Assurance invalidité: peut-on autoriser un détective privé à

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Assurance invalidité: peut-on autoriser un détective privé à
Sécurité du travail et promotion de la santé
Assurance invalidité: peut-on autoriser un
détective privé à espionner quelqu’un? (2 partie)
e
Jusqu’où la protection de la sphère privée s’étend-elle, en particulier lorsqu’elle concerne la
surveillance effectuée par un détective privé? Le Tribunal fédéral a dû se prononcer à ce sujet le
11 novembre 2011.
server l’assuré dans l’exercice des
tâches quotidiennes. La perception immédiate peut apporter d’autres
connaissances relatives à l’aptitude au
travail, que le ferait une autre expertise
médicale, ce qui peut servir à lutter efficacement contre les abus.
Le juriste Michel Rohrer dirige notamment un organisme de contrôle de
l’industrie du bâtiment, qui examine et
sanctionne également des cas dans le
domaine de la sécurité du travail et de
la protection de la santé
Les faits1 (résumés). C. s’est fait connaître à l’assurance invalidité pour percevoir
une rente, avec pour indication des maux
de dos, ainsi que des troubles psychiques.
Etant donné que les expertises médicales
n’étaient pas évidentes – voire même
contradictoires –, l’Office AI fit surveiller l’assuré C. par un détective privé, du
29 septembre au 1er octobre 2009. Le matériel d’observation (des prises de vues,
notamment) démontra que les aptitudes
constatées permettaient parfaitement
qu’il ait des activités de nettoyage légères
à moyennes. En s’appuyant sur ces résultats, l’Office AI refusa toute prétention à
une rente invalidité.
L’aspect juridique. Après que, dans la
première partie de cet article, le Tribunal
fédéral ait constaté qu’il existe une base
légale suffisante, dans l’art. 59 al. 5 LAI2,
pour faire appel à un détective privé, il
fallait encore vérifier si l’empiètement du
droit fondamental de la protection de la
sphère privée (art. 13 Cst3) était justifié,
c’est-à-dire si les prises de vues de C., qui
le montraient sur son balcon, pouvaient
effectivement être utilisées comme
preuve.
Une comparaison des intérêts concernant la proportionnalité de l’observation,
a été effectuée du point de vue de l’aptitude, de la nécessité et de l’acceptabilité.
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L’aptitude: l’injonction qu’un détective
privé fasse des observations par est en
principe un moyen approprié pour ob-
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La nécessité: concernant la nécessité, le
Tribunal fédéral stipule que le
terme «présomption» concerne l’enquête ouverte lorsqu’il existe un soupçon initial suffisant. L’observation, au
sens du droit privé, doit donc être uniquement objectivement imposée,
c’est-à-dire que des indices concrets,
permettant de douter des troubles de
la santé ou de l’incapacité de travail déclarés, sont sous-entendus. Dans le cas
présent, il résulte des enquêtes médicales préalables, que l’assuré avait un
comportement parfois contradictoire
avec, notamment, des douleurs quelquefois incompréhensibles du point
de vue médical, ce qui, par conséquent,
laissaient apparaître des signes nécessitant d’autres explications (précisément
non médicales).
L’acceptabilité: une comparaison des intérêts a eu lieu, concernant l’acceptabilité. La personne concernée par l’observation formule une requête vis-àvis de l’assurance, elle est donc tenue
de contribuer aux explications relatives à son état de santé, à son aptitude
au travail, etc. Elle doit admettre que
les examens proposés objectivement
par l’assurance soient effectués, y compris, le cas échéant, sans en avoir
connaissance. Il faut également tenir
compte de l’importance des prétentions invoquées qui, compte tenu de la
rente réclamée, peuvent être qualifiées
de considérables. Cette observation
n’est donc pas d’une ampleur exces-
sive, ni du point de vue de sa durée, ni
de celui de son contenu, seules des
tâches quotidiennes ayant été filmées,
dans le but d’évaluer les prétentions.
Ceci concerne également les prises de
vues du balcon facilement visible, qui
n’ont enregistré aucune activité en relation étroite avec la sphère privée,
mais qui ont surtout permis de constater que des travaux de nettoyage
étaient effectués. C’est ainsi que l’observation se justifiait par le rapport raisonnable existant entre l’objectif
consistant à prévenir une demande de
prestation abusive et l’incursion dans
la vie privée de l’assuré.
En résumé, le Tribunal fédéral a conclu
ce qui suit: lorsqu’il existe des indices
concrets permettant de douter de la prétendue incapacité de travail (demande
objective d’observation), que l’observation a lieu uniquement pendant une période relativement courte, limitée dans le
temps (dans le cas présent, pendant trois
jours), et que seules les tâches quotidiennes sont filmées (dans le cas présent,
surtout le nettoyage du balcon, le port de
sacs à commissions), sans empiètement
de la sphère privée, puisque celle-ci est
également visible en observant un espace
privé, (ici un balcon visible de tous), il n’y
a pour ainsi dire pas d’atteinte à la sphère
privée, ni aux droits de la personne.
Inversement, l’assurance et les communautés d’assurés qui leur sont associées,
ont fortement intérêt à ne pas fournir des
prestations indues. En d’autres termes,
les observations réalisées n’ont violé aucun droit légal ayant priorité sur l’intérêt
public de la lutte contre les abus et,
compte tenu de toutes les circonstances,
les intérêts de l’Office AI sont jugés plus
importants que les intérêts privés de C.
L’observation effectuée doit être quali-
Sécurité du travail et promotion de la santé
fiée d’acceptable et de proportionnée.
L’injonction d’une telle surveillance respecte également l’esprit de l’art. 13 Cst.
passe dans le domaine public et peut être
perçu par tout le monde, n’appartient pas
au domaine protégé.
barrière physique ou psychologique, raison pour laquelle l’observation n’a pas
violé l’art. 179quater CP.
Pour terminer, voici encore quelques
données concernant la prétendue violation du domaine secret ou du domaine
privé au moyen d’un appareil de prise de
vues (art. 179quater CP). Contrevient à
l’art. 179quater CP, celui qui, sans le consentement de la personne intéressée, aura
observé avec un appareil de prise de vues
ou fixé sur un porteur d’images un fait
qui relève du domaine secret de cette personne ou un fait ne pouvant être perçu
sans autre par chacun et qui relève du domaine privé de celle-ci.
En revanche, toutes les activités effectuées dans des locaux et dans des endroits fermés, à l’abri des regards, comme
dans une maison, une habitation ou un
jardin privé clôturé, font en principe partie de la sphère privée. Si l’on doit franchir des barrières corporelles, juridiques
ou morales, dans le but de recueillir des
faits relevant du domaine privé au sens
strict, ces faits ne sont alors plus accessibles «sans autre» à chacun.
La conclusion. L’abus de prestations
d’assurances a pris des proportions
consternantes. Chaque année, des individus s’approprient des prestations indues,
se chiffrant à des millions de francs. Il serait donc bienvenu que les autorités compétentes et les organismes d’assurances
remettent régulièrement en question
leurs prestations, car notre système social
et d’assurance ne peut fonctionner que
lorsque chacun est prêt à y contribuer
honnêtement et à ne pas percevoir des
prestations injustifiées.
La tournure employée dans l’art. 179quater
CP «ne pouvant être perçu sans autre par
chacun et qui relève du domaine privé»
prend en compte le fait concernant les
conditions de vie d’une personne, dont
l’aperception n’est possible que par un
groupe limité de personnes. Ce qui se
Dans le cas présent, C. a effectué des
tâches quotidiennes dans la zone exposée
qu’est son balcon et que tout le monde
pouvait voir à l’œil nu. C. a ainsi exposé sa
sphère privée en public et renoncé dans
toute sa totalité, à la protection de sa vie
privée. Les activités filmées concernaient
donc uniquement des faits accessibles à
la vue des autres, n’outrepassant pas une
1
2
3
Jugement du Tribunal fédéral du 11 novembre
2011, disponible sur Internet sous www.legalswiss.ch/ –> Lien avancé –> Jurisprudence
Fédération et cantons –> Jugements depuis
2000 —>dans Recherche, saisir
«8C_272/2011».
Loi fédérale du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité (LAI), RS 831.20
Constitution fédérale de la Confédération
suisse du 18 avril 1999 (Cst.), RS 101.
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