Chris FROOME - Cyclism`Actu

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Chris FROOME - Cyclism`Actu
De notre envoyé spécial à Monaco, Frédéric Thoos (avec Emmanuel Potiron)
Photos Cyclism’Actu, Presse Sports (Bade, Mantey, Mons, Papon / Cordon)
RENCONTRE
Chris
FROOME
“Je dois être
exemplaire pour ne jamais
entendre dire
“ah oui, en 2012, il a menti lui””
●
Son mentor technique, JeanLouis Talo, l’homme des plateaux
O,Symetric, avait prévenu. « Un
garçon cultivé, charmant. Sur la
route, on dirait un guerrier
Maasaï, plus le même homme. »
Avant son départ en vacances
dans la banlieue de Johannesburg pour deux mois, où il va
s’entraîner en montagne sous
30°, Chris, de retour de l’Amstel
Curaçao Race, était fidèle au
rendez-vous. Fontvieille, quartier
de Monaco, un bar au fond du
port, une vingtaine de degrés au
thermomètre. Polo Sky blanc,
lunettes de soleil, jean, baskets
blanches, eau pétillante fraîche
sur la table en terrasse et iPhone
à l’oreille gauche. « Bonjour,
désolé pour le lieu, mais je
déménage et mon appartement
est en chantier. » Son français est
clair. Souriant, une table à l’écart
en fond de salle, en route pour
près de 2h00 d’une discussion,
bilingue, forte, sans langue de
bois. Une rencontre, organisée
avec Cyclism’Actu, rafraîchissante dans un milieu en crise.
Avant de repartir à pied, il osera.
« Tu pourras m’envoyer le magazine ? » « Oui Chris. Merci pour les
photos et l’interview. » « Non,
merci à toi ! » Il est comme ça.
Simple, sympa, dispo, le succès
ne le pervertira pas. Découverte
d’un homme qui croit en l’avenir
de son sport, en ses possibilités et
ses responsabilités surtout !
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RENCONTRE
bles.Tu n’as rien d’une star ?
C’est mon caractère, je ne veux le changer
pour rien au monde. Je suis juste comme ça et
j’espère que je ne changerai jamais. Je sais que
beaucoup de coureurs changent, certains en
raison de mauvaises expériences avec la presse
ou le public. Ce qui est sûr, c’est que quand tu
deviens un champion, tout le monde cherche
quelque chose chez toi. Moi, pas question. Ce
n’est pas parce que je fais quelque chose dans
le sport et que j’obtiens de bons résultats que
je dois modifier ma façon d’être.
La légende du Tour est à leurs pieds. Leur duel devrait être savoureux. Froome-Contador, on va se régaler.
Planète Cyclisme : Chris, tu sors d’une
très grosse saison, avec le Tour, la Vuelta et
les J.O.. À 27 ans, t’en savais-tu capable ?
Christopher Froome : Non. C’était un rêve
pour moi une telle saison, même si j’aurais
aimé gagner quelque chose… le Tour ! Être à
ce niveau si longtemps. Après la Vuelta 2011,
j’ai vu que j’avais le potentiel pour faire un bon
tour en une saison. Là, deux… Le Tour est devenu réalité, les J.O. un moment fantastique.
Tu as plus couru qu’en 2011 ?
Moins. 60-70 jours max. J’ai été malade en
mars (une bilharziose, maladie parasitaire contractée sous les tropiques). J’ai débuté vraiment
ma saison plus tard. Je suis aussi tombé. Je savais que ce serait peut-être plus simple de faire
une succession de courses juin-septembre.
Cette saison, tu as changé de statut dans
l’équipe. Une montée progressive depuis
2010 chez Sky et tes débuts pros en 2008…
Je le constate chaque année depuis mon arrivée chez Barloworld, pour mon arrivée en
Europe. Un moment-clé. Depuis, je progresse
chaque année et mon rôle change. Mais attention, j’ai beaucoup de progrès à faire. En
montagne, je bouge beaucoup sur le vélo. Je
dois travailler dès 2013. J’ai de la place pour le
faire. Mais je ne suis plus un simple équipier.
J’espère qu’avec mes résultats, je vais pouvoir
devenir un n°1, un leader.
À 27 ans, un coureur entre dans ses meilleures années.Tu le sens ?
Oui, j’ai commencé tard le cyclisme, 17-18 ans,
sérieusement avec l’entraînement. J’ai fait toute ma jeunesse au Kenya. Ma première équipe
était sud-africaine (Konica Minolta), à 21 ans
en Continental. Le vélo, c’était pour faire un
tour, voir les amis. C’est pour ça que je me suis
développé tard. Je me sens de mieux en mieux.
En quoi as-tu progressé et mûri dans ta
façon de courir ?
Chaque personne avec qui j’ai travaillée m’a
beaucoup appris, comme Claudio Corti (Barloworld). Celui qui m’a fait le plus progresser
est Bobby Julich (Sky). Il m’a apporté son expérience, notamment tactique et entrainement.
Qui est Christopher Froome ? Nico Portal, un de tes DS, dit que tu es “l’ami de
tous”. On te découvre simple, sympa, dispo,
fidèle. C’est ton éducation, ton caractère ?
Un mélange de tout. Je suis né en Afrique. Les
gens y sont un peu plus ouverts qu’en Europe.
Les Européens sont plus froids, moins accessibles
peut-être, fermés. Le cyclisme, pour moi, doit
représenter la passion et la communion avec le
public. Ça, c’est une partie de mon travail.
Les grands champions sont des personnes
au fort caractère, parfois hautaines, distantes,
grosse tête, grande gueule, voire inaccessi-
“Le Tour 2012, je peux
avoir des regrets ! On n’est
peut-être pas deux fois dans
sa carrière en position de
gagner. Mais, c’était un
choix d’équipe. C’était écrit
comme cela. C’est tout.”
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Parles-nous de ta jeunesse et de ton parcours. Tu es né au Kenya et tu y as grandi.
Mes grands-parents travaillaient dans l’agriculture du café. Ma mère, née ici, était physiothérapeute. Mon père, Anglais, est venu
pour travailler dans les safaris. J’y ai grandi pendant 15 ans. Le Kenya est dans mon cœur !
Que représentait le vélo pour toi ?
J’en faisais beaucoup, mais sans entraînement.
J’explorais les routes, les paysages, j’allais voir
les animaux. Pour un jeune au Kenya, c’est
magnifique. Il y a beaucoup de liberté, ce n’est
pas trop dangereux. J’ai fait aussi un peu de
rugby. J’ai beaucoup aimé, et un peu de natation. Je ne connaissais rien du vélo. J’ai vu
mon premier Tour avec Basso et Armstrong
en 2003. La chute de Beloki… J’étais fan de
Basso, j’aimais les courses en montagne.
Revenons sur le Tour 2012. C’était le scénario idéal pour les Sky. C’était écrit ?
Nous avions tout planifié. Un plan parfait.
Surtout les mois précédents, tout était en place
pour que Brad, moi, les autres aussi (Boasson
Hagen, Cavendish, Eisel, Knees, Porte, Rogers,
Siutsou) soyons à notre top. Tout le monde a
Sur les routes de la Vuelta, Chris a “matché” avec Contador, mais a fini par craquer. Trop vite, dommage.
Barloworld, 2008. Une sacrée saison de…
néo-pro avec Soler, sur le Tour déjà, et les
classiques, Roubaix et Ardennaises !
été parfait. Nous avons passé du temps en altitude sur le volcan Teide à Tenerife, à Châtel
en France et il y a eu d’autres choses. C’est
cette approche qui fait la différence. Et toutes les
courses, Nice, Romandie, Dauphiné, à fond !
Chris, qui était le meilleur en juillet ?
Brad ! Nous avons vu, dans les chronos, ses capacités. Peut-être étais-je meilleur en montagne. On ne saura jamais, je suis resté avec lui
Et qui méritait le plus de la gagner ?
… C’est quelque chose de difficile à accepter.
Je peux avoir des regrets. On ne peut peutêtre être en position de gagner le Tour qu’une
fois dans sa carrière. Mais notre vie de coureur nous pousse vers des choix. On fait partie d’une équipe. C’est ce qui compte. Risqué
de ne miser que sur Brad ? On aurait joué ma
carte s’il était tombé ou avait eu un jour sans.
C’est toujours mieux d’avoir deux leaders.
Dans la Vuelta 2011, c’était la même situation.
Quand Brad a perdu du temps dans l’Angliru
en montagne, Dave (Brailsford, le manager)
m’a dit “vas-y. C’est mieux que ce soit toi”.
La Sky est une machine bien huilée avec
des hommes parfaits. On a beaucoup criti-
qué votre façon d’écraser la course. Cela a
fait jaser. Quel est le regard des autres ?
Peut-être que le peloton a songé à l’US Postal en nous voyant. Beaucoup se sont demandés si on avait suivi une préparation “spéciale”.
C’est difficile de se justifier à chaque fois. Moi,
ça me motive aussi, comme ce que nous venons de connaître, pour prouver aux gens que
l’on peut faire un sport et avoir des résultats
proprement. Je sais que mes résultats d’aujourd’hui seront encore les mêmes dans 5-10 ans !
Personne ne me les retirera. J’espère que cela
donne confiance au public et à la presse.
On a parlé d’une coalition espagnole.Tu
as senti cette volonté de battre l’Anglais ?
Au début, les 3 Espagnols ont joué avec moi.
Si on avait été trois Anglais pour un Espagnol,
on aurait fait la même chose. Ils ont fait une
bonne course, avec une bonne tactique,
beaucoup d’intelligence. Et Contador…
À voir certains coureurs cette saison, toi,
Edvald, Mark, on a compris que vous vous
êtes sacrifiés pour un objectif, un homme.
C’était le job ?
Beaucoup se sont sacrifiés chez Sky. Mark a
redit il y a peu qu’il aurait gagné 8 étapes en
2012. Edvald a fait un travail énorme au Tour,
impressionnant. Mais dans l’équipe du maillot
jaune, c’est la chose à faire. Edvald n’a pas le
crédit qu’il devrait avoir quant à son travail.
Personne ne voit cela, car on le voit terminer
les étapes avec 10’ de retard. C’est le vélo.
Dans les qualités, vous n’êtes pas loin…
Il attaque de façon plus explosive, fait la différence. Moi, je sais aussi revenir à mon rythme.
La Vuelta aurait pu être la consécration.
Physiquement, elle était de trop pour toi ?
C’était vraiment difficile. Après deux mois
sans entraînement, uniquement la course, la
forme déclinait. Pour être au top sur laVuelta,
il faut s’entraîner précisément pour et ne pas
faire le Giro ou le Tour. C’était tout de même
une excellente expérience. J’ai touché mes
limites. Je sais que je ne peux pas faire deux
grands tours la même saison. Mais, pour la
première fois, j’étais le leader. Une très bonne
expérience pour 2013. Ce sera le cas au prochain Tour de France. J’ai vu ce qu’il fallait
faire sur la route et en dehors, avec la pression
du public, de l’équipe, de la presse.
C’est l’adversaire n°1 en grand tour ?
Oui. Il a gagné déjà beaucoup de courses et
sait ce qu’il doit faire pour les gagner. En 2013,
il sera plus fort, car, cette année, il n’a pas beaucoup couru. L’adversaire n°1 !
Derrière, on ne voit pas qui peut vous
contrarier. Evans ? Schleck ? Valverde ?
Attention à Tejay Van Garderen, qui a fait du
très bon boulot pour Cadel au Tour. Il aura
l’opportunité d’être leader. Il est encore jeune.
Rodriguez, lui, marche très fort.
Comment es-tu venu au vélo en Europe ?
Je suis venu la première fois avec l’équipe Konica Minolta en Belgique, l’équipe du Centre
Mondial du Cyclisme. Nous avions fait des
courses en Italie, Suisse. Grâce à mes résultats,
la Barloworld m’a repéré.
Le décalage a dû être énorme avec ton
Afrique natale.
Un changement très difficile. Je n’avais jamais
connu un hiver aussi froid. Le style des courses
était difficile à maîtriser. Je suis venu seul. Mes
parents sont restés au Kenya. C’est Claudio
Corti qui m’a repéré. Je suis resté pendant 3
années seul en Italie, avant de venir habiter à
Monaco.
Barloworld, une équipe britannique, sudafricaine et italienne avec des garçons que
tu as retrouvé ensuite chez Sky (Cummings,
Thomas) et des Africains (Augustyn, Hunter, Impey) était l’équipe idéale pour
apprendre…
Ils m’ont apporté tout de suite beaucoup
d’expérience. Comme néo-pro, j’ai fait les
Ardennaises, Paris-Roubaix et disputé mon
1er Tour de France (81e). Un programme
énorme. L’équipe avait fait le Tour 2007. Une
bonne expérience et une bonne équipe.
Froome, Wiggins, Boasson Hagen, le trio gagnant des Sky en juillet dernier.
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RENCONTRE
peux le refaire. Une classique comme Liège et
laVuelta me plairaient aussi. Mais le Tour, c’est
vraiment ma course. Je me concentre dessus.
Porteur éphémère du maillot à pois vers Porrentruy, Chris était plus fort que son leader en montagne. Mais…
Après Barloworld, Sky, la grosse écurie
du peloton. Sacré changement…
La mentalité déjà. Barloworld, c’était un peu
vieux. Claudio Corti a son idée du cyclisme.
Chez Sky, c’est plus jeune, nouveau, hérité de
la piste, plus technique, précis. Dave m’a repéré quand Barloworld a arrêté. Il m’a dit. “On
crée une équipe anglaise, tu as une place.”
Quand on a regardé Sky de l’extérieur,
on a trouvé l’équipe prétentieuse, novatrice
avec de drôles de méthodes et annonçant ses
objectifs fort : gagner le Tour en 5 ans ! Cela
a fait bizarre dans ce milieu si particulier…
Au début, c’était difficile à comprendre. On
annonçait qu’on voulait gagner le Tour, personne ne comprenait. Pour les Anglais, c’est
spécial, une équipe britannique. Les résultats
sont arrivés et on se dit qu’on a raison, qu’on
est dans le vrai. J’espère que cela durera.
Bobby Julich nous a dit en interview
dans le précédent Planète, qu’en 2013, Sky
devra changer sa tactique. C’est ton avis ?
Toute la saison, les équipes ont épié notre façon
de mener les courses et de bosser. Il va falloir
faire attention. Comme on l’a vu aux J.O.,
quand tu arrives avec un statut de favori, tout
le peloton est contre toi.Tu ne peux rien faire.
Il te reste un an de contrat. On a parlé d’un
départ pour gagner ou si on ne te faisait pas
confiance. Comment vois-tu ton avenir ?
J’attaque 2013 avec le Tour comme objectif
en leader. Ma course, la course du cyclisme
qui détermine qui est le meilleur du monde.
Sans cette confiance du staff, tu pourrais
dire “je pars, vous ne croyez pas en moi” ?
J’ai deux ans de contrat. On va voir les sensations avec Sky en 2013. Je peux être leader ailleurs aussi. Je suis heureux ici et je voudrais y
rester. Je dois me mettre d’accord avec Dave.
Les rôles sont bien définis en 2013.Wiggins va au Giro pour gagner, à toi le Tour.Tu
peux te concentrer et travailler tranquille.
C’est primordial. Quand tu t’entraînes, tu dois
connaître l’objectif à atteindre. Psychologiquement, c’est important de savoir pourquoi
tu roules, quelle que soit la course. Quand on
attaque la saison, le Tour est dans notre tête dès
le début, malgré les autres objectifs.
Quel sera ton programme cette saison ?
Il n’est pas encore défini. Je commencerai certainement en Algarve (13-17 février) ou à
Oman (11-16).Après, ce sera comme en 2012.
Paris-Nice ou Tirreno si les étapes sont plus
longues,Tour de Romandie et Dauphiné.
Tu veux gagner le Tour et les autres grands
tours ou tu es l’homme d’une course ?
Si je gagne le Tour en haute montagne en
2013, j’aurais atteint l’objectif de ma carrière.
Cette année, c’était juste. Il était fait pour les
rouleurs. Gagner ainsi sur une telle configuration, ça me donnerait la confiance que je
“Tolérance zéro ! Je
dois prouver aux gens
comment on y arrive
avec nos méthodes
d’entraînement, être
un ambassadeur, un
modèle sans faille.”
Africain de naissance, parle nous des circuits continentaux UCI. Nous publions un
article sur l’équipe MTN-Qhubeka qui
passe ContinentalPro. Le vélo se mondialise. C’est important qu’il se développe en
Afrique, Asie, Océanie, Amérique ?
C’est une bonne chose pour le cyclisme. Cela
a toujours été mauvais qu’il soit dominé par
les courses en Europe. Il faut d’autres couleurs
dans le peloton (sic). C’est important pour le
public, c’est le reflet de la vie tout simplement.
L’équipe MTN-Qhubeka va montrer ce dont
l’Afrique est capable. C’est important aussi pour
les sponsors. Si en Afrique tout le monde regarde, le niveau sera plus élevé et ils arriveront.
L’actu nous ramène vers de sales histoires,
avec Armstrong et Padoue. Thibaut Pinot
nous parle ce mois-ci de son dégoût. Dans
quel état d’esprit es-tu ?
Je comprends la place de l’affaire Armstrong. Il
faut tout cela, y compris les révélations autour.
On y a tous cru pendant 7 ans. Au final, on
nous dit que c’était un mensonge. C’est bien
pour le vélo. On doit dire : “ok, le vélo est
mauvais maintenant”. Mais quand je dis au
gens que je suis cycliste pro, on me dit “2e du
Tour, à 100 % t’es dopé”. Je vis avec cela. Pour
le futur, il faut clore ces affaires définitivement,
tirer un trait. On sait que ce qu’ils faisaient à
cette période était mauvais à 100 %. Ce n’est
plus le cas, il faut le démontrer. Si ça l’était encore, ce ne serait pas possible pour moi d’être
2e du Tour. Désormais, il faut écrire une nouvelle histoire, partir d’une année 0. Attention,
on a déjà dit ça après Festina. Je suis d’autant
plus motivé, il faut prendre le bon chemin.
Dave Brailsford a mis en place une commission chez Sky pour que les gens parlent
s’ils ont des choses à avouer. Steven De Jongh,
Sean Yates et Bobby Julich ont avoué un
passé. Ce lourd déballage va dans le bon sens ?
Dave veut vraiment… Je comprends ce qui est
fait chez nous. Je ne cautionne pas ce qu’ils ont
fait par le passé. Mais Bobby est quelqu’un qui
fait de grandes choses dans le sport. Il a commis des erreurs il y a 13-14 ans. Depuis, il fait
vraiment un boulot super. Je comprends que
Sky travaille ainsi aujourd’hui. Quand on a fait
le doublé au Tour, j’ai entendu dire “Julich
bosse avec eux. S’il l’a fait, les Sky l’ont fait. Ils
ont le même docteur.” C’est triste. C’est une
sale réalité. Mais c’est une histoire ancienne.
Certains coureurs mentent encore et restent, d’autres reviennent sans états d’âme
de suspension ou travaillent alors qu’ils ont
été touché il y a longtemps. Si tu étais pris,
tu serais capable d’avouer et tout quitter ?
C’est triste de voir des personnes revenir de
suspension. C’est une culture du passé d’accepter que des gens reviennent après avoir fait
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du mal à leur sport. Maintenant, les choses
changent. Si tu as été dopé, tout le monde va
s’en souvenir et tu seras toujours suspecté. On
dira “il continue”. La morale doit l’emporter
pour finir dans le vélo. Par rapport à mes débuts,
je vois la transformation, un réel changement.
On te connaît mal, te voit peu. Tu fais
partie des stars du peloton. Sens-tu que tu
vas avoir des responsabilités encore plus grandes désormais ? Tu vas devoir être irréprochable, un modèle sans faille, exemplaire…
Oui, tolérance zéro ! Être toujours dans l’œil
du cyclone, surveillé en permanence par le
public notamment est une bonne chose. C’est
dur. Mais, ça va nous aider à montrer aux gens
que l’on est clean à 100 %. Moi, je dois prouver en permanence et montrer comment on
y arrive avec nos méthodes d’entraînement.
Les gens ne doivent pas se poser autant de
questions. Tout doit être transparent. Ils doi-
CHRIS JUGE NOS 6 PROPOSITIONS CONTRE LE DOPAGE
Sans se cacher, sans langue de bois ni concession, il a commenté nos 6 propositions
dans la lutte antidopage de notre dossier ce mois-ci.
11) Tolérance zéro
« Un contrôle et dehors ? Si quelqu’un est pris, que l’on est sûr à 100 % qu’il s’agit
d’un dopage très sévère, genre EPO ou autres, il doit quitter le cyclisme définitivement. »
22) Sanctionner les équipes sportivement
« S’il est prouvé que l’équipe a triché avec le coureur, pourquoi ne pas la sanctionner.
Chaque cas est unique, mais si une équipe aide, il faut frapper. L’US Postal n’aurait plus sa place dans le
peloton. Attention, il faut le prouver. Et si on découvre un cas “isolé”, elle ne doit pas payer lourdement. »
33) Aucune personne touchée ne peut plus être cadre d’une équipe
« Je ne connais pas assez l’histoire. Mais si une personne vit encore avec cette mentalité, est revenu
d’une lourde suspension ou a avoué par le passé sans être sanctionné, elle doit partir. C’est le chemin à
suivre si on veut gagner définitivement. »
44) Localiser une équipe en un seul lieu
« Je ne sais pas… Le cyclisme se développe d’une certaine façon. On apprend plus en s’entraînant
ensemble. Vivre au même endroit ? Aujourd’hui, le cyclisme est particulier. Chacun peut vivre où il aime.
Le sport est devenu mondial avec des courses partout. On peut se retrouver pour des camps
d’entraînement. »
55) Raccourcir les délais entre le contrôle positif et la procédure
« Oh oui ! L’UCI a très mal géré le cas Armstrong. L’avoir laissé dans le viseur du public et des médias si
longtemps a créé un lourd dommage à notre sport. Ce doit être blanc ou noir ! Tu es positif, tu es
suspendu et viré. Sinon, tu restes. Faut plus traîner, c’est négatif. Les organisations doivent comprendre
que quelque chose ne va pas à leur niveau. »
66) Une commission de lutte antidopage indépendante de l’UCI
« Une très bonne idée. Cette commission pourrait travailler pour tous les sports. On ne dirait plus que l’UCI
a obligatoirement influé à l’époque pour Armstrong. On ne vivrait plus même ce genre de suspicion.
J’espère que ça se fera en cyclisme et dans le sport en général. »
Les J.O. 2012, la médaille de bronze en chrono
et une excellente expérience pour Chris.
vent bien comprendre. Je dois être un ambassadeur en quelque sorte. C’est une de mes responsabilités de montrer comment on peut faire
les choses bien. Je ne veux pas donner de leçons
et dire “je suis le meilleur”. C’est important
de le faire pour le sport. Je ne veux pas que les
gens disent plus tard “en 2012, il a menti lui”.
Le procès Puerto va s’ouvrir en janvier et
concerne d’autres sports. N’est-ce pas fatiguant de n’entendre que des mauvaises choses
sur vous, quand beaucoup bossent bien ?
C’est triste d’entendre le mot dopage accolé
au cyclisme. Je sais que d’autres sports sont
pires, surtout en ce moment. La structure du
cyclisme fait cela. On ne possède pas de fédération forte qui gère bien. Dès que le dopage
sort, ça prend des proportions énormes. Le
monde en parle. Je veux croire que d’autres
sports nous suivront dans la lutte antidopage.
plus dur. Les chronos ne sont pas longs. Les favoris seront les grimpeurs. Même s’ils perdront
du temps en chrono, ils se rattraperont en montagne. Ce Tour sera intéressant, un bon show
j’espère. Le vainqueur devra être bon partout.
Tu vas travailler des choses cet hiver ?
Beaucoup de contre-la-montre. Je dois progresser, comme être plus explosif aussi pour
suivre Alberto quand il attaque.
Quel est ton rêve aujourd’hui ?
Je veux être au top comme être humain, tirer
aussi le maximum de moi-même. Je dois bien
connaître mon corps. En étant constamment
au top, j’espère inspirer les jeunes, particulièrement ceux qui ont un background non
conventionnel en cyclisme, dans la vie aussi.
C’est mon objectif. Motiver les gens, quel que
soit leur domaine. Mon modèle dans la vie est
David Kinjah. Il travaille avec des jeunes au
cyclisme en Afrique. Il s’occupe d’orphelins
chez lui, les entraîne, les aide. Ils n’ont rien. Il
positive leur vie. De magnifiques histoires.
Ta mentalité te vient de tes origines ?
Gentil dans la vie, combattant sur le vélo…
Je ne sais pas si c’est une mentalité spéciale.
C’est juste moi ! Les Africains l’ont. Et je
m’inspire de cette volonté d’aider les gens.
Bon, Chris, on se donne rendez-vous en
jaune à Paris, en soirée, le 21 juillet ?
J’aimerais beaucoup…
Tu es optimiste pour l’avenir du vélo ?
Oui, sinon j’arrêterais ! Si je devais faire le Tour
et constater qu’il est impossible de rester dans
la roue en montagne, s’il y avait trop d’affaires,
il serait difficile de bosser. Si j’existe à très haut
niveau, ça me suffit pour dire que c’est clean.
Chris, le tracé du 100e Tour te plaît ?
Oui, ces quatre arrivées en montagne… Il est
À l’aise sur les routes de la Vuelta, Chris a manqué de jus, mais a tout de même terminé 4e.
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TEST
Par Frédéric Thoos, à Nice - Photos Cyclism’Actu
5 questions à… Stéphane BRULC
« DANS LA HAUTE TECHNICITÉ, TOUT SE JOUE À UN 5° PRÈS »
La patron d’O,Symetric est heureux, mais très occupé et préoccupé par la qualité de ses produits, leur apport
dans la vie de tous les jours et les innovations extérieures. Une société et un savoir-faire made in France pour des
produits de compétition « inventés en France, fabriqués en France et qui gagnent en France. » Ça fait plaisir.
● Planète Cyclisme : Stéphane, présentez-nous la société O,Symetric.
Stéphane Brulc : Nous sommes une petite entreprise d’une dizaine de personnes. Nous faisons des pièces
haut de gamme. Nous produisons du plateau, de la pièce aéronautique, navale, alimentaire, médicale. On
touche à pas mal de secteurs, mais plus aux petites pièces basiques à petit prix. L’entreprise existe depuis
1968. On touche à la fabrication, la sous-traitance, l’usinage. La part cycliste et sportive dans notre production générale avoisine les 15-20 % de ce que l’on fabrique sur les plateaux et pièces sur le vélo, extensions
pour dérailleurs, plaques antidéraillement…
Plateaux O,Symetric,
la biomécanique au service des champions
On en a beaucoup parlé en juillet. Des plateaux ni ronds ni ovoïdes, dont la forme répond au
parcours de la jambe, ont fait gagner la Sky et apporté un vrai plus dans son approche scientifique
du vélo par la biomécanique. Sur les hauteurs de Nice, Jean-Louis Talo, concepteur du produit,
nous a ouvert les portes d’une petite entreprise dont il gère la commercialisation et le relationnel avec
des coureurs friands. En 2013, on va s’arracher les O,Symetric parmi les top étrangers et français.
BIOMÉCANIQUE POUR CHAMPION
« L’approche du sport par la Sky est de probabiliser
le succès, prévoir techniquement, scientifiser. L’équipe
minimise le risque. Au Tour, elle connaissait tout.
Chez les autres, c’est “un jour j’ai les jambes, un jour
non.” Ils s’occupent même de l’humain avec des
préparateurs. Des objectifs sont fixés, on optimise.
On sait les watts de chacun. Le poids de l’athlète
est calculé. Brad, 73 kg en chrono, on savait qu’il
ferait la différence. Chris, à 68, peut être plus léger. »
L’IDÉE DE BASE ET L’ARRIVÉE
« Je suis biomécanicien. Ce qui m’intéresse, c’est la
performance de l’homme sur le vélo, lui adapter la
machine. Le plateau rond n’a aucune raison d’être,
rond par raison industrielle, non adapté à la jambe.
Il faut créer une courbe qui optimise la jambe. La
performance sera meilleure, 1 à 1,5 % de gain de
vitesse. Question puissance, + 10 %, comme pour
l’acide lactique. On a vu la différence au Tour. Mon
ennemi était le dopage, 15 % (watts/puissance) de
plus au coureur. Je reste à 10. Je commence à exister
depuis 2-3 ans, à la diminution du dopage. Quel que
soit le gars, 400 watts au seuil plateau rond feront
440 en O,Symetric. Nous avons inventé la forme
avec Michel Sassi, déposé le brevet il y a plus de 20
ans, mis autant pour ce résultat. Shimano a essayé les
plateaux ovales dans les années 80. Les miens n’ont
66_PLANÈTE CYCLISME_#44
pas une forme connue, calculés mathématiquement.
Le but est de diminuer les points morts, pas les éliminer, ce que voulait faire Shimano. Pendant des
années, on a essayé d’être dans le peloton. Mais celui
de l’époque était plus intéressé par la biochimie. Le
premier à avoir utilisé les plateaux est Bobby Julich
(2004). Il en a parlé à Wiggins, il y a 4-5 ans. Brad
fait 4e au Tour avec Garmin (2009). Pour exister, les
plateaux devaient gagner au Tour de France. Ignorés
puis dénigrés, ils sont reconnus scientifiquement. »
L’APPORT PRÉCIS
« Gain de temps, puissance, vitesse ! En vitesse, on
est à 0,7-0,9 km/h. Ça gagne plus en côte que sur
le plat. Les points morts pénalisent plus quand on
monte qu’à 50 km/h en chrono : 0,7 km/h sur le
plat (0,9 en montée). On gagne aussi en récupération.
Le plateau rond, défaut majeur, fait travailler un
muscle de la cuisse, le vaste externe, trop longtemps,
trop durement. Il s’acidifie très vite et devient facteur
limitant du pédalage. L’acide étant très concentré
dans ce muscle, il devient dur à désacidifier. Plus on
avance dans les étapes, plus c’est facile de gagner avec
les plateaux. Les points morts que l’on travaille (mort
pour mortel et non temps mort) étant moins durs,
sur une surcharge sur les muscles, on devient moins
fatigué et récupère mieux. Les équipes qui zapperont
les méthodes scientifiques comme Sky vont être
larguées. Le vélo devient scientifique, biomécanique,
aérodynamique, mental, diététique, repos. Sky fait
du sport comme on doit, je pense. La biomécanique,
c’est l’optimum. Un ingénieur fait de l‘aéro’ avec
un coureur. Si on ne met qu’un aérodynamicien,
on obtient un super coef ’, pas sûr que la puissance
passe. Il ne faut pas le maximum, mais l’optimum. »
30 COUREURS EN O,SYMETRIC
« En 2012, j’avais une trentaine de coureurs. Les
sponsors ont mis la pression. Il en est resté une
dizaine (Wiggins, Froome, Millar, Porte, Brajkovic,
Sutton,Thomas, Henderson, Kashechkin). De gros
Français et étrangers sont intéressés en 2013. »
POUR TOUTES LES COURSES
« Quelle que soit la course, le matériel est intéressant.
Le problème, c’est la jambe ! Même à Grammont,
le gain est intéressant. La jambe et les muscles se
contractent, se détendent. La forme n’a rien à voir
avec l’ovale. Elle est calculée par rapport à la jambe. »
L’APPORT DU MATÉRIEL GRANDISSANT
« Depuis que le dopage de masse baisse, les gens
cherchent ailleurs. Dans les années 90, j’avais fait un
essai avec une équipe à qui j’avais démontré qu’ils
gagneraient 5’’ au km. On m’avait ri au nez.
Aujourd’hui, Ça a changé. Les coureurs m’appellent
spontanément, veulent en savoir plus, notamment
les jeunes. Attention, les fabricants voient ça d’un
mauvais œil. Cela a jasé dans les équipes avec les
sommes en jeu. »
● La mise en lumière des produits sur le Tour de France est tout bénéfice pour la société ?
Cela nous apporte juste de la notoriété. Ça marque, ça fait du bien, ça valorise, mais n’apporte rien en terme de
marchés. Plus de coureurs veulent les plateaux et plus on fabrique des pièces. Mais c’est tout.
● Vous êtes une petite entreprise. Cela ne mériterait-il pas une association pour une fabrication à plus grande
échelle avec la réussite qui pourrait suivre ?
On pourrait le faire. C’est risqué dans le sens où on fait un plateau qui s’adapte sur des pédaliers de Shimano,
Campagnolo, Sram. Si ces gens changent les entraxes, les positions de trous (Jean-Louis Talo parle de pression,
de copie possible, de disparition face aux grosses entreprises, d’où la nécessité d’avoir un temps d’avance et de
travailler vite), on ne peut pas produire en quantité. On se retrouverait avec des tonnes sur les bras. Ce ne serait
pas trahir notre philosophie. On est voué à faire de la pièce unitaire, prototypes, présérie jusqu’à moyenne série,
des quantités à 4.000-5.000 pièces par poste (la production d’une série prend 6 à 8 semaines), mais on tourne
a maxima à 1.000-1.500 pièces sur les plateaux d’une dimension, sachant que l’on va du 24 VTT au 56 route.
● La quête de l’innovation se retrouve dans la vie de tous les jours ?
On retrouve, pour pas mal de clients, des choses pointues, innovantes. Depuis la crise de 2008-09, on retrouve
beaucoup de nouvelles choses. Les clients ont dû se gratter la tête pour trouver des nouveautés. Des pièces plus
complexes, avec des valeurs ajoutées plus importantes. Dans le sport, elles apporteront un gros plus aussi.
● Y-a-t-il un gros relationnel avec le sportif ?
L’équipementier est à l’écoute. Il y a toujours des gens qui demandent des choses pointues, la position sur le
vélo, avancer ou reculer les fixations du plateau de façon à voir la courbe bien positionnée par rapport au corps.
Ça se joue à 5 degrés parfois. Peut-on le faire ? Qu’est-ce que cela induit ? On a modifié récemment la finition du
pla-teau pour les passer de 2 à 3 mm pour les renforcer, les rigidifier et les alléger aussi. Modifier les formes intérieures nous fait modifier les sérigraphies. On se retrouve à parler de ce genre de choses pour voir si on peut
faire ou pas. Tout retour est important homme/machine : les entraxes entre les plateaux pour les passages de
chaînes, les angles de chaînes quand on travaille sur toute la cassette arrière… Ça se joue à un dixième parfois.
SKY, L’ÉQUIPE PARFAITE
« Ils ont testé le plateau, ont été séduits. C’est
l’équipe idéale. “On t’écoute, on teste, si c’est bon,
on garde”. Dès que l’on parle à des scientifiques, la
démarche diffère. Chez les Français, on parle à une
autre époque. Les coureurs viennent seuls, intéressés.
Chez les directeurs, c’est dur. Le milieu anglo-saxon
a pris le pas dans ce domaine. GreenEDGE, BMC,
Garmin, c’est ouvert. Dur de faire avancer les mentalités. J’ai eu la chance de travailler au départ avec
Julich, Américain ouvert et encerclé par le dopage,
qui voulait performer autrement. Un ami ostéopathe commun nous a fait connaître. Il lui a parlé du
bienfait de mes mécaniques sur le corps de l’athlète. »
TECHNOLOGIE ET RÉSULTATS
« L’humain conserve une part primordiale. En dehors
des plateaux, il n’y a pas d’écart notoire par les apports
novateurs. Quand on regarde le nouveau matériel,
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hormis le guidon de triathlète aussi, rien n’a marqué
une avancée mesurable. Le poids du vélo ne descendra plus. L’homme fait face à la machine avec la puissance au seuil, le rapport poids-puissance (en montagne, les watts par kg) et le CX (pénétration dans l’air),
trois facteurs objectifs d’amélioration de la perf ’. Les
gars, quand ils travaillent, cherchent à améliorer leur
puissance au seuil, 400, 420, 450 watts. Si on cumule
forme et matériel, O,Symetric, sur n’importe quel
type de pratiquant, ce sera 10 % de gain de puissance
au seuil. Même les vélos de ville trouvent l’intérêt. »
LA LIMITE DE L’INNOVATION
« Fixée par l’UCI, le vélo ne peut plus beaucoup
évoluer. Je travaille sur différents projets, des voies
d’innovation. On peut gagner 10 % en puissance sur
le cadre et la géométrie. C’est tout. Les cotes fixées,
dont le poids, c’est une question de géométrie. Ailleurs, on est au max, dont plateaux et guidon. »

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