quand M. Cagnache a racheté les BlancsManteaux en 2008, la situation était déjà ten-
due. Pour redresser le cap, l’ancien producteur de spectacles a légèrement repositionné
le café-théâtre : au lieu d’être un découvreur
de débutants, il présente aussi des artistes
déjà un peu connus. « Nous pouvons nous le
permettre, car nous avons une enseigne forte. »
Il a également diversifié la programmation.
En plus des one-man-show, les Blancs-Manteaux veulent offrir de l’humour sous toutes
ses formes : des duos, des musiciens ou encore des comédies comme Les parents viennent de mars, les enfants du McDo !, un succès
depuis trois ans. L’après-midi, l’endroit accueille même des cours de sophrologie.
« Charme parfaitement non fonctionnel »
Ces efforts n’ont pas suffi. La crise économique est passée par là. Une hausse du loyer et la
concurrence de lieux plus modernes aussi,
comme le Point-virgule, qui dispose depuis
2012 de deux grandes salles supplémentaires
à Montparnasse. A cela se sont ajoutés les attentats terroristes. « Je n’ai jamais connu un
mois de décembre aussi mauvais », commente
M. Cagnache.
Il faudrait lancer des travaux pour l’accès des
handicapés et rénover les salles au « charme
parfaitement non fonctionnel », selon la formule du directeur. Dans les loges, le marbre sur
lequel étaient préparées les pizzas fait office de
bureau ! Mais, pour l’heure, les recettes ne permettent même pas au directeur de se payer.
« Toujours vivant, rassurez-vous/Toujours la
banane, toujours debout », chante Renaud dans
son nouvel album. L’équipe des Blancs-Manteaux aimerait pouvoir célébrer la renaissance
du café-théâtre avec autant de vigueur. p
denis cosnard
idées | 7
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
#MUTATIONS | CHRONIQUE
par vince nt gir e t
L’argent, la promesse et la sagesse
L
e grand déballage des « Panama
papers » a mis à nu la double
réalité vertigineuse de ce début
de siècle : les riches d’antan ont prospéré, ils sont devenus ultra-riches, plusieurs zéros se sont ajoutés à leurs revenus et patrimoines, désormais sans
limites ; dans le même temps et au
même rythme, leur propension à
s’échapper de la société s’est décuplée :
ces paradis fiscaux, ces montages offshore, ces imbrications sophistiquées
de sociétés-écrans racontent d’abord
l’histoire d’un puissant mouvement
de sécession, la sécession des ultra-riches, déjà brillamment exploré par
Thierry Pech (Le Temps des riches,
Seuil, 2011). Installés en apesanteur audessus des pays qui les ont faits rois,
ils se meuvent avec une aisance de caméléon dans les dédales climatisés de
la mondialisation.
Nul doute, c’est la grave crise financière de 2008 qui, peu à peu, a permis
de lever une partie du voile. Ces révélations ont mis au jour une autre réalité : la sociologie des plus fortunés
s’est transformée. Aux figures classiques des capitaines d’industrie et des
dictateurs se sont ajoutés des sportifs,
des avocats, des traders, des artistes,
des médecins, autant de nouveaux
profils… Dans le millier de noms français figurant dans les documents du
cabinet panaméen Mossack Fonseca
figuraient ainsi des grands-parents
soucieux de doter en toute discrétion
leurs héritiers, ou l’une des parties de
couples en instance de divorce…
L’argent, ou plutôt notre rapport à
l’argent, dit tout de nous et de notre
intimité, analyse Pascal Bruckner dans
un essai stimulant qui tombe à pic.
L’auteur retourne le projecteur pour
éclairer nos représentations collectives. L’arme de la morale, si souvent réversible, n’y suffit pas pour y voir clair.
« L’argent est une promesse qui cherche
une sagesse », dit joliment le philosophe : il est sage d’avoir de l’argent
comme il est sage de s’interroger sur
lui. L’argent et la monnaie sont
d’abord l’émanation d’une culture. On
croyait les Français sinon réconciliés,
du moins apaisés dans leur relation à
l’argent. Il n’en est rien, selon Bruckner. Le tabou reste intact. « Une sorte
de catholicisme fantôme continue
d’imprégner le rapport des Français
avec l’argent, ils le vénèrent comme les
autres peuples, mais sur le mode du
déni. » L’argent est le principal concurrent de Dieu sur terre, il faut choisir
entre Dieu et Mammon. Le christianisme s’est présenté d’emblée comme
une condamnation du gain, du veau
d’or comme de l’usure.
FASCINATION COUPABLE
De Rousseau à Bernanos, nombre de
grands écrivains français ont enraciné cette méfiance, voire cette
« haine envieuse » du vil métal dans
la culture nationale. L’idéal égalitaire
républicain n’a pas changé la donne,
en considérant chaque privilège ou
inégalité comme une survivance de
l’Ancien Régime. Sous la Ve République, presque chaque chef d’Etat a
ajouté sa pierre au grand tabou :
« Mon seul adversaire, celui de la
France, n’a en aucune façon cessé
d’être l’argent », dira le général de
Gaulle en 1969. Les mêmes mots ou
presque seront repris par François
Hollande, stigmatisant la finance,
après avoir, quelques années auparavant, affirmé tout de go : « Oui, je
n’aime pas les riches. » « Hollande a
peut-être menti, écrit Bruckner, mais
en parlant à la France comme elle
voulait l’entendre, il a montré une parfaite connaissance de l’âme hexagonale. » A l’inverse, Nicolas Sarkozy a
payé très cher son goût ostentatoire
et sans gêne du bling-bling : de ce
jour-là, le président a perdu le contact
avec les Français.
Dès lors, le secret est toujours de
mise. Et il ne faut pas s’étonner de cet
incroyable aveu de Françoise Bettencourt Meyers au procès sur l’éventuelle spoliation de sa mère, à la tête
de la plus riche fortune de France :
« En famille, nous ne parlions pas d’argent. Jamais. »
Mais cette diabolisation de l’argent
va l’amble avec « une passion honteuse », si ce n’est avec une fascination
coupable. « L’allergie française cache
mal un magnétisme pour l’idole financière que révèlent les multiples affaires
de corruption », relève l’auteur. La
France demeure d’ailleurs en queue
de peloton des grands pays industrialisés dans les classements internationaux sur la probité des affaires.
Entre culpabilité et fascination, les
Français développent donc une propension à la schizophrénie qui handi-
cape aujourd’hui l’économie : méfiants à l’égard de l’argent comme à
l’égard du marché, de la libre entreprise, les Français voudraient bénéficier de tous les avantages d’une économie capitaliste développée sans
compromission avec le « libéralisme »
honni. « Lénine pour la doctrine, Adam
Smith pour les fruits », s’amuse Bruckner, ou « le capitalisme, avec sa création de richesse, mais sans le capital »…
Quelle attitude adopter avec l’argent ? « Ne nourrissons pas l’espoir
d’une réconciliation, acceptons le déchirement d’un combat sans issue,
philosophe prudemment l’auteur. La
sagesse consiste à désacraliser l’argent, à ne pas l’aimer ou le détester
plus que de raison. » Cet adage brucknérien s’adresse d’abord aux ultrariches, pris la main dans le sac des
« Panama papers ». Mais aussi à chacun de nous. p
[email protected]
¶
La Sagesse de l’argent, Pascal
Bruckner, Grasset, 320 pages, 20 euros
Les critiques allemandes contre la BCE sont contre-productives
Sept économistes allemands
rejettent les accusations portées
dans leur pays contre la politique
de la Banque centrale européenne.
Ils appellent Berlin à une attitude
moins restrictive sur les règles
budgétaires et l’investissement
collectif
L
a zone euro reste empêtrée dans une crise
profonde, surtout macroéconomique, à
laquelle elle ne pourra se soustraire qu’au
moyen d’actions plus décisives. Une réponse a
été le récent assouplissement de la politique
monétaire par la Banque centrale européenne
(BCE). Mais elle a été fortement critiquée en Allemagne, où l’inaction au niveau de la politique
monétaire semble être l’option préférée.
Pourtant, nombre des détracteurs de la BCE
ont laissé des questions importantes sans réponse. Que se passerait-il si la BCE n’était pas en
mesure de réagir face à une inflation excessivement basse et à une économie en difficulté ? Et
quelle politique économique serait adaptée aux
circonstances actuelles, sinon la politique monétaire ? On ne peut se contenter de critiquer et
de dire non. L’Allemagne a un rôle important à
jouer dans la formulation de réponses constructives à la crise européenne, telles qu’un débat
macroéconomique ouvert et constructif, abordant l’union monétaire dans son ensemble.
La crise de la zone euro compte quatre facettes
différentes : une crise de la croissance combinée
à un taux de chômage élevé et à une inflation
basse, ce qui indique un problème en matière
d’offre et de demande ; une crise de la dette qui
concerne non seulement les gouvernements,
mais aussi les entreprises et les ménages dans
certaines parties de l’Europe ; une crise bancaire
avec des prêts non rémunérateurs de plusieurs
centaines de milliards, une surcapacité et une
capitalisation en partie insuffisante ; enfin, une
crise de la confiance des individus et des entreprises dans la politique et l’avenir.
Ces quatre crises, étroitement liées et dont
chacune amplifie les effets des autres, ne se résoudront pas toutes seules. La BCE est une des
rares institutions qui peuvent contribuer à la solution. Elle agit conformément au mandat
LES MESURES DE LA BCE
SONT ADAPTÉES
ET NÉCESSAIRES,
MAIS INSUFFISANTES
POUR TIRER L’ÉCONOMIE
EUROPÉENNE
HORS DE LA CRISE
qu’elle a reçu pour maintenir la stabilité des
prix, définie par une inflation à moyen terme
au-dessous mais proche de 2 %, sans y parvenir
ni aujourd’hui ni dans l’avenir proche. Les prévisions d’inflation restent, en effet, largement en
deçà de la cible. Or, la stabilité des prix est importante pour que l’économie fonctionne à
plein régime et pour que les entreprises et les
partenaires sociaux puissent effectuer une planification avec certitude. Si la BCE ne faisait pas
usage de tous les instruments à sa disposition,
elle abandonnerait purement et simplement
son mandat et risquerait sa propre crédibilité.
Toutefois, la politique monétaire n’est pas
sans effets secondaires. Elle a toujours des conséquences en matière de distribution. En outre,
certains risques menacent la stabilité financière : la faiblesse des taux d’intérêt met la pression sur les résultats nets des banques, les incitant à prendre des risques plus élevés. Elle peut
aussi mener à des bulles dans les prix des actifs.
Tous ces points sont vrais, mais ils soulèvent la
question de ce qui se passerait si la BCE ne faisait
rien, ce que certains détracteurs allemands préféreraient. La Sveriges Riksbank (Banque de
Suède), par exemple, a longtemps argumenté
contre la baisse des taux au cours des dernières
années, par souci d’assurer une stabilité financière. Résultat, l’inflation a continué de baisser,
et la Riksbank a ensuite été obligée de baisser ses
taux d’autant plus drastiquement. Ils sont
maintenant au-dessous de ceux de la BCE.
UN EFFET SUR LES EXPORTATIONS
Certains indicateurs tendent à montrer que les
taux d’intérêt bas et les programmes d’acquisition de la BCE ont eu un effet sur les derniers dixhuit mois, notamment en renforçant légèrement l’octroi de crédits dans le sud de l’Europe et
en permettant la dévaluation de l’euro, ce qui
encourage les exportations (particulièrement
de l’Allemagne). Par ailleurs, une inaction de la
BCE aurait probablement entraîné des taux d’inflation et de croissance encore plus bas, ainsi
qu’un taux de chômage encore plus élevé. Une
action rapide et décisive est cruciale pour le succès de la politique monétaire.
Nous croyons que les mesures de la BCE sont
adaptées et nécessaires, mais non suffisantes
pour tirer l’économie européenne hors de la
crise ; tous les acteurs, dont la BCE, ont répondu
de façon trop hésitante pour que cela soit possible. En plus d’une politique monétaire proactive, une action politique décisive est nécessaire pour s’attaquer aux trois autres facettes de
la quadruple crise évoquée plus haut.
Le premier domaine est la politique budgétaire. Elle est désormais cycliquement neutre en
Europe, après des années de réductions anticycliques, souvent menées au mauvais endroit
(aux dépens des investissements par exemple).
L’Europe a besoin en urgence d’une refonte en
trois étapes de la politique budgétaire. D’abord,
l’investissement doit être renforcé, et la consommation des gouvernements doit reposer
sur un socle durable. Des pays comme l’Allemagne investissent bien trop peu dans les infrastructures et l’éducation. Ils épargnent
aujourd’hui aux dépens de l’avenir, en négligeant, par exemple, les dépenses de mainte-
L’ALLEMAGNE INVESTIT
BIEN TROP PEU DANS
LES INFRASTRUCTURES
ET L’ÉDUCATION. ELLE
ÉPARGNE AUJOURD’HUI
AUX DÉPENS DE L’AVENIR
nance. En parallèle, ils sont également nombreux, dont l’Allemagne, à devoir réformer leur
système de sécurité sociale. Cela devrait inclure
des mesures à long terme, afin de ne pas exacerber la faiblesse actuelle de la demande.
De surcroît, la marge de manœuvre du Pacte
budgétaire devrait être utilisée à son plein potentiel. La situation économique en Europe est
trop critique pour que la consolidation budgétaire et la réduction de la dette soient la priorité.
Cela vaut d’autant plus pour les pays puissants,
telle l’Allemagne, qui ne devraient pas donner la
priorité à un déficit zéro, compte tenu de la crise
des réfugiés et des nombreuses années d’investissement public net négatif. Ni le plafond de la
dette allemande ni l’analyse économique n’exigent du pays qu’il ait un déficit zéro.
La zone euro a aussi besoin d’une politique
budgétaire crédible et durable dans tous les
pays, afin de rendre la dette publique soutenable
à long terme. La consolidation et le respect des
règles sur la dette sont toutefois difficiles à imposer de l’extérieur. Les règles budgétaires doivent être élaborées et acceptées au moyen d’un
large dialogue européen. Celui-ci doit inclure
l’impact général de la politique budgétaire de
tous les pays sur la zone euro lorsque la politique monétaire atteint ses limites, les conditions
d’une consolidation budgétaire socialement acceptable, le maintien de l’investissement public
pendant les phases de consolidation.
Le deuxième domaine concerne les réformes
structurelles. Il est vital pour l’Europe d’identifier et de rapidement mettre en œuvre de telles
réformes, qui aideront à stimuler la demande et
la productivité. En plus des problèmes spécifiques aux différents pays, actuellement urgents
pour l’Italie et la France, l’Europe devrait se focaliser sur l’ouverture des marchés et le développement du marché interne des services. En particulier pour les services privés, la croissance de
la productivité européenne est largement audessous du niveau mondial, en raison de la taille
insuffisante des marchés et de la protection des
barrières non tarifaires. En revanche, un grand
marché européen encouragerait plus d’investissements, notamment dans les technologies innovantes. Cependant, un agenda focalisé sur la
productivité du marché des services européens
nécessite que l’Allemagne, qui agit comme l’un
de ses principaux freins, mène le mouvement.
Le troisième domaine est le secteur bancaire.
La zone euro connaîtra une restructuration considérable de ce secteur dans les années à venir.
L’établissement d’une union bancaire a constitué un pas vers l’assainissement de ce secteur en
Europe, mais l’objectif est encore loin d’être atteint. Une solution plus rapide à l’accumulation
des prêts non rémunérateurs éliminerait l’insécurité, offrirait de nouvelles perspectives aux
foyers et sociétés endettés, et mettrait à disposition un capital bancaire pour de nouveaux prêts
à des entreprises productives.
Les détracteurs allemands de la BCE commettent deux grandes erreurs. D’abord, ils négligent
le fait que, malgré tous les effets secondaires de
la politique monétaire de la BCE, les conséquences de l’inaction seraient encore pires. Deuxièmement, ils n’offrent aucune alternative constructive à la politique monétaire et leurs critiques risquent de nuire à la crédibilité de la BCE. Il
est peu probable que la BCE arrive à remplir son
mandat de stabilité des prix uniquement grâce
à des mesures de politique monétaire, mais des
réformes structurelles ne résoudront pas non
plus la crise européenne à elles seules.
AUX DÉCIDEURS POLITIQUES DE FAIRE PLUS
Le secteur bancaire, encore dysfonctionnel dans
la zone euro, empêche le financement d’investissements significatifs et productifs. La politique budgétaire est encore trop peu focalisée sur
l’investissement et la croissance, et elle est trop
restrictive en ce qui concerne la marge de
manœuvre budgétaire des Etats.
Les critiques de la BCE en Allemagne sont contre-productives. La politique monétaire doit rester expansive pour pouvoir au moins commencer à remplir le mandat de la BCE. La préservation de sa crédibilité le demande aussi. Ce n’est
pas à la BCE de faire moins, mais aux décideurs
politiques européens de faire plus. Les décideurs
politiques, y compris en Allemagne, ne peuvent
plus nier leur responsabilité concernant la situation économique actuelle dans de grandes
parties de l’Europe. Cela requiert une politique
budgétaire encourageante pour la croissance,
des réformes structurelles pour ouvrir de nouveaux marchés, ainsi que la restructuration du
secteur financier. En Allemagne, nous devons
surtout nous regarder dans le miroir, car nous
avons besoin de la majorité de ces réformes
aussi urgemment que nos voisins européens. p
La version intégrale de ce texte a été publiée
en allemand le 10 avril par le quotidien
« Frankfurter Allgemeine Zeitung »
¶
Marcel Fratzscher est président du Deutsches
Institut für Wirtschaftsforschnug (DIW) à Berlin
et professeur à l’université Humboldt de Berlin.
Reint E. Gropp est président du Halle Institute
for Economic Research et professeur à l’université
Otto-von-Guericke à Magdebourg.
Hans-Helmut Kotz est professeur invité
à l’université Harvard et directeur
du centre de recherche Sustainable Architecture
for Finance in Europe (SAFE).
Jan Krahnen est professeur à l’université Goethe
à Francfort et directeur du SAFE.
Christian Odendahl est chef économiste du Centre
for European Reform.
Beatrice Weder di Mauro est professeure
à l’université Johannes-Gutenberg à Mayence.
Guntram Wolff est directeur du think tank Bruegel.
8 | MÉDIAS&PIXELS
0123
VENDREDI 15 AVRIL 2016
Données personnelles : encore des efforts à faire
Les CNIL européennes ont donné un avis assez favorable au « bouclier de protection » américano-européen
L
e G29, groupe rassemblant les autorités de protection des données personnelles des pays membres de l’Union européenne, voit
dans l’accord américano-européen dit « bouclier de protection » ou « Privacy shield » un
« progrès majeur » pour la protection des données personnelles
des citoyens européens transférées aux Etats-Unis.
Cet accord politique, rendu public en février après deux ans de
négociations, doit remplacer le
« Safe harbor », un autre accord
invalidé à l’automne par la
Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Plus de 4 000 entreprises s’appuyaient sur ce
texte pour transférer des données personnelles depuis l’Europe vers les Etats-Unis.
Le Privacy shield constitue un
« un grand pas en avant » par
rapport au Safe harbor, a expliqué Isabelle Falque-Pierrotin,
présidente du G29, mercredi
13 avril, lors d’une conférence de
presse à Bruxelles. Sur le volet
commercial de l’accord, « des efforts ont été faits pour mieux définir les droits et encadrer le
transfert des données personnelles », s’est félicitée celle qui est
aussi la présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).
Le G29 a cependant relevé plusieurs « sujets d’inquiétude » dans
cet accord politique et réclame
des « clarifications sur plusieurs
points, où il y a encore du travail à
faire » de la part de la Commis-
La Cour de justice
de l’UE doit
encore clarifier
le cadre légal
de la collecte de
données aux fins
de lutte contre
le terrorisme
sion européenne et du département américain du commerce,
qui ont négocié l’accord.
Mme Falque-Pierrotin a d’abord
déploré la « complexité » du texte.
« Il est difficile de comprendre tous
les documents et les annexes. Il n’y
a pas un seul document, mais plusieurs, ainsi que des annexes et des
courriers. Certains se contredisent », a-t-elle expliqué.
Sur le fond, elle a aussi regretté
que « certains principes fondamentaux de la protection des données personnelles » prévus dans la
loi européenne ne soient pas pris
en compte par le Privacy shield.
Elle a notamment évoqué le
nombre « très important » de recours offerts aux citoyens européens pour contrôler l’utilisation
de leurs données aux Etats-Unis.
« Nous considérons que ce système
est trop complexe, qu’il est difficile
pour l’individu de trouver le bon
interlocuteur », a précisé Mme Falque-Pierrotin, appelant à ce que
les autorités de protection des
données personnelles deviennent « le point de contact naturel »
auprès duquel les citoyens pourront faire valoir leurs droits.
Mme Falque-Pierrotin a aussi
alerté sur le fait que le Privacy
shield prend en compte la directive sur les données personnelles
de 1995. Or, cette dernière va être
remplacée par un règlement,
plus strict, dont l’adoption est
imminente et qui sera appliqué
d’ici deux ans. Le G29 réclame
donc « que soit intégrée au Privacy shield une clause de révision
pour prendre en compte le nouveau cadre légal ».
Avis moins radical que prévu
Les autorités de protection des
données européennes se sont également penchées sur le volet « sécurité nationale » du Privacy
shield, à savoir la manière dont le
texte tente d’encadrer l’accès par
les agences de renseignement
américaines aux données des
Européens. Un point fondamental : c’est notamment en évoquant
la grande latitude dont disposent
ces agences pour puiser dans les
données européennes hébergées
aux Etats-Unis que la CJUE avait
invalidé le Safe harbor.
Tout en se félicitant que le sujet
de la surveillance soit désormais
« sur la table », le G29 déplore que
la « collecte de données, qui est
inacceptable lorsqu’elle est massive
et indiscriminée » reste possible
dans le cadre du Privacy shield.
Mme Falque-Pierrotin a renvoyé
vers une décision que doit rendre
d’ici à la fin de l’année la Cour de
justice de l’Union européenne et
qui clarifiera le cadre légal de la
collecte de données aux fins de
lutte contre le terrorisme.
Le G29 estime aussi ne pas avoir
obtenu suffisamment de garanties sur le statut, les pouvoirs et
l’indépendance de l’« ombudsman », entité vers laquelle pourront se tourner les citoyens européens pour contrôler l’utilisation
faite par les autorités américaines de leurs données. L’avis des
CNIL européennes se révèle bien
L’accord constitue
« un grand
pas en avant »,
a expliqué
Isabelle
Falque-Pierrotin,
présidente du G29
moins radical qu’anticipé par certains observateurs et opte pour
une position de compromis entre les géants des nouvelles technologies, qui militent en faveur
du Privacy shield, et les défenseurs de la vie privée. De quoi expliquer des réactions satisfaites
des deux côtés.
Pour Max Schrems, le premier
plaignant dans les actions en justice contre le Safe harbor, il s’agit
d’une première victoire. Selon lui,
derrière le consensus du G29, se
dessinent des opinions bien plus
tranchées, opposées au texte. Pour
lui, le Privacy shield est « un échec
total, maintenu en vie par la pression exercée par le gouvernement
américain et certains acteurs de
l’industrie », a-t-il réagi peu après la
conférence de presse du G29.
Du côté de l’industrie, où l’on
craignait un avis beaucoup plus
tranché de la part des autorités de
protection des données, l’optimisme domine aussi. Pour la
Computer and Communications
Industry Association, un lobby défendant notamment les intérêts
d’Amazon, Facebook ou Google, la
décision du G29 constitue « un pas
vers l’adoption » du texte. Son directeur, Christian Borggreen, voit
la décision du groupe comme
« plutôt positive », « équilibrée sur
la question de la surveillance » et
« encourageant les Etats membres
à adopter le Privacy shield sans délai pour clarifier la situation légale
de milliers d’entreprises européennes et américaines ». p
martin untersinger
Apple : le FBI a bénéficié
de l’aide de hackers
Selon le « Washington Post », les pirates ont
trouvé une faille dans le logiciel de l’iPhone
Q
ui a aidé le FBI à « craquer » l’iPhone du tueur
de San Bernardino (Californie) ? Alors que tous
les regards étaient braqués sur
Cellebrite, une start-up israélienne spécialisée dans l’extraction de données, le Washington
Post a révélé, mardi 12 avril, que
l’agence fédérale américaine
aurait bénéficié de l’aide de hackers professionnels, citant une
source proche du dossier. Selon le
quotidien américain, les pirates
informatiques auraient découvert une faille dans le logiciel du
téléphone portable.
Le 28 mars, le FBI avait abandonné une procédure judiciaire
entamée à l’encontre d’Apple pour
forcer la firme de Cupertino à débloquer le téléphone de Syed Farook, l’un des auteurs de l’attentat
de San Bernardino. « Notre décision de mettre fin à la procédure est
basée seulement sur le fait qu’avec
l’assistance récente d’un tiers nous
sommes maintenant capables de
débloquer cet iPhone sans compromettre les informations dans le téléphone », avait alors précisé la
procureure fédérale du centre de
la Californie, Eileen Decker, dans
un communiqué.
La firme exige des détails
Avec la révélation de ce mystérieux « tiers », le quotidien outreAtlantique met fin à cette partie
de Cluedo, débutée il y a une quinzaine de jours. Les hackers professionnels, dont l’éthique est parfois discutable, chassent les failles
des logiciels pour les revendre
aux sociétés concernées ou aux
gouvernements. Grâce aux informations fournies par ces pirates
informatiques, le FBI aurait ainsi
mis au point un outil informati-
que capable de neutraliser l’effacement automatique de toutes les
données du téléphone après
dix essais infructueux lorsqu’on
tape un code PIN. Une fois cette
difficulté levée, le FBI serait en
mesure de craquer sans problème
ce code en 26 minutes.
James Comey, directeur du FBI, a
toutefois précisé mercredi 6 avril
lors d’une intervention au Kenyon College, dans l’Ohio, que la
méthode pour y parvenir ne fonctionnait pas sur les modèles les
plus récents de la marque à la
pomme tels que l’iPhone 5S ou
l’iPhone 6S. De son côté, Apple,
qui s’était opposé à l’agence arguant du droit à la vie privée de
ses utilisateurs, a fait savoir
qu’il ne poursuivrait pas le FBI
pour qu’il révèle la méthode employée pour déverrouiller le téléphone mais qu’il exigeait néanmoins des détails.
Le débat sur l’accès aux données
des téléphones cryptées n’est pas
près de s’arrêter. Mercredi 13 avril,
deux parlementaires américains,
Richard Burr (Républicains) et
Dianne Feinstein (Démocrates),
responsables de la Commission
du renseignement au Sénat ont
dévoilé un projet de loi, encore à
l’état de brouillon, pour forcer les
entreprises technologiques à collaborer contre le cryptage. « Nous
avons besoin d’un cryptage solide
pour protéger les données personnelles, mais nous avons également
besoin de savoir quand des terroristes projettent de tuer des Américains », s’est justifiée Mme Feinstein. Un tel projet, qui reviendrait à
encourager la création de portes
dérobées dans les logiciels, devrait
de nouveau se heurter aux géants
du high-tech, Apple en tête. p
zeliha chaffin
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intellectuelle, de l’approfondissement des débats, autour
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de notre vie quotidienne, pour mieux profiter de notre
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2
LA « UNE », SUITE
v RENCONTRE
avec Samar Yazbek,
entre colère et larmes
3
v ENTRETIEN
avec Bruno Racine,
ancien président
de la BNF
4
Samar Yazbek contre le chaos
De la guerre qui ravage son pays, l’écrivaine syrienne rapporte un récit terrible
LITTÉRATURE
FRANÇAISE
Pierre Bergounioux,
Marc Dugain
5
LITTÉRATURE
ÉTRANGÈRE
Judith Hermann,
T. C. Boyle
jean hatzfeld
écrivain
6
HISTOIRE
D’UN LIVRE
« Une allure folle »,
d’Isabelle Spaak
L
es Portes du néant, à la frontière turque, s’ouvrent une
première fois sur la route qui
mène à la région d’Idlib, dans
le nord-ouest de la Syrie. Samar Yazbek les franchit en
août 2012, en se faufilant dans un trou
creusé sous des barbelés. Une voiture l’attend, qui traverse la nuit sur un fond sonore de bombardements, avec à l’intérieur Maysara et Mohammed, deux frères
d’armes rebelles : ses anges gardiens.
A Saraqeb, le véhicule stoppe devant
une vaste demeure envahie de familles,
qui sera désormais le sweet home de Samar Yazbek où, de retour de ses chaotiques expéditions, elle retrouve une douceur complice auprès de gens un peu en
vrac, notamment deux gamines, Rouha
et Aala, dont elle écrit, une nuit de frappes aériennes : « Une nouvelle famille se
joignit à nous dans l’abri. Aala, qui insistait toujours pour raconter une histoire
chaque soir (...), me les montra du doigt :
“Leur mère est de notre côté, mais le père
soutient Bachar. (...) Mais ça fait rien. Elles
doivent se cacher ici avec nous pour ne
pas mourir.” Ma petite Schéhérazade
7
ESSAIS
Florian Mazel dévoile
comment l’Eglise a
façonné l’espace civil
8
CHRONIQUES
v LE FEUILLETON
Eté 2013, revenue à Paris,
on imagine l’auteure
à sa table, écrivant
ses mois de guerre,
le désespoir
d’un pays perdu,
le déracinement.
Mais elle repart en Syrie
avait les plus beaux yeux noirs que j’ai jamais vus. (…) Elle observait attentivement le monde autour d’elle mais paraissait toujours plus fragile chaque fois que
nous descendions dans l’abri. Elle s’occupait de sa petite sœur Tala qui souffrait
d’un déséquilibre hormonal causé par la
peur et l’angoisse. (…) Peu de temps avant
que les frappes ne s’interrompent, elle saisit le morceau d’obus que tenait Tala en
lui disant d’un ton calme : “Ça, ce n’est pas
pour les enfants.” Elle avait à peine
sept ans. »
Pas de néant à l’horizon, mais une
guerre, soudaine, contre Bachar Al-Assad, que les rebelles mènent à la kalachnikov tandis que l’armée attaque du ciel
en hélicoptère. Samar Yazbek la rejoint
pour vivre l’après-Bachar : aider les femmes à monter des ateliers, distribuer des
journaux, discuter à longueur de nuits,
écrire.
Samar Yazbek est née dans une grande
famille alaouite, à Lattaquié, dans la Syrie d’Hafez Al-Assad, le chef alaouite.
Elle a vécu une enfance insouciante sur
les bords de l’Euphrate. Caractère
trempé, elle quitte les siens à 16 ans
pour Damas, pour se vouer à la littérature. Aussi, naturellement, chaque vendredi du printemps 2011, elle a marché
Eric Chevillard met
les barbouilleurs
à l’amende avec « La
Littérature sans idéal »,
de Philippe Vilain
9
C’EST
D’ACTUALITÉ
v Casterman lance
« Pandora », nouvelle
revue de bande
dessinée
v Des inédits de Jack
Kerouac en français
A Mari (Syrie), en juillet 2012. C.STORMER/ZEITENSP./FOCUS/COSMOS
dans la foule pacifiste, qui après celle de
Tunis, du Caire, a célébré les révolutions
arabes. Elle a publié des articles sur le
vent de la liberté, dénoncé les violences
de la répression. Les policiers l’ont tabassée en prison. Sous la menace des
moukhabarat [services de renseignements], elle s’est réfugiée à Paris.
L’espoir d’une Syrie libre l’attire donc
dans les bras de la guerre un an plus
tard. Elle écrit un hymne à la dignité des
Syriens, note les graffitis des murs : « O
Temps que tu es traître ! » Elle accompagne les combattants en expédition. Puis
la guerre sombre dans un chaos radical
qui imprègne son écriture.
Février 2013, deuxième porte : cette
fois, Samar franchit la frontière à travers
un village bédouin. Elle décrit magnifiquement les zones frontalières. Elle repart dans les villages. Les barils de poudre
Cahier du « Monde » No 22161 daté Vendredi 15 avril 2016 - Ne peut être vendu séparément
jetés d’hélicoptères remplacent les obus,
les cadavres sentent fort sous les décombres. Les gamines Aala et Rouha sont parties. L’auteure observe les nouveaux visages : « Une fille de seize ans était assise à
l’entrée, coiffée d’un hijab. Elle était amputée des deux jambes, l’une coupée à la
cuisse, l’autre au genou. Son regard était
serein cependant. Elle me dit qu’elle apprenait à dessiner à ses frères et à ses sœurs,
mais qu’elle manquait de matériel. (…)
Après nous avoir regardés descendre vers
le caveau où vivaient les siens, la tête penchée, elle continua à tracer des lignes dans
la terre humide. »
Le temps presse terriblement. Samar
Yazbek choisit un style qu’elle veut efficace, parfois rude. Elle rapporte ainsi les
mots d’un déserteur de l’armée : « On entre dans un appartement et on casse tout
sous les ordres de l’officier qui vocifère et
jure. Il décrète qu’on doit violer une fille.
La famille s’est réfugiée dans la chambre à
côté. Il nous passe en revue le doigt pointé
avant de s’arrêter sur mon ami Mohammed. Il lui donne une tape dans le dos (…).
Mohammed tombe à genoux, baise les
godasses du type : “Pitié, commandant !
Ya sidi ! Je ne peux pas. S’il vous plaît.”(…)
L’officier lui a saisi les couilles en criant :
“Tu veux que je t’apprenne comment
faire ?” Alors mon ami s’est redressé et
s’est rué sur lui, et c’était un costaud, je
vous le jure. (...) L’officier a tiré sur Mohammed, il l’a tué. Vous voulez savoir où il
a visé ? »
Samar Yazbek s’impose sur scène : « Je
poussai un hurlement en croyant avoir
touché une main douce et délicate sous
les débris. Mon cri me trahit. (...)
lire la suite page 2
10
RENCONTRE
Lydia Flem,
sur son trente et un
2 | .. à la « une » | Rencontre
suite de la page 1
Un garçon de vingt ans à peine
qui portait au front un bandeau
noir sur lequel était écrit “Il n’y a
de Dieu qu’Allah !” s’exclama :
“Eloignez cette femme ! Sa place
n’est pas avec les hommes. Dieu
nous pardonne !” Je lui aurais
obéi si je n’avais pas su qu’il
n’était pas syrien. Je le défiai du
regard. C’était l’un des combattants étrangers de Daech. Je ne reculai pas d’un pouce comme il
s’avançait vers moi. Au même instant, la voiture de mes amis s’arrêta devant nous (… ). »
L’écrivaine défie le lecteur ; à
travers lui, elle maltraite la communauté internationale. Les brigades de combattants se multiplient ; Ahrar Al-Sham, Jabhat AlNosra, Daech. Le lecteur souffre
par moments, il perd un peu le
fil sous l’emphase, sans oser le
lâcher. Peut-être pressent-il que
ce vocabulaire de l’atrocité, qui
martèle à l’excès les pages
comme les bombes au dehors, le
prépare au passage d’une dernière porte.
Eté 2013, revenue à Paris, on
imagine Samar Yazbek à sa table,
écrivant ses mois de guerre, le
désespoir d’un pays perdu, le déracinement. Mais elle repart làbas, à « la frontière où m’attendaient Abdallah et son frère Ali,
qui venait de perdre un œil à
cause d’une balle. (…) Chaque fois
que je les quittais, j’avais le sentiment que je ne les reverrais plus,
puis je revenais, et là, c’était
comme si j’allais passer le reste de
ma vie avec eux. » L’adrénaline at-elle « accroché » la romancière ?
Non. Elle ne se prend pas non
plus pour la nouvelle égérie du
grand reportage, ni pour Justine
de Sade, ou Jeanne d’Arc.
Dans la Syrie en guerre, les
journalistes ne voyagent plus
comme au Liban ou en Bosnie.
Leur tête, mise à prix, repose sur
un cou fragile. Ils arpentent la
frontière, parfois s’aventurent
en de rapides incursions. Les réseaux sociaux pervertissent l’information qu’ils ne ramènent
plus. En Syrie, les villes sont écrasées, les champs dévastés ; la
guerre détraque les esprits. Elle
dérobe la révolution.
Alors, Samar Yazbek fonce en
voiture se colleter aux rafales, à
la sueur de la peur, dont elle se
protège en théâtralisant le chaos.
« Je m’assis au pied du cyprès.
“Comment vais-je pouvoir écrire
toute cette dévastation ?” marmonnai-je alors que l’odeur était
insoutenable. Un jeune homme
derrière moi m’avait entendue, il
se pencha et me dit d’une voix
douce : “Madame, je vous assure
que vous n’avez pas besoin de voir
ces horreurs. Venez, rentrons.” »
Elle recommence à interroger
les combattants – une centaine,
dit-elle – avec une mystérieuse
patience, entre autres pour entendre ce qu’une petite voix intérieure lui souffle ; pour qu’elle,
l’alaouite, entende des lèvres
d’un ancien rebelle laïque : « Il
faut que vous disiez au monde
entier que nous sommes en train
de mourir seuls. Que les alaouites
nous ont tués et que le jour viendra où ils seront tués à leur tour
(…), ces chiites mécréants et leurs
putains de femmes. »
Elle recueille les déchets d’illusions, croise des « humains errant dans les entrailles de la
terre », ramasse les bribes d’une
histoire qui ne raconte plus le
Bien contre le Mal, mais ce que
l’on pourrait nommer la satanisation du Mal. Samar Yazbek se
remet en jeu pour qu’au moins le
récit de sa guerre résiste à la dislocation. Il en sort formidable. p
les portes du néant
(Bawabât ard al-adâm),
de Samar Yazbek,
traduit de l’arabe
par Rania Samara, Stock,
« La cosmopolite », préface
de Christophe Boltanski,
306 p., 21 €.
0123
Vendredi 15 avril 2016
Exilée à Paris depuis 2011, l’auteure des « Portes du néant » puise dans les mots
« la force de ne pas oublier »
Porte-parole de l’enfer syrien
RENCONTRE
florence noiville
N
e vous inquiétez pas.
– Pardon ?
– Si je pleure pendant l’entretien… Cela m’arrive tout le
temps, en ce moment. Je suis fragile… et
forte. A moins que ce ne soit l’inverse. »
On avait été frappé par cette tension en
lisant Samar Yazbek. En traversant le jardin du Luxembourg pour aller la rejoindre, en ce jour divin d’avril – soleil, joie
des enfants, magnolias triomphants… –,
on se demandait comment cette jeune
Syrienne faisait pour conjuguer tout ça au
plus profond d’elle-même. Le printemps à
Paris et la mort à Damas. La nécessité
d’avancer tout en restant fidèle. La mémoire et l’oubli. La vie comme un (bref)
sourire aux lèvres de la mort.
« Pas facile », soupire-t-elle. « Au fait…
vous n’êtes pas gênée par le soleil ? » On
baisse les stores et, dans la pénombre qui
enveloppe la pièce, la confession commence. En arabe, à la deuxième personne. « Imagine… C’est comme si tu portais l’enfer en toi. L’enfer, le dernier jour,
l’apocalypse. Et en même temps, tu es à
Paris, une ville magique, tu es en train de
marcher au paradis… Tu ressens une douleur ininterrompue qui devient une partie
de toi. De même que les voix des victimes,
leurs visages, leurs corps démembrés, font
désormais partie de toi… »
C’est pour ça qu’elle a écrit Les Portes du
néant. D’un côté, elle voulait faire entendre toutes ces victimes qui « criaient » en
elle, qui « criaient pour être racontées ».
De l’autre, elle voulait… non, pas l’apaisement. Au contraire. Elle voulait puiser
dans les mots « la force de ne pas
oublier ». Ne pas être dupe de la jolie lumière. Comme si elle était gênée par le
soleil, justement. « Il y a ceux qui pensent
que la littérature libère de la douleur. Moi,
je pense au contraire qu’elle la grave en
nous. » Ecrire, c’était se promener dans
les jardins du paradis avec ce memento
tatoué sur le bras : « N’oublie pas l’enfer. »
Née en 1970 à Lattaquié, Samar Yazbek
vient d’une famille aisée alaouite, cette
branche minoritaire du chiisme dont le
clan Assad – qui gouverne la Syrie depuis
1970 – est lui-même issu. Elle aurait pu
jouer cette carte, être propulsée parmi les
privilégiés du régime. Elle a préféré décider elle-même de son destin. A 16 ans,
elle fait ce qu’elle appelle une « révolte familiale » et part vivre seule. Amoureuse
de Virginia Woolf, de Baudelaire et Naguib Mahfouz, elle étudie la littérature à
Damas, où elle élèvera seule sa petite
fille. Elle écrit aussi et publie au Liban des
romans dévoilant la face cachée de la
bonne société damascène (Un parfum de
cannelle, Buchet-Chastel, 2013). Une
femme seule, laïque, une rebelle fréquentant les cercles littéraires, une activiste
engagée en faveur des droits de l’homme
– « et de la femme », insiste-t-elle… : tout la
désigne comme « dangereuse ». Lorsque,
en 2011, elle descend dans la rue pour
manifester contre le régime d’Assad, elle
est arrêtée, jetée en prison, puis relâchée.
MARCO CASTRO POUR « LE MONDE »
Mais sa situation est intenable. En juin de
la même année, elle quitte la Syrie. Exilée
en France, elle publie en 2012 Feux croisés. Journal de la révolution syrienne (Buchet-Chastel), qui lui vaut plusieurs prix.
Mais rester douillettement à Paris n’est
pas le genre de Samar Yazbek. La Syrie l’appelle, la démange. Elle veut continuer de
témoigner de l’intérieur. En 2012 et 2013,
elle retourne trois fois, clandestinement,
dans la région d’Idlib. A chaque fois, elle
passe par un fossé « juste assez grand pour
une personne » sous les barbelés turcs. A
chaque fois, elle constate combien le pays
s’enfonce dans la destruction. « D’où le titre du livre en arabe, Les Portes de la terre
du néant ». Des portes qu’elle ouvre les
unes après les autres, comme dans un
conte. La première est celle de la trahison.
« Quand j’y pense, en 2011, nous étions des
jeunes pacifiques, qui demandions quoi ?
EXTRAIT
« Derrière nous, on pouvait entendre
des coups de feu, et les roulements
des blindés du côté turc, mais nous
avions réussi : nous étions passés.
Comme si le sort l’avait décidé depuis
longtemps. Je portais pour la circonstance un foulard, une veste longue
et un pantalon ample. Nous devions
gravir une colline pentue avant de
retrouver sur l’autre flanc la voiture
qui nous attendait. Cette fois, mes
guides et moi ne faisions pas partie
d’un convoi d’étrangers. A ce
moment, je ne me posais pas
la question de savoir si je pourrais
jamais écrire un jour là-dessus.
J’étais certaine, j’ignore pourquoi,
qu’en retournant dans ma patrie
j’allais mourir comme tant d’autres.
La nuit tombait et tout paraissait
normal (…).
Enfin, nous parvînmes jusqu’à
la voiture (…). Je montai à l’arrière
avec les deux hommes qui allaient
me servir de guides, Maysara et
Mohammed. Ils étaient des combattants d’un genre particulier, appartenant à la même famille, celle qui
allait m’accueillir. Maysara était un
rebelle qui avait commencé par faire
campagne de manière pacifique
contre le régime d’Assad puis avait
pris les armes. Mohammed avait
une vingtaine d’années et faisait
des études de commerce (…). »
les portes du néant,
pages 18-19
Pas grand-chose. Une plus grande liberté
d’expression, des réformes législatives, la libération de certains prisonniers politiques… C’est fou qu’on ait pu être réprimés
avec une telle violence. » En 2013, Daech
fait irruption par la porte numéro deux.
« Jusque-là, il y avait des milices djihadistes,
mais on pouvait encore circuler. Avec
Daech, tous les activistes locaux ont disparu… Pourtant, dire que la guerre se joue
entre Assad et Daech est faux. Bachar est
lui-même un artisan du terrorisme. »
La dernière porte, enfin, ouvre sur un
sentiment lancinant de colère. Yazbek
évoque les intérêts iraniens, russes, américains… et la position stratégique de la Syrie. « Les Etats sont devenus des outils aux
mains de groupes d’intérêt qui les dépassent », dit-elle. A l’entendre, aucune des
forces en présence ne souhaite vraiment
l’avènement d’une révolution démocratique. Nul ne lutte vraiment, non plus, ni
contre Bachar Al-Assad ni contre Daech.
« Le monde est obsédé par l’Etat islamique,
mais les avions d’Assad continuent à larguer des bombes sur les civils dans les provinces d’Idlib, de Damas, d’Homs, d’Alep… »
Chacun suit les informations, regarde les
photos, mais « l’odeur de la terre après l’explosion d’une bombe à fragmentation ne
se transmet pas par le biais des photos ».
Samar Yazbek raconte les enfants morts
qu’elle a serrés contre elle, les débris de
corps retrouvés dans les décombres, les
petits doigts… Que faire ? « Continuer.
Continuer à demander justice. S’engager
sans relâche. » Avec son ONG Women
Now for Development, elle aide « les femmes qui portent la société pendant que les
hommes se battent ». « Nous sommes dans
une guerre entre le Beau et le Laid. Il faut
lutter contre l’effondrement moral. »
Que fait-elle, maintenant que les portes de la Syrie lui sont vraiment fermées ?
Parcours
1970 Samar Yazbek
naît à Lattaquié (Syrie).
1986 Elle part vivre seule.
2011 Elle manifeste
à Damas. Elle est jetée
en prison et battue.
Elle s’enfuit à Paris.
Premier retour clandestin
en Syrie via la Turquie.
2012 Feux croisés
(Buchet-Chastel).
2013 Un parfum de
cannelle (Buchet-Chastel).
2016 Les Portes du néant
(Stock).
« Je viens de terminer un nouveau roman.
Je voyage dans le monde pour parler de la
question syrienne. Et j’apprends le français. J’ai fini par me convaincre qu’il fallait
le faire, alors je m’y suis mise. Vous qui
parliez d’arrachement… En voici un autre.
L’arabe est ma patrie. Je sais que lorsque je
parlerai français, je perdrai encore une
partie de moi-même… » Nous revenons à
l’exil. « L’exil est l’exil, rien d’autre. Cela veut
dire marcher dans une rue et savoir que
vous n’êtes pas à votre place. » Cela veut
dire continuer à « rêver de la Syrie sans
que rien jamais puisse vous empêcher de
le faire. Sauf la mort… » Elle essuie une
larme. « Je vous avais prévenue. » p
Traduit de l’arabe par Hana Jaber
Entretien | 3
0123
Vendredi 15 avril 2016
propos recueillis par
michel guerrin
P
résident de la Bibliothèque
nationale de France (BNF)
pendant neuf ans, de 2007 à
2016, Bruno Racine a quitté
son poste, le 2 avril, remplacé par Laurence Engel. Il
expose les enjeux de cet établissement.
Quelles furent les missions que vous
pensez avoir accomplies avec succès à
la tête de la BNF ?
La BNF repose sur deux grands piliers,
et on tend à en oublier un, le site historique, rue de Richelieu, à moitié fermé
pour rénovation depuis cinq ans. Il devrait rouvrir entièrement en 2020, devenant le premier pôle mondial pour l’histoire des arts et des images. Lancer ce
projet était un premier objectif. Le
deuxième était de changer d’échelle
dans la numérisation. Nous avons multiplié le chiffre par dix sur Gallica – de
300 000 à 3,5 millions de documents en
libre accès. Le troisième objectif, ce sont
les acquisitions majeures, là encore, qui
ont changé d’échelle, puisque nous sommes passés à 7 ou 8 millions d’euros par
an contre 1 million avant mon arrivée. La
BNF a pu acheter les manuscrits de Casanova, le bréviaire de Saint-Louis de
Poissy, le manuscrit des Troyens de Berlioz… J’ai mis un accent particulier sur
les archives contemporaines – celles de
Michel Foucault, Edouard Glissant, Guy
Debord, Roland Barthes…
Pourquoi acheter quand on conserve
déjà tant de livres ?
Pour rester vivante, une bibliothèque
doit acquérir et elle ne peut s’arrêter à
l’époque de Victor Hugo. Non pas tout
acheter, mais le faire avec discernement.
Renforcer les points forts, en particulier
pour les manuscrits, avec l’aide de son
cercle de mécènes. La BNF, qui est une
des trois plus importantes bibliothèques
au monde avec celle du Congrès, à
Washington, et la British Library, à Londres, doit être en première ligne sur le
marché. Les archives de Guy Debord
étaient convoitées par une université
américaine mais il ne me paraissait pas
possible qu’elles sortent de France. De
même pour le manuscrit de Nadja, d’André Breton, que Pierre Bergé [actionnaire
à titre personnel du Monde] a bien voulu
nous réserver en le retirant de la vente de
sa bibliothèque. J’ai souhaité aussi encourager les dons, et pour cela créé une
galerie des donateurs. Notre politique
d’enrichissement des collections nous
rapproche des grands musées du monde.
Tout comme nos expositions d’artistes
vivants comme Sophie Calle, Raymond
Depardon, Richard Prince, Anselm Kiefer
et maintenant Miquel Barcelo.
Un musée ? A vous écouter, on a
l’impression que la BNF n’est plus
un endroit où le public vient pour
consulter et emprunter des livres…
J’y viens ! Une grande bibliothèque se
doit d’offrir une multitude d’activités –
expositions, conférences, débats. Mais la
question que vous soulevez sera le défi
de l’avenir. Car il y a un problème. La BNF
offre sur son site François-Mitterrand
deux espaces aux lecteurs. Un pour le
grand public de 1 700 places, l’autre pour
les chercheurs, de dimension comparable. Or, depuis plusieurs années, nous
constatons une baisse de fréquentation.
Pour les chercheurs, c’est plus récent et
cela s’explique. Nous observons en particulier qu’ils utilisent mieux les ressources numériques, ce qui leur permet de
passer moins de temps dans nos murs.
Nombre de bibliothèques universitaires
parisiennes, qui étaient vétustes, ont été
rénovées, et en conséquence nous ont
pris des lecteurs. Toutefois, les chiffres de
fréquentation se sont stabilisés en 2015
mais sans revenir aux niveaux d’il y a
quelques années. Ce qui interroge, c’est la
moindre fréquentation du grand public,
qui se vérifie dans toutes les bibliothèques, en France comme à l’étranger.
A la BNF, sur le site
François-Mitterrand, le 1er avril.
DAVID BALICKI POUR « LE MONDE »
Bruno Racine : « Le livre
a de beaux jours devant lui »
L’ancien président de la BNF fait le bilan de ses neuf ans à la tête de l’institution et
analyse les perspectives propres aux bibliothèques à l’heure de la numérisation
Comment enrayer cette baisse ?
Les bibliothèques se sont longtemps
préoccupées essentiellement de l’offre.
Désormais, le défi, c’est de mieux répondre à la demande. Nous ne pouvons pas
nous reposer seulement sur la quantité
et la qualité de nos collections. Il faut
prendre la mesure du nouvel utilisateur
des bibliothèques, comprendre ses attentes. Il lit autrement, consulte moins
les ouvrages et souvent vient, avant
tout, pour travailler sur ses propres documents, par exemple pour préparer un
examen, parce qu’il ne peut le faire dans
de bonnes conditions chez lui. La bibliothèque lui offre un service de qualité, un
lieu d’étude individuel mais aussi de
confort et de convivialité. Nous avons
modernisé l’accueil, nous allons améliorer l’hospitalité numérique, par exemple
grâce au lien entre notre offre et l’ordinateur portable du lecteur. Nous avons
surtout repensé les salles de lecture, qui
sont traditionnellement monacales,
multiplié les stations de travail individuelles, en dehors des salles, dans les
couloirs, les halls, les foyers, le café… Les
usagers travaillent autant dans ces nouveaux espaces que dans la salle de lec-
ture classique. Ils enrichissent la fonction sociale de la bibliothèque, ce que
certains appellent « le troisième lieu », intermédiaire entre la maison et le lieu de
travail. Nous avons pu ainsi enrayer la
baisse en 2015.
Est-ce suffisant pour garder
vos lecteurs ?
Ma conviction est qu’il faudrait instaurer la gratuité pour le grand public. Nous
demandons un abonnement de 38 euros
par an, ramené à 20 pour les moins de
25 ans, ce qui peut paraître modique, mais
reste un frein. La Bibliothèque publique
d’information [BPI, Centre Pompidou] est
gratuite, par exemple. Pour la BNF, ce serait un geste symbolique fort, un signe
d’ouverture qui me paraîtrait bienvenu
aujourd’hui. J’ai fait cette proposition au
ministère de la culture mais il reste à résoudre le problème du manque à gagner,
de l’ordre de 400 000 euros par an.
Est-ce que la bibliothèque, à terme,
sera rendue caduque à cause de la
numérisation ?
Je crois tout le contraire. La baisse de la
consultation n’est pas liée uniquement
à la numérisation des livres. Et puis la
numérisation intégrale est une utopie,
elle ne se réalisera sans doute jamais, ni
chez nous ni ailleurs, et elle n’est pas nécessaire. Nous avons 3,5 millions de documents numérisés, mais des dizaines
de millions ne le sont pas. Nous avons
5 millions de pages de presse numérisées, et 110 millions ne le sont pas. De
plus, on n’a jamais autant publié de livres papier en France qu’en 2015 –
même si la lecture baisse ou se concentre sur quelques ouvrages, ce qui est un
autre problème. Et puis l’offre numérique consultable à distance est limitée
aux livres tombés dans le domaine public. Or, les chercheurs ont besoin de travailler sur des publications récentes,
que nous pouvons avoir en version numérique, mais qui ne sont consultables
que depuis nos sites.
Qu’en déduisez-vous pour l’avenir ?
Plusieurs choses. La numérisation va
devenir plus qualitative que quantitative. Ensuite, si la consultation à distance – dont 37 % venant de l’étranger –
se développe, la demande sur place ne
va pas disparaître. Je n’exclus pas que la
Dans le sillage des chercheurs de voix
LA LANGUE maternelle n’appartient
à personne, pas
même à la mère.
Cette vérité explorée par les écrivains
et les philosophes,
Bruno Racine
en a très tôt fait l’expérience.
Ainsi les plus belles pages du récit
qu’il consacre à sa mère, La Voix
de ma mère, évoquent-elles des
scènes de lecture à deux, au cours
desquelles s’impose l’indépendance bravache de la langue,
son caractère fondamentalement
inappropriable.
Un jour, Bruno Racine et sa mère,
qui a grandi aux Etats-Unis,
se penchent ensemble sur le roman
d’Henry James, The Bostonians.
Cherchant les équivalents français
de certains termes, sa mère se trouve
soudain à la peine : « Ces hésitations
l’attristaient, car elle les attribuait,
non à des difficultés objectives de
traduction, mais à une sorte de déclin
personnel, à une déprise irréversible
de sa langue maternelle. »
De Boston à Odessa
Ce souvenir d’enfance, confie
Bruno Racine, est l’un des rares qui
lui permettent d’entendre encore
la voix de sa mère, ses inflexions
elles aussi impossibles à saisir
vraiment, et qu’il tente ici de retrouver en se mettant dans le sillage
des grands chercheurs de voix,
de Proust à Barthes.
Cette quête le conduit sur les traces
de ses aïeux, en Amérique, mais
aussi en Ukraine, à Boston comme
à Odessa, et cette investigation autobiographique nourrit une réflexion
sensible sur la fragilité des êtres et
la force des textes. p jean birnbaum
la voix de ma mère,
de Bruno Racine,
Gallimard, 136 p., 12,50 €.
distinction que nous opérons entre nos
lieux « grand public » et « chercheurs »
ne finisse d’ailleurs par s’effacer au profit d’espaces fédérateurs. Enfin, je constate que le livre est dans son genre un
objet parfait : petit, pas cher, maniable,
utile, solide. Il a de beaux jours devant
lui. Le livre numérique, au contraire,
n’est pas parfait, il n’a pas la volupté du
papier, on ne peut le feuilleter, et il est
en fait plus périssable. Du reste, hormis
aux Etats-Unis, à cause de la mort des librairies, et au Japon, pour des raisons
liées au phénomène manga, la part du
livre numérique reste limitée. Les deux
supports resteront complémentaires.
Dans « La Voix de ma mère », le livre
que vous consacrez à votre mère,
vous notez que, de sa jeunesse américaine, elle n’avait conservé que très
peu d’objets, essentiellement des
livres. Votre confiance dans l’avenir
du livre est-elle liée à cet héritage
maternel ?
Ma mère a été en effet une grande lectrice tout au long de sa vie. C’est en se
passionnant très jeune pour Les Trois
Mousquetaires, lu en anglais, qu’elle disait avoir adopté la culture de notre pays,
avant d’en apprendre puis d’en maîtriser
la langue, tout en conservant un léger accent qui m’est resté longtemps imperceptible. Tel est le pouvoir du livre : changer le cours d’une vie. Je ne suis pas sûr
qu’une lecture sur écran aurait eu le
même effet décisif…
Le souvenir le plus précieux que je conserve d’elle, ce sont des livres qui lui
avaient été offerts dans sa jeunesse, des
romans de Stevenson aux poèmes de
Keats que nous avons lus ensemble, en
particulier cette Eve of Saint Agnes, qui
était son préféré. En m’efforçant sans succès, dans mon livre, de faire revivre sa
voix, c’est la littérature que j’ai retrouvée.
Quand on a lu Proust, Lamartine ou
Guyotat, on sait que cette voix est inséparable des lectures maternelles, que ce soit
l’histoire sainte ou George Sand. Toute
lecture n’est-elle pas un partage ? p
4 | Littérature | Critiques
0123
Vendredi 15 avril 2016
Pierre Bergounioux poursuit son
journal. Toujours aussi fascinant
SANS OUBLIER
Tel père, quel fils ?
La force
de l’habitus
bertrand leclair
F
ort de ses mille deux cents
pages, le quatrième volume du Carnet de notes
que Pierre Bergounioux
tient depuis 1980 couvre les années 2011 à 2015 et se clôt sur sa
préparation à l’édition, provoquant un étonnant télescopage
des temps de l’écriture et de la lecture. « Au courrier, les épreuves des
années 2011 et 2012 du Carnet de
notes. Je constate, à la relecture,
combien 2011 a été assombrie »,
lit-on à la date du mercredi 16 décembre 2015. Neuf jours après, ce
travailleur inlassable « attrape tout
de suite les épreuves des trois dernières années du Carnet », dont il
lui reste pourtant dix pages à
écrire. Quelques semaines plus
tard, le lecteur a déjà le livre en
main, se souvenant non seulement de ce qu’il faisait lui-même,
ce 25 décembre qui est le dernier,
mais aussi de l’actualité tragique
qui l’a précédé (ce qui, d’ailleurs, ne
va pas sans provoquer une attente
déçue à la date des attentats de novembre, à peine signalés – il est
vrai que la mère de l’auteur vient
de mourir).
Les temps se rapprochent. Il n’y a
pourtant pas si longtemps que l’on
découvrait le premier volume de
ce Carnet de notes, journal d’une
naissance à la littérature entamé
quatre ans avant la publication du
premier livre de l’auteur (Catherine, Gallimard, 1984), mais paru
en 2006 seulement. Depuis dix
ans, la publication régulière du
Carnet nous aura donc fait parcourir trente-cinq années d’existence :
le jeune homme qui se croyait surnuméraire dans les hautes sphères
de la pensée pour avoir grandi
dans la Corrèze des années 1950 atteint désormais cet âge de la retraite où le monde semble compter
plus de fantômes que de vivants. La
mort est d’autant plus présente
que l’accident cardiaque qui avait
bousculé le précédent volume fait
peser une menace permanente, au
point qu’elle en devient fantasmatique : confronté à une tension qui
s’affole régulièrement, l’auteur se
projette déjà mort, anticipe le désarroi de ses proches, s’effraie des
PV qu’il imagine s’accumulant sur
le pare-brise de sa voiture.
La fascination du lecteur s’accentue quand apparaît avec une netteté nouvelle l’adéquation parfaite
entre le geste d’écriture et les convictions esthétiques qui le soustendent. Cette fascination n’est jamais réductible aux qualités du
prosateur magistral qu’est Bergounioux, pas davantage à une mécanique de pensée aux rouages impressionnants, huilée par d’incessantes lectures. Elle provient avant
tout d’une obstination à consigner
les faits en s’en tenant au plus matériel, à rebours d’une pratique de
diariste valorisant l’illusion de
EXTRAIT
« Me 11.6.2014
Levé à sept heures. Le beau temps nous revient. Colette Olive téléphone en tout
début de matinée et nous parlons un long moment. Comme la publication du
Carnet va devenir quinquennale, j’expédierai le texte à Verdier, année après année,
pour que le quatrième tome paraisse dès le printemps 2016, si je dure jusque-là.
Le travail préparatoire ayant été fait, l’impression suivra de plus près. Après avoir
raccroché, j’expédie à Colette, par courriel, les notes de 2011, 2012 et 2013. Elles sont
parties lorsqu’un scrupule me vient. Et si j’avais laissé traîner des fautes ! Je relis
les premiers mois de 2011, n’y trouve rien à reprendre, et c’est ainsi qu’il est midi.
En début d’après-midi, avec Mam. Les marronniers commencent déjà à roussir,
sous l’effet de la maladie qui les touche. Sur nos têtes, un beau ciel où sont
accrochés de blancs petits nuages d’été. »
carnet de notes, pages 810- 811
Qui devient-on quand, abandonné
dès l’enfance, on apprend que son
père a participé à l’extermination
des juifs aux côtés des Allemands ?
Quand on découvre qu’il a été transféré dans la Waffen-SS après avoir
appartenu à la Légion des volontaires français ? A travers le Journal
d’un autre (sous-titre de ce Carré des
Allemands), le fils trace un portrait
croisé de lui et de cet homme qui
lui ressemble, par bribes ou pans de
conscience successifs. La fascination
de la mort, le poids de la faute hantent le fils comme ils ont habité le
père. Une silhouette sur une vieille
photo, des témoignages difficilement recueillis, une fosse commune
dans un cimetière, près du « carré
des Allemands », ces indices du
passé dessinent un itinéraire brisé.
Y répond le présent du fils, marqué
par la solitude et un rapport à l’autre
éminemment problématique. A travers deux destins singuliers, Jacques
Richard explore
avec intelligence
nos territoires obscurs. p
stéphanie de
saint marc
a Le Carré des
Allemands. Journal
d’un autre, de
Jacques Richard, La
Différence, 144 p., 17 €.
L’Eventreur mis à nu
l’extraordinaire. Bergounioux ne
vise pas à s’illustrer ou à se sauver
en littérature, mais à noter ses actes et ses gestes. Cela implique de
rendre toute leur importance aux
habitudes et, à travers elles, de restituer une manière d’habiter le
monde, affirmant dès lors une présence, tout comme on peut éprouver l’empreinte de l’autre dans la
vie commune et ses routines. Le
Carnet se révèle ainsi une mise à
l’épreuve quotidienne d’un socle
de convictions marxistes : quoi de
mieux que l’habitus d’un individu
pour révéler les conditions d’existence qui lui auront été faites ?
Malgré les menus agacements
inhérents au genre (jugement à
l’emporte-pièce sur un auteur, dénonciations épidermiques d’une
jeunesse écervelée), la lecture du
Carnet rend au verbe « habiter » et
à ses dérivés leur richesse inépuisable – un livre aussi peut être habité, ou non, et si l’habit ne fait pas
le moine, le style dont nous parons
nos habitudes n’a d’autre enjeu
que de contribuer à élargir l’expérience de vivre, pour qui n’est pas
né dans l’aisance et la langue
soyeuse des héritiers.
Qui plus est, et du fait même
que l’auteur transcrive son carnet
en vue de la publication au fil de
son écriture, ce phénomène
s’opère désormais en conscience, dans une transpa- carnet
rence effective qui impli- de notes.
que l’auteur, ses proches – 2011-2015,
et le lecteur, en miroir. D’où de Pierre
le renversement auquel on Bergounioux,
assiste, ou comment le de- Verdier,
dans devient dehors. Le 1 216 p., 38 €.
Carnet a longtemps été la
doublure de l’œuvre en cours,
une doublure destinée à rester invisible, aussi nécessaire qu’elle ait
pu être à la parution de La Mort de
Brune (Gallimard, 1996) ou du
foudroyant B-17 G (Flohic, 2001).
Ces dernières années, alors que
sont parus de courts traités, un
recueil d’entretiens et de nombreux livres d’artistes, voilà que
l’habit du styliste se révèle réversible. Il se pourrait, en tout cas,
que son grand œuvre soit cette
doublure tramée dans le temps,
sa matière même. p
Bréviaire du désenchantement
Avec un talent visionnaire, Marc Dugain achève sa fresque sur la politique et le monde des affaires
macha séry
V
oici donc, paru quelques jours
avant le scandale planétaire déclenché par les « Panama papers », l’Ultime partie de la Trilogie de L’Emprise, la saga d’espionnage de
Marc Dugain débutée en 2014. L’an passé,
le deuxième tome, Quinquennat, était
paru au plus vif du débat provoqué par la
loi sur le renseignement. Chaque fois,
sans qu’il s’agisse de romans à clés, ces thrillers éminemment réalistes entrent en
résonance aiguë avec l’actualité, qu’ils
éclairent d’une lumière intime. Ils mettent de la psychologie derrière des événements familiers et donnent à voir des coulisses politiques rappelant les Atrides.
Après La Malédiction d’Edgar (Gallimard,
2005), consacré à John Edgar Hoover, patron indéboulonnable du FBI entre 1924 et
1972 – seul livre de Marc Dugain inédit aux
Etats-Unis –, et Une exécution ordinaire
(Gallimard, 2007) retraçant le naufrage du
sous-marin Koursk, – non publié en Russie –, la Trilogie de L’Emprise confirme Dugain dans son rôle d’effeuilleur d’opacité.
Assassinats ciblés, familles brisées. Disons-le d’emblée, Ultime partie tient de
l’entreprise de mise à mort, qu’elle soit
symbolique ou réelle. Dans la galerie des
personnages surgis il y a deux ans
– agents des services secrets, journalistes, grands dirigeants –, quelques-uns
vont se consumer. A trop s’approcher des
hautes sphères du pouvoir, à le convoiter
ou à le menacer, ils seront vaincus ou ils
périront. Y compris des colosses, comme
Corti, le patron corse de la DGSI. Marc
Dugain anime cette pantomime tragicomique d’une main souple et ferme, efficace et sagace ; comédie humaine où il
s’agit de faire bonne figure et d’accomplir sa vengeance en temps et en heure,
tandis que les citoyens sont distraits par
« le marché de l’impatience » : se connecter à toute heure du jour et de la nuit, « se
créer un maximum d’addictions à des choses qui n’en valent pas la peine ».
Petit rappel des faits : rompant le pacte
jadis passé avec Lubiak, son ministre des
finances honni, le président Launay brigue un second mandat. Mieux, il espère
ruiner les rêves de destin national de
son ennemi intime, en faisant approuver par référendum son projet de VIe République. La refonte de la Constitution
privilégiera les alliances au centre et
mettra la fonction présidentielle au-dessus la mêlée. Vertueuse ambition ? En
apparence, uniquement.
Teintes crépusculaires
Car la Trilogie de L’Emprise (bientôt
adaptée en série pour Arte) est un bréviaire du désenchantement. Comptabilités occultes, rétrocommissions liées à des
contrats d’armement, blanchiment d’argent par des comptes offshore, transactions juteuses avec des princes émiratis
soupçonnés de financer le terrorisme islamique, duplicité généralisée… La fresque
de la politique et du monde des affaires
qu’achève Marc Dugain prend des teintes
crépusculaires. « Après le 11-Septembre, [les
Américains] ont permis à la NSA de poser
un couvercle sur le monde et déclaré la fin
du secret et de l’intimité en toute chose. Le
terrorisme a été le bon prétexte. C’est une
menace. Je suis bien placé pour le savoir.
Mais il en existe une autre, celle de l’ascension des réseaux mafieux dans les démo-
craties », fait dire l’auteur au président
Launay. Pour Dugain, les gouvernants,
n’ayant plus de marge de manœuvre, se
lancent dans une fuite en avant afin de
sauvegarder leurs intérêts. « Nos représentants connaissent le passé, pour les plus
cultivés, appréhendent mal le présent, et
quant au futur, il dépasse leur entendement. Ils ne feront pas partie des décideurs
de demain et ils jouent la dernière représentation théâtrale
du quartier des conultime partie.
damnés à mort. »
trilogie de
Seuls, toujours
l’emprise, t. iii,
seuls, affreusement
de Marc Dugain,
seuls. Comme si les
Gallimard, 262 p.,
sentiments, pareils
19,50 €.
à l’oxygène, se raréfiaient en altitude.
Tout est brutal dans Ultime partie, et tout
est feutré, aussi discret qu’un drone au
profil d’oiseau dans le ciel bleu d’Islande
où s’est réfugié un ancien dirigeant syndical qui en savait trop. On n’y crie pas.
On n’y pleure pas. On n’y supplie pas non
plus. En somme, on a le sang froid et le
cynisme chevillé au corps. Qu’importe,
un écrivain de talent est mille fois plus
utile qu’un marchand d’optimisme. p
C’est l’histoire d’un ogre qui parsème son chemin de Petits Poucet
étripés et mutilés. C’est l’histoire
de Joseph Vacher (1869-1898), dit
le « Tueur de bergers », serial-killer
rural qui commit, entre 1890 et
1897, au fil d’une marche forcée de
la Bretagne à l’Ardèche, au moins
vingt crimes barbares. Cette figure, cette geste criminelle, définitivement campées par Galabru
dans le film de Tavernier Le Juge et
l’Assassin (1976), Régis Descott
nous les rend urgentes et palpitantes par le recours aux seuls documents d’époque, par l’assemblage d’un grand puzzle juridicojournalistique, qu’émaillent
quelques lettres hallucinantes de
Vacher lui-même. A l’issue de la
lecture, c’est Vacher tout nu, avec
son désespoir et sa roublardise,
sa folie fauve et sa misère noire,
qui nous regarde et nous redit :
« Quand cela
me prend, il faut
que je tue et
j’éprouve un grand
soulagement. »
Glaçant. p
françois angelier
a Vacher l’Éventreur,
de Régis Descott, Grasset,
« Ceci n’est pas un fait
divers », 274 p., 19 €.
Les pays de Durrell
Intrépide voyageuse et lectrice subtile, Béatrice Commengé est une enquêtrice minutieuse, qui cherche à
découvrir sur le terrain le secret des
œuvres qu’elle a aimées. « Jamais
je ne me lasse de parcourir des paysages que d’autres vies ont traversés
avant moi, laissant parfois la trace
de quelques phrases, parfois rien.
Peu importe. » Son « voyage à l’envers », sur les pas de Lawrence Durrell, est vertigineux. De l’Inde natale
à l’Angleterre abhorrée, de Corfou à
Alexandrie, de la « maudite pampa »
argentine à Chypre, elle retrace le
parcours de l’écrivain cosmopolite :
l’amitié avec Henry Miller, les mariages, l’élaboration d’une œuvre
qu’il voulait « hors du temps ».
L’éblouissante lumière méditerranéenne, l’« alliance de formes, de
pierres, de couleurs » et de parfums
ont fait naître un chef-d’œuvre,
Le Quatuor d’Alexandrie : ce bel
essai, infiniment sensible, révèle
comment les lieux habités par
Durrell recomposent le tableau
de sa vie. p monique petillon
a Une vie de paysages, de Béatrice
Commengé, Verdier, 144 p., 14 €.
Critiques | Littérature | 5
0123
Vendredi 15 avril 2016
Stella mène une vie réglée. Un jour, un homme cherche à la rencontrer. De cette
trame un peu convenue, la romancière allemande Judith Hermann tire le meilleur
Des nouvelles du Caire
Les éditions Sindbad/Actes Sud
poursuivent la publication de
l’œuvre tentaculaire de l’écrivain
égyptien Naguib Mahfouz (19112006), Prix Nobel de littérature
1988. La Chambre n° 12 et autres
nouvelles a le goût du fabuleux désordre du Caire, l’humour de ses
habitants – qui confine souvent à
l’absurde – et l’autodérision jubilatoire de l’auteur. On y retrouve la
puissance romanesque des portraits de ces Egyptiens, hommes
et femmes, maîtres et serviteurs,
humbles ou orgueilleux, dont Mahfouz brosse le destin en quelques
traits lapidaires, avec le réalisme
sans concession qui a fait sa
gloire. « Il n’y a pas de héros dans
mes livres, seulement des personnages », disait-il.
Les lecteurs de Mahfouz s’immergeront aussi dans l’exploration de
la folie et dans la veine surréaliste
qu’il aimait tant. Ces nouvelles
sont en quelque sorte des pages arrachées à son œuvre. Une œuvre à
l’énergie inouïe, d’une humanité
généreuse, désespérante, parfois
cruelle, à l’instar de la
ville qui en est le terreau. p
Quand l’inconnu frappe à la porte
pierre deshusses
A
u commencement était la
peur. Stella a peur. Elle a besoin d’une main qui la rassure.
Elle demande à un inconnu,
assis à côté d’elle dans l’avion, si elle peut
prendre sa main. « C’est ainsi – Stella et
Jason se rencontrent dans un avion. » Plusieurs années passent. Stella et Jason habitent ensemble avec leur fille Ava dans
un lotissement où s’alignent des maisons presque toutes identiques, avec un
jardin entouré d’une haie ou d’une clôture. On pourrait être en Allemagne, en
France ou aux Etats-Unis.
Après plusieurs volumes de nouvelles,
Judith Hermann s’est lancée pour la première fois dans l’écriture d’un roman :
« Ce n’est pas l’auteur qui décide de la longueur d’un texte, mais l’histoire », dit-elle
au « Monde des livres ». Au début de
l’amour est une réussite : virtuosité des
demi-teintes et phrases qui éblouissent
comme un éclat de soleil renvoyé par
une fenêtre claquée par le vent.
Stella, infirmière, est employée par un
centre social qui la charge de s’occuper à
domicile de personnes âgées, irritantes
ou attachantes, certaines ayant perdu le
sens du temps, d’autres se rappelant chaque instant de leur vie. Jason, lui, travaille
sur des chantiers. Il est souvent absent.
Cela ne gêne pas outre mesure Stella. Un
jour où son mari n’est pas là, un homme
sonne au portail du jardin : « Vous ne me
connaissez pas. Je vous connais de vue et
j’aimerais bien m’entretenir avec vous. Si
vous avez le temps », dit-il à
au début
l’interphone.
de l’amour
Un inconnu qui veut entrer
dans la vie d’une femme ap(Aller Liebe
paremment seule : beaucoup
Anfang),
n’auraient pas résisté à la tende Judith
tation d’une intrigue structuHermann,
rée par les phases de la séductraduit
tion, scandée par les interdits,
de l’allemand
les transgressions, les jouispar Dominique
sances et les folies. Judith
Autrand,
Hermann donne d’emblée
Albin Michel,
une tout autre couleur à son
« Grandes
récit. « Je n’ai pas le temps. Pas
traductions »,
224 p., 18 €.
possible. Vous comprenez ce
que je dis ? Nous ne pouvons
pas nous entretenir, je n’ai absolument
pas le temps, vraiment pas », répond
Stella à l’interphone.
La force de ce roman, c’est aussi de ne
pas introduire par cette dénégation un
simple retardement dans la narration
pour mieux faire ensuite jaillir la passion. L’héroïne va s’en tenir à cette ligne
de conduite, qui va réserver bien plus de
surprises qu’une histoire d’adultère.
SANS OUBLIER
eglal errera
a La Chambre n° 12 et
CAROLINE CUTAIA/HANS LUCAS
Stella n’est ni l’Emma Bovary de
Flaubert, ni l’Effi Briest de Theodor Fontane ; les temps ont changé et l’aventure
est plus dans la sincérité que dans le
mensonge.
Entre réel et fantasmes
Au fil des jours l’homme revient, toujours avec la même demande, inquiétante. Et Stella fait toujours la même réponse : elle ne veut pas. Loin d’abandonner, l’homme commence alors à déposer dans sa boîte aux lettres des petits
mots, des photos, des bouts de ficelle,
une clef USB, des CD, jusqu’au jour où il
inscrit son nom sur la boîte aux lettres
de Stella et Jason, auquel sa femme a depuis longtemps tout révélé ; alors, ce qui
unit le couple semble moins relever de la
complicité que de la distance.
Restreindre cette histoire à un problème de harcèlement reviendrait à réduire la lumière d’une étoile à un phénomène de combustion. « Je n’ai pas
ouvert la porte, j’ai reculé, j’ai eu peur. De
quoi ? », dira plus tard Stella à Clara, sa
meilleure amie. Peur de quoi ? De la liberté que dégage cet inconnu ? De son
propre enfermement dans une vie bien
réglée, où l’ennui a sa place attitrée ?
Comment tout cela a-t-il commencé ? Et
pourquoi ?
Un jour, Stella rencontre l’inconnu
dans un supermarché. Il est là, tout proche. Leurs regards se croisent. Cette
scène est la clef du roman, lieu de métamorphose des peurs qui entravent
l’amour, à la frontière entre réel et fantasmes où se logent toutes les formes
d’amour.
Bien des années plus tard, alors que
Stella, Jason et Ava ont déménagé, « elle
se rappelle ces années dans le lotissement. (…) Elle n’éprouve aucune nostalgie.
Ce qui signifie qu’elle pourrait s’en aller de
nouveau. Le changement n’est pas une
trahison. Et si c’en est une, alors elle n’est
pas punie. » Il n’est pas de définition plus
nuancée de la liberté sur le chemin de la
fidélité à soi-même. p
autres nouvelles,
de Naguib Mahfouz,
traduit de l’arabe
(Egypte) par Martine
Houssay, Sindbad/Actes
Sud, 216 p., 21 €.
Grandes puissances
EXTRAIT
« L’homme au coin se roule à présent une cigarette. Tiens,
voilà une chose qu’il a sur lui – du tabac. Il a du tabac et
des petites feuilles de papier, qu’il sort de la poche de sa veste.
Il roule lentement, avec soin, mais peut-être aussi maladresse,
peut-être aussi qu’il tremble, impossible à voir, en tout cas
Stella, elle, tremble un peu. Il allume sa cigarette avec un
briquet et fume. Cela dure un moment. Stella le regarde fumer.
Entre eux le temps s’étire. Elle pense, je devrais détourner
les yeux, mais elle est incapable de détourner les yeux. Elle
regarde, elle observe, comment il respire. Balance la cigarette
sur le trottoir, enfonce les mains dans les poches de son
pantalon, s’en va, descend le chemin forestier en direction de la
rue principale. Jusqu’à ce qu’il ait disparu : plus tard, elle
pensera, c’était déjà trop. »
au début de l’amour, page 26
Ce n’est pas Dieu qui régit le monde,
ni le diable, mais les services secrets
russes et américains. Pourtant,
les uns et les autres empruntent
parfois la voix du Seigneur ou celle
de Satan, et la font résonner dans la
tête des dirigeants des deux superpuissances grâce à des émetteurs
dissimulés dans des implants dentaires… Dans Dieux et mécanismes,
Viktor Pelevine entend montrer
comment les Américains ont orchestré la chute de l’URSS ; et les
Russes, dicté la désastreuse politique du président Bush, l’invasion de
l’Irak, etc. A force d’infiltration réciproque, les agents doubles, triples,
quadruples, ne savent plus quel
maître ils servent. Fasciné par le
bouddhisme, Pelevine ne voit dans
le réel qu’une suite d’apparences
trompeuses. Pourtant, malgré le
brio stylistique du romancier russe,
les fantasmes complotistes, manichéens et paranoïaques restent
ici d’une gratuité peu convaincante. p elena balzamo
a Dieux et mécanismes (Bogi i
mehanizmy), de Viktor Pelevine, traduit
du russe par Galia Ackerman et Pierre
Lorrain, Alma, 322 p., 19 €.
Il était encore une fois en Amérique
Le romancier américain T. C. Boyle incarne la violence de son pays à travers trois personnages, marqués par l’aliénation et la culpabilité
frédéric potet
I
l n’est pas fréquent de lire
en exergue d’un ouvrage
une citation qui résume celui-ci aussi parfaitement :
« L’âme américaine est dure, solitaire, stoïque : c’est une tueuse.
Elle n’a pas encore été délayée. »
On pourrait quasiment arrêter là
la lecture des Vrais Durs, le nouveau roman de T. C. Boyle, tant
cette phrase de D. H. Lawrence,
tirée des Etudes sur la littérature
classique américaine, annonce
avec précision le propos de l’écrivain californien âgé de 67 ans :
plonger dans les racines de la
violence, érigée comme principe
fondateur des Etats-Unis. Fidèle
à son savoir-faire mêlant action
et sujets de société (l’écologie,
l’immigration…), T. C. Boyle a
choisi d’incarner cette thématique à travers trois personnages
qui représentent trois visages
des aliénations de l’Amérique
d’aujourd’hui.
Le premier « vrai dur » s’appelle
Sten, il a 70 ans, est retraité de l’enseignement et a combattu au
Vietnam dans sa jeunesse. Le roman s’ouvre avec le récit d’un
voyage d’agrément au Costa Rica
où, confronté à l’attaque d’un
gang armé, il sauve un groupe de
touristes en étranglant mortellement l’un des assaillants. De retour en Californie, l’ancien marine est hissé au rang de héros, ce
qui ne va pas sans le perturber.
« Du jour au lendemain, il était devenu une célébrité, son histoire
puisait dans quelque profond recoin régressif de la psyché américaine (…) On le célébrait non pour
une quelconque vertu mais pour
un acte de violence qui le tourmentait chaque fois qu’il fermait les
yeux. »
Mais une autre culpabilité hante
le retraité : a-t-il été un bon père
avec son fils
Adam,
les vrais durs
25 ans, dont
(The Harder
les frasques
They Come),
répétées n’en
T. C. Boyle,
finissent pas
traduit
de l’inquiéde l’anglais
ter ? Un autre
(Etats-Unis)
« dur » que
par Bernard
cet Adam,
Turle, Grasset,
ex-camé, ex448 p., 22 €.
geek,
examateur de rap et de death metal,
ex-rasta à dreadlocks ayant rasé
son crâne pour se donner un look
militaire. Quand il ne dort pas
dans la maison de sa défunte
grand-mère, Adam vit dans les
bois environnants où il s’est construit un « bunker ». Atteint de démence paranoïaque, persuadé
d’être la réincarnation de John
Colter, un célèbre trappeur qui
s’illustra au tournant du XIXe siècle, le jeune marginal voit des
« hostiles » et des « aliens » partout.
Un fusil d’assaut semi-automatique de fabrication chinoise ne
quitte jamais son sac à dos.
Repli sur soi
Les vertiges de l’amour et du
sexe l’arracheront-ils au destin
de serial killer auquel T. C. Boyle
semble le destiner chapitre après
chapitre ? C’est là qu’intervient le
troisième personnage : Sara, une
femme divorcée sans enfant, de
quinze ans plus âgée, vivant
seule avec son chien et ayant en
haine tout ce qui représente
l’Etat fédéral : ses lois, ses flics,
son administration… Anarcho-libertaire sans le savoir, Sara a mis
le grappin sur Adam. Ces deux-là
se neutralisent, mais pour combien de temps ?
Adoptant le point de vue de chacun de ses personnages à tour de
rôle, T. C. Boyle pénètre au plus
profond de leurs angoisses et de
leurs contradictions. Tous souffrent de la même incapacité à
comprendre l’autre et à maîtriser
leurs propres instincts. Sten le
premier, lorsque, hésitant à pourchasser en voiture des Mexicains
qu’il soupçonne de trafic de drogue, il se décide à y aller : « On
était en Amérique, sur son terrain,
c’est là qu’il était né et avait grandi,
pas un trou du cul du monde dans
la jungle Dieu sait où. »
Tenu en haleine par des scènes
d’action d’anthologie (notamment la course-poursuite d’Indiens Pieds-Noirs assoiffés de
sang aux basques de John Colter
au cours d’une évocation de la vie
mouvementée du trappeur), le lecteur voit se dessiner le portrait
d’une Amérique tentée par l’autodéfense individuelle et le repli sur
soi. Une Amérique sûre de son
fait, qui n’est pas sans rappeler
celle dont Donald Trump flatte les
pulsions dans sa campagne pour
les primaires républicaines. Et que
T. C. Boyle parvient à capter, en
grand écrivain du réel qu’il est. p
6 | Histoire d’un livre
0123
Vendredi 15 avril 2016
De mère en fille
SANS OUBLIER
Afin de poursuivre sa chronique familiale tragique, l’auteure belge
Isabelle Spaak a enquêté en journaliste et écrit « Une allure folle » en romancière
xavier houssin
Q
uand on a touché le
fond, on peut toujours
creuser. » L’ironie désabusée de ce proverbe
(polonais, paraît-il) correspond bien à Isabelle Spaak. Et à
son travail d’écriture. A cette manière de fouiller dans les souvenirs, toujours plus profond. De remuer une histoire familiale dont
elle ne se serait peut-être jamais
préoccupée si, un samedi de
juillet 1981, sa jeunesse n’avait été
fracassée. Ce matin-là, à Bruxelles,
sa mère, dévorée de jalousie, abattait son père d’un coup de fusil de
chasse, avant de se donner la mort
en s’électrocutant dans la baignoire avec un fer à repasser. Le
fait divers, tragique, avait d’autant
plus bouleversé la Belgique que la
victime, Fernand Spaak, diplomate, était le chef de cabinet de
Gaston Thorn, le président de la
Commission européenne, et le
fils de Paul-Henri Spaak, grand
homme d’Etat belge, considéré
comme un des pères de l’Europe.
Isabelle avait 20 ans.
« Quel étrange fardeau que de
porter les actes de sa mère », écrirat-elle vingt ans plus tard, justement, dans un premier livre au titre un rien insolent Ça ne se fait
pas (Les Equateurs, 2004). Elle y
reprenait les événements de ce
lointain été, partait à rebroussetemps, s’arrêtait sur un moment,
un sentiment. Le passé s’invitait
au présent. Et ces allers-retours,
insensiblement, emportaient son
récit vers le roman vrai. Peut-être
Dans ce nouveau roman,
chaque fait énoncé
est véritable, les noms
le sont aussi, pourtant
les protagonistes
et leur destin s’évadent
de la seule exactitude
déjà parce que la réalité de son
aventure personnelle ressemblait
à une folle fiction, mais aussi que
le temps lui offrait enfin un peu
de mise à distance et la laissait libre d’une certaine invention.
Deux ans après, elle publiait Pas
du tout mon genre (Les Equateurs,
2006), où elle déroulait la comédie douce-amère de ses amours,
mêlée à ses émotions et à ses découvertes retrouvées d’enfant.
Broderie secrète. Lèvres cousues.
« Je ne pensais pas y retourner, ditelle. Tout cela était clos pour moi. Je
m’étais entièrement consacrée à
mon métier de journaliste. J’avais
bouclé un livre-enquête sur les pri-
En 2017 paraîtra le deuxième opus
de la grande saga du XXe siècle
commencée par Pierre Lemaitre avec
Au revoir là-haut, prix Goncourt 2013.
Peut-être pour faire patienter ses
admirateurs – ce roman, bientôt
adapté au cinéma, s’est, en effet,
vendu à 600 000 exemplaires –,
l’écrivain publie Trois jours et une vie,
une manière de thriller dans un
village de campagne. L’histoire
d’Antoine, 12 ans, qui tue d’un violent
coup de bâton son ami et voisin âgé
de 6 ans et enterre son corps en forêt.
Un coup de sang aux effets dévastateurs produisant chez son auteur des
remords tenaces. Le crime demeurera
impuni et la disparition du garçonnet, inexpliquée. Disons-le, au-delà
de la chronique réussie d’une communauté, ce roman déçoit quelque
peu par son classicisme et son style,
un brin grandiloquent. Celui-ci souligne les émotions, à
grand renfort d’épithètes, plutôt que de
s’employer à les faire
ressentir. Pas déplaisant, pas capital non
plus. p macha séry
a Trois jours
et une vie, de Pierre
Lemaitre, Albin Michel,
284 p., 19,80 €.
Un grand bol d’air
Isabelle Spaak. ÉRIC DESSONS/ « JDD »/SIPA
maires socialistes de 2011 [Militants,
Stock]. Je ne voulais plus écrire. J’avais
très mal vécu ces parutions, entendu
des choses terribles de la part de gens
qui m’étaient proches. Je n’avais pas
compris, parce que, pour moi, ces livres s’inscrivaient dans une démarche d’apaisement et, surtout, je considérais qu’il s’agissait de romans avec
des personnages. »
Elle revient pourtant aujourd’hui
à cette « biofiction » construite en
associations, en réminiscences.
Nouveau chapitre de sa chronique
familiale enchevêtrée, Une allure
folle s’attache à la personnalité de sa
grand-mère maternelle, Mathilde.
Une « cocotte », comme on disait à
l’époque, qui, après avoir collectionné les amants fortunés, avait attaché son destin à un millionnaire
italien, Armando Farina. Avec lui,
elle avait eu une fille, Annie, qu’elle
allait élever dans le luxe, mais également dans la solitude et le silence de
ses origines, car Armando était marié. Se raconte ainsi l’enfance particulière et la jeunesse de la mère
d’Isabelle Spaak, pauvre petite fille
riche, que la mauvaise réputation va
éclabousser à l’adolescence.
« Ce dernier livre a été porté par
une urgence absolue. La grande
maison à la campagne où se trouvaient presque tous les souvenirs
de Mathilde et d’Armando, et ceux
de ma mère, allait être mise en
vente. Je ne pouvais pas laisser disparaître cela. » La journaliste met
EXTRAIT
« Maman a seize ans. Elle est trop futile, trop libre. Elle ne devrait pas
accepter d’aller boire un verre avec n’importe qui, surtout avec
un Monsieur de deux fois son âge. Maman boit du vin rouge et du
cognac. Elle est pompette, dévore un demi-homard en tête à tête avec
l’animal dans la cuisine carrelée de blanc. Maman a repris ses gammes.
Elle annote de ses petits doigts agiles un poème de Verlaine mis
en musique par Debussy. Maman échoue à ses examens. Elle promet
de s’inscrire en philo, bûche Platon et Aristote. Elle révise son allemand
avec un professeur qui met tant de rouge à lèvres qu’elle ressemble
à un polichinelle. Elle parle couramment l’anglais et l’italien, fréquente
des dandies, danse et rit. Maman aime le foin dans ses cheveux
et l’odeur de la pluie sur son manteau de fourrure. »
une allure folle, page 117
alors au jour toute une masse
d’archives. Elle épluche les lettres,
scrute les photos, ouvre les agendas, découvre intacts, sous le papier de soie, le col en renard argenté de Mathilde, ses tenues brodées de strass et de sequins. La
layette d’Annie, ses habits d’écolière. Dans une hâte et une émotion fébriles, elle progresse dans
la friche des années. « J’ai retrouvé
les lieux, le décor de leur histoire. »
Une affaire de susception. Un patient travail d’investigation. Mené
pas à pas. Les pas dans les pas.
« J’ai besoin d’enquêter. Cela correspond à ma façon d’écrire. Mais
l’enquête romanesque est faussée.
L’aventure de femmes libres et décidées
L’ÉLECTROPHONE
beugle Rain and
Tears, le tube des
Aphrodite’s Child.
Dans son petit appartement de l’avenue Louise à Bruxelles, Mathilde écoute
Demis Roussos en suçotant des pastilles Vichy. C’est une fan. Nous sommes en 1970 et c’est maintenant une
vieille dame. Une vieille dame indigne, car on ne se refait pas. Dans la
bien-pensante capitale belge du début
du XXe siècle, elle avait mené la vie
faste et fort peu convenable d’une demi-mondaine que ses amants richissimes couvraient de cadeaux. Puis
elle s’était rangée, en quelque sorte,
devenant la maîtresse exclusive d’un
Crime sans châtiment
bel Italien (cousu d’or, bien sûr). Isabelle
Spaak est partie à la recherche du destin tapageur de sa grand-mère et du
couple fusionnel et tourmenté qu’elle
formait avec sa fille, Annie, fruit de ses
amours avec son adorateur transalpin.
Lourd secret
On mène grand train. Elégantes demeures, automobiles de luxe, croisières, palaces. Et, pour Annie, éducation
raffinée, car Armando Farina veut le
meilleur pour sa fille. Seule ombre au
tableau, qui ne cessera de s’étendre, sa
naissance illégitime. Un lourd secret
caché dans la désinvolture des jours et
qui empoisonnera toute l’existence
d’Annie. En attendant de lointains dénouements dont on sait qu’ils seront
tragiques, chacun joue son rôle. Dans le
théâtre de son histoire familiale,
Isabelle Spaak s’implique aussi. C’est
son regard qui emporte cette aventure
de femmes, de courage, d’élégance.
Avec Mathilde, qui tient la dragée haute
à toute une bonne société bruxelloise
qui la jalouse et la déteste. Avec Annie,
qui ne fait ni une ni deux pour précipiter sa jeunesse dans la Résistance. Avec
leur façon à toutes deux de faire des
choix. D’être libres et décidées. Dans
Une allure folle, on passe du cocasse
au douloureux, de la désinvolture
à l’inquiétude. Le livre est touchant
à l’extrême. Petit roman des origines,
fidèle, sincère et inventé. p x. h.
une allure folle,
d’Isabelle Spaak,
Les Equateurs, 220 p., 17 €.
Je m’efforce au fur et à mesure de
reconstituer un puzzle, sachant
que je me fais quand même une
idée de ce à quoi je voudrais qu’il
ressemble. Est-ce que, finalement,
je ne trouve pas ce que j’ai envie de
trouver ? » Sauf que la réalité quelquefois bouscule l’édifice narratif.
Comme ce courrier reçu d’Israël
qui annonce que sa mère va être
honorée à titre posthume du titre
de Juste pour avoir caché des enfants juifs pendant l’Occupation.
« Qu’avait fait maman précisément ? Je savais qu’elle s’était engagée dans la Résistance. Mais c’était
très vague, nous n’en avions jamais parlé. »
Dans Une allure folle, chaque
fait énoncé est véritable, les
noms le sont aussi, pourtant les
protagonistes et leur destin s’évadent de la seule exactitude. « Je
dois cette approche à Pierre Mertens. Il m’a montré que l’on peut
écrire un roman avec des personnages réels en les appelant par
leur nom. Ses livres où tout était
vrai étaient bien plus des romans
pour moi que les autres. Moi qui,
enfant, me réfugiais dans la lecture et qui croyais que la fiction
était la vie, j’ai réalisé que c’était la
vie qui était de la fiction. »
Compte-t-elle continuer à creuser ? « Je fouille dans le passé, mais
j’aime mon présent. Mes enfants,
ma petite-fille. Tous ces personnages romanesques de ma famille
sont morts. Je leur ai rendu peutêtre de la dignité. De la légèreté, de
la fantaisie aussi. Après… heureusement qu’il ne reste plus rien. » p
« Les mots appartiennent à l’homme
qui marche », écrit René Frégni,
flâneur invétéré arpentant les alentours de Manosque sur les traces
estompées de Giono. Ce récit tramé
d’anecdotes est porté par le formidable bol d’air qui l’ouvre : le tribunal a
relaxé Frégni après « dix ans de harcèlement, d’humiliations, d’interrogatoires, de perquisitions », à la suite d’une
affaire de blanchiment à laquelle
il était malencontreusement mêlé
et qu’il a racontée dans Tu tomberas
avec la nuit (Gallimard, 2008).
L’auteur goûte la vie à pleines phrases, avançant d’un bon pas, jonglant
avec les souvenirs à écrire, sans dédaigner les plaisirs éphémères : les silences d’une femme aimée, les odeurs de
l’automne… On le suit sans effort, et
l’on respire, au rythme de rencontres
pleines d’empathie avec des marginaux de tout poil ; on lira ainsi un
beau portrait de Joël Gattefossé, le
créateur de la mythique librairie de Banon,
Le Bleuet : un homme
volant de ses propres
rêves qu’ont terrassé
les créanciers. p
bertrand leclair
a Je me souviens
de tous vos rêves,
de René Frégni, Gallimard,
150 p., 14 €.
Dossier rouge
Plus de vingt-cinq ans après La Chanteuse russe (1988, Gaïa, 1999), Leif
Davidsen revient à ses amours
soviétiques. Ce pseudo-thriller se déroule moitié dans le présent, moitié
dans les années 1970, en pleine torpeur brejnévienne. Le héros, M. Météo de la télévision danoise, devenu
enquêteur malgré lui, cherche à élucider le meurtre de son frère, proche
du patriarche russe, ainsi que la mort
de celui-ci à Moscou. On assiste à la
lente progression de l’enquête et surtout on découvre que, malgré la rupture constituée par la désagrégation
de l’URSS, les vraies causes de la situation actuelle se trouvent dans un
passé plus lointain, et que les anciennes forces sont toujours à l’œuvre…
Une peinture sans complaisance
des ceux qui se déchirent pour se répartir le « gâteau-Russie », des deux côtés
de l’ancien rideau
de fer. p elena
balzamo
a La Mort accidentelle
du patriarche (Patriarkens
hændelige død), de Leif
Davidsen, traduit du danois
par Monique Christiansen,
Gaïa, 508 p., 24 €.
Critiques | Essais | 7
0123
Vendredi 15 avril 2016
La table
de Peutinger
(XIIIe siècle).
DEA/R. BAZZANO/DE
SANS OUBLIER
AGOSTINI/GETTY IMAGES
Un « pacifiste actif »
Parce qu’il ne porte pas une
auréole de « radicalité », Norberto
Bobbio (1910-2004) est moins
connu en France que d’autres
philosophes italiens, tel Giorgio
Agamben. Il s’agit pourtant d’un
des intellectuels européens majeurs du XXe siècle. Venu de l’antifascisme, protagoniste d’une gauche non communiste, Bobbio a accordé dans son œuvre protéiforme
une place centrale aux relations
internationales. Comme le montre
cette excellente étude, son apport
y reste éclairant, même s’il s’inscrit
dans le contexte de la guerre
froide. Marqué par les carnages
de deux guerres mondiales et
l’avènement de l’âge atomique,
il considère que la philosophie
des relations internationales est
à repenser face au risque d’une
autodestruction de l’humanité.
Aussi refuse-t-il la théorie dite
« réaliste » de l’équilibre de la terreur. Partisan d’un « pacifisme actif », il prône une sortie de l’état
de nature entre Etats-nations, par
la construction d’un « super-Etat »
fédéral mondial. Ce projet suppose
une philosophie de l’histoire, inspirée de Kant, fondée sur les progrès de la liberté, de l’égalité et des
droits de l’homme. p serge audier
étienne anheim
S
i les récents débats à propos de la dénomination
des nouvelles régions
françaises ont bien mis en
valeur le caractère arbitraire de la
loi de 2015, il faut mesurer la profondeur de la mutation spatiale
dont elle participe, même avec
maladresse. Le fameux « millefeuille administratif français »,
souvent dénoncé, est le résultat
non seulement d’une géographie
historique, mais aussi d’une historicité de la perception et des
pratiques de l’espace. Cette question, longtemps restée un angle
mort de la recherche des historiens, est justement mise au centre du nouveau livre du médiéviste Florian Mazel. Il montre à la
fois comment le rapport des sociétés médiévales à l’espace diffère profondément du nôtre et
comment ce dernier en est tout
de même le fruit paradoxal.
Consacré à la figure de l’évêque
et à son territoire, le diocèse, il
s’inscrit dans une chronologie
longue, du Ve au XIIIe siècle.
L’échelle
d’analyse
varie,
l’ouvrage tentant de saisir l’évolution globale de l’Europe occidentale tout en étudiant plus
précisément deux ensembles régionaux, la Provence et la région
de l’Anjou et du Maine. Il débute
avec la conversion au christianisme du monde romain, lorsque les évêques prennent en
main le réseau urbain issu de la
romanité. La civitas devient le
lieu d’exercice du pouvoir épiscopal, ce qui a créé un malentendu historiographique de longue durée, laissant penser que
l’Eglise se substituait à la puissance publique antique et reprenait à son compte l’administration territoriale organisée autour
des cités. Florian Mazel montre
qu’il n’en est rien.
Un nouveau rapport de la société à l’espace se construit sur
les décombres de l’Empire romain, alors que l’Eglise abandonne le cadre fiscal propre à l’espace antique. Entre le Ve et le
Xe siècle, le pouvoir de l’évêque
ne s’exerce pas sur un « territoire » continu, homogène et délimité, mais sur un assemblage
de lieux, de personnes et de reliques. Puis, au tournant des XIe et
XIIe siècles, avec la réforme dite
« grégorienne », l’Eglise, qui commence à se penser comme une
administration centralisée, se
transforme profondément. Elle
Au cœur du Moyen Age, l’Eglise invente une nouvelle forme
de souveraineté, fondée sur l’emprise spatiale des fidèles.
Elle inspirera durablement les Etats monarchiques
La charte et le territoire
donne alors naissance à une organisation spatiale en des circonscriptions territoriales emboîtées les unes dans les autres.
Le diocèse, comme la paroisse,
qui étaient d’abord des communautés, deviennent des territoires au sens moderne, c’est-à-dire
Cette histoire
des diocèses
médiévaux
dévoile
la généalogie
de nos passions
contemporaines
pour les frontières
et les identités
des espaces sur lesquels se projette une institution, selon la définition de Max Weber.
Ce façonnage, dont Florian
Mazel reconstitue le processus
avec une netteté admirable, est un
phénomène majeur dans l’histoire de l’Europe au Moyen Age.
L’essor du pouvoir juridictionnel
de l’Eglise, le développement des
pratiques de délimitation et de
subdivision du territoire, l’usage
d’écritures administratives et la
naissance d’une mémoire locale
qui s’invente une emprise spatiale
contribuent à la genèse de cette
institution imaginaire qu’est le
diocèse. La fiscalité – en particulier
la dîme – et la justice constituent
des leviers puissants de l’action ecclésiale, qui préfigure celle des
Etats monarchiques et seigneuriaux de la fin du Moyen Age en
modelant les communautés à
l’échelle locale.
Le diocèse se révèle être ainsi,
comme le cimetière et l’église, récemment étudiés par Michel
Lauwers et Dominique IognaPrat, l’un des lieux de l’écriture
d’une nouvelle histoire de
l’Eglise médiévale qui n’a plus
rien de « religieux », au sens que
le terme a pris depuis le
XVIIIe siècle, mais concerne l’ensemble de l’ordre social. Parvenue à maturité, cette historiographie propose désormais une relecture globale du Moyen Age par
une nouvelle périodisation, dont
la ligne de partage est l’événement central de la réforme grégorienne.
Elle pose aussi de nouvelles
questions, comme celle de la
place des laïcs et de leurs institutions territoriales
dans ce récit. Elle of- l’évêque
fre, enfin, une pers- et le territoire.
pective de longue l’invention
durée sur les rap- médiévale
ports entre espace et de l’espace
société. Les formes (ve-xiiie siècle),
étatiques de l’Europe de Florian Mazel,
moderne reposent Seuil, « L’univers
sur l’articulation en- historique »,
tre une commu- 544 p., 27 €.
nauté et un territoire. Ce qui nous paraît
aujourd’hui naturel se révèle en
réalité une construction, née en
partie de ces diocèses médiévaux
et, plus largement, de l’espace ecclésial. Se dévoile ainsi la généalogie de nos passions contemporaines pour les frontières et les
identités, qu’il s’agisse de réforme territoriale ou d’union
européenne : c’est une belle leçon
d’histoire et de géographie. p
a Norberto Bobbio et la question
internationale, par Jean-Baptiste
Le Bohec, Presses universitaires de Rennes,
402 p., 22 €.
Précis d’humanisme
« Se désenvoûter du savoir, se désenvoûter du besoin et se présenter nu :
c’est également cela que nous enseigne la philosophie. » Pareille volonté
de réfléchir sans artifice préside
à ce livre bref et dépouillé, dont
l’apparente simplicité ne doit pas
masquer l’acuité. Valérie Charolles
plaide pour une prise en compte renouvelée des passions, dans la pensée comme dans l’éthique, en distinguant passions désormais libérées (amour, sexualité), récemment
apparues (consommation, par
exemple), en mutation (tel l’honneur). Elle confronte ces affects aux
acquis récents, souvent mal compris, des sciences cognitives et s’oppose à leur « réductionnisme ». Le
parcours débouche sur cinq « règles
pour la direction de la vie », qui impliquent un « désenchantement
du politique » et l’élaboration d’un
« nouvel humanisme ». Souvent bien
vu et finement formulé, ce manifeste pâtit de la disparité entre l’ampleur de son propos
et la concision de
ses analyses. p
roger-pol droit
a Les Qualités
de l’homme.
Manifeste, de Valérie
Charolles, Fayard,
160 p., 15 €.
Les historiens aux trousses de la police
Un ouvrage collectif éclaire l’histoire, la sociologie, la formation et les méthodes des forces de l’ordre depuis la Révolution
pierre karila-cohen
B
ien avant que les Français se
mettent à embrasser des policiers dans la rue dans l’émotion
consécutive aux attentats de
janvier 2015, les historiens ont saisi les
forces de l’ordre comme objet d’étude au
point qu’il s’agit actuellement de l’un
des champs historiographiques les plus
dynamiques en France et même en Europe. On revient pourtant de loin : jusqu’à la fin des années 1990, à l’exception
de rares études pionnières comme celles de Jean-Marc Berlière, la police et la
gendarmerie suscitaient au mieux l’indifférence et constituaient bien souvent
aux yeux des universitaires des objets
« sales » associés à l’idée d’une répression sans visage et d’une éternelle violence d’État.
Depuis, les études d’histoire sociale et
culturelle des forces de l’ordre se sont
multipliées, produisant à propos d’un
temps long qui démarre au minimum au
XVIIIe siècle de très nombreuses connaissances sur la sociologie des professionnel (le)s de police, leurs pratiques, leurs
relations aux populations et leurs représentations, aussi bien en Europe
qu’ailleurs dans le monde et notamment
dans les colonies, une des sous-branches
les plus en vogue actuellement de cette
féconde historiographie. L’ouvrage que
dirigent Jean-Noël Luc et Arnaud-Dominique Houte sur les gendarmeries dans
le monde de la Révolution à nos jours
constitue l’une des illustrations de ce
tournant policier de l’historiographie
française, si l’on peut dire. Il se place surtout dans la continuité de deux autres
ouvrages, parus aux Presses de l’université Paris-Sorbonne en 2002 (Gendarmerie, Etat et société au XIXe siècle) et en
2009 (Soldats de la loi. La Gendarmerie au
XXe siècle), sous la direction du seul JeanNoël Luc, infatigable maître d’œuvre depuis une quinzaine d’années des premières études véritablement scientifiques
sur l’histoire de la gendarmerie.
Un métier pluriel
Dans le monde très divers des polices,
où se côtoient depuis plus de trois siècles
amateurs et professionnels, hauts fonctionnaires et petites mains, la gendarmerie, force de statut militaire mais aux missions essentiellement civiles en temps de
paix, occupe une place originale. Voici
que l’on doit en outre désormais évoquer
les gendarmeries au pluriel, puisqu’elles
sont présentes dans une centaine de
pays : cet ouvrage collectif, encore une
fois pionnier, nous transporte du Mexi-
que à la Syrie, du Cameroun au Brésil, de
l’Iran à la Belgique, et bien d’autres pays
encore, en couvrant un large spectre
chronologique, énoncé dans le titre, de la
fin du XVIIIe siècle à nos jours. A travers
ces études, il est essentiellement question
de la construction des Etats-nations, aussi
bien en Europe au XIXe siècle que dans les
jeunes nations décolonisées de la seconde moitié du XXe siècle qui récupèrent
l’une des structures de l’ordre du colonisateur. Il est largement question de circulations internationales de « modèles » de
gendarmerie, dans laquelle la France joue
depuis deux siècles un rôle central, même
si, scène improbable, ce sont des instructeurs danois qui formèrent les premiers
gendarmes du Siam (l’actuelle Thaïlande),
à la fin du XIXe siècle.
Mais on croise aussi des déserteurs, des
braconniers et des voleurs, et l’on voit la
gendarmerie tantôt épouser l’ordre démocratique, tantôt devenir la milice pré-
torienne de grands propriétaires terriens
évinçant les paysans les plus pauvres.
Pluriel dans chaque cadre national, le métier de gendarme qu’Arnaud-Dominique
Houte avait étudié dans le cas de la France
du XIXe siècle apparaît également bien divers à l’échelle internationale. Les gendarmes qui vous surveillent au bord des routes ont une histoire, assurément, et cet
ouvrage peut déjà être rangé parmi les
études de référence sur le sujet. p
les gendarmeries dans le monde
de la révolution française
à nos jours,
dirigé par Arnaud-Dominique Houte
et Jean-Noël Luc,
Presses de l’université Paris-Sorbonne,
414 p., 28 €.
Signalons aussi la parution en poche
de La Police des mœurs, de Jean-Marc
Berlière, Perrin, « Tempus », 288 p., 8,50 €.
8 | Chroniques
0123
Vendredi 15 avril 2016
Impostures
ON REPREND
PIERRE MICHON
écrivain
sans goût, ni bien ni mal écrite, même pas
écrite du tout, désécrite, rédigée plutôt » ?
Par inculture ou par lâcheté, le romancier
renonce désormais à se confronter aux
grands textes classiques, il prétend faire
table rase et tout réinventer : d’abord,
donc, l’eau tiède et le lieu commun. La littérature, nous dit l’auteur, « s’est moins
proustisée que célinisée » (ces malencontreux néologismes, attention, pourraient
lui donner raison à ses dépens), l’oralité,
le lâcher-prise émotif ont pris l’avantage
sur une écriture travaillée par la mémoire
et le génie de la langue qui offrait « une vision du monde par sa forme ».
C’est aussi que le roman ne croit plus
en sa propre force de pénétration et se
contente souvent d’enregistrer les histoires que la vie nous raconte, comme en
LE FEUILLETON
D’ÉRIC CHEVILLARD
écrivain
POUR RÉGLER les litiges,
veiller à la bonne application du code de déontologie, sanctionner les
contrevenants et éliminer les brebis galeuses,
les médecins ont leur conseil de l’ordre,
les avocats le barreau, la plupart des
corps de métier s’en remettent ainsi à des
instances créées en leur sein pour garantir la qualité des services, mais les littérateurs ? Quelle sourcilleuse délégation
d’écrivains se chargera de rappeler à l’ordre le confrère plagiaire, de mettre à
l’amende le gâcheur de papier, d’exclure
le faiseur mercantile et d’interdire de
tout exercice scriptural et autres activités
manuscrites afférentes les innombrables
barbouilleurs d’inepties, les abrutisseurs
de masses et les cyniques crapules qui
nous enjôlent avec leur sourire télégénique et nous vendent cette pâte dentifrice
pour de la littérature ? Un tel organe de
régulation interne reste à inventer.
Quelquefois, pourtant, un écrivain sort
des rangs et livre son analyse de la situation. Il convient avant tout de saluer son
courage. Car il s’avance seul en terrain
découvert, s’exposant aux représailles et
aux vindictes. Il adopte de surcroît la
posture du juge et assume ce faisant le
risque de passer pour un cuistre arrogant, amer et jaloux. On connaît la rengaine, elle nous endort plus vite qu’une
berceuse. Philippe Vilain ne manque
donc pas de cran, qui publie aujourd’hui
La Littérature sans idéal, un état des lieux
du roman alliant la rigueur de l’essai à la
vigueur du pamphlet.
Cependant, pour se couvrir peut-être
malgré tout, Philippe Vilain cite peu de
noms et presque toujours alors au sein
d’énumérations où ils se dissolvent. On
peut le regretter, car si nous voyons bien
l’arme, la cible se dérobe parfois. Cette réserve faite, nous ferons profit des analyses sagaces et solidement argumentées
de l’auteur, lequel a d’ailleurs l’honnêteté de porter aussi son regard critique
sur les limites de l’autofiction, genre
dont il est l’un des représentants.
Très vite, Philippe Vilain veille à prendre ses distances avec ce « pessimisme
antimoderne » qui anime la plupart des
contempteurs de la littérature contemporaine. Difficile de lui donner tort,
pourtant, quand il déplore, d’une part, le
discrédit touchant la notion de style et,
d’autre part, la soumission du roman à
l’ordre du réel au détriment d’une expérience de conscience plus radicale,
Philippe Vilain ne
manque pas de cran,
qui publie un état des
lieux alliant la rigueur
de l’essai à la vigueur
du pamphlet
JEAN-FRANÇOIS MARTIN
poétique, abrupte, désaliénante, laquelle,
pour être un effet d’art, n’en puise pas
moins dans les forces vives de la langue.
Le style, d’abord, défini ici comme la
« forme d’expression accomplie qui permet
la synthèse de la maîtrise technique et de
l’expression d’une personnalité », doit être,
selon Philippe Vilain, l’idéal de la littérature, son « aspiration immanente ». Or à
quoi assistons-nous, en dépit de quelques
contre-exemples (notre propre liste ne recouperait pas exactement celle de
l’auteur, mais qu’importe), sinon au « bavardage d’une littérature sans nécessité,
la littérature
sans idéal,
de Philippe Vilain,
Grasset, 162 p., 16 €.
témoigne le succès de l’autofiction et de
la biofiction. Dans la première, Philippe
Vilain voit une « selfication des esprits »
typique de notre « époque narcissique ».
La biofiction, quant à elle, finit par ressembler à « une pige de magazine people », demeure soumise comme le docufiction aux « discours périphériques » et
semble naître moins d’un impérieux besoin d’écrire que des injonctions, non
moins fermes il est vrai, de la paresse et
de la vénalité. La rapidité avec laquelle
les romanciers fondent sur les faits divers (les vautours devancés n’auront
plus rien à becqueter) est édifiante. Voici
« une matrice revisitable où chaque
auteur peut faire un reportage de circonstance », avec « des héros prêts à l’emploi,
déjà écrits par la vie ».
Puis il faut satisfaire le lecteur avide de
divertissement et de romans qui le bercent comme des feuilletons télévisés.
Philippe Vilain n’hésite pas à secouer ce
dernier. Si les écrivains lui servent de la
soupe, c’est aussi parce qu’il leur tend
son bol. Ce qu’il veut, « ce n’est pas
connaître, mais reconnaître ». Un livre intéressant n’est-il pas pourtant celui qui
suscite d’abord le désarroi ? C’est une météorite qui ne trouvera sa place dans le
monde qu’en y faisant son trou : un cratère. Mais cet écrivain fauteur de troubles, plus personne ne veut de lui, aussi
disparaît-il dans les marges. Il délaisse le
roman pour des écritures moins assujetties au système marchand. Il abandonne
la place aux imposteurs. p
Oncle Picsou rencontre Sénèque
FIGURES LIBRES
ROGER-POL DROIT
L’ARGENT est bien
plus que la monnaie. Celle-ci mobilise les économistes, analysant
ses fluctuations,
son statut, ses ajustements techniques. L’argent, au contraire, concerne tout le monde, engage une
multitude de registres. Chacun
l’aime, le déteste, ou prétend le détester. Chacun, surtout, le juge, raisonne et déraisonne à son sujet.
C’est donc une notion superbement hybride, à la fois omniprésente et opaque, combinant affects et calculs, imaginaire collectif et choix personnels, jugements
moraux et pragmatisme. On lui
attribue tous les pouvoirs, de manière souvent excessive. On le
rend responsable de tous les
maux, de façon fréquemment dé-
mesurée. Au lieu de dire, à son propos, tout et son contraire, mieux
vaudrait porter un regard équilibré sur ses pièges et ses bienfaits.
Tel est le projet de Pascal
Bruckner dans son nouvel essai,
La Sagesse de l’argent, titre volontairement provocateur. Car,
en un temps où domine la dénonciation continue des dérives et
la sagesse de l’argent,
délires du système
de Pascal Bruckner,
financier mondial,
Grasset, 320 p., 20 €.
il faut vouloir être
à contre-courant pour rappeler
que l’argent n’est pas forcément
sale, et qu’il peut même être
sage, sécurisant et avisé.
Brave canard bling-bling
Il est vrai que l’essayiste s’est fait
une spécialité des contre-pieds,
en combattant par exemple les effets pervers de la culpabilité occidentale (Les Sanglots de l’homme
blanc, Seuil, 1983) ou ceux de l’obsession du bonheur (L’Euphorie
perpétuelle, Grasset, 2000). Malgré tout, en plein raz-de-marée
des « Panama papers », il peut
sembler culotté de lancer une
bouée de secours à Oncle Picsou.
Ce n’est pas exactement le projet
de Bruckner. Si Oncle Picsou lui est
plutôt sympathique, c’est au contraire parce qu’il ne dissimule rien
et jouit, sans vergogne ni paravent,
de sa piscine de gros sous, en brave
canard bling-bling et candide. En
fait, il s’agirait – je construis ce raccourci pour faire image – de faire
se rencontrer Oncle Picsou et Sénèque. Le stoïcien envisageait en
effet que le philosophe puisse être
riche, à condition qu’il ne soit pas
attaché à sa fortune. Il faut donc
comprendre comment l’argent
contient, mais aussi exige, une
forme de sagesse pratique. Elaborer une théorie, une « philosophie
de l’argent », dans le sillage ouvert
en 1900 par le livre de Georg
Simmel, n’est pas le but.
Le parcours proposé, cultivé et
plaisant, d’Aristophane à nos jours,
n’ignore rien des conceptions de
l’argent de Platon, d’Aristote ou de
Bossuet. Il revisite les approches
opposées des catholiques et des
protestants, confronte Voltaire et
Rousseau, compare franchise
américaine et duplicité française.
Il débouche sur des évidences que
l’air du temps a oubliées : être riche n’est pas un certificat d’immoralité, être pauvre n’est pas une garantie de vertueux mérite. La sagesse se tiendrait alors dans le bon
usage de l’argent, fait de juste distance et de régulation bien tempérée. Pascal Bruckner peut donc
jouer sur deux tableaux. Aux grincheux, ascètes envieux, contempteurs de toute aisance matérielle et
de tout appât du gain, il rappelle
que l’appétit de lucre est sain et
qu’avoir un peu de bien ne fait pas
de mal. Aux goinfres insatiables et
truqueurs, il oppose un retour aux
fondamentaux du capitalisme : investissements productifs, bel
ouvrage, articulation de la réussite
et du bien commun. Admettons
qu’il y ait là du simple bon sens.
Reste à savoir s’il est efficace
quand l’argent, mondialement,
est devenu fou. p
Simple comme
un piège
C’EST À VÉRONE, dans la
perfide Italie de Machiavel et du pape. En été.
Il y a une alouette le jour
et un rossignol la nuit ;
des bals, des mises en
terre ; des épées prestes
aux mains de jeunes emportés, car la
noblesse est excès ; le ciel, ici bas, sous
forme d’une toute jeune fille ; l’immensité de nos désirs et la nullité de nos
moyens ; et tout le branle-bas de l’imagerie du monde, saisons, étoiles et lunes,
leur diversité sans fin dans le même :
on les surcharge de sens, mais elles
ne signifient rien. Une précipitation
des hommes, des actes, des hasards.
Une grande hâte à aller au pire. Pour
l’histoire, tout le monde la connaît.
C’est dans Shakespeare, qui a pour tâche
de divertir le peuple et la reine.
« Le jour est-il si jeune ? » Mais oui. C’est
le premier coup de foudre de l’Occident,
avec libre choix de part et d’autre, sans
philtre ni magie. Réciproque, consenti,
consommé. Le choix d’objet instantané
et foudroyant – pas même un choix,
puisqu’il n’y a pas d’alternative. L’amour
fou vient à l’Occident dans un bal chez
les Capulet de Vérone, vu des brumes
de la Tamise.
Cette scène du bal, que chacun se croit
depuis tenu de rejouer au moins une fois
dans sa vie, est réglée comme une
Annonciation italienne. Il la voit. Elle
pend à l’oreille de la nuit. C’est la beauté
en personne, et incarnata est. Il marche
vers elle. « Bon pèlerin », dit-elle. A peine
lui fait-on la cour, tout est donné. Elle
veut. L’amour leur souffle les mots justes
et beaux. Ils sont ange l’un à l’autre, ils
voient l’autre tel que Dieu le voit. L’autre
existe absolument, il n’y en a qu’un
et c’est celui-là. Le souverain bien est
de ce monde. Bons pèlerins ! Un regard,
un pas, des mots en accord parfait, deux
mains, deux bouches. C’est tout simple.
Comme cette simplicité est reposante.
Juvénilité de la douleur
Simple comme un piège : on épouse,
on déflore, et déjà chante l’alouette.
Ils ont eu ce qu’ils voulaient, on n’a plus
qu’à marcher au pire, car ce qu’on veut
est par nature interdit. La loi est sénile.
On a vu et touché la seule chose qui vaille
en ce monde, et puis on ne voit plus rien.
Adieu. « Ces plaisirs violents ont des fins
violentes. » L’amour est un dit obscène
qui fait s’attendrir les vieilles, un rentrededans à l’usage des valets. Le bon partenaire, c’est la mort. Il n’y a plus qu’à
se ruer d’un imbroglio dans un malentendu, louer des chevaux, acheter à un
gueux une mixture noire, galoper de nuit
et sortir de cette chair lasse du monde.
« Come death, and welcome. »
« Mais ces vieilles gens ! Beaucoup font
semblant d’être morts, inertes, lents,
lourds et pâles comme le plomb. »
Ce n’est pas à eux qu’est dédiée cette jolie
édition en Folioplus, ornée d’un petit
tableau de Delacroix où ce qui frappe,
c’est la juvénilité de la douleur, du deuil,
de la mort. Le lecteur jeune l’entendra.
Mais être lecteur de Shakespeare,
comme nous le sommes tous, est une
sorte d’hérésie ou de déchéance. Car cela
n’a pas été écrit pour qu’on s’en délecte
dans le silence, la solitude ; mais pour
qu’une foule mélangée y communie
dans les mêmes rires, les mêmes larmes :
dans un théâtre populaire. On relève
la tête du livre, on entend comme des larmes. Des fantômes de larmes. Les vraies
furent versées à Londres, vers 1595. p
roméo et juliette
(Romeo and Juliet),
de William Shakespeare,
Folioplus, « Classiques », traduit de l’anglais
par Jean- Michel Déprats, dossier par Mériam
Korichi, lecture d’image par Juliette Bertron,
272 p., 3,50 €.
Les écrivains Sabri Louatah, Pierre Michon,
Véronique Ovaldé et l’écrivain et cinéaste
Christophe Honoré tiennent ici
à tour de rôle une chronique.
C'est d'actualité | 9
0123
Vendredi 15 avril 2016
L’Ecole des loisirs en crise
L’Ecole des loisirs, maison de littérature jeunesse qui a fêté,
en 2015, son cinquantième anniversaire, traverse une grave
crise interne. En cause, la politique menée depuis plusieurs
mois par Arthur Hubschmid, le directeur éditorial. « Livres déprogrammés, refus brutaux de manuscrits, manque de dialogue
avec la direction éditoriale », tels sont les reproches adressés
par Alice de Poncheville, dans le blog collectif La Ficelle,
qu’elle a lancé le 5 avril, avec d’autres auteures maison, telles
Claire Castillon et Fanny Chiarello. Alice de Poncheville, qui
a publié 14 romans en quinze ans à l’Ecole des loisirs, s’est vu
signifier en onze minutes l’arrêt de toute collaboration.
Les mots des salauds
arment les bras des imbéciles”
charles dantzig, écrivain
Le numéro 2 de la revue annuelle Le Courage
(Grasset, 448 p., 28 €), que dirige Charles Dantzig,
s’ouvre sur une intéressante « typologie
des salauds ». Dans cet « essai à plusieurs » (Lucien
Bodard, Sandrine Treiner, Karl Ove Knausgard,
Clémentine Mélois, etc.), on lira des textes
sur des figures aussi diverses que Patrice de
Mac-Mahon, Mehmet Talaat Pacha, Anders Breivik,
George W. Bush ou Vladimir Poutine.
Bulles coincées
Shakespeare exhumé
La ministre de la culture a confié à Jacques Renard, énarque de 67 ans, le rôle
de médiateur entre les professionnels
impliqués dans le Festival de la bande
dessinée d’Angoulême. Auteurs et éditeurs menaçaient, en effet, de boycotter l’édition 2017 après la polémique
soulevée par l’absence de femmes
parmi les auteurs en lice pour le grand
prix, tandis que le maire Xavier Bonnefont (LR), projetait, en cas de statu quo,
de diminuer les subventions accordées
à la manifestation phare du 9e art.
Jusqu’au 30 octobre, le Mount Stuart, manoir néogothique situé
dans l’île de Bute, en Ecosse, expose au public le « First Folio »
de Shakespeare, une collection comprenant 36 pièces publiées
en 1623 et récemment découverte.
Authentifié, ce très rare exemplaire appartenait à Isaac Reed,
qui exerça la profession d’éditeur à Londres au XVIIIe siècle.
Cette exhumation exceptionnelle intervient alors que
le Royaume-Uni célèbre cette année les 400 ans de la mort
de l’écrivain.
COLLECTION
Près de vingt ans après la disparition du mensuel culte «(A suivre)», Casterman lance un
semestriel associant grands noms et auteurs en devenir et privilégiant les formats courts
Pandora sort de sa boîte
REVUE
Le mariage,
ça émancipe
frédéric potet
U
ne ville du Texas, un film d’Albert Lewin avec Ava Gardner,
une nouvelle de Gérard de
Nerval, un épisode de la série
américaine « Smallville » ou encore un
navire britannique ayant coulé au large
de l’Australie au XVIIIe siècle portent le
nom de « Pandora ». On n’attribuera pas
forcément la palme de l’originalité à la
maison d’édition Casterman pour avoir
baptisé ainsi sa nouvelle revue de bande
dessinée.
A deux petites nuances près. Primo,
Pandora est aussi le nom d’un personnage d’Hugo Pratt, apparu dans la première histoire de Corto Maltese (La Ballade de la mer salée, 1975), série phare de
Casterman. Secundo, Pandora est un dérivé de Pandore, la première femme
dans la mythologie grecque : trois mois
après l’affaire des soupçons de sexisme
autour du Festival d’Angoulême, le
choix de ce titre a valeur de symbole,
même s’il fut décidé en amont de la polémique.
Presque vingt ans après la disparition
d’(A suivre), revue culte de l’histoire de la
bande dessinée créée en 1978 par Casterman, qui dynamita les codes de la narration graphique, cette nouvelle publication n’a pas grand-chose à voir avec sa
glorieuse aînée. « C’est même plutôt l’anti-(A suivre) », souligne Benoît Mouchart, le directeur éditorial BD de Casterman. Autant (A suivre) faisait la part
belle aux récits longs, autant Pandora
n’est composée que d’histoires courtes –
de 1 à 20 pages. Son rythme de publication interdit par ailleurs toute comparaison : deux numéros de Pandora sortiront chaque année, alors qu’(A suivre)
était un mensuel.
Cette prédilection pour les récits
courts répond en tout cas à un besoin
palpable : diversifier les formats alors
que le succès du roman graphique a généralisé, ces dernières années, les histoires au long cours. « J’ai entendu beaucoup d’auteurs, et notamment de
kant.
que pouvonsnous savoir
et que
devons-nous
faire ?
de la morale
et la connaissance
« Apprendre à philosopher »
(une collection « Le Monde »),
vol. 6, 156 p., 9, 99 €,
en kiosque depuis le 13 avril.
Extrait de « Dans notre Eden », d’Eleanor Davis, in « Pandora », 1. CASTERMAN
“grands” auteurs comme Tardi ou Bilal,
dire qu’ils avaient des idées d’histoires de
5 ou 6 pages mais qu’ils n’avaient pas
d’endroit pour les publier, raconte Benoît
Mouchart. Une rencontre avec Art
Spiegelman [le créateur de Maus] à New
Art Spiegelman figure
au sommaire de ce
numéro 1, tout comme
Katsuhiro Otomo,
autre star planétaire
du 9e art, récemment
célébré à Angoulême
York a fini de me convaincre lorsqu’il m’a
expliqué que le roman graphique était devenu le nouvel académisme, et que les formats courts étaient tombés dans l’oubli. »
Spiegelman figure au sommaire du numéro 1 de Pandora, tout comme Katsuhiro Otomo (le père d’Akira), autre star
planétaire du 9e art récemment célébrée
à Angoulême.
Si leurs contributions ont déjà été publiées dans leurs pays respectifs, les
autres histoires de la revue ont été
créées spécialement pour elle. Blutch,
Jean-Claude Götting, Lorenzo Mattotti,
Loustal, Brecht Evens, Bastien Vivès,
Christian Rossi, Florence Dupré la Tour,
Johan De Moor ou encore Michel Pirus
composent également un casting qui se
veut à la fois éclectique et international.
« L’idée est de mêler des auteurs confirmés et des auteurs en devenir, poursuit le
rédacteur en chef. Pandora ne sera pas
un laboratoire mais un espace donnant
la possibilité à des auteurs de prendre un
risque thématique ou graphique, en
marge de ce qu’ils font habituellement. »
Tirée à 14 000 exemplaires, vendue
18 euros et proposant 27 récits, Pandora
entend également surfer sur la vague
des MOOC, ces trimestriels hybrides
(mi-magazine, mi-book) vendus uniquement en librairie (sur le modèle de la revue pionnière XXI).
Placée sous l’égide d’un des principaux
éditeurs de bande dessinée francophone, Pandora n’est toutefois pas la
seule à occuper ce terrain. Plusieurs éditeurs indépendants ont devancé le mouvement, comme L’Association avec Lapin
et 6 Pieds sous terre avec Jade, ou plus récemment Cornélius et Les Requins Marteaux avec Nicole et Franky, deux revues
publiées en alternance. Pour Benoît
Mouchart, ce regain d’intérêt pour les
histoires courtes signe également le retour en force des fondamentaux de la
bande dessinée : « Camper des personnages, planter une atmosphère, pousser l’ellipse à son maximum, tout cela en quelques pages. » Tout un art. p
POUR CHACUN ET POUR TOUS,
le mariage continue d’être désirable. Afin d’expliquer cela, on
peut se tourner vers Kant, qui
donne du mariage une définition inattendue. Le mariage, affirme-t-il, c’est l’acte par lequel
deux personnes s’accordent la
propriété réciproque de leurs organes sexuels.
Aussi prosaïque soit-elle, cette
définition souligne en réalité la
dimension émancipatrice du
mariage : là où il y avait domination unilatérale, cet acte rétablit
de l’égalité et de la réciprocité.
Parce qu’il instaure entre les
époux un « rapport d’égalité dans
la possession », le mariage transforme la jouissance charnelle en
expérience morale. En effet, ce
qui caractérise l’acte moral, selon
Kant, c’est qu’il traite autrui non
pas comme un moyen mais
comme une fin.
Un outil de dignité
Dans notre monde rongé par
les inégalités, on comprend que
le mariage redevienne un outil
de dignité pour les plus vulnérables. Aux femmes, aux hommes
qui vivent la relation sexuelle
comme un rapport de force, il
donne cet espoir : face à ceux qui
traitent leur semblable comme
un moyen parce qu’ils en ont,
eux, les moyens, le contrat matrimonial permet de se faire respecter, au moins un minimum. Par
la grâce du mariage, les dominés
peuvent posséder les dominants
à l’instant même de s’offrir à eux.
Quand les puissants tentent de
leur mettre la main dessus, ils
leur passent la bague au doigt. p
Jean Birnbaum
Le chemin québécois de Jack Kerouac
Le Boréal publie des inédits francophones de l’auteur de «Sur la route». S’y révèle un attachement profond pour le Québec et pour sa langue
V ERSION ORIGINALE
marc-olivier bherer
L’
événement était attendu depuis près de dix ans, depuis la
redécouverte en 2007 de manuscrits de Jack Kerouac écrits
en français. Les voici enfin réunis par un
éditeur québécois, les éditions du Boréal, après un patient travail de recomposition.
Cette parution (La vie est d’hommage,
352 p., 29,95 dollars) était attendue dans la
province canadienne tant on pressentait
que l’auteur de Sur la route y révélerait
son attachement au Québec, mais aussi à
la France et à la Bretagne dont étaient originaires ses ancêtres. Né en 1922 à Lowell,
dans le Massachusetts, Jack Kerouac, de
son vrai nom Jean-Louis Lebris de
Kérouac, est en effet d’origine canadienne-française. Ses parents voient le jour sur
les rives du Saint-Laurent et émigrent aux
Etats-Unis au cours d’un exode dans lequel on vit près d’un million de Québécois partir chercher fortune aux EtatsUnis, entre 1840 et 1930. Dans le « little Canada » de Lowell, Kerouac grandit en
parlant français ; l’anglais viendra plus
tard, vers l’âge de 6 ans. Et c’est justement
cette dualité, ce trouble dans l’identité,
que fait revivre ce livre mystérieux, qui relève de l’archéologie littéraire.
Le jeu de pistes commence après
l’ouverture en 2006 du fonds d’archives
Kerouac conservé à la New York Public
Library. Au cours des deux années suivantes, l’écrivain Gabriel Anctil souligne,
dans le quotidien québécois Le Devoir,
l’importance des écrits français de Jack
Kerouac. Et c’est maintenant Jean-Christophe Cloutier, professeur de littérature
anglaise à l’université de Pennsylvanie,
qui a établi ce recueil, rassemblant des
nouvelles, des extraits de carnets et des
lettres. Hélas, des questions de droits
empêchent la distribution de ce livre en
France.
Phonétique canadienne-française
La reconstitution des textes s’est faite
au prix d’une quête dans le système de
classification si particulier qu’avait établi Kerouac. A force de parcourir ces papiers, Jean-Christophe Cloutier a pu rassembler des fragments épars et recomposer deux nouvelles, Sur le chemin et La
nuit est ma femme, dont l’existence était
déjà connue, mais qui sont pour la première fois livrées au public dans leur intégralité.
Jean-Christophe Cloutier confie également avoir dû lire à voix haute certains
de ces documents, tant ils s’éloignent du
français et n’obéissent qu’à la phonétique
canadienne-française. Les phrases retranscrivent un patois, proche parfois du
franglais, riche et pauvre à la fois de toute
l’insécurité culturelle ressentie par les
francophones d’Amérique du Nord.
Le lecteur qui ne serait pas familier du
québécois et de l’américain risque de s’y
perdre. Comme lorsque Kerouac
s’adresse à « loome laute bord », l’homme
de l’autre côté, celui qui a choisi la voie
assimilationniste, celle de la soumission
à l’anglais et du succès littéraire. Dans un
jeu de miroirs dont il est familier, Jack
fait face à Jean-Louis. « Ben, jeecri sistoir
icit en Franca la seul maniere que-j-se. Sa
voite interressant ee pas peur. Loome
laute bord va changee sa en Angla pour
mue et toul monde von comprende. »
(« Eh bien, j’écris cette histoire en français, de la seule manière que je connaisse.
Ce sera intéressant, ne t’en fais pas.
L’homme de l’autre côté va l’adapter en
anglais pour moi, et tout le monde va
comprendre. ») Contrairement à nous,
Cloutier n’en propose pas une adaptation en français plus soutenu, il laisse au
texte son étrangeté. On trouve également dans ce recueil un « commentaire
sur Louis-Ferdinand Céline » écrit en bon
français, et dans lequel Kerouac dit toute
son admiration pour son « maître », qu’il
lisait en version originale.
Déroutants et touchants à la fois, ces
manuscrits montrent comment l’œuvre
de Kerouac « continente », selon sa propre
expression, comment elle dépasse les
frontières pour explorer une terre polyphonique. p
la vie est d’hommage,
de Jack Kerouac,
textes établis et présentés par Jean
Christophe Cloutier, Les éditions du
Boréal, 352 p., 29,95 $ CAD (non distribué
en France, disponible à la Librairie
du Québec, 30, rue Gay-Lussac, Paris 5e).
10 | Rencontre
0123
Vendredi 15 avril 2016
Lydia Flem
De ce côté
du miroir
Pour atteindre l’universel, l’écrivaine et psychanalyste
belge tresse les fils de son parcours. Grandie entre
les chutes de tissu, elle évoque des souvenirs liés aux
atours dans son nouveau livre, élégant et lumineux
raphaëlle leyris
J
e me souviens des bottes cavalières, du pantalon et de la veste
noirs que portait Lydia Flem le
jour de mars où nous nous sommes rencontrées ; de son écharpe
terre de Sienne et de son rouge à
lèvres de l’exacte même couleur ;
des boucles d’oreille en argent assorties
à son collier. De la simplicité apparente
de sa silhouette et du souci accordé aux
détails qu’un rapide examen laissait
transparaître.
Des vétilles, ces précisions ? Dans Je me
souviens de l’imperméable rouge que je
portais l’été de mes vingt ans, évident
hommage à Georges Perec et délicieux
exercice de remémoration centré sur les
atours, Lydia Flem prouve au contraire
l’importance de ceux-ci – les pans de
mémoire qu’ils charrient, ce qu’ils racontent de nous… L’écrivaine et psychanalyste à l’accent belge très doux explique : « Le vêtement, c’est sur notre peau,
ça dit nos sensations, ça dit le temps et les
âges de la vie. C’est très puissant. »
Elle a construit son livre autour de la
phrase du photographe Nobuyoshi
Araki, qu’elle cite : « Les plis de la mémoire sont comme les plis de nos vête-
« Le vêtement, c’est
sur notre peau, ça dit nos
sensations, ça dit le temps
et les âges de la vie.
C’est très puissant »
ments. Nos souvenirs se cachent dans les
plissés. » C’est probablement d’autant
plus vrai pour celle qui a grandi dans les
tissus et les patrons, entre une mère
« merveilleuse couturière », adepte du
langage propre à cette activité (« grosgrain », « échancrure », « pattemouille »,
« guipure », « passepoil »…), dont sa fille
régale le lecteur de Je me souviens…, et
Parcours
1952 Lydia Flem naît
à Bruxelles.
1970 Etudes de sciences
politiques puis de sociologie.
1974-1975 Assistante de Ménie Grégoire sur RTL, pour
« Responsabilité sexuelle »
1986 La Vie quotidienne
de Freud et de ses patients
(Hachette).
2004 Comment j’ai vidé la
maison de mes parents (Seuil).
2008 Débuts en photographie.
2011 La Reine Alice (Seuil).
A Paris, en avril. VASANTHA YOGANANTHAN POUR « LE MONDE »
un père qui tenait à Bruxelles des magasins de vêtements pour femmes revendus quand, à 18 ans, sa fille unique a refusé d’y travailler.
Ainsi, elle compare ses souvenirs à
des « bulles » qui contiennent les
lieux, les moments, « mais aussi la
couleur des vêtements portés dans
telle ou telle situation ». Parce que
ses livres récents (Comment j’ai vidé
la maison de mes parents, Lettres
d’amour en héritage, Comment je me
suis séparée de ma fille et de mon
quasi-fils, Seuil, 2004, 2006, 2009)
relèvent de l’autobiographie, elle raconte garder, à la fin de chaque manuscrit, plusieurs de ces « bulles », comme
autant de chutes de tissu dont elle n’a
longtemps su que faire. « Un jour, j’ai
voulu voir comment je pouvais compléter cette liste, et où elle allait m’emmener. » Avec l’idée « assez transgressive »,
s’amuse-t-elle dans un grand sourire, de
Etoffe de soi
LE PREMIER de ces 479 fragments donne son titre à Je me
souviens de l’imperméable
rouge que je portais l’été
de mes vingt ans. Le dernier
revient à ce manteau de gabardine rouge, et raconte un jour
d’été, à Paris : Lydia Flem le
portait au-dessus d’un pantalon et d’un pull blancs, alors
qu’elle accompagnait un ami
violoniste chez le célèbre luthier Etienne Vatelot. Quand
elle partit, le maître lui dit :
« Soyez toujours vous-même,
jeune fille. »
Instants de bonheur
De quoi est fait ce « soimême » ? C’est au fond la question au cœur de ce petit livre
lumineux, dans lequel
l’auteure égrène des souvenirs
liés aux vêtements – du chandail préféré de l’enfance
aux bas noirs « très sexys »
de l’âge adulte ; des mots
qui désignent les onze nuances du gris aux expressions
comme « tu es habillée un peu
olé olé, non ? » ou « être fagoté
comme l’as de pique » ; du fait
que l’étoile jaune imposée
aux juifs était constituée de
tissu jusqu’à la tenue des héroïnes du feuilleton « Dallas »,
en passant par des souvenirs
liés aux lectures de Casanova,
Proust ou Barthes…
Mémoires sensuelle, intellectuelle et collective se mêlent
au fil de cet ouvrage au montage très réussi, qui privilégie
la restitution des instants de
bonheur mais trouve le rythme
et le ton justes pour laisser
la place à l’évocation de sujets
graves. Il y a dans cet hommage
à Georges Perec une grâce
merveilleuse. p r. l.
je me souviens
de l’imperméable rouge
que je portais l’été
de mes vingt ans,
de Lydia Flem,
Seuil, « La librairie
du XXIe siècle », 256 p., 17 €.
passer par ce prisme pour parler, en
tout premier lieu, du bonheur – fil
rouge, déjà, de son Casanova ou l’Exercice du bonheur (Seuil, 1995), et état
pour lequel on soupçonne à cette
femme d’un abord si chaleureux de sérieuses dispositions.
Manière bravache et élégante de « passer à autre chose » après La Reine Alice
(Seuil, 2011), magnifique évocation de
son cancer et des traitements subis ; on
se souvient d’ailleurs – les histoires de
« chiffon » ne sont jamais loin – qu’elle
s’était découvert une boule suspecte au
sein en essayant ses robes d’été. La
Reine Alice, dit-elle, a été « une sacrée
aventure de l’écriture et du corps, très
forte », y compris au moment d’accompagner le texte auprès des lecteurs,
mais elle estime qu’il l’a « tenue un peu
prisonnière ».
Comme sa couverture d’un rouge coquelicot tirant sur le corail l’annonce, Je
me souviens… éclate de couleurs. Même
si quelques-uns des 479 fragments (un
de moins que le Je me souviens de Perec)
contiennent de souvenirs plus graves,
qui ont trait à l’histoire familiale de
Lydia Flem, fille d’une femme juive, née
en Allemagne, engagée dans la Résistance en Touraine, qui fut déportée à
Auschwitz, et d’un père russe apatride
rescapé des persécutions.
Ces touches sombres sur le patchwork
chatoyant de ce livre, elle ne les avait
pas forcément préméditées : « Ça s’est
infiltré comme ça. Ce livre, c’est moi, je
me sens habitée par tout ça en même
temps – dire “tissée” serait trop facile. Le
frivole et le grave coexistent en nous,
c’est artificiel de vouloir les séparer. » Du
reste, elle confie avoir écrit ce livre,
qu’elle voulait ludique et du côté de la
lumière, l’été dernier, alors que « l’on
commençait à parler beaucoup des réfugiés » : « Immanquablement, ces images
de gens sur les routes m’ont renvoyée à
mes parents, qui, eux aussi, ont changé
de pays et de langue, et se sont retrouvés
sur les routes avec une chemise sur la
peau et rien d’autre. »
Si Lydia Flem a refusé d’entrer dans
l’affaire familiale, et si elle s’interroge
sur ce qu’hériter veut dire – ainsi que le
montrait, aussi concrètement que subtilement, Comment j’ai vidé la maison
de mes parents –, sa manière de prendre
la suite de ces deux êtres qu’elle a tant
aimés tient dans son choix d’écrire.
D’abord parce qu’elle leur doit, à sa
mère en particulier, l’attention aux
mots précis, son goût pour eux (« je
peux me bagarrer des heures avec quelqu’un autour de l’emploi d’un terme »).
Ensuite, parce que, explique-t-elle, « il y
avait beaucoup de mots qui manquaient
dans ma famille, à cause du passé. Et
c’est comme si mon rôle, à moi, l’enfant
unique, avait toujours été de mettre des
mots, justement, de dire ce qui est tu
dans les familles. »
Ou de faire dire ; et c’est là qu’intervient la psychanalyse. Une voie qu’elle a
choisie après une expérience « extraordinaire » auprès de la fameuse animatrice radio Ménie Grégoire, dont elle a
été l’assistante sur RTL le temps d’une
année scolaire, alors qu’elle était venue
initialement pour écrire un mémoire de
sociologie sur l’émission « Responsabilité sexuelle » – on n’imagine pas,
aujourd’hui, l’importance qu’elle avait à
l’époque. « Chaque jour, Ménie recevait
des dizaines de sacs de courrier, et tellement d’appels… Il fallait choisir les questions qui seraient prises à l’antenne, et
j’étais déchirée en pensant à tous ceux
qui n’auraient pas de réponse. » Elle a
quitté la radio pour étudier, entre Nice
et Bruxelles, afin de devenir psychanalyste, « ce métier fabuleux, qui permet
d’entrer en relation avec quelqu’un d’une
manière intense et intime qui serait socialement impossible autrement ».
Il y a de cela aussi, évidemment, dans
la relation entre les lecteurs et une
auteure comme Lydia Flem, qui fouille,
de livre en livre, son expérience singulière, afin de restituer quelque chose
d’universel. Qui travaille à mettre au
jour, dit-elle « des choses assez ténues,
ou éphémères, qui nous habitent et dont
on se demande si les autres les connaissent » – la difficulté de trier les affaires
de ses parents après leur mort, le mélange de plein et de vide que l’on ressent
alors (Comment j’ai vidé…), l’effet produit par le départ des enfants devenus
grands, la tristesse et la joie (Comment
je me suis séparée…). Elle excelle à restituer ce qu’elle appelle ces « orages émotionnels », à cueillir le mouvement
même de la vie ; ainsi, pour ce Je me
souviens…, de ces instants de bonheur,
EXTRAIT
« Je me souviens de la liste
sans fin des couvre-chefs :
canotier, capeline,
chapeau de paille d’Italie,
béguin des béguines,
huit-reflets, bonnet d’âne,
panama, cône de feutre
blanc de clown, chapeau
melon, casquette, calot,
calotte, hennin, bicorne,
képi, kippa, chapeau
tyrolien, bonnet à poil,
capuchon, bombe
d’équitation, bonnet
de natation, bob, chapeau
de sorcière, tiare, chapeau
claque, chapeau chinois,
charlotte des chirurgiens,
faluche, penne, coiffe
de Binche, coiffe bretonne,
casque, gibus, bolivar,
keffieh, mitre, mantille,
quatre-bosses de Baden
Powell, sombrero,
schtreimel, turban,
couronne… »
je me souviens
de l’imperméable rouge
que je portais l’été
de mes vingt ans,
page 120
qu’ils aient trait à l’enfance, à l’amour
ou à l’écriture.
Quand les mots lui manquent, elle recourt à la photographie, qu’elle pratique
depuis 2008 ; son travail lui a déjà valu,
notamment, une exposition à la Maison européenne de la photographie à
Paris, en 2015, « Journal implicite », qui
pouvait se regarder comme le pendant
en images de La Reine Alice.
Littérature et photographie se croisent ainsi, s’épaulent l’une l’autre. Mais
pour ce qui est le plus difficile et lui
tient le plus à cœur, « raconter la mémoire intérieure », la première reste « indépassable ». Alors, de nouveau, sur le
métier, la fille de tailleur remet son
ouvrage. p

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