Phèdre, dossier pédagogique - Cahier de texte

Transcription

Phèdre, dossier pédagogique - Cahier de texte
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
La Compagnie du Théâtre et des étoiles
Direction artistique Sterenn Guirriec
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Phèdre
texte de
Jean RAcine
mise en scène de Sterenn
Guirriec
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Dossier pédagogique
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
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Sommaire
L’ÉQUIPE ARTISTIQUE………..…………………………………………………..3
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RACINE ET PHÈDRE……..………………………………………………………..4
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Jean Racine……..….……………………………………………………………….4
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Phèdre, un classique des plus modernes.……………………………………..5
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Le résumé rapide……………………………………………………………….….5
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Le résumé acte par acte…………………………………………………….……6
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PHÈDRE PAR LA COMPAGNIE DU THÉÂTRE ET DES ÉTOILES …………8
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Note d’intention de mise en scène………………………………………….….8
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Réflexions sur la scénographie…….……………………………………………9
Vivre dans les cendres du chaos…………………………………………………..9
Les sources d’inspiration …………………………………………………………10
La conception ..……………………………………………………………………14
Les lumières…..……………………………………………………………………15
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POUR ALLER PLUS LOIN……………………………………………….………17
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Extraits : les scènes en miroir…..…………………………………..….………17
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Parler du spectacle. Grille d’analyse pour la représentation ……………25
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
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L’équipe artistique
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Thésée
Philippe Maymat
Phèdre
Sterenn Guirriec
Hippolyte
Johann Cuny
Aricie
Marie Sambourg
Œnone
Nanou Garcia
Théramène
Laurent Montel
Ismène et Panope
Hélène Ollivier
Mise en scène et scénographie
Assistante à la mise en scène
Sterenn Guirriec
Hélène Ollivier
Costumes
Dominique Louis
Scénographie
Camille Ansquer
Musique
Nicolas Larmignat
Lumières
Bruno Rudtmann
Maquillage et coiffure
Éva Bouillaut
Conception des décors
Les élèves de l’École
Prép’art
Régie son
Thomas Lucet
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Durée estimée du spectacle : 2 heures
Production : La Compagnie du Théâtre et des Étoiles
Co-production : La Scène Watteau, scène conventionnée de Nogent-sur-Marne
Exploitation du spectacle • du 25 janvier au 4 février 2016 à la scène Watteau de Nogent-sur-Marne
• le 9 février 2016 au théâtre de la Fabrique à Guéret.
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Racine et Phèdre
!
Jean racine (1639-1699)
!
Jean Racine naît en 1639 dans une famille de
notables peu fortunés. Orphelin très jeune, il est
instruit à Port-Royal, monastère avec qui sa famille
avait des relations et où il reçoit une solide
éducation religieuse et littéraire. Parvenu à l’âge
adulte, il s’installe à Paris en 1658 et s’oriente
assez rapidement vers l’étude de la littérature et
de la poésie. En 1664, il se lance dans l’écriture
dramatique avec La Thébaïde qui ne rencontre
pas le succès espéré. Fort heureusement,
Alexandre, écrit un an plus tard, lui vaut les
éloges du public. Racine quitte alors la troupe de
Molière, qui avait pourtant lancé sa pièce, pour la
troupe de l’Hôtel de Bourgogne, se brouillant
définitivement avec celui-ci. En 1666, il interrompt ses relations avec Port-Royal, dont les
écrits condamnent sans appel l’art dramatique. Les pièces qui rencontrent le plus de
succès auprès de ses contemporains comme de la postérité sont rédigées de 1667 à
1677. Andromaque (1667) révèle l’originalité de son écriture. Puis viennent Britannicus,
Bérénice, Bajazet, Mithridate et Iphigénie. Phèdre, en 1677, clôt cette décennie
d’écriture si faste. Il faut croire que cette année marque un tournant dans la vie de
l’auteur, puisqu’il abandonne l’écriture dramatique après avoir été nommé historiographe
du roi, se réconcilie avec Port-Royal et fait un mariage bourgeois. Par la suite, il n’écrira
plus que deux pièces, Esther et Atalie, des tragédies sacrées, qui répondaient à des
commandes de sa protectrice, Mme de Maintenon, pour l’instruction biblique des jeunes
filles de Saint-Cyr. Il rédigera également quelques livrets d’opéra pour Mme de
Montespan. Jusqu’à la fin de la sa vie, Racine évolue dans des sphères très proches de
Louis XIV. À sa mort, le Roi, respectant ses dernières volontés, le fait enterrer à Port-Royal.
À la destruction du couvent, en 1710, ses cendres sont transférées à l’Eglise SaintEtienne-du-Mont, à Paris.
En somme, seul un quart de la vie de Racine aura été consacré à l’écriture des pièces qui
lui ont permis l’accès à la postérité. Après une brutale
émancipation qui laisse le champ libre à son génie
Avant le spectacle
créateur, le succès lui attire les faveurs du pouvoir
Quelle place privilégiée
royal. Son ambition quitte désormais la sphère
occupe Phèdre dans la vie
artistique pour évoluer sur des voies plus
d’écrivain de Racine ? En quoi
académiques. Durant la seconde moitié de sa vie,
est-ce une période charnière
Racine mène alors une carrière d’écrivain officiel et
de sa vie ?
renoue, loin du théâtre, avec les bienfaiteurs de sa
jeunesse, les jansénistes de Port-Royal.
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Phèdre, un classique des plus modernes
!
Comment interpréter un sujet déjà tant de fois traité ? Si mettre en scène Phèdre de
Racine peut paraître relever de la gageure tant la pièce a été montée depuis sa création
en 1677, l’écrire à la fin du XVIIe siècle n’était pas chose simple non plus. Depuis
Euripide, le mythe de Phèdre et d’Hippolyte a connu de nombreuses interprétations
théâtrales dont la plupart sont aujourd’hui tombées dans l’oubli. La pièce de Racine, elle,
devenue une des plus célèbres tragédies françaises, accueille le passage du temps
comme un éternel élixir de jeunesse, lui conférant une beauté aux reflets constamment
renouvelés. Tel un kaléidoscope, Phèdre ne cesse de se parer d’éclats nouveaux à la
lumière du présent : c’est ce qui fait la pérenne actualité de cette œuvre magistrale.
AVANT LE SPECTACLE
Quelles sont les lectures modernes que l’on peut faire de Phèdre ?
En quoi la pièce peut-elle trouver des résonances actuelles ?
!
APRÈS LE SPECTACLE
La mise en scène dialogue-t-elle avec le contexte contemporain ? Qu’apporteelle à une lecture moderne de la pièce ?
!
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Le résumé rapide
!
Thésée, le roi d’Athènes, est parti repousser quelques monstres aux confins du royaume.
Avant son départ, il a confié Phèdre, son épouse, et Aricie, sa prisonnière, seule
survivante d’une famille rivale, à Hippolyte, le fils né de ses amours avec une Amazone.
Tandis que le jeune homme brûle secrètement d’amour pour Aricie, Phèdre quant à elle,
est éprise de lui à en mourir. L’annonce de la mort de Thésée vient précipiter les
déclarations amoureuses : libérés d’un rival politique et d’un père contraignant Aricie et
Hippolyte s’avouent un amour réciproque ; délivrée d’un époux qui rendait ses amours
incestueuses, Phèdre déclare sa passion à Hippolyte, puis honteuse, tente de se suicider
avec l’épée du jeune homme. Aidée par sa confidente, Œnone, elle espère finalement
séduire le jeune homme en flattant son ambition et en lui offrant le trône. Mais alors
qu’on ne l’attendait plus, Thésée revient des Enfers, étonné et courroucé face à l’accueil
bien singulier que les membres de sa famille réservent à son retour inespéré : Phèdre
l’évite et Hippolyte refuse d’expliquer son départ précipité. Œnone, pour sauver Phèdre,
se sert de l’épée d’Hippolyte, laissée entre les mains de Phèdre pour accuser le jeune
homme d’un amour coupable envers sa belle-mère. Thésée se laisse persuader par les
apparences et implore Neptune de le venger des insolences de son fils. Hippolyte, pour
se défendre avoue son seul crime : aimer Aricie. Mais Thésée préfère croire à la version
calomnieuse d’Œnone. Phèdre, rongée par la culpabilité, s’apprête à révéler la vérité à
Thésée, quand elle apprend de la bouche de celui-ci l’amour d’Hippolyte pour Aricie. La
jalousie lui ôte la parole. Lorsqu’enfin elle reproche à Œnone ses accusations
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
mensongères et renvoie celle-ci, il est déjà trop tard. Hippolyte, après avoir donné
rendez-vous à Aricie dans un petit temple à la sortie de Trézène pour l’épouser en secret,
quitte la ville. Panope annonce à Thésée la mort proche de Phèdre et le suicide d’Œnone.
Pris d’un horrible doute, Thésée demande à voir son fils. Mais Théramène, vient lui
annoncer que la malédiction de Neptune a déjà frappé mortellement le jeune homme :
poursuivi par un monstre marin, il est mort en combattant, empêtré dans les rênes de son
attelage. Phèdre avoue alors à son mari la vérité avant de mourir sur scène.
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Le résumé acte par acte
!
ACTE I : Où les amours sont secrètes et impossibles
!
À Trézène, on est sans nouvelle de Thésée, le roi d’Athènes, parti combattre aux
frontières du royaume après avoir confié sa famille à Hippolyte, le fils qu’il a eu d’une
Amazone. Inquiet et impatient de faire ses preuves, le jeune homme est déterminé à
partir sur les traces de son père. Mais son départ, aux allures de fuite, répond à une autre
motivation. Depuis quelque temps, le jeune homme, mélancolique, délaisse les forêts
qu’il aime tant. Théramène, le compagnon de ses chasses, mais aussi l’ami de son père
chargé de veiller sur lui en son absence, lui fait avouer la raison de ce changement de
comportement : lui qui passe pour avoir un cœur insensible, est amoureux d’Aricie, seule
rescapée d’une famille rivale de la sienne. En s’éloignant, Hippolyte espère vaincre cet
amour que le contexte politique interdit.
Phèdre, de son côté, est rongée depuis longtemps par un mal mystérieux. Pressée par
Œnone, sa confidente, elle avoue à son tour un amour coupable : elle brûle pour
Hippolyte, le fils de son époux. La haine qu’elle lui a jusqu’ici ouvertement manifestée,
allant jusqu’à provoquer sa retraite à Trézène loin d’Athènes, n’était qu’une façade
destinée à cacher et à refouler cette passion coupable.
La sombre messagère, Panope annonce alors à la reine une nouvelle qui vient
bouleverser l’ordre politique et familial : Thésée serait mort au cours de son expédition.
Œnone persuade Phèdre de renoncer à la mort et de s’allier à Hippolyte contre Aricie
pour défendre les intérêts de son fils.
!
ACTE II : Où les entrevues politiques se changent en déclarations amoureuses
!
Aricie n’ose croire trop vite aux bouleversements qui amélioreraient sa situation. Ismène,
son optimiste confidente, tente de la persuader que le tyran qui lui refusait toute
descendance est mort et que le farouche Hippolyte qu’elle aime n’est pas insensible à
son égard. Les observations d’Ismène s’avèrent perspicaces. Le jeune homme, venant
annoncer à Aricie qu’il lui restituait le pouvoir que son père avait pris à sa famille, lui
déclare son amour. Les deux amants n’ont toutefois pas le temps de savourer la douceur
d’une passion réciproque : Phèdre demande à voir Hippolyte. Alors qu’elle débat avec
son beau-fils sur la mort de son époux, l’aveu de sa passion lui échappe. Honteuse, elle
s’empare de l’épée du jeune homme pour mettre fin à ses jours. Œnone l’en empêche et
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
l’invite à la fuite. Hippolyte, interdit, se promet de taire cet événement et de hâter son
départ, et ce malgré l’annonce de Théramène : Thésée, toujours vivant, serait sur le
chemin du retour.
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ACTE III : Où le retour du père et de l’époux rend les amours coupables
!
Phèdre, ignorant le retour prochain de son époux, exprime la honte et le désespoir de
s’être déclarée à l’insensible Hippolyte. Elle espère séduire le jeune homme en flattant
son ambition. Elle envoie Œnone lui proposer le trône. Mais Œnone rebrousse
rapidement chemin pour lui apprendre le retour inattendu de Thésée. Elle conseille alors
à la reine, qui songe une fois de plus à mourir, de prendre les devants et d’accuser
Hippolyte. Thésée, qui s’attendait à l’accueil chaleureux réservé aux héros miraculés est
désemparé : son épouse l’évite et son fils souhaite quitter la ville au plus vite. Offensé et
inquiet, n’obtenant aucune explication de la part d’Hippolyte, il est déterminé à
interroger Phèdre sur le mystère qui préside aux agissements de sa famille.
!
ACTE IV : Où Thésée est mauvais interprète du drame qui se joue
!
Œnone, décidée à sauver sa reine, présente à Thésée l’épée d’Hippolyte, abandonnée
aux mains de Phèdre, comme la preuve d’un amour scandaleux du jeune homme pour sa
belle-mère. Aveuglé par la fureur, Thésée implore Neptune, qui lui doit une faveur, de le
venger de ce fils insolent. Pour se défendre, Hippolyte, qui se refuse toujours à accuser
Phèdre, avoue à son père son amour pour Aricie, crime bien innocent par rapport à celui
dont il est accusé. Mais son père, mauvais interprète des signes qui semblent confondre
son fils, refuse de le croire. Phèdre, décidée à dire la vérité à son époux, se tait, dévorée
par la jalousie, lorsqu’elle apprend de celui-ci qu’Hippolyte aime Aricie. Prise de remords,
elle reproche tardivement à Œnone ses accusations mensongères et renvoie cette
dernière.
!
ACTE V : Où la tragédie finit par avoir lieu !
Aricie tente vainement de convaincre Hippolyte de chercher à se disculper. Les amants
conviennent finalement de s’enfuir et de se retrouver à l’écart de la ville dans un petit
temple où ils pourront célébrer un hymen secret. Avant de partir rejoindre Hippolyte,
Aricie plaide la cause de son amant auprès de Thésée. Celui-ci, de moins en moins
certain d’avoir pris la bonne décision, demande à voir Œnone pour l’interroger à nouveau.
Mais c’est Panope qui vient le trouver pour lui annoncer le suicide de cette dernière et la
mort prochaine de Phèdre. Rongé par l’inquiétude, Thésée exige que l’on rappelle son
fils. Trop tard. Théramène, bouleversé par le chagrin, accourt pour lui annoncer la mort
d’Hippolyte : il a succombé au pied du temple où il devait s’unir à Aricie, dans le combat
mortel qui l’opposait au monstre marin envoyé par Neptune. Phèdre, mourante, avoue la
vérité à son mari avant d’expirer.
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Phèdre par la Compagnie du Théâtre
et des Étoiles
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Note d’intention de mise en scène
!
Dire ou ne pas être reste la question
!
Il était une fois Phèdre.
Il était une mythologique fois qui contenait toutes les fois du monde.
!
J’ai voulu mettre en scène Phèdre de Racine, en célébrant les secrets tapis à l’ombre de
l’intrigue, ces secrets qui piaffent en l’interdiction d’aimer et de le dire : c’est le
bannissement d’un fils par son père, c’est la solitude qui condamne, lorsque « ne pas être
aimé » se traduit par « ne pas être », c’est la pulsion de vie lorsqu’elle déchire jusqu’au
mourir et c’est enfin cette part de notre humanité qui trouve son écho dans les silences
où vacarme la mythologie. Dans cet affolement de l’âme et du cœur, le déploiement du
mot vivre vient secouer la parole. C’est alors à l’acteur d’offrir du « jeu » aux mots. Les
faire mentir, sourire, se contredire, par un silence, un regard, une hésitation. Offrir toutes
ses chances à la vie, à l’espoir, à un épilogue non encore imaginé. Les personnages ne
savent pas, eux, que leur dire est écrit. Et que par l’écriture s’encre la tragédie.
!
J’ai choisi pour décor ce qui ressemblerait à un monde construit depuis une projection de
notre inconscient, un monde qui se plie, se déplie, en un rêve où s’impriment les
ricochets possibles d’un réel. Le palais de Trézène, comme une métaphore de nos envies,
s’inscrit sur une trace, sur des vestiges, ceux d’un royaume abandonné par son roi, ceux
d’un royaume pillé d’avoir appartenu à d’autres.
L’incendie d’une menace ravage la bucolique image d’un jardin fantastique ; un arbre
s’érigeant vers le ciel, mais calciné. Des rochers volcaniques, mais à bien les regarder, des
amoncèlements d’objets (chaussures, valises, livres,…) ravagés eux aussi par les flammes,
qui se figent en symbole de l’exode. Et au sein de la cendre de ce cauchemar, la vie qui
persiste, toujours. Une baignoire, un trône, un lit… des signes du quotidien presque
dérisoires, où la vie se réfugie, comme une trêve lancée à l’inéluctable.
!
Les lumières cisèlent l’espace, jusqu’à parfois le réinventer, accompagnent les arrivées et
sorties de la petite fille du Soleil, Phèdre, comme le font les levers ou couchers du soleil.
La chronologie peut sembler s’inverser, ou la distribution se confondre, lorsque qu’un
effet retrouvé après l’ellipse d’un noir fait basculer la scène. Les lumières accompagnent
et signent la métaphore d’un lieu qui n’a pas lieu.
!
Du cuir, des sangles, de larges ceintures, des costumes aux lignes fortes. Plus une
réponse à la menace qui rôde qu’à une époque qui circonscrit. Du noir, de l’ocre sombre
jusqu’au doré. Un jeu de transparence avec différentes matières.
!
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
La création musicale originale est composée par Nicolas Larmignat. Des voix enregistrées,
transformées, inversées, afin que les désirs, les peurs, les fureurs se fassent entendre. Des
rythmes, des répétitions, des distorsions… comme le battement d’un cœur sous la
tragédie. La musique viendra aussi s’inscrire dans le silence comme une réponse des
Dieux que l’on invoque : Neptune, Vénus…
!
Il aura été cette fois.
Cette histoire qui est la nôtre.
Celle de nos secrets qui rugissent dans nos silences.
Celle d’une fureur d’aimer qui, dans la nuit du soleil, s’amplifie.
!
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Réflexions sur la scénographie
!
Vivre dans les cendres du chaos
!
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Sterenn Guirriec
Comment représenter un monde ravagé par les tourmentes de la guerre ? Mais aussi
l’univers dans lequel évolue Phèdre, la petite-fille du Soleil ? Ce sont les questions
auxquelles les propositions scénographiques de Sterenn Guirriec tentent de répondre,
plutôt que de se confronter aux exigences d’un lieu et d’un temps clairement
identifiables. Aussi le décor se présente-tAprès le spectacle
il comme les vestiges cauchemardesques
d’une cité détruite, tout comme les Que vous évoquent ces amoncellements
cendres d’un monde brûlé par le Soleil, d’objets sur scène ? Vous font-ils penser à
embrasé par le feu qui anime ses des références dans l’actualité ou dans le
habitants. La tragédie se dessine au milieu passé ?
d’amoncellements d’objets en partie À votre avis, qu’apportent-ils à la pièce ?
brûlés. Au lointain, un arbre calciné sert Quels aspects du texte mettent-ils en
fréquemment de lieu de rendez-vous aux valeur ?
personnages.
!
Entre ces vestiges qui rappellent la guerre, se dressent tour à tour les meubles du palais
de Trézène, propres à chaque personnage : la frêle baignoire d’Aricie, une table royale
pour l’entrevue entre Hippolyte et Phèdre, le lit où Phèdre vient se réfugier et sous lequel
elle dissimule ses médicaments, le trône de Thésée qui semble lui aussi rescapé des
Enfers… Ces objets concrets parmi des vestiges à moitié cauchemardesques sont le signe
de la vitalité, du désir, des pulsions qui continuent d’habiter les personnages au milieu du
chaos.
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!
!
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Après le spectacle
Quel est le contraste entre les meubles du palais de Trézène, qui viennent ponctuer les
différentes scènes, et le cadre créé par l’arbre calciné et les piles d’objets ? Qu’apporte
ce contraste à la pièce ?
Quels sont les meubles qui semblent eux aussi frappés par la destruction et par le
cauchemar ?
Quels sont ceux au contraire qui semblent s’en détacher radicalement ?
Comment interprétez-vous ces différences ?
Quels liens pouvez-vous faire entre les objets et les personnages qui les utilisent ?
Au fond de la scène, un sombre promontoire bordé de marches surplombe la scène.
Rappel de la majestuosité du palais de Thésée, ce promontoire permet des apparitions
sur scène singulières, mais aussi des différences de hauteur entre les personnages. Il
permet également, avec l’aide des lumières d’élever certains passages du spectacle audessus du reste du décor.
Faites attention aux passages de la pièce qui se déroulent sur
le promontoire. Quel est l’effet produit ?
Les sources d’inspiration
Les œuvres de différents artistes ont inspiré le travail sur la scénographie : la sculpture à
partir de livres détruits d’Anselm Kiefer, l’univers sombre de Felix Nussbaum, les
amoncellements d’objets d’Arman et ses instruments calcinés ou encore les installations
de Christian Boltanski.
!
Autoportrait avec fleur de pommier,
Felix NUSSBAUM, 1939
Felix Nussbaum (1904-1944) est un
peintre juif allemand des années 1930 et
du début des années 1940. Ses œuvres
sont marquées par l’avènement du
nazisme et la montée de l’antisémitisme
en Europe. Elles décrivent un monde que
l’homme mène à sa destruction.
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
La Tempête, Felix NUSSBAUM, 1941
Sculpture d’Anselm KIEFER
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Anselm Kiefer, né en 1945, est un artiste
plasticien allemand vivant en France. Ses
œuvres sont le fruit d’un incessant travail
sur la matière, mêlant les objets à
l’organique et au minéral. Elles sont
traversées par une réflexion sur les
catastrophes, la destruction et la
mémoire.
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Consigne à vie, ARMAN, 1985
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Accumulation de violons, ARMAN, 1985
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Arman (1928-2005) est un artiste contemporain
qui s’est intéressé au rapport à l’objet dans la
société moderne. Son œuvre met en évidence
les mécanismes contradictoires de sacralisation,
de consommation et de destruction qui, selon
lui, sont au cœur de notre relation à l’objet. Dans
s e s s c u l p t u re , i l a s o u v e n t re c o u r s à
l’accumulation.
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
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Personnes, Christian BOLTANSKI, 2010
Christian Boltanski (né en 1944) est un artiste plasticien contemporain dont les œuvres
reflètent une certaine obsession pour le passage du temps, la mort et la mémoire.
!
Son installation, Personnes, en 2010, au Grand Palais, à Paris, met en scène la précarité
de la vie humaine à travers de gigantesques amoncellements de vêtements. Elle évoque
la vie, mais aussi la mort et l’absence.
Après le spectacle
Que vous inspirent ces différentes œuvres ?
Comment justifiez-vous le choix de ces sources
d’inspiration pour le décor de Phèdre ?
Quels sont précisément les éléments du décor de
Phèdre qui vous rappellent ces œuvres ?
Comment la scénographie s’approprie-t-elle ces
sources d’inspiration pour proposer autre chose ?
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
La conception
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Les élèves de Lionel Dax de l’École Prép’art ont travaillé, sous la direction de Camille
Ansquer, à la confection de l’arbre calciné et des piles de valises, de chaussures, de livres
léchés par les flammes qui occupent la scène, comme autant de traces d’un temps révolu.
Car c’est bien de guerre dont il est question en sourdine à longueur d’alexandrins : la
famille d’Aricie décimée par la guerre pour le trône d’Athènes, les monstres terrifiants qui
menacent sans cesse les terres grecques et contre lesquels Thésée livre des combats sans
cesse recommencés en témoignent.
Confection par l’École Prép’art d’un
livre brûlé pour la pile de livres.
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Œuvre d’Anselm Kiefer à partir de livres
Quel rapprochement pouvez vous
faire entre l’œuvre d’Anselm Kiefer
et la réalisation de la pile de livres
du décor ?
Quelles sont les ressemblances ?
Les différences ?
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Croquis de Camille Ansquer pour la
confection de l’arbre
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Après le spectacle
Qu’apporte l’arbre au décor ?
L’arbre présent sur scène ressemble-til au croquis initial ?
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Les lumières
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Nées du travail de Sterenn Guirriec avec Bruno Rudtmann, les lumières jouent un rôle
important dans la scénographie. Elles accompagnent un décor qui oscille entre rêve (ou
cauchemar) et réalité. Elles accompagnent la mise en scène par un jeu de variations et de
contrastes, allant de la semi-pénombre à une grande luminosité. Elles travaillent l’espace
scénique, en réinventant constamment le décor : les amoncellements d’objets se
montrent sous un angle nouveau à chaque éclairage, et les branches de l’arbre se prêtent
à un jeu d’ombres qui peut changer radicalement l’atmosphère d’une scène à l’autre.
En outre, les lumières deviennent presque un acteur à part entière, lorsqu’elles
interagissent avec Phèdre pour souligner son origine solaire.
Après le spectacle
Comment les lumières animent-elles le décor ?
Quelles sont les différentes atmosphères qu’elles contribuent à créer ?
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Photographie prise en répétition d’une des entrées sur scène de Phèdre
La lumière vous semble-t-elle parfois revêtir une
fonction symbolique (sur cette photographie, mais
aussi à d’autres moments du spectacle) ?
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Pour aller plus loin
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Extraits: les scènes en miroir
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Dans Phèdre, certaines scènes semblent se répondre, créant un jeu d’échos à travers la
tragédie. Par exemple, l’aveu de l’amour au confident survient par trois fois de la part de
trois personnages différents (I, 1, Hippolyte à Théramène ; I, 3, Phèdre à Œnone ; II, 1,
Aricie à Ismène). Les différences donnent du relief à chaque scène, mettent en valeur
toute la singularité des personnages, mais rappellent aussi, à travers ce jeu subtil de
miroirs et de doubles, qu’il s’agit, au fond, d’une déclinaison virtuose de la part de Racine
d’une même situation.
!
Etude comparée : deux scènes de déclaration amoureuse
Acte II, scène 2 et scène 5
Avant le spectacle
À la lecture des scènes suivantes déterminez :
• en quoi la situation des deux scènes est similaire
• quelles sont les ressemblances entre ces deux déclarations amoureuses
• à quel niveau se situent les différences.
(comparer les intentions initiales des personnages, leurs réactions, la réception des
aveux, etc)
!
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Acte II, scène 2 : Hippolyte à Aricie
HIPPOLYTE
Madame, avant que de partir,
J’ai cru de votre sort vous devoir avertir.
Mon père ne vit plus. Ma juste défiance
Présageait les raisons de sa trop longue absence :
La mort seule, bornant ses travaux éclatants,
Pouvait à l’univers le cacher si longtemps.
Les dieux livrent enfin à la Parque homicide
L’ami, le compagnon, le successeur d’Alcide.
Je crois que votre haine, épargnant ses vertus,
Écoute sans regret ces noms qui lui sont dus.
Un espoir adoucit ma tristesse mortelle :
Je puis vous affranchir d’une austère tutelle.
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
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Je révoque des lois dont j’ai plaint la rigueur :
Vous pouvez disposer de vous, de votre cœur ;
Et, dans cette Trézène, aujourd’hui mon partage,
De mon aïeul Pitthée autrefois l’héritage,
Qui m’a, sans balancer, reconnu pour son roi,
Je vous laisse aussi libre, et plus libre que moi.
ARICIE
Modérez des bontés dont l’excès m’embarrasse.
D’un soin si généreux honorer ma disgrâce,
Seigneur, c’est me ranger, plus que vous ne pensez,
Sous ces austères lois dont vous me dispensez.
HIPPOLYTE
Du choix d’un successeur Athènes incertaine,
Parle de vous, me nomme, et le fils de la reine.
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ARICIE
!
De moi, seigneur ?
!
HIPPOLYTE
!
Je sais, sans vouloir me flatter,
Qu’une superbe loi semble me rejeter :
La Grèce me reproche une mère étrangère.
Mais si pour concurrent je n’avais que mon frère,
Madame, j’ai sur lui de véritables droits
Que je saurais sauver du caprice des lois.
Un frein plus légitime arrête mon audace :
Je vous cède, ou plutôt je vous rends une place,
Un sceptre que jadis vos aïeux ont reçu
De ce fameux mortel que la terre a conçu.
L’adoption le mit entre les mains d’Égée.
Athènes, par mon père accrue et protégée,
Reconnut avec joie un roi si généreux,
Et laissa dans l’oubli vos frères malheureux.
Athènes dans ses murs maintenant vous rappelle :
Assez elle a gémi d’une longue querelle ;
Assez dans ses sillons votre sang englouti
A fait fumer le champ dont il était sorti.
Trézène m’obéit. Les campagnes de Crête
Offrent au fils de Phèdre une riche retraite.
!18
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
!
!
!
!
L’Attique est votre bien. Je pars, et vais, pour vous,
Réunir tous les vœux partagés entre nous.
ARICIE
De tout ce que j’entends, étonnée et confuse,
Je crains presque, je crains qu’un songe ne m’abuse.
Veillé-je ? Puis-je croire un semblable dessein ?
Quel dieu, seigneur, quel dieu l’a mis dans votre sein !
Qu’à bon droit votre gloire en tous lieux est semée !
Et que la vérité passe la renommée !
Vous-même en ma faveur vous voulez vous trahir !
N’était-ce pas assez de ne me point haïr,
Et d’avoir si longtemps pu défendre votre âme
De cette inimitié...
HIPPOLYTE
Moi, vous haïr, madame !
Avec quelques couleurs qu’on ait peint ma fierté,
Croit-on que dans ses flancs un monstre m’ait porté ?
Quelles sauvages mœurs, quelle haine endurcie
Pourrait, en vous voyant, n’être point adoucie ?
Ai-je pu résister au charme décevant...
!
ARICIE
!
Quoi ! seigneur…
!
HIPPOLYTE
!
Je me suis engagé trop avant.
Je vois que la raison cède à la violence :
Puisque j’ai commencé de rompre le silence,
Madame, il faut poursuivre ; il faut vous informer
D’un secret que mon cœur ne peut plus renfermer.
Vous voyez devant vous un prince déplorable,
D’un téméraire orgueil exemple mémorable.
Moi qui, contre l’amour fièrement révolté,
Aux fers de ses captifs ai longtemps insulté ;
Qui, des faibles mortels déplorant les naufrages,
Pensais toujours du bord contempler les orages ;
Asservi maintenant sous la commune loi,
Par quel trouble me vois-je emporté loin de moi !
Un moment a vaincu mon audace imprudente :
!19
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Cette âme si superbe est enfin dépendante.
Depuis près de six mois, honteux, désespéré,
Portant partout le trait dont je suis déchiré,
Contre vous, contre moi, vainement je m’éprouve :
Présente, je vous fuis ; absente, je vous trouve ;
Dans le fond des forêts votre image me suit ;
La lumière du jour, les ombres de la nuit,
Tout retrace à mes yeux les charmes que j’évite ;
Tout vous livre à l’envi le rebelle Hippolyte.
Moi-même, pour tout fruit de mes soins superflus,
Maintenant je me cherche, et ne me trouve plus :
Mon arc, mes javelots, mon char, tout m’importune ;
Je ne me souviens plus des leçons de Neptune ;
Mes seuls gémissements font retentir les bois,
Et mes coursiers oisifs ont oublié ma voix.
Peut-être le récit d’un amour si sauvage
Vous fait, en m’écoutant, rougir de votre ouvrage ?
D’un cœur qui s’offre à vous quel farouche entretien !
Quel étrange captif pour un si beau lien !
Mais l’offrande à vos yeux en doit être plus chère :
Songez que je vous parle une langue étrangère ;
Et ne rejetez pas des vœux mal exprimés,
Qu’Hippolyte sans vous n’aurait jamais formés.
!
!
Acte II, scène 5 : Phèdre à Hippolyte
!
!
PHÈDRE, à Œnone
Le voici : vers mon cœur tout mon sang se retire.
J’oublie, en le voyant, ce que je viens lui dire.
!
ŒNONE
!
Souvenez-vous d’un fils qui n’espère qu’en vous.
!
PHÈDRE
!
On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous,
Seigneur. À vos douleurs je viens joindre mes larmes ;
Je vous viens pour un fils expliquer mes alarmes.
Mon fils n’a plus de père ; et le jour n’est pas loin
Qui de ma mort encor doit le rendre témoin.
Déjà mille ennemis attaquent son enfance :
!20
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Vous seul pouvez contre eux embrasser sa défense.
Mais un secret remords agite mes esprits :
Je crains d’avoir fermé votre oreille à ses cris ;
Je tremble que sur lui votre juste colère
Ne poursuive bientôt une odieuse mère.
!
HIPPOLYTE
!
Madame, je n’ai point des sentiments si bas.
!
PHÈDRE
!
!
!
!
!
!
!
Quand vous me haïriez, je ne m’en plaindrais pas,
Seigneur : vous m’avez vue attachée à vous nuire ;
Dans le fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire.
À votre inimitié j’ai pris soin de m’offrir :
Aux bords que j’habitais je n’ai pu vous souffrir ;
En public, en secret, contre vous déclarée,
J’ai voulu par des mers en être séparée ;
J’ai même défendu, par une expresse loi,
Qu’on osât prononcer votre nom devant moi.
Si pourtant à l’offense on mesure la peine,
Si la haine peut seule attirer votre haine,
Jamais femme ne fut plus digne de pitié,
Et moins digne, seigneur, de votre inimitié.
HIPPOLYTE
Des droits de ses enfants une mère jalouse
Pardonne rarement au fils d’une autre épouse ;
Madame, je le sais : les soupçons importuns
Sont d’un second hymen les fruits les plus communs.
Tout autre aurait pour moi pris les mêmes ombrages,
Et j’en aurais peut-être essuyé plus d’outrages.
PHÈDRE
Ah, seigneur ! que le ciel, j’ose ici l’attester
De cette loi commune a voulu m’excepter !
Qu’un soin bien différent me trouble et me dévore !
HIPPOLYTE
Madame, il n’est pas temps de vous troubler encore :
Peut-être votre époux voit encore le jour ;
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
!
!
!
!
!
Le ciel peut à nos pleurs accorder son retour.
Neptune le protège ; et ce dieu tutélaire
Ne sera pas en vain imploré par mon père.
PHÈDRE
On ne voit point deux fois le rivage des morts,
Seigneur : puisque Thésée a vu les sombres bords,
En vain vous espérez qu’un dieu vous le renvoie ;
Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie.
Que dis-je ? Il n’est point mort, puisqu’il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux :
Je le vois, je lui parle ; et mon cœur... je m’égare,
Seigneur ; ma folle ardeur malgré moi se déclare.
HIPPOLYTE
Je vois de votre amour l’effet prodigieux :
Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux ;
Toujours de son amour votre âme est embrasée.
PHÈDRE
Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée :
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage ;
Cette noble pudeur colorait son visage,
Lorsque de notre Crête il traversa les flots,
Digne sujet des vœux des filles de Minos.
Que faisiez-vous alors ? Pourquoi, sans Hippolyte,
Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ?
Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors
Entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ?
Par vous aurait péri le monstre de la Crête,
Malgré tous les détours de sa vaste retraite :
Pour en développer l’embarras incertain,
Ma sœur du fil fatal eût armé votre main.
Mais non : dans ce dessein je l’aurais devancée ;
L’amour m’en eût d’abord inspiré la pensée.
C’est moi, prince, c’est moi, dont l’utile secours
!22
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
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!
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Vous eût du labyrinthe enseigné les détours.
Que de soins m’eût coûtés cette tête charmante !
Un fil n’eût point assez rassuré votre amante :
Compagne du péril qu’il vous fallait chercher,
Moi-même devant vous j’aurais voulu marcher ;
Et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue.
HIPPOLYTE
Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ?
PHÈDRE
Et sur quoi jugez-vous que j’en perds la mémoire,
Prince ? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ?
HIPPOLYTE
Madame, pardonnez : j’avoue, en rougissant,
Que j’accusais à tort un discours innocent.
Ma honte ne peut plus soutenir votre vue ;
Et je vais…
PHÈDRE
Ah, cruel ! tu m’as trop entendue !
Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur.
Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur :
J’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ;
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison ;
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d’une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ;
J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ;
Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.
De quoi m’ont profité mes inutiles soins ?
!23
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
!
!
Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ;
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes :
Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder…
Que dis-je ? cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr :
Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime !
Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même !
Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour :
Digne fils du héros qui t’a donné le jour,
Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper ;
Voilà mon cœur : c’est là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d’expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.
Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m’envie un supplice si doux,
Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ;
Donne.
ŒNONE
Que faites-vous, madame ! Justes dieux !
Mais on vient : évitez des témoins odieux !
Venez, rentrez ; fuyez une honte certaine.
Après le spectacle
Comment la mise en scène met-elle en évidence les ressemblances et les échos entre
ces deux scènes, mais aussi leur différence radicale ?
Comparer les placements des acteurs, la gestuelle, les lumières.
!
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DOSSIER PÉDAGOGIQUE
Parler du spectacle
grille d’analyse pour la représentation
!
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1.
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Les personnages
La mise en scène a-t-elle éclairé d’une manière inattendue pour vous certains
personnages et leurs relations avec d’autres ?
!
Faire un tableau comparatif
!
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Personnages
Caractère
Costumes
Comportement,
rapports aux autres
HIPPOLYTE selon mon
imagination de lecteur
(avant la représentation)
HIPPOLYTE selon mon
imagination de spectateur
(après la représentation)
PHÈDRE selon mon
imagination de lecteur
PHÈDRE selon mon
imagination de spectateur
etc
!
2.
!
L’espace scénique
!
3.
!
Les lumières
S’agit-il d’un lieu précis, d’un monde imaginaire ou de la traduction d’un univers mental ?
Pourriez-vous rattacher cet espace à une époque ou vous semble-t-il intemporel ?
Comment les comédiens investissent cet espace ? Comment se positionnent-ils dans le
décor en fonction des scènes ?
Comment s’intègrent-elles au décor ?
Quelles sont les différentes atmosphères qu’elles contribuent à créer ?
Vous semblent-elles avoir par moment une fonction symbolique ? Quand ? Laquelle selon
vous ?
!
!25
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
4. Les accessoires
!
Dressez une liste des meubles et des accessoires dont vous vous souvenez après la
représentation.
Comment participent-ils à la définition des personnages qui les manipulent ?
Ont-ils parfois une valeur symbolique ? Quand ? Laquelle selon vous ?
!
5.
!
Les costumes
!
6.
!
La musique
!
7.
!
La diction
Quels liens pouvez-vous établir entre les costumes et les décors ?
Se rattachent-ils pour vous à une époque précise ou sont-ils intemporels ?
Que disent-ils des personnages qui les portent ? Ont-ils plutôt une fonction sociale ou
une fonction symbolique ?
Que signifient les changements de costumes de certaines personnages d’une scène à
l’autre ?
Comment décririez-vous l’univers musicale de la pièce ?
Comment la musique accompagne-t-elle le texte ?
Comment accompagne-t-elle l’univers visuel du spectacle ?
Comment sont prononcés les alexandrins ? La versification est-elle respectée ? La diction
fait-elle l’objet d’un soin particulier ? Qu’apporte-elle au texte ? Au rythme de la pièce ? À
l’expressivité des acteurs ?
!
!
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!26