Analyse du film Easy Rider

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Analyse du film Easy Rider
Analyse Filmique
Easy Rider, Dennis Hopper,
(1969)
Par Gueye Sandoval Jamir
M2, Littérature et Art, spécialité « Art et Science ».
Easy Rider, 1969.
Réalisation : Denis Hopper ; production : Peter Fonda et Charles Hayward; scénario : Denis Hopper, Peter
Fonda et Terry Southern ; image : Laszlo Kovacs ; musique : Roger McGuinn et Jimi Hendrix, Steppenwolf,
The Band ; montage : Don Cambern ; avec Denis Hopper (Billy), Peter Fonda (Wyatt, dit Captain America),
Jack Nicholson (George). Durée : 94 minutes.
Résumé
Après une grosse vente de drogue, deux personnages californiens, Wyatt et Billy, s’en
vont voir le Mardi-Gras à la Nouvelle Orléans. Ils traversent les Etats-Unis d’Ouest en Est
mais ils le font en chopper ! Une moto typiquement américaine confectionnée aux années
1960 par des jeunes avides de sensations fortes. Billy et Wyatt ont une seule idée en tête, c’est
trouver la liberté, au bord de la route, au gré des rencontres et dans la nature sauvage des
Etats-Unis. C’est ainsi qu’ils rencontrent des hippies vivant en communauté, des fermiers, des
sujets hors norme mais aussi d’autres qui les considèrent avec hostilité. En effet, Billy et
Wyatt subirons plusieurs dommages de la part de citoyens « moralement acceptés », qui
considèrent leurs idéologies vaines et qui refusent de les accepter. L’essentiel du film se
construit dans cette double articulation, d’un côté la célébration de la liberté qu’incarnent nos
deux héros et de l’autre, la contradiction de cette vision du monde par la réalité sociale et
idéologique du pays qu’ils traversent.
Situation culturelle du film
Easy-Rider est un film générationnel en ceci qu’il a servi « de miroir fédérateur1 » à
une large portion de la jeunesse étasunienne des années 1960-1970 : à la contre-culture
« hippie » pour être plus exacts. D’un premier point de vue, le film s’inscrit comme porteur
d’un rêve de liberté, de fraternité universelle et d’une société qui en théorie pourrait s’en
passer d’argent et de consommation insensée : du système capitaliste en d’autres termes.
Rappelons que le film est produit la même année du festival Woodstock. En ce sens,
l’escapade de nos deux motards incarne la vision révolutionnaire par excellence de l’époque
puisqu’ils partent en laissant tout tomber en quête d’un nouveau mode de vie, libre
d’attachements matériels et qu’ils croient pouvoir trouver en vendant de la came et en utilisant
« des paradis artificiels » comme la marijuana ou le LSD. Mais le film est plein de
contradictions et cache en lui une fin pour autant dire sinistre. La mise à mort des héros par
des citoyens « moralement acceptées » finit par exterminer tout espoir et nous met face à une
réalité sociale et historique. Par-là, le film incarne plus la fin d’une utopie : celle du rêve de la
gauche aux Etats-Unis. Désormais, la contre-culture prend fin et les jeunes étasuniens
révolutionnaires finissent par intégrer progressivement la société capitaliste qu’ils réfutaient
en devenant des hommes d’affaires. Le film va donc mener un discours essentiellement
double. C’est le cas de la vente de cocaïne par les deux motards qui correspond plus à une
mise à mort de la société en général qu’à un geste d’amour. Action qui se décline
négativement lorsque vers la fin du film, après que Billy ait énergiquement lancé « On a
réussi ! », Wyatt répond on disant « On a tout foiré ! ». Mais le film semble posséder aussi un
aspect contestataire en ceci qu’il exprime la vision d’une Amérique qui « tombe à l’eau ».
Cela est clairement illustré par la mort de George (Jack Nicholson), un avocat désespéré qui
noie dans l’alcool la douleur de voir le système capitaliste s’émanciper dans le pays. Son
assassinat, par ses propres concitoyens, marque le déclin dans lequel le pays emporte les
siens.
Situation de la séquence
Par la suite, nous allons analyser une séquence du début du film. Elle commence après
la revente de la drogue dans l’aéroport et après que les héros aient préparés leurs motos et
caché l’argent dans un des réservoirs d’essence (min 06 :36). Elle se termine lorsque Billy et
1
Laurent JULLIER et Michel Marie, Lire les images de cinéma, Paris, Ed. Larousse, 2007, p.180.
Wyatt reprennent la route après avoir réparé leur panne et mangé chez le fermier (min 15 :29).
Cette délimitation arbitraire nous semble correspondre avec les propres délimitations
narratives du film en cela qu’elles contiennent un épisode qui fait sens par lui-même. Le début
de la séquence, lorsque que Wyatt balance sa montre, nous semble être la représentation
symbolique par excellence de la quête qui s’amorce. Jusqu’à la fin de la séquence, les
différents éléments nous semblent être tributaires les uns des autres et de ce fait inséparables.
Même si l’on pourrait songer à couper la séquence à la fin de la première halte dans la forêt,
par la présence d’une ellipse temporelle et spatiale, il faut voir que les deux moments
concernés se juxtaposent indiscutablement, grâce à ce qui est dit dans le premier et qui est
montré dans le suivant. Sans mentionner les allées et venues entre les deux temps de la
narration (4 cuts au total) qui font que les deux moments ne fassent en réalité plus qu’un.
Quant au choix de la fin, il semble que ce que nous pourrions appeler « leur première halte »
est fini, ils vont par la suite rencontrer le hippie sur la route qui les amènera vers des nouvelles
aventures.
Analyse
Revenons au début de la séquence, là où Wyatt balance la montre par terre et s’amorce
l’aventure2. Le moment narratif est composé de 6 plans qui semblent être structurés de
manière à accentuer le geste du personnage et donner à ce début de film toute son énergie et
charge symbolique. Déjà, le premier plan est mis en accent par la brusque coupure de la
chanson The Pusher dans la fin du plan précédent et qui, dans le début du plan qui nous
concerne, est immédiatement remplacée par le bruit isolé des moteurs. C’est de cette façon
que l’attention est portée sur les personnages et les actions qui vont survenir. Mais l’utilisation
d’un panoramique horizontal se stoppant de façon synchronique à l’arrêt des véhicules,
contribuent aussi à donner cet effet d’arrêt sur image afin d’attirer notre attention. C’est à cet
instant que Wyatt soulève le bras gauche et regarde sa montre (fig.1). Il y a ici une touche
d’ironie, comme si nos deux motards en quête de liberté auraient besoin de savoir l’heure
alors qu’ils incarnent justement l’absence de contraintes. Mais la situation va rapidement se
débloquer. Le plan suivant, qui est un gros plan du visage de Wyatt regardant sa montre, nous
expose un homme qui semble réfléchir profondément à l’intérêt et à la réelle valeur de l’outil
(fig.2). C’est à travers ce gros plan qu’une certaine identification avec le personnage
commence à s’instaurer. Beaucoup d’entre nous avons certainement réfléchi à l’utilité réelle
2
Minute 06 :36.
de « l’heure » ainsi qu’à la contrainte qu’elle représente vis-à-vis de notre liberté. Mais Wyatt
accomplit réellement le geste. Il balance la montre par terre et donne vie au rêve tant convoité.
Toutefois, le plus intéressant reste encore à définir car c’est justement durant les quelques
instants que dure l’action que se mettent en place les techniques cinématographiques qui vont
donner à la scène sa puissance. Force qui consiste, nous semble-t-il, à pouvoir montrer le
geste comme l’action emblématique d’une recherche contestataire de liberté tout en faisant
que le spectateur la vive intensément en s’identifiant au personnage qui l’accompli dans
l’image.
Fig.1
Fig.2
Lorsque Wyatt jette la montre par terre, il y a deux brusques changements de la distance
focale, il s’agit d’un zoom arrière immédiatement rétabli par un zoom avant. Ces
déplacements d’optique accompagnent le geste en lui-même. Le personnage descend le bras et
on s’éloigne du sujet. Au moment où la montre sort du cadre, le zoom se rapproche du visage.
Puis, un cut donne naissance à un troisième plan où encore un zoom arrière s’éloigne
subitement de la scène, mais cette fois-ci de profil, en laissant voir l’ensemble de la scène, tel
le point de vue par excellence omniscient du spectateur. Ensuite, toujours très rapidement,
c’est un gros plan du visage de Wyatt qui nous est exposé. Enfin, un gros plan de la montre
par terre nous est délivré avant que dans le plan suivant le panoramique horizontal reprenne sa
trajectoire pour accompagner les motards qui partent au loin.
Il nous parait que nous pourrons voir là une tentative double. D’un premier point de
vue, les deux déplacements optiques dans le gros plan du visage de Wyatt nous rapprochent
incontestablement du personnage, de sa psychologie. Le réalisateur ne se contente pas du gros
plan qui est déjà assez subjectif mais insiste sur le phénomène. D’un autre côté, il est vrai que
le geste libératoire est magnifié par la présence du gros plan de la montre par terre. Mais ce
geste est inséparable du personnage ainsi que du spectateur à travers la trajectoire : Wyatt –
point de vue omniscient- Wyatt – montre. Tout cela se passe très rapidement et réussit à
donner la sensation de libération qui nous semble être recherchée par le film.
Mais au sein de cette suite d’images, se trouvent aussi d’autres éléments qui semblent
insister sur le caractère mélancolique que le film portera tout au long. Rappelons qu’Easy
Rider raconte, parallèlement à l’exaltation de la liberté hippie, la fin de cette même utopie.
Cet aspect se révèle lorsque nous observons plus précisément l’endroit où nous deux
personnages se trouvent (fig.3). Ils sont désormais entourés de vestiges. Le geste libérateur,
prometteur d’un meilleur mode de vie est en ce sens lié à la disparition. A ceci s’ajoute la
brutalité des techniques cinématographiques mentionnées plus haut, que bien que puissent
évoquer la liberté par l’exaltation du geste, emplissent la scène d’un mystère inquiétant.
Fig.3
Le caractère mélancolique lié au temps qui passe est encore plus explicite dans le
moment narratif suivant qui débute lorsque nos héros s’arrêtent pour dormir dans la forêt
après avoir voyagé sur la route au gré de chansons rock et avoir étés rejetés par le patron d’un
hôtel.
A ce moment3, Billy ne cesse de s’exciter, il aboie comme les chiens que nous
entendons au loin et se dirige vers Wyatt à plusieurs reprises. Cependant, ce dernier est
refermé sur lui-même, il réfléchit en fumant son joint et ne répond que très peu. Lorsque Billy
le relance une dernière fois, Wyatt dit : « Je me remets les idées au clair ». C’est à ce moment
qu’une technique de montage, semblable à celle que nous avons décrit plus haut, se met en
place pour créer un lien entre deux moments séparés dans le temps et dans l’espace. Elle
consiste à présenter un plan de la scène suivante suivi d’un autre de la première scène. Tout
cela dans un laps de temps très court et à plusieurs reprises.
3
Minute 09 :58.
Etant donné l’attitude réflexive de Wyatt et notamment à cause de la présence de
lumière diurne dans les plans juxtaposés, nous croyons avoir affaire à une hallucination ou à
des souvenirs lointains. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agit d’une ellipse spatiotemporelle. Mais cela importe peu, l’essentiel est qu’à travers cette méthode psychédélique,
nous rentrons dans l’espace très subjectif du personnage où des éléments signifiants vont
émerger.
En plus de celle-ci, les techniques de montages qu’insistent sur la subjectivité de la
scène sont nombreuses. C’est le cas du gros plan sur le visage de Wyatt et du panoramique
qui suit son mouvement dans ce même plan. Mais aussi par le fait d’apprendre que le premier
plan, où l’on voit le soleil à travers le toit troué de la cabane, appartient à point de vue du
personnage. Bref, tout est là pour nous indiquer que nous observons les mêmes choses que
Wyatt, et, comment nous ne savons pas encore qu’on a eu affaire à un déplacement dans le
temps et dans l’espace, la scène et les objets que nous y trouvons s’amplifient d’un caractère
symbolique.
Il y a dans cette vision, quatre plans absolument mystérieux, dont deux se prêtent assez
bien pour l’analyse. Il s’agit de la vision d’intérieure de la cabane (fig.4) ainsi que du plan
composé d’images d’une vieille tôle (fig.5).
Fig.4
Fig.5
Pour ce qui est de la vision d’intérieur de la cabane, nous pourrions dire qu’il s’agit de la
matérialisation de la quête qu’entreprennent nos deux héros et qui représente plus loin celle de
toute une génération de jeune occidentaux. Il y a dans ces images l’idée d’atteindre quelque
chose de meilleur (la lumière), en traversant les obstacles que l’obscurité du chemin nous
réserve. La lumière représente l’espoir. Cet espoir que Wyatt porte en lui. Toutefois, ces
images possèdent des contradictions. Les deux bouts de bois faisant office de barrière
s’opposent à l’élévation spirituelle qui nous est ambigument proposée. Elles se plaquent
contre notre regard et nous empêchent de voir plus loin. A ceci s’ajoute l’état dévasté dans
lequel se trouve la veille cabane. Il paraîtrait donc que ces images sont la métaphore d’un
espoir qui désormais ne peut pas s’accomplir à cause des barrières qui lui sont imposées. Dans
ce sens, ce plan préfigure, même si très rapidement, la fin sinistre du film.
En ce qui concerne les images de la veille tôle, elles semblent représenter le passage
du temps et la mort. Etant donné la quête de liberté dans le film, étant elle-même relié au
mouvement hippie des années soixante, nous pouvons penser que ces images font allusion à la
mort du mouvement. Rappelons en plus que le plan précédent montre des épis de blé, aliment
par excellence des communautés hippies installées dans la campagne. Par la juxtaposition épis
de blé – tôle dévastée, se forme un symbolisme qui semble insister sur le caractère dépassé de
l’espoir révolutionnaire des jeunes étasuniens et qui désormais Wyatt porte en lui dans le
temps présent de la fiction.
Les deux plans suivants (fig.6 et 7) représentent le moment culminant de la scène en
ceci qu’ils montrent très clairement, au travers leurs déplacements d’objectif correspondants,
l’émergence du nouveau système capitaliste (représenté par le pylône électrique) en dépit de
des modes de vies traditionnels. Dans ce sens, l’association de ces deux plans pourrait
symboliser l’histoire des jeunes hippies et leur mise à mort par le capitalisme car c’est dans la
campagne, dans la nature et en acquérant un mode de vie traditionnel qu’ils cherchaient la
liberté.
Au niveau du premier plan, un travelling et un zoom ascendant nous approchent du
pylône électrique qui attire toute notre attention en dépit de la veille cabane qui se trouve au
premier plan. Le mouvement ascendant est synonyme de grandeur. Désormais la technologie
et la consommation de masse prennent le dessus sur les vieux modes de vies représentés par la
cabane au premier plan. Le plan suivant vient confirmer cette hypothèse en ceci qu’il est
donné par un travelling descendant et nous montre une voiture désuète.
Fig.6
Fig.7
Plus loin et toujours à travers le regard de Wyatt, d’autres éléments de ce genre ce présentent
à nous. C’est le cas d’une boussole à l’intérieur d’un tiroir (fig.8) et la retrouvaille d’un vieux
comics (fig.9). Ces deux éléments font partie d’un même plan.
Fig.8
En ce qui concerne la boussole, il faut constater qu’elle est dans un terrible état. Elle
pourrait ainsi signifier l’errance de nos deux héros et le caractère vain de leur recherche. La
bande dessiné elle, semble faire allusion encore une fois à la désuétude dans laquelle la vieille
Amérique tombe progressivement. Rappelons que Wyatt est aussi appelé Captain America, tel
un héros d’une bande dessinée typiquement américaine mais dépassée à l’époque du film. De
plus Wyatt porte, tout comme le personnage de la bande dessinée, le drapeau des Etats-Unis
sur son blouson. Il y aurait donc ici une certaine correspondance entre l’état pitoyable du
comics et notre personnage pour symboliser la fin d’une histoire.
Enfin, le dernier moment narratif de la séquence est la scène de la réparation de la
panne. Ce moment est composé de plusieurs plans mais le plus intéressant est sans doute le
dernier car il montre dans un même instant les deux fermiers qui travaillent un fer-à-cheval au
premier plan et nos deux héros qui réparent le chopper à l’arrière (fig.10). Il y a dans ce
cadrage un aspect contrariant qui est donné par l’opposition cheval-moto. Désormais, deux
hommes travailleurs sont montrés de sorte à se démarquer de deux autres qui même s’ils
travaillent, n’ont pas les mêmes valeurs ni les mêmes objectifs.
Fig.10
Nos motards ne vont en réalité nulle part tandis que les fermiers vont travailler le
champ. Cette opposition peut servir à exalter le côté glamour de la quête de liberté de nos
deux héros, liberté qui essayent de gagner sans travailleur vraiment (vente de cocaïne). Mais
elle peut aussi servir à les mettre dans une situation un peu inconfortable. Regardez, vous ne
faite que voyager tandis que d’autres, qu’en plus vous reçoivent cordialement, travaillent
durement pour gagner leur vie. Par-là, cette scène traduit le multiculturalisme qui règnent
dans les années soixante aux Etats-Unis.
Pour finir, il faut dire que cette séquence est extrêmement riche en signification. En
fait, à elle seule, elle résume une grande partie du message du film et préfigure en quelque
sorte la fin sinistre qui nous attend.

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