Jaune, Rouge, Bleu (Wassily Kandinsky, 1925

 BREVET DʼHISTOIRE DES ARTS 2016
Professeur : Oriol Vaz-Romero Trueba
Site : www.lfbartistes.wordpress.com Titre : Jaune, Rouge, Bleu
Date : 1925
Artiste : Wassily Kandinsky (1866-1944)
Technique : Huile sur toile
Mesures : 128 x 201,5 cm.
Collection : Musée Georges Pompidou
Ville: Paris
1. Lʼartiste : Wassily Kandinsky
Dʼorigine russe (Moscou 1886 – Neuilly-sur-Seine 1944), Kandinsky est un peintre et
théoricien de lʼart appartenant au courant expressionniste de Der Blaue Reiter (« Le
chevalier bleu »). Né dans une famille cultivée, il s’intéresse dans sa jeunesse tant à
la musique qu’à la peinture et aux arts traditionnels russes. Mais il devient peintre tardivement, à 30 ans, après des études de droit et d’économie. Il découvre Rembrandt,
puis l’Impressionnisme (Les Meules de Monet, exposé à Moscou en 1895). « Je n’ai
pas tout de suite reconnu le sujet de cette peinture —racontera-t-il—. Cette incompréhension me troublait. Je sentais sourdement que le sujet de cette manquait dans
cette œuvre, mais je constatais aussi qu’il s’en dégageait la puissance d’une palette
qui dépassait tous mes rêves. Le sujet n’étais donc pas indispensable au tableau ».
C’est là que Kandinsky pressent les possibilités dʼune peinture non figurative.
Il part étudier la peinture à l’Académie de Beaux-Arts de Munich, puis effectue une
série de voyages (France, Hollande, Tunisie, Italie) ou il rencontre Cézanne, Matisse
et Picasso. Avant la Première Guerre mondiale, Kandinsky brosse des toiles abstraites aux couleurs fruitées, mais le début des hostilités s’accompagne de peintures
tourmentées. Réfugié dans une « datcha »1 à Moscou, il cesse par deux fois de
peindre (août 1914/janvier 1916, puis octobre 1917/juin 1919). Sans atelier, sans projet d’exposition, il réalise de nombreuses aquarelles de petit format qui serviront de
socle à son travail postérieur. En 1921, lassé de l’opposition des artistes d’AvantGarde et du régime soviétique, il quitte l’URSS et accepte dʼenseigner au Bauhaus
de Weimar (une école supérieure d’architecture, d’arts et métiers révolutionnaire par
ses méthodes d’enseignement). Il y restera jusqu'à sa fermeture par les nazis (1933).
1
En Russie, un datcha désigne une maison secondaire à la campagne, une sorte de gîte d’été. Ces
résidences étaient dones par le Tsar à un membre de la cour ou de la noblesse.
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Site : www.lfbartistes.wordpress.com Comme professeur de théorie des couleurs, il publie Punkt und Linie zu Fläche
(« Point et ligne sur le plan », 1926), dans lequel il réuni ses réflexions sur l’univers
de la forme et celui de la couleur. Le tableau Jaune, Rouge, Bleu est réalisé durant
cette période. Sous l’influence du Constructivisme, Kandinsky donne à ses compositions un aspect plus structuré. Il procède à une analyse méthodique des éléments
géométriques présents dans lʼUnivers (triangle, point, carré, cercle). Il exploite
leur pouvoir formel, recherchant des effets de tension, harmonie, contraste, rythme,
tout en laissant une large place à la fantaisie. Cependant, en 1933 sa peinture est
condamnée par le régime nazi et l’artiste s’enfuit en France, à Neuilly-sur-Seine (il
prend alors la nationalité française), où il meurt en 1944 à l’âge de 78 ans. Ses dernières toiles évoquent une atmosphère irréelle peuplée d’êtres microscopiques, ressemblants à des formes organiques vues sous le microscope (Bleu ciel, 1940). Kandinsky
est considéré l’un des artistes les plus importants du XXe siècle aux côtés de Picasso
et de Matisse. Avec Mondrian et Malevitch il est reconnu comme étant un des fondateurs de la peinture abstraite.
2. Repères historiques
•
1925 – Période de lʼentre-deux-guerres
•
1921-1933 – Période dʼenseignement au Bauhaus (Weimar, Allemagne)
•
Régime soviétique en Russie et montée du nazisme en Allemagne
En 1925, nous sommes entre deux guerres. Kandinsky a 60 ans, il est enseignant à
l’école d’art la plus importante et la plus innovante au monde à cette époque : le
Bauhaus. Si l’Allemagne a du mal à se remettre de la Première Guerre mondiale,
c’est aussi une période de crise économique, où on assiste peu à peu à la montée
du nazisme. De même, entre 1910 et 1925 se développe dans toute l’Europe ce
qu’on appelle les Avant-gardes. De nombreux artistes forment des groupes ou mouvements et détruisent les règles classiques de l’art pour créer de nouvelles formules
d’expression plastique. Le mouvement crée par Kandinsky s’appelle Der Blaue Reiter
ou « Le chevalier bleu », qui fait partie de lʼExpressionnisme allemand. Il est aussi
l’un des fondateurs de l’art abstrait. À cette époque, plusieurs artistes comme Piet
Mondrian en Hollande ou Kasimir Malevitch en Russie, quittent la représentation figurative du réel pour créer un langage de couleurs et de formes parfois très géométrique, parfois plus libre. Cʼest le début de lʼabstraction dans lʼart.
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Site : www.lfbartistes.wordpress.com 3. Jaune-Rouge-Bleu (1925)
Etabli à Weimar de 1922 à 1925, Kandinsky, sous l’invitation de l’architecte Walter
Gropius, s’associe à l’équipe des professeurs du Bauhaus. Sa peinture devient rigoureusement géométrique. En 1925, le Bauhaus quitte la ville de Weimar pour celle de
Dessau. La peinture de Kandinsky renoue alors avec la ligne courbe, les dégradés
de couleurs nuancent à nouveau ses compositions. Jaune-rouge-bleu est lʼœuvre
la plus importante de cette période.
Cette grande toile (2 mètres de largeur) est un rectangle aux dimensions parfaites
évoquant la « divine proportion » des artistes de la Renaissance italienne. Le tableau transpose les théories que l’artiste vient de fixer dans son ouvrage Point, ligne,
plan. Les couleurs primaires mélangées au noir et au blanc s’opposent au couple
exclusif noir et blanc de Malevitch ou de Mondrian.
Deux parties du tableau qui sʼopposent : 1) lignes géométriques à gauche, 2)
formes libres à droite. L’accent principal est mis sur les trois couleurs primaires
qui, de gauche à droite et dans l’ordre : jaune, rouge, bleu, articulent la composition.
L’opposition du jaune chaud, lié au mouvement, et du bleu froid, stable, lié à la forme
du cercle y est mise en jeu. Entre les deux polarités du jaune et du bleu, se déploie
une multiplicité de formes : rectangles rouges, se lisant derrière les transparences
des formes biomorphiques, damiers en couleurs et noirs et blancs.
L’essentiel de ce tableau est dans l’équilibre des éléments qui se répondent dans un
jeu d’oppositions et de complémentarités. Au géométrisme solaire de la partie gauche, évoquant l’astre diurne par la couleur et par les obliques qui, tels des rayons,
sortent à deux reprises des demi-courbes, répond à droite l’obscure rotondité lunaire d’où s’échappe une myriade de formes. Loin de n’être qu’un simple manifestesynthèse des différentes périodes de l’art de Kandinsky, ce tableau mystérieux
n’arrête pas de nous interpeller. En effet, dans des notes de cours, Kandinsky
s’exprime à propos des couleurs et de leur « naissance » : « Jaune et bleu par rapport au rouge… Phébus et la Lune s’évitent et se retrouvent quand même entre jour et
nuit comme l’aurore et le couchant. Naissance mystérieuse du rouge par la tendance
simultanée à l’éloignement et à l’ascension du jaune et du bleu ».
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Site : www.lfbartistes.wordpress.com 4. Vocabulaire
Bauhaus / Expressionnisme allemand / Spirituel dans lʼart / Abstraction / lignes
géométriques contre formes libres / couleur primaires et mouvement / Soleil et
Lune /
5. Abstraction : utopie et engagement spirituel
Son ouvrage Du Spirituel dans lʼart, écrit en 1910, est un traité de philosophie de lʼart
mais aussi une utopie (il est antérieur à Point et ligne sur le plan). Ses recherches esthétiques l’amènent à s’affranchir totalement de l’expression figurative, et à dépasser
l’Expressionnisme de Der Blaue Reiter, le Futurisme italien et le Cubisme, qui dominent
l’époque. Pour Wassily Kandinsky, ce grand tableau et ses écrits théoriques, deviennent un
engagement philosophique et esthétique : lʼart peut être aussi lʼexpression directe dʼun
monde invisible, spirituel, qui se trouve à lʼintérieur de lʼindividu ; dʼun monde plus
parfait que celui qui se trouve à lʼextérieur, meurtri par les guerres et les rancunes
humaines. Lʼabstraction devient une évasion du réel, une utopie, une sorte de
« paradis artificiel ». Du Spirituel dans lʼart réfléchi aussi sur les rapports entre la forme
et la couleur, la peinture et la musique, tentant de rassembler les arts (comme l’avait fair
Richard Wagner sous le terme de Gesamtkunstwerk ou « œuvre dʼart totale »).
Couleurs et formes déterminent des impressions particulières, véhiculent des sensations
et des sentiments différents. Au bleu mystique et froid s’opposent le jaune chaud et
agressif, le vert paisible, les différents silences des blancs et des noirs, la passion du rouge, couleurs qu’il met en relation avec ronds, triangles et carrés, lignes ouvertes ou fermées. Le spirituel est du ressort de la peinture qui agit directement sur le sens et sur
l’émotion.
« Créer une œuvre cʼest créer un monde [meilleur] ». Ce monde nʼest pas à lʼimage
du réel mais est une création pure, ne répondant quʼà « la nécessité interne du tableau », écrit Kandinsky. Au sujet de la nature, lʼartiste souligne quʼil ne faut pas se
borner à la voir mais quʼil faut la vivre. Cʼest cette vie saisie dans un élan cosmique,
dans une effusion spirituelle, quasi religieuse, que le peintre rendra dans sa période
la plus intense abstraction lyrique.
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