Analyse des conditions environnementales et des usages de la mer

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Analyse des conditions environnementales et des usages de la mer
 Analyse des conditions environnementales et des
usages de la mer associés aux attaques de requin à
l’île de la Réunion entre 1980 et 2011
Erwann LAGABRIELLE(1), Nicolas LOISEAU(2),
Nathalie VERLINDEN(3), Pascale CHABANET(2), Marc SORIA(4)
(1)
IRD, UMR ESPACE-DEV, (2)IRD, UMR CoRéUs,
(3)
Florida Program for Shark Research University of Florida, (4)IRD, UMR EME
[email protected] © Jonathan Vayssières
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Table des matières
Résumé ........................................................................................................................................ 1
Introduction ................................................................................................................................ 2
2. Les données ............................................................................................................................. 4
2.1 Description des attaques ................................................................................................. 4
2.2. Géolocalisation des attaques.......................................................................................... 4
2.3. Conditions atmosphériques et état de la mer ................................................................. 6
2.4. Le substrat benthique...................................................................................................... 6
2.5. Pluviométrie.................................................................................................................... 6
2.6. L’urbanisation ................................................................................................................ 7
2.7. Autres variables prises en compte .................................................................................. 8
3. Résultats .................................................................................................................................. 9
3.1. Analyse des attaques sur la période 1980-2011 ............................................................. 9
3.2. La pluviométrie et les attaques..................................................................................... 16
3.3. Météorologie et état de la mer...................................................................................... 18
3.4. Variations inter-annuelles du nombre d’attaque.......................................................... 19
3.5. Variations inter-mensuelles des attaques ..................................................................... 22
3.6. Variations inter-journalières des attaques ................................................................... 23
3.7. Variations intra-journalières des attaques................................................................... 24
3.8. Phases de lune et de marée........................................................................................... 25
3.9. Proximité à des éléments particuliers .......................................................................... 25
4. Synthèse et discussion .......................................................................................................... 26
4.1. Des attaques réparties autour de l’île .......................................................................... 26
4.2. Nombre d’attaques et croissance de la population globale et par activité .................. 26
4.3. Fatalité des attaques en fonction des activités ............................................................. 27
4.4. Un environnement d’attaque qui reflète celui des pratiques........................................ 27
4.5. Une temporalité des attaques qui reflète la temporalité des activités.......................... 28
4.6. Rôle de la turbidité dans les attaques........................................................................... 28
4.7. Des attaques plus fréquentes l’après-midi et au crépuscule ........................................ 29
4.8. Correspondances entre les attaques et la phase lunaire, la marée, la proximité au
DCP et les cages aquacoles................................................................................................. 29
4.9. Correspondances entre les attaques la proximité des ports, des zones urbaines et des
ravines ................................................................................................................................. 29
4.10. Les attaques de requin et la proximité de la Réserve Naturelle ................................. 30
4.11. L’adaption du territoire des pratiques au risque d’attaque entre 1980 et 2011........ 30
4.12. Grille d’évaluation du risque d’attaque de requin : application aux surfeurs .......... 30
5. Conclusion............................................................................................................................. 31
Remerciements ......................................................................................................................... 32
Bibliographie............................................................................................................................. 32
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Résumé
Entre 1980 et 2011, 36 attaques de requin ont été relevées, soit 1,16 attaques par an à la
Réunion. Ces attaques sont réparties tout autour de l’île : 80% dans les secteurs Sud et Ouest,
et 20 % dans le Nord et l’Est. Les attaques sont récurrentes dans le Sud et absentes depuis 1995
dans le Nord. L’espèce de requin à l’origine de la majorité des attaques à la Réunion repose sur
le témoignage des victimes ou des témoins qui évoquent soit le requin bouledogue
(Carcharhinus leucas), soit le requin tigre (Galeocerdo cuvier).
Pour l’activité de surf, (surreprésentés dans les attaques avec en moyenne 0,6 attaques par
an), l’augmentation du nombre d’attaques reflète l’augmentation démographique, urbaine et le
nombre de pratiquants. La chasse sous-marine est la seconde activité la plus concernée. Sur 36
attaques 44 % ont été fatales : 33 % pour les surfeurs (sur 18 attaques) et 22 % pour les
chasseurs sous-marins (9 attaques). L’issue a été fatale pour tous les pratiquants d’autres
activités. La classe d’âge la plus représentée dans les attaques correspond à celle des
pratiquants des sports nautiques. Une majorité d’attaques a lieu sur des personnes isolées. La
fatalité des attaques tend à diminuer en fonction du nombre de personnes dans l’eau. La
distribution mensuelle des attaques montre une répartition relativement homogène, avec une
fatalité beaucoup plus importante (60%) durant la période hivernale, dans des eaux fraîches
(24-25 °C). Ces attaques en hiver correspondent à des conditions de forte houle propices au
surf au large, dans des conditions qui rendent l’eau turbide. Il existe une surreprésentation des
attaques le lundi, mercredi et le week-end, surtout pour les surfeurs et les windsurfers. 76% des
attaques se sont produites dans des eaux à turbidité moyenne/forte. Les attaques ont lieu
majoritairement des jours ensoleillés et avec une mer modérément agitée voire agitée. En ce
qui concerne les surfeurs, il semble que les attaques se produisent après un épisode de pluie de
plusieurs jours succédant à un temps moins pluvieux plus propice à l’activité. Les attaques ont
eu lieu exclusivement de jour. Le nombre d’attaque est plus important l’après midi et surtout
au crépuscule. Il n’y a pas de correspondance observée entre les attaques et : les anomalies de
température à l’échelle de l’Océan Indien, les phases lunaires, la marée, les distances
moyennes aux cages aquacoles, aux DCPs ou à la Réserve Marine. En moyenne, les attaques
sur surfeur se sont produites à proximité des ports (4 km), des ravines (600 m) et des zones
urbaines (15 % de surface urbanisée en moyenne dans un rayon de 2 km autour de l’attaque).
Ces résultats impliquent que les sites d’attaque (tout au moins sur les surfeurs) seraient soumis
à l’influence d’activités anthropiques qui influent localement sur la qualité des eaux, la
turbidité et la fréquentation du milieu. La grille de lecture synthétique construite à partir de ces
résultats et de ces hypothèses montre qu’un tiers des attaques correspond à des prises de risque
importante, un tiers à des prises de risque moyenne et un tiers à des prise de risque faibles.
Nos résultats suggèrent que la distribution des attaques est essentiellement liée à celle des
pratiques, et à deux paramètres: la turbidité et l’heure de la journée. La turbidité importante
résulte de l’apport massif de matières transportées depuis les bassins versants, et/ou de la mise
en suspension de cette matière, et des matériaux déjà présents dans le milieu et soulevés par la
houle. Deux autres paramètres pourraient jouer également un rôle, il s’agit de la qualité des
eaux et de l’apport de matière organique qui enrichit le milieu. Notre analyse, limitée par le
choix des variables et le nombre d’attaques, devra être précisée grâce notamment à
l’intégration de données plus précises dans le temps et l’espace. De plus, les composantes
analysées sont souvent corrélées entre elles. Au moins un tiers des attaques sur des surfeurs à la
Réunion semblent résulter d’une combinaison d’imprudences. C’est sur cette portion
d’attaques qu’il sera possible d’agir par l’information et la sensibilisation des usagers. Les
conditions aux cours desquelles le deux autres tiers des attaques se sont produites seront
intégrées à la base de données du programme CHARC dont l’un des objectifs est d’identifier
les conditions spécifiques qui pourraient les expliquer.
1 Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Introduction
L’objectif de la présente étude est d’analyser les attaques de requin sur les humains
recensées à la Réunion depuis 1980 ainsi que les conditions environnementales et les pratiques
associées. Nous apportons des éléments quantitatifs à l’analyse de ces attaques afin de
contribuer à fonder une gestion raisonnée et intégrée des risques associés à la cohabitation
entre requins et usagers de la mer. Soulignons d’emblée qu’il s’agit ici d’analyser les
conditions associées avec les attaques de requin et non d’expliquer les attaques par ces
conditions.
Le nombre annuel d’attaques de requins rapporté dans le monde augmente. Cette
amplification a été attribuée à l’augmentation du nombre de personnes pratiquant des activités
nautiques telles que le surf et la chasse sous-marin (West, 2011). Cette augmentation doit
également être mise en relation avec la croissance urbaine sur les littoraux ainsi qu’à un
meilleur recensement des cas d’attaques.
Dans le sud ouest de l’océan indien (Mayotte, Madagascar, les Seychelles, Maurice et La
Réunion), 51 attaques de requins on été recensés sur cette dernière décennie. L’île de la
Réunion comprend 68% de ces attaques avec 36 cas reportés depuis 1980. En 2011 la Réunion
a connu un pic d’attaques avec 6 incidents, incluant 2 attaques fatales. Ces évènements ont
déclenchés l’établissement d’un comité régional de gestion du risque requin à la Réunion ayant
pour but d’approfondir les connaissances sur les requins présents dans les eaux côtières de la
Réunion ainsi que les occurrences d’attaques.
Une attaque de requin sur humain, évènement dramatique, peut être considérée comme la
mise en relation d’un système écologique et d’un système sociétal, à l’interface entre le
domaine terrestre et marin. Ces systèmes sont couplés et ont des interactions complexes. Il est
essentiel de prendre en compte ce couplage et cette complexité pour tenter de comprendre les
occurrences d’attaque de requin à la Réunion. Il s’agit donc d’aborder chaque attaque sous
l’angle de l’environnement, de la biologie mais également sous l’angle des pratiques et usages
de la mer et du littoral. Les variables que nous avons pris en compte pour cette analyse relèvent
ainsi de ces différentes composantes.
Précisons également que le travail présenté reflète un état des connaissances et des
données qui évolue au court du temps, notamment par la mise à disposition de données
environnementales plus précises à la fois dans le temps et dans l’espace.
1. Site d’étude et méthodologie
1.1. Site d’étude
La Réunion est localisée dans le sud ouest de l’Océan Indien (21°S, 55°E). C’est un
département d’outre mer français. L’île étant née de la récente émergence d’un volcan, elle est
caractérisée par une topographie escarpée avec une altitude maximum de 3059 m. Sa côte est
composée de trois principaux habitats : les récifs coralliens, les côtes rocheuses et les côtes
caractérisées par des fonds sableux. La côte ouest est protégée par un récif corallien frangeant,
des plages composées de sédiment coralligènes ou basaltiques, tandis que le reste de l’île est
bordé de côtes rocheuses et de quelques plages sur la côte Sud et Ouest de l’île. Le climat est
typiquement tropical avec une saison humide de novembre à avril et une saison sèche de mai à
octobre. Les précipitations sont importantes à L’Est de l’île (5 m par an en moyenne), faible à
l’Ouest (moins d’un mètre par an) et sont très variables en fonction des années.
1.2 Méthodologie de sélection des variables et de traitement des données
Les données présentées dans cette étude permettent d’évaluer l’état de variables décrivant
les attaques et le contexte de ces attaques. Les variables prise en compte ont été identifiées sur
2
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
la base d’hypothèses scientifiques attestées par des publications scientifiques mais également
sur les connaissances de différents groupe sociaux (pêcheurs, surfeurs, etc.) pour « expliquer »
les attaques de requin.
Chaque variable décrit l’attaque et l’état de l’environnement au moment de l’attaque ou
durant une période qui la précède: le contexte géomorphologique, la température de l’eau, la
saison, la pluviométrie, etc. Certaines variables ont une forte variabilité spatio-temporelle (par
exemple la houle) tandis que d’autres variables traduisent des éléments plus stables et pérennes
du système, tels que le substrat benthique.
Les données sur les attaques et l’environnement ont été stockées dans une base décrivant
1) les attaques et les activités pratiquées, 2) l’état de l’environnement pendant et avant
l’attaque. Nous disposions par ailleurs de l’état de certaines variables sur un pas de temps
annuel entre 1980 et 2011. Ces données annuelles nous ont permis de resituer les attaques dans
une perspective historique continue. Toutes les données ont été extraites d’articles de journaux,
de bases de données existantes et de couches d’informations géographiques accessibles
localement ou en ligne. Ce corpus de données est stocké à l’IRD Réunion et sera transmis à la
DEAL Réunion.
Le traitement des données a été réalisé sur l’ensemble de la période 1980-2011 avec des
données d’occurrence/absence annuelles à l’échelle de la Réunion, ou des données
d’occurrence pour les données relatives aux sites d’attaque. Les analyses ont été réalisées en
appliquant des filtres croisés sur les données selon l’activité pratiquée, la fatalité des attaques,
etc. A noter que toutes les variables n’ont pu être renseignées compte tenu de l’incertitude sur
la localisation de l’accident ou tout simplement de l’absence de données.
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Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
2. Les données
2.1 Description des attaques
Des informations temporelles, géographiques et anecdotières relatives aux attaques ont
été extraites de l’International Shark Attack File (Museum d’Histoire Naturelle de Floride) en
conjonction avec les informations recueillies par Squal’Idée notamment issues de la thèse de
Van Grevelynghe (1994).
Ces données ont été mises à jour, précisées ou corrigées à partir d’une synthèse d’articles
parus dans le Journal de l’Île et le Quotidien depuis 1980. Cette synthèse d’article (publiés
généralement le lendemain des attaques) a été compilée sous la forme d’un document
numérique d’une centaine de pages De ces articles nous avons pu obtenir des informations sur
la date et le lieu de l’attaque (commune, site), l’activité pratiquée par la victime, son âge et
genre, ainsi que les blessures infligées à l’issue de l’accident. La sévérité des blessures a été
mesurée sur l’échelle du « shark induced trauma (SIT)» (Lentz et al. 2010) selon une échelle
graduée de 0 (pas de blessure) à 5 (fatal). Pour certaines attaques, le nombre, l’espèce et la
taille des requins ont également été renseignés, même si cette donnée doit être abordée avec
précaution compte tenu de la difficulté d’identification des espèces et des approximations qui
en résultent.
De la date et de l’heure de l’attaque nous avons pu déduire des données telles que le
moment de la journée, le mois, la semaine, le jour de la semaine, la saison (hiver, été), la marée
(basse, basse montante, haute montante, haute, haute descendante, basse descendante) ainsi
que la phase lunaire (nouvelle lune, premier quartier, pleine, dernier quartier). Nous avons
également calculé le temps le plus court écoulé en minute après le lever ou avant le coucher du
soleil, (0 mn comptant pour la nuit).
L’activité nautique pratiquées par la victime a été renseignée et généralisée selon la
typologie suivante : surf (y compris bodyboard), windsurf, baignade, pêche ou autre activité
(chute accidentelle de falaise). Il y a environ 2000 surfeurs à La Réunion (source : Fédération
Française de Surf) ; ce sport se pratique à la Réunion principalement sur la côte Ouest et Sud
(une quarantaine de spots) et de manière plus marginale dans l’Est. Le windsurf concerne
environ 200 pratiquants principalement à Saint-Pierre, Etang-Salé, Saint-Leu, La Saline et La
Possession ; il n’est plus pratiqué à Saint-Denis depuis les deux attaques de 1994 et 1995. La
chasse sous-marine est pratiquée sur l’ensemble du littoral. La baignade hors lagon est
pratiquée de manière très marginale et résulte souvent d’une chute accidentelle à la mer ou
d’un emportement par les courants. Les attaques ont été catégorisées en attaques provoquées
(présence probable d’un appât de pêche) ou non provoquées, mais nous n’avons que très peu
utilisé cette données compte tenu de la forte incertitude liées à ce type de données.
2.2. Géolocalisation des attaques
Les attaques ont été géolocalisées à une précision d’une dizaine de mètre sur le littoral et
de plusieurs centaines de mètres lorsqu’il s’agissait d’attaques au large, généralement sur des
plongeurs. Nous avons ainsi pu déduire la profondeur des attaques. La précision de la
géolocalisation a été évaluée selon un score gradué ; 1 (faible précision de l’ordre du
kilomètre), 2 (précision modérée de l’ordre de 100 m) et 3 (bonne précision de l’ordre de 10
m).
Cette géolocalisation a été réalisée en utilisant le logiciel ArcGIS 10, en conjonction avec
Google Earth, la BDOrtho 2008 de l’IGN (photographies aériennes) et la synthèse d’articles de
presse décrivant les attaques. Nous nous sommes également appuyés sur des données
hydrographiques issues du modèle numérique Litto3D obtenues auprès de l’IFREMER.
Litto3D a été développé dans le cadre du Projet HYDRORUN, coordonné par la Délégation
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Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Ifremer océan-Indien et le laboratoire Dynéco-Ifremer/Brest. Cette "plate-forme de
modélisation hydrodynamique du littoral Réunionnais" a été développée par les équipes du
laboratoire LOCEAN (Université Pierre et Marie CURIE, PARIS VI) et des sociétés
ACTIMAR, SAFEGE et PARETO-Ecoconsult de La Réunion. Le Projet HYDRORUN a
bénéficié, entre 2009 et 2012, du soutien financier de l'Union Européenne (Fonds FEDER
Réunion), du Conseil Régional de la Réunion, de l'Office de l'Eau de La Réunion, de l'EtatDEAL de La Réunion et de l'Ifremer.
Figure 1: Extrait de la cartographie des attaques sur l’Ouest de la Réunion avec
les zones urbanisées en 1989, 2002 et 2011, la carte des substrats sédimentaires
(source: CARTOMAR-BRGM), les rivières et ravines principales (BD TOPO
1997) et divers éléments ponctuels : dispositifs de concentration de poisson (DCP)
cages aquacoles, balises de la Réserve Naturelle Marine de la Réunion et récifs
artificiels. L’image SPOT est estompée en arrière plan.
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Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
2.3. Conditions atmosphériques et état de la mer
L’objectif est d’identifier si les jours d’attaque correspondent à une météorologie ou à un
état de la mer (houle, température, turbidité) particulier. Nous avons caractérisé le temps
(couverture nuageuse et précipitations) et la hauteur de houle les 7 jours précédents l’attaque.
En l’absence d’archives facilement accessibles, ces informations ont été extraites du bulletin
météo des archives du JIR et du Quotidien. Ces bulletins utilisent une description codifiée des
états de mer et de l’atmosphère. Le temps a ainsi été décrit selon la typologie suivante : 1:
ensoleillé, 2: partiellement nuageux, 3: nuageux, 4: pluvieux, 5: très pluvieux. L’état de la mer
a été apprécié selon la typologie suivante : 1 : mer calme ou lisse (houle de 0 à 0,5 m), 2 :
légèrement agitée (houle de 0,5 m à 1,25 m), 3 : modérément agitée (1,25m à 2,5 m), 4 :
fortement agitée (2,5m à 4 m), 5 : très fortement agitée (plus de 4 m).
Les données de température de surface de la mer ont été extraites des bases de données de
la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) d’une résolution temporelle
d’une semaine et d’une résolution spatiale de 1 degré. La source de ces données est la
suivante : NOAA_OI_SST_V2 données fournies par NOAA/OAR/ESRL PSD, Boulder,
Colorado, USA, à partir de leur site web http://www.esrl.noaa.gov/psd/. Nous avons
également extrait les données hebdomadaires et mensuelles relatives à l’état de l’Indian Ocean
Dipole (IOD) de 1982 à 2011 (http://www.jamstec.go.jp/frsgc/research/d1/iod/). L’IOD
est l’équivalent de l’indice ENSO (Pacifique) sur l’Océan Indien et renseigne sur l’anomalie de
distribution des températures de surface de la mer à l’échelle de l’Océan Indien.
La turbidité de l’océan le jour de l’attaque a été évaluée sur une échelle de 1 à 3 (1:
faible, 2: moyenne, 3: forte). Cette information a été croisée ensuite avec les données sur la
houle et la pluviométrie, variables qui influent fortement la turbidité locale.
2.4. Le substrat benthique
Le substrat peut jouer un rôle dans la localisation des populations de requin mais il est
également très lié aux activités marines pratiquées, en particulier le surf qui se pratique à
proximité de récifs coralliens ou de zones de dépôt sédimentaires sur le littoral. Le substrat
sédimentaire sur les sites d’attaque a été décrit en utilisant notre connaissance empirique des
sites côtiers, selon la typologie suivante : galet, sable, récif corallien, fond rocheux, coraux sur
fond rocheux, galet sur fond rocheux. Pour caractériser le substrat sédimentaire à l’aplomb des
attaques nous avons utilisé la cartographie de la nature du substrat sédimentaire CARTOMAR
(BRGM). Nous en avons également extrait un indice décrivant l’environnement benthique dans
un périmètre de 2 km sous la forme d’un ratio exprimant, en pourcentage, le rapport entre la
surface couverte par du substrat sédimentaire et du substrat rocheux (100 % comptant pour un
environnement de substrat sédimentaire uniquement, 0% pour un environnement rocheux).
2.5. Pluviométrie
Le premier objectif est d’identifier si les mois d’attaque correspondaient à des anomalies
de précipitation. Toutes les données pluviométriques ont été extraites de la climathèque de
METEOFRANCE. Afin de comparer la pluviométrie des mois précédant les attaques avec la
pluviométrie mensuelle moyenne de ces sites nous avons extrait des moyennes pluviométrique
mensuelles entre 1980 et 2011 pour les stations météorologiques (Figure 2) de Saint-Denis
(située à 8m d’altitude), Saint-Benoît (située à 43m), Saint-Joseph (située à 17m) et SaintPierre (située à 61m). Ces stations sont les seules disposant de séries temporelles complètes sur
la période. Compte tenu du manque de données, les moyennes mensuelles ont été calculées
pour les stations de Trois-Bassins (située à 5m d’altitude) entre 2002 et 2011 et de SaintGilles-les-Bains (située à 5m) entre 1980 et 2001. Nous avons ensuite calculé le rapport (en %)
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Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
entre les précipitations du mois d’attaque et les précipitations moyennes du mois correspondant
sur la station météorologique la plus proche.
Figure 2: Pluviométries moyennes mensuelles (en mm) sur 6 stations
météorologiques METEO FRANCE côtières à enregistrement continu entre
1980 et 2011 à La Réunion dont la station de Trois-Bassins (2002-2011) et
Saint-Gilles-les-Bains (1980-2001).
Le second objectif est d’étudier si la distribution temporelle des pluies dans les jours
précédent l’attaque peut jouer un rôle. Nous avons ainsi mesuré les précipitations cumulées (en
mm) le jour de l’attaque et durant les jours précédents l’attaque (3, 7, 15, 30 et 45 jours).
Compte tenu de la forte variance locale de la distribution spatiale des précipitations à la
Réunion, nous avons extrait ces données en moyennant les mesures de précipitation issues des
3 stations météorologiques les plus proches de l’attaque et situées sur le littoral et les mipentes. Cette méthode vise notamment à palier les biais liés des précipitations plus faibles sur
le littoral que dans les Hauts de l’île. A partir de ces données, nous avons extrait la
pluviométrie cumulée sur les périodes suivantes : 0-1 jours, 1-3 jours, 3-7 jours, 7-15 jours, 1530 jours et 30-45 jours. A noter que les mesures de pluviométrie cumulées à 0-30 jours
diffèrent des mesures de pluviométrie cumulées issues de la climatologie, en raison des
méthodes différentes de traitement des données (source des données et post-analyse).
2.6. L’urbanisation
L’occupation du sol, en particulier l’urbanisation, peut influencer l’écosystème marin par
différents mécanismes : surfréquentation, surexploitation, pollution et rejets divers, etc.
L’urbanisation à La Réunion est en forte croissance constante depuis 30 ans et concerne
l’ensemble de l’île surtout dans les Bas et les mi-pentes, excepté sur les flancs du volcan.
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Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Nous disposions de cartes de l’urbanisation pour les années 1989 et 2002 réalisées par
l’auteur de la présente étude dans le cadre du projet TEMOS (CIRAD, Université de la
Réunion, EPCI de La Réunion, Conseil Régional) (Lagabrielle et al. 2007).
Nous avons ainsi cartographié l’état de l’urbanisation en 2011 à partir d’une extraction
automatique sur des images SPOT 5 fournies à l’IRD par le CNES dans le cadre du projet
KALIDEOS. Nous avons alors calculé des surfaces urbaines dans une périmètre de 500 m, 1
km, 2 km et 5 km autour du site de l’attaque. Les surfaces obtenues ont alors été interpolées
pour chaque année en fonction du taux d’urbanisation annuelle lui-même ajusté en fonction de
la dynamique démographique (données INSEE 1974-2011). La surface totale urbanisée a ainsi
été calculée annuellement pour l’ensemble de l’île, de même que la démographie afin de les
mettre en relation avec le nombre annuelle d’attaques.
2.7. Autres variables prises en compte
D’autres variables ayant une influence hypothétique sur les attaques de requin ont été pris
en compte dans l’analyse. Il s’agit de la proximité aux ports, aux cours d’eau, à la Réserve
Naturelle Marine de la Réunion, aux dispositifs de concentration de poissons, aux récifs
artificiels et aux cages aquacoles. Nous avons ainsi calculé la distance de chaque attaque par
rapport au port le plus proche (Saint-Pierre, Sainte-Marie, Saint-Pierre, Saint-Leu, Saint-Gillesles-Bains, Le Port, La possession). Nous avons également évalué la distance à la ravine la plus
proche en prenant en compte les 13 ravines pérennes de la Réunion ainsi que toutes les ravines
temporaires dont le toponyme contenait le mot « ravine » ou « bras » (source : BDTOPO 1997
IGN). Nous avons évalué la distance à la réserve marine (données récoltées sur le site de la
DEAL Réunion). Nous avons également mesuré la distance aux cages aquacoles de Saint-Paul
(ARDA) ainsi qu’aux dispositifs de concentration de poissons (DCP) les plus proches (données
fournies par le CRPMEM - Comité Régional des Pêches Maritimes et des Elevages en Mer de
la Réunion) et aux récifs artificiels (même source). Les DCP, les cages aquacoles et les récifs
artificiels ont été implantés respectivement à partir de 1988, 1998 et 2000. La Réserve
Naturelle Marine de la Réunion a été créée en 2007. En plus de ces données, les données sur
les tonnages pêchés à l’échelle de l’Océan Indien ont été extraites sur une base annuelle à partir
des données de la Commission des Thons de l’Océan Indien Indian Ocean Tuna
(www.iotc.org/).
8
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3. Résultats
3.1. Analyse des attaques sur la période 1980-2011
3.1.1. Distribution spatiale des attaques
36 attaques de requins ont été répertoriées à la Réunion entre 1980 et 2011. Ces attaques
sont réparties tout autour de l’île, à l’exception des flancs du volcan (Figure 3).
Figure 3 : Distribution spatiale des attaques à la Réunion entre 1980 et 2011. Les
distances (proche en rouge, lointain en bleu) aux éléments suivant sont figurées : a)
rivières et ravines, b) ports, c) dispositifs de concentration de poissons (DCP), d)
Réserve Naturelle Marine de la Réunion, e) cages aquacoles et f) récifs artificiels.
3.1.2. Fatalité et activités pratiquées
Sur les 36 attaques, en excluant les deux attaques sur kayak, 44 % furent fatales (Figure
4) : 33 % pour les surfeurs (sur 18 attaques) et 22 % pour les chasseurs sous-marins (9
attaques). Par contre l’issue a été fatale pour tous les pratiquants d’autres activités dont le
windsurf, la pêche et la natation. On ignore l’activité pratiquée pour une des attaques.
Figure 4: Nombre d’attaques fatales/non fatales par activité (n=35, absence
d’informations pour une attaque)
9
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.1.3. Age des victimes
Les attaques concernent des personnes de sexe masculin avec en majorité un âge compris
entre 20 et 29 ans (Figure 5). Cette classe d’âge correspond aux pratiquants des sports
nautiques. La proportion d’attaques fatales augmente avec l’âge. L’âge moyen des personnes
victimes d’attaque est de 30 ans (n=19, 17 sans information) : 26 ans pour les surfeurs (n=13),
32 ans pour les chasseurs sous-marins (n=2), 29 ans pour les windsurfers (n=2) et environ 50
ans pour les nageurs et kayakistes (n=2).
Figure 5: Nombre d’attaques fatale en fonction de l’âge
(n=23, absence d’informations pour 13 attaques).
3.1.4. Blessures
Sur les 26 attaques de requins non provoquées, 13 furent fatales (50%), dans 3 cas les
corps ne furent jamais retrouvés. Seulement trois des attaques non fatales ne donnèrent suite à
aucune blessure et 23 % ne nécessitèrent aucune chirurgie. Ces attaques sont classifiées comme
étant du niveau 1 à 2 sur l’échelle du « shark induced trauma (SIT) » (Figure 6). La majorité
des attaques a provoqué des blessures aux membres, dont deux ont nécessité une amputation
(jambe et bras). Toutes les attaques fatales étaient dues à une hémorragie externe.
0
15.38%
1
11.54%
5
50.00%
2
11.54%
3
0.00%
4
11.54%
Figure 6: Distribution de la sévérité des blessures sur
les victimes impliquées dans des attaques de requins
non-provoquées à la Réunion entre 1980 et 2011
(n=26).
10
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.1.5. Nombre de personnes dans l’eau lors de l’attaque
Une majorité d’attaques a eu lieu sur des personnes isolées (Figure 7). La fatalité des
attaques tend à diminuer en fonction du nombre de personnes dans l’eau, passant de 50% pour
des personnes seules ou en binôme/trinôme, à un tiers lorsqu’il y a plus de 5 personnes dans
l’eau.
Figure 7: Fatalité et nombre de personnes dans l’eau à
proximité immédiate de l’attaque (moins de 100 m)
Les surfeurs sont en fait le seul groupe pratiquant leur activité en groupe lors des attaques
(Figure 9). De fait, la fatalité de 33 % chez les surfeurs attaqués est conforme à la fatalité d’un
tiers pour ce groupe de pratiquant.
Figure 8: Nombre de personnes dans l’eau à proximité
immédiate de l’attaque (moins de 100 m) (n=32, 4 attaques
sans information)
3.1.6. Bathymétrie
80 % des attaques se sont produites entre 1 et 5 m de profondeur (Figures 9 et 10). On
note des profondeurs moyennes différentes en fonction des activités, ainsi les surfeurs se font
exclusivement attaquer à moins de 5 m de profondeur. A l’inverse, les chasseurs sous marins
sont attaqués à l’aplomb de fonds plus importants compris entre 7 et 22 m. On relève une
attaque sur embarcation à la verticale de l’isobathe -50 m.
11
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Figure 9 : Nombre d’attaques et profondeur (en m) (n=31, absence d’informations
de géolocalisation pour 5 attaques)
Figure 10: Nombre d’attaques et profondeur par activité (en m) (n=31, absence
d’informations de géolocalisation pour 5 attaques)
3.1.7. Température de l’eau (de surface)
Le nombre d’attaque est inversement proportionnel à la température de l’eau (Figures 11
et 12). Les attaques sur surfeurs et chasseurs sous-marin ont eu lieu dans des eaux fraîches (2425 °C), ce qui correspond plus globalement à la saison des attaques (hiver). La température
moyenne de l’eau à La Réunion est de 24 °C en hiver et de 26 °C en été.
Figure 11: Nombre d’attaques et température de
l’eau (n=35, une attaque sans information)
12
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Figure 12: Nombre d’attaques et température de l’eau
par activité (n=35, une attaque sans information)
3.1.8. Turbidité
Le nombre d’attaques augmente en fonction de la turbidité (Figures 13 et 14). Ainsi 76%
des attaques se sont produites dans des eaux à turbidité moyenne/forte.
Figure 13: Nombre d’attaques et turbidité estimée
de l’océan (1 : faible, 2 : moyenne, 3 : forte) (n=21,
absence d’informations pour 15 attaques)
Figure 14: Nombre d’attaques et turbidité estimée de
l’océan (1 : faible, 2 : moyenne, 3 : forte) (n=17, 19
attaques sans information) par activité
13
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.1.9. Substrat benthique l’aplomb de l’attaque
Les attaques ont lieu principalement à l’aplomb de fonds meubles de type galet ou sable
ainsi qu’à proximité des récifs coralliens (Figures 15 et 16)
Figure 15 : Nombre d’attaques par substrat benthique (n=35, absence
d’informations pour une attaque).
Figure 16: Nombre d’attaques par substrat benthique
par activité (n=35, absence d’informations pour une
attaque).
3.1.10. Substrat benthique environnant
Une majorité d’attaques (60 %) se produit dans un environnement benthique (dans un
rayon de 2 km) constitué majoritairement de substrat meuble (Figures 17 et 18). Pour les
attaques sur surfeur, on note que l’environnement benthique est très majoritairement meuble
(i.e. de nature sédimentaire) alors qu’il est plutôt solide (rocheux notamment) pour les sites
d’attaque sur chasseur sous-marin.
14
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Figure 17: Nombre d’attaque et ratio substrat
meuble/solide dans un périmètre de 2 km autour du site
d’attaque (n=31, 5 attaques sans information). 100 %
indique un environnement composé exclusivement de
sédiments meubles et 0% de substrat dur.
Figure 18 : Nombre d’attaques et ratio substrat meuble/solide
dans un périmètre de 2 km autour du site d’attaque par activité
(n=31, 5 attaques sans information). 100 % indique un
environnement composé exclusivement de sédiments meubles et
0% de substrat dur.
3.1.11. Espèces de requins impliquées dans les attaques
Les attaques répertoriées entre 1980 et 1999 ont été étudiées dans la thèse de médecine de
Van Grevelynghe (1994). Une évaluation des morsures de requins pour les attaques mortelles
et provoquant des blessures a été faite dans le but d’identifier l’espèce à l’origine de l’attaque.
Les requins listés dans cette thèse sont le requin bouledogue (Carcharhinus leucas), le requin
tigre (Galeocerdo cuvier) et le requin gris de récif (Carcharhinus amblyrhinchos). Pour les
attaques de requins non provoquées après 1999, le requin n’était jamais suffisamment aperçu
pour une estimation appropriée de sa taille ou de son espèce. De ce fait l’espèce de requin à
l’origine de la majorité des attaques à la Réunion repose sur le témoignage des victimes ou des
témoins qui évoquent soit le requin tigre, soit le requin bouledogue.
15
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.2. La pluviométrie et les attaques
3.2.1. Anomalies de pluviométrie mensuelle
En général, les attaques correspondent à des mois moins pluvieux que la normale : la
valeur médiane des anomalies est égale à 93 % (Figure 19 et 20). Toutefois, on observe un pic
isolé d’attaques lorsque les anomalies dépassent 200%, c’est à dire lorsqu’il pleut deux fois
plus qu’un mois normal. Ce pic isolé concerne surtout des surfeurs. Ainsi, quatre attaques sur
des surfeurs ont eu lieu dans ces conditions. Néanmoins, 8 attaques sur surfeur (sur 18)
correspondent à des périodes moins pluvieuses que la normale. En ce qui concerne les attaques
sur des pratiquants de la chasse sous-marine, elles ont eu lieu lors de mois à pluviométrie
inférieure à la normale mensuelle. Il n’y a pas de tendance nette relevée pour les autres
activités.
Figure 19: Nombre d’attaques et anomalies pluviométriques mensuelles (en %)
mesurées par rapport aux moyennes mensuelles sur la période 1980-2011 (n=31,
absence d’information pour 5 attaques). Une valeur de 100 % indique un mois normal,
tandis qu’une valeur supérieure à 100 % indique une anomalie positive.
Figure 20: Nombre d’attaques par activité et anomalies
pluviométriques mensuelle (en %) mesurées par rapport aux moyennes
mensuelles sur la période 1980-2011 (n=31, absence d’information
pour 5 attaques). Une valeur de 100 % indique un mois normal, tandis
qu’une valeur supérieure à 100 % indique une anomalie positive.
3.2.2. Distribution temporelle des précipitations durant les jours précédant les attaques
L’analyse des anomalies de distribution de la pluviométrie durant la période des 45 jours
précédant les attaques (par rapport à une distribution uniforme des précipitations) révèle une
concentration des précipitations sur les 3 jours précédant l’attaque (Figure 20 et 21). De
manière similaire, les périodes précédant les attaques sur surfeur sont, en moyenne,
caractérisées par une concentration des précipitations durant la période 1-3 jours. A l’inverse
les attaques sur des chasseurs sous-marins sont caractérisées par des périodes de faibles
16
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
précipitations. Toutefois, la lecture de ces résultats doit être nuancée par des écarts important
entre les valeurs.
Figure 20: Anomalie de distribution des précipitations cumulées (par rapport à une distribution
uniforme) durant les 45 jours précédant l’attaque :(n=33). Une valeur de 100 % indique une
pluviométrie normale. Une valeur supérieure à 100 % indique une anomalie positive. L’anomalie
est calculée en mesurant l’écart entre, d’une part, la valeur de pluviométrie mesurée sur la
période considérée et, d’autre part, la pluviométrie si elle avait été distribuée de manière
uniforme sur les 45 jours précédant l’attaque.
Figure 21: Anomalie de distribution des précipitations cumulées (par rapport à une distribution
uniforme) durant les 45 jours précédant l’attaque : a) 0-1 jours, b) 1-3 jours, c) 3-7 jours, d) 7-15
jours, e) 15-30 jours et f) 30-45 jours (n=33, 3 attaques sans informations).
17
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.3. Météorologie et état de la mer
Les attaques ont lieu majoritairement des jours ensoleillés (près de 40 %) et avec une mer
modérément agitée (35 %) (Figure 22), voire agitée en ce qui concerne les attaques sur les
surfeurs (Figure 23). On observe également que la veille de l’attaque le temps est plus couvert,
voire pluvieux et la mer est généralement agitée.
Figure 22 : Proportion d’attaques toutes activités confondues en fonction de la
météorologie a) le jour et c) la veille ; en fonction de la houle b) le jour et d) la veille. Le
temps est décrit comme suit: 1- ensoleillé, 2- partiellement nuageux, 3- nuageux, 4pluvieux, 5- très pluvieux. L’état de la mer a été apprécié selon la typologie suivante : 1mer calme ou lisse (houle de 0 à 0,5 m), 2- légèrement agitée (houle de 0,5 m à 1,25 m),
3- modérément agitée (1,25m à 2,5 m), 4- fortement agitée (2,5m à 4 m), 5- très
fortement agitée (plus de 4 m) (n = environ 30)
Figure 23 : Proportion d’attaques sur surfeur en fonction du temps météorologique a) le
jour et c) la veille ; en fonction de la houle b) le jour et d) la veille. Le temps est décrit
comme suit: 1- ensoleillé, 2- partiellement nuageux, 3- nuageux, 4- pluvieux, 5- très
pluvieux. L’état de la mer a été apprécié selon la typologie suivante : 1- mer calme ou
lisse (houle de 0 à 0,5 m), 2- légèrement agitée (houle de 0,5 m à 1,25 m), 3- modérément
agitée (1,25m à 2,5 m), 4- fortement agitée (2,5m à 4 m), 5- très fortement agitée (plus de
4 m) (n = environ 30)
18
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.4. Variations inter-annuelles du nombre d’attaque
3.4.1. Variations inter-annuelles du nombre d’attaques et de leur fatalité
Il y a 1,16 attaques par an entre 1980 et 2011(Figure 24). Ce nombre d’attaque est
distribué de façon hétérogène dans le temps avec 4 pics en 1992 (n=4), 1997 (n=3), 2006 (n=3)
et 2011 (n=7 dont 2 sur des embarcations). Le nombre d’attaques a été de 5 pour la décennie
1980-90, de 17 en 1990-00 et de 8 en 2000-10. Par contre l’année 2011 concentre 7 attaques à
elle seule. Cependant, après une série noire durant la décennie 1990-2000 (10 décès), le
nombre d’attaques avec une issue fatale est tombé à 3 sur la période 2000-11.
Figure 24: Nombre d’attaques fatales et non fatales par année (n=36).
3.4.2. Variations inter-annuelles en fonction des activités
L’activité surf est surreprésentée dans les attaques avec en moyenne 0,6 attaques par an
sur la période 1980-2011 (Figure 25). Les attaques sur surfeur commencent en 1988 et on
compte en moyenne une attaque par an sur la période 2000-2011, avec une forte contribution
de l’année 2011 (4 attaques). La chasse sous-marine est la seconde activité la plus concernée
avec 0,3 attaques par an.
Figure 25: Nombre d’attaques par année et par activité (n=36)
19
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.4.3. Variations inter-annuelles par secteurs géographiques
Plus de 80% des attaques de requin ont eut lieu dans les secteurs Sud et Ouest, et 20 %
dans le Nord et l’Est (Tableau 1). Les attaques dans le Sud sont récurrentes sur la période
(n=13, soit pratiquement une tous les deux ans). On observe une forte augmentation des
attaques dans l’Ouest (n=6) en 2011, dont deux attaques sur des embarcations et l’absence
d’attaque dans le Nord depuis 1995.
Tableau 1: Diagramme spatio-temporel des
attaques par secteur et par année, toutes
activités confondues (n=36).
La distribution spatiale des attaques de requin sur surfeur est conforme à la distribution
des attaques toutes activités confondue (Tableau 2). 77% des attaques de requins sur des
surfeurs ont eut lieu dans les secteurs Sud et Ouest, et 23 % dans le Nord et l’Est.
Tableau 2: Diagramme spatio-temporel des
attaques par secteur et par année, pour le surf
uniquement (n=18).
20
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.4.4. Variations inter-annuelles et démographie
La distribution annuelle des attaques est relativement n’est pas corrélée à l’augmentation
de la démographie réunionnaise (Figure 26), celle-ci étant en croissance constante depuis les
années 1980 (+66% sur la période 1980-2011).
Figure 26: Distribution annuelle des attaques (axe de droite)
superposée à la population de La Réunion (axe de gauche) (n=36).
La distribution annuelle des attaques sur des surfeurs a une croissance relativement
synchrone (en prenant un pas de temps de 5 ans) avec la croissance démographique,
phénomène directement corrélé avec l’urbanisation à La Réunion (Figure 27). Cette
urbanisation en croissance importante depuis les années 1990 (+181% sur la période 19892011) s’est faite principalement dans les Bas de l’île en dessous de l’isohypse 400 m.
Figure 27: Distribution annuelle des attaques sur des surfeurs (axe
de droite) superposée à la surface urbanisée de La Réunion (en km2,
axe de gauche) (n=36).
3.4.5. Variations inter-annuelles et pêche à l’échelle de l’Océan Indien
Il n’existe pas de synchronicité entre les tonnages de pêche à l’échelle de l’Océan Indien
et les occurrences d’attaque à La Réunion (Figure 28). A noter que la quantité de prise dans
l’océan indien ouest a été multiplié par 6 en 20 ans.
21
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Figure 28: Distribution annuelle des attaques (axe de droite) superposée au
tonnage annuel de pêche dans la zone de la Commission des Thons de l’Océan
Indien (axe de gauche) (n=36).
3.4.6. Variations inter-annuelles et anomalies de température (indice IOD)
Le dipôle Pôle Océan Indien est positif quand la température de la surface de l'eau de
l'océan Indien est supérieure à la normale à l'Ouest et inférieure à la normale à l'Est. Un index
IOD fortement positif implique des pluies plus importantes sur l’océan Indien occidental. A
l’inverse, un index IOD dipôle négatif implique des pluies anormalement faibles. La moyenne
de l’IOD sur 1981-1011 est de 0. Sur la Figure 29, on n’observe pas de correspondance nette
entre l’IOD et les attaques. Par ailleurs, il n’y pas non plus de correspondance avec l’IOD
hebdomadaire : sa moyenne pour l’ensemble des attaques est de 0.
Figure 29: Distribution annuelle des attaques (droite) superposée
à l’index de l’Indian Ocean Dipole IOD (axe de gauche) (n=36).
3.5. Variations inter-mensuelles des attaques
La distribution mensuelle des attaques montre une répartition relativement homogène,
avec une fatalité beaucoup plus importante (60%) durant la période d’avril à septembre
correspondant à l’hiver (Figure 30).
Figure 30: Nombre d’attaques fatales/non fatales en fonction
des mois (n=35, absence de date précise pour une attaque)
22
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Les attaques sur surfeur sont concentrées de mai à septembre et de janvier à mars. On
note une absence d’attaques sur chasseurs sous-marins entre février et juin (Figure 31).
Figure 31: Nombre d’attaques en fonction du mois et de
l’activité (n=35, absence de date précise pour une
attaque).
3.6. Variations inter-journalières des attaques
On observe une surreprésentation des attaques le lundi, mercredi et le week-end, en
particulier pour les surfeurs et les windsurfers (Figures 32 et 33).
Figure 32: Nombre d’attaques en fonction du jour
de la semaine (n=35, 1 attaque sans informations)
Figure 33: Nombre d’attaques en fonction du jour de la
semaine et de l’activité (n=35, une attaque sans
information).
23
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
3.7. Variations intra-journalières des attaques
Les 36 attaques ont eu lieu de jour (Figure 34). Le nombre d’attaque est plus important
l’après midi (83 % soit 30 attaques) avec 36 % des attaques (soit 13 attaques) qui ont eu lieu
entre 17 h et 19 h. La proportion d’attaques fatales est plus importante en journée : elle est de
50 % entre 10 h et 17 h contre 23 % après 17 h. Il y a très peu d’attaques le matin (17 % soit 6
attaques).
Figure 34: Nombre d’attaques en fonction de l’heure de la journée
(n=32, 4 attaques sans information)
L’analyse par type d’activité pratiquée montre que les attaques sur surfeur contribuent
fortement aux attaques en fin de journée (Figure 35): 44 % des attaques sur surfeur ont lieu
entre 17 h et 19 h. Les attaques sur des pratiquants d’autres activités sont plus équitablement
réparties dans la journée avec des attaques plus importantes vers l’après midi.
Figure 35: Nombre d’attaques en fonction de l’heure de la journée par
activité. (n=32, 4 attaques sans information)
Plus précisément, on observe une surreprésentation des attaques dans les minutes
précédant le crépuscule (Figure 36). Ainsi, 8 attaques ont eu lieu entre 0 et 30 minutes avant le
crépuscule, soit 15% des attaques (cette période de 30 mn représente moins de 8 % de la durée
d’une journée d’une durée de 12 h).
24
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Figure 36: Nombre d’attaques en fonction de la distance en
minutes après le lever ou avant le coucher du soleil (n=32, 4
attaques sans information).
3.8. Phases de lune et de marée
Sur les 34 attaques pour lesquelles des informations temporelles ont pu être relevées, 11
se sont déroulées un jour de pleine lune, 9 au premier quart, 10 au dernier quart et 4 lors d’une
nouvelle lune. On ne peut donc dégager de tendance significative concernant l’occurrence des
attaques en fonction de la phase lunaire. Il en est de même pour la variable de marée.
3.9. Proximité à des éléments particuliers
Comme le montre le Tableau 3, la distance au port le plus proche est en moyenne 5,7
km : 4 km pour les attaques sur surfeurs et 8, 5 km pour les chasseurs sous-marin avec des
écarts types relativement important (égaux à la valeur moyenne). La distance moyenne aux
DCP est de 26 km, elle est respectivement de 15 km et 4 km pour les attaques sur surfeurs et
chasseurs sous marins. La distance aux cages aquacole est en moyenne de 19 km pour les
attaques sur surfeur et de 31 km pour les attaques sur chasseur sous marin. Par contre la
distance aux ravines est plus réduite (moyenne de 600 m), elle est de seulement 400 m pour les
surfeurs et de 1 km pour les chasseurs sous-marins. Enfin, la distance moyenne des attaques à
la réserve marine est en moyenne de 11 km : 7,9 km pour les surfeurs mais avec un écart type
très important (19,3 km). Rappelons que la réserve naturelle marine a été créée en 2007 et que
la majorité des attaques (26 sur 36) est antérieure à sa création.
25
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Tableau 3: Synthèse des valeurs moyennes et des écart types des principales variables. La météorologie est
décrite comme suit: 1- ensoleillé, 2- partiellement nuageux, 3- nuageux, 4- pluvieux, 5- très pluvieux.
L’état de la mer a été apprécié selon la typologie suivante : 1- mer calme ou lisse (houle de 0 à 0,5 m), 2légèrement agitée (houle de 0,5 m à 1,25 m), 3- modérément agitée (1,25m à 2,5 m), 4- fortement agitée
(2,5m à 4 m), 5- très fortement agitée (plus de 4 m).
4. Synthèse et discussion
4.1. Des attaques réparties autour de l’île
Entre 1980 et 2011, il y a eu 36 attaques de requin relevées, soit 1,16 attaques par an à La
Réunion. Ces attaques sont réparties tout autour de l’île : 80% les secteurs Sud et Ouest, et 20
% dans le Nord et l’Est. Les attaques dans le Sud sont récurrentes sur la période (pratiquement
une tous les deux ans). On observe une augmentation des attaques dans l’Ouest (n=6) en 2011,
dont deux attaques sur des embarcations et l’absence d’attaques dans le Nord depuis 1995. Il
semble que, rapporté au nombre moyen de pratiquants du milieu marin, les régions Est, Nord et
Sud soient plus exposées à l’aléa requin sur l’ensemble de la période 1980-2011. L’espèce de
requin à l’origine de la majorité des attaques à la Réunion repose sur le témoignage des
victimes ou des témoins qui évoquent soit le requin bouledogue (Carcharhinus leucas), soit le
requin tigre (Galeocerdo cuvier).
4.2. Nombre d’attaques et croissance de la population globale et par activité
Le nombre d’attaques est sans relation avec la croissance de la population mais le nombre
d’attaques sur des surfeurs reflète la population de pratiquants du surf. La distribution annuelle
des attaques n’est pas corrélée avec la démographie réunionnaise alors que la population
réunionnaise est en croissance constante depuis les années 1980 (+66% sur la période 1980 26
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
2011), de même que la croissance urbaine qui l’accompagne (+181% sur la période 19802011). Les surfeurs sont surreprésentés dans les attaques avec en moyenne 0,6 attaques par an
sur la période 1980-2011. Les attaques sur surfeur commencent en 1988 et on compte en
moyenne une attaque par an sur surfeur sur la période 2000-2011, avec une forte contribution
de l’année 2011 (4 attaques). Pour les surfeurs, selon un pas d’analyse de 5 ans, l’augmentation
du nombre d’attaques reflète globalement l’augmentation démographique et urbaine et
finalement celle du nombre de pratiquants. A noter que la première attaque sur surfeur eut lieu
en 1988, et correspond au début de l’essor de ce sport qui compte désormais environ 2000
pratiquants réguliers. La chasse sous-marine est la seconde activité la plus concernée avec 0,3
attaques par an.
4.3. Fatalité des attaques en fonction des activités
44% des attaques sont fatales avec des différences importantes en fonction des activités.
Sur les 36 attaques, en excluant les deux attaques sur kayak, 44 % furent fatales : 33 % pour les
surfeurs (sur 18 attaques) et 22 % pour les chasseurs sous-marins (9 attaques). L’issue a été
fatale pour tous les pratiquants d’autres activités. Les personnes attaquées sont exclusivement
des hommes d’âge moyen 30 ans, plus jeune (26 ans) pour les surfeurs. Cette classe d’âge
correspond aux pratiquants des sports nautiques. La proportion d’attaques fatales augmente
avec l’âge. Toutefois, les personnes plus âgées (50 ans environ) impliquées dans les attaques
fatales l’ont été à l’issue d’une chute accidentelle à la mer ou d’un emportement par les
courants.
Seulement trois des attaques non fatales ne donnèrent suite à aucune blessure et 23 % ne
nécessitèrent aucune chirurgie. La majorité des attaques a provoqué des blessures aux
membres, dont deux ont nécessité une amputation (jambe ou bras). Toutes les attaques fatales
étaient dues à une hémorragie externe.
Une majorité d’attaques a lieu sur des personnes isolées. Là encore, ce résultat est
conforme aux pratiques des sports nautiques ou reflète des situations de baignade accidentelle.
La fatalité des attaques tend à diminuer en fonction du nombre de personnes dans l’eau,
passant de 50% pour des personnes seules ou en binôme/trinôme, à un tiers lorsqu’il y a plus
de 5 personnes dans l’eau. Les surfeurs sont de fait le seul groupe pratiquant leur activité en
groupe lors d’une attaque (à l’exception d’une attaque sur des chasseurs sous marins). Il faut
relever que dans plusieurs cas (au moins deux) les surfeurs attaquées ont eu la vie sauve grâce
des gestes de secours (sauvetage puis garot) pratiqués par d’autres surfeurs. Ceci pourrait
expliquer une mortalité moins importante chez les surfeurs. De même, le fait que les surfeurs
pratiquent leur activité près des côtes les rend plus facîlement secourables par leur propre
moyens ou avec l’aide d’un tiers. De ce point de vue, les chasseurs sous-marins sont très
exposés à une attaque fatale.
4.4. Un environnement d’attaque qui reflète celui des pratiques
La majorité des attaques (80 %) s’est produite entre 1 et 5 m de profondeur. Les surfeurs
se font ainsi exclusivement attaquer à moins de 5 m de profondeur. Ce zonage bathymétrique
des attaques reflète la distribution spatiale des pratiques nautiques.
On relève également que les attaques ont lieu principalement à l’aplomb de fonds
meubles de type galet ou sable. Une majorité d’attaque (60 %) se produit dans un
environnement benthique constitué majoritairement de substrat meuble. Toutefois, cette
tendance doit être pondérée par le fait que la majorité des attaques concerne des surfeurs qui
pratiquent leur activité en bordure de côte à proximité de zones de dépôt sédimentaire. A
27
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
l’inverse, les chasseurs sous-marins privilégient des substrats de type rocheux pour leur
activité.
4.5. Une temporalité des attaques qui reflète la temporalité des activités
La distribution mensuelle des attaques montre une répartition relativement homogène,
avec une fatalité beaucoup plus importante (60%) durant la période avril-septembre
correspondant à l’hiver, dans des eaux fraîches (24-25 °C). On observe ainsi que le nombre
d’attaque est inversement proportionnel à la température de l’eau.
Ce résultat est influencé par les nombreuses attaques sur surfeur concentrées sur la
période de mai à septembre. Ces attaques en hiver correspondent à des conditions de forte
houle propices au surf au large, dans des conditions qui rendent l’eau turbide sans lien direct
avec la pluviométrie, l’hiver étant une période sèche. On constate également un pic d’attaques
en juillet, correspondant à une période de congés. Le deuxième pic d’attaques sur surfer, en
janvier-mars, correspond à des pluies exceptionnelles (cyclone). On note par ailleurs une
absence d’attaques sur chasseur sous-marin entre février et juin qui reste à expliquer.
On observe une surreprésentation des attaques le lundi, mercredi et le week-end, surtout
pour les surfeurs et les windsurfers. Cette tendance est conforme à la distribution temporelle de
ces usages étudiée par Anne Lemahieu, qui effectue actuellement sa thèse sur la fréquentation
du littoral Ouest de La Réunion.
Enfin, l’augmentation des attaques sur surfeurs fait suite à l’essor de l’activité depuis les
années 1990, et de même que les attaques sur des kayaks de mer en 2011.
4.6. Rôle de la turbidité dans les attaques
On note un lien entre la turbidité et le nombre d’attaques, sous l’influence de la houle, de
la pluviométrie moyenne et des épisodes de pluie exceptionnelle antécédent, mais sans lien
direct avec la météorologie ou la pluviométrie du jour. En effet, 76% des attaques se sont
produites dans des eaux à turbidité moyenne/forte. Dans le même temps, les attaques ont lieu
majoritairement des jours ensoleillés (près de 40 %) et avec une mer modérément agitée (35
%), voire agitée en ce qui concerne les attaques sur les surfeurs. On observe également que la
veille de l’attaque le temps est plus couvert que le jour de l’attaque, voire pluvieux et que la
mer est généralement agitée. La turbidité de l’eau n’est pas forcément corrélée à un épisode de
pluie mais peut être liée à la houle. Par ailleurs cette turbidité est quasiment permanente dans
l’Est et le Nord de la Réunion du fait de l’exposition à des précipitations importantes toute
l’année (panache turbide des rivières).
De plus, de façon surprenante, les attaques ne correspondent pas à des mois plus pluvieux
que la normale : la valeur médiane des anomalies est de 93 % soit une anomalie légèrement
négative (déficit pluviométrique). Toutefois, on observe un pic isolé d’attaques correspondant à
des mois deux fois plus pluvieux que la normale. Ce pic isolé concerne surtout des attaques sur
surfeurs qui ont surfé juste après des épisodes de forte pluie ayant entraînés une forte turbidité.
En ce qui concerne les attaques sur des pratiquants de la chasse sous-marine, elles ont eu lieu
lors de mois à pluviométrie très inférieure à la normale mensuelle. Ce résultat reflète les
conditions idéales recherchées pour la pratique de la chasse sous-marine (transparence de
l’eau). L’analyse détaillée des anomalies de distribution de la pluviométrie durant la période
des 45 jours précédant les attaques (par rapport à une distribution uniforme des précipitations)
révèle cependant une concentration des précipitations sur les 3 jours précédant l’attaque. En ce
qui concerne les surfeurs, il semble ainsi que les attaques se produisent après un épisode de
pluie de plusieurs jours succédant à un temps moins pluvieux plus propice à l’activité, mais
également plus rassurant (à tort) pour le pratiquant. A l’inverse les attaques sur des chasseurs
28
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
sous-marins sont caractérisées par des périodes de faibles précipitations. Toutefois, la lecture
de ces résultats doit être nuancée par des écarts important entre les valeurs relevées.
Des attaques sur des baigneurs accidentels emportés par les courants ou par une vague
peuvent également être mise en lien avec une houle importante et la turbidité.
4.7. Des attaques plus fréquentes l’après-midi et au crépuscule
Les 36 attaques ont eu lieu de jour. Le nombre d’attaque est plus important l’après midi
(83 % soit 30 attaques) avec 36 % des attaques (soit 13 attaques) qui ont eu lieu entre 17 h et
19 h. La proportion d’attaques fatales est plus importante en journée : elle est de 50 % entre 10
h et 17 h contre 23 % après 17 h. Il y a très peu d’attaques le matin (17 % soit 6 attaques).
L’analyse par type d’activité pratiquée montre que les attaques sur surfeur contribuent
fortement aux attaques en fin de journée : 44 % des attaques sur surfer ont lieu entre 17 h et 19
h. Les attaques sur des pratiquants d’autres activités sont plus équitablement réparties dans la
journée avec un biais vers l’après midi. On observe une surreprésentation des attaques dans les
minutes précédent le crépuscule. Ainsi, 8 attaques ont eu lieu entre 0 et 30 minutes avant le
crépuscule, soit 15% des attaques (cette période de 30 mn représente moins de 8 % de la durée
d’une journée d’une durée de 12 h).
4.8. Correspondances entre les attaques et la phase lunaire, la marée, la proximité au DCP
et les cages aquacoles
Il n’y a pas de correspondance observée entre les anomalies de température à l’échelle de
l’Océan Indien et les attaques. Il n’y pas non plus de lien avec les phases lunaires et la marée. Il
n’existe pas non plus de relation synchrone entre les tonnages de pêche à l’échelle de l’Océan
Indien et les occurrences d’attaque à La Réunion. Les déterminants des attaques sont
clairement locaux, en lien avec l’environnement local, le nombre d’usagers et leurs pratiques.
A l’échelle de la Réunion, les distances moyennes (et leur écarts types) aux cages aquacoles et
aux DCP suivant ne révèlent aucune correspondance avec les occurrences d’attaques sur
l’ensemble de la période 1980-2011.
4.9. Correspondances entre les attaques la proximité des ports, des zones urbaines et des
ravines
Les correspondances entre les attaques et la proximité aux ports, les zones urbaines et les
ravines semblent structurellement liées à l’organisation du territoire. En moyenne, les attaques
sur surfeur se sont produites à proximité des ports (4 km), des ravines (600 m) et des zones
urbaines (15 % de surface urbanisée en moyenne dans un rayon de 2 km autour de l’attaque) ce
qui implique que les sites d’attaques sont soumis à l’influence d’activités anthropiques pouvant
influencer directement différents paramètres de qualité des eaux en entraînant une
augmentation des quantités de polluants, une turbidité liée à une combinaison entre
imperméabilisation des surfaces et mise à nu du sol (notamment lors de chantiers), des apports
d’eau douce plus important liés à l’imperméabilisation des sols, des concentrations plus
importantes de matières nutritives liées à la saturation des réseaux de traitement des eaux, etc.
Notons par ailleurs que la localisation des ports (de pêche), des zones urbaines et des spots de
surf (qui représentent la majorité des attaques), obéit globalement au même déterminisme
environnemental et sociétal : recherche de zone abritée du vent, à proximité ou à l’abris d’un
élément morphologique favorisant le déferlement des vagues. Précisons également que la
proximité aux zones urbaines implique une fréquentation plus importante des sites.
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Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
4.10. Les attaques de requin et la proximité de la Réserve Naturelle
La distance moyenne des attaques à la réserve marine est de 11 km. Néanmoins, 6
attaques ont eu lieu dans ou à proximité immédiate de son périmètre en 2011, dont deux sur
des embarcations. Rappelons que la Réserve Naturelle Marine a été créée en 2007 et que la
majorité des attaques (26 sur 36) est antérieure à sa création. Compte tenu de la création
récente de la réserve et de la régulation effective encore plus récente des activités dans son
périmètre, on peut raisonnablement supposer que plus que la réserve elle-même ce sont la
proximité à un port et à des zones urbaines en pleine expansion qui influent localement sur la
qualité des eaux, la turbidité, la fréquentation du milieu, etc. et finalement sur les attaques de
requin tout au moins sur les surfeurs.
4.11. L’adaption du territoire des pratiques au risque d’attaque entre 1980 et 2011
Un nombre important d’attaques fatales au milieux des années 1990 est consécutif d’un
essor des activités nautiques sur l’ensemble du littoral réunionnais. Le territoire des sports de
glisse s’étendait alors sur l’ensemble du littoral et s’est réduit ensuite consécutivement aux
attaques de requin. Ainsi les attaques sur des windsurfers en 1994 et 1995 à Saint-Denis
entrainèrent un abandon (et aussi une interdiction) de cette pratique sur le littoral dyonisien. De
la même manière, les attaques de requin sur des surfeurs à Sainte-Marie, en Baie de Saint-Paul
(Cap Marianne et Etang Saint-Paul), à la ravine des Sables près de l’Etang-Salé entrainèrent la
fin définitive de la fréquentation de ces sites. Ajoutons que les attaques qui eurent lieu au Pic
du Diable à Saint-Pierre, ont très largement réduit la fréquentation de ce site, attestant de la
prise de conscience réelle et durable (apprentissage) des risques associées à la pratique du surf
sur ces « spots » (principe de prudence). Plus récemment, les plages situées au Nord de SaintGilles furent désertées pour la pratique du surf, avec la mise en place de règlements interdisant
ce type de pratiques. Ainsi, à travers les données historiques récoltées, le territoire des sports
de glisse nautique à la Réunion s’est construit par « essai-erreur » au cours des années 1990 en
se concentrant ensuite sur l’Ouest et le Sud, moins dans l’Est et plus du tout dans le Nord de
l’île. Les limites de ce territoire au sein duquel le risque semblait acceptable, ont été remise en
cause par les récentes attaques.
4.12. Grille d’évaluation du risque d’attaque de requin : application aux surfeurs
Certaines attaques intègrent difficîlement le champs de notre analyse puisqu’elles
relèvent tout simplement d’un accident (chute de falaise, etc.). Toutefois, nous avons souhaité
proposer une grille de lecture synthétique des risques d’attaque et de l’appliquer aux attaques
ayant concernées des surfeurs entre 1980 et 2011. Il s’agit d’une première tentative de grille
d’évaluation qui prend en compte quatre grands facteurs :
1/ La population de surfeurs déjà présent dans l’eau : elle peut attester d’une
appréciation préalable du risque par les autres pratiquants. Elle indique également si le
spot est connu. A noter que les pratiquants des années 1990 ne disposaient pas de ce
« curseur » pour apprécier le risque compte tenu du faible nombre de surfers.
2/ La turbidité observée de l’eau, en prenant en considération la turbidité « normale »
du site (par exemple, les spots de l’Est sont généralement turbides), les pluies de la
semaine antérieures ainsi que l’influence de la houle sur les sédiments en suspension,
ou tout autre phénomène local influencant ce paramètre.
3/ L’heure de la pratique, la soirée étant plutot propice aux attaques.
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Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
Nous avons traduit ces paramètres en trois questions : 1/Peu de monde ? 2/ Forte
turbidité ? 3/heure tardive ? La réponse à ces trois questions a été graduée comme suit : 1 :
faible, 2 : moyen, 3 : fort. Nous avons ensuite fait la moyenne entre ces trois valeurs (Tableau
4).
Tableau 4: Tableau récapitulatif d’évaluation des risques par surfeur attaqué entre
1980 et 2011.
Nous constatons sur ce tableau et selon nos hypothèse de travail, qu’un tiers des attaques
correspond à des prises de risque importante, un tiers à des prises de risque moyenne et un tiers
à des prise de risque faibles, c’est à dire que le niveau de risque était relativement acceptable et
correspondait à des conditions « normale » de pratique du surf.
5. Conclusion
Une attaque indique une superposition entre l’environnement recherché par le requin et
celui où l’usager du milieu marin se trouve à un instant t. Il faut donc comprendre les
conditions environnementales qui peuvent influencer la localisation spatio-temporelle de ces
deux entités, et les traduire ensuite en variables mesurables pour tenter d’identifier les facteurs
qui sont favorables à l’occurrence d’une attaque. Or nous ne disposons pas à l’heure actuelle
d’éléments permettant de prédire les densités des requins. Par contre nous disposons
d’informations pour localiser les attaques dans leur environnement, et comprendre la
distribution des pratiques. Nos résultats suggèrent que la distribution des attaques est pour
partie liée à celle des pratiques, et à deux paramètres: la turbidité et l’heure des attaques. Une
turbidité élevée résulte de l’apport massif de matières transportées depuis les bassins versants,
et/ou de la mise en suspension de cette matière par la houle. Cette turbidité est sans relation
avec la météorologie du jour de l’attaque. Deux autres paramètres pourraient jouer un rôle sans
que nous soyons capable de mesurer leur importance à l’heure actuelle, il s’agit de la qualité
des eaux et de l’apport de matière organique qui enrichit le milieu. Ainsi, notre analyse, limitée
par le choix des variables en entrée, pourra être précisée à l’avenir grâce notamment à
l’intégration de données plus précises dans le temps et l’espace, in situ ou issues d’observation
de télédétection (localisation des panaches turbides par exemple). Les composantes de
l’environnement qui conditionnent à la fois la localisation du requin et des pratiques ont des
interactions complexes et récursives, elles sont souvent corrélées entre elles. Par exemple, la
proximité aux zones urbaines influe à la fois sur la qualité de l’eau, mais également sur la
31
Analyse des données historiques des attaques à La Réunion
fréquentation. Pour cette étude, nous avons mobilisé des données de présence d’attaques. A
l’avenir, il faudra enrichir cette information par des données d’absence d’attaque pour pouvoir,
par contraste, identifier les variables environnementales susceptibles de favoriser les
occurrences d’attaque. Il faudra également corriger les résultats obtenus par la population des
usagers de la mer potentiellement exposée à l’aléa au moment de l’attaque (baigneurs, surfeurs
et chasseurs sous marin principalement). Les travaux de thèse d’Anne Lemahieu sur la
fréquentation du littoral devraient venir enrichir et préciser cette étude
Au moins un tiers des attaques sur des surfeurs à la Réunion semblent résulter d’une
combinaison d’imprudences. C’est sur cette portion d’attaques qu’il sera possible d’agir par
l’éducation, l’information et la sensibilisation.
Nous espérons que cette étude contribuera à construire une politique intégrée et raisonnée
du risque requin, fondée sur des bases objectives et une lecture plus juste des liens de causalité
entre les attaques de requin et la distribution spatio-temporelle des activités humaines sur terre
ou en mer et des requins.
Remerciements
Nous remercions pour leur contribution à cette étude : David Guyomard (Comité
Régional des Pêches Maritimes et des Elevages en Mer de la Réunion), Evelyne Payet (IRD
UMR ESPACE-DEV), Estelle Crochelet (ARDA - IRD UMR ESPACE-DEV/CoRéUs), Gaël
Potin (DEAL Réunion), Nelson Bègue (LACY, Université de La Réunion), Anne Lemahieu
(IRD UMR ESPACE-DEV), Anthonin Biaison (IRD UMR EME), Marc Soria (IRD UMR
EME), Aurélie Mestres (DEAL Réunion), Pascal Talec (DEAL Réunion), Gilbert David (IRD
UMR ESPACE-DEV).
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