Théodore Monod, l`infatigable naturaliste. Théodore Monod, l

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Théodore Monod, l`infatigable naturaliste. Théodore Monod, l
16/10/2013
Théodore Monod, l’infatigable naturaliste.
par Dominique Antérion
Historien, conférencier, diplômé de l'Ecole du Louvre (Paris) et
de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris).
Sommaire
Théodore Monod, l’infatigable naturaliste. ................................................................................................................................ 1
I.
Préambule :....................................................................................................................................................................... 1
II.
Ses origines :................................................................................................................................................................ 1
III.
Ses études : .................................................................................................................................................................. 2
IV.
Sa carrière scientifique : .............................................................................................................................................. 2
A.
La météorite de Chingetti :...................................................................................................................................... 3
B.
Le Tanezrouft :........................................................................................................................................................ 3
V.
Quel est son objectif, son « métier » ? : ....................................................................................................................... 3
VI.
Rencontre d’autres personnes de l’Afrique ; ses amitiés :............................................................................................ 5
A.
Louis Massignon (1883-1962) : .............................................................................................................................. 5
B.
Amadou Hampâté Bâ (1900-1990) : ....................................................................................................................... 5
C.
Albert Schweitzer (1875-1965) :............................................................................................................................. 5
VII.
Son action dans la vie publique : ................................................................................................................................. 5
VIII.
Quelle image nous reste t-il de Théodore Monod ? : .............................................................................................. 6
A.
L’homme du désert, le marcheur : .......................................................................................................................... 6
B.
Le méhariste :.......................................................................................................................................................... 6
I.
Préambule :
Théodore Monod est un personnage que j’affectionne
particulièrement. Ce n’est donc pas une biographie exhaustive que je
vous propose, mais je vous invite à un cheminement sur les pistes de
l’Afrique.
Nous rencontrerons :
L’infatigable marcheur
L’homme toujours en lien avec le spirituel : « l’humanité est la plus belle des religions »
L’être humain avec tout ce qu’il a de complexe : « l’homme n’est pas toujours sur la bonne voie »
Celui qui a fréquenté des esprits supérieurs
Et nous nous efforcerons de définir le message qu’il nous a laissé.
Dominique Antérion
II.
Ses origines :
Il est né à Rouen (comme Corneille, Flaubert..), en 1902, dans une famille comptant cinq
générations de pasteurs. Ma « famille maraboutique » dira t-il ; une famille forte, d’une grande
culture. Il reconnaît qu’il doit beaucoup à sa famille ( « j’aurais été un privilégié » ) qui lui a inspiré
un solide idéal moral (« que j’ai vécu comme libre adhésion à de salutaires principes ») au service de
Dieu et de ses frères.
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Il appartient à un milieu protestant très cultivé ; à 18 ans déjà, il déclarera « j’ai le culte de la
simplicité austère ». Plus tard, très âgé, presque aveugle, il vivra dans un appartement très simple,
avec des livres partout.
III. Ses études :
Il les fera à Paris où son père, pasteur, est nommé à l’oratoire du Louvre. Il fréquente l’École
Alsacienne1. Il fait avec sa famille, de nombreuses visites au jardin des Plantes et au Muséum
d’Histoire Naturelle. Très jeune, il montre une énorme force morale, une faculté de résistance. Pour
lui, la vie n’est pas la joie, mais une tension continue dans l’effort. Il comprend qu’on veuille
s’échapper du monde comme les moines. « Il y a bien plus de christianisme chez Jaurès, que chez le
pape. »
Sa licence de sciences naturelles en poche, il débute sa carrière scientifique.
IV. Sa carrière scientifique :
À 20 ans, il rentre au Muséum d’Histoire Naturelle ; il est employé dans un laboratoire où l’on
étudie les pêches Outre-Mer.
Entre novembre 1922 et novembre 1923, il est en
mission au large de la Martinique. À Port Étienne, il a son
premier contact avec l’Afrique.
Une Afrique marquée par l’austérité et le
dépouillement. La Mauritanie est à l’Afrique ce que Monod
est à l’humanité : sobre, austère, dépouillée, simple.
(photo –rare- de Th. Monod jeune)
En 1925, il est envoyé en mission à Dakar; il y découvre une autre Afrique, l’Afrique noire, et
aussi la colonisation.
Monod se sent bien en Afrique, mais très vite il a conscience qu’il n’a rien de ce qu’il faut
pour être un meneur d’hommes, et toute sa vie il gardera une grande autonomie : « La seule personne
dont je puisse être le chef, c’est moi-même ».
1926 : il passe sa thèse (sur de minuscules crustacés), mais il est plus attiré par un autre
monde : le désert. Il saura toujours y débusquer des amis.
En 1927, il fait partie de la mission scientifique Augiéras-Draper « d’Algérie au Sénégal », et
découvre le Sahara.
Il va être très marqué par sa découverte du squelette fossilisé d’un
homme tombé dans un lac au Mali, il y a plus de 6 000 ans (squelette
d’Asselar) ; Monod est persuadé qu’il aurait bien des choses à lui dire.
Cette mission fait au Sahara une très riche moisson (fossiles, etc.).
En 1928, il se fiance avec une jeune Tchèque, Olga Plickova, qui deviendra sa collaboratrice.
Comme anti-militariste et pacifiste, il appréhende le
service militaire. Mais, comme chamelier de deuxième classe, il a
la possibilité de continuer ses recherches scientifiques. Dans la
région de l’Ahnet à l’ouest du Massif du Hoggar, il fait de
l’escalade et de la marche en montagne. Il est le premier Européen
à traverser l’Ahnet de part en part ; il est devenu un véritable
méhariste : « mon chameau et moi, une unité ».
Il se marie avec Olga ; ils auront trois enfants.
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Jules SIEGFRIED, Président du Conseil d’Administration de l’École Alsacienne, avait désiré la création d’un
jardin d’enfants mettant en œuvre des pratiques s’inspirant de la méthode Montessori.
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A. La météorite de Chingetti :
Dès 1934, il entreprend la recherche, dans l’Adrar mauritanien, de cette « météorite » signalée
par un officier français, le capitaine Gaston Ripert.
Il la recherchera longtemps, jusqu’en 1988 (cette fois
avec un GPS), sans aucun succès. En fait il n’y a pas de météorite
géante ; il s’agissait d’une confusion avec certaines formes du
relief.
Mais peu importe, dans la recherche du Graal, la quête
est plus importante que le Graal lui-même. Cette recherche est le
rêve de toute une vie, un objectif qui lui a permis de cheminer et
de connaître le désert.
B. Le Tanezrouft :
Jusqu’en 1935, le Tanezrouft est une zone blanche sur la carte. C’est un reg2 horizontal infini,
sans aucun repère, de tous temps inhabité et sans aucun point d’eau.
Théodore Monod va en faire la cartographie au prix d’une
marche épuisante de 400 kilomètres. Ce cheminement, parfois
désespéré, va contribuer à forger son tempérament.
V.
Quel est son objectif, son « métier » ? :
Biologiste ? zoologiste ? entomologiste ?
Monod n’entre pas dans des cases. Il est tout cela et même plus…
« Je n’ai aucune honte à me dire naturaliste, même si
ça fait un peu XVIIième siècle »
En effet, comme les naturalistes du XVIIième siècle, il
s’intéresse à tout. On a dit de Louis Massignon, qu’il était le
dernier des orientalistes ; on peut, comme le fait sa biographe
Isabelle Jarry, qualifier Théodore Monod de dernier des
naturalistes.
ci-dessus : couverture du livre de Th. Monod : « Maxence au désert », son meilleur livre d’après D. Antérion.
« Au départ, je suis venu comme biologiste »… mais il est à la fois explorateur,
paléontologue, anthropologue, ethnologue… et humaniste engagé.
Il est difficile de savoir ce qu’il faut admirer le plus
chez lui, sans doute son insatiable curiosité. Il a soif de
découvertes. Sa vie est une immense quête. À sa rigueur
scientifique s’allient une érudition, une connaissance
encyclopédique et une obstination infatigable.
Quand il est sur un lieu, il en fait une exploration
systématique, le parcourant en tous sens. « Il faudrait un
continent par existence ».
C’est d’abord un marcheur infatigable, c’est l’image que les gens ont de lui.
Ses expéditions sont de véritables exploits sportifs ; on l’a surnommé « le hauturier du
désert ».
La chambre claire : pour l’aider à dessiner avec précision ce qu’il voit, Monod emportait dans
tous ses voyages, une chambre claire, du même principe que celle inventée par William Wollaston en
18063.
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Un reg est un désert de pierres, une surface caillouteuse débarrassée des éléments fins par le vent. Il correspond
à la roche en place érodée ou à d'anciennes nappes de cailloutis.
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1935 : il parcourt 1800 kilomètres dans l’Adrar en 7
semaines. Monod est maintenant reconnu et apprécié.
L’IFAN :
En 1938, il est appelé pour gérer l’IFAN (L’Institut Français d’Afrique Noire) à Dakar.
Sa famille le rejoint à Dakar. Diriger ne lui convient pas, mais il a le sens de l’organisation. Il
va créer des antennes dans les autres pays francophones, et en fera le plus grand centre scientifique
d’Afrique Occidentale.
1939 : Il est mobilisé dans le Tibesti. Il continue ses explorations dans le désert. Il veut même
explorer un volcan (3 315 m d’altitude) en Libye, pays occupé par les Italiens. Il s’ensuit un incident
diplomatique ! Il est renvoyé à Dakar, mais retournera près du volcan à dos de chameau.
La France vaincue, il milite contre le régime de Vichy et refuse de prêter serment à Pétain. Il
écrit une lettre au Maréchal : « des motifs religieux et pourtant relativement sacrés … »
Affirmant sa liberté de parole, il anime des émissions
pour radio Dakar (émissions bientôt censurées) : « le mot ‘aryen’ :
ce mot n’existe pas pour l’anthropologiste ! »
Monod devient au Sénégal une figure de la France
combattante. L’ouvrage de Vercors « Le Silence de la Mer » est
publié grâce à lui.
Il recevra De Gaulle.
1943 : la famille de sa femme périt en déportation. Son père meurt.
L’IFAN réalise l’Atlas International de l’Afrique de l’Ouest.
Sous l’impulsion de Théodore Monod, deux musées sont créés à Gorée.
Le musée de la mer
Le musée des esclaves
L’IFAN n’est pas remis en cause par la décolonisation. Au moment de l’indépendance (1960),
il change de statut. Il continue même sans changer de sigle, prenant le nom d’Institut Fondamental
d’Afrique Noire !
Théodore Monod a assuré de nombreuses missions, et il continue à beaucoup à travailler. Dès
1933, il est élu à l’Académie des Sciences.
En 1948, à Dakar, il effectue la première descente, avec Auguste Piccard, en bathyscaphe.
Il quitte Dakar en 1965.
Monod compare l’individualisme français à l’importance du groupe en Afrique. Il pense que
l’un est en train de détruire l’autre.
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La chambre claire effectue une superposition optique du sujet à dessiner et de la surface où doit être reporté le
dessin. L'utilisateur utilise cette superposition pour placer des points clés du sujet à reproduire, ou même ses
grandes lignes. La perspective est reproduite de façon parfaite, sans construction. Le prisme incluant une surface
à 45°, l’image, si elle n’est pas redressée par des lentilles, se trouve inversée comme avec un miroir.
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VI. Rencontre d’autres personnes de l’Afrique ;
ses amitiés :
A. Louis Massignon (1883
(1883--1962) :
Monod qui correspond avec lui depuis 1938, a une admiration réelle pour ce grand militant,
défenseur du droit et de la justice, ami des spoliés et comme lui non violent. Massignon, professeur au
Collège de France est un des artisans dans le dialogue islamo-chrétien. Tout comme Monod, c’est un
inclassable.
B. Amadou Hampâté Bâ (1900
(1900--1990) :
C’est le plus grand ami de Monod en Afrique. Écrivain malien, poète peul4, traditionaliste,
ethnologue….
Profondément religieux, disciple du mystique Tierno Bokar (1875-1935).
« Il était musulman, j’étais chrétien » … « nos convictions religieuses convergeaient » …
Monod découvre que Bokar a tenu des discours semblables à ceux des premiers chrétiens, et
qu’en Afrique le sacré et le profane sont liés. Le progrès moral n’est pas
l’apanage d’un siècle. Hampâté Bâ aussi est aussi un inclassable ; c’est
le Théodore Monod africain.
Dans un discours prononcé à la tribune de l’ONU en 1962,
Hampâté Bâ lance sa phrase célèbre : « En Afrique, quand un vieillard
meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » .
L’oral passe par le groupe, pas par l’individu isolé.
Théodore Monod est adepte du « décentrement mental », qui implique de pouvoir changer son
point de vue pour comprendre l’autre. Cela nécessite de faire l’effort d’adopter le point de vue de
l’autre, pour se rapprocher de lui dans le respect mutuel, car chacun détient une part de vérité.
C. Albert Schweitzer (1875
(1875--1965) :
Médecin, théologien protestant, prix Nobel de la paix en 1952.
Une autre amitié profonde. Monod admirait sa révérence devant la vie,
son éthique (nous sommes solidaires de tous les êtres vivants).
VII. Son action dans la vie publique :
Le pacifiste : Théodore Monod est adepte de la non-violence qui doit être une conquête. Il
soutien l’action de l’anarchiste Louis Decoin dans sa lutte pour faire reconnaître l’objection de
conscience.
Il signe le manifeste des 121 pour le droit à l’insoumission pendant la guerre d’Algérie.
Il remet en cause le pouvoir de l’armée. « Bien que fonctionnaire, je persiste, à tort ou à
raison, à me considérer comme un homme libre. D’ailleurs, si j’ai vendu à l’État une part de mon
activité cérébrale, je ne lui ai vendu ni mon cœur ni mon âme ».
Il fait l’objet de mesures disciplinaires (« j’ai eu quelques ennuis administratifs ».
Comme Corneille, c’est « un doux acide ».
Grande culture religieuse : La religion, pour lui, doit être œcuménique.
Végétarien : Il ne boit pas d’alcool. Tous les vendredis, il observe un jeûne total (en mémoire
de Massignon, depuis la guerre d’Algérie).
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Peul : langue parlée dans plusieurs pays d’Afrique.
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Grand pacifiste opposé à l’arme nucléaire : Il est présent tous les ans à la manifestation devant
la base militaire de Taverny entre le 6 et le 9 août, pour protester contre l’usage de la bombe atomique
à Hiroshima et Nagasaki (à cette occasion, il jeûne 4 jours).
« Le très peu qu’on peut faire, on le fait, même sans illusion ».
Monod ne s’illusionnait pas sur la portée de son action, mais jamais il n’abandonnait le
combat pour défendre ses idées.
Il est écologiste avant l’heure.
Son blason : tous sous le même soleil, une seule racine, quatre
religions.
« Tous les hommes poursuivent une même idée, mais ils ont un
cheminement différent. »
Il reste fidèle à la Fraternité spirituelle des Veilleurs, ordre
religieux protestant français, fondé en 1923 sous le nom de Tiers-ordre des
Veilleurs par son père, le pasteur Wilfred Monod, et qui connaît un
renouveau actuellement.
Il récite les Béatitudes qui, pour lui, sont une « révolution positive », conforme à l’esprit du
Sermon sur la montagne (joie, simplicité, miséricorde).
VIII. Quelle image nous reste t-il de théodore
Monod ? :
À la fin de sa vie, il ne pouvait plus lire.
A. L’homme du désert, le marcheur :
« Le désert est beau, parce qu’il ne ment pas »
« Dans le désert, on marche souvent droit, car il n’y a rien à contourner »
« Dans le désert, on ne décide pas, on obtempère ! »
C’est un des grands marcheurs du XXème siècle, mais lui-même conteste l’image du vieux
monsieur qui se promène dans les dunes (il n’a jamais voulu rentrer dans une case).
S’il n’a jamais cessé de marcher, c’est pour trouver l’homme dans toute sa complexité ; en ce
sens il rejoint d’autres grandes figures d’explorateurs :
Henri de Monfreid
Jean Malaury (encore un protestant)
Pour lui, le nomadisme était en danger :
Le monde nomade, c’est simplicité, endurance, ascèse (tout ce qui a caractérisé
Monod durant sa vie).
Marcher, se déplacer pour se surpasser, c’est une culture.
Le nomade est toujours mal vu par l’administration, car il est libre.
B. Le méhariste :
Monod : un des derniers voyageurs sahariens : « Nous les sahariens d’hier… »
Il parle d’un monde qui disparaît, d’une école
de « fortitude » et d’endurance.
Théodore Monod meurt le 22 novembre 2000
Pour lui, la mort est « un appareillage »
Monod a toujours su où il allait.
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