LE HARCELEMENT MORAL : QUELLES SOLUTIONS POUR LES
Transcription
LE HARCELEMENT MORAL : QUELLES SOLUTIONS POUR LES
SEMINAIRE D’ECHANGE DES PRATIQUES LE HARCELEMENT MORAL : QUELLES SOLUTIONS POUR LES VICTIMES ? TOUMSIN CHRISTOPHE 2è PASSERELLE A HORAIRE DECALE MANAGEMENT INTERNATIONAL MAI 2005 1 TABLE DES MATIERES Table des matières Introduction 2 4 Qu’est-ce que le harcèlement moral ? Étymologie 5 Origine et ampleur Définitions La nature des agissements de harcèlement 5 Les différents types de harcèlement moral Le harcèlement vertical Le harcèlement horizontal 8 8 8 Ce qui n’est pas du harcèlement Le conflit Le stress La gestion autoritaire et violente ou la « maltraitance managériale » Les agressions ponctuelles Les mauvaises conditions de travail 9 9 9 9 9 9 Les conséquences du harcèlement moral Pour la victime Pour l’entreprise Pour la société 10 10 10 11 La législation Avant 1998 La loi du 30 octobre 1998 introduisant l’article 442bis dans le code pénal 12 12 12 5 6 6 La loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail Champ d’application Les définitions La violence au travail Le harcèlement moral 13 14 14 14 14 Les obligations des travailleurs : mieux vaut prévenir que guérir Obligation de participer activement à la politique de prévention Obligation de s’abstenir de tout acte de violence ou de harcèlement Obligation de s’abstenir de tout usage abusif de la procédure de plainte 15 15 15 15 Les obligations des employeurs Développer des mesures de prévention Intégrer ces mesures dans le plan global de prévention Analyser les risques consécutifs à des faits de violence ou de harcèlement Mesures particulières pour les travailleurs en contact avec le public 15 15 16 16 16 Désigner un conseiller en prévention Existe-t-il une incompatibilité avec l’exercice de telles fonctions ? Protection particulière Les moyens d’action de la personne qui s’estime victime Le travailleur La procédure interne Le déroulement de la procédure interne Recours direct devant l’inspection du travail Recours direct devant la juridiction compétente 17 18 18 19 19 19 20 21 22 2 Procédure civile Procédure pénale Charge de la preuve Le droit d’action en justice de certaines organisations L’employeur Le tiers 22 22 22 22 23 23 Système de protection du travailleur contre le licenciement Personnes bénéficiaires La nature de la protection 23 23 23 Conséquences du non-respect de la protection du travailleur par l’employeur Rupture du contrat de travail par le travailleur durant la période de protection Licenciement du travailleur pour motif grave durant la période de protection Les structures d’aide aux victimes de harcèlement en dehors de l’entreprise 24 25 25 25 Conclusion Bibliographie Bibliographie commentée 27 28 29 3 INTRODUCTION Qui n’a jamais fait l’objet d’une réflexion ou d’une attitude désobligeante, méprisante ou humiliante ? Nous nous remettons alors en cause, nous sommes touchés au plus profond de notre être et ce malgré les apparences que nous tentons de sauvegarder. Ce type de violence laisse souvent des blessures plus profondes et plus difficiles à effacer que celles résultant de coups : « Les mots restent et les coups s’oublient ». Malgré les dégâts que la violence morale peut engendrer, elle est généralement moins connue ou elle bénéficie d’une certaine tolérance. Elle est même favorisée par la société actuelle où la combativité est valorisée… 4 QU'EST-CE QUE LE HARCÈLEMENT MORAL ? Étymologie Le terme « harcèlement moral » est la traduction française du mot anglais « mobbing ». En effet, c’est d’abord dans les pays anglo-saxons et nordiques que ce terme est apparu. « Mobbing », de l’anglais « mob » signifie « foule, meute, plèbe » et, par extension, « attaquer » ou « malmener ». Cette expression est apparue pour la première fois dans une traduction de Konrad Lorenz1. En éthologie, il désignait les comportements d’attaques collectives à l’encontre d’un animal seul. Ce terme a ensuite été transporté en psychologie, notamment suite aux travaux réalisés par le professeur Leymann2, et a été vulgarisé en français grâce aux travaux de Marie-France Hirigoyen3. Origine et ampleur Ce phénomène semble avoir toujours existé, cependant il prend aujourd’hui une ampleur sans précédent. Cette augmentation du nombre de cas de harcèlement serait, selon Thomas Périlleux4, spécialiste de la sociologie clinique du travail à l’U.C.L., notamment la conséquence d’une modification du capitalisme. Avec l’avènement de la flexibilité, les méthodes de gestion ont fondamentalement changé de visage depuis un peu plus d’un quart de siècle. Les mutations constatées ne visent pas seulement à mieux tenir compte de la clientèle, elles ambitionnent aussi de répondre à l’intense demande d’autonomie exprimée par les salariés au tournant des années 60, en réaction à l’abrutissement induit par la spécialisation des tâches. Par une étrange inversion, ce que l’on souhaitait voir éradiqué dans la modernité industrielle – déracinement, désenchantement, solitude, instabilité – est devenu le prérequis, l’exigence des nouvelles organisations productives postmodernes : l’aptitude à s’accommoder du caractère aléatoire des choses figure désormais au premier rang des exigences et permet ainsi aux « harceleurs » d’exercer, le plus souvent impunément, leur emprise. Malgré tout, la conscientisation de ce phénomène est récente. Elle est notamment le fait de certains auteurs. Chez nous, il s’agit essentiellement de Marie-France Hirigoyen avec la parution de son livre5. Ce livre est devenu un best-seller. On constate donc que notre époque constitue un terreau propice au mobbing. L’étendue du phénomène au niveau européen semble pouvoir être approchée grâce aux indices recueillis lors d’une enquête européenne6, réalisée au printemps 2000 : ¾ ¾ 3 millions (2%) de travailleurs ont fait l’objet de violence physique de la part de personnes également occupées sur le lieu de travail au cours des 12 derniers mois qui ont précédé l’enquête. 6 millions (4%) de travailleurs ont fait l’objet de violence physique de la part de personnes extérieures au lieu de travail. 1 LORENZ K. L’agression : une histoire naturelle du mal. Nouvelle bibliothèque scientifique. Paris, 1969. (coll. Flammarion). 2 Docteur en psychologie du travail qui présenta pour la première fois en 1990 les résultats de ses études sur le harcèlement et la « psychoterreur » sur le lieu de travail. 3 Docteur en médecine depuis 1978, spécialiste en psychiatrie. Elle s’est intéressé à la gestion du stress en entreprise. Elle centre ses recherches sur la violence psychologique et publie en 1998 « Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien ». 4 PERILLEUX T. Les tensions de la flexibilité. Desclée de Brouwer, 2001. 5 HIRIGOYEN M.F. Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien. Syros. Paris, 1998. 6 Enquête conduite auprès des travailleurs sur la perception qu’ils ont de leurs conditions de travail, réalisée au printemps 2000 par la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail dans l’ensemble des 15 membres de l’Union Européenne. 5 ¾ ¾ 3 millions (2%) de travailleurs ont fait l’objet de harcèlement sexuel. 13 millions (9%) de travailleurs ont fait l’objet d’intimidation ou de harcèlement moral. En Belgique, une recherche7 a été entreprise en 2001 afin d’étudier notamment les comportements de harcèlement moral sur les lieux de travail et de déterminer l’ampleur de ce phénomène. Les résultats montrent que : ¾ ¾ ¾ 11,5% des personnes interrogées déclarent s’être senties victimes d’au moins un comportement de harcèlement moral. 8% déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel. 3,5% déclarent avoir été victimes de violence physique. Par ailleurs, à l’échelle européenne, on peut observer les différences selon les secteurs8. Celles-ci peuvent s’expliquer notamment par : ¾ ¾ ¾ ¾ l’intensification du travail ; la précarité du statut ; la taille de l’entreprise ; l’importance de la hiérarchisation de l’emploi. Définitions Selon Heinz Leymann Par harcèlement moral sur le lieu de travail, il faut entendre, un enchaînement sur une assez longue période de propos et d’agissements hostiles, exprimés ou manifestés par une ou plusieurs personnes envers une tierce personne cible. C’est un processus de destruction constitué d’agissements hostiles qui, pris isolément, pourraient sembler anodins, mais dont la répétition constante a des effets pernicieux. Selon Marie-France Hirigoyen Par harcèlement moral sur le lieu de travail, il faut entendre toute conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des paroles, des actes, des gestes, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychique d’une personne, mettre en péril l’emploi de celle-ci ou dégrader le climat de travail. La nature des agissements du harcèlement Au cours du harcèlement, le ou les agresseurs vont développer des comportements qui vont rendre la victime vulnérable, la couper de tout soutien et la détruire psychologiquement. Ainsi, vont être utilisés : ¾ ¾ des méthodes de communication biaisée ou l’absence de communication avec la victime. Il s’agit d’empêcher celle-ci de se faire entendre. L’auteur des faits fixe les règles de la communication et de la diffusion de l’information auprès de la victime. Ce type de procédé est difficile à prouver. des moyens de « discrédit » aux yeux des autres et à ses propres yeux (attaque sur la personnalité de la victime). L’agresseur cherche à rallier le groupe à ses côtés en démontrant que la victime mérite les agissements hostiles qu’elle subit. Parallèlement, 7 « Le harcèlement dans les lieux de travail : caractéristiques et conséquences du harcèlement sur les travailleurs masculins et féminins », recherche réalisée à l’Université catholique de Louvain sous la direction d’Ada Garcia. Cette recherche a été entreprise à l’initiative de la Direction de l’humanisation du travail du Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail avec le soutien du fonds social européen. 8 MEYER A., VAN DUEREN C. Le harcèlement moral en entreprise. Etudes et documentation. N°2, avril 2000, p.16. 6 ¾ ¾ ¾ cette vision négative de son image sera amplifiée au travers du regard de l’entourage, ce qui permettra d’accélérer la destruction de sa propre estime d’elle-même. la négation de son existence. l’utilisation du travail ou de tout autre moyen afin qu’elle apparaisse incompétente, incapable et, si possible, qu’elle finisse par s’en convaincre. dans certains cas, des violences physiques. 7 LES DIFFÉRENTS TYPES DE HARCÈLEMENT MORAL On peut dire qu’il existe deux formes principales de harcèlement : Le harcèlement vertical Deux cas de figure peuvent se présenter : Tout d’abord, un supérieur peut être agressé par ses subordonnés. Cependant, il s’agit d’un cas plutôt rare. Les causes peuvent être un style ou des méthodes réprouvés, le fait d’une nomination d’un ancien collègue sans que le service n’ait été consulté ou, du moins, dont l’opinion n’a pas été suffisamment prise en compte par la direction. Le mobbing peut également découler d’un empiétement des tâches de la personne promue sur celle des autres membres du groupe. Enfin, un subordonné peut être agressé par un supérieur. Cette situation est beaucoup plus fréquente. Il peut s’agir d’un simple abus de pouvoir : usant abusivement de sa position hiérarchique supérieure, il harcèle ses subordonnés par crainte de perdre le contrôle. C’est le pouvoir des « petits chefs ». Ce peut être également une manœuvre perverse d’un individu qui a besoin d’écraser les autres, ou de démolir une personne choisie comme bouc émissaire pour se sentir exister. Le harcèlement horizontal Il s’agit du harcèlement que subit une victime de la part d’une personne (ou groupe de personnes) du même statut. Autrement dit, il est question d’un collègue qui agresse un autre collègue. Les groupes supportent mal la différence et tentent à standardiser les individus. Ainsi, une femme parmi un groupe d’hommes, un homme dans un groupe de femmes, l’homosexualité, la différence raciale, religieuse ou sociale,…sont parfois sources de harcèlement. Parfois, c’est le sentiment d’envie qui suscite le harcèlement. Le mobbing peut également trouver sa source dans les inimités personnelles liées à l’histoire des individus, ou dans la compétitivité. Bien souvent, le processus est renforcé par l’incompétence de petits chefs qui ont été choisis au vu de leurs compétences professionnelles et non de celles à bien diriger. Ils devraient savoir diriger le relationnel. Il devrait exister des exigences de formations de gestion du personnel et de gestion des conflits. 8 CE QUI N’EST PAS DU HARCÈLEMENT MORAL Le conflit Dans un conflit, le motif du grief et l’origine de la querelle sont connus, les reproches sont nommés. Par ailleurs, les deux protagonistes sont sur un certain pied d’égalité. Ils peuvent s’exprimer, ce qui permettra au conflit d’évoluer : il existe une « escalade symétrique ». Enfin, le conflit naît d’une incompréhension entre les parties, un désaccord. Or, dans un processus de mobbing, il y a du non-dit et du caché (ce que l’on reproche est inavoué, voire inavouable). De plus, il existe un refus de communiquer et une répétition d’actes hostiles. Le stress La finalité du stress est différente de celle du harcèlement. En effet, il s’adresse au groupe et son but est de faire pression pour atteindre des objectifs. Le harcèlement est individualisé et son but est de détruire la ou les victimes. Le harcèlement est beaucoup plus que du stress, même s’il passe par une phase de stress. Par ailleurs, les conséquences sur la santé sont beaucoup plus graves. Chez les stressés, le repos est réparateur, et de meilleures conditions de travail permettront de repartir. Chez une personne victime de harcèlement, la honte et l’humiliation persistent très longtemps même s’il faut nuancer ce propos en fonction de la personnalité des individus. La gestion autoritaire et violente ou la « maltraitance managériale » Il s’agit du « comportement tyrannique de certains dirigeants qui font subir une pression terrible à leurs salariés, ou qui les traitent avec violence, en les invectivant, en les insultant, sans aucunement les respecter »9 Plusieurs distinctions peuvent être mises en évidence par rapport au mobbing. Tout d’abord, cette maltraitance est repérable et directe (et non occulte, sournoise). Ensuite, la cible n’est pas une personne bien déterminée mais l’ensemble du personnel. Enfin, l’objectif n’est pas de détruire l’individu mais de le manager. Le but est de remplacer un mode de gestion par un autre jugé plus efficace. Cependant, il convient de rester prudent, car une telle manière d’agir peut masquer de véritables actes de harcèlement : plutôt que d’instituer un régime contraignant pour tous, on pourrait s’attaquer au point faible de chacun afin d’atteindre l’objectif « managérial ». Les agressions ponctuelles Le harcèlement moral se caractérise notamment par la répétition. Ainsi, une insulte ponctuelle, à moins qu’elle ne soit précédée de petites agressions, est un acte de violence, mais non du mobbing. Cependant, des reproches réitérés le sont, et surtout s’ils sont accompagnés d’autres agissements pour disqualifier la personne. Les mauvaises conditions de travail Ces mauvaises conditions sont généralement indépendantes de la volonté, elles sont rarement mises en place volontairement. Dans le cas où la qualité des conditions de travail pourraient être imputées à un individu chargé de la gestion du système, de sa seule volonté, on pourrait cependant être en présence d’un phénomène de mobbing. 9 HIRIGOYEN M.-F. Malaise dans le travail, harcèlement moral : démêler le vrai du faux. Syros. Paris, 2001, p.22. 9 LES CONSÉQUENCES DU HARCÈLEMENT MORAL Pour la victime Les conséquences du harcèlement dépendent de l’agression, du contexte, de la personnalité de la personne harcelée et de son vécu. Toute mésentente peut créer chez la personne des troubles psychologiques parfois très graves. Outre les attitudes de désistement (la victime tente d’esquiver l’émergence de l’acte violent tout en maintenant la relation), de confusion (la victime n’ose pas se plaindre), de doute (la victime cherche des raisons à la violence dont fait preuve à son égard le harceleur et puisqu’elle n’en trouve pas, cela ne peut venir que d’elle…), de stress (l’acceptation de la soumission par la victime se fait au prix d’une tension intérieure importante qui est génératrice de stress), de peur (la victime est constamment sur le qui-vive et guette chez l’autre tout acte d’agression), de honte (la victime se reproche de n’avoir pu ou su réagir, s’exprimer), d’humiliation (qui peut réveiller des angoisses passées, des humiliations dans le milieu scolaire, familial ou professionnel) et d’isolement qui sont consécutives à la phase d’emprise du harcèlement, on trouve aussi des conséquences médicales à ce genre de phénomène. Ainsi peut apparaître, après une période relativement courte, un état de stress post-traumatique dont les symptômes sont : troubles du sommeil, irritabilité, sentiment d’insécurité, sensibilité exacerbée envers les déceptions, comportements agressifs. La personne revit sans cesse les situations traumatiques, l’évocation des scènes est douloureuse. Elle a des réactions de sursaut et des images s’imposent à elle quand elle se trouve dans une situation qui évoque de près ou de loin le mobbing. Ce stress entraîne donc une distorsion du temps : la mémoire stagne sur l’événement traumatique et le présent devient irréel. La victime a alors tendance à vivre dans le passé et à se détacher de la réalité quotidienne. La dépression peut également survenir lorsque la phase d’exposition est significative. La personne est d’humeur triste, se sent dévalorisée et coupable. Elle n’a plus de désir, notamment celui de s’en sortir, et se détourne de tout ce qui l’intéressait auparavant. Notons que le harcèlement peut malheureusement avoir pour issue le suicide. Il faut souligner que toutes ces conséquences ont des répercussions directes sur l’entourage de la victime et, plus particulièrement, sur sa vie de famille. Pour l’entreprise La démotivation de la victime entraîne une baisse de productivité et par ce fait, une augmentation des coûts de production ou de fonctionnement. Le mobbing est également source d’absentéisme dont les conséquences économiques sont plus que certaines. En effet, une étude du constructeur automobile suédois Volvo10 a déterminé que les défaillances psychosociales sur le lieu de travail et, entre autres, le harcèlement moral sont la principale cause d’absentéisme. Il en ressort également que la moitié des coûts de baisse de qualité est imputable au mobbing et deux tiers des coûts relatifs à la perte de production lui sont également attribuables. Au total, pour une seule de ces usines, le coût annuel de ces défaillances s’élevait à 45 millions d’euros. Enfin, le mobbing a pour conséquence la détérioration du climat social au sein de l’entreprise qui se manifeste notamment par un affaiblissement des flux de l’information ou encore une diminution du support social entre les personnes. 10 LEYMANN H. Mobbing. Traduction française, Edition du Seuil, Paris, p. 155. 10 Pour la société Les coûts sont également énormes pour l’ensemble de la société. En effet, via les mutualités et autres fonds, la société assure la prise en charge des victimes et des coûts indirects sur l’économie. A titre indicatif, en Belgique11, le coût du stress (et le mobbing est bien plus que du stress) était estimé à 25 millions d’euros en 1994, rien que sur les coûts de mutuelles. 11 MOORS S. Organisation et stress : origine et approche. Stress et travail, Editions Moors, 1994. 11 LA LÉGISLATION Après avoir retracé un bref historique de la législation relative au harcèlement moral au travail, je développerai plus particulièrement la loi du 11 juin 2002, dernière venue en la matière et qui affirme une réelle volonté de prendre conscience d’une réalité souvent ignorée. Avant 1998 En ce qui concerne le harcèlement moral en tant que tel, la justice pénale ne pouvait intervenir qu’en ce qui concerne les circonstances qui l’accompagnent parfois : les coups et blessures, les destructions mobilières, le viol, le harcèlement téléphonique12,… Par ailleurs, on ne peut ignorer la loi du 4 octobre 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail13. En effet, même si elle ne permet pas d’appréhender directement le phénomène de harcèlement moral, elle a au moins le mérite d’introduire la notion de bien-être du travailleur comme un droit reconnu et protégé juridiquement. En outre, elle met en place, pour les entreprises de plus de 50 travailleurs, des organes de réflexion (Conseil supérieur ou les comités pour la prévention et la protection au travail). Enfin, elle parle déjà de conseiller en prévention. Cependant, si la lutte contre le harcèlement fait partie des préoccupations de cette loi, quelques critiques peuvent être émises : ¾ elle permet à l’employeur, dans les entreprises de moins de 20 travailleurs, de remplir la fonction de conseiller en prévention. Ce dernier n’est donc pas nécessairement formé pour repérer et traiter les problèmes psychosociaux. On peut également douter de l’impartialité (le conseiller est ici juge et partie) et de l’efficacité d’une telle structure pour les petites entreprises. ¾ le conseil supérieur pour la prévention et la protection au travail auprès du Ministère de l’Emploi et du Travail et le comité pour la prévention et la protection au sein de chaque entreprise n’ont pas de pouvoir contraignant (ce sont des organes de réflexion). On peut aussi déplorer l’omniprésence des employeurs en leur sein et l’absence de formation spécifique de leurs membres. Une amélioration de la loi est donc nécessaire même si le projet à venir pourra s’appuyer sur les structures préexistantes. La loi du 30 octobre 1998 introduisant l’article 442bis dans le code pénal14 Cet article dispose que : « Quiconque aura harcelé une personne alors qu’il savait ou aurait dû savoir qu’il affecterait gravement par ce comportement la tranquillité de la personne visée, sera puni d’une peine d’emprisonnement de 15 jours à 2 ans et d’une amende de cinquante francs à trois cent francs, ou de l’une de ces peines seulement. Le délit prévu par le présent article ne pourra être poursuivi que sur la plainte de la personne qui se prétend harcelée. » Concrètement, ce texte incrimine tout comportement dérangeant ou irritant de manière grave (il faut que ce comportement soit raisonnablement perturbateur pour la victime). 12 Ainsi, il existe la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques (M.B., 27 mars 1991, page 6155 et suivantes) qui érige en infraction le harcèlement téléphonique mais aussi celui qui se fait via l’usage d’internet (art. 114 §8, 1°). 13 M.B., 18 septembre 1996. 14 M.B., 17 décembre 1998. 12 Notons l’absence d’exigence du caractère répétitif de ce comportement : un comportement unique, mais profondément perturbateur peut donc suffire. Le législateur a privilégié cette option dans le souci de recouvrir des comportements plus larges que ce qu’on entend par mobbing. Par ailleurs, le harcèlement constitue une infraction volontaire (« savait ou aurait dû savoir). L’auteur doit avoir intentionnellement adopté un comportement susceptible de perturber gravement la tranquillité sans pour autant avoir souhaité faire naître des conséquences fâcheuses ou simplement dérangeantes pour la victime. Enfin, le droit belge reconnaît le harcèlement en tant que tel comme un délit. Il existe une notion pénale de harcèlement étant susceptible de rencontrer une multiplicité de situations n’ayant pas nécessairement comme contexte une relation de travail. Cependant, on peut regretter que cette disposition ne permette d’incriminer que le harceleur direct sans que puisse être mis à charge de l’employeur son éventuelle passivité. Par ailleurs, s’agissant d’une disposition pénale, sa mise en œuvre est conditionnée par la procédure pénale, procédure au bout de laquelle n’aboutit qu’un pourcentage faible des plaintes. En outre, on relèvera que les poursuites dudit délit requièrent le dépôt d’une plainte par la victime : ce dépôt est donc une condition de recevabilité des poursuites et il en résulte que le retrait de la plainte par la victime fait obstacle à l’intentement de l’action publique s’il survient avant le début des poursuites15. On peut également se demander si ce texte pourrait s’appliquer dans les hypothèses où l’auteur des faits adopte une attitude légitime (par exemple fondée sur un contrat de travail) mais qui peut être ressentie par autrui comme étant constitutive d’un harcèlement ? Ainsi, un chef d’entreprise tyrannique et pointilleux qui assomme ses employés de travail tout en réduisant les outils mis à leur disposition pourrait-il être poursuivi ? En conclusion, on peut encore s’interroger sur ce qui pourrait être légalement reconnu comme du harcèlement et ce qui ne le pourrait pas. Cette seule disposition ne peut suffire à lutter efficacement contre ce phénomène dont les conséquences physiques, psychiques et économiques sont si importantes. La loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail16 Cette loi entrée en vigueur le 1er juillet 2002 est assortie de l’arrêté royal du 11 juillet 2002 et de sa circulaire explicative de la même date17. Notons également que cette nouvelle loi donne effet à trois directives européennes18 . Par cette loi, le législateur a principalement inséré à la loi de 1996 un nouveau chapitre19. Son objectif est d’élaborer un dispositif préventif, protecteur ainsi que répressif aussi complet et cohérent 15 Pour bien comprendre, il faut savoir que le dépôt d’une plainte auprès des services de police ne met jamais l’action publique en mouvement. Pour ce faire, il faut que le ministère public décide de poursuivre. Par contre, s’il décide de ne pas exercer l’action publique, on dit qu’après avoir jugé de l’opportunité des poursuites, il classe sans suite. Il existe cependant des voies d’actions pour la victime présumée qui souhaite que l’action publique commence à courir : la citation directe devant la juridiction de fond ou le dépôt de plainte, avec constitution de partie civile en main du juge d’instruction. 16 M.B., 22 juin 2002. 17 Ces deux textes ont été publiés dans le M.B. du 18 juillet 2002. 18 Il s’agit des directives suivantes : la directive cadres 89/391/CEE du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre des mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité des travailleurs au travail, la directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique et la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. 13 que possible. Il espère ainsi appréhender des situations que le droit au sens large et en particulier le droit social ont des difficultés à cerner comme nous avons pu le constater précédemment. Champ d’application Cette loi s’est voulue la plus large possible. Il a ainsi été décidé d’intégrer le dispositif tant préventif que répressif dans la loi du 4 août 1996 énoncée plus haut. Par ailleurs, c’est la première fois en droit du travail qu’une même réglementation générale concerne tant les employeurs du secteur privé que ceux du secteur public ainsi que le personnel qu’ils occupent (et les personnes assimilées aux travailleurs tels que les stagiaires, les personnes liées par un contrat d’apprentissage,…). Est également visée toute personne qui entre en contact avec les travailleurs lors de l’exécution de leur travail : les clients, les fournisseurs, les prestataires de services, les élèves… Soulignons en outre que si la loi de 1996 ne s’appliquait pas aux domestiques et autres gens de maison, la loi nouvelle a prévu de leur ouvrir le droit d’introduire une action en cessation20 (des faits de harcèlement) et une action en indemnité21 lorsqu’ils sont victimes de violence ou de harcèlement au travail. Les définitions22 Par souci d’exhaustivité, je vais reprendre toutes les définitions proposées par la loi. Cependant, je ne commenterai que la définition du harcèlement moral, ce qui est essentiellement le thème de ce travail. La violence au travail On appelle violence au travail toute situation de fait où un travailleur (ou toute autre personne à laquelle le texte s’applique) est persécuté, menacé ou agressé psychiquement ou physiquement lors de l’exécution du travail. Le harcèlement moral On appelle harcèlement moral au travail les conduites abusives et répétées de toute origine, externes ou internes à l’entreprise ou à l’institution, qui se manifestent notamment par des comportements, des paroles, des intimidations, des actes, des gestes et des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité, l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur (ou d’une autre personne à qui la loi s’applique) lors de l’exécution de son travail, de mettre en péril son emploi ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant. Les conduites doivent être abusives : Est abusif un comportement qui fait l’objet d’un abus de droit ou qui porte atteinte aux droits d’une autre personne, à une règle de droit et/ou au devoir général de prudence et de précaution. L’objectif « abusif » permet donc de distinguer d’une part, les directives et les instructions de l’employeur qui forment la substance de l’engagement du travailleur et d’autre part, celles qui ne le sont pas et qui sortent de ce cadre. Seules ces dernières relèvent de la définition de harcèlement. Ainsi, cet objectif est un garde-fou. Il devrait empêcher de « crier au harcèlement » à tort et à travers, même si tout est bien évidemment question d’interprétation. 19 Extrait de la loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail introduisant u nouveau chapitre dans la loi du 4 octobre 1996. 20 Art. 32decies. 21 Art. 32tredecies. 22 Art. 32ter. 14 Les conduites doivent être répétées : Ce critère de répétition permet de différencier la violence au travail du harcèlement. Les conduites ayant pour objet ou pour effet : Tant les comportements volontaires qu’involontaires sont incriminés. Les travailleurs ne pourront donc plus se justifier en affirmant avoir ignoré que ce comportement était répréhensible ou en prétextant qu’ils n’ont pas agi dans le but de nuire à autrui. Les conduites doivent avoir lieu lors de l’exécution du travail : Cette précision permet d’incriminer des faits ayant lieu hors des murs de l’entreprise ou de l’institution pour autant qu’ils aient été commis lors de l’exécution du travail. Les travailleurs itinérants tels que les représentants de commerce sont ici visés. Les obligations des travailleurs : mieux vaut prévenir que guérir Obligation de participer activement à la politique de prévention Ainsi un travailleur témoin d’un acte de harcèlement commis sur les lieux de travail qui s’abstient de dénoncer les faits manque à son obligation et pourrait être sanctionné. Obligation de s’abstenir de tout acte de violence ou de harcèlement Celle-ci coule de source. Droits et obligations vont de pair. Obligation de s’abstenir de tout usage abusif de la procédure de plainte Un problème se pose quant à la distinction des situations d’abus de droit volontaire, ayant clairement pour objectif de nuire à autrui en relevant de la calomnie ou de la diffamation, des situations d’abus de droit involontaire commis par des personnes qui, en toute bonne foi, pensent faire l’objet de violence ou de harcèlement. C’est la jurisprudence qui tranchera. Les obligations des employeurs Développer des mesures de prévention Cette obligation23 porte tant sur la prévention des faits de violence et de harcèlement que sur l’instauration d’un climat rendant possible et efficiente l’application des mesures de répression. Dans cet objectif, ces mesures doivent (toujours selon la loi) être adaptées à la nature des activités et à la taille de l’entreprise. Par ailleurs, elles doivent au minimum porter sur : - - les aménagements matériels des lieux de travail ; la définition des moyens mis à la disposition des victimes pour obtenir de l’aide et pour connaître la manière de s’adresser au conseiller en prévention et à la personne de confiance ; l’investigation rapide et impartiale des faits ; l’accueil, l’aide et l’appui requis aux victimes ; les mesures de prise en charge et de remise au travail ; les obligations de la ligne hiérarchique dans la prévention des faits ; l’information et la formation des travailleurs ; l’information du comité de prévention et de protection au travail (C.P.P.T.) On distingue trois types de prévention : Les mesures de prévention primaire Elles ont pour but de prévenir et éviter les risques. 23 Art. 32quater, §1. 15 Les employeurs doivent donc prendre : - des mesures qui ont trait à l’organisation de l’entreprise : elles concernent principalement l’information et la sensibilisation aux risques liés à la problématique envisagée ici. Exemple : procéder à une campagne d’affichage dans l’entreprise sur le sujet. - des mesures concernant le travail lui-même : il s’agit d’organiser le travail de façon à éviter la violence et le harcèlement moral ou du moins à en réduire fortement les risques. Exemple : procéder à un aménagement matériel des lieux qui puisse garantir un espace de liberté à chacun et qui rende le contrôle social possible. Les mesures de prévention secondaire Elles ont pour objectif d’éviter que la victime subisse un dommage psychologique ou physique. Il s’agit donc d’informer clairement la victime des moyens dont elle dispose pour obtenir de l’aide et de la manière de s’adresser au conseiller en prévention ou à la personne de confiance. De plus, il faut garantir une investigation rapide et équitable des faits. Enfin, chaque travailleur doit connaître de manière individuelle ses droits et être en mesure d’en faire usage de manière effective (quels sont les moyens d’action et quelles en sont les suites ?). Les mesures de prévention tertiaire Malgré les mesures de prévention prises par l’employeur, des comportements de violence ou de harcèlement ne sont pas exclus. Or, ce type de fait entraînant un dommage, l’employeur a l’obligation de prendre des mesures tendant à limiter le dommage. Ces mesures devront donc notamment viser les mesures de prise en charge des victimes ainsi que celles de remise au travail de celles-ci. Intégrer ces mesures dans le plan global de prévention ainsi que dans le plan annuel d’action Analyser les risques consécutifs à des faits de violence ou de harcèlement24 Chaque fois qu’un travailleur a été victime de fait de violence ou de harcèlement, l’employeur devra procéder à une nouvelle analyse des risques encourus. Celle-ci devra permettre d’évaluer l’efficacité des mesures arrêtées et d’identifier celles à prendre. Les travailleurs, les membres de la ligne hiérarchique et les membres du C.P.P.T. devront être tenus informés. Mesures particulières pour les travailleurs en contact avec le public25 Un soutien psychologique approprié doit être accordé à ce type de travailleurs qui constitue un groupe à risque. En effet, ils sont quotidiennement victimes d’une forme de violence physique ou psychique qui est le fait de personnes étrangères à l’entreprise ou l’institution. De plus, dans un tel cadre, l’employeur est tenu de noter dans un registre spécifique de façon systématique les déclarations des travailleurs qui s’estiment victimes26 de faits de violence ou de harcèlement. En outre, ces déclarations devront être communiquées au conseiller en prévention et conservées pendant cinq ans. Si l’employeur cesse ses activités, il devra communiquer le contenu de ce registre à l’administration de l’hygiène et de la médecine du travail dans les trois mois. 24 Art. 32quater, §2. Art. 32quinquies. 26 Art. 6, §1 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002. 25 16 Désigner un conseiller en prévention Cette personne va constituer le pivot du traitement interne des faits de violence et de harcèlement. Afin de lui accorder une confiance absolue, elle est désignée avec l’accord préalable de l’ensemble des représentants des travailleurs au C.P.P.T. ou à défaut, de la délégation syndicale. Une distinction est faite dans ce processus de désignation selon la taille de l’entreprise : Les entreprises de moins de 50 travailleurs L’employeur qui occupe moins de 50 travailleurs doit obligatoirement faire appel à un service externe pour la prévention et la protection au travail. Ce service lui proposera un conseiller en prévention. Les entreprises de plus de 50 travailleurs L’employeur a le choix entre un conseiller en prévention issu d’un service interne ou externe. Toutefois, à défaut d’accord entre les membres représentant les travailleurs au C.P.P.T. (ou de la désignation syndicale), l’employeur est contraint d’avoir recours à un service externe. Le conseiller sera assisté le cas échéant dans ses missions par des personnes de confiance27. Cette possibilité (et non-obligation) est justifiée par le fait que les victimes peuvent éprouver des difficultés pour s’adresser au conseiller en fonction, soit à cause de son sexe, soit à cause de sa fonction dans la hiérarchie voire de l’approbation qu’il a reçue des délégués syndicaux. En effet, cette approbation n’est pas celle de chaque membre du personnel28. La personne de confiance peut être un membre du personnel ou une personne externe à l’entreprise ou l’institution. L’employeur la désigne après avoir obtenu l’accord de l’ensemble des représentants des travailleurs au sein du C.P.P.T. (ou de la délégation syndicale). Cette fonction peut également être exercée par une personne déjà chargée de donner de l’aide aux victimes de harcèlement sexuel au travail en vertu d’autres règlementations29. Néanmoins, elle devra être désignée à nouveau selon la nouvelle procédure. Quelles sont les compétences respectives du conseiller et des personnes de confiance ? L’arrêté royal du 11 juillet 200230 répond à cette question : « Le conseiller en prévention compétent et, le cas échéant, la personne de confiance, assistent l’employeur, les membres de la ligne hiérarchique et les travailleurs pour l’application des mesures visées par la loi et le présent arrêté. Le conseiller en prévention compétent et la personne de confiance se concertent régulièrement ». Plus spécifiquement, la ou les personnes de confiance remplissent, conjointement avec le conseiller, les missions suivantes : - participer à l’élaboration des procédures à suivre en cas de violence ou de harcèlement au travail ; dispenser des conseils, l’accueil, l’aide et l’appui requis aux victimes ; recevoir les plaintes motivées des victimes et les transmettre au conseiller. Le conseiller en prévention a, en outre, pour tâches de : - collaborer à l’analyse des risques ; examiner les plaintes motivées, et proposer à l’employeur des mesures pour mettre fin aux faits dont elles font l’objet ; 27 Art. 32sexies. Avis n°44 du 22 mai 2001 du Conseil de l’égalité des chances. 29 Par ex. arrêtés royaux du 18 septembre 1992 ou du 9 mars 1995 réglementant la protection des travailleurs contre le harcèlement sexuel respectivement dans le secteur privé et dans les administrations fédérales. 30 Plus précisément l’art. 8 de cet arrêté. 28 17 - procéder aux démarches utiles pour qu’il puisse être mis fin aux faits de violence et harcèlement ; donner son avis sur les services ou institutions auxquels l’employeur peut faire appel ; ouvrir et tenir à jour un dossier individuel de plaintes à propos des actes de violence et harcèlement ; établir régulièrement un rapport des plaintes motivées à propos des faits de violence et harcèlement au travail. Ce rapport comporte uniquement des données collectives et anonymes. Existe-t-il des incompatibilités avec l’exercice de telles fonctions ? Le conseiller en prévention ne peut être le médecin du travail31. Cependant, si à l’occasion d’un examen médical, le médecin du travail constate que l’état de santé du travailleur est altéré pour des faits de violence ou harcèlement, il est contraint d’informer le patient de la possibilité de s’adresser au conseiller en prévention où à la personne de confiance. De plus, si le médecin estime qu’il en est incapable, il peut, avec son consentement, informer luimême le conseiller. Je ne relève aucune incompatibilité concernant la fonction de personne de confiance. Protection particulière Afin de garantir une entière indépendance au conseiller en prévention vis-à-vis de l’employeur et des travailleurs dans l’accomplissement de ses missions, une protection juridique particulière32 lui est accordée. Aucune disposition de ce genre n’est prévue pour les personnes de confiance. 31 Art. 32sexies, §1, in fine. Celle-ci fait l’objet d’une loi distincte : la loi du 20 décembre 2002 portant protection des conseillers en prévention (M.B., 20 janvier 2003). 32 18 LES MOYENS D’ACTION DE LA PERSONNE QUI S’ESTIME VICTIME Je vais distinguer consécutivement les cas où la victime (ou du moins la personne qui s’estime en tant que telle) est le travailleur, ceux où elle est l’employeur et enfin lorsqu’il s’agit d’un tiers. Le travailleur Il peut opter, successivement ou simultanément33 pour trois voies d’actions différentes, à savoir la résolution interne, le recours direct à l’Inspection du travail et le recours devant la juridiction compétente. 1) La procédure interne Il existe trois possibilités d’accès à cette procédure : Première voie La victime présumée peut s’adresser à la personne de confiance ou, si elle préfère, directement au conseiller en prévention. Deuxième voie Il en a déjà été question précédemment. Il s’agit du cas où le médecin du travail constate des faits (au travers de l’altération de l’état de santé du travailleur). Ici, soit il s’en tient à informer la victime de la première voie d’accès à la procédure interne, soit s’il estime qu’elle n’est pas en mesure d’agir, il informe lui-même le conseiller en prévention, avec le consentement de la personne concernée. Troisième voie Comme nous l’avons vu plus haut, lorsqu’un travailleur (en contact avec le public) est victime d’un tiers, l’employeur est tenu de noter de façon systématique ses déclarations34 dans le registre des actes de violence au travail35. De plus, il doit veiller à ce que son contenu soit communiqué au conseiller en prévention. Notons que cette procédure n’empêche pas le travailleur d’avoir recours aux deux premières voies d’accès à cette procédure. 33 Cependant, en cas de plainte auprès de l’auditeur du travail, la possibilité de faire appel à l’Inspection du travail est exclue de facto. En effet, dans le cadre d’une procédure judiciaire, c’est cette dernière qui enquête sur le terrain sous les ordres de l’auditorat du travail. Et une fois l’enquête judiciaire entamée, l’Inspection du travail est liée par le secret de l’instruction. 34 L’inscription des déclarations de la victime ne leur confère pas valeur de plainte motivée. Dès lors, elle n’a pas pour effet de protéger le travailleur contre le licenciement. Dès qu’il reçoit les déclarations par l’intermédiaire de l’employeur, le conseiller prend contact avec le travailleur qui garde toujours la possibilité de déposer une plainte motivée. 35 Le registre a une double fonction : 1) Mettre l’employeur au courant des faits afin de lui permettre d’adapter sa politique de prévention au niveau de son entreprise. Grâce au registre, il aura un aperçu global des comportements de violence et de harcèlement qui trouvent leur origine en dehors de l’entreprise et pourra sur cette base adapter sa politique de prévention. 2) Mettre l’employeur au courant des faits le plus rapidement possible pour lui permettre de prendre des mesures adéquates au cas individuel, éventuellement en concertation avec le conseiller. L’obligation de prendre des mesures adéquates naît de l’inscription des faits dans le registre. L’auteur des comportements étant un tiers à l’entreprise, l’employeur a un pouvoir d’action sur ce tiers contrairement au conseiller ou à la personne de confiance. 19 Le déroulement de la procédure interne Une fois mis au courant des faits, quel est le rôle du conseiller et de la personne de confiance ? Rappelons que l’un des objectifs de cette nouvelle disposition est de régler autant que possible les conflits au sein des entreprises et d’éviter au maximum les recours devant les tribunaux. En effet, n’oublions pas que les différentes parties sont appelées à se côtoyer régulièrement. Aussi, la solution la plus sage, la plus souhaitable et la plus vivable pour tous est bien évidemment celle qui se fonde sur un accord commun, la conciliation. Il vaut toujours mieux privilégier une solution consentie à un jugement imposé, surtout lorsque les deux parties sont amenées à se fréquenter quotidiennement. Par ailleurs, cette procédure a plus de chance d’aboutir à une solution : l’intervention peut être immédiate et elle donne à la victime la possibilité d’obtenir davantage d’éléments afin d’établir le commencement de la preuve dans l’hypothèse où les faits sont portés devant une juridiction. Première étape : tentative de conciliation ou phase informelle Dans le cas où le travailleur fait appel à la personne de confiance, celle-ci va jouer un rôle de première ligne. Elle va tout d’abord entendre la personne, lui dispenser des conseils, lui fournir l’accueil, l’aide et l’appui requis36. Elle peut également, à la demande du travailleur, tenter de concilier les deux parties en cause37 (c’est-à-dire aider à l’émergence d’un accord entre ces deux personnes). L’idée est de responsabiliser les parties, en instaurant un lieu de parole pour que cessent les faits. Lorsqu’il n’y a pas de personne de confiance ou que la personne qui s’estime victime préfère s’adresser au conseiller, c’est ce dernier qui prendra un rôle d’écoute et de conciliation38. A ce stade, il n’est pas question de faire de rapport à l’employeur, d’entendre les témoins, d’interroger les personnes faisant partie du service de la personne qui s’estime victime. L’employeur sera au courant de la situation uniquement si le présumé harcelé le demande expressément. Par ailleurs, la personne qui s’estime victime n’est pas protégée contre le licenciement durant cette phase. Deuxième étape : le dépôt d’une plainte motivée ou phase formelle Lorsque la conciliation n’aboutit pas à un résultat ou est impossible, sur demande formelle de la personne qui s’estime victime, la personne de confiance ou le conseiller actera sa plainte (document écrit et daté par lequel le plaignant met en demeure l’employeur de prendre des mesures pour mettre fin aux actes). Celle-ci doit être motivée (le plaignant doit donner les raisons pour lesquelles il se considère victime par le biais de faits concrets qu’il a vécus et qui peuvent être rattachés aux dispositions légales). Les personnes qui veulent être entendues comme témoin le seront et leurs dires seront actés avec ceux du plaignant. Chacun recevra copie de sa déclaration. L’identité de la (ou des) personne(s) en cause devra figurer dans les documents de la plainte. A partir du dépôt de cette plainte motivée, le travailleur qui se plaint bénéficie d’une protection juridique39. Le conseiller, à qui la personne de confiance a transmis cette plainte, dans le cas où le travailleur ne s’est pas directement adressé à lui, doit en informer immédiatement l’employeur. Le conseiller fait également parvenir à l’employeur une copie de la plainte et l’invite à prendre des mesures adéquates. En réalité, l’employeur est obligé de prendre de telles mesures. Afin de l’aider dans cette tâche, le conseiller entend toutes les parties (plaignant, personne(s) mise(s) en cause et témoin(s)), reprend ses constatations personnelles et acte son analyse et ses propositions dans un écrit qu’il lui remet. 36 Art. 8, §2, 2° de l’arrêté royal du 11 juillet 2002. Art. 10, §2 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002. 38 Art. 8, §3 et art. 12, al. 1 de l’arrêté royal du 11 juillet 2002. 39 Art. 32tredecies et chap. VI de la loi du 11 juin 2002. 37 20 Troisième étape : sortie de la procédure interne Information des services d’inspection : Si l’employeur s’abstient de prendre de telles mesures ou si celles-ci s’avèrent inefficaces, le conseiller en prévention saisit l’Inspection du travail. L’inspecteur du travail va tenter de faire en sorte que la situation se régularise, que les actes cessent. Il va donc soit tenter de faire appliquer les propositions du conseiller, soit imposer d’autres mesures à l’employeur ou prendre toute initiative conforme à la loi sur l’Inspection du travail pour sauvegarder la santé et la sécurité des travailleurs. Intervention de l’auditorat du travail : Si les tentatives de résolution des services de l’inspection échouent, ceux-ci peuvent dresser un rapport ou un procès-verbal40 reprenant la plainte de la victime. Ils le transmettent ensuite à l’auditorat du travail. L’auditeur tentera à son tour de régulariser la situation. Nous constatons la prévalence du mode de conciliation qui devrait permettre de dégager une solution à l’amiable interne à l’entreprise ou l’institution sans avoir recours aux tribunaux. L’objectif étant que seules les situations les plus graves soient soumises au traitement judiciaire. L’auditeur jugera lui-même de la nécessité et de l’opportunité d’engager des poursuites pénales. Le tribunal correctionnel Si l’auditeur ne classe pas le dossier sans suite, il peut citer à comparaître devant le tribunal correctionnel l’auteur des faits et, dans certaines hypothèses, l’employeur, en tant que personne responsable de la politique de prévention ou un membre de la ligne hiérarchique en tant qu’exécutant de cette même politique. 2) Recours direct à l’inspection du travail41 Le travailleur qui s’estime victime peut s’adresser directement aux inspecteurs sociaux de la division générale « Contrôle du bien-être au travail du SFP Emploi, Travail et Concertation sociale » (nouvelle appellation de l’inspection du travail) sans passer par la personne de confiance ou le conseiller en prévention. L’anonymat absolu du plaignant et du contenu de sa déclaration est garanti. L’inspecteur ne pourra donc pas informer l’employeur de cette plainte, sauf si celui qui la dépose lui en donne l’autorisation expresse. Quelques chiffres Le nombre de plaintes formelles pour la période de juillet 2002 à novembre 2003 est de 1157 pour les cinq directions. Lieu Anvers Bruxelles Charleroi Gand Liège Nombre de plaintes 108 380 431 121 117 Ainsi, c’est en Wallonie que le record est atteint avec 548 plaintes, suivie de Bruxelles avec 380 plaintes et de la Flandre avec 229 plaintes. 40 Contrairement au conseiller, l’inspecteur dispose d’un pouvoir d’injonction vis-à-vis des membres de la ligne hiérarchique, en tant qu’auteur ou responsable de l’exécution de la politique de prévention. Par ailleurs, la loi sur le bien-être ne prévoit aucune sanction pénale à charge des travailleurs qui ne sont pas membres de la ligne hiérarchique. Donc, si l’auteur des faits s’avère être un simple travailleur, l’inspecteur ne pouvant dresser de procès-verbaux à sa charge, il rédigera un rapport qu’il enverra à l’auditeur du travail. 41 Art. 32nonies 21 3) Recours direct devant la juridiction compétente42 43 Lorsque l’affaire est introduite devant le tribunal, la protection spécifique de l’article 32tredecies dont bénéficie le travailleur commencera à la date de la signification de l’exploit d’huissier donnant citation à comparaître devant la juridiction compétente. La procédure civile L’objet de la demande peut être divers : - - le travailleur peut demander l’octroi de dommages et intérêts en réparation. il peut intenter, devant le tribunal du travail, une action en cessation qui consiste, comme son nom l’indique, à faire cesser l’acte de violence ou de harcèlement. Le juge peut en effet ordonner à l’auteur des faits ainsi qu’à son employeur d’y mettre fin, dans un certain délai. Une fois l’échéance atteinte, les intéressés sont passibles d’une peine d’emprisonnement et/ou d’une amende44. il peut demander l’annulation de l’acte administratif illégal. Cette action relève de la compétence du Conseil d’Etat. Ainsi, par exemple, un fonctionnaire qui fait l’objet d’une mesure de mutation vers un service où il devra accomplir des tâches moins valorisantes se trouve dans un contexte de harcèlement. La mesure pourrait donc être annulée par la juridiction. La procédure pénale Cette procédure peut partir d’une plainte auprès des services de police ou de l’auditorat du travail. Bien sûr, l’auditorat est seul juge de la nécessité et de l’opportunité des poursuites. Cependant, le travailleur peut également citer l’auteur des faits devant le tribunal correctionnel (citation directe) ou déposer plainte, avec constitution de partie civile en main du juge d’instruction. De cette action judiciaire peut découler des sanctions pénales vis-à-vis de l’employeur (en tant qu’auteur des faits45 et/ou responsable de la politique de prévention46), d’un membre de la ligne hiérarchique (en tant qu’auteur des faits et/ou responsable de l’exécution de la politique de prévention) ou d’un travailleur auteur des faits. Toute personne reconnue coupable est passible d’une peine d’emprisonnement et/ou d’une amende. La charge de la preuve47 Le demandeur va devoir établir des éléments, des indices qui permettent de présumer l’existence de violence ou harcèlement. C’est ensuite au défendeur d’apporter la preuve qu’il n’y a pas eu de tels faits. Il y a donc renversement de la charge de la preuve. Le droit d’action en justice de certaines organisations48 Peuvent introduire une action en justice, la personne qui s’estime être victime mais aussi certaines organisations, à savoir : 42 Art. 32decies La juridiction compétente dépend de la nature de la procédure en justice engagée : - Le tribunal correctionnel est compétent pour l’action pénale - Le tribunal du travail est compétent pour connaître des contestations relatives à la violence et au harcèlement moral ou sexuel qui sont fondées sur le chapitre Vbis de la loi sur le bien-être. - Le Conseil d’Etat est compétent pour l’annulation d’un acte administratif unilatéral. 44 Art. 88bis. 45 Pour plus de détails, voir articles 81 et 88bis de la loi sur le bien-être, à l’article 442bis du Code Pénal et à tout autre article de ce même code dans la mesure où les faits de violence ou harcèlement sont constitutifs d’une infraction de droit commun (ex : coups et blessures volontaires). 46 Pour plus de détails, voir articles 32septies, 81 et 88bis de la loi sur le bien-être. 47 Art. 32undecies de la loi sur le bien-être. 48 Art. 32duodecies de la loi sur le bien-être. 43 22 - Les organisations représentatives des travailleurs et des employeurs (F.G.T.B., C.S.C., C.G.S.L.B., S.L.F.P., C.G.S.P., C.C.S.P.,…). Les établissements d’utilité publique et les A.S.B.L. dont la mission statutaire est de venir en aide aux victimes. Il ne faut cependant pas perdre de vue que ce droit d’aller en justice n’est pas absolu : il est subordonné à l’accord de la victime. L’employeur La procédure interne n’est pas applicable dans ce cas de figure : l’employeur ne va pas s’envoyer une plainte motivée. Cependant, il peut toujours prendre conseil auprès du conseiller. De plus, il peut licencier le travailleur auteur des faits de harcèlement ou lui infliger une sanction disciplinaire. Enfin, il peut intenter une action en justice49 pour réclamer la cessation des actes et/ou des dommages et intérêts. Le tiers Ici aussi, la procédure interne, instituée uniquement au profit des travailleurs, n’est pas applicable. Toutefois, on pourrait imaginer que le tiers aille se plaindre auprès de l’employeur du présumé harceleur et que cet employeur charge le conseiller de lui suggérer des mesures adéquates à prendre. Enfin, le tiers victime peut s’adresser aux services de l’Inspection ou agir en justice50. Système de protection du travailleur contre le licenciement51 Cette protection a pour but de permettre à la personne qui s’estime victime d’oser exposer sa situation sans craindre de représailles sur le plan professionnel. Personnes bénéficiaires - - le travailleur qui a déposé une plainte motivée auprès de la personne de confiance, du conseiller, de l’inspection. le travailleur pour lequel l’inspection est intervenue. Autrement dit, lorsqu’une plainte a été déposée à la police ou à l’auditorat du travail. En effet, la plainte auprès des services de police est transférée à l’auditeur. Ce dernier juge de la nécessité de poursuivre. Si celle-ci est avérée, l’auditeur charge de devoirs l’inspection du travail. C’est donc celle-ci qui mène concrètement l’enquête selon les directives de l’auditorat. le travailleur qui intente une action en justice ou pour lequel une action en justice est intentée. les travailleurs qui interviennent comme témoins (de l’accusation ou de la défense), que ce soit dans le cadre de la procédure interne ou judiciaire. La nature de la protection L’employeur ne peut mettre fin à la relation de travail ou modifier unilatéralement les conditions de travail du travailleur protégé52 dans les 12 mois qui suivent le dépôt d’une plainte, la déposition d’un témoignage ou l’intentement d’une action en justice et ce, jusqu’à trois mois après que le jugement soit passé en force de chose jugée (c’est-à-dire lorsqu’il ne peut plus faire l’objet d’appel ou d’opposition, autrement dit, un mois à partir de la signification du jugement). 49 Art. 32undecies de la loi sur le bien-être. Art. 32undecies de la loi sur le bien-être. 51 Art 32tredecies de la loi sur le bien-être. 52 Il faut cependant mettre en relation cette modification et le contrat de travail : cette modification constitue-telle une modification du contrat ? 50 23 N’entrent pas en ligne de compte les ruptures de contrat et les modifications unilatérales pour motifs (vérifiés seulement a posteriori) graves et étrangères à la plainte de la victime, son action en justice ou son témoignage (hypothèse du licenciement pour motif grave justifié). Lorsqu’une procédure est entamée sur la base d’une plainte motivée au niveau de l’entreprise ou l’institution, c’est le conseiller en prévention qui informe immédiatement l’employeur du fait que le travailleur bénéficie de cette protection. Conséquences du non-respect de la protection du travailleur par l’employeur53 Cessation de la relation de travail ou modification unilatérale des conditions de travail par l’employeur durant la période de protection Le travailleur (ou l’organisation de travailleurs à laquelle celui-ci est affilié) a deux possibilités. Le travailleur demande à être réintégré dans l’entreprise ou l’institution dans les conditions qui prévalaient avant les faits qui ont motivé la plainte Cette demande est faite par lettre recommandée à la poste, dans les 30 jours suivant la notification du préavis, de la rupture sans préavis ou de la notification unilatérale. L’employeur doit prendre position sur cette demande dans les 30 jours suivant sa notification : - soit il réintègre le travailleur et il est alors tenu de payer la rémunération perdue du fait du licenciement ou de la modification unilatérale (et de verser les cotisations des employeurs et des travailleurs afférents à cette rémunération). - soit il ne le réintègre pas ou pas dans les conditions qui prévalaient avant les faits qui ont motivé la plainte. Dans ce cas, le travailleur peut alors réclamer devant le tribunal du travail une indemnisation égale, selon le choix du travailleur : - soit à un montant forfaitaire correspondant à la rémunération brute de six mois ; - soit au préjudice réellement subi par le travailleur, à charge pour ce travailleur de prouver l’étendue de ce préjudice. L’employeur devra alors tenter de démontrer que le motif pour lequel il a licencié ou modifié les conditions de travail est étranger à la plainte, au témoignage ou à l’action en justice. Le travailleur ne demande pas à être réintégré Dans ce cas, le travailleur aura droit à l’indemnité si un juge a reconnu comme établis les faits de harcèlement. L’employeur est alors tenu de payer une indemnité égale, selon le choix du travailleur : - Soit à un montant forfaitaire correspondant à la rémunération brute de six mois ; - Soit au préjudice réellement subi par le travailleur, à charge pour ce travailleur de prouver l’étendue de ce préjudice. Cette possibilité de ne pas demander la réintégration permet des situations où il apparaît que, si la victime regagne le lieu de travail, la persécution recommencera. 53 Art. 32tredecies de la loi sur le bien-être. 24 Rupture du contrat de travail par le travailleur durant la période de protection Il s’agit de l’hypothèse où la modification unilatérale des conditions de travail par l’employeur constitue, dans le chef du travailleur, un motif de rompre le contrat sans préavis et avant l’expiration de son terme. Le travailleur estime par lui-même si cette modification constitue un motif de rupture du contrat sans attendre une décision du juge. Il peut alors réclamer à l’employeur devant le tribunal du travail une indemnité égale, selon son choix : - soit à un montant forfaitaire correspondant à la rémunération brute de six mois ; - soit au préjudice réellement subi, à charge pour lui de prouver l’étendue de celui-ci. L’employeur devra alors tenter de démontrer que le motif pour lequel il a modifié les conditions de travail est étranger à la plainte, au témoignage où à l’action en justice. Rappelons que le travailleur n’est pas tenu d’introduire une demande de réintégration. Il existe donc une protection particulière assimilant à un congédiement illégal le cas où le comportement de l’employeur amène le travailleur à rompre le contrat. Licenciement du travailleur pour motif grave durant la période de protection Il s’agit de la situation où le motif grave n’est pas reconnu en tant que tel par le tribunal et où, de surcroît, le licenciement est lié au dépôt de la plainte, de l’action en justice ou du témoignage. Dans ce cas, le travailleur peut réclamer devant le tribunal du travail une indemnisation égale, selon le choix du travailleur : - soit à un montant forfaitaire correspondant à la rémunération brute de six mois ; - soit au préjudice réellement subi, à charge pour le travailleur de prouver l’étendue du préjudice. Les structures d’aide aux victimes de harcèlement en dehors de l’entreprise Outre les structures prévues par la loi au sein de l’entreprise, qui peut prendre les victimes de harcèlement moral en charge ? Auprès de qui peuvent-elles trouver de l’aide en dehors de l’entreprise ? Auprès du service de la Médecine du Travail (S.P.M.T.) Comme nous l’avons vu précédemment, le médecin du travail informe sur les possibilités de s’adresser au conseiller en prévention et/ou à la personne de confiance. Il peut également, s’il estime que la personne en est incapable (mais avec son consentement) informer lui-même le conseiller. Cependant, notons que toute visite médicale réglementaire ou spontanée, en médecine du travail, est notifiée à l’employeur par une fiche d’aptitude. Cette fiche d’aptitude peut être lourde de conséquences pour le salarié… Il est également possible de s’adresser aux conseillers en prévention chargés des aspects psychosociaux du travail. Il ne faut pas confondre ceux-ci avec les conseillers en prévention au sein des entreprises et institutions. Ils travaillent pour le S.P.M.T. et non pour l’entreprise. 25 Auprès des organisations d’aide aux victimes Ces services offrent une aide gratuite à toute personne victime (et/ou leurs proches) d’une infraction pénale. Ils prennent donc en charge les victimes de harcèlement moral mais pas seulement. Ils proposent une aide sociale et psychologique, des renseignements juridiques concernant la procédure pénale ainsi qu’un accompagnement dans les démarches. Certains services animent même des groupes de paroles spécifiques. De tels groupes permettent le partage et la reconnaissance de vécus similaires, la sortie de l’isolement, l’entraide et la recherche de solutions créatives. Il existe une collaboration avec les intervenants de première ligne, à savoir les services de police et les services d’accueil des victimes du Parquet. Auprès d’un psychothérapeute Le choix du psychothérapeute est important. La victime doit trouver un psychiatre ou psychologue en qui elle a confiance et auprès duquel elle se sent apte à se confier. Un psychothérapeute qui chercherait les causes du harcèlement dans la personnalité même de la victime ne ferait qu’aggraver les choses. Il rajouterait encore de la culpabilité dans le chef de la victime. Pour M.-F. Hirigoyen, la phase ultime de la psychothérapie est de guérir, c’est-à-dire de « pouvoir renouer les parties éparses, rétablir la circulation »54. Il ne s’agit pas d’effacer les souffrances mais de faire prendre conscience à la victime que celles-ci font partie de lui et sont dignes d’estime. Cette expérience douloureuse laisse une trace qui ne s’efface pas mais sur laquelle il est possible de reconstruire. L’individu en ressort plus fort, moins naïf et peut décider que dorénavant, il se fera respecter. Auprès de leur délégué syndical Le délégué syndical peut informer la victime présumée et l’accompagner dans ses démarches. Il peut même l’assister lors de son audition par le conseiller en prévention. Avant de clore cette section, il faut insister sur l’importance de la coopération dans ce type de problématique. En effet, si les actions isolées constituent un premier pas vers l’amélioration de la situation, la solution au harcèlement (et plus particulièrement dans le milieu du travail) ne peut se trouver que dans une intervention à plusieurs niveaux. La gestion d’un phénomène multifactoriel et complexe comme le mobbing ne peut se faire que via une coopération entre toutes les personnes impliquées, les différents intervenants. 54 HIRIGOYEN M.-F. Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien. Syros. Paris, p. 198. 26 CONCLUSION Les entreprises, les organisations sont des lieux de friction, souvent des lieux d’affrontement. Les allusions, les vexations, les familiarités peuvent déboucher, si elles se répètent, sur des manœuvres de déstabilisation profonde des victimes. Sans y prendre garde, à quelque échelon qu’on se trouve, les pressions et les simples brimades deviennent systématiques et rendent la vie de la victime intolérable sur son lieu de travail. Pour celle-ci, une situation de harcèlement est une véritable épreuve au quotidien. La violence augmente dans les sociétés civiles, elle augmente aussi dans les entreprises. Face à ces pressions, il existe des réponses possibles et des stratégies. Ces provocations doivent faire l’objet d’une réaction organisée et construite de la part de la victime. Celle-ci doit être capable de : - « s’observer dans la situation ; - jauger ses possibilités ou impossibilités ; - analyser la ou les personnes sources d’agression ; - prendre conscience du besoin d’aide et de conseil auprès des instances reconnues de l’entreprise, auprès des experts (médecins, psychologues,…) ou auprès d’associations ; - ne pas subir les situations et pour cela appliquer des stratégies de changement dans les attitudes (attitude de l’autre, attitude de soi) ; - porter si nécessaire la question devant les instances juridiques compétentes ».55 La prise en compte de ces problèmes conduit par ailleurs les politiques à adopter progressivement des textes qui facilitent la défense des victimes de harcèlement et de violences au travail. 55 BREARD R., PASTOR P. Harcèlements : les réponses.Liaisons. Paris, 2002, 249p. 27 BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES DURIEZ A. Le harcèlement moral : responsabilité des collectivités et des agents. La lettre du cadre territorial – Dossier d’experts, Voiron, 2002. HIRIGOYEN M.-F. Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien. Syros. Paris, 1998. HIRIGOYEN M.-F. Malaise dans le travail, harcèlement moral : démêler le vrai du faux. Syros. Paris, 2001. Centre d’Etude sur l’Activité Médico-Sociale et Association pour la Diffusion de l’Information MédicoSociale (C.P.G.A.D.I.M.), Le guide social, A.S.B.L. C.P.G.A.D.I.M., Bruxelles, 2001. REVUES DEBONS MINARRO F. Le social en entreprise s’adapte à l’économie. Repère social, n°25, mars, 2001, p.7. CORDIER J.-P. La loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail. Questions de droit social, vol.56, septembre, 2002, p.386 à 453. VALETTE M. J’avais la fibre, Repère social, n°25, mars, 2001, p.14. RAPPORTS Coll., La protection contre la violence, le harcèlement moral ou sexuel au travail : commentaire juridique de la loi du 11 juin 2002, Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail, Bruxelles, 2002. Direction générale humanisation du travail, Rapport d’évaluation : la loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, SFP Emploi, Travail et Concertation (anciennement Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail), Bruxelles, 2004. LOIS Loi du 11/06/02 relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail. BROCHURES Administration de l’hygiène et de la médecine du travail et administration des études, de la documentation et du contentieux, Clés pour…prévenir et lutter contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, Ministère fédéral de l’Emploi et du Travail, Bruxelles, 2002. TRAVAUX DE FIN D’ÉTUDES BOSNY S. Harcèlement : l’article 442bis du code pénal. Mémoire de criminologie, Université de Liège, 2000. FARRAUTO F. Le harcèlement moral au travail, vers la loi relative aux violences sur le lieu de travail. Mémoire de criminologie, Université de Liège, 2002. 28 BIBLIOGRAPHIE COMMENTEE VERBRUGGE F. Guide de la réglementation Les notes des pages 461 à 470 nous éclairent sociale pour les entreprises. Kluwer. 15è édition, quant à l’analyse des risques et aux mesures de Bruxelles, 2004. prévention. La partie consacrée au conseiller en prévention est très détaillée en ce qui concerne son rôle et ses missions. BREARD R., PASTOR P. Harcèlements : les Cet ouvrage nous aide à comprendre les réponses. Liaisons. Paris, 2002, 249p. mécanismes de harcèlement à travers une définition de ce qu’est le harcèlement. Il présente également ce qui n’est pas du harcèlement, remet l’organisation du travail en cause, décrit les acteurs (harceleurs, victimes, témoins, complices) et présente les différentes techniques du harcèlement. BREARD R., PASTOR P. Gestion des conflits. Cet ouvrage propose une réflexion de fond Liaisons. Paris, 2004, 220p. indispensable à l’analyse et à la compréhension des mécanismes d’émergence des conflits et apporte des méthodes concrètes et pratiques de prévention et de gestion des conflits (qui peuvent déboucher sur le phénomène de harcèlement moral), accompagnés de nombreux exemples. METAGUIDE. Protection contre la violence, le Ce site nous informe sur ce qu’est la violence au harcèlement moral ou sexuel au travail [en ligne]. travail et décrit concrètement les moyens d’action Disponible sur : dont disposent les victimes. <http://www.meta.fgov.be/pc/pce/pcep/frcep19.ht m> (consulté le 06.03.2005). E-SANTE. Le harcèlement moral [en ligne]. Disponible sur : <http://www.esante.be/guide/article_1990_922.htm> (consulté le 22.03.2005). Ce site présente les différentes formes de harcèlement et dresse un portrait du harceleur. Il donne également des propositions d’action aux victimes. MÉTAMORPHOSES. Qu’est-ce que le harcèlement moral ? [en ligne]. Disponible sur : <http://www.metamorphoses.be/ressources/harcel ement_moral/harexp_f.htm> (consulté le 30.03.2005). Ce site nous explique ce qu’est le harcèlement moral, les conséquences sur les victimes, les stratégies – à faire, à ne pas faire – et présente une partie législation. RÉGION DE BRUXELLES-CAPITALE. Harcèlement [en ligne]. Disponible sur : <http://www.bruxelles.irisnet.be/fr/citoyens/home/t ravailler/bien_etre_au_travail_/harcelement.shtml > (consulté le 02.04.2005). Nous pouvons découvrir les différentes formes de harcèlement, que ce soit physique ou moral. Il dresse une liste des comportements, paroles, intimidations, actes et gestes qui sont considérés comme harcèlement moral. CESI. Prévention et protection [en ligne]. Disponible sur : <http://www.cesi.be/new/index.asp?menuID=73> (consulté le 15.04.2005). Ce site propose une liste de toute la législation concernant le harcèlement moral et propose quelques définitions ainsi que les principes généraux. 29 SLFP. La lutte contre la violence, le harcèlement moral ou sexuel sur les lieux de travail [en ligne]. Disponible sur : <http://www.slfp.be/fr/cellule.html> (Consulté le 19.04.2005). Ce site propose des explications plus claires et accessibles à tous au sujet de la loi du 11 juin 2002 relative à la protection contre la violence, le harcèlement moral et sexuel sur les lieux de travail. 30