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Quand les groupes professionnels se mettent en images
Journée de rencontres professionnelles
dans le cadre du festival Filmer le travail.
Lundi 9 février 2015. Espace Mendès France
1, place de la Cathédrale 86000 POITIERS
Responsabilité scientifique : Sophie Brouquet, Charles Gadéa, Jean-Paul Géhin, Christian Papinot
L’histoire des groupes professionnels est jalonnée d’images matérielles, planes ou en relief, fixes ou animées,
qui témoignent de la manière dont ils se voient eux-mêmes ou souhaitent être vus. Le matériau est certes surabondant, il
peut paraître écrasant, mais il est en fait rarement abordé sous cet angle : Que disent les images des groupes professionnels?
Dans quels contextes et avec quelles intentions sont-elles produites ? Que révèlent-elles de la place occupée par les métiers
dans le monde social dont ils font partie, de leur position dans la division du travail et dans les échelles de revenu, de pouvoir
ou de prestige ? Comment montrent-elles les activités de travail et les pratiques professionnelles ?
Cette journée d’études sera consacrée aux diverses formes de présentation de soi réalisées ou commanditées soit par
des professionnels seuls, soit par des groupements de gens de métier. Dans cette mise en scène de soi, les professionnels se
donnent à voir comme les personnages centraux du « drame social du travail », selon la formule de Hughes, engagés dans
leur rôle, avec leur tenue, leur gestuelle, leurs outils-accessoires, leurs attributs… Ils produisent ainsi une image qui peut
obéir à des intentions diverses : fonction technique, support de savoir, valorisation individuelle ou collective…
Organisée par les laboratoires GRESCO (EA 3815), IDHES (UMR 8733) et FRAMESPA (UMR 5136) dans le cadre du
festival Filmer le travail, la journée d’études s’inscrit dans des réflexions menées au sein du RT1 (« Savoirs, travail et
professions ») de l’Association française de sociologie (AFS) et du CR 32 (« Savoirs, métiers et identités professionnelles ») de
l’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF). Elle alimentera un numéro thématique de la nouvelle
revue Images du travail, travail des images, et sera suivie d’autres manifestations scientifiques tournées vers la manière dont
les professionnels sont représentés par autrui, en particulier par les médias.
Organisation de la journée
9h30 Accueil présentation de la revue et de la journée
- Jean François Macaire, président du Conseil régional Poitou-Charentes
- Michel Berthier, adjoint à la culture Mairie de Poitiers
- Yves Jean, président de l’Université de Poitiers
- Jean Paul Géhin, président de Filmer le travail, GRESCO, Université de Poitiers
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10h La mise en scène des métiers.
De longue date, les corporations, les métiers ou les groupes professionnels réalisent ou commanditent des images physiques
les représentant : sculptures, peintures, gravures, photographies, films. Pourquoi ? Dans quels objectifs ? Avec quels effets ?
Cette matinée visera à apporter des éléments de réponses à cette question en croisant points de vue historique, sociologique
et anthropologique.
Animation : Christian Papinot, Sociologie, GRESCO, Université de Poitiers
Sophie Brouquet, Histoire médiévale, FRAMESPA, Université Toulouse Jean Jaurès : « L’image revendiquée, la prise de conscience
d’une dignité des métiers d’art au Moyen Age »
Charles Gadéa, Sociologie des professions, IDHES, Université de Paris 10, « L’idiome figuratif des groupes professionnels»
Baptiste Buob, Anthropologie audiovisuelle, LESC, CNRS-Université Paris Ouest, « Ceci est-il un film sur la fabrication d’un
violon ? De quelques effets de la médiation cinématographique sur les gestes professionnels »
Echanges avec le public, débat
14h Diversité des images et des fonctions
Série d’interventions croisant les points de vue disciplinaires et montrant les différents aspects des images des métiers et la
diversité des enjeux et des stratégies des groupes professionnels en matière d’images.
Animation : Marc Perenoud, Sociologie, labSo, Université de Lausanne
Maxence Lamoureux, Sociologie visuelle, GRESCO, Université de Poitiers, « Les making of : les professionnels de l’image à
l’écran »
Sylvain Leteux, Histoire, Institut de Recherche Historiques du Septentrion, Université de Lille 3 « L’image des bouchers: la
recherche de l’honorabilité, entre fierté communautaire et occultation du sang »
Isabelle Boni, Sociologie, Centre Maurice Halbwachs, « Consultant : un travail sur l’image de soi » Laurent Bastard, Musée du compagnonnage, Tours, “La représentation des compagnons du tour de France par l’estampe au
XIXe siècle”
16H30 Table ronde finale L’iconographie des métiers : un vaste domaine d’études et de réflexion à
développer
Animation : David Hamelin, historien
Laurent Bastard, directeur du musée du compagnonnage, Tours
Laurent Garreau, responsable des archives, Canopé,
Sophie Brouquet, historienne
Charles Gadéa, sociologue
Cette journée est ouverte à tous, elle est gratuite et l’inscription est obligatoire. http://2015.filmerletravail.org
05 49 11 96 84
[email protected]
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L’image revendiquée : la prise de conscience d’une dignité des métiers d’arts à
la fin du Moyen Âge
Sophie Brouquet
Historienne, Université Toulouse Jean Jaurès, Framespa
Une division de la société établie depuis l’Antiquité, oppose au Moyen Âge, les arts libéraux, les activités intellectuelles,
aux Arts mécaniques, les métiers manuels. Les arts mécaniques, c’est-à-dire manuels, sont vus comme inférieurs, voire
méprisables et réservés au dernier ordre de la société, celui des laboratores. Cette conception cléricale ne tient pas compte
de l’immense diversité des arts mécaniques, qui des laboureurs aux orfèvres, couvrent la quasi-totalité des activités économiques de la société médiévale. Avec l’essor des villes à partir du XIIe siècle et la création de métiers ou guildes organisés,
une hiérarchie s’établit au sein des arts mécaniques. Elle n’est pas toujours fondée sur la richesse ; d’autres critères sont
revendiqués comme la noblesse du geste, celle de la matière travaillée, l’utilité du métier et aussi sa maîtrise ou son expertise, comme c’est le cas pour les architectes, les sculpteurs, les orfèvres ou encore les peintres. Ceux que nous qualifions
aujourd’hui d’artistes ne forment cependant pas un groupe particulier. Leur petit nombre au sein des métiers urbains leur
interdit souvent de former un métier particulier, ainsi les peintres sont à Paris comme à Londres d’abord affiliés à celui des
fabricants de selles, avant de prendre leur indépendance au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge. Malgré la demande
croissante d’images à partir du XIIIe siècle, les artistes restent considérés par les clercs comme d’habiles artisans. En 1323,
l’universitaire Jean de Jandun (vers 1285-1328) rédige dans une louange consacrée à Paris un chapitre à propos de l’habileté
de ses artisans et y présente une liste des métiers. Les peintres y sont rangés aux côtés des boulangers, des étameurs, des
enlumineurs, des scribes et des relieurs.
Cependant, les artistes eux-mêmes commencent à revendiquer un statut plus respectable. Pour suivre pas à pas les manifestations de cette prise de conscience de « l’artiste », le médiéviste peut s’appuyer sur les images, en particulier. les autoportraits des peintres, souvent masqués sous les traits de saint Luc, témoignent de cette évolution.
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L’idiome figuratif des groupes professionnels
Charles Gadea
Sociologue, Paris 10, IDHES
La sociologie des groupes professionnels n’a jusqu’à présent qu’à peine investi la dimension iconographique de son objet,
pourtant particulièrement riche en productions très diverses jalonnant toutes les époques du groupement en métiers. Ce
silence est probablement lié à une série d’obstacles que rencontrent, chacune de son côté, aussi bien la sociologie des groupes professionnels elle-même que la sociologie visuelle. Pour contribuer à les surmonter, il est proposé quelques pistes de
recherche qui s’appuient, d’une part, sur une conception de l’image qui fait de celle-ci une épiphanie de l’imaginaire, produit
de l’activité imageante, et non une simple représentation ou une copie du réel, d’autre part, sur la tradition interactionniste
qui voit dans le travail un « drame social » où le professionnel se met en scène et incarne son propre personnage auprès
des profanes ou d’autres professionnels. Au croisement de ces deux perspectives, la notion d’idiome figuratif tente de rendre
compte d’une propriété des groupes professionnels qui constitue une clef majeure de leur langage iconographique : celle de
pouvoir jouer sur le registre de l’emblème et de la métonymie, pour représenter le métier par un de ses attributs ou outils
caractéristiques. Cette propriété simple et évidente assure une étonnante continuité entre des figurations très anciennes et
celles de l’actualité la plus chaude, et fournit le fil directeur de la contribution.
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Ceci est-il un film sur la fabrication d’un violon ?
De quelques effets de la médiation cinématographique sur les gestes professionnels
Baptiste Buob
Anthropologue, LESC, CNRS-Université Paris Ouest
« […] l’activité des personnes filmées se trouve subordonnée, en même temps qu’à ses fins ordinaires, à cette fin extraordinaire que constitue sa présentation à un nombre infini de spectateurs possibles […]. » (Xavier de France)
En parallèle d’une enquête ethnofilmique sur l’apprentissage du métier de luthier au sein de la ville de Mirecourt, le musée
local m’a demandé de réaliser un film sur la fabrication d’un violon destiné à être diffusé dans le parcours de son exposition
permanente. Afin de réaliser ce film, nous avons procédé, en collaboration d’un luthier de la ville, à une reconstitution du processus habituel de fabrication afin de le compacter en trois jours. Aussi, durant les prises de vues, l’artisan n’a pas effectué
dans leur intégralité les phases nécessaires à l’obtention d’un instrument et l’ordre habituel n’a pas toujours été respecté ;
quelques décisions prises en concertation préalablement au tournage étaient en effet nécessaires pour donner une impression
de continuité à l’ensemble du processus, masquer les ellipses et les inversions et donc donner au produit fini l’image de la
description suivie de la fabrication d’un violon. Ce film n’est donc pas tant un film sur la fabrication d’un violon qu’un film qui
reconstitue les principaux éléments de composition, d’ordre et d’articulation des phases de fabrication d’un violon.
Cette forme de reconstitution ne rend pas pour autant les données obtenues sans intérêt, au contraire. La mise en place de ce
dispositif a eu pour effet de changer l’attitude du luthier et de faire émerger des comportements qui en disent beaucoup sur la
mémoire partagée de la communauté de pratique des luthiers de Mirecourt : ici le processus de médiation cinématographique
a conduit de façon plus ou moins consciente le luthier à proposer une présentation exemplaire du processus de fabrication
d’un violon tel qu’il est pensé et promu par les représentants locaux de la tradition luthière française. En un sens, ce dispositif
de médiation a incité le luthier à mettre l’accent sur les « gestes professionnels », véhiculant les codes et les valeurs partagés
avec certains de ses pairs, au détriment des « gestes de métier » habituellement mobilisés lorsque, hors de toute relation de
transmission, il est en prise directe et individuelle avec la matière.
L’hypothèse ici défendue est que ce changement de régime de l’action technique tient à la présence dans la situation d’un
destinataire virtuel (invisible et aux contours troubles) que la caméra fait advenir en établissant les conditions d’un dispositif
de médiation. En raison du contexte de tournage, les gestes de la personne filmée ne sont plus uniquement orientés vers la
formation d’un objet mais sont « adressés » à un tiers : la « mise en public » potentielle peut inciter à accroître le regard
réflexif que l’agent porte sur ses propres gestes et, en conséquence, le conduire à renforcer la part de ritualité diffuse présente
en chaque activité matérielle. Ainsi à partir de l’analyse d’un film très particulier (une forme de reconstitution improvisée),
la présente contribution propose une réflexion d’ordre général sur les effets pouvant être occasionnés par la présence d’une
caméra et les significations singulières qu’ils peuvent permettre de faire émerger.
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Les making of : les professionnels de l’image à l’écran
Maxence Lamoureux
Sociologue, GRESCO, Université de Poitiers
« […] l’activité des personnes filmées se trouve subordonnée, en même temps qu’à ses fins ordinaires, à cette fin extraordinaire que constitue sa présentation à un nombre infini de spectateurs possibles […]. » (Xavier de France)
Cette communication se proposera d’étudier les images du travail des cinéastes. Les travailleurs de l’image à l’image, à la
fois devant et derrière la caméra. Leur travail se montre et interroge. Nous choisirons de nous intéresser à une catégorie de
professionnels de l’image particulière, restreinte et facilement identifiable par sa production : les cinéastes animaliers. Notre
corpus nous permettra ainsi de nous demander comment les images du travail en train de s’accomplir construit l’image d’une
profession lorsqu’elles sont produites par les professionnels eux-mêmes. Les cinéastes animaliers en se filmant au travail
puis en montant les images de leurs activités font des choix forts qui prennent sens et construisent une idée de leur métier.
Nous interrogerons l’attrait de ses images sur le public et l’intérêt dramatique que trouve les cinéastes à intégrer directement
dans leurs films des images de leur travail en train de s’accomplir. Les hommes en prise avec ces outils et placés dans ces
situations de tournage particulières constituent les objets de projections et d’identifications pour le spectateur.
Les travailleurs du film se mettent en scène et organisent ainsi la démonstration de ce qu’ils pensent être les savoir-faire
de leur activité. L’image de la profession s’élabore dans ses films en montrant des gratifications non-monétaires diverses et
une pleine implication, intellectuelle et physique, du travailleur pour l’oeuvre produite. Enfin il faudra évoquer les activités du
cinéaste animalier hors-champ, oubliées par la caméra et la signification de leur mise à l’écart.
L’analyse proposée ici s’appuiera sur un travail de terrain, d’observation et d’enquête réalisé dans le cadre d’une thèse portant
sur la constitution de la profession de cinéaste animalier en France. Nous verrons ainsi comment ces travailleurs de l’audiovisuel participent à la construction de leur profession.
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L’image des bouchers: la recherche de l’honorabilité,
entre fierté communautaire et occultation du sang
Sylvain Leteux
Historien, Institut de Recherche Historiques du Septentrion (UMR 8529 CNRS) – Université de Lille 3
Les bouchers appartiennent à une profession fortement connotée négativement à cause de son rapport au sang, à la mort et
à la violence, sans même parler de leur cupidité. Cette vision négative des bouchers se retrouve dans de nombreuses images
proches de la caricature. L’embonpoint souligne l’âpreté au gain du boucher. La présence d’un molosse vient souvent renforcer
la férocité attribuée au boucher. En réaction à cette image négative, les bouchers ont cherché à donner une image respectable
de leur métier, dès le Moyen Age. Cette recherche de la respectabilité apparait très clairement sur des images de la période
1850-1950 quand le boucher est représenté en costume civil (costume «bourgeois») et non pas avec ses habits professionnels.
Les deux principaux marqueurs visuels qui permettent d’identifier le boucher sont le tablier et l’outil tranchant (couteau,
merlin, hache, hachoir). Le degré de propreté du tablier, lié à la présence ou à l’occultation du sang, semble être un détail
très utile pour mesurer non seulement le réalisme de l’image mais aussi les intentions du créateur de l’image. Sur certaines
images (vitraux, miniatures, gravures), la blancheur absolue du tablier montre bien la volonté d’édulcorer la réalité sanglante
du métier. A l’opposé, sur des images qui se veulent réalistes, le sang est abondamment présent sur le tablier et au sol. Le
«tablier sanglant» devient parfois un instrument visuel au service des militants anti-abattage.
Dans le contexte très particulier de l’affirmation des valeurs artisanales et corporatives (entre 1930 et 1970), le tablier blanc
des bouchers a été mis en scène et instrumentalisé en France par les patrons bouchers détaillants, dans un but de valorisation
de la profession. La profession de boucher détaillant s’étant séparée de celle de boucher abattant au cours du XIXe siècle, un
costume professionnel très précis se fixe pour les bouchers détaillants à la Belle Epoque (sur un modèle parisien). Ce costume
très codifié devient à partir des années 1930 un marqueur social fort, porteur de valeurs politiques conservatrices largement
partagées par les patrons bouchers.
Le Siège de Paris
Alfred le Petit
1870
Le Boucher
Arsène Symphorien Sauvage
1877
Une brigade de bouchers abattants
Abattoirs de La Villette, Paris
1914
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Les consultants et leurs images.
Mises en récit et mises en scène d’un groupe professionnel
Isabelle Boni
Sociologue, Centre Maurice Halbwachs (CNRS/EHESS/ENS)
Conduit dans le cadre d’une recherche sur le groupe professionnel des consultants en management et sur les divisions
sexuées au sein de cet espace, la communication revient sur la place importante occupée par l’image, dans la communication
institutionnelle et personnelle réalisée par les professionnel-le-s du conseil en management : photographies mises en ligne
sur les sites internet des firmes de conseil ou sur les réseaux sociaux à usage professionnel. C’est à une véritable mise en
scène collective des apparences qu’on assiste quand on s’attarde sur les sites des cabinets, quels que soient leur taille ou
leur prestige.
Production éminemment sociale, avec ses destinataires et ses objectifs, outillée par son langage propre et ses effets de mise
en scène (Terrenoire ; Géhin et Stevens), les images du travail donnent souvent plus à voir les intentions, les présupposés,
l’orientation du regard, que le réel du travail. C’est bien en resituant ces images comme des construits sociaux, que la communication souhaite articuler deux grands questionnements.
Premier questionnement : Comment sont produites les images du travail et dans quels buts ? Quel(s) récit(s) construisentelles du métier et en quoi ces récits peuvent-ils être une ressource pour légitimer une expertise faiblement institutionnalisée,
symboliser un travail en partie invisible et des « savoir faire discrets » (Molinier) ?
Deuxième questionnement : Que produisent ces images pour les professionnel-le-s ? Quelles normes d’apparence, d’hexis
corporelle et vestimentaire construisent-elles ? Et quels en sont symboliquement et pratiquement les effets, notamment en
terme de construction de figures professionnelles « corporellement » légitimes ? Comment contribuent-elles éventuellement
à reproduire des frontières symboliques genrées et quelles sont les stratégies des figures corporellement illégitimes (ou moins
légitimes) pour construire des références alternatives ?
A partir de deux groupes de ressources photographiques/iconographiques – celles d’un bureau d’organisateurs conseils des
années 1950 et celles d’un cabinet de conseil en management contemporain1 – on montrera d’abord combien l’image revêt
dès l’émergence de ce groupe professionnel et jusqu’à aujourd’hui des enjeux importants, et participe à sa construction sociale et symbolique. Puis, à partir du cas de la firme CS2 and Partners, on illustrera les fonctions de mise en récit de ces images,
en montrant combien elles constituent une ressource pour les firmes tant en terme de construction d’une « façade institutionnelle » (Goffman) convaincante vis-à-vis des clients, qu’en terme de contrôle social sur les consultants salariés. Enfin on
soulignera les normes corporelles et l’esthétique du groupe mobilisée et produite par ces supports et les injonctions qu’elles
adressent aux salariés, en montrant les différenciations sexuées qui en découlent pour incarner « l’expert légitime ».
1 - On opte ici pour l’approfondissement d’un cas, sachant que la recherche s’est appuyé sur un corpus de ressources visuelles mises en
ligne (photos et vidéos), sur les sites internet de 5 cabinets de conseil
en management, faisant partie des firmes enquêtées durant la recherche. Ont été systématiquement analysés les matériaux photographiques présentant les collaborateurs – seul-e-s ou en groupe, prenant
la pause ou pris-e-s « sur le vif » - et les commentaires les accompagnant, afin d’appréhender la place prise par les images/les portraits
photographiques des consultants dans ces vitrines symboliques très
investies et pour saisir d’un point de vue sémiologique ce que ces images disent et véhiculent à propos du métier et des consultant-e-s.
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L’absence du travail dans l’iconographie compagnonnique du XIXe sicècle
Laurent Bastard
Directeur du Musée du compagnonnage, Tours
Les compagnons du tour de France constituent la plus vieille association d’ouvriers encore en activité, puisqu’elle émerge au
XVe siècle et qu’au terme de diverses vicissitudes, elle est toujours implantée en France mais aussi à l’étranger. Le travail, le
métier, y sont valorisés. Ne lit-on pas ces sentences sur les estampes des compagnons charpentiers, au milieu du XIXe siècle :
« Le travail et l’honneur, voilà notre richesse / Gloire au travail, mépris à la paresse ». De fait, les compagnonnages ne se
sont constitués qu’avec des ouvriers d’une trentaine de métiers différents (du bâtiment, de la métallurgie, du cuir, des textiles, de l’alimentation…), à partir d’une structure initiatique, pour se perfectionner professionnellement et sur le plan moral,
s’entraider et transmettre des valeurs et un savoir-faire. Le voyage (le tour de France), est l’un des caractères essentiels de
ce mouvement.
Cette vieille institution a utilisé l’image à diverses fins, dès le XVIIIe siècle, notamment chez les tailleurs de pierre, pour
illustrer les en-têtes de leurs « rôles » ou règlements. Mais c’est au XIXe siècle qu’une grande production d’images (dessins
aquarellés et lithographies) vient en représentation du Compagnonnage.
Dessinées, peintes, lithographiées par des professionnels, très rarement par des compagnons, ces images de grand format
(jusqu’à 90 x 120 cm) ont eu une double fonction : celle de servir de « souvenir » au compagnon qui l’achetait durant son
tour de France et celle de support à un enseignement moral fondé sur des représentations symboliques. Chronologiquement,
la fonction de souvenir précède la fonction didactique, puis les deux coexistent et enfin la seconde éclipse la première. Cette
évolution s’opère tout au long du XIXe siècle. Dès les années 1860, la photographie-souvenir du compagnon en grande tenue,
haut-de-forme sur la tête, canne en main et « couleurs » (rubans) au côté, se répand et finit par supplanter toute autre iconographie.
Ces tableaux-souvenirs sont pour la plupart l’œuvre de deux dessinateurs et peintres « pour les compagnons » (Etienne Leclair, à Bordeaux, sous la Restauration, et Auguste Lemoine, à Angers, entre 1830 et 1850 environ). Que nous montrent-ils ?
Soit un compagnon en pied, au centre du dessin, arborant fièrement sa canne et ses couleurs. Placé entre des colonnes et
sous le fronton d’un édifice d’architecture classique, le compagnon est accompagné d’un chien symbolisant la fidélité et il est
accompagné des outils de son métier. A l’arrière-plan, on distingue une vue de Bordeaux. Le saint patron de son métier, un
décor floral, des devises sont placés au-dessus de lui.
L’autre type de souvenir est constitué par la « conduite », cortège de compagnons suivant celui qui va quitter la ville où il a
séjourné (Bordeaux, Orléans, Angers…). Le « partant » accomplit avec eux un rite d’adieu. A l’arrière-plan, un décor urbain,
de petites scènes de la vie quotidienne, et au-dessus, le saint patron, des outils, des devises complètent la scène.
Ces deux représentations vont se trouver peu à peu intégrées dans des compositions beaucoup plus complexes, où figurent des
épisodes légendaires et de multiples symboles. Ces derniers attestent la perméabilité du compagnonnage à un certain ésotérisme et l’attrait pour la franc-maçonnerie considérée comme une société sœur et un modèle. A la fin du XIXe siècle, conduite
et compagnon en pied n’occupent plus qu’une place marginale dans les lithographies, ou disparaissent tout à fait.
Il est une autre caractéristique de ces images, et non des moindres : la représentation du travail et du métier y est des plus modeste : quelques outils ici et là, de
rares et petites scènes d’ouvrier charpentier ou tonnelier au travail à l’établi ou sur
un billot. Quand des scènes de travail sont de plus grandes dimensions, elles ne se
rapportent pas à celui du compagnon mais à celui de son saint patron (saint Joseph
poussant sa varlope sur l’établi, près de l’enfant Jésus et de Marie, c’est-à-dire la
Sainte Famille) ou à un épisode légendaire renvoyant à l’origine du Compagnonnage
(ouvriers sur le chantier du temple de Salomon). Cela signifie que les compagnons
ne se représentent pas comme des hommes de métiers dans leur quotidien, mais
comme des hommes issus d’un passé mythique, membres d’une société à secrets,
initiatique et formant une élite professionnelle. Le métier, le travail, sont l’ordinaire
du compagnon. Ils sont vécus comme le moyen de s’élever socialement mais c’est
le Devoir, l’ensemble des règles, rites et symboles, qui permettent cette élévation
sociale et morale. Et c’est elle seule qui est privilégiée par l’image.
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