Gengis khan et l`épopée mongole au XII° siècle Le vaste Empire

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Gengis khan et l`épopée mongole au XII° siècle Le vaste Empire
Gengis khan et l’épopée mongole au XII° siècle
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Le vaste Empire mongol créé en quelques décennies par Gengis khan émerge dans
une Asie où prolifèrent déjà, au XIIe siècle, d'autres empires fondés par des peuples
nomades.
Les Mongols vivent actuellement en Mongolie, en Russie et en Chine,
particulièrement en Mongolie du nord (la région du lac Baïkal) annexée par la Russie
et en Mongolie-Intérieure. Les deux ethnies mongoles de Russie sont les Bouriates,
à l'est du lac Baïkal, et les Kalmouks, au nord de la mer Caspienne. Ils sont
actuellement environ 10 millions, dont 5 millions en Chine, et ils parlent différentes
langues de la famille altaïque (tchakar, khalkha, oïrate, kalmouk, bouriate, etc.)
Peuplée dès le Paléolithique supérieur, la zone du Baïkal fut, au Néolithique, un
foyer de riche culture et, dans les derniers siècles avant notre ère, un creuset de
mélanges ethnoculturels, où se confondirent « Paléoasiates » autochtones et
immigrés de la Grande Plaine chinoise. Et c'est sur ses marges méridionales que se
concrétisèrent les premiers « Empires des steppes » (malheureusement connus de
l'histoire sous leurs seuls noms chinois) : Hiong-nou depuis la fin du IIIe siècle avant
J.-C. (Xiongnu, selon la transcription pinyin), et, plus tard, Sien-pi ou Sien-pei du IIe
au IVe siècle (Xianbei en pinyin), Jouan-jouan (Ruanruan), puis T'ou-kiue (Tujüe, ou
encore Türk).
À l'époque de l'Empire gengiskhanide (XIIIe s.), il est avéré que les ancêtres des
actuelles tribus bouriates y résidaient déjà, reconnaissant l'autorité du Grand Khan et
s'adonnant à la chasse et à l'élevage nomade. D'ailleurs, le type anthropologique des
Bouriates contemporains, tout en appartenant au type centre-asiatique mongoloïde,
semble présenter des liens génétiques avec la population locale néolithique, ce qui
prouverait une implantation ancienne des Bouriates dans la région.
La Mongolie est le creuset d'où sont sorties les races turque et mongole, parentes ou
proches par leur langue comme par certains traits ethniques et culturels. En cette
terre dure à l'homme, l'élevage nomade s'est trouvé être la forme d'économie la
mieux adaptée aux conditions naturelles. Non que l'agriculture et la vie sédentaire y
aient été ignorées ou y soient impossibles, comme le prouvent les vestiges,
disséminés dans les steppes, de canaux d'irrigation et de villes ; mais, à l'époque
historique et jusqu'à l'implantation d'une économie de type moderne en Mongolie
actuelle, elles sont restées des phénomènes localisés.
Le peuple mongol était un peuple nomade. Les États d'Asie, de Russie et du MoyenOrient étaient déclinants ou très petits. Prenant l'initiative, les Mongols exploitèrent
ce vide de pouvoir et joignirent toutes ces zones en un réseau de commerce
solidaire. Ils étaient complètement dépendants du commerce avec les citadins. Étant
nomades, ils n'accumulaient pas de surplus en vue des périodes difficiles. Le début
de la conquête, en 1200, fut provoqué par la réduction des échanges commerciaux
de la Chine du Nord. Ils attaquèrent pour survivre.
Conquérir, du point de vue initial du Khan, ne consistait par à soumettre les cultures
concurrentes à la façon de vivre nomade, mais plutôt à les détruire. Parce qu'il était
nomade, on suppose que Gengis Khan n'a pas compris ou n'a pas fait attention aux
bénéfices de la vie en ville. C'est un contraste marquant avec la réalité évidente de
leur dépendance au commerce avec ces personnes. On a dit que le plan initial de
Gengis Khan était de détruire les territoires conquis, de détruire toute trace de la
civilisation ennemie et de convertir les terres en pâturages pour ses troupeaux.
Cependant, Sorghagtani Beki signala un avantage caché de conserver le statu quo.
Si les habitants des villes étaient autorisés à continuer leur style de vie, ils pourraient
produire un surplus de nourriture et de produits, une portion qui pourrait être payée
au Khan comme taxe. Étant donné l'extraordinaire succès des conquêtes du Khan,
ces richesses pouvaient être elles aussi extraordinaires. Après avoir soupesé cette
idée, Khan l'accepta et préleva des taxes. D'innombrables vies et cultures furent
sauvées par cette méthode.
Gengis Khan n'a jamais eu l'intention de créer un empire mondial. Chacune de ses
conquêtes étaient dues à une dispute spécifique sur le développement du réseau
commercial (le traitement des Mongols, ou des termes désavantageux pour le
commerce). Un exemple est la capture de Yanjing en 1215. Il refusa d'exploiter la
capture de la capitale de toute la Chine du nord. Après son succès, il retourna
simplement dans les steppes (avec un butin). Le même modèle fut appliqué lors de
la conquête de l'Asie de l'ouest, prise en seulement six ans. C'était une formule
simple : surmonter les résistances, établir des contrats commerciaux avantageux et
repartir.
Et, de siècle en siècle, les « empires des steppes », selon l'heureuse formule de
René Grousset, s'y sont succédé suivant un schéma à peu près immuable : d'un petit
clan, luttant contre les rudesses du climat et les empiétements de ses voisins pour se
maintenir dans une vie précaire, surgit un chef énergique qui s'impose peu à peu par
la force de ses armes, le prestige grandissant de son nom et ses alliances
matrimoniales. Il en arrive ainsi, en quelques décennies, à dominer une
confédération de tribus - l'équivalent nomade de l'État sédentaire - dont il est
proclamé le souverain ou qagan (« grand-khan »). Son pouvoir, des immensités de
l'Eurasie centrale où il s'étend de proche en proche, entre alors en conflit avec celui
des peuples sédentaires limitrophes, le monde chinois en particulier. Qu'importe si à
l'issue du combat le qagan, victorieux, monte sur le trône du royaume sédentaire ou
si, tenu en respect, il se satisfait de sa puissance sur le monde nomade : son empire
ne s'en disloque pas moins sous ses successeurs aussi promptement qu'il s'est
formé, et selon un processus symétrique. Car les tribus qui avaient suivi sa fortune
l'abandonnent dès les premiers signes de faiblesse pour retrouver, selon les
circonstances, un rival en pleine ascension ou l'anarchie de la compétition
individuelle. L'anthropologie n'a-t-elle d'ailleurs pas établi que l'ancien nomadisme
d'Asie centrale reposait sur des unités familiales structurellement toutes équivalentes
les unes aux autres, et que la différenciation socio-économique ne pouvait se
développer que dans un contexte de conquêtes guerrières ?
Les Turcs propres apparaissent sous ce nom au VIe siècle et les Mongols propres (si
l'on excepte quelques mentions éparses dans les annales chinoises depuis les Tang)
à la fin du XIIe siècle avec Gengis-khan. Avant ces deux dates, l'historien ne peut
parler respectivement que de Proto-Turcs et de Proto-Mongols, et l'attribution de
chaque dynastie nomade à l'une de ces deux ethnies repose principalement sur une
étude linguistique des fragments d'onomastique et de titulature parvenus jusqu'à
nous par l'entremise des chroniqueurs des pays sédentaires. De fait, les
confédérations des nomades étaient composites, les mêmes éléments se retrouvant
sous une direction à prédominance tantôt turque et tantôt mongole. Entre ces
éléments, les emprunts linguistiques et les mélanges ethniques étaient constants par
les intermariages (chaque unité patrilinéaire pratiquant l'exogamie) et par les unions
de fait autant que par l'influence, forcée ou libre, des maîtres de l'heure. À travers les
siècles, nombreux sont les exemples de Turcs mongolisés et de Mongols turcisés.
Les Timourides, les Cagataides (ou Djaghataïdes), les souverains des khanats de
l'Empire russe, tous turcs et musulmans, ne revendiquent-ils pas, à juste titre, une
ascendance gengiskhanide ? Et la petite tribu mongolisée des Tatar, ennemie sans
pitié du clan de Gengis khan qui la décima en 1202, n'était-elle pas si célèbre que
son nom désignait pour les Chinois - et pour les Européens sous la forme
« Tartares » - l'ensemble des nomades d'Asie centrale, tandis qu'un peuple turc de la
Volga en perpétue maintenant encore l'appellation ?
Qu'ils soient turcs ou mongols, les peuples de l'Asie centrale antique et médiévale
partageaient le même genre de vie. Car les différenciations s'opéraient entre eux non
par ethnie, mais par zone climatique et selon la distance les séparant du monde
chinois : depuis les tribus contiguës à la Chine ou, bien souvent, installées sur son
territoire même et déjà sinisées jusqu'aux pasteurs plus frustes des steppes boisées
de la Mongolie septentrionale et, enfin, aux rudes chasseurs de la taïga sibérienne,
les bribes de la civilisation chinoise se diffusaient avec une force décroissante d'un
peuple à l'autre. Mais, s'ils sont barbares aux yeux des Chinois et des autres
sédentaires qui méprisent leur vie nomade et redoutent leur vigueur guerrière, les
peuples turco-mongols, vus à travers leurs propres sources historiques et leurs
traditions, apparaissent riches d'une civilisation originale. Ils ont d'ailleurs à leur tour
marqué la Chine de leur empreinte pour y avoir, depuis les débuts de notre ère,
régné durant près de huit cent cinquante ans. Et leur apport à la civilisation mondiale
n'est pas fait que de destructions : lien entre les extrémités du monde eurasiatique,
les nomades des steppes ont été, dès l'époque la plus haute, le véhicule des
techniques, des motifs artistiques, des religions. Maîtres dans l'art de la guerre et
dans les techniques de l'élevage, ils ont enseigné à leurs voisins, entre autres, les
finesses du dressage du cheval et de la stratégie militaire mobile.
Françoise AUBIN
Le plus remarquable Mongol du XIIIe siècle (bien plus que Gengis Khan lui-même)
était la mère de Kubilai Khan et la belle-fille de Gengis Khan, Sorghagtani Beki (voir
plus haut). Elle est mentionnée par de nombreux écrivains du XIIIe siècle, comme
des Persans, des missionnaires européens et des érudits arabes comme la plus
renommée des Mongols. Un physicien du Moyen-Orient commenta : « Si je voyais
parmi la race des femmes une autre aussi remarquable que celle-là, je dirais que la
race des femmes est supérieure à la race des hommes ».
Le plus grand exploit de Beki fut de se rendre compte des problèmes sérieux que les
Mongols rencontreraient en dirigeant un empire intercontinental. Bien qu'illettrée ellemême, en élevant ses quatre fils (tous destinés à être Khan) pour diriger, elle leur fit
apprendre à chacun une des langues utilisées par un de leurs peuples. De plus, elle
éduqua des serviteurs de la cour et des nobles sur les religions de leurs sujets et les
envoya pour devenir membre du clergé dans chaque région. La tolérance religieuse
était prévue par la loi et toutes les religions étaient équitablement soutenues dans
tout l'Empire. Cela éliminait une source de conflit sur laquelle une résistance aux
Mongols aurait pu être basée.
Sa plus grande contribution au gouvernement mongol fut de se rendre compte
qu'une exploitation purement économique des peuples gouvernés serait contreproductive. Donc, plutôt que de transformer la Chine en pâturage mongol, elle
maintint la société chinoise. L'augmentation de la production réalisée grâce au règne
éclairé des Mongols provoqua une augmentation des taxes et des tributs. Chacun de
ses fils suivit la même philosophie, assurant la continuité et la stabilité. La tolérance
religieuse, support économique et le degré d'alphabétisation furent les innovations
qui conduisirent un petit peuple de nomades à diriger tout ce qu'ils pouvaient
contempler.
La proclamation en 1206 de Temüdjin comme roi universel ou « Gengis khan » par
une diète de chefs mongols marque l'accès au pouvoir suprême du guerrier issu de
la tribu Borjigin. Protégé dans un premier temps avec ses frères par Toghril-khan,
souverain de la tribu turco-mongole des Kereit, Temüdjin est parvenu, grâce à des
raids victorieux, à accumuler richesses et prestige et à rallier compagnons puis clans
entiers. Vers 1200, il élimine ses ennemis Tatars (qui ont tué son père Yesügei) et
Taiciut, puis se retourne contre son protecteur Toghril-khan et exécute en 1205 son
ancien allié Jamuqa, devenu depuis 1201 son principal concurrent, avant de
soumettre les tribus Naiman et Merkit. Cette unification mongole autour de Temüdjin,
contrairement à l'éphémère tentative effectuée dans les années 1140 par son
bisaïeul Qabul-khan, s'appuie sur une organisation militaire structurée et sur une
esquisse d'État, qui dépasse le stade de l'alliance instable entre clans : elle se révèle
dès lors durable et constitue la première étape de construction de l'empire qui va
bientôt subjuguer l'Asie et l'Europe centrale. Comme toutes les grandes familles
turques ou mongoles de l'Asie centrale ancienne, celle de Gengis-khan se
transmettait, de génération en génération, le récit mythique d'une origine
supranaturelle. Le culte rendu à Gengis-khan dès sa mort permit d'en fixer le
souvenir : « L'origine de Gengis-khan est le Loup gris-bleu, né avec son destin venu
du Ciel supérieur, et sa femme la Biche fauve. »
Plus prosaïquement, ses ancêtres appartiennent à un sous-clan mongol des Borjigin,
un de ces nombreux groupuscules qui se disputent âprement la steppe dans une
alternance de prospérité et de misère. Après une longue période d'anarchie, ils ont
réussi, vers la fin du XIe siècle et le début du XIIe, à regrouper autour d'eux un
certain nombre de tribus. Qabul-khan, donné comme arrière-grand-père de Gengiskhan (tabl. 1), avait été le chef le plus brillant de ce premier embryon de
confédération mongole. Mais sous ses successeurs, son cousin Ambaqai et son fils
Qutula-khan (sans doute le grand-oncle de Gengis-khan), les coups conjoints de
deux ennemis redoutables - les Tatar, déjà évoqués, et les Jürcen ou Jin, maîtres
« barbares » de la Chine du Nord - ont disloqué la petite union mongole.
Lors de la naissance de Temüjin, le futur Gengis-khan, au milieu du XIIe siècle (les
sources persanes le font naître en 1155, les sources chinoises en 1162 - et c'est la
date qui a été retenue par la Mongolie postcommuniste pour célébrer l'anniversaire
de son grand homme ; mais l'érudit Paul Pelliot, et nombre d'autres à sa suite, ont
opté pour 1167), les tribus les plus puissantes sont alors, non plus les Borjigin, mais
les Tatar, les Merkit et surtout des peuples d'une civilisation déjà évoluée, largement
convertis au christianisme nestorien, les Naiman et les Kereit - ceux-ci dirigés par
Togril-khan, personnage dans lequel les contemporains auraient vu le fameux
« Prêtre Jean » (carte 1).
Il a huit ans (neuf selon le comput traditionnel sino-mongol, qui ajoute un an à l'âge
du nouveau-né) lorsque son père Yesügei périt empoisonné par les Tatar. Ses frères
et lui, aussitôt abandonnés par tous les alliés, vassaux et esclaves de la veille,
connaissent alors les pires adversités. Sans troupeau pour se nourrir, harcelés par
leurs ennemis, ils ne doivent de survivre qu'à l'énergie de leur mère, la vaillante
Hö'elün, et sans doute aussi à leur bonne étoile. Tel est, du moins, le récit qu'en a
transmis à l'admiration de la postérité un extraordinaire document, datant des
environs de 1240 et conservé en traductions chinoises interlinéaire et paragraphe
par paragraphe, et en une translittération syllabe par syllabe des mots mongols notés
au moyen de caractères chinois : L'Histoire secrète des Mongols (Monggol-un niuca
tobca'an en mongol, Yuanchao bishi en chinois), une chronique en forme épique et
moralisatrice, sur le degré d'affabulation de laquelle les spécialistes n'en finissent pas
de discuter.
Arrivé à l'âge adulte, Temüjin, aidé de ses frères, tente fortune en renouant les liens
que son père avait contractés : il commence par aller chercher Börte, l'épouse qui lui
était destinée depuis l'enfance, dans le clan des Qonggirat ; puis il fait allégeance à
Togril-khan, le souverain des Kereit qui avait été l'allié juré (ou anda) de son père,
selon une relation conventionnelle en usage chez les nomades et d'un effet aussi
puissant, sinon plus, que la parenté par le sang ; enfin, il retrouve le propre allié juré
de ses jeunes années, Jamuqa, chef d'un petit parti. Quelques fidèles commencent à
se joindre à lui à titre individuel, attirés par sa bonne mine et la haute réputation de
ses ancêtres, et le servent dès lors avec un dévouement à toute épreuve, tel le Jalair
Muqali, futur représentant du grand-khan en Chine du Nord. Puis, à mesure que des
raids heureux étendent son renom et font bien augurer de son avenir, des clans
entiers se rallient à lui, et finalement, dans la dernière décennie du XIIe siècle, le
reconnaissent solennellement comme chef.
Dès ce temps, il pose systématiquement les fondations d'une armée organisée, en
assignant une fonction à chacun de ses compagnons : gardes du corps choisis parmi
les plus loyaux, estafettes, responsables des chevaux, de la discipline, etc. Les
cadres d'un État militaire nomade seront ainsi mis en place par étapes, avant même
que n'existe le personnel suffisant pour en remplir les services.
Cependant, Temüjin est encore sous les ordres du souverain kereit, dont le prestige
s'est accru du titre nouveau, sous lequel l'histoire le connaît, d'ong-qan, tandis que
Jamuqa, proclamé à son tour (en 1201) chef d'une coalition de tribus hostiles à
Temüjin, a reçu de ses partisans le vieux titre turco-mongol de gür-qan (« khan
universel »). Lorsque le conflit, inévitable, éclate avec ces deux rivaux, Temüjin
prend toujours soin de mettre le bon droit de son côté en se présentant comme
l'offensé, contraint de venger l'honneur de son sang, dans des messages versifiés.
Après de sanglants combats à l'issue longtemps incertaine, Temüjin, qui avait déjà
anéanti, non sans peines et dangers, ses pires ennemis, les Taiciut et les Tatar, abat
maintenant ses anciens protecteurs ; puis il vient à bout des derniers grands peuples
nomades, qu'il avait combattus auparavant avec moins de succès, les Naiman et les
Merkit.
Il est le maître incontesté des steppes de la Mongolie, l'héritier des qagan xiongnu,
tujue et uigur. En 1206, il fonde l'État - ou peuple - mongol (mongol ulus) au cours
d'une diète (ou quriltai) des chefs de toutes les tribus. Confirmé dans la dignité de
grand-khan sous le nom de Gengis-khan (ou, plus correctement, Cinggis-qan), il
complète solidement l'organisation militaire qu'il ébauchait depuis une dizaine
d'années et, sous la direction d'un lettré turc uigur, il dote son État d'une première
administration civile, qui a déjà vocation à gouverner le monde.
Les premières années qui suivirent le quriltai de 1206 marquent une nouvelle étape
dans la formation du monde gengiskhanide, par l'adhésion spontanée au jeune État
mongol des grands peuples turco-mongols sédentarisés qui, vont jouer le rôle
d'initiateurs à la civilisation et de guides pour la préparation des invasions en pays
sédentaires. Ce sont, en 1207, au sud, les Öngüt des marches chinoises ; en 1209,
au sud-ouest, le royaume des Turcs Uigur, vestige d'un grand empire des steppes
des VIIIe et IXe siècles ; en 1211, à l'ouest, les Qarluq et autres peuples turcs des
rives de l'Ili et du lac Balkhas, alors sous domination qarakitai ; enfin, en 1212, à l'est,
les Kitan, peuple sinisé de race mongole, qui avaient conquis le nord de la Chine au
Xe siècle, sous le nom dynastique de Liao, avant d'être assujettis aux Jürcen, euxmêmes Tungus (ou Proto-Mandchous) de Mandchourie, maîtres depuis 1125 de la
moitié septentrionale de la Chine sous le nom dynastique de Jin (carte 2tabl. 2 ; cf.
aussiCHINE - Histoire jusqu'à 1949 : 10 Le joug mongol).
Enfin, le glacis protecteur est complété au nord, en 1207, par la conquête des
peuples de la forêt de Sibérie, à l'ouest du lac Baikal : les Turcs Kirghiz, les Mongols
Oirat, Tümet et Buriat (ou Bouriates), grands pourvoyeurs en pelleterie de luxe.
Cependant, les Mongols tentaient d'envahir les pays sédentaires en attaquant une
région de steppe qui faisait morphologiquement suite au Gobi : le royaume des
Tangut, peuple sinisé de race tibétaine qui avait fondé au XIe siècle, aux portes
occidentales de la Chine, la dynastie indépendante des Xi-Xia [Si-Hia]. Les
premières incursions de petits détachements mongols en 1205 et 1207 avaient
échoué devant l'obstacle nouveau des villes, jusqu'à ce qu'en 1209, Gengis-khan
ayant pris lui-même la tête de l'armée, le souverain Xi-Xia offrît une soumission,
jugée momentanément suffisante.
Après cette expérience commença, en 1211, l'aventure chinoise des Mongols.
Conseillés par des transfuges kitan, ils envoyèrent d'année en année des raids de
pillage de plus en plus insistants dans la Chine des Jürcen, apprenant ainsi peu à
peu la stratégie des combats en pays à démographie dense et à villes murées et le
maniement d'une population d'agriculteurs. Dans une première étape, Gengis-khan
conduisit personnellement des opérations menées en plusieurs détachements. Puis,
lorsque Pékin (le Daxing de l'époque, capitale principale des Jin) fut tombé en 1215,
le grand-khan confia bientôt (1217) ce secteur militaire à l'un de ses fidèles du début,
Muqali. La Mandchourie était elle aussi annexée (1214-1215) et la Corée envahie
une première fois (1219). Mais Muqali et Gengis-khan allaient mourir, respectivement
en 1223 et en 1227, sans que la chute des Jin fût totalement consommée, tant
l'occupation de la terre chinoise présentait de difficultés pour les guerriers des
steppes. Leur conquête offrit d'ailleurs ce caractère doublement paradoxal d'être
réalisée dans des territoires défendus, durant les dernières années, non plus par les
Jin, mais par des rebelles chinois ennemis des Jin, et d'avoir pour instrument des
officiers et des troupes recrutés en majorité parmi les Chinois lassés de la
domination jürcen.
Mais, dès 1217, Gengis-khan avait à son service un corps d'artillerie chinois suffisant
pour lui permettre de réduire les places fortes d'États moins bien défendus que la
Chine. La Chine disposait en effet, à cette époque, tant pour la prise que pour la
défense des citadelles, d'un armement basé sur le pierrier bandé, d'une puissance et
d'une précision supérieures à celles des catapultes à torsion et à contrepoids
utilisées en Occident. Et, si les propriétés de la poudre, découvertes comme on le
sait par les Chinois, n'étaient pas encore appliquées au lancement des projectiles,
elles trouvaient un emploi redoutable dans les boulets incendiaires ou explosifs.
Une situation confuse aux marches occidentales du nouvel Empire mongol donnait
alors précisément à Gengis-khan prétexte à poursuivre ses conquêtes, tout en
invoquant, comme précédemment, son bon droit. Le dernier souverain du peuple
naiman (abattu en 1204), ayant réussi à s'emparer du pouvoir chez les Qara-Kitai
(dynastie de la région du lac Balkhas, au Turkestan, issue des Kitan de
Mandchourie), auprès desquels il avait trouvé refuge, persécutait maintenant ses
voisins ralliés à Gengis-khan. Un petit détachement mongol en vint facilement à bout
en 1218 et se posa en libérateur des populations musulmanes qu'opprimait le prince
naiman, chrétien nestorien converti au bouddhisme. Puis le royaume du Khorezm,
devenu limitrophe des possessions gengiskhanides, attira sur lui la catastrophe par
l'assassinat inconsidéré d'envoyés du grand-khan. Les victimes n'étaient que
quelques-uns de ces marchands musulmans utilisés habituellement par Gengis-khan
comme agents de renseignements, de propagande et de liaison. Mais l'atteinte à leur
personne fut reçue par le grand-khan comme un affront personnel. La première
grande campagne d'Occident commença en 1219. Les villes, joyaux de la civilisation
iranienne, furent abattues l'une après l'autre - Otrar en 1219, Bukhara et Samarqand
en 1220, Urgenc (ou Gurganj selon le nom médiéval) en 1221 -, leur population et
leur garnison étant massacrées dans la mesure où elles avaient résisté à l'ordre de
soumission qui leur était intimé avant le combat. Puis, aussitôt, des gouverneurs
indigènes furent désignés, à moins que les anciens princes ne soient maintenus,
pour restaurer une vie normale et réorganiser les activités économiques, sous le
contrôle de résidents (darugaci) mongols ou uigur.
Et, tandis que Gengis-khan poursuivait le fils du défunt shah du Khorezm à travers
l'Afghanistan et jusqu'à la vallée de l'Indus où se livra la bataille décisive (1221), le
dernier fils du grand-khan, Tolui, conquérait le Khorasan, et deux brillants généraux,
Jebe et Sübötei, menaient un raid audacieux de reconnaissance, préliminaire d'une
conquête future, à travers les steppes des Qipcaq (peuplade nomade turque,
appelée aussi Coman ou Polovtsy), la plaine russe, la Crimée - dont ils pillaient les
comptoirs génois -, le royaume bulgare de la Volga. En 1225, Gengis-khan rentrait
en Mongolie, laissant derrière lui le Turkestan pacifié (carte 3).
En 1226, il repartait en campagne, dans le Sud cette fois, pour lancer un nouvel
assaut contre le royaume Xi-Xia, dont la soumission de 1209 n'avait été
qu'apparente. Le Xi-Xia fut écrasé en 1227 et sa capitale Zhongxing (Irgai en tangut,
actuel Ningxia) saccagée. Mais sur ces entrefaites mourait Gengis-khan.
La succession de Gengis khan
Conquis et gardé par des poignées d'hommes (au total 150 000 hommes au plus),
l'immense Empire qu'il léguait à ses héritiers s'étendait des rives du Pacifique à
celles de la mer Caspienne, sur les tribus nomades et les peuples sédentaires, en un
bloc unifié, assujetti à une loi unique. Mais la dévolution successorale n'en pouvait
être réglée que selon les principes coutumiers des steppes, inadaptés en fait à la
notion de pouvoir absolu que le grand-khan venait de créer. Chaque élément du
patrimoine gengiskhanide fut, en effet, attribué suivant les règles qui, par analogie,
lui auraient été propres dans la succession normale d'un chef de tribu ou de petite
confédération.
En premier lieu, la jouissance des pâturages - élément foncier essentiel à la vie
pastorale nomade -, assortie du commandement des tribus qui y avaient un territoire
de pacage assigné, avait été répartie par Gengis-khan de son vivant entre les fils de
son épouse principale, Börte, et ses frères, en zones ou ulus, équivalents nomades
des fiefs, avec vocation à s'agrandir des territoires conquis en leur proximité. En
deuxième lieu, chaque membre de la famille impériale bénéficiait d'« apanages »
constitués en population - nomade ou sédentaire - dont les revenus économiques lui
étaient attribués
Sous forme de livraisons obligatoires. En troisième lieu, l'avoir fondamental du père
de famille, ensemble de biens mobiliers et incorporels - cultuels surtout -, revenait
par coutume au dernier-né, réputé gardien du foyer paternel. Enfin, l'autorité
suprême passait à un chef élu par ses pairs, en l'occurrence un des fils de Gengiskhan qui, même désigné par son père, devait être confirmé par ses agnats.
Dans ce système composite s'enchevêtraient des notions juridiques aussi
contradictoires que celles de l'égalité successorale des fils légitimes, de la
primogéniture (droits favorisés du premier-né) et de l'ultimogéniture (droits favorisés
du dernier-né), et des conceptions politiques aussi opposées que celles d'un État
patrimonial indivis entre les membres de la famille régnante et d'un État centralisé et
unitaire, d'une pérennité transcendant les bénéficiaires du pouvoir. L'insubordination
traditionnelle des guerriers des steppes aidant, il ne fallut pas plus d'une trentaine
d'années pour que l'unité de la création gengiskhanide se rompît dans les rivalités et
que chacun des petits-fils du Conquérant du monde s'érigeât en souverain
indépendant dans son ulus transformé en royaume héréditaire.
En 1227, la situation était, en pratique, la suivante : l'Empire se trouvait partagé en
quatre grandes zones d'influence, dont les limites étaient - l'on s'en doute étant
donné leur caractère en pays nomade - rien moins que précisescarte 3 (tabl. 1). Le
fils aîné, Jöci, avait été le premier pourvu par son père vers 1206, en recevant « les
terres de l'Ouest ». La limite orientale de son territoire de nomadisation était alors le
Selenge, mais, à mesure que le monde mongol s'élargissait, elle s'était déplacée
vers l'ouest et était, en 1227, fixée le long de l'Irtys. Jöci étant mort quelques mois
avant son père, son territoire avait été, à ce moment, partagé entre ses deux fils
aînés, les cadets s'étant établis plus tard : la zone couvrant approximativement la
Sibérie occidentale, l'actuel Kazakhstan et le bassin inférieur du Syr-Daria passa à
Orda, le fondateur de la Horde Blanche, qui ne joua qu'un rôle effacé dans l'histoire
de l'époque ; la partie la plus occidentale, comprenant virtuellement toutes les
régions jusqu'où, à l'ouest, « entrerait le sabot du cheval mongol », passa à Batu
(mort en 1255), le fondateur de la célèbre Horde d'Or ou khanat Qipcaq. Le
deuxième fils de Gengis-khan, Cagatai ou Jagatai (mort en 1242), dont allait sortir la
dynastie des Cagataides (ou Djaghataïdes), avait reçu l'ancienne région Qara-Kitai,
au sud du lac Balkhas, et la Transoxiane jusqu'à Bukhara et Samarqand. Mais les
villes continuaient à être gouvernées par des autorités indigènes, sous le contrôle
plus ou moins théorique du grand-khan et non du bénéficiaire de l'ulus, de même
qu'au sud, le Khorasan.
Le troisième fils, que Gengis-khan voulait pour successeur à la tête de l'Empire,
Ögödei, fut installé au centre des possessions, entre l'Irtys et le Selenge, dans les
anciennes terres des Naiman et des Kereit. Enfin, outre que les deux frères
survivants de Gengis-khan, Jöci-Qasar et Temüge-Otcigin, reçurent des ulus
secondaires, aux marches orientales de l'Empire, le dernier fils, Tolui, hérita du
berceau de la dynastie, des grands campements (ordo) que Gengis-khan et ses
femmes y maintenaient en guise de cour impériale et de la plus grande partie de
l'armée, ainsi que du devoir d'entretenir le culte aux esprits protecteurs du clan - au
premier chef, celui de Gengis-khan. Par la position de son ulus, il jouissait aussi d'un
droit virtuel sur les conquêtes de Chine. Enfin, son titre de dernier-né lui valait, sa
mère étant déjà décédée, la régence de l'Empire dans l'attente du quriltai appelé à
élire le nouveau grand-khan. Deux ans s'écoulèrent avant que cette réunion eût lieu
et que, finalement, le choix de Gengis-khan étant confirmé, Ögödei fût intronisé. Et
comme, vingt ans plus tard, la lignée d'Ögödei fut définitivement éliminée au bénéfice
de celle de Tolui (mort lui-même en 1232), on peut imaginer quelles intrigues ont dû,
pendant ce long laps de temps, secouer déjà la famille impériale et les partisans de
chaque coterie.
Car les luttes fratricides étaient alors monnaie courante dans les steppes. Réputé,
quoi qu'en aient pensé les peuples conquis, pour sa modération et sa maîtrise de soi,
Gengis-khan, enfant, avait tué son demi-frère coupable de lui avoir enlevé le produit
de sa chasse et, adulte, alors qu'il combattait pour la domination dans les steppes,
avait voulu exécuter son oncle pour s'être rallié au parti de l'ong-qan des Kereit. À la
fin de ses jours enfin, un conflit semblait imminent avec son fils aîné Jöci, qu'évita
seule la mort des deux partenaires à quelques mois d'intervalle. Mais la branche
aînée, retranchée dans son ulus occidental, ne fit que se fortifier dans la dissidence
et entretenir la discorde entre les branches cadettes. Et, les règles de la dévolution
de l'Empire n'étant pas mieux fixées à la mort d'Ögödei, non plus qu'à celle de ses
successeurs, des régences longues de plusieurs années avant la désignation
définitive de chaque nouveau grand-khan furent autant d'occasions de compétitions
sanglantes dans lesquelles sombra l'œuvre de Gengis-khan : de 1241 à 1246,
régence de la veuve d'Ögödei, Töregene, jusqu'à l'élection de Güyük, fils aîné
d'Ögödei ; puis, régence de la veuve de Güyük, Ogul-Qaimis, de 1248 à 1251,
jusqu'à l'élection du fils aîné de Tolui, Möngke, dont la mère, la Kereit Sorgaqtani, est
célèbre pour l'avoir aidé, avec l'appui de Batu, le khan de la Horde d'Or, fils de Jöci,
à évincer les descendants d'Ögödei et à en supprimer le plus grand nombre.
La reprise de la conquête du monde
Jusqu'à la mort de Möngke (1259), cependant, l'unité de l'Empire va être à peu près
maintenue, malgré de graves dissensions internes, et la conquête du monde se
poursuivra inexorablement, menée par l'ensemble des représentants des diverses
branches rivales.
La première campagne du règne d'Ögödei fut conduite en Chine du Nord et marqua
la fin des Jin, délogés de leurs dernières possessions dans la plaine du fleuve Jaune
grâce à un mouvement stratégique de vaste envergure, imaginé, dit-on, par Gengiskhan peu avant sa mort. Leur capitale, Kaifeng, tomba en 1233 aux mains du
stratège Sübötei, et le dernier souverain se suicida en 1234.
Puis commencèrent les premières escarmouches d'une guerre de près de cinquante
ans contre les Song du Sud, devenus limitrophes des Mongols. Un mouvement
tournant fut, là aussi, esquissé, qui se termina par la conquête, mal assurée encore,
du Sichuan (1237-1238). En Corée, une première occupation de tout le pays en
1231, renforcée en 1236, ne venait pas à bout d'une résistance diffuse qu'entretint
durant une vingtaine d'années (jusqu'en 1258), sous le couvert d'une prétendue
vassalité, le souverain légitime réfugié sur un îlot à l'ouest de Séoul. Et, pour en finir
avec le front oriental, le Tibet, envahi en 1239, fit sa soumission, mais des
dissidences obligèrent les successeurs d'Ögödei à quelques autres campagnes
(1251, 1267, 1290) qui laissèrent cependant toujours une large autonomie aux chefs
politico-religieux de ce pays difficile à tenir en main.
Sur le front occidental, au contraire, les victoires du règne d'Ögödei furent décisives.
En Iran, le fils du souverain du Khorezm que Gengis-khan avait poursuivi, on s'en
souvient, jusqu'aux rives de l'Indus, s'était rétabli dans l'ouest de ses terres sitôt que
le gros des armées mongoles s'en était allé (1224-1225). Le général Cormagan le
défit (1231) et, ayant assujetti l'Azerbaijan (1233), la Grande Arménie (1236), la
Géorgie (1239), il demeura en ces régions, garant du maintien de l'ordre
gengiskhanide. Le général Baiju qui lui succéda (1242-1256) donna à l'Empire la
seule victoire notable remportée durant une dizaine d'années, de la fin d'Ögödei à
l'avènement de Möngke : la défaite du sultanat seljuq (1243), réduit dès lors à une
vassalité étroite jusqu'à l'annexion finale en 1308 ; tandis que, simultanément, la
Petite Arménie (ou Cilicie), pays chrétien menacé par l'islam, se soumettait
volontairement (1244) et allait rester une alliée loyale.
La campagne la plus foudroyante fut celle que conduisit le glorieux Sübötei, sous
l'autorité de Batu, le fils de Jöci dont l'apanage avait vocation à englober l'Europe.
Toutes les peuplades de l'actuelle plaine russe, particulièrement Turcs Qipcaq et
Bulgares de la Volga, furent subjuguées (1236-1239) et les villes russes ravagées :
en 1237-1238, Riazan, Vladimir, Moscou, Tver, enfin Novgorod, point septentrional
extrême de cette percée ; en 1239-1240, Kiev et l'Ukraine. Puis, par d'habiles
mouvements stratégiques combinés, la chevauchée victorieuse se poursuivit en
1241, dans une traînée de sang et de feu que rien ne semblait pouvoir arrêter, à
travers la Pologne, la Hongrie, et jusqu'aux environs de Vienne. À l'été et à
l'automne, les troupes se refirent dans la puszta, où hommes et chevaux trouvaient
des conditions proches de celles de leurs terres natales. L'Europe centrale paraissait
destinée à devenir un nouveau khanat, et l'Europe occidentale, affaiblie par un conflit
entre la papauté et l'Empire, la proie désignée pour une prochaine campagne,
lorsque l'annonce de la mort d'Ögödei et la perspective de compétitions
successorales incitèrent les chefs gengiskhanides (qui, rappelons-le, provenaient
d'ulus rivaux) à regagner la Mongolie propre, non sans compléter leurs ravages par
un retour à travers la Serbie et la Bulgarie.
Jusqu'au règne de Möngke, les opérations d'envergure furent suspendues et, à
l'exception de la défaite des Seljuq déjà mentionnée, les troupes frontalières ne firent
que maintenir leur pression sur les peuples voisins, Cachemire et Inde du Nord en
particulier.
Sous la domination solide de Möngke, au contraire, l'implacable expansion reprend,
qui va être une fois encore stoppée brusquement en pleine avance par la mort du
grand-khan. Sur le front oriental, les armées conduites par Uriangqadai, le fils du
général Sübötei, et par le frère du grand-khan, Qubilai, à cette époque apanagé en
Chine du Nord, mènent une nouvelle campagne destinée à prendre les Song à
revers. Elles descendent jusqu'au Yunnan et conquièrent le vieux royaume du
Nanzhao (1253), dépositaire depuis le VIIIe siècle d'une civilisation thai ; puis elles
soumettent les tribus tibétaines du voisinage et, surgissant dans la plaine du Tonkin,
contraignent le roi d'Annam à faire acte de vassalité (1257). Mais le mouvement final
de tenailles, opéré simultanément en 1258 par un corps remontant du Tonkin, deux
autres venant de Chine du Nord et un dernier se rabattant de l'ouest et conduit par
l'empereur en personne, tourne court en raison de la mort de Möngke.
Sur le front occidental, le commandement suprême avait été confié à un autre frère
du grand-khan, Hülegü, qui, après avoir réduit les forteresses de la redoutable secte
ismaïlienne au Mazandaran (1256) et le khalifat abbaside de Baghdad (1258), avait
envahi la Syrie des Ayyubides jusqu'à Damas (1260). Mais, ici aussi, les querelles
successorales interrompent la campagne, et la Syrie tombe finalement aux mains
des Mamluk d'Égypte.
Les invasions mongoles du Japon de 1274 et 1281 étaient des opérations militaires
majeures entreprises par Kubilai Khan pour conquérir l'archipel japonais après sa
conquête de la Corée. Malgré leurs défaites finales, ces tentatives d'invasions ont eu
une grande importance macrohistorique : elles mettent une borne à l'expansion
mongole, et sont des événement de dimension nationale dans l'histoire du Japon. De
nombreuses œuvres de fiction y font référence, et ce sont les premiers événements
durant lesquelles le terme de kamikaze (« vent divin ») est utilisé. De plus, mis à part
l'occupation américaine du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces
invasions avortées représente ce que le Japon a connu le plus proche d'une invasion
dans les 1500 dernières années.
Kubilai Khan, après avoir envisagé une nouvelle tentative en 1284, doit renoncer à
cause des troubles en Asie du Sud-Est.
Le Japon échappe donc à l'invasion mongole, mais la victoire lui coûte cher : Louis
Frédéric3 note à ce sujet qu'en l'absence de sentiment national, les guerriers ne
combattent que pour le profit et que le bakufu, « épuisé par l'effort de défense, se
révèle incapable de récompenser ses vasseaux », et que certains de ceux-ci se
voient obligés de céder des terres à des hommes ne faisant pas partie de la classe
des bushi.
Le bakufu tentant d'empêcher ce phénomène contraire aux lois du Jōei Shikimoku
s'aliène encore plus les samouraïs, pendant qu'une classe de marchands et
d'artisans enrichis grâce à la guerre émerge. L'effondrement de l'économie au profit
d'une classe de prêteurs sur gage, les taxes supplémentaires pour améliorer les
dépenses du pays causent des troubles et entraîne l'instabilité du bakufu et
permettent à l'empereur Go-Daigo de faire chuter le shogunat de Kamakura et
d'initier la restauration de Kemmu.
Chronologie de la Conquête
1200 : Nord de la Chine - Nombre de morts inconnu
1215 : Yanjing, Chine - Nombre de morts inconnu
1221 : Nishapur, Empire perse - ~1,7 million de tués dans la bataille
1221 : Merv, Empire perse - ~ 1,3 million de tués dans la bataille
1221 : Meru Chahjan, Empire perse - ~ 1,3 million de tués dans la bataille
1221 : Rayy, Empire perse - ~ 1,6 million de tués dans la bataille
1226 : Campagne contre les Tangoutes - Gengis Khan déclencha une guerre contre
le peuple des Tangoutes, au nord de la Chine.
1258 : Bagdad - ~ 800,000 personnes. Provoqua la destruction de la dynastie des
Abbassides
1260 : première défaite mongole à la Bataille d'Aïn Djalout
1226-1266 : - ~ 18 million de morts signalés dans la conquête du Nord de la Chine.
Ce nombre fut estimé par Kubilai Khan lui-même.
Mongols et bouddhisme
Aux alentours de l'an mille, une nouvelle vague d'influence indienne assura, cette fois
définitivement, l'implantation de la doctrine. Des réformateurs, dont le plus grand est
Atiça (979-1054), s'efforcèrent de rendre au bouddhisme sa pureté, alors que
d'autres prédicateurs, en particulier des Cachemiriens, introduisaient de nouveaux
« cycles », tel celui de la « Roue du temps », et que la constitution du canon tibétain
(Tañjur et Kañjur) était menée à son terme.
Au XIIIe siècle, un abbé de l'important monastère de Sa-skya (« la Terre blanche »)
nommé Phags-pa, appelé à sa cour par Kubilaï, dota d'une écriture la langue
mongole : c'est le début de la conversion des Mongols. Au XVe siècle, un nouveau
réformateur tibétain, Tson-kha-pa, se réclamant de l'exemple d'Atiça, entreprit de
réformer à nouveau le bouddhisme et de restaurer la discipline dans toute sa rigueur.
Il est le fondateur de l'« Église jaune ».
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, un abbé de l'Église jaune convertit à nouveau
les Mongols. C'est le moment où se fixe le double pontificat des Églises tibétaine et
mongole : un pan-chen-lama (Guru pandita), résidant à Chi-ga-tse, est considéré
comme une incarnation d'Amitabha, tandis qu'un dalaï-lama (dalai, océan en
mongol), incarnation d'Avalokiteçvara, réside à Lha-sa.
L'œuvre gengiskhanide et sa légende
On compte généralement au nombre des grandes réussites de l'ère gengiskhanide la
pax mongolica, qui, étendue sur le continent eurasiatique des bords du Pacifique aux
rives du Don et de l'Oka, permit une circulation des hommes, des idées, des
marchandises, des arts et des sciences sans autre exemple dans l'histoire. Il en est
ainsi, en effet, surtout dans les premiers temps du régime. Grâce à un service des
postes perfectionné que Gengis-khan avait mis en place dans un but stratégique et
dont les ramifications suivirent les conquêtes, les extrémités du monde semblaient
s'être rapprochées. Le remarquable libéralisme des Mongols en matière religieuse,
les faveurs exceptionnelles dont jouirent les marchands dès l'aube de l'Empire
incitèrent missionnaires et négociants à entreprendre la longue traversée de l'Asie
centrale. Une foule de voyageurs sillonna les routes, réservées jusqu'alors à de rares
caravanes, et l'on doit aux plus célèbres d'entre eux les premières descriptions
occidentales directes des Mongols et de la Chine
Si l'on excepte les marchands musulmans fournisseurs des tribus turco-mongoles, ce
furent les Chinois en visite à la cour de Gengis-khan qui inaugurèrent l'ère de ces
voyages et découvertes. Le dominicain Julien de Hongrie, quant à lui, ouvrit
partiellement la voie aux moines occidentaux chargés par la papauté et les princes
chrétiens de missions d'information dans ce pays mystérieux où les Européens
apeurés plaçaient le peuple de « Gog et Magog ». Ainsi Plan Carpin assista-t-il à
l'intronisation de Güyük, et Rubruck rencontra-t-il Möngke. À partir des années 1260,
les missions catholiques qui se succèdent, surtout en Iran, ont pour but tant la
conversion des souverains mongols que l'utilisation de leur puissance pour la
reconquête des Lieux saints ; et les missions de réponse, tout aussi nombreuses,
envoyées en Europe par les Ilkhan contribuent à une certaine connaissance
réciproque. Cependant, les marchands italiens, qu'attire le commerce de la soie,
franchissent les déserts pour venir s'installer plus ou moins longuement en Chine.
Enfin, étape ultime dans l'évolution de ces premiers rapports entre l'Est et l'Ouest, de
1300 à 1350, les grands voyageurs sont les titulaires des évêchés catholiques de
Chine et leur clergé (carte 4), qui gagnent leur poste par voie de mer jusqu'à Canton,
les routes terrestres, livrées au désordre, s'étant déjà refermées.
Par ces voyageurs et par les mémoires des dignitaires autochtones au service des
khans mongols, tel le ministre-historien persan Rasid al-Din, on peut avoir une vision
assez nuancée de la vie dans l'ensemble de l'Empire, et l'on est surpris de constater
que l'opposition entre pays nomades et sédentaires n'est pas aussi profonde qu'on
serait en droit de s'y attendre. Les steppes sont, en effet, parvenues alors à un
niveau de civilisation assez élevé pour que l'accumulation des richesses, la
préparation du matériel militaire et des objets de luxe aient rendu nécessaire
l'édification de villes riches en palais et en quartiers d'artisans et de commerçants.
Ainsi, Guillaume de Rubruck rencontre à Qaraqorum, en 1254, toute une petite
colonie de Français capturés à Belgrade, grand centre de culture française au sein
du royaume hongrois de Bela IV. L'orfèvre parisien Guillaume Boucher est non
seulement l'artiste de la communauté catholique de Qaraqorum, mais aussi le
principal ingénieur occidental de la cour de Möngke, et il s'est rendu justement
célèbre par la création d'une fontaine à koumis pseudo-automatique, dans le goût
européen du XIIIe siècle. Les fouilles archéologiques mettent sans cesse au jour des
restes de villes gengiskhanides comme, dans la Sibérie méridionale au nord des
monts Khentei, la ville de Jöci-Qasar, frère de Gengis-khan, sur la rivière Khirkhir, et
la cité d'Ögödei à Köndui ; ou bien, au sud du Gobi, Shangdu [Chang-tou], la cité
fondée par Qubilai du temps qu'il était prince impérial, et sa résidence d'été après
que, souverain de la Chine, il eut édifié, sur le site approximatif de l'actuel Pékin, sa
capitale principale Khanbaliq (ou Dadu en chinois) décrite par Marco Polo. La Horde
d'Or, tout en restant nomade jusqu'au XIVe siècle, jouit cependant d'une belle
civilisation urbaine dans les deux villes successives de Sarai, et même le légitimiste
Qaidu construisit au Ferghana une ville de grand avenir, Andijan.
Une évaluation balancée de l'influence de Gengis-khan sur son peuple a été, dans
les années 1960, l'occasion de conflits internes à résonance politique en République
populaire de Mongolie et en Région autonome de Mongolie Intérieure (République
populaire de Chine), tant le souvenir de Gengis-khan est resté vivace chez les
Mongols. Considéré dès sa mort comme l'esprit protecteur des siens, il a reçu de ses
descendants un culte organisé qui, renforcé au XVIe siècle par le contexte
bouddhique, se localise alors, avec l'installation de tribus mongoles en cette région, à
Ejen-khoro dans l'Ordos, à l'intérieur de la grande boucle du fleuve Jaune (Mongolie
Intérieure), sous la garde d'un clan particulier appelé Darkhat. Si grand était l'appel
de ce sanctuaire que les pouvoirs politiques successifs - spécialement les Japonais
et le Guomindang [Kouo-min-tang] - ont cherché à s'approprier les reliques (ou
prétendues telles) qu'il renfermait pour agir plus sûrement sur les Mongols rebelles.
Le gouvernement communiste chinois, obligé, sous la pression des événements, à
réviser sa condamnation première de Gengis-khan comme ennemi du peuple, érigea
à Ejenkhoro, en 1955-1956, un beau bâtiment pour abriter les reliques sacrées. En
1962, le huit centième anniversaire de la naissance du grand-khan était célébré
simultanément dans les deux Mongolies, et son rôle de fondateur de l'unité mongole
affirmé. Mais, peu après, sous les critiques russes, la République populaire de
Mongolie dénonçait ce culte comme un signe de nationalisme antimarxiste, et cette
vue était plus tard adoptée en Chine, lorsque la révolution culturelle avait tenté de
niveler les particularismes des allogènes. Depuis lors, Gengis-khan a été bel et bien
réhabilité, d'abord dans la Mongolie chinoise, où ses reliques ont été reconstituées
en 1980, son mémorial restauré et rouvert pour la célébration traditionnelle du
17e jour de la 3e lune, en l'occurrence le 1er mai 1980. Puis, à partir de 1990, il est
devenu le génie tutélaire de la Mongolie ex-populaire, tout juste émancipée du
communisme à la soviétique.
En fait, la grande œuvre de Gengis-khan fut bien cette conscience de leur identité et
de leur grandeur qu'il donna aux Mongols et qui a assuré la survie de leur culture à
travers les siècles et la dispersion géographique. Par une organisation militaire
décimale étendue à l'ensemble de la population nomade, selon un système hérité
des anciens empires des steppes, mais remodelé pour s'adapter à des conditions
sociales en mutation et, surtout, à ses idées en matière de gouvernement, Gengiskhan a intentionnellement brisé l'ancien système de clans et de tribus, et permis la
naissance d'une véritable nation mongole. Par la loi (le jasaq, ou yasa en turc) dont il
la dote, assortie d'un corps de sentences morales (les bilik), il institutionnalisa un
code éthique sévère dont le principe essentiel, le respect de l'autorité des aînés et
des chefs, a gardé valeur de loi jusqu'à nos jours. Par sa science de l'art militaire qu'il
porta à un très haut degré de perfection, tant par l'habileté des grands mouvements
combinés en trois ailes, par la mobilité des archers montés, par la discipline durant le
combat et le pillage que par un usage, étonnant pour l'époque, des divers moyens de
propagande et de dissuasion psychologique de l'ennemi, il marqua de son empreinte
les guerres du continent asiatique jusqu'à l'introduction des armes à feu occidentales.
Enfin, par la conscience d'une mission coercitive qui leur faisait considérer comme
vassaux tous les souverains étrangers et comme manquement criminel toute
résistance à leur volonté, les premiers grands-khans ont fondé la supériorité des
Mongols sur les peuples vaincus. De sorte que dans toute l'Asie, durant plusieurs
siècles, les Gengiskhanides, descendants des fondateurs des grands ulus, ont été
des fantoches maintenus sur le trône par des usurpateurs qui n'osaient s'approprier
le titre de khan.
Mais toute médaille a son revers. On a soutenu que les conquêtes du XIIIe siècle
n'ont été finalement profitables que pour les dirigeants, alors que le simple peuple a
souffert, tout comme les vaincus, de la politique d'expansion démesurée, et cette
théorie paraît fondée.
Lorsqu'en 1368 Togon-Temür, le dernier souverain Yuan, est chassé de Chine par la
dynastie Ming, les Mongols reprennent dans les steppes le cours de leur histoire.
Mais, diminués par la dispersion d'une partie de leurs tribus dans les pays
sédentaires qui les ont absorbées, ils retrouvent leur pays d'origine étiolé d'avoir été
trop longtemps abandonné et ravagé par les guerres intestines des Gengiskhanides.
Les dissensions entre ethnies et les violentes rivalités qui opposent Gengiskhanides
et non-Gengiskhanides sont dominées par la nécessité de trouver à l'économie
nomade des débouchés et par la pression de la politique chinoise, qui attise les
antagonismes afin de prévenir le danger d'une renaissance mongole.
Dans une première phase, alors que le jeune État Ming est encore fort et que, chez
les Mongols, la lignée gengiskhanide perpétue un titre de grand-khan dévalué, les
Chinois mènent plusieurs campagnes jusqu'à Qaraqorum et aux marches de la
Sibérie, pour épuiser leurs ennemis et attirer dans leurs rangs les tribus les plus
proches de la Chine
Mais voici que, dans une deuxième étape, les Mongols orientaux, retrouvant dans
l'unification une force nouvelle, harcèlent à leur tour les Oirat et les Ming, qui ont
perdu leur dynamisme initial. Le long règne de Dayan-khan, descendant de Qubilai
et grand-khan probablement de 1488 à 1543, marque non seulement ce
redressement des Mongols orientaux et leur réorganisation en une « aile gauche »
(ou orientale) dominante et une « aile droite » (ou occidentale), comme il a toujours
été de règle dans les empires nomades, mais en outre l'élimination définitive des
princes d'ascendance non gengiskhanide, qui deviennent de simples fonctionnaires
au service des Gengiskhanides. Cependant, l'œuvre de Dayan-khan n'a pu arrêter le
processus d'émiettement et de désintégration dans lequel la nation mongole semble
alors entraînée irrévocablement.
À ce stade pourtant, de nouveaux facteurs de redressement et de cohésion
apparaissent, grâce à l'action du plus puissant des descendants de Dayan-khan,
Altan-khan, souverain des Tümet de 1543 à 1581/1582 (ou 1583 ?). Né sans doute
en 1507, Altan-khan a été dès 1529 de ceux qui ont aidé son grand-père Dayankhan à talonner jusqu'en terre chinoise les Ming, à l'intérieur de la Grande Muraille
que ceux-ci élèvent pour se protéger contre les incursions des nomades.
Toutefois, l'œuvre d'Altan-khan la plus lourde de conséquences pour l'avenir des
Mongols fut l'introduction, ou plutôt la réintroduction, du bouddhisme sous la forme
du lamaïsme tibétain réformé par Tsongkhapa (1356-1419), ou secte jaune (par
opposition à la secte rouge ou lamaïsme non réformé de Padmasambhava). Certes,
les nomades avaient déjà été touchés par l'influence du bouddhisme sino-indien dès
une époque ancienne ; puis au XIIIe siècle, à la cour des Yuan, sous le règne de
Qubilai, son conseiller, le moine tibétain Phagspa-lama, avait fait triompher sur le
bouddhisme chinois le lamaïsme tibétain de l'école de Saskya-pa. Mais, après leur
expulsion de Chine, la régression des Mongols est telle que seules des bribes du
lamaïsme rouge survivent, mêlées au chamanisme - la plus ancienne forme
d'expérience religieuse des peuples des steppes et des forêts septentrionales.
L'époque d'Altan-khan est favorable à un épanouissement religieux. Une certaine
sécurité et la prospérité retrouvée font éprouver à la classe dirigeante des besoins
culturels et somptuaires tout nouveaux, que le lamaïsme est en mesure de satisfaire
par sa théologie élaborée, sa riche littérature, ses cérémonies impressionnantes, ses
lieux de culte fastueux. Et les princes mongols s'y convertissent d'autant plus
facilement que la théorie des renaissances selon les mérites accumulés au cours des
existences antérieures justifie leur exercice du pouvoir en cette vie. Quant au peuple,
il est contraint, par la force souvent, de suivre la religion de ses chefs et, bien vite, il
trouve dans la piété et les superstitions une consolation à la dureté de son sort.
La plus ancienne conversion est celle du prince des Ordos, Qutuqtai-Secen-qongtaiji,
en 1566, mais c'est celle d'Altan-khan, en 1578, qui est décisive, car, de ce moment,
pouvoir temporel des Gengiskhanides et pouvoir religieux tibétain font cause
commune, pour le plus grand profit de l'un comme de l'autre. Le souverain tümet
invite à sa cour le troisième successeur de Tsongkhapa, Sodnam-Gyamtso (la lignée
lamaïque étant celle des réincarnations), et lui octroie le titre mongol par lequel le
chef de la secte jaune est désormais connu : celui de dalai-lama. En échange, il est
proclamé réincarnation de Qubilai. Et lorsque le pontife meurt en 1588, son
successeur est précisément découvert dans la descendance d'Altan-khan. Les
autres princes des Mongols orientaux, et des Mongols occidentaux, font œuvre
d'émulation pour retirer le plus grand prestige de la protection qu'ils accordent à
l'Église. Ainsi, Abdai-khan (ou Abatai-khan), le fondateur du khanat khalkha le plus
éminent - celui dit de Tüsietü-khan -, se fait introniser khan par le dalai-lama en 1578
et édifie en 1586 sur son propre territoire, au site historique de Qaraqorum, le plus
ancien monastère de Mongolie, Erdeni-ju (dit, de nos jours, Erdene-zu). Quelques
décennies plus tard, en 1639, ce sera dans sa descendance qu'un nouveau
« Bouddha vivant » se révélera : le Jebtsündamba-qutuqtu, dont la lignée des sept
successeurs siégera à Urga, capitale de la Mongolie Extérieure, jusqu'à l'avènement
du régime démocratique en 1924.
De même que les conquêtes de Gengis-khan, l'adoption du lamaïsme par les
Mongols peut être appréciée contradictoirement. Ferment d'un renouveau culturel et
artistique brillant, l'Église jaune entrava, avec une vigilance tyrannique, le
développement indépendant de la civilisation autochtone. Par son enseignement du
respect dû à la vie, elle adoucit les mœurs, mais elle abâtardit pour longtemps les
nomades en dégradant leurs traditions guerrières. Fondement d'un sentiment
d'identité aussi fort, à travers tout le monde mongol, que le souvenir de Gengis-khan,
elle se constitua rapidement en une institution séculière, en une puissance
économique et politique d'un poids aussi oppressif pour le simple peuple que
l'administration des princes : telle est, en une vue cavalière, la portée d'une évolution
longue de deux siècles et demi, avant que les purges communistes de la fin des
années 1930 ne jettent à bas le pouvoir de l'Église lamaïque en Mongolie Extérieure.
Françoise AUBIN
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