L`Affaire du Chlordécone aux Antilles françaises.

Transcription

L`Affaire du Chlordécone aux Antilles françaises.
Quand l’alerte peine à retentir :
L’Affaire du Chlordécone aux Antilles françaises.
Analyse du discours médiatique
1998-2013
Par Bilan-Ledoux Evy
M2 Communication des entreprises et sociologie des TIC
Promotion 2013.
Sous la direction de Patrice Flichy
Professeur de sociologie à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée
Chercheur au Laboratoire Techniques, territoires et sociétés (LATTS).
1
Introduction
Le 2 mars 2007, la nouvelle retentit sur l’ensemble des territoires insulaires français
d’outre Atlantique : « Chlordécone tous contaminés ! ». Dans un ton alarmant, la nouvelle
se répand comme une traînée de poudre, inondant durablement l’espace médiatique. Une
médiatisation qui permettra de mettre au grand jour la catastrophe environnementale,
sanitaire, économique et sociale qui concerne les Antilles françaises depuis environ
quatre décennies, car des composants chimiques néfastes utilisés dans le secteur
primaire ont pollué durablement les sols de la Martinique et de la Guadeloupe.
Dès lors, la chaîne alimentaire se voit troublée de facteurs cancérigènes, identifiés
comme des perturbateurs endocriniens et neurologiques que l’on retrouve jusque dans le
lait maternel.
Depuis les années 70, les pouvoirs publics auraient autorisé l’utilisation de plusieurs
produits phytosanitaires pour l’agriculture tropicale des Antilles, dont la toxicité sur les
organismes vivants serait certifiée par des études internationales menées entre autres
par l’Afssa1 ,l’Inserm2 ou l’Usda3
Leurs compositions chimiques et leurs réglementations d’utilisation étaient connues du
milieu scientifique tout comme les dégâts environnementaux et sanitaires qu’ils avaient
causé dans le passé, d’où leurs interdictions d’utilisation dans plusieurs pays du monde
agricole.
Le scandale qui peine à éclater, puise ses sources dans plusieurs domaines, il ne s’agit
pas que des effets des pesticides, mais aussi des particularités propres à l’histoire
économique, sociale et politique de la Martinique.
1
Agence française de sécurité sanitaire des aliments
2
Institut national de la santé et de la recherche médicale
3
United States départment of Agriculture
2
En effet, la culture de la banane « responsable » de l’utilisation massive de pesticides, est
une des premières sources économique des Antilles françaises depuis la crise sucrière à
la fin du XXe siècle. Or, comment concurrencer la banane d’Amérique Latine (« la
banane dollars ») et maintenir une productivité sans cesse menacée par des bactéries et
insectes ravageurs de culture tel que le charançon, communément appelé « le charançon
noir du bananier », si ce n’est en utilisant des réponses chimiques ?
C’est ainsi que sont outrageusement utilisés, entre 1972 et 1993, des pesticides
appartenant à la famille des organochlorés tels que le Dichlorodiphényltrichloroéthane
(DDT), le Chlordane , la Dieldrine, l’Hexachlorobenzène (HCB), le Mirex ou enfin le
Chlordécone sous le nom commerciale de « Képone » (sujet de notre étude).
Des toxiques bioaccumulables, classés dans la catégorie des POPs (polluants organiques
persistants) de la Convention de Stockholm.
Leurs présences a été décelés dans l’eau, les sols, les sédiments, la mer, l’air et la faune
des différents biotopes des deux îles.
Dès la fin des années 60, l’alerte avait pourtant été donnée par des chimistes et
toxicologues tels que Snegaroff et Kermarrec puis dans les années 90 par des chercheurs
de la CIRAD4 qui avaient découvert la présence de pesticides « anciens » dans les
sources naturelles d’eau des deux îles.
La source du scandale étant l’eau, on mettra du temps à déterminer l’étendue des dégâts.
Mais des associations écologistes antillaises, comme l’Assaupamar5, dès la fin des années
90 enchaineront les apparitions médiatiques dénonçant fermement la contamination des
îles par les pesticides malgré que les résultats des expertises des services de l’Etat y
démontrent le contraire.
Une fois la question des eaux de source contrôlée, l’attention se tourne vers les terres
agricoles où sont détectés d’important taux de Chlordécone et de HCB dans l’organisme
d’animaux en 2001. Plusieurs études à initiative privée telles que des associations
écologiques, des personnalités, des magazines écologiques, ont tenté d’avertir le
gouvernement de l’urgence sanitaire, mais aucun plan d’urgence n’avait été mené.
4
Le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement
5
Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais
3
Il faudra pour que le problème soit réellement pris en compte, l’odeur et le bruit d’un
scandale, dont la médiatisation sera l’objet de ce mémoire.
Ce n’est qu’en 2007 que l’affaire entant que « scandale » éclate, après la publication du
rapport d’expertise et d’audit6 concernant la pollution par les pesticides en Martinique
du Professeur et cancérologue Dominique Belpomme et dans une moindre mesure la
publication de chronique d’un empoisonnement annoncé : le Scandale du Chlordécone aux
Antilles françaises 1972-2002 .Un ouvrage polémique de Raphael Confiant et Louis
Boutrin mettant sur le banc des accusés l’Administration française et le lobby de la
banane.
L’affaire prend dès lors une tournure particulière, le mot « empoisonnement » suggère
qu’il y a des coupables potentiels, un danger longtemps sous-estimé.
La presse locale et nationale, s’empare de ces débats pour alimenter une réflexion parfois
beaucoup plus élargie sur les pouvoirs du lobby de la banane, le rôle de l’Etat français et
les solutions envisageables pour contrer les effets pervers de la contamination.
Dans l’affaire du Chlordécone, il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec
d’autres scandales sanitaire, comme celui de l’amiante, qui repose sur les mêmes
caractéristiques : un intérêt économique qui entre en conflit avec des alertes longuement
répétées quant à la toxicité et la dangerosité du matériau.
Quand la machine médiatique s'enclenche et que l’affaire éclate au grand jour, on parle
alors de complot et de conspiration engageant des industriels du secteur et les pouvoirs
publics, les accusant d’avoir masqué la nocivité de l’Amiante.
De la même façon que l’affaire du Chlordécone, l’Amiante a fait l’objet de luttes, de
mobilisations, d’études ou d’interventions publiques pendant plusieurs décennies.
Selon Emmanuel Henry dans son ouvrage « Amiante, un scandale improbable. Sociologie,
d’un problème publique » publié en 2007, apporte sa théorie quant à la faible publicité
6
Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en Martinique. Conséquences
agrobiologiques, alimentaires et sanitaires et proposition d’un plan de sauvegarde en cinq points 23.06.2007 ,
Professeur Dominique Belpomme
4
donné au problème :« soit elle ne surprend pas, étant donné qu’elle constitue une situation
habituelle pour les questions de risque professionnel, soit est analysée comme la conséquence
immédiate du fait que ce problème touche principalement des populations ouvrières. Cette dernière
affirmation est étayée par le fait que l’amiante est devenu un problème public quand les chercheurs
de Jussieu ou les étudiants du 5eme arrondissement de Paris ont été menacés. »
Bien entendu, cette théorie de la construction du problème public n’est pas la seule
justifiant la non-médiatisation de l’affaire de l’Amiante et du Chlordécone, mais il a fallu
attendre que la France métropolitaine soit directement concernée en 2002 par
l’importation d’une tonne et demi de patates douces contaminées au Chlordécone en
provenance de la Martinique pour que le problème commence à être pris en
considération aux Antilles françaises.
C’est alors que nous nous demandons comment l’affaire du Chlordécone est arrivée sur
la scène médiatique ? Et de quelles manières ses acteurs se sont emparés d’elle ?
Au fil de notre analyse, nous verrons dans un premier temps l’ensemble des éléments
déterminants qui ont permis la médiatisation de cette affaire, en étudiant les origines de
ce scandale, puis nous analyserons dans un second temps le contexte de cette
médiatisation et les problèmes sous-jacents qui en résulteront. Laissant entrevoir une
crise de confiance, une rupture qui semble consommée entre le public consommateur et
les pouvoirs publics.
5
Sommaire
Introduction ..................................................................................................................................... 2
Sommaire ........................................................................................................................................ 6
Méthodologie .................................................................................................................................. 8
Le choix du sujet : .................................................................................................................... 8
L’investigation .......................................................................................................................... 9
La démarche adoptée : .......................................................................................................... 10
Les difficultés rencontrées et leurs solutions : ...................................................................... 13
I- Autopsie d'un scandale .............................................................................................................. 16
Chapitre 1 : Signaux faibles et premières alarmes : le combat des écologistes ............................ 17
La mise en visibilité des risques liés à la pollution au Chlordécone ...................................... 17
Les écologistes : lanceurs d’alertes ........................................................................................ 20
Les pratiques agricoles remises en question ......................................................................... 24
Décloisonnement territorial et premières gestions des risques............................................ 26
Les acteurs associatifs tentent de porter le dossier sur le plan judiciaire : la dénonciation
d’un scandale ......................................................................................................................... 30
Chapitre 2 : Entrée en scène d'une figure emblématique : Le professeur Dominique BELPOMME
....................................................................................................................................................... 34
Le professeur Belpomme, de la contre-expertise au déchainement médiatique ................. 34
« Un pesticide en moins des vies en plus » Le retrait du Paraquat .......................................37
« Le scandale Belpomme » et ses conséquences .................................................................. 38
« Boutrin et Confiant ont échoué là où Belpomme a réussi grâce à sa notoriété » Eric
Godard , FA 18 septembre 2008 ........................................................................................... 44
II- Les dessous de l’affaire .............................................................................................................. 48
Chapitre 1 : Principe de transparence et méfiance de la population ............................................ 49
La transparence étatique ....................................................................................................... 49
6
La transparence scientifique.................................................................................................. 52
La transparence journalistique .............................................................................................. 54
Transparence et déchainement médiatique : une communication remise en question....... 56
Les difficultés journalistiques ................................................................................................ 60
Chapitre 2 : Chlordécone un catalyseur de Rancœur .................................................................... 63
Ton ironique, Satire, neutralité journalistique ? .................................................................... 63
Des titres évocateurs ............................................................................................................. 66
Dessins satiriques .................................................................................................................. 68
Chapitre 3 : Le catalyseur de rancœur........................................................................................... 69
Discours polémique, l’heure est aux responsabilités. ........................................................... 69
Passé colonial et discours incriminant ................................................................................... 71
Conclusion ......................................................................................................................................74
Bibliographie.................................................................................................................................. 78
Remerciements.............................................................................................................................. 79
Annexes ......................................................................................................................................... 80
7
Méthodologie
Le choix du sujet :
Le choix du sujet pour mon mémoire de master 2 s'est imposé assez rapidement à moi,
mais il m'a fallu du temps pour parvenir à le définir plus précisément et dégager une
problématique définitive.
Au début de cette année scolaire, j'ai travaillé sur la notion de « lanceurs d'alerte », à
partir de l'ouvrage de Francis Chateauraynaud, Didier Torny, Les sombres précurseurs. Une
sociologie pragmatique de l'alerte et du risque, éditions de l'EHESS, 1999. A l'occasion de ce
travail, j'ai découvert le déroulement exact des scandales de l'amiante, du nucléaire et
des maladies à prions : pourquoi et comment l'alerte est arrivée au grand public. Ce sujet
était passionnant et j'ai voulu m'intéresser, dans cette optique, à un scandale similaire,
aux Antilles, qui me touche particulièrement, celui du Chlordécone, de ses conséquences
et de sa médiatisation.
Moi-même originaire de Martinique, j'y retourne deux fois par an pour y voir ma
famille. Je vis dans la région parisienne depuis quatre ans, et je me suis rendue compte
que le scandale du Chlordécone, dont on parle presque quotidiennement dans la presse
antillaise, n'a eu que peu de retentissement dans la Métropole. Début décembre, juste
après mon exposé sur les « lanceurs d'alerte », je me suis aperçue, en regardant les
bulletins d'information de France O, que le conflit se radicalisait : les littoraux étaient
contaminés, les poissons et crustacés touchés. Ainsi le Chlordécone, ce pesticide utilisé
dans les bananeraies, touchait réellement tous les secteurs d'activités.
Lorsque l'affaire du Chlordécone a commencé à être évoquée, dès la fin des années 90,
j'étais trop jeune pour y prêter attention ou comprendre les enjeux du débat. Puis, quand
cette même affaire a atteint les proportions d'un scandale, en 2007, j'ignorais encore les
sources et origines du débat et était davantage focalisée sur le cyclone7 qui nous touchait
que sur cette histoire de pesticide dont je ne percevais pas alors la globalité.
7
Cyclone Dean 2007
8
Mais, à l'horizon de 2013, plongée au cœur de la tourmente Chlordécone et plus
consciente que jamais de son impact médiatique, j'ai donc décidé de consacrer mon
mémoire de Master 2 à mieux comprendre les dessous de cette affaire et sa
médiatisation.
L’investigation
Mon premier travail a été de bien cerner le problème. Je me suis intéressée dans un
premier temps au lobby des bananes et à la fouille polémique, aux documents qui
soulevaient une question troublante : pour quelles raisons avait-on autorisé, au début des
années 90, des produits toxiques aux Antilles, alors qu'aux Etats-Unis, en Virginie,
venait d'exploser au grand jour une catastrophe écologique et sanitaire avec une usine de
Chlordécone ?
Tous les rapports scientifiques insistaient sur l'idée que cette catastrophe et l'usage
régulier de ce produit dans l'agriculture antillaise n'étaient pas comparables, qu'il n'y
avait rien à voir, car la dose était extrêmement élevée en Virginie, alors qu'elle était
infime dans les bananeraies. J'ai donc recentré mon sujet sur les Antilles, et plus
précisément sur la Martinique, car la question est traitée différemment en Guadeloupe :
le lobby des bananes y est visé de façon extrêmement polémique et violente, et mon but
était au contraire de rester objective et d'apporter des faits, d'autant que le lobby de la
banane ne s'est pas prononcé dans cette affaire.
En effet, il n'y a pas encore eu d'interview directe de « Bekés » (comme on nomme les
anciens colons qui se sont partagé les terres de Martinique et qui possèdent aujourd'hui
presque tous les espaces de grandes distribution).Bien que ce travail soit entamé
aujourd'hui par la journaliste Cécile Everard, dont j'évoque le parcours dans ce mémoire.
Le travail d'investigation sur le pouvoir des lobbies et sur la place des grands
producteurs m'éloignait du sujet même du Chlordécone, et mon directeur de mémoire
m'a conseillé alors de me recentrer sur la médiatisation et le discours médiatique autour
de ce scandale. En effet, cette médiatisation a des retentissements et des conséquences
sur toute l'économie de l'île : les Antillais, puis les touristes, ont baissé fortement leur
consommation de produits locaux, car la pollution par le Chlordécone atteint non
9
seulement tous les légumes-racines, comme la patate douce par exemple, mais surtout
l'eau potable et d'irrigation, qui a été le premier signe d'alerte.
Dès 2002 un contrôle systématique et drastique a lieu, les produits contaminés sont
repérés et détruits, il n'y a normalement pas de danger au niveau du consommateur,
comme le rappelle alors Madeleine de Grandmaison, présidente du comité du tourisme
martiniquais, qui tire l'alarme sur les dangers d'une médiatisation théâtrale et excessive.
La problématique de mon sujet commençait à prendre forme.
Après avoir travaillé plusieurs semaines sur les références scientifiques, les recherches
concernant la molécule particulière du Chlordécone, ses effets sur la terre ou sur la santé
et sur l'historique des dérogations, afin de mieux comprendre le sujet, je me suis
focalisée sur l'évolution du regard médiatique de l’affaire
Je pensais alors que le scandale était entré dans l'arène médiatique à partir de la sortie
d'un livre polémique en 2007, Chronique d'un empoisonnement annoncé : Le scandale du
Chlordécone aux Antilles françaises de 1972 à 2002, de Louis Boutrin et Raphaël Confiant.
Mais cela ne correspondait pas à l'origine du problème : lors de mes recherches, j'ai
découvert, à travers la constitution de mon corpus d'articles et de reportages, que la voix
des écologistes et de scientifiques comme celle de l’association Assaupamar résonnait
déjà sur ces dangers depuis 1995, avec la pollution de l'eau.
Puis que le scandale avait réellement éclaté avec l’intervention du cancérologue, le
professeur Dominique Belpomme.
La démarche adoptée :
Une fois mon sujet clairement défini, ma démarche a été la suivante : j'ai tout d'abord lu
Chronique d'un empoisonnement annoncé. Cet ouvrage m'a aidée à mieux cerner le sujet, car
ses auteurs apportent une chronologie des événements, des preuves et documents très
utiles. Mais ils m'ont aussi égarée. En effet, on se prend vite à la dimension polémique, à
la tentation d'entrer dans le débat, le discours des auteurs de cette Chronique est
particulièrement virulent, prenant, et le sujet me touche beaucoup. Pourtant, je
souhaitais me détacher et rester neutre, d'autant que ce livre réveillait ma fibre
d'enquêtrice.
10
Sous les conseils de mon directeur de recherches, j'ai lu alors Amiante, un scandale
improbable d'Emmanuel Henry, pour me donner une idée de la méthode et du plan global
à suivre.
J'ai choisi d'étudier en particulier la presse écrite et les reportages RFO car ils
véhiculent des informations et données officielles, il s'agit de journaux de référence
(France Antilles est d'ailleurs le seul grand journal en Martinique.) A l'inverse, les
réseaux sociaux, s'ils proposent un discours plus vivant, sont moins bien informés, plus
subjectifs, et cherchent davantage le débat d'idées souvent contestables et une
communication polémique autour du sujet, voire assez loin du sujet, plutôt qu'une réelle
information. De même, la radio, qui a l'intérêt d'offrir une plus grande proximité avec le
public, reste également dans la dimension polémique, en répétant à l'envie le mot :
empoisonnement.
L'aide de ma Mère, commerciale en bureautique dans toutes les administrations de l’ile,
m'a alors été précieuse, ayant les contacts de toutes les secrétaires de direction, ce qui a
facilité les rapprochements avec les personnes qui détenaient les informations
intéressantes.
Mon souci a été alors que tous les centres (comme la cirad) m’envoyaient (par
mail)d’important rapports scientifiques, qu'il m'était difficile de comprendre et d'analyser
de façon synthétique pour nourrir ma réflexion.
A ce stade de mon travail, je me sentais un peu perdue, car je ne recevais que des
données scientifiques, non médiatiques, et je découvrais la complexité du Chlordécone et
de ses conséquences dans un langage compliqué et lourd, bien qu'intéressant, car, outre
les termes complexes de l'analyse scientifique, se découvraient également, les
représentants politiques qui étaient entrés en jeu. Il me fallait rechercher fréquemment
la fonction de ces personnalités. (Quelle fonction occupait telle personne à cette époque.)
J'entamai alors un vrai travail de recherche et d'identification des acteurs. Mon directeur
de recherches me rappela à ce stade de ne pas oublier qu'il s'agissait d'un mémoire de
communication, et non d'un mémoire scientifique, je devais me concentrer davantage sur
le discours de la presse.
11
J'obtins alors un contact essentiel auprès de l'ARS (Agence régionale de la Santé pôle
Martinique), qui me fournit les articles de presse archivés manuellement, de 2002 à
2010, par une personne que ma mère avait rencontré, par connaissances interposées.
Pendant les vacances de Noël, j'ai poursuivi ma collecte sur place, en Martinique, en
réunissant les articles de presse des années 2011-12, et jusqu'au 5 janvier 2013. J'ai eu à
ce moment-là l'impression de vivre au cœur de la tourmente du Chlordécone : en cette
période des fêtes de fin d'année, éclate le conflit des pécheurs qui bloquent le port
pendant les 2 semaines de fêtes. Je vis en direct les blocus et les manifestations, ce qui me
donne encore plus envie de m'atteler à la tâche pour mieux cerner toutes les
conséquences de ce pesticide qui touche décidément tous les domaines.
Revenue en Métropole, je garde un lien avec la Martinique grâce à ma mère, qui me
transmet les coordonnées de Franck Zozor, journaliste sur RFO, obtenues par un jeu
complexe de relations de travail, ce qui me démontre une fois de plus l'incroyable
solidarité autour de cette question. Ce dernier m'a accordé au moins 2h30 de
communication par Skype, pendant lesquelles il a remis en perspective le rôle du livre
chronique d'un scandale. Il m'explique alors l'affaire de son point de vue et m'éclaire sur le
rôle réel de cette publication, que je croyais être la base du scandale. Au contraire, il
décrit les auteurs comme des « opportunistes, en vue des élections du moment. ». Le
livre n'aurait rien apporté de concret, n'aurait eu aucun impact au niveau de la
population. Cependant il n’a pas été totalement inutile, car il a permis d'ouvrir le débat,
en proposant une réflexion synthétique sur la question.
A ma demande, Franck Zozor prend également le temps de me fournir les reportages de
RFO depuis 95 à 2007. Il a pour cela contacté la rédaction de France Antilles, puis m’a
fait parvenir un montage des reportages sur DVD, et je l'en remercie vivement.
Lors de mon analyse du corpus d'articles de presse, particulièrement bien fourni, je fais
une
constatation non négligeable .Beaucoup de ces articles sont écrits par Cécile
Evrard, il faut la rencontrer ! Par chance, le contact de cette journaliste figurait déjà sur
mon carnet de bord, parmi les contacts que j'avais obtenus avec l'aide de ma famille sur
place, mais elle est très difficile à joindre, tant par mail que par téléphone, car elle est
particulièrement prise par ses enquêtes sur le terrain.
12
J'ai choisi d'élaborer mes questionnaires et entretiens avec ces contacts après avoir bien
avancé mes propres recherches et analyses à partir de mon corpus d'articles et de
documents audiovisuels, afin de bien maîtriser mon sujet et de proposer des questions
qui soient mieux travaillées et plus précises.
Les difficultés rencontrées et leurs solutions :
Les principales difficultés que j'ai rencontrées lors de l'élaboration de ce mémoire ont été
liées aux conditions particulières qu'impliquait le choix d'un tel sujet.
Tout d'abord, la première grande difficulté est qu'en Martinique, il n'y pas d'archives
numérisées, j'ai donc eu beaucoup de chance d'obtenir un contact à l'ARS.
De plus, la distance et le décalage horaire ne facilitent pas les échanges, qui sont
malheureusement intervenus tardivement dans l'élaboration de mon mémoire, avec les
journalistes, contactés seulement après avoir fait jouer toute une chaîne de relations
pour obtenir leurs coordonnées. J'aurais voulu être sur le terrain, car Cécile Evrard est
très difficile à contacter, peu disponible, d'autant que j'ai obtenu ses coordonnées encore
plus tard. Elle est très prise car, précisément, elle travaille encore aujourd'hui sur cette
affaire.
Ainsi, le temps limité est-il d'autant plus durement ressenti, que l'analyse de la
documentation et le tableau synthétique que j'ai entrepris de faire m'ont pris beaucoup
de temps.
De plus, une certaine frustration naît de la forme même de ce travail qui, par sa brièveté
relative, en proportion inverse avec un corpus énorme de 11 ans à exploiter, avec des
articles ou dossiers parfois très denses, m'a obligée à faire des sélections, à faire des
choix. Il reste ainsi encore beaucoup de choses à exploiter. Chaque donnée semble
importante dans son contexte et, plus j'en apprends, plus j'affine mon regard ; en relisant
chaque article, j'analyse d'autres éléments et le tableau, qui n'est qu'une annexe, est sans
cesse enrichi et remanié, ce qui me prend du temps sur la rédaction du corps du
mémoire. En effet, je dois chaque fois revenir aux articles, à la source, car l'angle
13
d'attaque du début de mon analyse était différent, les détails sont revus et je découvre de
nouvelles thématiques.
De même, le plan a été difficile à arrêter, car c'est un sujet très riche, il y a encore
beaucoup de choses à dire, mais pour un mémoire de cette envergure il m'a fallu faire des
choix. J'ai donc adapté la structure de mon analyse générale à ce qui me semblait le plus
essentiel dans cette grande affaire du Chlordécone, que je compte approfondir encore
après la fin de cette première étape.
La partie concernant les analyses des reportages et captures d'écrans m'a semblé assez
rapidement concluante, mais j'ai rencontré davantage de difficultés dans la partie
concernant le Professeur Belpomme et les politiques, car les articles à leur propos
étaient très répétitifs, et leur compréhension non moins compliquée car se multipliaient
les titres, les visites officielles mais inutiles, qui avaient toutes pour titre : « nous en
sommes au stade préparatoire »8
De plus, avec les reportages, j'ai compris que des personnes qui s'étaient prononcées
depuis longtemps n'étaient pas écoutées. Par exemple, au moment de la contamination
des eaux en 1998 le président du syndicat des producteurs maraichers avait déjà
annoncé le risque des légumes racines plantés entre des champs de bananes. Mais
personne ne l’avait écouté réellement.
L'information est donc très disparate et disséminée, chaque intervention avance quelque
chose, sans tenir compte des autres acteurs, sans forcément leur répondre directement,
ce qui rend encore plus difficile le choix des articles ou dossiers : il n'y a aucune unité du
discours, il faut prendre du recul pour comprendre tous les aspects du problème.
Enfin, une autre difficulté s'impose à moi lors de la rédaction. Je connais mon île, mais
ceux qui me lisent ne la connaissent pas, comment savoir alors ce que je dois détailler,
expliquer, pour que le sujet soit compris dans toute sa complexité, comment être assez
claire ? Car pour bien comprendre la portée de ce scandale, il faut aussi comprendre ce
8
FA 22.10.07 : [Interview : Didier Houssin : « C’est au niveau national que la coordination doit être
améliorée »]
14
qu'est la Martinique, son histoire, ses conflits passés... Et le problème du temps limité est
d'autant plus présent que je suis en master professionnel, mon travail exige de moi un
énorme investissement et des responsabilités. J'ai été contrainte, pour mes recherches, de
poser quelques jours de congé, ce qui n'était pas toujours possible.
Ce mémoire me tient particulièrement à cœur, en ce qu'il aborde un sujet que je trouve
chaque jour plus passionnant, et en ce qu'il récapitule en quelque sorte mon parcours
scolaire et ma formation. En effet, après deux ans d'études en Histoire/géographie, avec
une majeur en Géographie, biogéographie, environnementale, je mène parallèlement un
cursus en anthropologie sociale et culturelle terminant avec un master de
communication.
Ce mémoire de communication me permet donc d'explorer à la fois la médiatisation de
l'affaire mais également l'aspect écologique, social et économique .Me donnant encore
plus l’envie de poursuivre l'enquête sur le terrain, pour développer une activité liée à la
communication culturelle et environnementale.
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Quand l’alerte peine à retenir, l’affaire du Chlordécone aux Antilles françaises
I- Autopsie d'un scandale
16
Chapitre 1 : Signaux faibles et premières alarmes : le combat des
écologistes
La mise en visibilité des risques liés à la pollution au Chlordécone
Si l’année 2007 a été marquée par l’affaire du Chlordécone grâce à sa médiatisation, les
premières alertes datent de la fin des années 70. Des mises en garde qui, faute de moyens
n’ont pas été prises en considérations. Sa présence dans l’environnement, avérée par les
études publiées en 19779 ,198010 et en 199311 , semble destinée à être négligée, sinon
oubliée.
La mise en visibilité des risques liés à la pollution au Chlordécone, commence par des
préoccupations d’ordre environnemental où l’impact des pesticides sur le milieu naturel
est source de doutes et de préoccupations.
A partir de la fin des années 90, il devient obligatoire dans les Antilles françaises
d’analyser la qualité des eaux potables. La responsabilité de cette mission est confiée aux
services de santé et non plus aux services de l’agriculture comme cela l’était auparavant.
La présence des pesticides dans les eaux de source a été recherchée à plusieurs reprises
dans le cadre d’études mais ce n’est qu’en 1991 qu’elle est surveillée de manière
systématique en Martinique. Cependant, seules certaines molécules utilisées
régulièrement en France métropolitaine sont recherchés (Parmi les substances
homologuées). L’utilisation du Chlordécone étant théoriquement interdite en France
depuis 1990 et utilisée uniquement pour lutter contre le charançon, il n’est donc pas une
priorité de détection dans les investigations menées et les dispositifs d’analyse
1977 : la publication de Snegaroff (Inra) met en évidence une pollution des sols et des rivières
de la région bananière de Guadeloupe par les insecticides organochlorés
9
1980 : le rapport Kermarrec (Inra) fait état de l’accumulation des pesticides organochlorés
dans l’environnement en Guadeloupe
10
1993 : une étude est menée à l’initiative de l’Unesco dans l’estuaire du Grand Carbet en
Guadeloupe dans le cadre d’un bilan de l’état de la mer des Caraïbes. Cette étude met en
évidence la présence de chlordécone dans les eaux et sédiments de l’estuaire.
11
17
nécessaires pour sa détection ne sont pas mobilisables, comme le démontre le rapport
Balland Mestre & Fagot12 "certaines molécules très utilisées ne sont pas recherchées».
Les premières informations et reportages du soir au journal télévisé sur le sujet, que
nous avons gracieusement obtenus par les équipes de Martinique 1ere (anciennement
RFO), permettent de nous rendre compte du processus de mise en accusation de la
molécule du Chlordécone en tant que source principale de pollution. N’ayant pas obtenu
d’articles de presse avant 2002, les premières analyses du discours médiatique
s’effectuent par le biais de reportages télévisés.
Vendredi 25 septembre 1998, le journal télévisé du soir consacrait sa Une à l’utilisation
à outrance des pesticides sur l’île, « 2800 tonnes de produits phytosanitaires ont été déversé en
1996 » annonce le journaliste.
Les premières préoccupations sur le sujet apparaissent dans l’actualité, et les autorités
commencent à s’organiser « timidement » sur la gestion des pesticides en Martinique.
Une matinée de réflexion sur le thème des produits phytosanitaires est organisée par
une coopérative ouvrière et l’Office du Tourisme dans le but de sensibiliser la population
issue des milieux ruraux à propos des effets toxiques de ces produits sur l’homme et la
nature. Cependant, les principaux concernés, c’est-à-dire les agriculteurs, n’y ont pas
assisté.
observatoire-pesticides.gouv.fr rapport sur l'évaluation des risques liés à l'utilisation de
produits phytosanitaires en Guadeloupe et Martinique septembre 1998
12
18
C’est donc les journalistes qui iront à leur
rencontre pour les interroger sur les modes
d’utilisations des pesticides, les précautions de
manipulations recommandées (Masque, bottes,
gants) et sur leurs conditions de stockage.
On constate de mauvaises conditions de stockage et un abus de traitement fréquents sur
les exploitations.
Un abus de traitement qui se chiffre aux Antilles à deux fois plus de pesticides à
l’hectare par rapport à l’Hexagone. Des pesticides qui « se retrouvent dans nos rivières avec
des effets dévastateurs que l’on peut imaginer … » présage le reporteur.
Apres les agriculteurs, la parole est donnée aux experts qui ne
feront que renforcer le caractère préoccupant de la situation.
Dans un premier temps, un technicien de la chambre d’agriculture
annonce qu’il existe un stockage de molécules dans le sol mais par
manque d’outils et de laboratoires indépendants et financés, il est
impossible de mesurer le taux de résidus de pesticides dans les produits « nous ne savons
pas à quoi nous nous exposons » dit-il.
Dans un second temps, un membre de la Direction Régionale de
l’Environnement, apporte les premières constatations alarmantes
sur l’environnement « on a déjà constaté des phénomènes, tels que
mortalité de poissons, des ralentissements de croissance dans une
pisciculture et des phénomènes d’accumulation des produits dans la chaîne
alimentaire ».
Dans le reportage de septembre 1998, la molécule du Chlordécone n’est pas encore
identifiée. Il est avéré que la Martinique est en retard sur la connaissance des effets des
pesticides par faute de moyens d’investigations et que neuf molécules toxiques utilisées
par les planteurs vont être recherchées et analysées dans les eaux.
L’heure est aux premiers questionnements, on parle de « situation préoccupante » qui
nécessite une prise de conscience.
19
Parallèlement, l'histoire du Chlordécone refait surface à l’occasion de la réalisation d’un
mémoire d’étudiant à la DDASS de la Guadeloupe. Il met en évidence les rapports des
chercheurs Snegaroff (1977) et Kermarrec (1980), ce qui conduit à soupçonner la
présence d’insecticides organochlorés dans l’eau et le sol. Le Chlordécone, le Mirex, et le
HCH sont alors intégrés à la liste des molécules à analyser mais la campagne d’analyse
de 1998 s’avère être un échec car l’Institut pasteur de Lille (où était réalisées les
analyses ) ne disposait pas des moyens de recherches aux produits organochlorés.
Un an plus tard, lors de la campagne de 1999, les échantillons sont transmis au
laboratoire départemental de la Drôme (pouvant détecter un spectre beaucoup plus large
de pesticides) et la présence du Chlordécone et produits organochlorés dans l’eau et les
terres des Antilles est avérée au cours de l’année 99.
Les écologistes : lanceurs d’alertes
A cette époque, les associations écologiques, notamment l’Assaupamar (association pour
la sauvegarde du patrimoine martiniquais), dénonçaient l’emploi massif des pesticides et
le peu de réalisme des résultats des contrôles sur l’eau potable présentés par la DDASS.
Ils accusaient les services de l’Etat d’occulter la contamination des eaux de sources. En
effet, la DDASS travaillant conjointement avec l’Institut Pasteur de Lille, ne pouvait
rapporter qu’un constat minime de la contamination des eaux.
La mobilisation des associations de protection de l’environnement de Martinique
préparait néanmoins un changement de contexte. Peu à peu la mise en récit du problème
des pesticides commence à gagner l’opinion publique mais le faible écho médiatique dont
elles bénéficiaient était symptomatique d’un déficit d'accessibilité et de réflexions
synthétiques sur ces sujets « techniques».
A partir de 1999, les résultats du laboratoire départemental de la Drôme sont sans
appels sur la présence de produits organochlorés dans l’environnement Antillais. Ce qui
viendra confirmer les soupçons des associations, qui gagneront en crédibilité.
20
Vendredi 21 juillet 2000, le journal télévisé du soir est dédié en majeure partie à la
problématique des pesticides. La culture de la banane et son traitement aux pesticides
est mis sur le banc des accusés au « festival de la banane » rassemblant ses principaux
contributeurs [petits et grands exploitants agricoles, l’Association d’intérêt collectif
agricole bananière (SICABAM), organisme gouvernemental telle que la répression des
fraudes] mais également des écologistes militant avec la présence de Paul Henri
Chartol vice-président du comité de bassin13 de Martinique et membre incontournable
de l’Assaupamar.
« Un festival de la banane sous tension !» annonce le journaliste,
où les écologistes
dénoncent la pollution de 5 rivières du nord et du centre de l’île, causée par les pesticides
utilisés dans les bananeraies pour lutter contre le charançon se déversant par la suite
dans les cours d’eau environnants. L’eau des rivières martiniquaises contiendrait des
substances chimiques appelées des « perturbateurs endocriniens ». Paul Henri Chartol
fait part à l’assemblée des résultats d’une étude québécoise démontrant que ses composés
empêcheraient le bon fonctionnement des hormones et provoqueraient « peut-être » dit-il
de graves maladies comme le cancer du sein, de la tyroïde ou de la prostate. Il ajoute
également qu’une récente étude « confidentielle » démontre que les produits utilisés
dans la banane seraient également responsables de stérilité masculine. 10% des hommes
analysés (issus du milieu professionnel bananier) présenteraient des cas de stérilité
« réversible ? Irréversible ? On ne sait pas ».
Paul Henri Chartol poursuit en émettant le problème suivant d’ordre polémique :
« Comment des produits interdits à la vente depuis 1993 voire même 1987 peuvent être retrouvés
dans les eaux ? » « Il y a-t-il une contrebande de pesticides à la Martinique ? ». La SICABAM
13 Instance
chargé du contrôle de la qualité de l’eau
21
réagit aux dénonciations de l’écologiste en disant
« Vous ne pouvez pas dire que la
profession bananière est une profession qui ne respecte pas les règles si il y en a un ou deux, qui ne
respectent pas les règles… » .
Les discussions se poursuivent, la tension est palpable entre industriel et écologiste. Un
dialogue de sourd est enclenché. A tel point qu’on ne tiendra pas compte du témoignage
d’un des membres de l’auditoire qui annonce l’un des problèmes majeurs dans l’ affaire
du chlordécone qui est la contamination des produits maraichers cultivés sur des sols ou
d'anciens sols d'exploitation de la banane.
« Les produits maraichers sont dangereux pour les consommateurs, car ils sont plantés sur des
sols traités par les pesticides…arrêtons d’être hypocrites Messieurs !» Juvénal Rémir, président
de la COMEDA (syndicat des producteurs maraîchers)
Le reportage se termine sur une note préoccupante : « L’eau est-elle potable ? Les
consommateurs courent-ils un réel danger à la consommer ? Des questions auxquelles devront
répondre précisément les autorités le plus tôt possible »
Apres diffusion du reportage, l’écologiste et viceprésident du bassin Paul Henri Chartol est invité
sur le Plateau de RFO au JT du soir, où il
répondra aux questions du journaliste.
II reprend certains éléments émis lors du festival
de la banane, la contamination de 5 rivières en
Martinique par des pesticides utilisés pour la culture de la banane, considérés comme
des perturbateurs endocriniens pouvant provoquer diverses maladies et autres
dysfonctionnements tel que l’infertilité masculine.
A la question du journaliste : « La norme dans ces 5 rivières a-telle été dépassée ? » Il répond que pour les autorités, la norme n’a
pas été dépassée. Mais ajoute un élément crucial (que l’on
retrouvera quelques années plus tard dans le discours du
professeur Belpomme) A savoir, que c’est la durée d’utilisation
qui rend toxique et non la dose administrée :
22
« Lorsqu’un polluant est régulièrement déversé fusse à petite dose, il y a une accumulation de ces
toxines dans l’organisme de l’être qui l’a consommé, animal ou être humain. Et c’est cette
accumulation qui va engendrer ultérieurement des maladies (…) Ce n’est pas parce que ce sont des
infimes quantités qu’il n’y a pas de risques de dangers pour autant»
Au nom de l’ensemble des écologistes qu’il représente sur le plateau de RFO, Paul Henri
Chartol dénonce le non-respect des règlements pour la protection des rives à savoir les
10 mètres obligatoires devant séparer les bananeraies des rivières ou encore les
plantations de bananes situé en amont des rivières. « On ne protège pas les ressources en
eaux de la Martinique »
Il poursuit sa démonstration en rapportant les résultats du rapport d’Eric Godard du
comité du bassin Affaire sanitaire et sociale, qui montre que deux toxines : le HCH et le
Chlordécone, sont régulièrement évacuées dans l’environnement et se retrouvent dans
les rivières, alors que leurs interdictions datent de 93-87. Il évoque donc l’existence de
produits interdits toujours présents sur le territoire.
Par manque de temps, le journaliste se doit de l’interrompre en lui disant : « Merci
monsieur Chartol, on pourra revenir ultérieurement sur ces accusations » Il rétorque en disant :
« Ce ne sont pas des accusations madame, je me fonde sur des textes qui sont objectivement
scientifiques ! ».
A cette période, la contamination de l’eau est toujours au centre des préoccupations. La
molécule du Chlordécone a été détectée dans les eaux de sources, la culture de la banane
est mise en accusation, et les premières inquiétudes des chercheurs et écologiques
concernant les risques sanitaires apparaissent.
L’eau demeure donc une source de préoccupation en raison de sa pollution continue en
provenance des terres. Les actions sur les captages d’eau potable (fermeture ou
traitement) ont été les démarches les plus visibles, entrainant les premières discussions
sur la question des normes de potabilité et les limites maximale de résidus (LMR). Alors
que les écologistes considèrent que "eau potable" équivaut à "zéro Chlordécone", les
autorités (la Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales) estiment qu’après
traitement, les résidus dans l’eau distribuée sont en dessous des normes et donc
consommables.
23
On retrouve ici l’opposition sur la question des faibles doses entre une vision sans seuil
de la toxicité et une défense d’un modèle avec seuil, incluant des facteurs de sûreté.
Autrement dit, la question posée par certaines associations est : « peut-on boire tout au
long de sa vie de l’eau avec de très faibles résidus de Chlordécone sans effet sur la santé ? »
La réponse des autorités14 : " ces eaux sont conformes à la réglementation" [DSDS, 2008]
.Une réponse qui jusqu’à aujourd’hui ne peut satisfaire ceux pour qui le Chlordécone est,
par nature, dangereux ou cancérigène. Un débat que l’on retrouve jusqu’à aujourd'hui
dans le dossier Chlordécone.
Les pratiques agricoles remises en question
La question de l’approvisionnement des eaux est prise en compte. La problématique des
sols et des usages agricoles deviendra peu à peu centrale.
Vendredi 10 aout 2001, les informations du journal télévisé annoncent l’inquiétude que
suscitent les pesticides ; on informe la population que des études sont en cours afin de
dresser le bilan des atteintes du milieu et des denrées alimentaires.
Les pratiques des agriculteurs sont dénoncées. « Du Roundup15 est déjeté sur les bananiers
pour qu’ils meurent afin de mettre les terres en jachère. La plante meurt et les parcelles ainsi
traités, sur des hectares entiers, sont mis en jachères » Une mise en jachère cultivée qui alerte
Juvénal Rémir (président du CODEMA-MODEF, que nous avons vu dans le reportage
précédent) une pratique dénoncée qui alerte les associations.
14 INSERM,
15
Impact sanitaire de l’utilisation du Chlordécone aux Antilles françaises p7, 2009
Roundup est le nom commercial d'un herbicide
24
Le plus étonnant est que ces pratiques de jachère à cette période sont
préconisées par le CIRAD (Centre de Recherche en Agronomie pour le
développement)
dans
le
cadre
des
nouvelles
politiques
pour
l’environnement. Pratiquer la jachère sur des sols bananiers après le
désherbage chimique permettrait par la même occasion l’élimination des
parasites.
Le service de la protection des végétaux assure qu’il n’y a pas de risque dans
ces pratiques mais reconnait qu'aucune étude n’a été faite pour le vérifier.
« Pour ces pratiques, comme pour tout ce qui touche aux pesticides, il y a peu de
données objectives, une carence qui s’explique notamment par le manque de personnel
et la lenteur des recherches » explique le journaliste.
A savoir le manque d’outils pour effectuer ces contrôles comme le
confirme le service de protection des végétaux : « Même si on avait
voulu faire ces contrôles, on n’a pas les outils pour le faire » Patrick
Bertrand.
Le reportage d’Aout 2001 se termine, en informant la population que le service de
protection de végétaux mène une recherche sur l’impact des pesticides dans les cultures
maraîchères et que La DAF (direction de l’Agriculture et de la Forêt) traiterait la
question de la contamination des eaux potables. De plus une enquête serait menée dans
les hôpitaux sur le cas des intoxications aiguës.
Au moment des faits, l’administration locale est saisie par la problématique de la
pollution. L’état commence à se manifester et les ministres en charge de l’agriculture et
de l’environnement demandent aux préfets l’élaboration d’un plan d’action dans chaque
département. En Juillet 2001, le Groupe régional d’études des pollutions par les produits
phytosanitaires (Grephy)16 est créé. Ils doivent mettre en œuvre un programme d’action
16
le Grepp en Guadeloupe
25
en faveur de la réduction des pollutions par les produits phytosanitaires mais également
assurer la protection sanitaire des applicateurs et des consommateurs.
Au début des années 2000, il y a un retard dans l’évaluation de la contamination des
végétaux cultivés sur les sols pollués comme le souligne le rapport Bonan-Prime17 :
« Malgré la crise aiguë du printemps 2000, force est de constater que le plan d’amélioration des
pratiques agricoles n’est pas véritablement lancé, ce qui est difficilement acceptable compte tenu des
enjeux… »
Jusque-là, l’étendue des surfaces polluées est méconnue et aucun travail d’inventaire n’a
été entrepris18.Cependant, en 2001, le département « santé-environnement » de la DSDS
mènera une investigation qui mettra en évidence le transfert des organochlorés du sol
vers les végétaux cultivés. (Ce que Snégaroff avait déjà démontré relativement au
HCH).
Le rapport sera présenté au Grephy en juillet 2002 et confirmera la contamination des
légumes racines par le Chlordécone.
Décloisonnement territorial et premières gestions des risques.
Le rapport de la DSDS fait grand bruit au sein de l’administration et servira de
fondement à la démarche d’évaluation des risques mis en œuvre par les agences
sanitaires L’AFSSA et l’InVS saisies à partir de juillet 2002. Pourtant, ce n’est qu’en
octobre, au moment de la révélation d’une saisie sur le port de Dunkerque de plus d’une
tonne de patates douces en prévenance de Martinique sur le cargo « Douce France », que
le problème s'inscrit à l’agenda national.
[« Une tonne et demie de patate douces accommodées au chlordécone , insecticide ultra-toxique
strictement interdit en France depuis 1990. Voilà ce qu’ont découvert les limiers de la Direction
générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) le 23 aout, sur le port de
Dunkerque, en provenance de la Martinique(…) Destination finale prévue : Rungis et son marché
17 Rapport de mission de l’IGAS-IGC rendu le 5 juillet 2001 à Dominique Voynet (ministre de
l’environnement) et Dominique Gillot (Secrétaire d’état à la Santé)
18 France-Antilles juillet 2002 : « Les contrôles de l’utilisation des pesticides vont être systématisés
»
26
d’intérêt national .Destination réelle : un incinérateur pour destruction totale de la marchandise,
après signalement au parquet.»]Libération, 12 octobre 2002
Les faits une fois rapportés, l’article ouvre de débat des responsabilités, dénonçant les
pratiques agricoles illégales et la possible existence d’un circuit d’importation illégale de
pesticides dans les Iles. « Il y a autre chose derrière cette trouvaille » et annonce enfin, la
découverte de « quelques centaines de kilos de chlordécone » par la police sanitaire et la
probable transmission de « l’affaire Dunkerque » au parquet de la Martinique.
Très critique, il donne la parole de manière anonyme à des «connaisseurs du dossier».
Cet article est le premier du registre polémique dans notre corpus. En effet l'ironie est
palpable dans l'expression des « patates douces assaisonnées » au chlordécone, comme si
le pesticide devenait littéralement une nouvelle et terrible manière d'accommoder les
plats de Martinique.
Trois jours plus tard le 15 octobre 2002,
l’évènement est couvert par le journal de référence France-Antilles : « Les patates douces
de Martinique étaient aromatisées à l’insecticide » 19dans un ton tout aussi critique que celui du
Libération.
Cette affaire, une fois inscrite à l’agenda national éveille des préoccupations locales tant
sur la sureté des produits locaux que sur la fiabilité de l’Etat. Car dans l’opinion
publique et dans la presse, on se demande si les contrôles ne sont pas dirigés
principalement en vue de la protection des consommateurs européens.
Ainsi, sept jours après que le quotidien Libération a révélé la destruction d’une tonne et
demi de patates douces contaminées au Chlordécone, le préfet de la région, Michel Cadot
intervient lors d’une conférence de presse. Une conférence de presse très attendue par la
population car les interrogations sont vives. La principale étant : Les principes de
précaution sanitaire sont-ils respectés à la Martinique ? Ou ne sont-ils valables que pour
la Métropole ?
France-Antilles 15.10.02 : « Les patates douces de Martinique étaient aromatisées à
l’insecticide »
19
27
Car ces mêmes légumes, incinérés en France
métropolitaine, sont proposés sur tous les marchés et
dans
tous
les
commerces
de
l’ile.20(nous
y
reviendrons dans la seconde partie de notre analyse).
Le préfet Michel Cadot, après avoir communiqué sur la transparence du dossier,
informe qu’un plan d’action a été mis en marche depuis plusieurs mois, que les études
avenirs permettront d’identifier les conditions de présence de toxiques dans les sols, et
que l’une des finalités du plan est « de dire à partir de quelle dose le Chlordécone présente des
risques pour la population ». (Une information qui indignera les associations).
Le préfet annonce par la suite les mesures immédiates qui ont été prises comme le
retrait de tous les stocks de Chlordécone dans le département soit une saisie de 9,5
tonnes.
Les premiers éléments de gestion des risques liés à la contamination des sols se mettent
en place, cependant, le préfet interrogé sur le principe de précaution estime qu’il n’est
pas nécessaire d’interdire les plantations sur les sols contaminés, car tous les contrôles
qui ont été effectués jusqu’alors y compris celui de Dunkerque (étonnement)
représentent un taux très faible de Chlordécone : « je ne pense pas qu’on puisse considérer
que la nature du risque justifierait ce genre d’interdiction qui me parait être une mesure excessive
par rapport à la réalité des mesures qui ont été prises »21 Michel Cadot
Les mesures d’urgence sont alors mises en place, les pratiques agricoles, sources de la
pollution, sont visées afin de limiter l’exposition au chlordécone par les consommateurs.
En 2003, le contrôle de la contamination des sols avant la mise en culture devient
obligatoire et les agriculteurs doivent impérativement présenter une analyse de leur
production.
Le reportage du mercredi 8 octobre 2003, au journal télévisé illustre ces dispositifs de
contrôles.
20 France-Antilles
21
18 octobre 2002 : « Légume toxique : le principe de précaution en question ! »
France-Antilles 19-20 octobre 2002 : « Pesticides : mise en place d’un système de contrôle »
28
2003
La première image du reportage du 3 novembre 2003 montre le préfet Michel Cadot en
visite dans une usine de traitement faisant le point avec les industriels agroalimentaires
sur les dispositions de prévention dans la lutte contre les produits contaminés. Puis
s’entretenant avec différents organismes de contrôle : industriels, membres de la
direction de la DAF (Direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt) , et de la
SOCOPMA (coopérative maraîchère de la Martinique).
La presse présente lors de cette réunion, rapporte les faits : « On était loin de la vérité… »
Annonce le journaliste Franck Zozor. On apprend, que l’Etat a réalisé des tests sur des
terrains anciennement planté en banane et que sur 166 tests, 45% des prélèvements sont
contaminés par des pesticides organochlorés que l’on retrouve également dans les
racines (à circuit court). Le préfet déclare que la
présence du Chlordécone et des
pesticides organochloré dans les produits ne signifie pas qu’il y ait un risque pour la
santé des consommateurs.
Il recommande cependant de ne plus planter sur les sols
déclarés contaminés et met en garde la population contre
certains produits vendus sur le marché local qui n’ont pas
systématiquement effectué les tests (se situant hors du
système de contrôle pris en charge par les pouvoirs
publics). Il demande donc à tous les agriculteurs d’effectuer
les tests de sol. Des tests qui sont pris en charge par les pouvoirs publics, insiste-il.
Tous les producteurs devront alors effectuer des tests qu’ils vendent sur les marchés ou
dans les coopératives. Si leurs parcelles se révèlent contaminées, ils ne pourront plus
vendre leurs produits.
29
Le président de la SOCOPMA est par la suite
interviewé
dans
les
locaux
de
la
coopérative
maraichère.
Il rappelle que tous les producteurs sont dans
l’obligation de fournir le certificat de contrôle de leur
sol « ceux qui ne le font pas, ne sont pas habilité à livrer
leurs productions ici ».
Il certifie par la suite qu’un second contrôle est effectué avant la mise en marché de la
production.
Ces mesures marquent un tournant mais posent un problème que l’administration ne
peut régler aisément, fait qu’il existe peu de connaissances sur les risques du transfert,
qui implique de nombreux acteurs. Ce problème est d’autant plus sérieux qu’il concerne
des produits de base, au cœur des traditions alimentaires antillaises et qui sont le pivot
des régimes nutritionnels des foyers, et dans une grande partie, la catégorie modeste de
la population. Les petits agriculteurs se retrouvent très vite dans une situation socioéconomique difficile.
Situation qui intègre au débat la question des réparations et des responsabilités.
2003
Les acteurs associatifs tentent de porter le dossier sur le plan judiciaire : la
dénonciation d’un scandale
Pour la première fois au journal télévisé du lundi 9 octobre
2003, on parle « d’un problème de santé public ». La carte
des zones polluées est divulguée et le problème des
indemnités se posent. Dans les interviews, les personnes
interrogées ne cachent pas leur mécontentement, les
agriculteurs demandent « réparation ».
« …Et dire qu’on disait que Juvénal Rémir déconnait …On a bien trouvé
du Chlordécone dans les terres, ceux qui ont pollué doivent prendre leur
30
responsabilité, il faut qu’on indemnise tous les gens qui ont des sols contaminés ». Juvénal
Remir (président du CODMA-MODEF)
Les associations écologiques, quant à elles, montent au créneau et avivent la polémique
des responsabilités. L’Association pour la sauvegarde du patrimoine Martiniquais
(L’Assaupamar) sous la plume de Paul-Henri Chartol, demande à ce que le débat sur les
responsabilités soit ouvert dans une lettre ouverte
adressée au préfet22.
Cette lettre portée à la connaissance de l’opinion
publique présente quatre parties. La première a le mérite de reconnaitre le travail
effectué par le préfet Michel Cadot « Les efforts de connaissance scientifique du problème que
l’administration a mis en place ces dernières années sont à remarquer et votre implication
personnelle dans ce dossier est à souligner ». Dans la seconde partie, il dénonce les
dysfonctionnements de l’administration en rappelant que de nombreux paysans et
ouvriers ont traité la banane sans protection et à mains nues en dépassant fréquemment
les doses requises par manque de formation. « Des ouvriers qui ont dû faire grève pour
obtenir une paire de gant de la part de leur employeurs » Selon Paul Henri Chartol, l’état s’est
montré « laxiste » et a manifesté une certaine incurie face au danger des pesticides. La
troisième partie, rappelle que les effets du Chlordécone sont nuisibles pour la population
« contrairement à ce que l’on tente de faire croire aux Martiniquais » et cite des études qui
montrent que le Chlordécone est un produit à forte potentialité cancérigène. Enfin, la
quatrième partie de sa lettre pose le problème des responsabilités .Selon l’Assaupamar
« la responsabilité de l’Europe, et par conséquent de la France, est directement engagée dans ce
dossier »notamment par la fourniture de subventions destinées à favoriser la production
bananière. Il demande alors « des réparations justifiées par l’ampleur de la relation catastrophe
bananes-pesticides » et termine en prônant l’agriculture biologique pour la Martinique.
Enfin, dans son courrier, l’écologiste Paul Henri Chartol, émet l'idée que l’évènement
des patates douces détruites à Dunkerque n’est qu’un révélateur « d’un empoisonnement en
profondeur des terres de la Martinique »… Le mot « empoisonnement » apparaît pour la
première fois dans ce dossier et, quelques années plus tard, sera le mot clef du titre du
22
France-Antilles du 25-10-02 [Pesticides : attention danger ! « L’Assaupamar réclame la vérité »]
31
livre polémique de Louis Boutrin et Raphaël Confiant à savoir : Chronique d’un
empoisonnement annoncé : Le scandale du Chlordécone aux Antilles françaises 1972-2002
A la même période (2003-2004), le dossier du Chlordécone entre dans l’arène judiciaire
et politique. En mars 2004, la Fédération départementale des syndicats d’exploitants
agricoles (FDSEA) porte plainte contre X pour « déterminer les différentes responsabilités
dans la pollution des terres par le Chlordécone ». En octobre de la même année, l’Assemblée
Nationale lance une mission d’enquête sur le Chlordécone et l’usage d’autres pesticides dans les
Antilles françaises dans la continuité de la mission d’information du député Philippe
Edmond-Mariette en 200323.
Alors que le dossier était jusque-là principalement géré par l’administration, cette
période porte les prémisses d’une implication des élus locaux qui va ensuite s’accentuer
avec la politisation du dossier.
Alors que le rapport de la mission parlementaire produit un discours qui vise à pacifier
le conflit (par un discours qui tend à normaliser le dossier Chlordécone) , les acteurs
associatifs tentent de politiser et de porter en justice le dossier. Ils mènent l’enquête
pour découvrir les dessous de l’affaire, dénoncent le scandale sanitaire. Des associations
pointent du doigt le lobby de la banane, d’autres l’Etat et certaines, les deux.
C’est ainsi que deux livres accusateurs sur l’affaire sont publiés début 2007 : Pesticides,
révélations sur un scandale français de F.Nicolino et F.Veillerette, critiquant la façon dont le
gouvernement français a géré le dossier des pesticides, privilégiant les intérêts de
l’agriculture intensive en dépit des risques sanitaires et environnementaux connus de
longue date. Et Chronique d’un empoisonnement annoncé : Le scandale du Chlordécone aux
Antilles françaises 1972-2002 qui retentira davantage que le précédent. Ses auteurs Louis
Boutrin, président et fondateur de l’association « pour une écologie urbaine » et Raphaël
Confiant, écrivain martiniquais engagé présentent l’affaire du Chlordécone comme une
« gigantesque manipulation » en insistant particulièrement sur l’influence du lobby de la
banane.
23
Assemblé nationale, Proposition de résolution n°1288 , enregistré le 12 décembre 2003
32
L’année 2007 est un tournant dans l’affaire du Chlordécone, non seulement par la
politisation et la judiciarisation du dossier mais surtout par le tapage médiatique que le
professeur Dominique Belpomme, cancérologue et président de l’Association pour la
Recherche Thérapeutique Anti-Cancéreuse (l’ARTAC) provoquera au niveau national
(voire Européen).
« L’affaire n’est pas nouvelle en Martinique, dénoncée
depuis puis de 15 ans par les chercheurs et les écologique …
Aujourd’hui, c’est la presse parisienne qui en fait les grands
titres…Une affaire considérée encore plus grave que celle du
sang contaminé » Rfo Martinique
33
Chapitre 2 : Entrée en scène d'une figure emblématique : Le
professeur Dominique BELPOMME
Le professeur Belpomme, de la contre-expertise au déchainement médiatique
C’est dans l’effervescence des dénonciations écologistes et des émois suite à la
publication retentissante du livre polémique de Louis Boutrin et de Raphaël Confiant
qu’apparait, sur le devant de la scène médiatique, le Professeur cancérologue Dominique
Belpomme.
Invité pour une contre-expertise par l’association
écologique
PUMA
(Pour
une
Martinique
Autrement), il conduit des recherches pour
évaluer le risque sanitaire lié à la pollution
chimique des sols, mais également rencontrer les
élus politiques, les médecins, les agriculteurs, la
population.
« Je viens pour essayer de comprendre » annonce-il24
Cancérologue français et président de l’ARTAC (Association pour la Recherche
Thérapeutique Anti-Cancéreuse) réputé comme «catastrophiste» ou encore « médecin
spectacle » il cherche à démontrer qu’il existe une relation entre la dégradation de
l’environnement et le développement des cancers.
Très médiatisé en France métropolitaine, le professeur Belpomme est aussi un
vulgarisateur de la connaissance scientifique à travers ses ouvrages sur le cancer tels
que : Les grands défis de la politique de santé en France et en Europe (2002), Ces maladies
créées par l'homme : Comment la dégradation de l'environnement met en péril notre santé(2004),
Guérir du cancer ou s'en protéger(2005), Avant qu'il ne soit trop tard (2007) et ses divers
publications et films documentaires.
24
France-Antilles 2.05.07 Dominique Belpomme-Titre de l’article
34
Dès le 28 avril 2007, les médias locaux communiquent sur l’arrivée du professeur en
tant qu'« expert du Chlordécone » et annoncent les conférences-débats qu’il donnera en
Guadeloupe puis en Martinique, invitant ainsi la population et les agriculteurs à y
participer (Les agriculteurs étant les premiers exposés aux effets toxiques des
pesticides).
Ces deux conférences résonnent comme une confirmation du lancement de l’alerte
donnée précédemment par les associations écologistes, inquiétant davantage la
population.
La première intervention du professeur est fondée sur des exemples concrets avec deux
pieds d’ananas, trouvés à côté de l’hôtel où il séjourne, asphyxiés par les pesticides. Des
Pesticides qui détruisent tous les organismes se trouvant dans le sol, nécessaire à sa
suivie (vers, humus, bactéries).
Le professeur Belpomme, fait surgir une nouvelle interprétation de la pollution, qui est
celle de la durée d’utilisation des pesticides comme un véritable « poison ». « Ce n’est pas
la dose qui fait le poison, mais la durée d’utilisation qui rend toxique le produit ». C’est ainsi
que les produits phytosanitaires posent un problème d’ordre sanitaire au sein de la
population antillaise, tels que la baisse de la fertilité et le nombre « inquiétant » de
cancers constatés aux Antilles françaises.
Outre le Chlordécone, d’autres produits supposés dangereux ont été évoqués, dont le
Paraquat, un désherbant qui continue à être fortement utilisé en agriculture au moment
où intervient le professeur.
Il conclut son intervention en mettant en avant la nécessité de diligenter des enquêtes
auprès d’une population ciblée et recommande l’application d’un principe de précaution.
En faisant le point sur son séjour, le professeur Belpomme ne cache pas sa déception à la
presse. Le journaliste et lui-même, avouent avoir été surpris par l’absence des
agriculteurs, qui sont pourtant les premières victimes de la pollution. Surpris également
par le manque de confiance des personnes rencontrées, à son égard… Pourtant, durant
son séjour il aura insisté sur son statut de scientifique « indépendant » à l’égard du
gouvernement « je suis venu pour répondre à l’inquiétude légitime des citoyens sur la pollution
35
aux pesticides. Je viens en tant que scientifique pur, je n’ai aucun engagement politique et je ne
souhaite pas entrer dans les problèmes internes de l’ile »25.
Il se montre révolté par le manque de transparence et a en outre affirmé n’avoir pu
obtenir aucune donnée chiffrée des autorités publiques.
Dans une interview26 réalisée par la rédaction du France-Antilles à la fin de son séjour,
Dominique Belpomme soulève plusieurs points critiques dont la fiabilité des rapports
précédents réalisés par des institutions comme l’Inserm en leur reprochant leur manque
de connaissance en biologie et toxicologie.
Selon lui, les études réalisées sont dénuées de sens, non pas par la qualité des études
menées mais par l’interprétation qui en est faite. « Les résultats de cette étude ne veulent rien
dire ...et malheureusement les pouvoirs publics reprennent les études négatives ».
Ce sont en effet ces mêmes études, qu’il considère comme inacceptables et non
désintéressées, qui ont déterminé le taux de LMR (limites maximales de résidus).
«Je trouve inacceptable les conclusions de l’Afssa. Pour des raisons purement économiques et non
scientifiques, on a augmenté la dose de chlordécone acceptable pour que les aliments puissent être
consommés…Simultanément on a bradé la santé des habitants de l’île. Et dans l’hypothèse où les
autorités font ce qu’il faut en matière de Chlordécone, le Paraquat est encore utilisé, ce qui prouve
qu’elles n’ont de toute façon rien compris. Le Paraquat est une nouvelle bombe à retardement ».
D’où sa préconisation d’un arrêt total des pesticides et d’un taux « zéro pesticide » dans
les aliments.
Le professeur Belpomme poursuit son interview avec un discours plus polémique et
militant en donnant tout d’abord aux consommateurs les clés pour une éventuelle sortie
de crise, tout en attestant que c’est un processus long car la contamination des sols est
durable : « l’ile est enchainée à cette pollution. Pour se « déchainer » la nature doit reprendre ses
droits et cela va prendre du temps. » Il recommande, en outre, de développer des méthodes
alternatives aux pesticides comme le retour à la polyculture et développement du bio.
25
Antilla 16 mai 2007
26
FA : 03.05.07 interview Le professeur Dominique Belpomme « le regard d’un cancérologue sur
le Chlordécone »
36
Selon lui, le travail doit pourtant se faire d’abord au niveau politique et sur le choix de
ses représentants « il faut agir au niveau politique et notamment ne pas se tromper de bulletin
dans l'urne, il y a des élus qui comprennent plus que d'autres ». Cette prise de position
politique peut paraître curieuse pour un scientifique qui se réclame d'une parfaite
neutralité, mais il devient évident que la crise des pesticides devient une crise politique
et une crise de confiance.
L’entretien avec le professeur se termine ainsi sous le joug des responsabilités et des
mises en accusation. Il dénonce les insuffisances des pouvoirs publics et évoque des
mises en examen futures, comme pour le sang contaminé et l'amiante. Il parle d'un
véritable « crime contre l'humanité », car la France est la plus grande consommatrice de
pesticides. Mais l’Etat n’est pas le seul responsable, les multinationales et les lobbies
industriels ont également leur part de responsabilité « Responsabilités à partager avec les
multinationales et les lobbies industriels qui ne voient que leur intérêt immédiat».
Le rapport du professeur Belpomme est publié le 23 juin 2007, il transmet en termes
apparemment objectifs les problèmes posés par les différents pesticides, mais ses
interventions en conférences de presse sont souvent bien plus explosives et polémiques.
Il parvient finalement à obtenir quelques résultats réels, et nous allons analyser les effets
immédiats de ses interventions.
« Un pesticide en moins des vies en plus »27 Le retrait du Paraquat
Le 11 juillet 2007, le tribunal de première instance annule la directive autorisant le
Paraquat comme substance active phytopharmaceutique, une première victoire pour les
associations écologistes et le professeur Belpomme qui avait fait part de son inquiétude
scientifique concernant l’utilisation de ce pesticide dans le département. Dans son
rapport qui a été remis à la Commission des communautés européennes, le professeur
Belpomme avait conclu que le risque avec le Paraquat et la maladie de Parkinson n’avait
pas été pris en compte lors de la mise en application de la directive28 autorisant
27
France Antilles du 25.07.07 « Un pesticide en moins, des vies en plus »
28 Directive
2003/112
37
l’utilisation de ce pesticide. Pourtant, en 2003, La commission d’étude de la toxicité avait
recommandé l’interdiction de l’application du produit au moyen de pulvérisation à dos,
mais l’état français n'a pas suivi les recommandations et soutient le Paraquat au niveau
européen avec l’Angleterre.29
C'est une première victoire contre les pesticides, mais la bataille est encore longue. Une
Enquête30 de l’association PUMA
31
publié dans la revue Antilla rapporte le contenu du
rapport du professeur et soulève de nouveau le problème des LMR (limite maximale de
résidu).Des nouvelles valeurs qui s’inscrivent dans un contexte d’abandon total du
risque zéro. Pour les aliments de consommation courante, la LMR est trois fois plus
élevée que la VTR (valeur de toxicologies de référence) déterminée pour la toxicité
chronique.
« il est donc clair que les LMR initiées par l’AFSSA , qu’elles soient ou non acceptées par l’union
Européenne , ne protègeront pas la population contre l’apparition d’une toxicité chronique, que les
risques sanitaires sont donc devenus énormes pour la population antillaise et que toute
aggravation de la pollution par la poursuite de l’utilisation des pesticides ne pourra que rendre
cette population de plus en plus malade » 32
« Le scandale Belpomme » et ses conséquences
L’édition du 17 septembre 2007 du journal Le Parisien consacre un dossier complet au
problème du Chlordécone sous le titre de « Pesticides : scandale qui empoisonne les Antilles »
dont une interview du professeur Belpomme faisant des déclarations alarmantes sur les
conséquences de la forte présence du Chlordécone dans l’environnement et sa
29
France-Antilles 25.07.2007 « Un pesticide en moins , des vies en plus »
30 Antilla
18.07.2007 « Communautés Européenne , l’arrêt qui dérange »
Rappelons que le professeur Belpomme avait été convié pour une contre-expertise par l’association
PUMA en mai 2007
31
32
Florent Grabin , association PUMA , à partir des études émises par le Pr .Belpomme
38
dangerosité sur la santé de la population et dénonçant, une « insuffisance des pouvoirs
publics »
« Les expertises scientifiques que nous avons menées sur les pesticide conduisent au constat d’un
désastre sanitaire (…) Il s’agit d’un véritable empoisonnement (…) Il y a le Chlordécone, le
Paraquat (interdit très récemment) et plusieurs dizaines d’autres pesticides utilisés dans des
conditions plus qu’opaques. Lors de mon séjour aux Antilles, je n’ai d’ailleurs pu avoir aucun
renseignement sur ces pesticides (…) souvent largués par avion (…) Je pense que cette affaire se
révèle être beaucoup plus grave que celle du sang contaminé »
La qualification de l’affaire en « scandale » apparaît en
septembre 2007 à partir des propos émis par le
Professeur Belpomme à la presse nationale. Il convient
alors de souligner le décalage entre le contenu du
rapport et les déclarations faites à la presse en
septembre, le rapport ne parle pas d’empoisonnement et
ne fait pas de comparaison avec le sang contaminé. En
effet, dans le rapport, le « désastre sanitaire » n’est pas
vérifié, il annonce une menace contre laquelle il faut agir.33 Les auteurs de ce rapport
tirent l’alarme sur la gravité de la situation et sur les actions des institutions qui
s’avèrent être insuffisantes (niveau de LMR, protocoles des études épidémiologiques en
cours etc.). La nature de leur message est clairement identifié : «Le message essentiel de
notre enquête est prospectif : il convient absolument de ne pas refaire l’erreur du Chlordécone ».
Le qualificatif d’empoisonnement et la comparaison avec l’affaire du sang contaminé
serait-il alors une stratégie du professeur Belpomme pour médiatiser une pollution qui
outre atlantique peine à retentir ? Quoi qu’il en soit, le rapport et les propos du
professeur Belpomme donnés à la presse provoquent de vives réactions.
33«
Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en
Martinique » Dominique Belpomme, 23.06.07
39
Le 16 aout 2007, dans une lettre adressée au Directeur Général de la Santé Jean-Yves
Grall (sous la direction du ministère de Roselyne Bachelot), les chercheurs en charge des
études épidémiologiques, vivement critiqués dans le rapport, font une mise au point en
soulevant les inexactitudes et les faiblesses du rapport du professeur et de son équipe. Ils
y dénoncent les confusions dans les références scientifiques utilisées, l’ignorance
d’informations disponibles.
[Ce « rapport » témoigne, outre d’un langage et des connaissances scientifiques limitées, d’une
volonté de manipulation et de dissimulation de la vérité, voire dans le meilleur des cas d’une
ignorance délibérée].
Mais les plus importantes réactions se déroulent lors de la phase de publicisation du
rapport.
Le lendemain de la présentation du rapport à
l’assemblée nationale le 18 septembre 2007 par le
Professeur Belpomme, l’INVS organise une
conférence de presse dans laquelle il réagit aux
propos du professeur, faisant, état d’un lien de
causalité entre les pesticides et le fort taux de
cancers de la prostate, de malformation congénitales et de cas de stérilité aux Antilles 34.
Pourtant dans son rapport seul des probabilités sont émises : « L’augmentation du nombre
des cancers de la prostate en Martinique et en Guadeloupe constitue le problème de santé publique
le plus solidement établi, et donc le premier auquel on doit s’attaquer. L’étiologie des cancers de la
prostate demeure inconnue »35 (il en va de même pour la stérilité et les malformations
congénitales : les causes sont toujours infondées). En rappelant qu’aucun lien n’a été
démontré entre les pesticides aux Antilles et les observations sanitaires effectuées. La
cause la plus probable au développement du cancer de prostate est d’origine ethnique et
la baisse du taux de fécondité se révèle être une évolution sociale.
[La plus grande fréquence absolue du cancer de la prostate aux Antilles par rapport à la
métropole peut être expliquée par l’origine ethnique de la population (facteur de risque bien
34
France Antilles du 19.10.07 : [La « bombe » Chlordécone réaction tous azimuts]
Rapport d’expertise et d’audit externe concernant la pollution par les pesticides en
Martinique » p 37 Dominique Belpomme, 23.06.07
35
40
documenté aux Etats Unis) (…) La diminution du nombre d’enfants par femme (…) révèle de
bien d’autre causes que d’un impact sanitaire]
L’INVS termine sa conférence en communiquant que des mesures de prévention vont
être prises et que des études sont en cours pour améliorer les connaissances sur le sujet.
L’AFSA, également critiqué dans le rapport du professeur, a aussi tenu à prendre la
parole. On apprend alors, que la liste concernant les aliments potentiellement
contaminés pour des raisons d’exposition au chlordécone « doit être revue ».
Octobre 2007 est particulièrement virulent contre le professeur Belpomme qui enchaîne
les rencontres officielles avec les membres du gouvernement. Ce personnage prend les
devants de la scène médiatique (en France métropolitaine comme aux Antilles
françaises) et sera largement critiqué tant par les faiblesses de son rapport que par sa
façon d’avoir communiqué le sujet. Il rencontre Christian Estrosi le secrétaire d’Etat
d’Outre-mer avec qui il échange sur la nécessité de collaborer entre les différentes
instances et tient à rectifier les propos qui lui auraient été prêtés par sa presse. « Il n’y a
pas de désastre sanitaire aux Antilles mais une bombe à retardement » 36précise-t-il. Quant au
secrétaire d’Etat d’Outre-Mer, il considère que le professeur Belpomme a exagéré
l’importance des faits au moment de la publication de son rapport suscitant l’affolement
des Antillais. « C’est dangereux d’inquiéter la population. Tout doit être dit mais comparons ce
qui est comparable »37 (en référence à la comparaison faite dans Le Parisien entre l’affaire
du chlordécone et celle du sang contaminé).
Le président de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée, Patrick Ollier,
ne mâche pas ses mots quand il s’agit de critiquer l’intervention, du professeur
Belpomme dans cette affaire qu’il juge comme « scandaleuse ». Scandaleuse par sa
légitimité à produire ses recherches mais aussi scandaleuse dans l’affolement qu’il a
suscité auprès de la société civile (notamment lorsque le Professeur soulève les
dysfonctionnements du gouvernement)
Dominique Belpomme , France Antilles 3.10.07 « Chlordécone, le Professeur Belpomme
s’explique devant Christian Estrosi »
36
37 Christian
Estrosi , France-Antilles 10.10.07« Chlordécone , quatre ministres face aux
sénateurs »
41
« Un cancérologue dont on ne sait pas par qui il a été mandaté ni comment ses études ont été
financées, puisse lancer de telles allégations, en surfant sur la peur et les inquiétudes des gens et en
laissant penser qu’on empoisonne nos amis antillais »38.
Des propos qui discréditent le cancérologue mais aussi le personnage en tant que tel.
Comme si cela ne suffisait pas, et pour décrédibiliser un peu plus le discours du
professeur, le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) fait un communiqué qui
renforcera l’image négative du professeur Belpomme durant le Grenelle de
l’Environnement où il a tenu à faire une mise au point sur « la plate-forme nationale de
propositions du corps médical ».Une plate-forme rédigée par l’ARTAC (le professeur et
son équipe), intégrant 7 mesures préconisées dans cadre d’une amélioration sanitaire
aux Antilles et à laquelle le CNOM nie avoir contribué. Pourtant son nom figure sur le
rapport. Il déclare que : « nul ne peut se prévaloir de son accord si celui-ci n’a pas été présenté
et adopté en bureau et session comme tous ses rapports et communiqués (…) et qu’il n’entre pas
dans les attributions de CNOM de valider des points de vue scientifiques mais de veiller au
respect de l’éthique et de la déontologie indispensable à l’exercice des médecins dans l’intérêt des
patients » .La presse s’empare de ce sujet , les gros titres sont percutants : « Belpomme
lâché par l’ordre des médecins39 » Lorsque le lanceur d’alerte devient à son tour l’objet du
scandale…
Pour pallier les diverses critiques de ses travaux et interventions, le professeur
Belpomme, dans une lettre ouverte, exprime le fondement scientifique de ses études et
la véracité de son discours. Il persiste et signe, en disant que son discours est «non
catastrophique mais bien réel ». Il dénonce la déformation de ses propos par les médias
mais également l’impasse faite sur des informations judicieuses. « Mon discours est
toujours resté constant, même si on peut regretter que des raccourcis malheureux aient pu laisser
faire croire le contraire. »40
38 Patrick
Ollier France-Antilles 18.10.07 « Chlordécone : pas de commission d’enquête »
39
France-Antilles 25.10.07 « Belpomme lâché par l’Ordre des médecins »
40
France-Antilles 26.10 .2007 « Lettre ouverte du Pr. Belpomme»
42
Après s’être justifié sur les différentes calomnies portées à son encontre, il informe que
des études plus approfondies allaient être menées dans le but d’identifier les causes
exactes des épidémies de cancers à la suite d’une réunion menée avec le directeur adjoint
du cabinet de Roselyne Bachelot (ministre Santé en 2007) ainsi que des responsables de
la gestion des alertes sanitaires. Il conclut en exprimant l’attente de la mise à disposition
des moyens permettant de faire face à la crise par le gouvernement et en remerciant le
corps médical qui se mobilise localement.
« Nous attendons donc des représentants de l’Etat et des autorités locales la mise à disposition de
moyens suffisants permettant de faire face à la crise actuelle et de faire réaliser les études
annoncées dans les plus brefs délais (…) Je me dois enfin de remercier l’ensemble de mes confrères
et consœurs médecins qui se mobilisent localement pour faire émerger la vérité » Lettre du Pr
Belpomme.oct 2007
Tous ces reproches vont être constamment repris par les différents acteurs de l’affaire
du Chlordécone et le professeur Belpomme, chaque fois, aura soin de se défendre, pour
que le scandale du chlordécone reste audible.
L’audition de son rapport à l’Assemblée nationale le 7 novembre 200741, dans le cadre du
comité de suivi suite à la mission d’information parlementaire de 2005, ne sera pas sans
peine.
Les études épidémiologiques du professeur Belpomme seront confrontées à celle de Luc
Multigner chercheur épidémiologiste à l'Institut national de la santé et de la recherche
médicale (INSERM)
Son rapport « peu scientifique » et ses « propos catastrophiques » lui sont à nouveau
reprochés, on l’accuse d’utiliser des termes non appropriés tels que : « empoisonnement »,
« catastrophe sanitaire », « bombe sanitaire à retardement »…
Concernant ses données épidémiologiques, il admet s’être trompé (concernant le taux
des cancers du sein) en raison d’informations faussées délivrées par des épidémiologistes
antillais.
41 France-Antilles
7.10.07 ; 9.10 .07 « Belpomme et Multigner à l’assemblée nationale » ; « Mauvais quart
d’heure pour BELPOMME à l’assemblée nationale »
43
Il rappelle également à l’assemblée qu’aucune de ses recherches n’a été financée par le
gouvernement central FRANCE et que seul le conseil régional de la Guadeloupe42
(Victorin Lurel), et, dans une moindre mesure, le conseil régional de la Martinique, y
ont contribué.
Le professeur Belpomme conclut par un argument de taille qui sera par la suite reconnu
par la presse : Son rapport présente certes des défauts et des incertitudes mais il a
permis, non seulement une prise de conscience collective de la situation sanitaire aux
Antilles causés par les pesticides mais également le retrait du Paraquat.
« Le message global du rapport est fondé. Il y a un avant et un après ce rapport. Avant, on
n’avait pas de prise de conscience du problème qui se posait aux Antilles. Apres ce rapport, il y a
eu le retrait du Paraquat, la sensibilisation de la métropole. » Pr.Belpomme 7 novembre 2007
à l’Assemblée nationale.
« Boutrin et Confiant ont échoué là où Belpomme a réussi grâce à sa notoriété »
Eric Godard , FA 18 septembre 2008
Malgré ses faiblesses et les vives polémiques -le plus souvent justifiées- qui lui sont
portées, le rapport du Professeur Belpomme a un effet déterminant dans la mise à
l’agenda du Plan chlordécone. A partir d’octobre 2007, Didier Houssin, directeur
général de la santé, est chargé par le premier ministre d’une mission de pilotage et de
coordination du plan d’action interministériel sur le chlordécone. Il est assisté dans cette
tâche par un haut fonctionnaire du ministère du conseil général de l’agriculture, de
l’alimentation et des espaces ruraux, Benoit Lasaffre , et travaille en étroite collaboration
avec les préfets et le chargé de mission interrégional sur le Chlordécone.
Le plan Chlordécone 2008-2010 sera présenté en janvier 2008, structuré autour de 40
actions mobilisant l’ensemble des administrations et organismes de recherche.
L’ensemble du plan est chiffré à 36 millions .Il s’inscrit dans la continuité des actions
42
France- Antilles 7.11.12
44
menées, mais l’effort de coordination est sans précédent et la mobilisation de moyens est
significative.
En juin 2008, le plan d’action est doté d’un conseil scientifique dont la mission est
l’évaluation des travaux menés dans le cadre du plan pour mieux appréhender les effets
possibles sur la santé et améliorer la surveillance de l’état de santé de la population.
Le plan Chlordécone scelle une articulation nouvelle de la dynamique de l’action
administrative et de la dynamique du dossier dans les arènes publiques.
Depuis le tapage médiatique provoqué par le professeur Belpomme, les actions engagées
précédemment voient leur concrétisation, comme la réduction des LMR du Chlordécone,
l’arrêt de la commercialisation du Paraquat, les dispositifs de surveillance
épidémiologique aux Antilles …
Le professeur Dominique Belpomme a été un cancérologue largement critiqué mais
reste en dépit de tout, un personnage emblématique dans l’avancée du dossier du
Chlordécone.
Ainsi, le discours autour de ce personnage semble enfin faire l’unanimité : [« Le coup de
gueule de Belpomme a servi au moins à ce que le gouvernement fasse de cette affaire une
priorité » soupire Edmond Mariette] FA, 10 octobre 2007 On remarque que le professeur
est devenue une telle figure médiatique que beaucoup prennent le raccourci du nom de
famille seul, sans le titre, pour évoquer un personnage devenu incontournable dans cette
affaire. Si on lui a« toujours reproché (…) d’avoir alerté de cette façon l’opinion publique », on
ne peut que « constater que ça a changé de vitesse et de rythme », à l’instar de Serge Letchimy
, FA du 9 novembre 2007.
Victorin Lurel, FA du 9 novembre 2007, va jusqu’à rendre « hommage au Pr Belpomme
celui par qui les autorités de l’Etat et l’opinion publique ont été saisies »
Le professeur Belpomme reste ainsi la figure de proue de cette affaire, d’abord parce
que« Tout a été dit, tout a été fait pour tenter de mettre le discrédit sur la portée scientifique de ce
rapport d’expertise …allant jusqu’à la diffamation » : Florent Grabin ,Antilla du 22.11.07,
mais surtout parce qu’il a usé de toutes les stratégies argumentatives possibles pour que
l’affaire ait un réel retentissement médiatique, et donc un réel aboutissement, comme le
45
suggère Eric Godard , FA du 18 septembre 2008 : « Il a fallu que Belpomme fasse sa
conférence de presse et chauffe la salle efficacement pour que la presse découvre le problème qui
préoccupe l’état et la population antillaise depuis des années .Cela montre le peu d’intérêt que ce
qui se passe chez nous suscite dans la presse. Boutrin et Confiant ont échoué là où Belpomme a
réussi grâce à sa notoriété » Et l’auteur de « Chronique d’un empoisonnement annoncé »
conclut lui-même : « L’intervention médiatique du professeur Belpomme en mai 2007 aura été
un véritable catalyseur dans l’hexagone »43 Louis Boutrin,
Ainsi, le Professeur Belpomme est-il perçu de façon très mitigée : lorsque j’en parle à
mes proches, qui vivent en Martinique, je me rends compte qu’il n’est pas forcément pris
au sérieux, on lui reproche le tapage médiatique qu’il a déclenché, risquant ainsi de
mettre à mal l’image des Antilles françaises, et de porter un coup définitif à l’agriculture
et au commerce local, même si personne ne nie l’importance de soulever le débat et de
changer les méthodes et les habitudes en terme de pesticides.
Pour obtenir une vision plus actuelle et globale de cette personnalité, j’ai interrogé
Cécile Everard et Franck Zozor, deux journalistes qui s’attachent depuis le début à cette
affaire, en leur demandant ce qu’ils pensaient, d’une part de l’intervention du professeur
Dominique BELPOMME en tant que scientifique et d’autre part en tant qu’acteur dans
l’affaire du Chlordécone. Leurs réponses respectives entraient en écho avec les
différentes remarques que j’avais collectées au cours de l’analyse de mon corpus
d’articles.
Selon Cécile Everard, « il a été un très bon lanceur d'alerte car la médiatisation de son rapport
a entraîné le premier plan Chlrodécone » en effet, si elle répète que beaucoup de choses se
faisaient déjà avant son intervention, les moyens alloués ont été bien plus importants
lorsque l’affaire a été portée sur le haut de l’affiche grâce à sa notoriété de professeur en
cancérologie déjà de nombreuses fois publié. Par contre, ajoute-t-elle, « il s'est drapé dans
son titre de médecin cancérologue son rapport n'avait rien d'une publication scientifique, il était
même médiocre. Une bonne source m'avait dit qu'il avait, à cette époque, qu’il avait surtout envie
de se faire remarquer pour pouvoir participer au grenelle de l'environnement. Mais je pourrai
parler longuement de cela, de la manière dont il a essayé de dire qu'on lui avait fait dire ce qu'il
43
Antilla 10-17 juin 2010
46
n'avait pas dit et il suffit de retrouver des archives de RFO pour voir qu'il a fait machine arrière,
sous la pression de ses pairs, et non sous la pression du gouvernement. » L’image que laisse le
professeur reste donc très mitigée à en lire Cécile Everard, qui n’est pas tendre ni dupe
quand elle évoque un opportunisme certain de sa part dans cette affaire. Sur ce point, et
sur l’image générale de Belpomme, Franck Zozor revient également sur ses
interventions et leurs résultats en répondant à son tour à ma question : « l’intervention
du D BELPOMME a eu pour effet la médiatisation de cette affaire au niveau national, c’est
vrai qu’il a été très critiqué par d’autres scientifiques après cette conférence de presse mais son
intervention à l’assemblée nationale a été une bonne chose ».44
Il faut le rappeler, c’est à l’initiative de l’association PUMA qu’est intervenu le
Professeur Belpomme dans cette affaire. Franck Zozor l’un des premiers journalistes à
investiguer sur cette affaire était présent lors de la conférence de presse qu’il a tenue en
septembre 2007. Il est intéressant de noter le lien direct qui unit les premiers lanceurs
d’alerte, qu’étaient les écologistes, et la personnalité de ce scientifique qui a su faire
entrer sur l’arène médiatique un véritable problème sanitaire, économique, voire
politique, comme nous allons le voir.
44
Entretien Franck Zozor
47
II- Les dessous de l’affaire
48
Chapitre 1 : Principe de transparence et méfiance de la population
La transparence étatique
Face à la complexité du dossier et de sa dimension environnementale, sanitaire, politique,
économique et sociale, l’ensemble des acteurs de l’affaire, communique dans un souci de
transparence.
On commence à parler « transparence » dès que la contamination par le Chlordécone est
avérée et que l’information est divulguée par les médias au début des années 2000.
L’une des premières conférences de presse du préfet Michel Cadot à cette période en
témoigne. 45 « J’ai souhaité réagir pour expliquer à la population et aux médias la réalité de ce
dossier, qui peut évidemment alimenter des inquiétudes et des craintes surtout s’il n’est pas
clairement et honnêtement expliqué…C’est dans ce cadre ouvert (Grephy) et dans un souci de
transparence que nous continuerons à communiquer » Michel Cadot octobre 2000
Confronté aux préoccupations de la population, le discours des représentants se veut
tout au long de l’affaire « sécurisant » .Donnant l’impression d’une situation prise en
main.
Un discours qui a le don d’exaspérer les associations écologiques « lasses d'entendre des
discours rassurants » 46 discréditant leurs travaux d’investigations et de dénonciations.
Le souci de « transparence » entrepris par le gouvernement sera particulièrement
récurrent lors de la gestion de crise au niveau national à partir de 2007 comme le
souligne l’un de nos journalistes interviewé Cécile Everard : « il y a un gros effort de
transparence de la part notamment de l'Etat »
45 France-Antilles du 19-10-02 « Pesticides : mise en place d’un système de contrôle »
46 France-Antilles
du 25-10-02 « Pesticide : Attention danger ! L’Assaupamar réclame la vérité »
49
On peut rappeler en effet l’intervention de madame la ministre de l’Outre-mer et des
collectivités territoriales de 2007, Mme Michèle Alliot-Marie insistant sur la
transparence du dossier Chlordécone « dans un but de transparence, j’assure que tous travaux
seront rendus publics … et je suis également
favorable à une commission d’enquête
parlementaire.47 »
Le secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer de l’époque, Mr Christian Estrosi, insistera
également sur la notion de transparence dans ce dossier. Lors de sa rencontre officielle
avec le professeur Belpomme en octobre 2007, il encourage la communication entre les
différentes instances (locales et nationales) pour une meilleure contribution. « Que chacun
puisse se confronter pour que le gouvernement mette en place son plan d’action qui garantit la
transparence et la qualité des productions antillaises48 »
Au-delà, des exemples cités, la transparence
et la volonté du gouvernement dans son
implication
au
dossier
se
témoigne
notamment par la multiplication des visites et des interventions officielles des membres
du gouvernement en charge de l’affaire. Des actions publiques qui ont rencontré une
forte médiatisation.
On pense tout d’abord aux rencontres interministérielles mais aussi avec les élus locaux
et les associations écologistes, les déplacements aux Antilles, les conférences de presses
répétitives, les lettres officielles etc49 .
47 France-Antilles
48
19 .09 .07 [La« bombe »chlordécone : réactions tous azimuts]
France-Antilles 3.10.07 « Chlordécone, le Professeur Belpomme s’explique devant Christian Estrosi »
49 Interventions
membres du gouvernement voir les articles suivants :
FA 20.09.07 : « Quarante-huit heures sous la pression du Chlordécone »
FA 10.10.07 : « Chlordécone quatre ministres face aux sénateurs »
FA 22.10 .07 : « Mission aux Antilles du directeur général de la santé Didier Houssin » ; « Interview Didier Houssin »
FA 23.10.07 « Chlordécone, les politiques se montrent »
FA 25.10.07 « François Fillon écrit à Serge Lechimy »
FA 17-18 .11.07 « interview : Roselyse Bachelot- Narquin « Nous travaillons activement à l’élaboration d’un plan d’action »
50
Des échanges concentrés sur la fin de l’année 2007 (post scandale Pr. Belpomme) où l’on
retrouvera de manière récurrente : Michèle Alliot-Marie (ministre de l’intérieur de
l’Outre-mer), Christian Estrosi (secrétaire d’état à l’Outre-mer) , Michel Barnier
(ministre de l’agriculture et de la pêche) , Roselyne Bachelot (Ministre de la santé) , Eric
Godard (chargé de mission interministérielle) Didier Houssin (directeur général de la
santé) mais aussi , Natalie Kosciusko-Morizet (Secrétaire d’Etat chargé de l’Ecologie ) et
François Fillon (premier ministre) .
Des interventions survenues après l’alerte émise par le professeur Belpomme, certes
reconnues, mais qui se manifestaient pour certains tardivement, comme insinue le
journaliste Franck Zozor dans notre interview.
« Les ministres ne faisaient que se donner bonne conscience, ils arrivaient alors que l’incendie
était éteint. En 2007 quand l’hexagone découvre l’affaire des pesticides en Guadeloupe et en
Martinique, chez nous le problème était en partie réglée ».50
Malgré ces démarches de communication et des différentes actions publiques réalisées, la
population reste toutefois sceptique et méfiante envers le gouvernement.
Claude Lise par exemple, sénateur martiniquais, reconnait l’avancée du dossier,
principalement au niveau de l’implication de l’Etat dans celui-ci. Il reconnait la volonté
de l’Etat d’établir une transparence mais qui selon lui ne s’avère pas être totale comme
constaté dans l’affaire du Paraquat. Il appelle alors la population à la « vigilance »:
« On cachait quelque chose…Partant de cela nous devons être, je ne dirai pas méfiants, mais
vigilants. »51
La rédaction de France-Antilles remet également
en question la transparence du
gouvernement dans un article de novembre 2007, lorsque celle-ci souhaite se procurer
des documents administratifs de l’époque. Le ministère de l’agriculture y était réticent,
éveillant par conséquent des doutes auprès de la presse locale. « Ce qui ne manque pas
48 FA 19.11.07 : « Moins de chlordécone autorisé dans les aliments »
50 Entretien journaliste Franck Zozor Q7 p
51
France-Antilles 01.11.07 « Le chlordécone : personne n’accorde crédit à personne »
51
d’éveiller les pires soupçons de notre part et nous énerver fortement »52 Le sous-titre de l’article
du Lundi 12 novembre 2007 l’illustre clairement : [La «transparence» sur le dossier chlordécone,
dont se vante le ministère de l’Agriculture, n’est valable que pour l’actualité. Mieux vaut ne pas
trop s’intéresser au passé lointain…]
53.Un
refus du ministère de l’agriculture, justifié de la
manière suivante :
« la transparence est totale sur les actions du gouvernement. Sur le passé lointain, il faut laisser
la justice faire son travail». C’est finalement la préfecture de Fort de France qui, « dans un
souci de transparence » a permis à la rédaction de se procurer ces documents.54
La transparence scientifique
Face aux vives polémiques suscitées autour de la question de « l’empoisonnement »
(notamment à la sortie du livre polémique « chronique d’un empoisonnement annoncé »),
autour de la responsabilité de l’Etat dans l’affaire du Chlordécone, mais également, aux
résultats avérés de la contamination par les écologistes en 2002, les Instituts
scientifiques se sont vus discrédités.
C’est dans cette mesure, que l’on retrouve des « communications de transparence » dans
le discours des scientifiques, qui certifient la liberté de leurs recherches, et affirment
n’être soumis à aucune pression de la part du gouvernement. L’interview55 du médecin
épidémiologiste Luc Multigner de l’Inserm56 , retranscrit dans le France-Antilles du10
avril 2007, en témoigne.
52 France-Antilles 19. 09 .08 [Dossier enquête : « Pesticides : retour sur une négligence sanitaire »]
53 France-Antilles 12.11.07 « 1968 : le chlordécone n’aurait pas dû être autorisé. »
54 France-Antilles 19. 09 .08 [Dossier enquête : « Pesticides : retour sur une négligence sanitaire »]
55
FA.11.04.07 Interview de Luc Multigner
56
L’institut national de la Santé et de la Recherche médicale
52
En avril 2007, l’Inserm se prononce après avoir réalisé des études épidémiologiques sur
la population antillaise. Il conclut que rien ne prouve jusqu’alors le lien entre le
Chlordécone et les maladies récurrentes constatées dans les Dom.
La population antillaise est exposée au chlordécone à des doses qui ne sont que de
l’ordre de quelques microgrammes par litre de sang (et par conséquent, qu’il ne fallait
pas comparer la situation présente avec l’incident d’Hopewell qui est de l’ordre d’une
dizaine de milligramme par litre de sang). Il n’existe que des hypothèses et rien ne serait
avéré.
Aidé par les questions «orientés » de la journaliste qui n’est autre que Cécile Everard, il
fait part de son mécontentement face à la méfiance de l’opinion publique sur les études
qui sont menées : « Il est dommage que les études épidémiologiques qui aboutissent à écarter un
risque soient peu médiatisées ou bien plus regrettable encore rejetées parce qu’elles ne satisfont pas
les fonds de commerce » particulier de certains (en l’occurrence le livre de Louis Boutrin et
de Raphael Confiant) , puis affirme que l’Institut agit en toute transparence et que leurs
recherches ont un caractère purement scientifique. Ils n’agiraient sous aucune pression
d’ordre étatique : « Nous publions les résultats de nos études sans aucune contrainte …Je vous
rassure, ni moi ni aucun de mes collègues, sommes là pour rassurer qui que ce soit. Notre but seul
but est d’apprécier de la manière la plus objective possible et scientifique les conséquences de
l’exposition au chlordécone sur la santé »57
Le professeur Belpomme venant contredire le rapport de L’Inserm concernant la
toxicologie du Chlordécone un mois plus tard, se retrouvera confronté à la même
problématique, à peine arrivé sur le sol Antillais. C’est pour cela qu’à de nombreuses
reprises, le professeur Belpomme se présentera en tant qu’« expert scientifique
indépendant »58 et exprimera le caractère purement scientifique et désintéressé de sa
57 FA.11.04.07
58 FA
Interview de Luc Multigner
3.05.07 « regard d'un cancérologue sur le Chlordécone »
53
mission : « Je viens en tant que scientifique pur, je n’ai aucun engagement politique et je ne
souhaite pas rentrer dans les problèmes internes de l’ile. »59
Dans ce contexte général de méfiance, les journalistes eux-mêmes doivent s'assurer une
lecture bienveillante de la part de leur lectorat.
La transparence journalistique
Le rôle du journaliste, rappelons-le, est d’informer mais également d’aider le public à
accéder à la vérité. Il contraint les politiques à la transparence et respecte lui-même des
règles déontologiques auxquels il est soumis. En analysant le corpus de presse, nous
avons noté la présence d’éditions dédiées au dossier du Chlordécone dans le FranceAntilles, mais également des suppléments thématiques gratuit60 traitant uniquement du
sujet. (Images ci-dessous)
FA 10.04.07
FA 12.12.07
FA 31.01.13
Face à la complexité de l’affaire, tant par son langage scientifique que part son incidence
sur le plan sanitaire en passant par les vives polémiques (crées autour du sujet) , la
rédaction a tenu à rendre l’information accessible à tout le monde.
Mis à part le moyen de sensibiliser la population au sujet61, les suppléments thématiques
rappellent de manière générale : les différents évènements qui ont marqué l’actualité, des
définitions de termes nouveaux, la carte des terres et les eaux pollués, des interviews,
des confrontations d’opinion et parfois des rétrospectives. (Rappel historique)
59 Antilla
16 .05.07 [Le professeur Dominique Belpomme , « il faut arrêter le Paraquat » ]
60 Suppléments
thématique : France-Antilles : 10.04.07 ; 12.12.07 ; 31.01.13
61 Entretien Cécile Evrard
54
Une volonté d’informer la population face à l’ignorance constatée par la journaliste
Cécile Everard : « j'ai l'impression que la population est tellement mal informée que j'essaie
d'apporter un maximum de réponses, notamment scientifiques, car c'est important »62
A partir de la fin de l’année 2007, on constate également dans les enquêtes dédiées au
chlordécone (post scandale Pr. Belpomme) qu’il y a une volonté de la rédaction de
communiquer sur sa démarche journalistique, sur la provenance des données divulguées
mais également de ses problèmes rencontrés lors de l’investigation. En voici quelques
exemples :
« La presse n’a qu’un pouvoir, celui de faire résonner l’écho des questionnements de ses
lecteurs »63
« La transparence des données, la divulgation des résultats et l’accès du public aux informations
sont des exigences »64
« Il a fallu de nombreux mois à la rédaction pour mettre la main sur les comptes-rendus des
commissions d’études des toxiques de la vieille époque… »65
Cécile Everard, nous rappelle d’ailleurs (cf. entretien), l’importance d’informer la
population sur le rôle du journaliste. « Les gens ont besoin d'être informés sur ce qu'est le
journalisme et sur ce qui n'en est pas! »
Et nous supposons que dans un contexte d’agitation et de méfiance de la population,
l’importance
d’une
telle
communication
est
doublée.
Car
rappelons-le,
ces
communiquées de la rédaction, n’apparaissent qu’au moment où éclate l’affaire du
chlordécone en tant que « scandale ».
62 Entretien Cécile Evrard
63 Supplément FA : 12.12 .07
64 Supplément FA : 31.01.13
65 Enquête FA 19.07.08 « Avant d’être autorisé jusqu’en 1993, en 1968 le Chlordécone avait été…rejeté »
55
Transparence et déchainement médiatique : une communication remise en
question
Le sujet du Chlordécone, a été fortement médiatisé, d’abord localement puis au niveau
national. Mais les remises en question sur la façon de communiquer sur le sujet
apparaissent réellement à partir de 2007.La médiatisation du phénomène en France
Métropolitaine a permis certes de rentre visible la «catastrophe » sanitaire dont étaient
victime les Antilles françaises et la prise en main du dossier par le gouvernement, mais
elle a également participé à des désordres internes, tels que l’affolement de la population,
une mauvaise publicité rendue à l’image des Antilles ternie par la pollution par le
Chlordécone , et un boycott général de la population envers les produits agricoles
locaux.
La présence continue du sujet dans les différents médias et sa prépondérance dans
l’actualité et particulièrement dans la période de gestion de crise (2007) a été source de
vives critiques. On pense particulièrement à la remarque du secrétaire de l’Etat à
l’Outre-Mer Christian Estrosi lors de sa troisième visite aux Antilles françaises
soulignant la « disproportion médiatique » entre l’épidémie de dengue, les dégâts causés
par l’ouragan Dean qui a touché les Antilles françaises à la fin de la période estivale (fin
aout 2007) et la « déferlante » médiatisation du Chlordécone.66
Une déferlante médiatique à temporiser, comme le souligne Louis-Joseph Mansour au
lendemain
de
la
présentation du rapport du
professeur
Belpomme
à
l’assemblé nationale.
66 France-Antilles 20.09.07 « Quarante-huit heures sous la pression du Chlordécone »
56
Député du Nord- Atlantique de la Martinique (une des zones agricoles principalement
touchée par la contamination) Louis-Joseph Mansour appelle à la population à la
vigilance et à la sérénité face aux propos « catastrophiques » véhiculés par les médias :
« nous devons à tout prix éviter la psychose et l’affolement » et insiste sur le fait que les
productions agricoles sont sains et, comme nous l’avons vu en première partie, sont soumises à des
contrôles réguliers et obligatoire depuis 2003 : « Il est important de préciser à la population que
nos terres ne sont pas toutes polluées et que nos produits agricoles font l’objet de contrôles
sanitaires répétés. »67
On retrouve également cette même
volonté chez les petits agriculteurs de
communiquer sur la qualité de leurs
produits, ternie par l’image de l’affaire de Chlordécone et renforcée par la médiatisation
du phénomène. Des manifestations sont organisées notamment par la DIPA (Défense des
Intérêts des Petits Agriculteurs) dans le but recréé du lien et de la confiance entre les
consommateurs et les producteurs locaux.
« Toutes nos terres ne sont pas contaminées … Les consommateurs boudent nos fruits et légumes,
et nous pensons que c’est notamment à cause de l’affaire du Chlordécone. (…)Nous avons
organisé cette manifestation pour les rassurer et leur dire que nos produits sont sains ! »68
Déclare le Président de l’Association DIPA.
La confiance est perdue, d’où la nécessité d’une démarche d’information et de
communication dans le but de rassurer les consommateurs sur la qualité du produit.
« La confiance est difficile à reconquérir. Il faut multiplier ces rencontres qui ont pour objectif
d’une part, de réunir consommateurs et producteur et d’autre part, d’assurer que, du sol à
l’assiette, nos récoltes respectent la sécurité alimentaire » déclare un agriculteur.
67 France-Antilles
21.09.07 : [Réaction de louis-Joseph Manscour , député du nord Atlantique « Nous
devons à tout prix éviter la psychose et affolement »]
68
France-Antilles 12.04.07 : « des produits sains pendant et après la fête de Pâques »
57
Un message rassurant allant jusqu’à sa justification par le biais de preuves : « Mes
produits peuvent être consommés sans danger. Pour preuve, comme les autres agriculteurs de
l’association,
j’ai expédié un échantillon de ma terre au laboratoire LARA
implanté à
Toulouse … Verdict : mon sol n’est pas contaminés » affirme un petit cultivateur. Une
démarche notable des agriculteurs pour rassurer les consommateurs.
La communication pour promouvoir des produits sains et sans danger est d'autant plus
importante que l'affaire du chlordécone touche tous les domaines. Ainsi, la méfiance
générale peut condamner certains producteurs à la vindicte publique lorsque
l'information passe mal, comme le démontre l'exemple suivant.
Le témoignage d’un aquaculteur69, victime également de la contamination au
Chlordécone, permettra à la rédaction de soulever le problème de comment bien
communiquer sur l’affaire.
En effet, Jocelyn Louise, pionnier de l’aquaculture martiniquaise et président de la
coopérative Coopaquam (la Coopérative des Aquaculteurs de la Martinique) témoigne
des répressions dont il a été victime après la visite de la DSV (la direction des services
vétérinaires) lui annonçant que ses écrevisses sont « gorgées de chlordécone » et qu’un
arrêté préfectoral lui en interdisait la commercialisation. Il nous apprend qu’après le
passage de la DSV sur son domaine, les médias, la police, et des riverains se sont rendus
à son domicile pour lui demander des explications « J’ai dénoncé la brutalité avec laquelle
les choses se sont déroulées …les gendarmes viennent aussi à mon domicile mais je ne suis pas un
criminel, je suis la victime » .On assiste à une situation où la victime est elle-même mise en
cause. A la suite de l’article dans un encart intitulé « Mauvais plan de communication », la
rédaction du journal explique qu’un communiqué de presse a été envoyé par la
préfecture dès l’annonce de l’arrêté d’interdiction aux médias dans un souci de
transparence « la préfecture souhaitant jouer sur la transparence
du dossier ».Une
« transparence » qui a finalement porté préjudice à l’aquaculteur. Cet évènement ouvre
69 France-Antilles
11.10 .07 « Un nouveau scandale qui aurait pu être évité »
58
un nouveau débat comment « bien » communiquer sur le sujet sans susciter
effervescence populaire…Où comment communiquer en pleine gestion de crise.
Le tourisme également se prononcera sur le sujet
dans un article du 27 septembre 2007 « Tourisme
et Chlordécone, un amalgame malsain », dans lequel Madeleine de Grandmaison présidente
du comité Martiniquais du tourisme dénonce « ces irresponsables de tous bord qui ont tout
dit surtout l’absurde à propos du Chlordécone ».
Le retentissement de l’affaire et particulièrement la dramatisation de la situation a un
impact sur l’économie de la Martinique et renvoie une image négative, défavorable à la
destination touristique antillaises Car il faut le savoir, le tourisme contribue au
développement et au maintien de l’activité agricole et favorise en grande partie la
pérennité de l’activité des marchands de proximités (petits producteurs agricoles, les
aquaculteurs, les pêcheurs) Un secteur qui représente trois fois plus que celui de la
banane et autant que celui de l’agriculture.70
« On n'imagine même pas les effets sur la destination, sur l’économie, sur tous ces petits
producteurs qui assurent toute l’agriculture de subsistance et notre approvisionnement en produits
du terroir. Ils risquent de ne plus vendre leur production et de ne plus gagner leur vie… »
Madeleine de Grandmaison.
Egalement présidente du Comité du Bassin, elle rappelle à la population que la situation
est sous-contrôle, que l’eau est consommable grâce aux usines de production d’eau
« ultra-moderne » et que le risque sanitaire a été évalué par les autorités .La production
agricole faisant l’objet de procédure de traçabilité régulière. Madeleine de Grandmaison
conclut en préconisant : « L’environnement de la Martinique doit d’abord être sain pour les
Martiniquais eux-mêmes. S’il est sain pour nous, il le sera encore plus pour les touristes qui n’ont
vraiment rien à craindre dans notre pays »
70 CMT comité martiniquais du Tourisme 2012
59
Ainsi la transparence, dans tous les domaines, devient le gage d'une bonne
communication sur le sujet, mais la tâche n'est pas toujours aisée pour les journalistes
dans ce climat de crise.
Les difficultés journalistiques
Durant nos entretiens avec les journalistes Cécile Everard et Franck Zozor, sont
ressorties les grandes difficultés rencontrées dans leur démarche journalistique durant
l’affaire du Chlordécone.
La première difficulté évoquée par les deux journalistes, interrogés chacun
indépendamment, est la communication des services de l’Etat. Même si tous deux
affirment n’être soumis à aucun contrôle, il reste tout de même, soit un frein au rôle
d’information du journaliste : « Les services de l’Etat refusaient toute communication »
(Franck Zozor) , soit une contrainte « la difficulté arrive tout de suite lorsque les questions ne
vont pas dans le sens de la communication de l'Etat ou d'autres »( Cécile Everard) ou encore
source de litige « lorsque cela fait trop de bruit : quand France-Antilles a annoncé en Une la
contamination des langoustes, alors que l'Etat et la profession avaient prévues plusieurs années
pour mettre en place leur stratégie de communication, cela a beaucoup fait râler » (Cécile
Everard)
La seconde difficulté rencontrée en commun, est la complexité de l’investigation. En
effet, toute source doit être vérifiée et le dossier du Chlordécone révèle d’une technicité
spécifique. « C’était à la fois un travail d’investigation puisque toutes les informations des
écologistes devaient être vérifiées quelque fois en anglais, nous devions nous même aller sur des
pistes de travail très techniques pour réaliser nos reportages », précise Franck Zozor
Mais ce dossier exige également une investigation longue : « je m'engage parfois sur des
sujets qui me demande plusieurs semaines de travail : qu'en est-il de la faune
marine ? …l'interdiction de la chlordécone en 1968… » Cécile Everard
60
Cependant pour nos journalistes, ces premières difficultés évoquées ne sont pas les plus
éminentes.
Pour Franck Zozor, journaliste et reporter pour le journal Martinique première, l’une
des plus importantes difficultés a été tout d’abord de communiquer sur un sujet qui dans
les années 90 n’était pas encore un porteur71. Puis la seconde, était la crédibilité de leur
investigation auprès d’un public « sceptique 72» en sachant que les services de l’Etat ne
reconnaissaient pas à cette époque la contamination. « Nous n’étions pas très crédibles,
c’était croire à des hypothèses qui étaient contredites par les responsables des différents services de
l’Etat »73.
Enfin sa dernière difficulté a été de défendre les causes des associations écologistes alors
que, pour l’opinion publique, celles-ci sont rattachés à un mouvement politique, à savoir
le mouvement indépendantiste. « Les écologistes martiniquais avaient et ont toujours cette
étiquette politique d’indépendantistes, les représentants de l’Etat n’avaient aucun mal à faire
croire à la population et aux journalistes qu’il ne s’agissait là que de manœuvres politiques »
Quant à Cécile Everard, elle précise que « la rumeur » reste l’une des grandes difficultés
du terrain, elle déforme les vérités, et nuit à son rôle d’informatrice.
« La rumeur populaire, on y pense pas toujours mais elle est terrible. Je passe sur les idées
d'empoisonnement volontaire de la population à l'époque de l'épandage…mais je peux prendre un
exemple tout simple : les gens sont persuadés que la chlordécone a été épandue par avion, ce qui n'a
jamais, jamais été le cas ! »74
71 Le
début des années 70 marque un tournant dans la prise de conscience environnementale, tant au
niveau national qu’international. Les catastrophes écologiques ont beaucoup participé à celle-ci.
Cependant la sensibilisation aux Antilles se fait plus tardivement. Cette affaire y a d’ailleurs participé.
72
Entretien Franck Zozor
73
Entretien Franck Zozor
74
Entretien Cécile Everard
61
D’ailleurs, dans le supplément de décembre
2007, on retrouve en deuxième page, un
article de Cécile Everard introduisant le
dossier, intitulé : « Tordre le cou à la rumeur »75
75
Supplément 12.12.07 « Chlordécone pour tout savoir 50 questions-50 réponses »
62
Chapitre 2 : Chlordécone un catalyseur de Rancœur76
Ton ironique, Satire, neutralité journalistique ?
L’ironie est une façon d’exprimer la position du locuteur par rapport à une situation
donnée. Elle a une valeur argumentative pour introduire une autre approche. Il s’agit de
la vision de l’ironie comme feintise77. En étudiant de manière chronologique le discours
médiatique de 1998 à 2013, nous avons pu constater une évolution dans le ton
médiatique du journaliste.
Si dans les débuts de l’affaire, le discours impartial des journalistes est notable, (dans
une logique d’information stricte), durant la période de gestion de crise au niveau
national (fin 2007), il est connoté d’indices linguistiques trahissant la subjectivité du
journaliste et sa prise de position dans le débat. Des idées implicites véhiculées par des
figures de rhétoriques telles que l’ironie, l'antiphrase ou l'hyperbole, comme nous allons
le voir plus en détail.
Prenons pour exemple un article d’octobre 200778« Salon professionnel du tourisme, le
chlordécone en vedette » faisant étalage des différents points évoqués lors du salon du
tourisme de Deauvillais., là où l'on attend de vraie « vedettes », en chair et en os, le
chlordécone s'invite encore, personnifié en un véritable parasite qui s'impose ici. En effet,
il s'agit là d'un salon professionnel du tourisme monopolisé par les préoccupations
environnementales et sanitaires des DOM « car depuis deux semaines, la Martinique
touristique a du plomb dans l’aile dans les journaux parisiens ». Apres de vifs échanges entre la
presse et Madeleine de Grandmaison (présidente du comité Martiniquais du tourisme 03-10)
76 Expression de Cécile Everard, interview Q7, Supplément 12.12.07 « Chlordécone pour tout savoir 50
questions-50 réponses »article : « tordre le coup de la rumeur »
77 Clark & Gerrig (1984)
78 FA 2.10.07 « Salon professionnel du tourisme, le chlordécone en vedette »
63
rectifiant « les nombreuses approximations » à propos de la contamination des sols
martiniquais, était attendue l’intervention de Luc Chatel (secrétaire d’état au tourisme)
qui devait se prononcer sur le cas antillais et sur le plan d’urgence mené. Une
intervention qui n’a lieu qu'après la question des représentants antillais sur le
déferlement médiatique et ses conséquences sur le tourisme, ce que l'article ne manque
pas de le rappeler sous la plume ironique du journaliste. Ce dernier fait naître alors une
certaine connivence entre lui-même et son lecteur.
On retrouve le sous-titre suivant : « Le secrétaire d’état a-t-il déjà oublié les Antilles ? »,
fausse naïveté satirique qui souligne à la fois le peu de constance et le ridicule d'une telle
supposition pour un secrétaire d'état !
De plus, le journaliste dénonce implicitement le jargon professionnel utilisé et le
manque de clarté de sa réponse donnée aux représentants martiniquais et à la presse :
[Luc Chatel a ajouté que cette campagne allait bénéficier d’un « déploiement de moyens et de
dégel de crédits » (Vous avez compris ?) et que l’autre axe prioritaire de discussion avant l’hiver
serait celui de la compétitive des tarifs aériens transatlantiques durant les périodes de pointe. Tout
un programme…] » fin de l’article. Le journaliste n'hésite pas à développer une certaine
familiarité dans le ton, qui dévoile à la fois une certaine lassitude face à la langue de bois
ou le langage volontairement obscur du ministre, établissant une réelle complicité
recherchée avec le lecteur.
Car la lassitude s'installe effectivement, lorsque les visites officielles se multiplient et se
ressemblent tant, au coeur d'un scandale qui n'en finit pas de se nourrir de lui-même.
Voici l’exemple significatif de cette patience poussée à bout : face aux nombreuses
rencontres interministérielles, visites officielles aux Antilles, conférences etc., la
population antillaise est dans l’attente d’une avancée du dossier, par des actions
concrètes (le risque sanitaire étant contrôlé dans les Antilles françaises depuis 2003)
On ressent dans la formulation des questions du journaliste et dans la retranscription du
discours une forme de lassitude dans un dossier qui stagne et dans lequel on s'embourbe
plus chaque jour. Les mêmes discours se multiplient, et l'ex Interview Didier Houssin,
présent lors du Grephy (directeur général de la santé) laisse bien entendre le peu
d'espoir qui accompagne chaque nouvelle conférence, le ton de l'impatience est presque
audible dans la question suivante, dont la réponse reste plus que décevante :
64
Le journaliste : « Est-ce que vous arrivez avec des moyens supplémentaires ou bien des annonces
sur des dossiers aussi délicats que l’indemnisation des agriculteurs sur l’avenir des terres
chlordéconées ou sur les nouvelles limites maximales de résidus ? »
-Didier Houssin : « J’en suis au stade préparatoire… »79
De même, dans un autre article l’interview de la Ministre Michèle Alliot Marie, on
retrouve des questions orientées faces aux vives polémiques sur le sujet autour des
pesticides discréditant le gouvernement français :
Journaliste « Depuis quand avez-vous considéré la question du chlordécone comme une question
vitale de la santé publique ? »
La ministre : « Ce sujet a fait l’objet d’un suivi régulier ces dernières années … »80
La réponse rapportée est, dans les deux derniers exemples, particulièrement décevante
et suivie de points de suspensions qui soulignent l'inutilité d'en dire davantage : le fait
est qu'il n'y a aucune nouvelle réponse, que les politiques semblent seulement user d'un
discours volontairement vague et vide, tout en occupant le terrain pour couper court à la
polémique qui continue d'enfler.
81
Ainsi la crédibilité de la parole politique estelle mise à mal de plus en plus souvent, ce qui
peut sembler étonnant, dans un journal
officiel comme le France-Antilles, comme l'atteste le titre suivant : « l'épandage aérien,
bientôt interdit... sauf dérogation. ». Les points de suspension laissent attendre une
reprise, une correction ironique de cette phrase qui perd tout sens de vérité pour
souligner le peu de fiabilité d'un discours qui ne peut ainsi qu'alimenter la méfiance du
public.
FA : 22.10.07 : [Interview : Didier Houssin : « C’est au niveau national que la coordination doit être
améliorée »]
79
80
81
FA : 19.09.07 La« bombe »chlordécone : réactions tous azimuts
FA du 30.10.08 dossier « nouvelle mesure contre les pesticides » titre évocateur, ironique
65
C'est à la fois pour rendre compte d'un débat qui s'éternise, mais également pour
continuer à intéresser le lectorat, que les articles sont pourvus de titres souvent
virulents, ironiques ou polémiques, donnant alors discours médiatique un nouvel aspect.
Au-delà de l'information pure, il semble qu'une vision nouvelle soit imposée, celle d'un
ras-le-bol généralisé, et d'une attente de solutions et de réponses qui n'est jamais
comblée.
Des titres évocateurs82
Tout d'abord, les titres semblent se faire l'écho du livre scandale le 2007, Chronique d'un
empoisonnement annoncé, on voit fleurir en tête des articles des titres au vocabulaire
particulièrement violent, évoquant la mort et l'idée de responsables directs. Ainsi, [ La«
bombe »chlordécone : réactions tous azimuts »], suggère des réactions inappropriées,
disparates, confuses et donc inefficaces, face à une « bombe », dont la capacité de
78
exemples titres évocateurs
FA 13.04.07 : « qui nous a empoisonnés » titre très violent et accusateur.
FA 04.10.07 « Experts ou faux-airs »
FA 25.07.07 : « un pesticide en moins des vies en plus »
FA 18.09.08 « Chlordécone : un an après, où en sommes-nous ? »
FA 19.11.12 « Chlordécone, langoustes et communication, Un silence coupable »
66
destruction est à peine imaginable, tandis que le titre « qui nous a empoisonnés », cherche
clairement un coupable, réunissant toute la population antillaise dans le « nous »
victime.
Les journalistes se lancent alors dans la recherche de titres chocs. Il faut sans cesse se
renouveler, en passant par l'humour d'un jeu de mots : « Experts ou faux-airs »7, fait
ainsi entendre une étrange similitude de sonorités qui laisse deviner les
« faussaires », « un pesticide en moins des vies en plus »8, par l'usage d'une simple antithèse,
semble suggérer que les réponses à ce scandale ne sont pas si compliquées, ce n'est
qu'une question de logique pure, où la vie devrait toujours primer sur un simple produit
chimique, quels que soient les intérêts qu'il y aurait derrière.
Pourtant le discours piétine, il n'y a parfois pas d'autre titre à trouver, que celui qui
s'interroge sur un débat qui s'enlise : « Chlordécone : un an après, où en sommes-nous ? »9.
On remarque encore ici le « nous », car, dans cette affaire, tout le monde est directement
ou indirectement concerné, sur le plan sanitaire, social, économique ou politique.
Enfin, alors qu'on pourrait s'attendre à une accalmie dans le ton polémique du discours,
les articles comme les titres poursuivent au contraire leur chemin vers l'accusation, car il
s'agit de comprendre, de distinguer les acteurs de ce triste théâtre, pour que l'affaire ne
répète pas, à l'heure où l'on voit les effets du chlordécone se révéler dans d'autres
secteurs d'activité : « Chlordécone, langoustes et communication, Un silence coupable », titre
d’un article de France Antilles en novembre 2012.
En effet, tout est affaire de communication, dans les médias, qui servent à mieux
comprendre le sujet comme à se faire le relai des nouveaux éléments, mais aussi entre les
différents acteurs politiques, économiques ou producteurs, dont le « silence » est bien
« coupable » car il laisse se répandre un peu plus chaque jour le pouvoir du Chlordécone
dont on tâche d'ignorer l'ampleur.
Ainsi, lorsque les conséquences deviennent si lourdes, il n'est d'autre secours que
l’humour. Les dessins de presse ont aussi leur place entre les discours polémiques ou
ironiques.
67
Dessins satiriques
A la fin de l'année 2007, précisément au moment où se multiplient toutes les rencontres
interministérielles dont on ne voit pas les effets, les titres se faisaient déjà plus virulents.
Sans doute pour pallier la lassitude de la population ou la redondance de l'information,
les articles sont parfois accompagnés de dessins satiriques qui permettent de mettre en
évidence les ridicules des acteurs ou du sujet lui-même.
31 octobre 2007
30 octobre 2007
FA 30 octobre 2008
68
Chapitre 3 : Le catalyseur de rancœur
« Aujourd’hui, cette molécule est devenue un catalyseur de rancœur. Le chlordécone est le symbole
de la méfiance, voire du rejet de l’Etat français, de l’écrasante domination économique des békés,
de la perte des traditions… » Cécile Everard83
Discours polémique, l’heure est aux responsabilités.
Le livre Chronique d’un empoisonnement annoncé de Louis Boutrin et de
Raphael Confiant publié en mars 2007 amène pour la première fois sur la
scène médiatique antillaise84, le mot « scandale » permettant de
réorienter le débat et de politiser l’affaire du Chlordécone. Et soulèvera
la question des responsabilités. « Personne n'a vraiment intérêt à ce que cette
affaire éclate au grand jour. Plusieurs personnalités politiques nationales de
premier plan, notamment des anciens ministres, sont directement concernées par
ce véritable scandale qui, après la contamination des sols et des ressources en eau
potable, débouche sur un dramatique problème de santé publique »
Cet ouvrage s'inscrit dans le fil du journalisme d'investigation. Il s'appuie sur des
documents, des dossiers, des études ou des rapports inconnus du grand public, et
souvent inaccessibles. Une investigation qui permet de retracer l’histoire de ce produit et
de soulever toute l’ambiguïté de l’affaire du Chlordécone. Un produit phytosanitaire
dont la toxicité avérée depuis les années 70 et utilisé pendant vingt ans dans les
plantations de bananes, au « mépris » des législations en vigueur.
83 Supplément 12.12.07 « Chlordécone pour tout savoir »
84 Scène médiatique Antillaise, car c’est le professeur Belpomme qui a fait retentir l’affaire sous forme de
scandale au niveau national .
69
C’est alors dans un registre polémique et accusateur que les auteurs jettent un regard
insistant sur la puissance du lobby « béké »85, sur la proximité d’intérêts entre les
grands propriétaires terriens des iles et certains membres du gouvernement français et
également sur la politique de « laisser-faire »86 révélatrice d’une « faillite » de
l’administration française d’Outre-mer.« comme en Guyane avec le Mercure, comme en
Polynésie avec les irradiations liées au effets nucléaires de Mururoa ».
Insinuant également l’existence d’une « loi de l’omerta »87 régnant aux Antilles
françaises.
L'influence du livre tient essentiellement à la puissance des images qu'il évoque, les
populations étant présentées comme victime d’une manipulation, faisant référence à des
évènements parmi les plus noirs de l'histoire de l'Humanité : conduit dans un esprit
esclavagiste qui serait toujours vivant chez les békés. Un complot qui aurait pour but de
procéder à un « génocide par stérilisation»88.
Ainsi, pour les auteurs, l’affaire du Chlordécone est comparable à celle de l’Amiante, du
sang contaminé et de la vache folle. L’heure est aux accusations.
Cet ouvrage a rencontré un écho local non négligeable, mais faible en métropole. Les
critiques ont été vives suite à la publication de l’ouvrage. Accusé pour certains d’être
« un fond de commerce », un ouvrage visant à « détruire l’agriculture martiniquaise » mais
également d’être « d’un chiffon rouge agité à tort et à travers » 89 . Comme l’évoquait
Franck Zozor dans ses difficultés rencontrés lors de l’affaire, les écologistes militants
85 «
Béké »nom créole, relatif à la population des colons blancs antillais. Les « békés » représentent moins
de 1% de la population locale et possèdent 56% des terres agricole.
86 FA13.04.07
Chlordécone : le livre qui accuse, entretien Louis Boutrin , auteur du livre « chronique d’un
empoisonnement annoncé »
Il faut savoir qu’il y a également de nombreux mythes populaires autour de la communauté béké, étant
un groupe socialement fermé.
87
88«
Chronique d’un empoisonnement annoncé »Louis Boutrin et Raphael Confiant
89 Antilla 18.04.07
« Chlordécone, Montray Kreyol fustige RFO et Paulo ».Propos : radio RFO viceprésident de la FNSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles)
70
sont dotés d’une étiquette indépendantiste, et qu’il est facile de discréditer leur travaux.
Ce qui est d'autant plus le cas pour les auteurs de « Chronique d’un empoisonnement
annoncé » par leurs orientations politiques autonome voire indépendantiste.
Les avis des journalistes interviewés se rejoignent relativement concernant le poids de
cet ouvrage dans l’affaire du Chlordécone. Pour aucun d’eux il n’a été un tournant dans
l’affaire. Tout d’abord parce qu’il n’apportait aucune donnée nouvelle. « je me demande si
quelqu’un se souvient encore de la problématique qu’il développait » (Franck Zozor) mais
également parce qu’il n’a pas eu l’impact escompté au niveau de la population.(Cécile
Evrard)
Cependant, il est le premier ouvrage récapitulant les faits de manière chronologique, ce
qui permet d’avoir une vue d’ensemble de l’affaire. C’est aussi, l’un des premiers à traiter
de la dimension polémique de l’affaire du Chlordécone. « Cela faisait du bien d'avoir
quelque chose d'un peu synthétique sur la question, polémique etc. » Cécile Everard
Pourtant, si l'impact de cet ouvrage reste tout relatif, les problèmes de responsabilités
qu'il soulève ont trouvé un écho qui se fait de plus en plus entendre dans les réseaux
sociaux, ou le journal Antilla. Ainsi met-on davantage l'accent sur les effets indirects
mais presque criminels du passé colonial, dont l'affaire du chlordécone ravive les plaies.
Passé colonial et discours incriminant
On a pu relever à de nombreuses reprises des articles aux registres polémiques dans la
revue hebdomadaire politique et économique de la Martinique Antilla. Mais dans le
journal de référence France-Antilles, mis à part les interviews des différents intervenants
de l’affaire, aucun écrit ne mettait réellement l'accent sur une volonté affichée de mettre
à mal la population antillaise à des fins destructrices ou criminelles, jusqu’à la lettre
71
ouverte de Garcin Malsa90 publiée dans l’édition du 4 octobre 200791 au titre évocateur :
« Pesticides : génocide à retardement » Le terme « génocide », particulièrement fort, évoque
littéralement un crime contre l'humanité, on est bien au-delà du scandale.
Au regard de l’histoire, Garcin Malsa, ne manque pas de rappeler l’étroit lien financier
qui unit l’Etat Français et les colons de la Martinique. Agissant jusqu’à ce jour dit-il
dans l’intérêt de celui qu’il défend. Il insinue alors que la forte médiatisation de la
contamination par le chlordécone dans l’eau, le sol, les denrées alimentaires, est une
stratégie du gouvernement français pour rendre dépendants les antillais aux produits
importés de la métropole. Des produits vendus en grande surface en sachant que cellesci sont détenues par ces mêmes « héritiers » colons. Par « la panique sanitaire »
engendrée par la médiatisation de la situation, les antillais se détournent des produits
locaux (« du pain béni » pour les industriels). « Il s’agit d’abord de lancer auprès des
martiniquais une campagne de peur et de dénigrement pour les écarter de toutes leurs cultures
agricoles et faire place de plus en plus aux produits importés renforçant du coup la puissance des
supermarchés ». Il prône alors la théorie d’un complot politique et économique.
Pire encore, Garcin Malsa insinue que les Antillais seraient les pions d’une démagogie
néo-coloniale. Il parle alors d’« assimilation par la consommation ».
« On arrive à rendre dépendant les martiniquais et à les assimiler intégralement. Ici c’est
l’assimilation par la consommation qui succède à l’assimilation par la force et l’assimilation par
la persuasion »
Il renfonce ses arguments en démontrant les traitements inégaux de sécurité sanitaire
entre la métropole et les anciennes colonies. Ce qui rappelle l’évènement des patates
douces contaminés à Dunkerque au début de l’affaire en 2002 (avec le principe de
précaution, comme nous le rappelons dans la 1ère partie de ce mémoire).
90 Personnalité politique écologiste et indépendantiste de la Martinique. Maire de Sainte-Anne
(Sud-Ouest de la Martinique) depuis 1989
91 FA 4.10.07 : « Pesticides : génocide à retardement »
72
La production locale est soumise à des contrôles sanitaires dès son arrivée en métropole,
alors que celle de métropole est directement mise sur le marché antillais. C’est le «
mythe du Colbertisme » dit-il, qui assure que tout ce qui vient de l’Hexagone est « supérieur
et de bonne qualité et non promu au contrôle sanitaire » (on retrouvera ces insinuations lors
des débats sur la crédibilité des travaux scientifiques antillais)
En allant plus loin dans ses suppositions, le politicien écologiste, émet également
l’hypothèse que les zones contaminées par le Chlordécone seront classées
« constructibles » favorisant ainsi les investissements immobiliers métropolitains et
étrangers.
« On suppute déjà, avec une certaine assurance dans certains milieux proches des responsables
politiques français, que ces terres devront être classées constructibles. Voilà donc une occasion rêvée
pour transformer le pays en lieu de villégiature pour attirer étrangers en quête de soleil et de mer.»
Et par conséquent la mise en danger de tout le patrimoine Antillais, il parle alors de
«génocide par substitution ».
Cette situation qui dépasse le cadre antillais s’étendant à tous les pays producteurs de
banane où les pesticides sont déversés à outrance sans aucun contrôle sanitaire et
environnemental au détriment de la société civile.
Une stratégie multi-séculaire des pays « dominateurs » (anciens empires coloniaux)
pour conserver « leur position de maitre sur ceux qu’ils estiment être éternellement en position
d’infériorité » dans des lieux convoités par leurs richesses naturelles.
Il appelle alors à l’union et à la solidarité des pays producteurs de la banane sous
emprise d’une pollution causée par les pesticides pour exiger réparation et à maîtriser
leurs productions sur lesquelles ils devront garder leur souveraineté.
73
Conclusion
Le Chlordécone est donc devenu plus que familier sous la plume des journalistes, à
l’oreille des téléspectateurs ou aux yeux des lecteurs. Lui qui partageait l’affiche à égalité
(voire d’avantage ) avec le cyclone Dean, dévastateur, en 2007, il est devenu un leitmotiv
quotidien dans la presse des Antilles françaises, et en particulier en Martinique. Le
Chlordécone restera donc un scandale qui dépasse en conséquences et peut-être en
couverture médiatique sur la durée le scandale de l’amiante, d’autant que vient encore
d’être relancée la question des répercutions sur la santé : L’Inserm, Institut national de
la santé et de la recherche médicale, publie ce 13 juin 2013 un rapport confirmant le lien
entre pesticides, et toutes les maladies que le Professeur Belpomme jugeait directement
causées par le Chlordécone.
Car c’est bien parce que le problème dépasse largement l’utilisation locale de ce produit
dans les bananeraies. C’est dans tous les domaines, aujourd’hui, que la molécule
incriminée: la terre, donc les légumes qui y poussent, mais aussi l’eau, donc les poissons
et crustacés qu’on y pêche où qu’on y élève sont touchés.
Les récents articles du France Antilles des 19, 20 et 21 décembre 2012 titrait autour du
« bras de fer », du « blocage », ajoutant, le 21: « Pêche : le conflit se radicalise ». On évoquait
dans les articles des manifestations et surtout un blocus particulièrement difficile et
conséquent sur l’économie, à l’approche des fêtes de fin d’année, et manifestations
pourtant marquées par une solidarité d’autres secteurs, qui soutenaient le mouvement.
Les derniers titres de journaux, parus en cette première moitié de l’année 2013, restent
édifiants : le dernier supplément gratuit, par exemple, dresse une carte précise des eaux
polluées.
Le chlordécone s’attaque donc à tous les domaines : l’agriculture, la pisciculture, mais
également la santé, et, bien sûr l’économie. Moi qui, lorsque je viens en Martinique,
travaille fréquemment à la compagnie maritime CMA-CGM, en lien avec les transports
d’exportation / importation, j’ai vu les effets de telles grèves sur l’économie, lorsque
périssent dans les conteneurs des millions d’euros de marchandise.
74
L’étude des reportages dans la première partie permet de remarquer que les alarmes sur
les pesticides comme le Chlordécone sont restées très longtemps lettre morte. Le
dialogue n’était pas systématique, un mur semblait s’élever entre les écologistes et les
politiques, entre les scientifiques et les ministres à même de financer de réels projets de
recherche.
Ainsi, l’étude de la médiatisation de l’affaire du Chlordécone permet de proposer un
double bilan : le fait d’avoir porté ce débat dans l’arène médiatique a certes ouvert la
porte à des débats plus violents et polémiques concernant le lien avec la Métropole, les
pouvoirs publics ou les « Békés », mais on peut également retenir la force de la
mobilisation, qui a permis de chercher de réelles solutions et d’harmoniser le dialogue,
qui manquait jusque-là de cohérence et de suite. Les articles se succédaient sans que soit
proposée une analyse synthétique et claire, l’information, jusqu’en 2007, restait très
disparate, et il a visiblement fallu qu’éclate le scandale pour que la question soit prise au
sérieux et qu’on commence à chercher des solutions.
La médiatisation offre donc aujourd’hui un double visage. Le premier est celui qu’offrent
les réseaux sociaux et le public, lorsqu’il est directement interrogé. On se tourne vers le
passé, cherchant les responsables et condamnant de façon très violente une sorte de
suite logique de la colonisation, comme s’il s’agissait de détruire à petits feux
l’agriculture locale, pour laisser place aux grandes villas à la « villégiature »européenne.
Ce discours haineux est relayé par Twitter ou Facebook, une position anti-postcolonialiste que n’étaye aucun élément probant, si ce n’est les lettres de dérogation
accordées par l’Etat français à la Martinique pour l’usage prolongé du Chlordécone et de
ses dérivés. Mais cette utilisation paradoxale, après l’interdiction officielle en France
comme au Canada, était d’abord justifiée par les impératifs économiques, la banane étant
la première source de revenus des Antilles françaises, et le charançon son premier
ennemi.
La presse tient un rôle particulièrement important pour désamorcer ces conflits latents.
Il s’agit d’abord de proposer des dossiers-compléments pour permettre au public de
connaître parfaitement les causes et conséquences objectives de l’usage du chlordécone,
pour répondre aux problématiques posées par la gestion d’une communication de crise.
Communiquer avec un public devenu méfiant est délicat. D’autant que le public est
75
également las, voire inquiet, de voir s’étaler à longueur de temps des titres qui ont des
conséquences sur le travail des agriculteurs et de nombreuses personnes touchées
directement ou indirectement par cette crise. On regrette alors amèrement les
interventions du Professeur Belpomme, qu’on accuse de s’être mêlé de ce qui ne le
regardait pas, d’avoir dramatisé l’affaire et contribué à faire plonger l’économie entière
des Antilles françaises.
Dès lors la médiatisation doit quitter le rôle d’avertisseur, de lanceur d’alerte, et adopter
un second visage, résolument tourné vers l’avenir. C’est ce que propose France Antilles
en évoquant les solutions possibles pour une sortie de crise. Dès 2007, un article du 20
septembre, au moment même où frappait le cyclone Dean, titrait « lutter contre le
charançon sans recourir aux pesticides », en évoquant un moyen aussi simple que bioresponsable, mais fastidieux : il s’agissait de disposer des pièges à phéromones pour
attirer les parasites loin des bananiers. Aujourd’hui, la Martinique se tourne également
vers le Brésil, « nouveau partenaire des agriculteurs antillais », comme le titre l’article
FA du 15 novembre 2012. L’Amérique du sud, également productrice de bananes, a en
effet signé un accord avec le Cirad, dont « l’axe prioritaire est la lutte contre la
cercosporiose noire » et les charançons. Cependant la solution n’est pas encore trouvée,
puisque le Brésil utilise lui-même de puissants insecticide et pesticides, par épandage
aérien, ce qui est loin d’être un exemple écologique ! Cependant, le 15 novembre de cette
même année, un dossier intitulé « la banane au Brésil » évoque « une méthode
alternative à l’épandage aérien en essai », ce qui laisse espérer une amélioration dans les
prochaines années, bien que se pose encore la question de la possible ou impossible
dépollution des sols et des eaux…
Il semble donc que l’on cherche enfin réellement à obtenir des réponses et à chercher des
solutions depuis que politiques et représentants de la cause écologique sont entrés dans
un dialogue constructif. En effet, le Professeur Belpomme, quoi qu’en disent les médias
et le public, a donné un certain crédit à la parole des écologistes, qui résonnait jusqu’en
2007 dans le vide, et la méfiance générale s’est en partie atténuée depuis qu’il y a une
communication entre les deux instances, que les « écolos » sont intégrés au débat et
invités à coopérer pour trouver des solutions.
76
Mais quelles que soient les suites qui seront données à cette affaire, on peut cependant
entrevoir quelques nouvelles questions. En effet, la crise est durable, de par la pollution
profonde des terres, et l’on peut se demander comment aider à une possible reconversion
des agriculteurs , des petits producteurs locaux, des pêcheurs qui sont souvent marqués
par un fort taux d’analphabétisme, et ont poursuivi cette activité de père en fils depuis
des générations.
D’autre part, il semble que ce scandale n’ait pas pollué que les terres : un schisme semble
s’être installé entre les Antilles françaises et la Métropole, rupture profonde largement
relayée, encore une fois, par les réseaux sociaux, dont le pouvoir de sape peut être
énorme. Ainsi, ce n’est peut-être pas pour rien que les Antilles s’allient de préférence à
d’autres pays désormais pour chercher des réponses, comme avec le Brésil ou le Canada.
Le France Antilles du 19 novembre 2012 soulignait justement une de ces interrogations
qui entretiennent la méfiance : les fonds débloqués dans le cadre du « plan chlordécone »
ne sont pas toujours utilisés de façon transparente, comme le suggère le titre : « à qui ont
profité les 2,2 millions d’euros ? »92…
92
France Antilles du 19 novembre 2012
77
Bibliographie
Ouvrages :
 Belpomme Dominique, Ces maladies créées par l’homme, éd. Albin Michel, 2004
 Boutin Louis, Confiant Raphaël, Chronique d’un empoisonnement annoncé, Le scandale
du chlordécone aux Antilles françaises, 1972-2002, éd.Harmattan, 2007
 Blateau Alain , Claude Pascal, Daoud Walid ,Godard Eric ,DSDS de Martinique ,CIRE
Antilles Guyane ,Produits phytosanitaires en Martinique-Impacts sur la distribution d’eau
potable ,in la tribune des Antilles ,2001
 Boutrin Louis, contamination aux pesticides, l’agriculture menacée, in la tribune des
Antilles ,Edito,2003
 Chateauraynaud F., Torny D, Les sombres précurseurs. Une sociologie de l'alerte et du
risque Editions de l'EHESS, 1999
 Emmanuel Henry, Amiante, un scandale improbable, sociologie d’un problème public
Presse Universitaire de Rennes ,2007
 Fintz Matthieu, L’autorisation du chlordécone en France 1968-1981
 Gaumand Claude, Alain Gravaud Alain, Évaluation des actions menées en rapport avec la
présence de chloredécone et autres pesticides organochlorés en Guadeloupe et en
Martinique, 2004
 JOLY Pierre-Benoit La saga du chlordécone aux Antilles françaises Reconstruction
chronologique 1968-20081, INRA /SenS et IFRIS,2010
Presses :
France-Antilles de Martinique ( journal de référence)
Antilla : magazine politique , économique et culturel
Factiva presse nationale
Chaine de télévision Martinique 1er : extraits journal télévisé du soir
78
Remerciements
Je souhaitais adresser mes remerciements les plus sincères aux personnes qui
m'ont apporté leur aide et qui ont contribué à l'élaboration de ce mémoire à
savoir :
-
Mr Patrice Flichy, professeur de sociologie à l’Université Paris-Est Marne-laVallée et directeur de recherche de mon mémoire.
-
Mme Jocelyne LABEJOF, Responsable de la documentation et des archives à
L’ARS (Agence Régionale de la Santé) qui m’a transmis tous les articles de
presse archivés de 2002 à 2010.
-
Mme x, Responsable Archives Départementales de Martinique.
-
Franck ZOZOR, journaliste de la chaine télévision Martinique 1ère pour
l’entretien qu’il m’a accordé lors de mon interview, la mise à disposition des
reportages vidéo.
-
Cécile EVERARD, journaliste pour le journal local France-Antilles pour
l’entretien qu’elle m’a accordé.
-
Mr ATO, Chef pôle Protection de l’environnement et suivi des contaminations
végétaux de la Martinique (POLE PESC) pour ses rapports et statistiques suite
à ses réunions à la préfecture.
-
Florence CLOSTRE, Ingénieur en Agronomie au CIRAD (centre de recherche
Agronomique pour le développement)
-
Mme VALENTINE, Responsable service communication à la CHAMBRE
d’AGRICULTURE de la MARTINIQUE pour sa documentation.
A ma famille, mes amis, Corinne, Betty, Katia et sans oublier à mes chers
parents Jean-Noël et Frédérique qui ont veillé sur moi durant toutes ces
longues nuits d’insomnies… à distance.
79
Annexes
80
Liste des intervenants dans l’affaire du Chlordécone
- ALLIOT-MARIE Mme Michèle Ministre de l’Outre-mer et des collectivités territoriales de 2007.
- BACHELOT Roselyne Ministre de la santé et des sports de mai 2007 à novembre 2010.
- BARNIER Michel Ministre de l’agriculture et de la pêche de juin 2007 à juin 2009.
- BELPOMME Dominique, Professeur de cancérologie. Il est membre de plusieurs sociétés
savantes internationales et président de l’ARTAC, Association pour la Recherche Thérapeutique AntiCancéreuse, fondée en 1984, et connu pour ses travaux de recherche sur le cancer.
- BERTRAND Patrick Chef du service de protection des végétaux.
- BOUTRIN Louis Auteur, éditeur, Directeur de publication du magazine « La tribune des Antilles ».
- CADOT Michel Préfet de la Martinique de 2000 à 2004.
- CHARTOL Paul- Henri Vice-président du comité de bassin et membre de l’ASSAUPAMAR.
- CHARTOL Paul-Henry Ancien Vice-président du comité de bassin.
- CONFIANT Raphaël Ecrivain.
- DAVIDAS Pierre Ecologiste et fondateur de l’association de l’Assaupamar.
- De GRANDMAISON Madeleine a été conseillère régionale de 1983 à 2010. Elle a
présidé le Comité Martiniquais du Tourisme de sa création de 2003 à 2010. Par ailleurs,
elle est depuis 1996, Présidente du Comité de Bassin de la Martinique.
- Edmond Mariette Philippe Avocat, 1er adjoint au Maire du Lamentin.
- ESTROSI Mr Christian secrétaire d’Etat chargé de l’Outre-mer de 2007 à 2008.
- EVERARD Cécile journaliste à FRANCE-ANTILLES presse locale.
- FILLON François Premier Ministre de mai 2007 à mai 2012 .
- GRABIN Florent directeur de L’association PUMA (Pour une Martinique autrement).
81
- GRALL Jean-Yves Directeur Général de la santé au ministère du travail, de l’emploi et
de la santé. Il était directeur de l’agence régionale d’hospitalisation depuis août 2007
puis de L’ARS de lorraine depuis Mars 2010.
- HOUSSIN Didier Directeur général de la santé.
- HOUSSIN Didier, Directeur général de la santé, chargé par le Premier Ministre d’une
mission de pilotage et de coordination du plan d’action interministériel sur le chlordécone.
- JOSEPH-MANSOUR Louis Maire de TRINITE et Député de la 1er circonscription de la Martinique.
- KOSCIUSKO-MORISET Nathalie Secrétaire d’Etat chargé de l’Ecologie de novembre 2010 à février
2012.
- LASAFFRE Benoit Ingénieur, il rejoint le ministère en charge de l’environnement à la fin des
années 1990.Il travaille en étroite collaboration avec les préfets et le chargé de mission
interrégional sur le Chlordécone.
- LETCHIMY Serge Maire de Fort de France du 19 mars 2001 au 26 mars 2012 et Député de
la 3é circonscription de la Martinique depuis le 20 juin 2007.
- LISE Claude Président du conseil Général de la Martinique 1992 à 2011 et Sénateur de 1995
à 2011.
- LUREL Victorin Président conseil régional de la Guadeloupe du 29 mars 2004 au 03 août
2012 et député de la 4e circonscription de la Guadeloupe du 19 juin 2002 au 21 juillet 2012.
- MALSA Garcin Maire de Sainte-Anne depuis 1989 et conseiller général depuis 1988.
- MULTIGNER Luc chercheur épidémiologiste à l'Institut national de la santé et de la
recherche médicale (INSERM).
-
OLLIER Patrick président de l’assemblée nationale du 07 mars au 19 juin 2007 et
Ministre chargé des relations avec le parlement du 14 novembre 2010 au 10 mai 2012.
- REMIR Juvénal Président de la CODEMA (syndicat des producteurs maraichers).
- ZOZOR Franck journaliste, reporter pour la chaine locale Martinique 1ére.
- GODARD Eric Chargé de mission interministérielle en 2010.
82
Entretien
Interview de Cécile EVRARD
Journaliste à France-Antilles
La médiatisation de l’affaire du Chlordécone en Martinique
Presse France-Antilles
1.
Quelles sont vos fonctions au sein du journal France-Antilles ?
Je suis journalistes scientifique, je m'occupe notamment de la rubrique
environnement et risques naturels.
2.
Depuis quand rédigez-vous des articles dans le France-Antilles sur le thème du
Chlordécone et/ou dans une plus large mesure sur les pesticides en Martinique ?
Depuis juin 2004.
3.
Etiez-vous missionnée par France Antilles ou était-ce une recherche personnelle
sur un sujet qui vous tenait à cœur ?
Une étude de l'invs est sortie à l'époque de mon arrivée. Un de mes chefs me
l'avait
posée sur mon bureau avec un post-it : « je pense que c'est un bon sujet pour
une journaliste scientifique ». Je m'en suis emparée et ne l'ai plus lâché.
4.
Etait-ce un travail d’investigation ou un travail ponctuel (durée) ?
83
Les deux, en fonction de l'actualité. Je tiens à dire en avant-propos que le travail
d'investigation est inhérent à notre travail! Même pour une simple brève, on peut
avoir à effectuer une vérification qui relève de l'investigation!
En ce qui concerne la chlordécone, j'aborde des problématiques ponctuelles
(résultat d'une étude sur la santé par exemple, qui ne me demande pas beaucoup
d'investigation, j'ai juste besoin de lire la publication scientifique en détails) et je
m'engage parfois sur des sujets qui me demande plusieurs semaines de travail :
qu'en est-il de la faune marine (à l'époque où les résultats n'étaient pas connus),
l'interdiction de la chlordécone en 1968 (peu connue...), etc.
5.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant cette affaire ?
Je ne les ai pas forcément toutes en tête :
–
évidemment une volonté de rétention d'informations. Toutefois, il y a un gros
effort de transparence de la part notamment de l'Etat, il ne faut pas être complètement
négatif. Mais la difficulté arrive tout de suite lorsque les questions ne vont pas dans le
sens de la communication de l'Etat ou d'autres. Ou bien lorsque cela fait trop de bruit :
quand France-Antilles a annoncé en Une la contamination des langoustes, alors que l'Etat
et la profession avaient plusieurs années pour mettre en place leur stratégie de
communication, cela a beaucoup fait râler.
–
La rumeur populaire: on n’y pense pas toujours mais elle est terrible. Je passe sur
les idées d'empoisonnement volontaire de la population à l'époque de l'épandage, etc,
mais je peux prendre un exemple tout simple : les gens sont persuadés que la chlordécone
a été épandue par avion, ce qui n'a jamais été le cas (cela n'aurait servi à rien pour le
bananier d'ailleurs).
6.
Quelle a été votre stratégie de communication pour capter l’attention des lecteurs
tout en les informant sur les diverses avancées du dossier ?
Je ne fais pas de la communication mais de l'information !La différence fondamentale
entre journaliste et communicant.
Différents moyens :
–
la titraille (c'est à dire titre chapo, etc) des articles
–
les infographies (cartes de la Martinique par ex)
–
des suppléments thématiques : 50 questions réponses sur la chlordécone ou alors
la supplément sur la recherche chlordécone sorti le 31 janvier dernier
Par ailleurs, je viens de coécrire un documentaire pour France O, qui sera diffusé à la
rentrée.
7Durant l’année 2007, Il y a eu une redondance de l’information (Réunions
interministérielles, préfectorales, colloques…) et relativement peu d’actions concrètes
pour pallier à la pollution par les pesticides.
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Pensez-vous qu’il y ait eu une certaine « lassitude » auprès de la population ?
C'est faux de dire qu'il y a eu peu d'actions concrètes d'autant qu'elles ont commencé bien
avant 2007, dès 1999. Par contre, pour des raisons diverses, la communication envers la
population a toujours globalement été mauvaise et a globalement échoué jusqu'ici.
Les raisons sont à chercher effectivement au niveau de l'Etat (je n'ai pas trop le temps
d'entrer dans les détails) mais aussi parce que la chlordécone sert un peu de catalyseur de
rancœurs (envers les békés, l'Etat, la banane, etc.) et aussi serait responsable de tous les
problèmes de santé publique : diabète, obésité, cancers, etc!
8-Si oui, pourquoi et comment faites-vous pour y remédier tout en continuant
d’alimenter le débat ?
J'essaie d'informer toujours. Je fais de la veille, je dois être le seul média à suivre les
réunions bi annuelles en préfecture que l'on appelle Grephy.
Important : je donne la parole à tout le monde. Cela semble être un principe de
journalisme basique, mais la tentation peut être grande de donner toujours la parole à
ceux qui disent que rien n'est fait, etc... Ce n'est pas mon choix : les associations de
protection de l'environnement ont droit au même respect que les services de l'Etat ou les
agriculteurs ou n'importe qui.
9-Dans certaines de vos tournures de phrase ou dans le titre des articles, on ressent
parfois une pointe d’ironie, A quoi était-elle due ?
En général, c'est justement pour attirer le lecteur!
10 Pourquoi donne-t-on essentiellement la parole aux experts (chercheurs, médecins,
représentants, politiciens…) et si peu aux victimes (personnes exposées directement ou
indirectement aux pesticides) ?
C'est une bonne question. En fait, je n'ai évidemment pas que ce dossier, je suis toute
seule à traiter beaucoup de choses! Au début, j'ai donné la parole aux victimes mais, petit
à petit, je me suis un peu plus orientée vers l'explication donnée aux populations.
En effet, j'ai l'impression que la population est tellement mal informée que j'essaie
d'apporter un max de réponses, notamment scientifiques, car c'est important.
Si j'avais plus de temps, je donnerai plus la parole aux victimes, qui s'expriment
beaucoup sur les autres médias, qui a contrario, font très peu d'exercice de pédagogie!
Mais en ce moment par ex, je prépare un article avec un agriculteur victime.
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J'ai aussi très souvent donné la parole aux pécheurs en pleine crise.
11 Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’interview de propriétaires exploitants bananiers ?
Si il y a en eu plusieurs. Ce sera aussi le cas dans le documentaire que je prépare où les
grands planteurs s'expriment.
Toutefois, il faut bien avoir en tête qu’ils avaient l'autorisation d'épandre le produit,
donnée par l'Etat, les grands planteurs comme les petits.
La stigmatisation relève d'autres ressorts que la pollution à la chlordécone.
Il y a aussi ceux qui sont victimes! Les planteurs qui ont voulu se mettre à l'élevage sur
des terres potentiellement polluées ont des problèmes par ex.
11 A partir de 2007, on retrouve des communiqués de la rédaction France-Antilles
(précédant l’article ou le dossier) qui rappelle les principes de l’éthique
journalistique auxquels vous obéissez et notamment sur la transparence de vos
enquêtes, pourquoi cette démarche ?
Dommage que vous ne mettiez pas la citation.
Oui, on aime bien le rappeler. Je travaille par ailleurs (et c'est à la mode) sur une
charte déontologique pour les journalistes avec le club presse Martinique. Les
gens ont besoin d'être informés sur ce qu'est le journalisme et ce qui n'en est pas!
12 On retrouve également des illustrations satiriques (mais humoristiques) sur le
thème du chlordécone à coté de certains articles, quelles étaient leurs fonctions ?
C'est la fonction du dessin de presse, que ce soit sur ce sujet ou sur un autre.
13 Est-ce que le gouvernement à un droit de regard sur ce qui est publié dans le
journal de référence France Antilles ?
Jamais!! Je ne fais pas relire non plus mes interviews, sauf lorsqu'il y a des
questions techniques pointues et que je veux être certaine de ne pas faire d'erreur.
Par ailleurs, la rédaction et le service pub de France- Antilles sont bien distincts.
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Si cela avait été le cas une fois, je l'aurais fait largement savoir, vous pouvez me
faire confiance pour cela. J'ai un rédacteur en chef qui me soutient beaucoup.
14 De manière générale, pour la rédaction des articles, vous a-t-il fallu aller vers
l’information ou l’information est-elle venue directement à vous ?
Vraiment variable, comme toutes les informations et tous les dossiers.
15 En quoi le livre de Louis BOUTRIN et de Raphaël CONFIANT : « Chronique
d’un empoisonnement annoncé » est un tournant dans l’affaire du Chlordécone?
Effectivement, cela faisait du bien d'avoir quelque chose d'un peu synthétique sur la
question, polémique, etc. Mais cela n'a, à mon avis, pas eu l'impact escompté au niveau
de la population. Est-ce que les gens s'impliquent vraiment dans cette affaire-là, non!
Quelle association de consommateurs a réclamé jusqu'ici une véritable traçabilité visible
des produits? Aucune!
Les associations de protection de l'environnement sont dans leurs rôles, mais elles sont
aussi peu nombreuses. Bref, la société civile ne joue pas vraiment son rôle.
16 Que pensez-vous d’une part de l’intervention du professeur Dominique
BELPOMME entant que scientifique et d’autre part en tant qu’acteur dans
l’affaire du Chlordécone ?
Pour faire vite, il a été un très bon lanceur d'alerte car la médiatisation de son
rapport a entrainé le premier plan chlordécone (mais je répète que beaucoup de
choses se faisaient déjà avant, par contre les moyens alloués ont été plus
importants)
Par contre, il s'est drapé dans son titre de médecin cancérologue alors que son
rapport n'avait rien d'une publication scientifique, il était même médiocre. Une
bonne source m'avait dit qu'il avait, à cette époque, surtout envie de se faire
remarquer pour pouvoir participer au grenelle de l'environnement. Mais je pourrai
parler longuement de cela, de la manière dont il a essayé de dire qu'on lui avait
fait dire ce qu'il n'avait pas dit et il suffit de retrouver dans les archives de RFO
pour voir qu'il a fait machine arrière, et sous la pression de ses pairs, et non sous
la pression du gouvernement.
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17 Selon vous, pour quelle raison les cris d’alarme des écologistes et chercheurs
depuis 1977 n’ont pas été entendus ?
On était à l'époque de la chimie triomphante partout. Alors ce qui se passait à
8000 km de paris n'intéressait personne. La recherche a eu aussi un rôle très négatif : les
pubs pour les pesticides de l'époque sont à ces titres édifiants!
18 Avez-vous constaté une évolution dans le débat ? Si oui, quelles en ont été les
grandes étapes ?
Oui au niveau du dialogue entre association de protection de l'environnement et l'Etat
notamment. Mais le problème reste toujours bloqué au niveau d'une petite élite sachant,
et la population reste dans les mêmes schémas qu'il y a dix ans.
19 Cette affaire a-t-elle soulevée d’autres problèmes peut-être plus
profonds (moraux, sociaux, politiques) ?
Idée de la récupération et du catalyseur de rancœur que je développais tout à l'heure.
20 Pensez-vous que la communication concernant ce sujet peut s’effectuer de
manière différente selon les canaux d’information utilisés (presse, web, télévision,
radio) ?
Oui, on n'a pas tous les mêmes fonctions.
21 Durant le déchainement médiatique avez-vous eu un retour des lecteurs (lettres,
témoignages, appels téléphoniques, mails) ?
Oui, mais pas assez à mon goût. Que ce soit pour ce sujet ou sur d'autres, les gens
ne s'emparent pas assez du pouvoir que représente la presse, notamment une
presse qui a beaucoup de liberté comme c'est le cas de France- Antilles (parce que
notre patron est très loin....)
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22 Etiez-vous en contact avec des journalistes de métropole? Si oui, l’êtes-vous
toujours ?
Oui, je suis moi-même correspondante de Reuters et du Parisien.
23 Aujourd’hui, il y a-t-il toujours un parfum de scandale dans cette affaire ou
relève-t-elle seulement d’une information publique ?
24 Pour conclure, quel est votre avis personnel sur l’affaire du chlordécone et sa
médiatisation ?
Manque de temps pour répondre aux autres questions
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Entretien
Franck ZOZOR
Journaliste, reporter
Chaine télévisé Martinique 1ère
1- Quelles sont vos fonctions au sein de la chaine télévisée Martinique 1ere ?
Je suis journaliste rédacteur à Martinique 1ere. Mon rôle écrire, rédiger, ou créer
des reportages à partir d’images réalisées par un journaliste reporter d’images
2- Depuis quand réalisez-vous des reportages sur le thème du Chlordécone et/ou
dans une plus large mesure sur les pesticides en Martinique ?
Nous nous sommes intéressés aux pesticides fin des années 90, entre 97 et 99.
C’est à cette période que les écologistes martiniquais ont eu accès à des
documents, des expertises scientifiques provenant essentiellement du Canada. Il
s’agissait notamment d’études menées sur les poissons, en effet à cette période
les chercheurs canadiens retrouvaient des anomalies chez les saumons provenant
d’élevages proches de terres agricoles ou l’on utilisait des pesticides. Au même
moment le corps médical martiniquais attirait l’attention de manière non
officielle sur le nombre de cas de cancer en net augmentation au sein de la
population. A l’époque faire des sujets sur les pesticides, ce n’était pas très sexy,
nous n’étions pas très crédibles, c’était croire à des hypothèses qui étaient
contredites par les responsables des différents services de l’Etat. « L’Etat veille
sur vous tout va bien ». De plus les écologistes martiniquais avaient et ont
toujours cette étiquette politique d’indépendantiste, les représentants de l’Etat
n’avaient aucun mal à faire croire à la population et aux journalistes qu’il ne
s’agissait la que de manœuvres politiques. C’est dans ce contexte que nos
reportages ont commencé, tout ça parce que ces écolos nous leurs avons fait
90
confiance, car en plus d’être écolos, ils ont été nos profs au lycée, prof d’histoire
de lettres ou de physique, le préfet nous ne le connaissions pas.
3- Etiez-vous missionné par la chaine ou était-ce une recherche personnelle sur un
sujet qui vous tenait à cœur ?
La chance que nous avons eu à l’époque c’est d’avoir un redac chef sensible à ces
questions. Il nous laissait donc le libre choix de nos angles, à cette période le
débat portait sur la question de l’eau potable. Etait-elle ou pas contaminée ?
Aujourd’hui on sait que oui, mais à l’époque les services de l’Etat disait que l’eau
était tout à fait potable. Notre rédac chef nous a laissé enquêter, en respectant les
règles journalistiques de base évidemment, ne s’inquiétant pas de ce que pouvait
en penser le préfet du moment. Je rappelle que Martinique 1ere, à l’époque RFO
est une télévision du service publique et que nous dépendons du ministère de la
Culture. Mais une chose est certaine, il y avait de notre part une forme de
militantisme écolo, nous ne savions pas si les écologistes de l’ASSAUPAMAR
disaient vrai, mais nous voulions que les services de l’Etat nous prouvent de
manière scientifique que les écolos avaient tord.
4- Etait-ce un travail d’investigation ou un travail ponctuel (durée) ?
C’ était à la fois un travail d’investigation puisque toutes les informations des
écologistes devaient être vérifiées quelque fois en anglais, nous devions nous
même aller sur des pistes de travail très techniques pour réaliser nos reportages
et surtout voir ce qui se passaient au niveau de la France, même si nous ne
produisions pas de reportage, il fallait tout le temps se mettre au courant. Mais il
y a eu 2 périodes, le premier ou l’on ne parlait pas encore du Chlordécone mais
des pesticides, là c’était quelques reportages de temps à autre. Et puis la période
ou l’un des pesticides prend le dessus, et toute la presse en parle et tout le temps
c’est vers 2004/2005.
5- Quelles difficultés avez-vous rencontrées durant cette affaire ?
Aucunes si ce n’est le manque d’information sur le sujet. Le net ne disait rien,
quant au fait que les services de l’Etat refusaient toute communication ce n’était
pas un problème, ils étaient dans leur rôle. Mais quand j’y pense l’une des
difficultés a été de convaincre les téléspectateurs qui au début était très
sceptiques.
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6- Quelle a été votre stratégie de communication pour capter l’attention de la
population tout en les informant sur les diverses avancées du dossier ?
Il n’y a pas eu de stratégie de communication. Les gens ont été touchés quand nous
avons parlé de l’eau. Quand ils ont compris que l’eau qu’ils buvaient était polluée. Nous
avons relayé le message des écolos qui disaient que les tests pratiqués en France pour
vérifier que l’eau était bien potable ne pouvaient fonctionner en Martinique. En France
c’est l’eau de la nappe phréatique qui est consommée. En Martinique c’est l’eau de
surface, l’eau des rivières. En France les pesticides arrivent difficilement à la nappe
phréatique, donc « à l’époque » pas la peine de les chercher dans l’eau du robinet. En
Martinique, les pesticides se retrouvent dans l’eau de rivière après les pluies, et
personne ne les recherche puisque le protocole de recherche vient de France et que ce
sont les lois françaises qui sont appliquées chez nous. C’est en tout cas ce que l’on nous
a expliqué après coup, après bien des batailles, et c’est à ce moment-là que les gens ont
pris conscience des dangers.
7- Durant l’année 2007, Il y a eu une redondance de l’information et relativement
peu d’actions concrètes pour pallier à la pollution par les pesticides. (Réunions
interministérielles, préfectorales, colloques…) Pensez-vous qu’il y ait eu une
certaine « lassitude »auprès de la population ?
Non, pas de lassitude de la population, si je puis dire le combat était gagné en
2007, les ministres ne faisaient que se donner bonne conscience, ils arrivaient
alors que l’incendie était éteint. En 2007 quand l’hexagone découvre l’affaire des
pesticides en Guadeloupe et en Martinique, chez nous le problème est en partie
réglé. En 2007, La molécule du chlordécone est identifiée, les terres contaminées
en partie répertoriées, des dispositions sont prises dans les usines de production
d’eau potable pour traiter les pesticides, la population est rassurée en 2007, tout
le reste à mon avis n’est que cinéma. Et cela nous le devons aux politiques locaux
qui eux aussi ont cru que les écolos étaient dans le vrai, sans attendre les
directives de l’Etat ils ont pris des dispositions.
8- Si oui, pourquoi et comment faites- vous pour y remédier tout en continuant
d’alimenter le débat ?
9- Pourquoi n’y a-t-il pas eu d’interviews de propriétaires exploitants bananiers ?
Parce qu’ils savaient depuis les années 80 que le chlordécone était dangereux
pour les hommes mais aussi pour l’environnement. Interdit aux USA depuis les
années 70 puis en France, les planteurs demandent aux ministres de
l’agriculture de l’époque une dérogation pour les Antilles. Les propriétaires de
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bananeraies savent qu’ils ont pollués au détriment de la santé des Martiniquais
et de leurs ouvriers, et c’est ce qui explique leur discrétion. De plus certaines
personnes veulent aujourd’hui que l’on applique le principe du pollueur payeur.
10- Est-ce que le gouvernement a un droit de regard sur vos reportages télévisés ?
Nous sommes une télévision qui fonctionne comme toute télévision de France ou dans
tous pays libres. Le gouvernement ne peut officiellement faire aucune remarque quant à
notre ligne éditoriale, en revanche des pressions non officielles peuvent être exercées sur
nos rédacteurs en chef, mais cela nous n’en avons pas été informés.
11- Avez-vous été contrait de supprimer des passages ou de modifier votre discours
médiatique dans cette affaire ?
Non absolument pas.
12- De manière générale, pour la réalisation de vos reportages, vous a-t-il fallu aller
vers l’information ou l’information est-elle venue directement à vous ?
Nous avons travaillé en collaboration avec les écologistes ils nous ont apporté
une aide très précieuse, ils nous ont formé à propos des effets des pesticides sur
le corps humain et globalement sur la dangerosité de ces produits. Ensuite cela a
été plus facile pour nous quand nous avons dû interpréter les différents rapports
des autorités, ou conclusions des spécialistes de l’environnement. L’information
est donc venue vers nous si l’on puis dire mais nous avons tout de même dû nous
former et nous informer aux pesticides.
13- En quoi le livre de Louis BOUTRIN et de Raphaël CONFIANT : « Chronique
d’un empoisonnement annoncé » est un tournant dans l’affaire du Chlordécone?
Ce livre n’a pas été un tournant il n’a en aucun cas apporté d’éléments nouveaux
a la problématique. C’est comme pour les ministres au moment où il a été publié
l’incendie était partiellement éteint, pour l’ avoir lu, je me demande si quelqu’un
se souvient encore de la problématique qu’il développait.
14- Que pensez-vous d’une part de l’intervention du professeur Dominique
BELPOMME en tant que scientifique et d’autre part en tant qu’acteur dans
l’affaire du Chlordécone ?
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L’intervention de D BELPOMME a eu pour effet la médiatisation de cette
affaire au niveau national, c’est vrai qu’il a été très critiqué par d’autres
scientifiques après cette conférence de presse mais son intervention à
l’assemblée nationale a été une bonne chose. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il
avait ce jour-là été invité par une association écologique martiniquaise qui
s’appelle PUMA. C’est a l’initiative de PUMA qu’il a pu s’exprimer devant la
presse de l’hexagone, ce jour-là j’étais à cette conférence de presse.
15- Selon vous, pour quelle raison les cris d’alarme des écologistes et chercheurs
depuis 1977 n’ont pas été entendus ?
Les écologistes ont dû s’organiser, organiser leur combat à tout point de vue, ils
n’étaient pas formés à cela, dans l’hexagone également ces batailles ne sont pas
fréquentes. Mais il ne faut pas oublier que ce combat la, les écologistes le
menaient contre de grands propriétaires terriens, anciens propriétaires
d’esclaves, ceux qui ont encore l’écoute du pouvoir en place, quel que soit la
couleur politique du président de la république en place
16- Avez-vous constaté une évolution dans le débat ? Quelles en ont été les grandes
étapes ?
Oui aujourd’hui c’est l’Etat qui organise des colloques de prévention contre les
pesticides, dans quelques jours une table ronde se tiendra à la préfecture de
Fort de France. Il y a quelques années les patrons de la banane auraient
certainement interdit cette conférence.
17- Cette affaire a-t-elle soulevée d’autres problèmes peut-être plus
profonds (moraux, sociaux, politiques) ?
Difficile à dire pour l’instant, mais ce qui est certain c’est que nombreux sont
ceux qui attendent aujourd’hui une enquête judiciaire et un procès.
18- Pensez-vous que la communication concernant ce sujet peut s’effectuer de
manière différente selon les canaux d’information utilisés (presse, web, télévision,
radio) ?
NON. Parce que la manière dont cette affaire nous est arrivée, était assez
subite. Nous savions que ces reportages étaient importants et tous les médias
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ont plus ou moins suivi la même voie, même si il faut le reconnaitre, Martinique
1ère a été le média qui a porté cette affaire.
19- Martinique 1ere a-t-elle connue un taux d’audience plus important lors des
reportages sur le Chlordécone ?
Avez-vous eu des retours des téléspectateurs par la suite ? (lettres, appels
téléphoniques, témoignages, mails)?
Difficile à dire, concernant le taux d’audience, nous journalistes n’avons pas accès à
ces informations-là. Pour les retours des téléspectateurs c’est pareil.
20- Etiez-vous en contact avec des journalistes de métropole? Si oui, l’êtes-vous
toujours ?
Non aucun contact avec des journalistes de France.
21- Aujourd’hui, il y a-t-il toujours un parfum de scandale dans cette affaire ou
relève-t-elle seulement d’une information publique ?
Aujourd’hui les agriculteurs sont très touchés. Certaines terres sont polluées
c’est plus qu’un scandale, nombreux sont ceux qui attendent un procès
22- Pour conclure, quel est votre avis personnel sur l’affaire du chlordécone et sa
médiatisation
Cette affaire n’aurait jamais pu sortir, avant 1981, c’est à partir de cette année
la dit-on que les journalistes ont commencé à être libre en France. Quand nous
avons commencé nous ne savions pas ce qui allait se passer. Personne ne savait
jusqu’où nous serions allés, ce que nous aurions découvert, jusqu’ à maintenant
nous ne sommes pas encore conscient de ce que nous avons fait grâce à eux les
écolos.
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