Epreuves anticipées de français

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Epreuves anticipées de français
Epreuves anticipées de français
Ecrit blanc. Séries générales. 2012-2013
OBJET D’ETUDE : le texte théâtral et sa représentation, du XVIIème siècle à nos jours.
CORPUS :
TEXTE A : Pierre Corneille, L’Illusion comique, Acte V, scène 6, 1635.
TEXTE B : Victor Hugo, Ruy Blas, Préface, 1838.
TEXTE C : Emile Zola, La Curée, 1871.
TEXTE D : Paul Claudel, L’Echange, première version, 1894.
QUESTION (4 points):
Répertoriez et classez les différentes raisons qui, selon les auteurs des textes ci-dessous (textes A, B,
C, D), poussent les hommes à aller au théâtre.
TRAVAIL D’ECRITURE AU CHOIX (16 points) :
Commentaire :
Vous ferez le commentaire du texte de Pierre Corneille (texte A).
Dissertation :
« Nous n’allons pas au théâtre en inspecteurs, en contrôleurs. Nous allons au théâtre pour penser, une heure ou deux, à autre chose », écrit le critique Michel Cournot.
Selon vous, que vient chercher le public au théâtre ?
Dans un développement construit et argumenté, vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes du corpus, sur les textes que vous avez lus et sur votre expérience de spectateur.
Ecriture d’invention :
Vous êtes directeur d’une école de théâtre et vous devez prononcer un discours d’accueil de
vos nouveaux élèves en début d’année.
Composez un discours argumenté et illustré d’exemples dans lequel vous devez faire comprendre aux nouveaux venus leur mission d’acteur.
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TEXTE A : Pierre Corneille, L’Illusion comique, Acte V, scène 6, 1635.
(Pridamant consulte le magicien Alcandre afin de savoir ce que devient son fils Clindor, disparu depuis dix ans, chassé par son père. Alcandre, par ses pouvoirs magiques, montre à ce père la
vie de son fils, et même sa mort. Mais Alcandre lui dévoile la vérité: Clindor est devenu comédien.)
PRIDAMANT
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Et ceux dont nous voyons la sagesse profonde
Par ses illustres soins conserver tout le monde,
Trouvent dans les douceurs d’un spectacle si beau
De quoi se délasser d’un si pesant fardeau.
Même notre grand roi2, ce foudre de la guerre
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Dont le nom se fait craindre aux deux bouts de la
[terre,
Le front ceint de lauriers, daigne bien quelquefois
Prêter l’œil et l’oreille au Théâtre français :
C’est là que le Parnasse3 étale ses merveilles ;
Les plus rares esprits lui consacrent leurs veilles ;
Et tous ceux qu’Apollon voit d’un meilleur regard
De leurs doctes travaux lui donnent quelque part.
S’il faut par la richesse estimer les personnes,
Le théâtre est un fief dont les rentes sont bonnes ;
Et votre fils rencontre en un métier si doux
Plus d’accommodement qu’il n’eût trouvé chez vous.
Défaites-vous enfin de cette erreur commune,
Et ne vous plaignez plus de sa bonne fortune.
Mon fils comédien !
ALCANDRE
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D’un art si difficile
Tous les quatre1 au besoin en ont fait leur asile,
Et, depuis sa prison, ce que vous avez vu,
Son adultère amour, son trépas imprévu,
N’est que la triste fin d’une pièce tragique
Qu’il expose aujourd’hui sur la scène publique,
Par où ses compagnons en ce noble métier
Ravissent à Paris un peuple tout entier.
Le gain leur en demeure, et ce grand équipage
Dont je vous ai fait voir le superbe étalage,
Est bien à votre fils, mais non pour s’en parer
Qu’alors que sur la scène il se fait admirer.
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PRIDAMANT
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J’ai pris sa mort pour vraie, et ce n’était que feinte,
Mais je trouve partout même sujet de plainte.
Est-ce là cette gloire, et ce haut rang d’honneur
Où le devait monter l’excès de son bonheur ?
ALCANDRE
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Cessez de vous en plaindre. A présent le théâtre
Est en un point si haut que chacun l’idolâtre ;
Et ce que votre temps voyait avec mépris
Est aujourd’hui l’amour de tous les bons esprits,
L’entretien de Paris, le souhait des provinces,
Le divertissement le plus doux de nos princes,
Les délices du peuple, et le plaisir des grands ;
Il tient le premier rang parmi leurs passe-temps ;
PRIDAMANT
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Je n’ose plus m’en plaindre, et vois trop de combien
Le métier qu’il a pris est meilleur que le mien.
Il est vrai que d’abord mon âme s’est émue :
J’ai cru la comédie4 au point où je l’ai vue ;
J’en ignorais l’éclat, l’utilité, l’appas,
Et la blâmais ainsi ne la connaissant pas ;
Mais depuis vos discours mon cœur plein d’allégresse
A banni cette erreur avecque la tristesse.
Clindor a trop bien fait.
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Louis XIII.
Le Parnasse : mont de la Grèce consacré à Apollon et aux
Muses et qui désigne ici la poésie et les poètes.
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La comédie : ici, le théâtre en général.
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Clindor et trois autres comédiens.
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TEXTE B : Victor Hugo, Ruy Blas, Préface, 1838.
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Trois espèces de spectateurs composent ce qu’on est convenu d’appeler le public : premièrement, les femmes ; deuxièmement, les penseurs ; troisièmement, la foule proprement dite. Ce que la
foule demande presque exclusivement à l’œuvre dramatique, c’est de l’action ; ce que les femmes y
veulent avant tout, c’est de la passion ; ce qu’y cherchent plus spécialement les penseurs, ce sont des
caractères. Si l’on étudie attentivement ces trois classes de spectateurs, voici ce qu’on remarque : la
foule est tellement amoureuse de l’action, qu’au besoin elle fait bon marché des caractères et des passions. Les femmes, que l’action intéresse d’ailleurs, sont si absorbées par les développements de la
passion, qu’elles se préoccupent peu du dessin des caractères ; quant aux penseurs, ils ont un tel goût
de voir des caractères, c’est-à-dire des hommes, vivre sur la scène, que, tout en accueillant volontiers
la passion comme incident naturel dans l’œuvre dramatique, ils en viennent presque à y être importunés par l’action. Cela tient à ce que la foule demande surtout au théâtre des sensations ; la femme, des
émotions ; le penseur, des méditations. Tous veulent un plaisir ; mais ceux-ci, le plaisir des yeux ;
celles-là, le plaisir du cœur ; les derniers, le plaisir de l’esprit. De là, sur notre scène, trois espèces
d’œuvres bien distinctes : l’une vulgaire et inférieure, les deux autres illustres et supérieures, mais qui
toutes les trois satisfont un besoin : le mélodrame pour la foule ; pour les femmes, la tragédie qui analyse la passion ; pour les penseurs, la comédie qui peint l’humanité.
TEXTE C : Emile Zola, La Curée, 1871.
(Aristide Rougon est prêt à tout pour faire carrière dans les affaires. Pour cela, il épouse Renée, fille
du riche Béraud de Châtel. Renée veut connaître tous les plaisirs de la vie. Bien qu’elle ressente de
plus en plus de dégoût pour elle-même, elle succombe à sa passion pour Maxime, le fils né du premier
mariage d’Aristide Rougon. Dans le texte qui suit, Renée et Maxime assistent à une représentation de
Phèdre, pièce de Jean Racine.)
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Un soir, ils allèrent ensemble au Théâtre-Italien. Ils n'avaient seulement pas regardé l'affiche.
Ils voulaient voir une grande tragédienne italienne, la Ristori, qui faisait alors courir tout Paris, et à laquelle la mode leur commandait de s'intéresser. Onk donnait Phèdre. Il se rappelait assez son répertoire classique, elle savait assez d'italien pour suivre la pièce. Et même ce drame leur causa une émo tion particulière, dans cette langue étrangère dont les sonorités leur semblaient, par moments, un
simple accompagnement d'orchestre soutenant la mimique des acteurs. Hippolyte était un grand garçon pâle, très médiocre, qui pleurait son rôle.
─ Quel godiche ! murmurait Maxime.
Mais la Ristori, avec ses fortes épaules secouées par les sanglots, avec sa face tragique et ses
gros bras, remuait profondément Renée. Phèdre était du sang de Pasiphaé, et elle se demandait de quel
sang elle pouvait être, elle, l'incestueuse des temps nouveaux. Elle ne voyait de la pièce que cette
grande femme traînant sur les planches le crime antique. Au premier acte, quand Phèdre fait à Oenone
la confidence de sa tendresse criminelle ; au second, lorsqu'elle se déclare, toute brûlante, à
Hippolyte ; et, plus tard, au quatrième, lorsque le retour de Thésée l'accable, et qu'elle se maudit, dans
une crise de fureur sombre, elle emplissait la salle d'un tel cri de passion fauve, d'un tel besoin de vo3/5
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lupté surhumaine, que la jeune femme sentait passer sur sa chair chaque frisson de son désir et de ses
remords.
─ Attends, murmurait Maxime à son oreille, tu vas entendre le récit de Théramène. Il a une
bonne tête le vieux !
Et il murmura d'une voix creuse :
« À peine nous sortions des portes de Trézène,
Il était sur son char... »
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Mais Renée, quand le vieux parla, ne regarda plus, n'écouta plus. Le lustre l'aveuglait, des chaleurs étouffantes lui venaient de toutes ces faces pâles tendues vers la scène. Le monologue continuait,
interminable. Elle était dans la serre, sous les feuillages ardents, et elle rêvait que son mari entrait, la
surprenait aux bras de son fils. Elle souffrait horriblement, elle perdait connaissance, quand le dernier
râle de Phèdre, repentante et mourant dans les convulsions du poison, lui fit rouvrir les yeux. La toile
tombait. Aurait-elle la force de s'empoisonner, un jour? Comme son drame était mesquin et honteux à
côté de l'épopée antique ! Et tandis que Maxime lui nouait sous le menton sa sortie de théâtre, elle en tendait encore gronder derrière elle cette rude voix de la Ristori, à laquelle répondait le murmure complaisant d'Œnone.
Dans le coupé, le jeune homme causa tout seul, il trouvait en général la tragédie « assommante », et préférait les pièces des Bouffes. Cependant Phèdre était « corsée ». Il s'y était intéressé,
parce que... Et il serra la main de Renée, pour compléter sa pensée. Puis une idée drôle lui passa par la
tête, et il céda à l'envie de faire un mot :
─ C'est moi, murmura-t-il, qui avais raison de ne pas m'approcher de la mer, à Trouville.
Renée, perdue au fond de son rêve douloureux, se taisait. Il fallut qu’il répétât sa phrase.
─ Pourquoi ? demanda-t-elle étonnée, ne comprenant pas.
─ Mais le monstre…
Et il eut un petit ricanement. Cette plaisanterie glaça la jeune femme. Tout se détraqua dans sa
tête. La Ristori n’était plus qu’un gros pantin qui retroussait son péplum et montrait sa langue au public comme Blanche Muller, au troisième acte de La Belle Hélène ; Théramène dansait le cancan, et
Hippolyte mangeait des tartines de confiture en se fourrant les doigts dans le nez.
Annexe au texte C :
Phèdre, Jean Racine, 1677 ; tragédie en cinq actes, en vers. En l’absence de Thésée que l’on tient pour
mort, Phèdre déclare sa passion à Hippolyte, jeune prince dont la loyauté à l’égard de son père est irréprochable et qui aime Aricie d’un amour partagé. Le retour de Thésée surprend Phèdre qui, sur le
conseil insidieux de sa nourrice Oenone, accuse son beau-fils d’avoir tenté de lui faire violence. Puis,
Phèdre veut avouer la vérité à Thésée quand elle apprend qu’Hippolyte aime Aricie. Folle de jalousie,
elle n’avoue pas son amour incestueux et rejette la faute sur Hippolyte. Thésée maudit son fils. Le
dieu Neptune exauce sa prière en envoyant un monstre marin qu’affronte Hippolyte : ce dernier meurt
dans ce combat. Le récit de cette mort est fait par son gouverneur Théramène). Phèdre, après avoir révélé la vérité, meurt en s’empoisonnant.
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TEXTE D : Paul Claudel, L’Echange, première version 1894.
(Femme de Thomas Pollock Nageoire, Lechy Elbernon est une actrice à qui son amie Marthe avoue
qu’elle n’est encore jamais allée au théâtre).
LECHY ELBERNON. - Moi je connais le monde. J’ai été partout. Je suis actrice, vous savez. Je joue
sur le théâtre.
Le théâtre. Vous ne savez pas ce que c'est ?
MARTHE. - Non.
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LECHY ELBERNON. - Il y a la scène et la salle. Tout étant clos, les gens viennent là le soir, et ils
sont assis par rangées les uns derrière les autres, regardant.
MARTHE. - Quoi ? Qu'est-ce qu'ils regardent, puisque tout est fermé ?
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LECHY ELBERNON. - Ils regardent le rideau de la scène.
Et ce qu'il y a derrière quand il est levé.
Et il arrive quelque chose sur la scène comme si c'était vrai.
MARTHE. - Mais puisque ce n'est pas vrai ! C'est comme les rêves que l'on fait quand on dort.
LECHY ELBERNON. - C'est ainsi qu'ils viennent au théâtre la nuit.
THOMAS POLLOCK NAGEOIRE. - Elle a raison. Et quand ce serait vrai encore, qu'est-ce que
cela me fait ?
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LECHY ELBERNON. - Je les regarde, et la salle n'est rien que de la chair vivante et habillée.
Et ils garnissent les murs comme des mouches, jusqu'au plafond.
Et je vois ces centaines de visages blancs.
L'homme s'ennuie, et l'ignorance lui est attachée depuis sa naissance.
Et ne sachant de rien comment cela commence ou finit, c'est pour cela qu'il va au théâtre.
Et il se regarde lui-même, les mains posées sur les genoux.
Et il pleure et il rit, et il n’a point envie de s'en aller.
Et je les regarde aussi, et je sais qu'il y a là le caissier qui sait que demain
On vérifiera les livres, et la mère adultère dont l'enfant vient de tomber malade,
Et celui qui vient de voler pour la première fois, et celui qui n'a rien fait de tout le jour.
Et ils regardent et écoutent comme s'ils dormaient.
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