PELOUSES, LISIÈRES ET FORÊTS CALCICOLES

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PELOUSES, LISIÈRES ET FORÊTS CALCICOLES
PELOUSES, LISIÈRES ET FORÊTS CALCICOLES
Photo : B. Destiné
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PELOUSES, LISIÈRES
ET FORÊTS CALCICOLES
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Des collines d’Artois au Cambrésis, la craie constitue un socle rocheux étendu. Au-delà, à l’extrême est du
département du Nord, des calcaires durs affleurent, en partie similaires à ceux du bassin de Marquise dans le
Boulonnais. Dans cette même région, des marnes riches en bases (calcium, magnésium...) apparaissent. Ces
formations géologiques, souvent recouvertes de limons sur les plateaux, affleurent à la faveur d’accidents
topographiques. Ces coteaux aux fortes pentes, appelés aussi “rietz“ ou “larris“ en Picardie, donnent naissance à
des sols squelettiques, peu profonds, sujets à la sécheresse une grande partie de l’année, surtout s’ils sont exposés
au sud. Toutefois, le climat océanique de l’ouest de la région, associé à une pluviosité importante au niveau de
certains secteurs plus élevés, permet aussi le développement d’espèces réputées hygrophiles sur les coteaux de
craie marneuse. Malgré cette originalité, ces versants souvent abrupts sont le terrain d’élection de végétations
calcicoles qui rappellent par certains côtés les garrigues méditerranéennes et les steppes continentales, avec
lesquelles elles ont quelques plantes en commun. Parmi les plus beaux coteaux crayeux ou calcaires de la région,
il faut citer celui d’Elnes-Wavrans près de Saint-Omer, celui des monts de Boffles à Noeux-lès-Auxi, le promontoire
du Blanc-Nez ou encore les monts de Baives et de Bailièvre, au niveau de la Calestienne, vaste bande de calcaires
s’étendant surtout en Belgique.
Le paysage caractéristique des coteaux est typiquement constitué par une végétation d’herbes rases, la pelouse,
entretenue par le pâturage extensif séculaire des moutons ou des bovins. En mosaïque avec cette végétation
d’origine pastorale, des herbes hautes colonisent les secteurs non broutés tandis que les fourrés de Genévrier
commun (Juniperus communis), dont le développement est contemporain de ce pâturage à l’origine itinérant,
donnent une physionomie particulière à ce paysage.
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Le long de ces escarpements crayeux, les bois montueux et les versants forestiers pentus de plus vastes massifs
s’étendant sur les plateaux alternent souvent avec les pelouses et praires calcicoles. À cet égard, les cuestas du
Boulonnais et du pays de Licques sont particulièrement caractéristiques des paysages des collines crayeuses de
l’Artois. Le Hêtre (Fagus sylvatica), le Frêne commun (Fraxinus excelsior) et l’Érable champêtre (Acer campestre)
constituent les principales essences forestières des boisements de pente qui jalonnent ces cuestas et les versants
des nombreuses vallées qui entaillent ces collines ou, vers le sud-est, occupent les reliefs tabulaires de la
Calestienne.
PATRIMOINE FLORISTIQUE
Genêt des
teinturiers
(Genista
tinctoria)
Photo : B. Destiné
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Les coteaux crayeux ou calcaires, du fait de la particularité de leur sol et des conditions climatiques, constituent
l’habitat spécifique de nombreuses espèces rares. Près d’une centaine de plantes menacées ou protégées peuvent
s’observer parmi différents types d’habitats calcicoles.
Les pelouses rases, en particulier lorsque le tapis végétal présente des plages de sol dénudées, sont souvent les
plus riches. Les orchidées y tiennent une place privilégiée grâce à la présence de nombreux genres : Aceras, Orchis,
Ophrys, Gymnadenia... Mais leurs fleurs spectaculaires ne doivent pas masquer l’existence de graminées ou de
laîches spécifiques à ces milieux, comme l’Avénule des prés (Avenula pratensis), la très rare Fétuque hérissée
(Festuca ovina subsp. hirtula) ou la Laîche tomenteuse (Carex tomentosa). Les Fabacées (Papilionacées) sont
également nombreuses dans ces milieux telles l’Astragale à feuilles de réglisse (Astragalus glycyphyllos) ou le
Genêt des teinturiers (Genista tinctoria), ce dernier se rencontrant aux deux extrêmes de la région Nord/Pas-deCalais (Boulonnais et Avesnois). Les forêts et leurs lisières abritent elles aussi quelques orchidées précieuses et une
espèce bulbeuse rare : l’Ornithogale des Pyrénées (Ornithogalum pyrenaicum). Dans quelques rares bois, on
découvrira aussi le Bois joli (Daphne mezereum) et la Laîche digitée (Carex digitata). En dehors de ces espèces
plutôt forestières, on peut aussi signaler divers arbustes de lisière en limite nord de leur aire de répartition comme
le Cornouiller mâle (Cornus mas) et le Prunier de Sainte-Lucie (Prunus mahaleb). De même, les lisières herbacées
ensoleillées préservées de l’eutrophisation peuvent héberger quelques plantes remarquables comme l’Ancolie
commune (Aquilegia vulgaris) et le Trèfle intermédiaire (Trifolium medium), le Buplèvre en faux (Bupleurum
falcatum) étant quant à lui au bord de l’extinction.
MENACES, PROTECTION, CONSERVATION
Traditionnellement et anciennement parcourus par des troupeaux itinérants, ces coteaux sont souvent victimes de
l’abandon lorsqu’ils sont difficiles d’accès ou trop pentus. L’embroussaillement représente ainsi 42 % des types de
menace pour les sites où est présente la Parnassie des marais (Parnassia palustris), une plante typique des pelouses
rases sur craies marneuses. L’exploitation de la craie est aussi une cause de disparition des coteaux. Ailleurs, la
topographie plus douce a entraîné leur intensification, leur mise en culture ou leur plantation. Les coteaux crayeux
ont ainsi été écartelés entre abandon et intensification, paradoxe de la rentabilité et de l’évolution de l’agriculture
actuelle !
Par contre, les forêts calcicoles de pente ont beaucoup moins souffert de l’évolution de certaines pratiques
sylvicoles que les forêts des plateaux, même si localement on a pu constater parfois quelques enrésinements. Ceci
est probablement dû aux difficultés d’accès et d’exploitation mais aussi à la multiplicité des propriétaires, donc à la
diversité des modes de gestion. Par ailleurs, ces habitats forestiers sont souvent plus utilisés à des fins cynégétiques
que de production de bois. Cependant, la diversité floristique des végétations préforestières des lisières externes
et des clairières intraforestières a subi directement ou indirectement les effets de la mécanisation (gestion par
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Pâturage ovin
extensif sur les
coteaux calcicoles de
Wavrans-sur-l’Aa (62)
Photo : C. Blondel
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gyrobroyage...) et de l’eutrophisation des espaces cultivés situés en amont, sur les plateaux, ou au pied des coteaux.
Espaces peu étendus mais imposants dans les paysages plats du nord de la France, les coteaux ont heureusement bénéficié
assez tôt d’une prise de conscience des atteintes portées au patrimoine naturel et culturel qu’ils constituent. Aujourd’hui, la
plupart des grands coteaux crayeux de l’ouest de la région font l’objet d’une gestion attentive à la préservation de leur flore
et de leur faune. Ceux du Cambrésis n’auront pas eu cette chance : l’Anémone pulsatille (Pulsatilla vulgaris) n’y fleurira
probablement plus. De même, de nombreux coteaux sont en voie de boisement et nécessitent une gestion pastorale
extensive à court terme.
La gestion d’habitats naturels diversifiés sur les coteaux demande en général la reprise des activités pastorales disparues :
fauche et pâturage extensif ou itinérant principalement. Les lapins, malheureusement décimés par la myxomatose, sont
aussi d’une importance capitale dans le cycle évolutif des pelouses calcicoles, notamment par leur gratis et le maintien de
zones broutées, très rases, favorables aux espèces pionnières. En forêt, l’entretien des lisières par la fauche exportatrice
tardive et la mise en œuvre de techniques d’exploitation particulières, notamment au moment des coupes, permet de
préserver des stations d’espèces menacées.
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TRANSECT 8
Dessin : F. Hendoux
PELOUSES CALCICOLES
Installées sur des affleurements crayeux, marneux ou calcaires, les pelouses calcicoles sont caractérisées par des
sols à fort déficit hydrique durant l’été et pourvus d’une intense activité biologique. L’exposition au sud de plusieurs
coteaux ainsi que les sols drainants qu’ils offrent permettent à plusieurs espèces thermophiles d’y atteindre la limite
nord de leur aire de répartition.
Les milieux pionniers sur roches affleurantes sont riches en espèces annuelles ou bisannuelles comme la Chlore
perfoliée (Blackstonia perfoliata) et la Gentianelle d’Allemagne (Gentianella germanica). Le Thym couché (Thymus
praecox) et l’Hélianthème nummulaire (Helianthemum nummularium)
sont fréquents aux alentours des fourmilières. L’Ophrys araignée (Ophrys
sphegodes subsp. sphegodes) et l’Ophrys abeille (Ophrys apifera) sont
deux orchidées plus ou moins rares qui témoignent d’un bon état de
conservation de la pelouse. Les terrains les plus marneux voient apparaître
la Parnassie des marais (Parnassia palustris) et la Succise des prés (Succisa
pratensis) tandis que la Laîche glauque (Carex flacca) devient plus
abondante. Mais les espèces que l’on remarque en premier lieu par leur
recouvrement dans la végétation des pelouses sont des herbes moins
colorées : la Fétuque de Léman (Festuca lemanii) et le Brome dressé
(Bromus erectus) sont ainsi deux des graminées les plus fréquentes et
caractéristiques des pelouses calcicoles. En revanche, le Brachypode
penné (Brachypodium pinnatum), s’il est dominant , témoigne d’un
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Pelouse calcicole
en voie
d’ourlification sur
le cap Blanc-Nez
(62)
Photo : B. Destiné
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sous-pâturage et annonce la disparition de la pelouse. Il est accompagné, dans les ourlets , par un cortège
d’espèces de plus haute taille telles que la Centaurée scabieuse (Centaurea scabiosa), l’Origan (Origanum vulgare)
et l’Aigremoine eupatoire (Agrimonia eupatoria). De même, les orchidées deviennent plus imposantes que les
frêles Ophrys, à l’image de l’Orchis bouc (Himantoglossum hircinum) ou de l’Orchis pourpre (Orchis purpurea) : la
concurrence pour la lumière et l’espace se fait plus rude !
FOURRÉS ET PRÉ-BOIS CALCICOLES
Buissons de
genévriers
piquetant la
pelouse
calcicole
Un des arbustes les plus typiques des
coteaux est sans conteste le Genévrier
commun (Juniperus communis). Seul
conifère indigène dans le Nord/Pas-de
Calais, le Genévrier donne toujours une
touche insolite aux paysages qu’il
caractérise, qu’il s’étale en des formes
prostrées et ramassées pour résister aux
vents du large comme au cap Blanc-Nez,
qu’il s’élance en chandelier ou s’évase en
une large coupe, comme sur les coteaux
d’Artois et du Boulonnais ou le mont de
Baives . Ce curieux arbuste profite de
périodes de sous-pâturage pour s’installer
dans la pelouse. Mais à l’inverse des autres
ligneux, le Genévrier ne supporte pas
l’ombrage. Lorsque l’Aubépine à un style
(Crataegus monogyna), le Cornouiller sanguin (Cornus sanguinea) , la Viorne lantane (Viburnum lantana) et le
Prunellier (Prunus spinosa) commencent à coloniser le coteau, le Genévrier n’en a plus pour très longtemps et
s’efface peu à peu du paysage. La fermeture complète du milieu et son évolution lente vers la forêt peuvent
s’accomplir en 30 ou 40 ans.
Photo : C. Blondel
FORÊTS DES VERSANTS CRAYEUX OU CALCAIRES
Les forêts calcicoles sont marquées par un cortège floristique diversifié et une strate herbacée souvent très
développée. La Mercuriale vivace (Mercurialis perennis) est assez constante dans les sous-bois sur sols crayeux où
l’on peut aussi observer d’autres espèces typiques comme l’Orchis pourpre (Orchis purpurea), la Dactylorhize de
Fuchs (Dactylorhiza fuchsii), la Platanthère des montagnes (Platanthera chlorantha) ou plus rarement le Laurier des
bois (Daphne laureola) et la Laîche glauque (Carex flacca). L’Érable champêtre (Acer campestre), le Troène
commun (Ligustrum vulgare), le Fusain d’Europe (Euonymus europaeus), la Viorne lantane (Viburnum lantana), le
Nerprun purgatif (Rhamnus cathartica), la Viorne obier (Viburnum opulus), cette dernière souvent présente du fait
de la présence de craies marneuses, abondent dans la strate arbustive souvent très frèquente dans les stades
forestiers jeunes ou dans les forêts claires. Mais suivant les caractéristiques du sol et le climat local, plusieurs types
forestiers peuvent se différencier, chacun ayant sa propre flore. Dans les hêtraies les plus sèches, on pourra
rencontrer la Céphalanthère à grandes fleurs (Cephalanthera damasonium) ou l’Épipactis brun rouge (Epipactis
atrorubens), tandis que dans les hêtraies-frênaies-érablières sur craies marneuses apparaissent des espèces de sols
plus frais comme la Sanicle d’Europe (Sanicula europaea) ou l’Euphorbe pourprée (Euphorbia dulcis subsp.
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purpurata). Vers la Calestienne, la Scille à deux feuilles (Scilla bifolia) et le Dompte-venin officinal (Vincetoxicum
hirundinaria) marquent quant à eux le caractère plus continental des boisements calcicoles du secteur de Baives.
Dans le Boulonnais, les sols marneux, plus lourds, sont couverts par le Frêne commun (Fraxinus excelsior) qui
profite largement des coupes à blanc répétées. L’Adoxe moscatelline (Adoxa moschatellina) l’accompagne dans le
sous-bois de même que dans les frênaies des fonds de vallons humides, où peut souvent s’observer un ourlet de
hautes herbes hygrophiles caractérisé par le Cirse maraîcher (Cirsium oleraceum), le Brome rude (Bromus ramosus)
et la Laîche pendante (Carex pendula). Sur les plateaux recouverts de limons, le lessivage du sol peut conduire à
une acidification légère . Dans ce cas, l’Oxalide oseille (Oxalis acetosella) apparaît fréquemment. C’est
maintenant le domaine des forêts de plateau qui seront présentées avec les zones bocagères et les milieux
associés.
Enfin, localement, certains coteaux abrupts exposés au nord et les vallons ombragés que forment les creuses,
les ravins et les chemins en cavée de l’Artois présentent des caractéristiques climatiques de fraîcheur et d’humidité
si particulières qu’elles permettent l’installation d’espèces plutôt montagnardes comme l’Érable plane (Acer
platanoides), le Tilleul à grandes feuilles (Tilia platyphyllos) et l’Orme des montagnes (Ulmus glabra). On y observera
de nombreuses fougères, dont la Scolopendre (Asplenium scolopendrium) et le Polystic à soies (Polystichum
setiferum). C’est aussi l’habitat de l’Actée en épi (Actaea spicata).
Sous-bois à Mercuriale
vivace (Mercurialis
perennis) sur sols
crayeux
Photo : B. Destiné
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